Matthieu 15,1 -21

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HOMÉLIE LI.

« ALORS DES DOCTEURS ET DES PHARISIENS DE JÉRUSALEM VINRENT, ET LUI DIRENT : POURQUOI VOS DISC1PLES, ETC.,» (CHAP. XV, 1, JUSQU’AU VERSET 21.)

ANALYSE

1. Les Pharisiens se plaignent à Jésus de ce que ses disciples violaient les traditions des anciens en négligeant de se laver les mains avant de se mettre à table.

2. Que les Juifs tenaient moins à la loi de Dieu qu’à leurs traditions qui n’étaient pas toujours indifférentes et innocentes comme celle de se laver les mains avant le repas, mais qui étaient parfois mauvaises et subversives de la loi divine, comme celle qui permettait de refuser l’assistance à son père, sous prétexte que ce que l’on aurait pu lui donner était consacré à Dieu.

3. Précaution et prudence de Jésus-Christ dans l’abrogation des anciennes observances.

4. Combien les apôtres eux-mêmes étaient portés à se scandaliser en entendant parler contre la loi de Moïse.

5 et 6. Que la pureté des chrétiens consiste à avoir non les mains, mais l’âme pure. — Combien nous offensons Dieu lorsque nous le prions avec une âme corrompue par le péché. — Que c’est celui qui offense qui reçoit le mal et non celui qui est offensé.


1. « Alors, » dit l’Evangile. Et quand donc? Et qu’est-ce à dire? C’est-à-dire, lorsqu’il eut fait tant de miracles, et qu’il eut guéri tant de malades par le seul attouchement de la frange de ses habits. Et cette circonstance du temps, soigneusement exprimée, nous fait mieux voir jusqu’où allait la malice de ces hommes, malice qui ne pouvait céder à rien.

Pourquoi est-il marqué que ces docteurs et ces pharisiens étaient « de Jérusalem »? C’est parce qu’ils étaient répandus partout et divisés dans toutes les douze tribus: mais ceux de Jérusalem étaient les pires de tous, étant plus honorés que les autres, et par suite plus orgueilleux. Et considérez de quelle manière Jésus-Christ les prend par eux-mêmes, et parleur propre demande.

« Pourquoi vos disciples violent-ils la tradition des anciens? Car ils ne lavent point leurs mains, lorsqu’ils prennent leur repas  (2). » Ils ne disent pas : Pourquoi vos disciples violent-ils « la loi de Moïse » ? Mais, pourquoi violent-ils « la tradition des anciens? »Cela nous fait voir que ces prêtres avaient introduit plusieurs nouvelles maximes. Cependant Moïse avait défendu très-expressément que personne n’eût la témérité de rien changer dans la loi, d’y rien ajouter ou d’en retrancher la moindre chose: « Vous n’ajouterez rien, » dit-il, « à ce que je vous commande « aujourd’hui, et vous n’en retrancherez rien. » (Deut. IV, 2.) Les pharisiens avaient néanmoins violé cette ordonnance en introduisant de nouvelles traditions, comme était celle de ne se point mettre à table sans se laver les mains, de laver leurs vases d’airain, et de se laver eux-mêmes.

Lorsqu’ils devaient ne penser qu’à se délivrer de toutes ces cérémonies, parce que le temps en était passé, ils en inventaient au con traire tous les jours de nouvelles, dont ils se surchargeaient volontairement. Ils craignaient. si ces lois s’abolissaient, de perdre leur autorité, et ils voulaient se rendre redoutables aux peuples par cette liberté qu’ils prenaient de faire de nouvelles lois. Cet état de choses en vint à un tel excès, qu’on n’osait pas violer leurs lois, lorsqu’on violait sans crainte celles de Dieu même; et ils s’étaient établis dans une si grande autorité, que c’était un crime que de contrevenir à leurs ordonnances. En quoi certes ils se rendaient doublement coupables premièrement en prenant la liberté de faire de nouvelles lois; et en second lieu, en vengeant si sévèrement la violation de leurs ordonnances, lorsqu’ils étaient si indifférents pour la profanation de la loi de Dieu.

Ils s’adressent donc à Jésus-Christ, et sans (395) lui parler des vases d’airain ou d’autres et d’autres observances qui eûssent paru par trop ridicules, ils s’attachent à ce qui leur paraissait plus considérable, et tâchent, autant que j’en puis juger, de l’irriter et de le mettre en colère. Ils parlent d’abord de leurs «anciens», afin que si Jésus-Christ les méprisait, il donnât par là prise contre lui.

