Matthieu 5, 21 - 58

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HOMÉLIE XVII

« VOUS SAVEZ QU’IL A ÉTÉ DIT AUX ANCIENS: VOUS NE COMMETTREZ POINT D’ADULTÈRE .- MAIS MOI JE VOUS DIS QUEQUICONQUE REGARDERA UNE FEMME, AVEC UN MAUVAIS DÉSIR POUR ELLE, A DEJA COMMIS L’ADULTÈRE DANS SON COEUR. » (CHAP. V, 27 JUSQU’AU VERSET 38 )

ANALYSE

1. et 2. Des regards impudiques.

3. Contre le luxe des femmes et les femmes et les spectacles.

4. Pourquoi l’ancienne loi permettait l’acte de répudiation.

5. Sur les jurements.

6. Pourquoi la Loi nouvelle les défend? - Les mêmes choses permises ou défendues selon les temps.- La Loi nouvelle plus exigeante que l’ancienne.-

7. Moyen de se défaire d’une mauvaise habitude. — Saint Chrysostome repousse les applaudissements.


 

1. Après que Jésus-Christ a pleinement éclairci ce premier commandement, et qu’il l’a porté jusqu’à sa plus haute perfection, il suit l’ordre marqué dans la loi, et il parle ensuite du second. Mais vous me direz peut-être que ce n’est pas ici le second commandement mais le troisième, puisque le premier n’est pas : « Vous ne tuerez point; » mais celui-ci: « Ecoutez Israël, le Seigneur votre Dieu est le « seul Seigneur. » (Exod. XX, 43.) Il faut donc voir pourquoi il ne commence pas par celui-là. Il ne l’a pas fait parce qu’il aurait été obligé d’étendre ce commandement jusqu’à sa propre personne, et de se faire connaître aux hommes en leur révélant des choses dont le temps n’était pas encore venu. Il se contentait alors de former les moeurs, voulant persuader aux hommes, d’abord par la sainteté de sa vie et par ses miracles, qu’il était le Fils de Dieu.

Si donc avant d’avoir jamais rien enseigné ou rien fait, il fût venu d’abord dire aux hommes : Vous savez qu’il a été dit aux anciens: Je suis le Seigneur votre Dieu, et il n’yen a point d’autre que moi: mais moi je vous dis, que vous m’adoriez de même que mon Père; il n’est pas douteux qu’ils l’eussent traité comme un extravagant et un insensé. Car si après leur avoir enseigné une doctrine si pure, et avoir fait tant de miracles, ils ne laissaient pas de dire qu’il était possédé du démon, lorsqu’il ne déclarait pas même ouvertement ce qu’il était; .à quoi ne se fussent-ils point portés, s’il leur eût parlé de la sorte, avant que de leur avoir donné des preuves de ce qu’il était ? Mais en réservant cette vérité pour un temps plus opportun, il disposait peu à peu les hommes à la recevoir. C’est pourquoi il la passe ici sous silence, en y préparant le monde par ses prodiges, et par la pureté de sa doctrine. Il l’a dite clairement dans la suite, mais il se contente ici de la découvrir peu à peu par une longue suite de merveilles, et par la manière dont il instruisait les hommes.

L’autorité même avec laquelle il établissait de nouvelles lois, et réformait les anciennes, était capable de faire juger à un esprit réfléchi que celui qui parlait de la sorte, n’était autre que Dieu. « Ils étaient surpris, » dit l’Evangile, « parce qu’il ne les enseignait pas comme les docteurs de la loi. » (Matth. VII, 29.) En effet commençant par les vices les plus naturels à l’homme, savoir la colère et l’impureté, les deux passions qui le tyrannisent le plus, et qui sont la source de toutes les autres, il les combat avec l’autorité, d’un législateur, et il leur oppose la vertu la plus pure et la plus parfaite. Il ne dit pas qu’on punira seulement les adultères qui auront effectivement commis ce crime. Mais de même qu’il a condamné jusqu’à la pensée de l’homicide, de même ici il punit jusqu’à un regard impudique, afin de nous apprendre en quoi consiste cette surabondance de justice qu’il demande de nous et que n’avait pas la vertu des pharisiens.