Mais voyons d’abord pourquoi les disciples mangeaient sans laver leurs mains. Ils n’affectaient point de ne se laver jamais: ils n’en faisaient point une règle; mais ils commençaient à mépriser tout ce qui était superflu, ils ne s’attachaient plus qu’à ce qui était nécessaire. Ainsi ils ne se faisaient plus une loi ou de se laver, ou de ne pas se laver, mais ils en usaient indifféremment selon les rencontres. Car comment ceux qui négligeaient si fort le soin même de la nourriture, eussent-ils pu en avoir pour ces puérilités? Comme il arrivait donc souvent que les apôtres, à cause des occurrences qui se présentaient, mangeaient sans laver leurs mains; comme lorsqu’ils mangèrent dans le désert ou qu’ils rompirent des épis de blé, les pharisiens leur en font ici un crime, parce que leur faux zèle négligeait toujours les choses les plus importantes, et ne s’attachait qu’aux basses et aux superflues.

Que fait Jésus-Christ en cette rencontre? Il ne répond point à leur question. Il n’entreprend point de justifier ses disciples ;mais c’est par une accusation qu’il répond à leur accusation, il leur reproche leur témérité, et leur apprend qu’il sied mal à celui qui est coupable lui-même des plus grands crimes, de reprendre dans les autres avec chaleur les fautes les plus légères. Lorsque vous méritez qu’on vous reprenne vous-mêmes, leur dit-il, vous osez reprendre les autres!

Mais remarquez, mes frères, lorsque Jésus-Christ veut se dispenser de quelque ordonnance de la loi, quel ordre il garde, et comme il se justifie. Il ne vient pas tout d’un coup au crime de cette transgre6sion dont on l’accuse. Il ne dit point: ce n’est rien: c’est une chose superflue, Cette réponse eût rendu ses adversaires plus insolents, il commence par réprimer leur audace en leur objectant d’autres infractions de la loi en des choses plus importantes, et en leur reprochant d’autres crimes qui les couvraient de confusion.

Il ne dit pas non plus que ses disciples sont irrépréhensibles, en passant par-dessus ces ordonnances, afin de ne donner aux pharisiens aucune prise sur lui. il ne dit point encore qu’ils aient fait une faute, parce qu’il ne veut pas autoriser les traditions judaïques. Il évite de même d’attaquer les anciens. Il ne parle point contre eux, comme contre des prévaricateurs et des méchants, pour empêcher qu’ils n’aient. horreur de lui, comme d’un calomniateur, et comme d’un impie. Il rejette tous ces moyens pour s’attacher à celui que l’Evangile marque. Il semble blâmer ceux qui lui parlent, mais il attaque en effet ceux qui avaient osé établir ces lois. Ainsi sans dire un mot des anciens, il les comprend dans le reproche qu’il fait à ceux qui lui parlent, et fait voir qu’ils sont tombés dans deux grandes fautes. La première, parce qu’ils n’ont pas obéi aux véritables lois de Dieu; et la seconde, parce qu’ils leur en ont substitué d’autres par complaisance pour les hommes. Il semble qu’il leur dise: C’est cela même qui vous perd, que vous soyez si soumis en tout à vos anciens. Il ne le dit pas néanmoins en termes formels, mais il le marque tacitement par ces paroles:

« Pourquoi vous-mêmes violez-vous le commandement de Dieu pour suivre votre tradition (3)? Car Dieu a fait ce commandement: « Honorez votre père et votre mère; et cet autre: Que celui qui outragera de paroles son père ou sa mère, soit puni de mort (4). Et cependant vous dites: Quiconque dira à son père ou à sa mère: Tout ce dont j’aurais pu vous assister, est déjà consacré à Dieu, satisfait à la loi (5), quoiqu’après cela il n’honore et n’assiste point son père ou sa mère; et ainsi vous avez rendu inutile le commandement de Dieu par votre tradition (6). »

2. Il ne dit pas par la tradition de vos anciens; mais « par votre tradition » : comme il n’a pas dit: Vos anciens ont dit, mais « vous dites » ; afin que ce terme les offensât moins. Comme les pharisiens voulaient montrer que les apôtres violaient la loi, Jésus-Christ leur montre au contraire qu’ils tombaient eux-mêmes dans ce crime, et que ses disciples étaient innocents. Car on ne peut donner pour loi ce qui n’est ordonné que par les hommes (c’est pourquoi Jésus-Christ dit ici tradition et non pas loi) et surtout par des hommes qui ont été les plus grands violateurs de la loi. Et comme cette tradition qui commandait de laver ses mains avant que de se mettre à table n’était point formellement contraire à la loi de (396) Dieu, Jésus-Christ en rapporte une autre qui lui était entièrement opposée. Voici ce que c’est :

Ils avaient appris aux jeunes gens à mépriser leur père et leur mère sous prétexte de piété. Ils avaient pour cela inventé cet artifice. Lorsque le père demandait à son fils une brebis ou un veau, ou quelque autre chose semblable, cet enfant lui répondait: Ce que vous désirez de moi, mon père, n’est plus en ma puissance. Il est déjà consacré à Dieu et je ne puis vous le donner. Ils commettaient ainsi un double crime. Car d’un côté ils n’offraient rien à Dieu et ils trompaient de l’autre -l’attente de leurs parents sous prétexte de piété. Ainsi ils déshonoraient leur père à cause de Dieu , et ils déshonoraient Dieu dans leurs pères.

Cependant Jésus-Christ ne leur fait point d’abord ce reproche. Il leur rapporte premièrement la loi de Dieu, par laquelle il leur fait voir jusqu’où doit aller le respect des enfants envers leurs pères: « Honorez », dit-il, « votre père et votre mère, afin que vous viviez longtemps sur la terre. » Et ailleurs : « Que celui qui maudira son père ou sa mère, meure de mort! »

Mais il ne s’arrête pas aux seules récompenses que Dieu promet à ceux qui honoreraient leur père. Il passe à une matière plus effrayante et parle de la punition qui serait inévitable aux enfants qui déshonoreraient ceux dont ils ont reçu la vie. Il voulait par ce moyen les frapper de crainte et faire rentrer

en eux-mêmes ceux d’entre eux qui auraient encore quelque reste de sentiment. En un mot, il leur fait voir à tous qu’ils avaient mérité la mort. Si celui qui déshonore son père par ses paroles en est puni, combien plus le doit être celui qui le déshonore par ses actions, ou plutôt qui non-seulement le déshonore lui-même, mais qui apprend encore aux autres à le déshonorer? Comment donc, vous qui êtes indignes de vivre, osez-vous accuser mes disciples? Faut-il s’étonner que vous me traitiez si outrageusement, moi qui vous suis inconnu, puisque vous ne traitez pas mieux mon Père en violant ses ordonnances? Ainsi il leur montre partout que le mépris qu’ils font de lui découle comme de sa source, du mépris qu’ils font de son Père.

Quelques-uns expliquent autrement ces paroles : Dõron, õ eàn éXs õpheletès, et ils prétendent (396) qu’elles veulent dire ceci : Je ne vous dois aucun honneur, et, si je vous en rends, c’est par un don pur et gratuit. Mais Jésus-Christ n’a pas témoigné parler d’un si grand outrage. Saint Marc s’explique plus clairement, car il se sert du mot « Corban » qui ne signifie proprement ni pardon ni présent, mais « offrande ». (Marc, VI, 11.)

Après donc que Jésus-Christ leur a montré qu’il n’était pas raisonnable que ceux qui foulaient aux pieds la loi de Dieu accusassent avec tant de chaleur ceux qui ne violaient que les traditions des hommes, il confirme ce qu’il leur a dit par un passage des prophètes. Comme il les a déjà confondus, il le fait encore davantage, et s’appuie, comme il fait presque partout, sur l’autorité de l’Ecriture, pour montrer qu’il s’accordait en toutes choses avec Dieu. Mais que dit le Prophète? « Hypocrites, Isaïe a bien prophétisé de vous quand il a dit (7) : Ce peuple est proche de moi en paroles, et il m’honore des lèvres, mais son coeur est bien éloigné de moi. Et c’est en vain qu’ils « m’honorent, publiant des maximes et des ordonnances humaines (8). » On ne peut assez admirer le rapport qui se trouve entre les paroles du prophète et celles de l’Evangile, et comment Isaïe a prédit si longtemps auparavant la corruption de ce peuple. Car il avait longtemps auparavant fait aux Juifs le même reproche que Jésus-Christ leur fait ici : « Vous violez les commandements de Dieu, » leur dit Jésus-Christ : Ils m’honorent en vain, avait dit le Prophète : « Vous suivez, » dit Jésus-Christ, vos propres maximes de préférence aux lois de Dieu: Ils publient, dit le Prophète, des maximes et des ordonnances humaines.

3. Après que Jésus-Christ a confondu ses adversaires par sa parole, qu’il les a réfutés par le témoignage de leur propre conscience, et par l’autorité du Prophète, il ne leur adresse plus son discours et il les quitte enfin, parce qu’ils étaient inconvertibles. Il se tourne vers le peuple tt lui apprend une vérité très-importante, et pleine d’une grande. instruction. Il prend occasion de ce qu’il venait de dire, et il s’en sert pour rejeter la distinction des viandes et pour abolir cet- usage. Et remarquez qu’il ne le fait qu’après qu’il a guéri les lépreux, qu’il nous a dispensés de l’observance du sabbat, qu’il s’est fait reconnaître pour le Maître de la mer et de la terre, qu’il a établi de nouvelles lois et qu’il a ressuscité les morts. (397)

Après tant de marques de sa divinité et de sa puissance souveraine, il commence enfin à parler des viandes, pour en abolir la distinction. Il avait différé jusque-là de donner aucune atteinte à cette règle, parce qu’elle s’enfermait tout le judaïsme-et qu’en la détruisant il détruisait en même temps tout le reste. On en devait conclure qu’il fallait-de même abolir la circoncision : mais Jésus-Christ ne le dit pas expressément, parce que cette loi, beaucoup plus ancienne que les commandements de Moïse, était encore alors dans une plus grande vénération. C’était un point sur lequel il se réservait de statuer par ses disciples après sa résurrection. La circoncision était un point si important parmi les Juifs que les apôtres, voulant la détruire, sont obligés auparavant de la confirmer et de la maintenir, pour l’anéantir ensuite avec plus de facilité. Mais remarquez avec quelle sagesse Jésus-Christ introduit ici la loi.