« Celui, dit-il, qui aura regardé une femme avec un mauvais désir pour elle, a déjà commis l’adultère dans son coeur: » c’est-à-dire celui qui se plaît à regarder des personnes agréables, qui recherche même avec curiosité et avec passion la vue d’un gracieux visage, et qui en repaît ses yeux et son coeur. Car Jésus-Christ n’est pas venu seulement pour empêcher qu’on ne déshonore son corps par des actions criminelles, mais encore pour établir la pureté de l’âme, en lui interdisant les mauvais désirs. Comme c’est dans le coeur que nous recevons la grâce du Saint-Esprit, c’est le coeur aussi qu’il purifie le premier.

Mais comment est-il possible, me direz-vous, d’être délivré de ces désirs? II nous sera facile, si nous le voulons, de les réprimer de telle façon, que s’ils commencent à s’élever, ils demeurent néanmoins sans aucun effet. D’ailleurs Jésus-Christ ne parle pas ici généralement de toute sorte de désirs; mais de ceux qui s’excitent par les yeux et par les regards. Car celui qui se plaît à regarder de beaux visages, allume en lui-même une flamme impure, met son âme sous le joug de la passion, et ne tarde pas à commettre le crime même. C’est pour ce sujet que Jésus-Christ ne dit pas : Celui qui aura désiré de commettre un adultère, mais « celui qui aura regardé une femme avec un mauvais désir. » Il ne dit pas même ici ce mot, « sans sujet, » qu’il met expressément en parlant de colère, non, il condamne sans exception toute convoitise. Et cependant ces deux passions, la colère et la concupiscence, sont toutes les deux inhérentes à notre nature, et l’on peut se servir utilement de l’une et de l’autre, de la première, en l’employant à réprimer les méchants, et à corriger les gens déréglés; et de l’autre en en usant seulement pour la génération des enfants, et pour conserver la succession des hommes.

2. D’où vient donc que Jésus-Christ ne met point ici d’exception ? Je vous réponds que si vous considérez bien ses paroles, vous y en trouverez une grande. Car il ne dit pas, Celui qui aura eu un mauvais désir, ce qui peut arriver aux solitaires dans les déserts les plus retirés, mais: « Celui qui aura regardé une femme avec un mauvais désir pour elle; »comme s’il disait: Celui qui aura excité ce mauvais désir en lui-même et qui aura volontairement déchaîné sur son âme cette espèce de bête féroce. Car cela n’est plus l’effet de la nature, mais de votre négligence et de votre (141) paresse. L’ancienne loi même nous faisait déjà la même défense : « Ne vous arrêtez point,»  dit-elle, «à considérer une beauté étrangère. » (Prov. VI, 25.) Et afin que personne ne pût dire : mais si je la regarde sans qu’il en résulte aucun mal? l’Ecriture défend généralement tous ces regards, de peur qu’en s’assurant trop de soi-même, on ne tombe dans le péché.

Mais si je la regarde, dites-vous, et que j’aie même un mauvais désir, quel mal fais-je pourvu que je n’aille pas plus loin? Cela seul vous range parmi les adultères. Jésus-Christ déclare qu’il vous met de ce nombre. Il est le législateur, il a fait la loi, il ne faut point disputer davantage. Vous pourrez peut-être voir une ou deux ou trois fois une femme sans en ressentir de mauvais effets. Mais si vous vous abandonnez souvent à ces regards, vous allumerez un feu dans votre coeur, dont vous serez enfin consumé. Car vous n’êtes pas d’une autre nature que les autres hommes.