« Et ayant appelé à lui le peuple, il leur dit: Ecoutez et comprenez bien ceci (10). » Il ne leur déclare pas tout d’un coup ce qu’il leur veut dire. Il les rend attentifs d’abord en leur parlant d’une manière obligeante (c’est ce que l’évangéliste marque par ce mot : « Et ayant appelé à lui le peuple), » puis en choisissant le moment favorable. Après qu’il a confondu les pharisiens et qu’il leur a fermé la bouche par le reproche du Prophète, il commence alors à établir sa loi, lorsque ce peuple était plus disposé à recevoir ce qu’il devait dire. Il ne se contente pas d’appeler simplement ce peuple, il demande son attention en disant: « Ecoutez et comprenez bien ceci; » comme s’il disait : Ce que je vais vous dire a besoin d’une grande application, et vous devez bien m’écouter pour le comprendre. Si vous avez témoigné tant de déférence pour des hommes qui ont violé la loi de Dieu, et qui ne vous ont appris que des traditions humaines, combien en devez-vous plus avoir pour moi qui vous instruis de la vraie sagesse, et qui vous donne des lumières- proportionnées au temps bienheureux auquel Dieu vous a fait naître. Il ne dit point que cette distinction des viandes fût une chose superflue et inutile; que Moïse en cela eût fait une ordonnance déraisonnable, ou qu’il ne l’eût fait que par condescendance. Mais en leur parlant d’une manière familière, et en se servant d’une comparaison commune, il leur confirme ce qu’il leur dit, par ce qui arrive tous les jours dans la nature.

« Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur, mais c’est ce qui en sort qui le rend impur (11). » Il se sert toujours de comparaisons naturelles, lorsqu’il établit des lois ou qu’il prononce des sentences. Les pharisiens et les docteurs écoutant ceci ne le contredisent point, ils ne lui disent point: que nous dites-vous? Après que Dieu a fait mille ordonnances touchant le discerne. ment des viandes, osez-vous maintenant les ruiner par cette ordonnance nouvelle? Comme Jésus-Christ les avait réfutés et couverts de confusion, en découvrant la corruption de leur coeur et le secret de leurs pensées, ils se retirent sans oser rien répondre. Et remarquez, mes frères, avec quelle retenue Jésus-Christ leur parle, et comment il n’ose pas d’abord se déclarer contre le discernement des viandes. Il ne dit pas absolument: Ce ne sont pas les viandes qui rendent l’homme impur; mais: « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui « rend l’homme impur; » ce qui se pouvait entendre des mains qu’on ne lavait pas avant que de se mettre à table. Et quoique Jésus-Christ l’entendît de la nourriture, le peuple néanmoins le pouvait prendre en ce sens. Cette distinction des viandes s’observait si exactement que saint Pierre même, après la résurrection, dit à Dieu : « Non, Seigneur, je n’ai jamais rien mangé qui fût souillé ou impur.» (Act. X, 7.) Car bien que cet apôtre parlât de la sorte plutôt à cause des autres, et seulement pour se justifier à l’égard de ses accusateurs, en leur montrant qu’il avait voulu résister à Dieu même sur ce point, et que toutes ses résistances avaient été inutiles, il ne laisse pas néanmoins de faire voir par ces paroles combien on avait d’égard à cette observance et avec quelle exactitude elle se pratiquait. C’est pourquoi Jésus-Christ n’exprime pas formelle ment le mot de « viandes », et qu’il use de cette expression: « ce qui entre dans la bouche.»

Et de peur même de s’être fait entendre encore trop clairement par ce terme, il voile encore son discours par ce qu’il ajoute pour le terminer : « Mais un homme ne devient point impur pour manger sans avoir lavé ses mains, » comme pour témoigner que ce n’était que de ce sujet qu’il parlait dans tout son discours. C’est pourquoi, comme je l’ai déjà remarqué, il ne dit pas: « Un homme ne (398) devient point impur pour manger des viandes; » mais, « sans avoir lavé ses mains; » comme s’il n’eût voulu établir que ce point dans tout ce qu’il dit ici, afin que les pharisiens ne pussent le contredire. Ces paroles néanmoins scandalisèrent non le peuple, mais les pharisiens et les docteurs.

« Alors les disciples s’approchant de Jésus-Christ lui dirent: Savez-vous bien que les pharisiens ayant entendu ce que vous venez de dire, en ont été scandalisés (12)? » C’était sans aucun sujet, puisque Jésus-Christ n’avait rien dit qui fût contre eux. Mais que fait le Sauveur en cette rencontre? Il ne se met point en peine de lever ce scandale. Il prononce au contraire cette, sentence terrible :

« Toute plante qui n’aura point été plantée par mon Père qui est dans le ciel, sera arrachée (43). » Car Jésus-Christ savait lorsqu’il fallait négliger les scandales, ou lorsqu’il fallait y avoir égard. Il dit ailleurs : « Afin que nous ne les scandalisions point, allez jeter votre filet dans la mer; » au lieu qu’il dit ici: « Laissez-les, ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles : que si un aveugle conduit un autre aveugle , ils tomberont tous deux dans le précipice (14). » Ce qui porta les apôtres à représenter à Jésus-Christ le scandale des pharisiens, ce n’était pas tant la douleur qu’ils en ressentaient, que le trouble dont ils étaient eux-mêmes quelque peu émus pour avoir entendu ces paroles. Mais comme ils n’osaient exprimer au Sauveur leurs propres sentiments, ils mettent en avant les pharisiens pour obtenir ainsi l’éclaircissement qu’ils désiraient. Et pour voir qu’en effet c’était là leur pensée , il ne faut que considérer ce que fait saint Pierre, le plus zélé de tous les apôtres, et qui les prévenait toujours.

« Pierre lui dit: Expliquez-nous cette parabole (15). » Il cache à Jésus-Christ le trouble qu’il sentait dans son coeur; et n’osant dire clairement qu’il était aussi scandalisé de ces paroles, il tâche de se guérir de son scandale par l’explication qu’il en demande. C’est pourquoi Jésus-Christ lui fait ce reproche. « Et Jésus lui répondit: Quoi! vous avez encore vous-même si peu d’intelligence (16)? » Mais examinons ici, mes frères, cette parole du Sauveur: « Toute plante qui n’aura point été plantée par mon Père qui est dans le ciel, sera arrachée. » Les Manichéens soutiennent que ces paroles se doivent entendre de l’ancienne loi; mais ce qui les précède doit fermer la bouche à ces impies. Car si cela se pouvait entendre de la loi, comment Jésus-Christ aurait-il voulu un peu auparavant la soutenir avec tant de force? Comment aurait-il dit aux pharisiens : « Pourquoi vous-mêmes violez- vous la loi de Dieu pour suivre votre tradition? » Comment se serait-il aussi servi de l’autorité du Prophète, en disant: «Ce peuple m’honore des lèvres; mais son coeur est bien éloigné de moi? » Ce n’est donc point de la loi que Jésus-Christ parle en ce lieu; mais des traditions des Juifs. Si Dieu a dit: « Honorez votre père et votre mère, » comment peut-on ne pas regarder comme une « plante » de Dieu, ce qui a été dit par Dieu même?

4. Mais la suite fait bien voir encore qu’il ne parle que contre les pharisiens, et contre leurs traditions humaines. Car il dit aussitôt après : « Ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles. » Il est clair qu’il se serait exprimé autrement s’il eût voulu parler de la loi, et qu’il eût dit par exemple : « c’est un aveugle qui conduit des aveugles. » S’il ne parle pas ainsi, c’est qu’il voulait détourner de la loi et faire retomber sur les seuls pharisiens tout le poids de sa condamnation. Puis pour séparer d’eux le peuple qui les écoutait, il dit: « Si un aveugle conduit un autre aveugle, ils tomberont tous deux dans le précipice. » C’est déjà un grand mal que d’être aveugle; mais lorsque nous sommes en cet état, bien loin de prendre un guide, vouloir même être le conducteur des autres, c’est un double et un triple mal. Si un aveugle doit tout craindre lorsqu’il est sans guide, combien est-il plus en danger lorsqu’il veut être lui-même le guide et le conducteur des autres?

Que dit donc saint Pierre à Jésus-Christ? Il ne lui dit point : Seigneur, que venez-vous de dire, ou à quel dessein nous parlez-vous de la sorte? Il se contente de le prier d’éclaircir ce qui lui paraissait obscur. Il ne l’accuse point d’avoir rien dit qui pût blesser la loi; il craignait trop que Jésus-Christ ne remarquât qu’il s’était scandalisé. Mais pour montrer encore que ce n’était point son ignorance mais son scandale qui le faisait parler de la sorte, il ne faut que considérer que cette parole dont il demande l’éclaircissement n’avait rien d’obscur. C’est pourquoi Jésus-Christ lui fait ce (399) reproche ainsi qu’aux autres disciples: « Quoi! vous avez encore vous-mêmes si peu d’intelligence? » Peut-être que le peuple qui écoutait ces paroles n’y comprenait rien; et que les apôtres scandalisés en demandèrent l’éclaircissement comme de la part des scribes ; et qu’après avoir entendu ces grandes menaces: « Toute plante qui n’aura point été plantée par mon Père qui est dans le ciel, sera arrachée : Laissez-les, ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles; » ces paroles les étonnèrent, et qu’ils demeurèrent dans le silence. Mais saint Pierre toujours plein de feu ne put se taire en cette rencontre. Il s’approcha de Jésus-Christ et lui dit « Expliquez-nous cette parabole. » Et c’est alors que Jésus-Christ leur fit ce reproche: « Quoi! Vous avez encore vous-mêmes si peu d’intelligence? » Ce qu’il leur dit pour dissiper cette préoccupation qui les avait scandalisés. Il poursuit encore: « Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans la bouche descend dans le ventre, et est jeté au lieu secret (17)? Mais ce qui sort de la bouche part du coeur: et c’est ce qui rend l’homme impur (18). Car c’est du coeur que partent les mauvaises pensées, les meurtres; les adultères, les fornications, les larcins, les faux témoignages, les médisances (19). Ce sont là les choses qui rendent l’homme impur; mais un homme ne devient point impur pour manger sans avoir lavé ses mains (20). »