Comme donc lorsque nous voyons un enfant prendre un couteau, quoiqu’il ne s’en soit pas blessé, nous ne laissons pas de le châtier et de lui défendre d’y toucher à l’avenir; Dieu de même nous défend les mauvais regards avant même que nous péchions, afin que nous ne péchions pas. Car celui qui allume dans son coeur cette passion honteuse, lors même que les objets sont absents, se trouve environné de fantômes et d’images détestables, qui le font enfin tomber dans le crime. C’est pour cette raison que Jésus-Christ condamne même Lette sorte d’adultère, qui ne se passe que dans le coeur.

Que répondront à ceci ceux qui ont avec eux des jeunes filles demeurant sous le même toit, puisque par cette loi de Jésus-Christ, ils peuvent devenir coupables d’une infinité d’adultères, en les regardant tous les jours avec de mauvais désirs? Aussi le bienheureux Job s’était d’abord imposé cette loi lui-même, en s’interdisant absolument cette sorte de regards. Car le combat devient plus grand après avoir vu ce que l’on aime, et cette vue ne nous cause pas tant de satisfaction, que la nouvelle violence de notre passion ne nous fait ressentir de douleur. Nous rendons ainsi le démon bien plus puissant contre nous et nous ouvrons la porte à cet ennemi, sans qu’il soit plus en notre pouvoir de le chasser de chez nous, après l’avoir introduit dans le fond de notre coeur et dans le plus secret de nos pensées. C’est pourquoi Jésus-Christ nous dit : Ne soyez point adultère des yeux et vous ne le serez point du coeur.

Il est certain qu’on peut regarder une femme innocemment et comme les personnes chastes la regardent. C’est pourquoi Jésus-Christ ne condamne pas en général toutes sortes de regards, mais seulement ceux qui sont accompagnés d’un mauvais désir. S’il n’eût voulu faire cette distinction, il eût dit simplement: « Celui qui regarde une femme, » mais il ne parle pas ainsi, et il dit : « Celui qui regarde une femme avec un mauvais désir; » c’est-à-dire, celui qui la regarde afin de contenter ses yeux. Dieu ne vous a pas donné des yeux pour que vous introduisiez par là l’adultère dans votre âme, mais afin que, contemplant ses créatures, vous en admiriez le Créateur. Comme donc on se met en colère « sans sujet , » on regarde aussi « sans sujet, » lorsqu’on le fait avec un mauvais désir.

Si vous voulez prendre plaisir à voir une femme, regardez la vôtre et aimez-la toujours. Il n’y a point de loi qui vous le défende. Que si vous en regardez curieusement une autre, vous faites tort à celle que Dieu vous a donnée, en détournant vos yeux d’elle pour en regarder une autre, et vous faites encore une injure à celle que vous regardez. Car quoique vous ne la touchiez pas de la main, on peut dire néanmoins que vous la touchez des yeux et du désir. Dieu regarde cela comme un véritable adultère, et avant que de le punir par les peines de l’enfer, il le punit ici par avance par des supplices rigoureux. Car l’esprit est rempli aussitôt de nuages et de troubles. Il entre dans l’agitation et l’inquiétude, et il est percé des pointes de la douleur. Un homme en cet état est aussi misérable que les captifs qui gémissent sous leurs chaînes. Cette femme qui vous a blessé d’un de ses regards, s’est retirée de vous, mais la plaie qu’elle vous a faite demeure toujours; ou plutôt ce n’est pas celle femme qui vous a fait cette plaie, c’est vous-même qui vous êtes blessé en la regardant d’une manière déshonnête.

Je dis ceci afin qu’on n’accuse point celles d’entre les femmes qui sont sages et modestes, Que si quelqu’une prend plaisir à se parer et à se rendre agréable et qu’elle attire ainsi sur elle les regards de tous les hommes, quoique peut-être elle ne fasse aucun mal à ceux qui la (142) voient, elle ne laissera pas d’être punie d’un supplice extrême. Car elle a mêlé le poison, elle l’a préparé, elle n’avait plus qu’à le présenter à boire, ou plutôt elle l’a même présenté; mais il ne s’est trouvé personne pour boire ce breuvage de mort.