Remarquez, mes frères, avec quelle force Jésus-Christ leur parle. Il se sert pour les guérir d’une comparaison naturelle, lorsqu’il leur dit : « Descend dans le ventre et est jeté ensuite « dans le lieu secret. » Il se proportionné ainsi à leur faiblesse. Car il dit que la nourriture que l’on prend ne demeure pas, mais qu’elle est rejetée, quoique, quand même elle demeurerait dans l’homme, elle ne le rendrait pas impur. Mais ils n’étaient pas encore capables de supporter cette parole. Il semble que Jésus-Christ leur dise : Moïse ne dit rien des viandes pendant qu’elles demeurent dans le corps, mais quand elles en sortent; c’est alors qu’il commande qu’on lave ses habits sur le soir, et qu’on soit pur, marquant ainsi le temps que le corps se purge lui-même. Mais ce qui entre au contraire dans le coeur, y demeure, et rend l’homme aussi impur lorsqu’il en sort, que lorsqu’il y demeurait.

Jésus-Christ met en premier lieu les pensées mauvaises, » parce que les Juifs y étaient sujets; et sans les accuser encore des crimes effectifs qui passent dans l’action extérieure, il fait voir seulement qu’au lieu que les viandes impures sortent du corps, les pensées mauvaises demeurent au contraire dans le coeur. Ce qui n’entre qu’extérieurement en nous en est rejeté de même; mais ce qui naît au dedans de nous, nous souille lorsqu’il y demeure, et encore plus lorsqu’il en sort. Il leur parle de la sorte, parce qu’ils étaient incapables, comme je l’ai déjà dit, de comprendre cette haute vérité exprimée sans ménagement et dans toute sa pureté.

Saint Marc rapporte qu’il disait ceci pour montrer que toutes les viandes étaient pures. Cependant il ne dit point clairement qu’un homme ne devenait pas impur pour manger des viandes défendues. Cette parole eût été trop forte pour eux: C’est pourquoi il change son discours et dit: « Un homme ne devient point impur pour manger sans avoir lavé ses «mains.»

Apprenons donc, mes frères, quelles sont les choses qui rendent les hommes vraiment impurs: mais apprenons-les pour les détester. Nous voyons assez de personnes qui ont soin d’avoir des habits propres et de laver leurs mains, lorsqu’ils viennent à l’église, mais ils n’ont pas le même soin d’y offrir à Dieu une âme pure. Je ne dis point ceci pour blâmer ceux qui se lavent les mains ou la bouche, lorsqu’ils viennent dans nos églises ; mais pour les exhorter à se purifier comme Dieu nous le commande, non par l’eau, mais par les vertus et la sainteté de la vie. Les médisances, les calomnies, les blasphèmes, les paroles de colère, ou de raillerie, ou de dissolution, et celles qui sont déshonnêtes, sont comme des ordures qui souillent la bouche. Si votre conscience vous rend témoignage que vous n’êtes point tombé dans ces déréglements de langue, entrez avec confiance dans l’église. Mais si vous vous y êtes laissé aller, pourquoi travaillez-vous inutilement à laver votre bouche avec l’eau, lorsque vous négligez de la purger de tant d’ordures? Si vous aviez les mains pleines de boue, oseriez-vous les lever au ciel pour prier? Vous rougiriez de le faire en cet état, quoi. qu’il n’y eût en cela aucun mal : et vous ne craignez pas de prier, lorsque vos mains sont pleines de sang et de crimes ? Comment êtes-vous si scrupuleux dans des choses indifférentes (400); et si indifférents lorsque vous devriez être scrupuleux?

5. Vous me direz : Quoi! Ne faut-il donc point prier ? il faut prier, mais il ne le faut pas faire avec une âme impure. Mais si je me trouve surpris, dites-vous, et que je sente dans moi ces impuretés dont vous parler? Tâchez de vous en purifier. Comment le ferai-je? dites-vous. Gémissez, pleurez, donnez l’aumône; donnez satisfaction à ceux que vous avez offensés. Servez-vous de tous ces moyens pour rentrer en grâce avec Dieu, et pour ne l’aigrir pas davantage par des prières impures. Si quelqu’un venait se prosterner devant vous, et vous embrasser les pieds avec des mains pleines d’ordures, n’est-il pas vrai qu’au lieu d’écouter ses prières, vous le rejetteriez avec horreur? Pourquoi traitez-vous Dieu plus indignement que vous ne traiteriez un homme? La langue n’est-elle pas comme la main de ceux qui prient, et avec laquelle nous tâchons comme d’embrasser les genoux de Dieu? Ne la souillez donc point par l’impureté des vices, afin que Dieu ne vous dise pas ce qu’il dit aux Juifs par son prophète Isaïe : « Quand vous multiplieriez vos oraisons, je ne vous écouterai pas. (Isaïe, I, 15.) Car la vie et la mort sont dans la main de la langue (Prov. XVI, 21 ), selon le langage de l’Ecriture. «Et vous serez justifié ou condamné par vos paroles. » (Matth. XII, 39.) Conservez donc votre âme avec plus de soin que vous ne gardez la prunelle de vos yeux. Nos langues ressemblent à. ces excellents chevaux qu’on destine au service du prince. Si nous leur donnons un frein pour les dompter et pour les dresser, le prince les montera et y trouvera ses délices, mais si nous leur laissons suivre leur impétuosité naturelle, elles ne seront propres qu’au service des démons et du prince des ténèbres.

Vous n’osez venir ici prier Dieu après l’usage d’un légitime mariage, encore qu’en cela vous ne commettiez aucun péché; et vous avez la hardiesse d’élever vos mains au ciel après être tombés dans de noires médisances, et dans des calomnies qui vous font mériter l’enfer?

Comment ne tremblez-vous pas de crainte ? N’entendez-vous pas saint Paul qui vous dit « que, le lit est pur, et que le mariage est honorable? » (Hébr. XIII, 4) Que si vous n’osez néanmoins, en portant de ce lit pur et de cette bouche honorable, lever vos mains vers Dieu comment, en sortant du lit des démons, oserez-vous prononcer ce nom adorable qui est également saint et terrible? Car le démon se plaît dans les médisances et dans les outrages. C’est comme un lit délicieux où il trouve son repos. La fureur est comme un adultère qui vient corrompre la pureté de notre couche. Elle se mêle à notre âme, avec un plaisir secret. Elle la rend malheureusement féconde, et lui fait enfanter des haines et des inimitiés diaboliques. Elle fait le contraire du mariage. Le mariage ne fait de deux qu’une chair, et la colère divise ceux que l’amour unissait ensemble, et sépare même l’âme, et la divise d’avec elle-même.

Si vous voulez donc vous approcher de Dieu avec pureté et avec confiance ne souffrez pas que cette adultère , je veux dire que la colère approche de vous. Chassez-la comme un chien furieux. C’est ce que saint Paul nous commande : « Levez au ciel, » dit-il, « vos mains pures et saintes sans colère et sans dispute. » (I Tim. II, 7.)

Ne souffrez donc point que votre langue devienne impure. Comment pourrait-elle prier pour vous, si elle avait perdu la liberté que lui donnait son innocence ? Ornez-la plutôt par votre humilité, par votre douceur et par volte modestie. Rendez-la digne de parler au Dieu qu’elle invoque. Qu’elle se répande en bénédictions et en actions de grâces. Enfin, occupez-la aux actions de charité et de miséricorde. Car on peut, mes chers frères, pratiquer la charité par ses paroles: « Une parole, » dit le Sage, « vaut mieux qu’un don, et répondez aux pauvres des paroles de paix avec douceur. » (Eccli. IV, 7.) Que votre langue soit en tout temps armée des paroles sacrées de l’Ecriture, et que, selon le même Sage; « tous vos discours et tous vos entretiens soient dans la loi du Très-Haut. » (Eccli. IX, 25)

Quand nous nous serons ainsi ornés, approchons-nous de notre Roi. Prosternons-nous à ses pieds, non-seulement de corps, mais encore de l’âme. Souvenons-nous quel est Celui devant qui nous nous présentons; pour quel sujet nous y venons, et ce que nous prétendons. Nous nous approchons d’un Dieu devant qui les séraphins tremblent, que les chérubins n’osent regarder; devant qui ils sont contraints de voiler leur face, parce qu’ils ne peuvent supporter l’éclat de ce visage adorable. Nous nous approchons d’un Dieu qui habite (401) dans une lumière inaccessible, et nous nous en approchons pour le prier de nous délivrer de l’enfer, de nous pardonner nos péchés; d’éloigner de nous les tourments insupportables que nous avons mérités, de nous donner le ciel, et les biens dont jouissent les saints. Prosternons-rions donc devant lui de corps et d’esprit, afin qu’il nous relève lui-même. Invoquons sa miséricorde avec un coeur contrit et avec une humilité parfaite.

6. Vous me demandez peut-être qui est assez misérable pour n’être pas humble quand il prie? C’est celui qui prie, lorsqu’il a le coeur plein d’imprécations et de fureur, qui persécute ses ennemis, et qui crie contre eux pour en demander vengeance. Si vous voulez accuser quelqu’un dans vos prières, accusez-vous vous-même. Si vous voulez en priant armer votre langue contre les fautes de quelqu’un, que ce soit contre les vôtres. N’y représentez point à Dieu le mal que les hommes vous ont fait, mais celui que vous vous êtes fait à vous-même. Personne ne peut vous faire de tort si vous ne vous en faites pas vous-même le premier. Si vous demandez vengeance contre ceux qui vous offensent, demandez vengeance contre vous-même. Personne ne vous en empêche. Quand vous attaquez un autre homme pour vous en venger, le mal que vous lui faites vous blesse encore plus que vous ne l’étiez auparavant.

Mais quelles sont ces offenses dont vous souhaitez d’être vengé? Est-ce qu’un autre vous a fait un affront, une injustice? est-ce qu’il vous a exposé à quelque péril? Appelez-vous cela souffrir une offense? si nous étions chrétiens, nous regarderions cela comme une grâce. Ce n’est pas celui qui souffre une injure que je trouve à plaindre, c’est celui même qui la fait. La source de nos maux, mes frères, c’est que nous ne comprenons pas encore quel est véritablement celui qui fait ou qui souffre une injustice. Si nous étions en ce point bien persuadés. de la vérité, nous ne nous ferions pas si souvent tort à nous-mêmes, et nous n’invoquerions pas Dieu contre nos frères; parce que nous serions très-assurés que tous les hommes ensemble ne peuvent nous faire aucun tort.

C’est le voleur qui est. à plaindre, et non celui qu’il a volé. Si vous avez donc volé les autres, accusez-vous-en devant Dieu; mais si un autre vous a volé, priez non contre lui, mais pour lui; parce que dans la vérité, il vous a fait un grand bien en se faisant un grand mal. Quoiqu’il n’ait pas eu cette pensée en vous dérobant, il n’est pas douteux néanmoins qu’il vous a beaucoup obligé malgré 1ui-même, si vous souffrez chrétiennement cette, injustice. Toutes les lois humaines .et divines s’arment contre cet usurpateur injuste; et elles vous promettent au contraire, si vous souffrez cet outrage, un véritable, bonheur et une éclatante couronne.

Dirait-on qu’un malade qui dans une fièvre violente aurait pris à un autre un vase plein d’eau fraîche pour satisfaire la soif qui le brûle aurait fait grand tort à celui auquel il a fait ce larcin? Ne dirait-on pas plutôt qu’il se serait perdu lui-même, puisqu’il a augmenté sa fièvre, et qu’il a rendu sa maladie plus dangereuse? Jugez, de même d’un avare lorsqu’il fait une injustice. Il est brûlé d’une fièvre sans comparaison plus grande que n’est celle des malades, et les rapines qu’il fait ne servent qu’à allumer encore davantage le feu qui le consume. Si un homme transporté de fureur arrachait l’épée d’un autre, pour s’en percer, lequel des deux aurait souffert la violence, celui dont on prend l’épée, ou l’autre qui l’arrache pour s’en percer,? N’est-il pas visible que c’est ce dernier?

Disons la même chose de celui qui vole le bien d’un autre. L’argent est à l’avare ce que l’épée est au furieux. On peut dire même que c’est quelque chose encore de plus dangereux. Quand un furieux s’est une fois percé le corps de cette, épée qu’il a prise, il cesse, d’être furieux en cessant de vivre, et il ne peut plusse faire de nouvelles plaies; mais l’avare se fait chaque jour cent blessures plus dangereuses que ne sont celles de ce furieux, sans qu’il soit pour cela délivré de sa fureur. Elle en devient au contraire plus ardente qu’auparavant. Ses dernières blessures donnent toujours lieu à de nouvelles, et plus il est percé de coups, plus il se met en état de l’être encore davantage.

Pensons souvent à ceci, mes frères. Fuyons l’avarice. Détournons de nous cette épée funeste. Evitons cette mortelle fureur. Devenons enfin sages quoique trop. tard. Celui qui n’est point avare ne mérite pas moins le nom de sage que ceux qui se possèdent eux-mêmes, et qui ne courent point aux épées pour s’ôter la vie. Le furieux n’a qu’une passion à combattre, mais l’avare en a une infinité à vaincre. (402) Il n’y a rien de plus insensé que celui qui est esclave des richesses. Il croit avoir l’avantage quand il est vaincu. Il croit être le maître quand il est l’esclave. Plus les chaînes dont il le charge sont pesantes, plus il se réjouit. Plus les bêtes qui le dévorent sont furieuses, plus il en a de plaisir. Quand il est captif il en tressaille de joie. Lorsqu’il voit sa passion aboyer comme un chien furieux, au lieu de lier cette bête ou de la faire mourir de faim, il la nourrit au contraire et l’engraisse, afin qu’en devenant plus forte, elle devienne en même temps plus terrible.

Pensons donc à ces vérités, mes frères. Délivrons-nous enfin de nos chaînes. Tuons cette bête furieuse. Guérissons cette maladie mortelle. Chassons loin de nous cette manie, afin qu’en jouissant ici d’un heureux calme nous nous avancions avec un plaisir ineffable vers ce bienheureux port que nous désirons; et que nous y trouvions toutes les richesses du ciel, que je vous souhaite, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. 

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