3. Quoi donc! direz-vous, Jésus-Christ parle-t-il aussi aux femmes en cet endroit? Les lois qu’il établit ici sont communes aux hommes et aux femmes, quoiqu’il adresse son discours particulièrement aux hommes. Quand il parle au chef, il parle à tout le corps. Il sait que l’homme et la femme ne sont qu’un, et il ne les divise point. Que si vous voulez entendre un avis particulier pour les femmes, voyez ce que dit Isaïe, qui jette tant de ridicule sur leur vanité dans leurs habits, dans leurs regards, dans leur marcher, dans leurs robes traînantes, dans leurs démarches affectées, et dans tout le port de leur corps. Ecoutez après Isaïe saint Paul, qui leur donne beaucoup d’avis touchant leurs habits, leurs ornements d’or, leurs cheveux frisés, leur luxe, et autres choses semblables qu’il leur défend très sévèrement. Et Jésus-Christ exprime la même pensée, quoique obscurément. Car en disant : Arrachez et coupez ce qui vous scandalise, il montre avec quelle colère on doit traiter ces sortes de personnes. C’est pourquoi il ajoute :

« Que si votre oeil droit vous est tin sujet de scandale, arrachez-le, et jetez-le loin de vous (29).» Et ne dites pas : mais quoi! si c’est ma parente, si c’est mon alliée ? L’objection est prévenue par ces paroles, ce sont ces personnes-là précisément que Jésus-Christ nous ordonne de retrancher et non pas les membres mêmes de notre corps. Dieu nous garde de cette pensée! il n’accuse point notre chair, mais il condamne la corruption de la volonté. Ce n’est point l’oeil qui regarde, mais l’esprit et la pensée. Il arrive, tous les jours que lorsque notre esprit est appliqué ailleurs, notre oeil ne voit pas ceux qui sont présents parce que l’action dépend de l’esprit. Si Jésus~Christ eût parlé de nos membres, il ne nous eût pas commandé d’arracher seulement un oeil, et il n’eût pas marqué particulièrement le droit, mais il y aurait joint le gauche. Car celui qui est scandalisé par le droit, l’est sans doute aussi par le gauche.

Pourquoi donc marque-t-il précisément l’oeil droit, et ensuite la main droite, sinon pour nous apprendre qu’il ne parle point des membres de notre corps, mais des personnes qui nous sont le plus unies? Quand vous aimeriez, dit-il, quelqu’un, de telle sorte que vous le regarderiez comme votre oeil droit, ou que vous vous le croiriez aussi utile que votre main droite, néanmoins s’il nuit à votre âme, retranchez-le hardiment de vous. Et remarquez la force de ces paroles. Il ne dit pas : Retirez-vous de lui;mais pour marquer une plus grande séparation : « Arrachez-le, » dit-il, « et le jetez loin de vous. » Mais après un commandement si rude, il en fait voir l’avantage, et par les biens que nous en recevons, et par le mal que nous évitons; et, demeurant toujours dans la même comparaison, il ajoute:

« Car il vaut bien mieux pour vous qu’une partie de votre corps périsse, que si tout votre corps était jeté dans l’enfer (29). Et si votre main droite vous est un sujet de scandale, coupez-la et jetez-la loin de vous. Car il vaut bien mieux pour vous e qu’une partie de votre corps périsse, que si tout votre corps était dans l’enfer (30).» Car puisque cette personne ne se sauve pas elle-même, et qu’elle vous perd avec elle, quelle amitié serait-ce de tomber tous deux dans le précipice, lorsqu’en se séparant, l’un des deux au moins pourrait se sauver? Pourquoi donc saint Paul, dites-vous, souhaitait-il d’être anathème? Ce n’était pas pour se perdre inutilement, mais pour acheter par sa perte le salut des autres. Mais ici tous deux se perdent sans ressource. C’est pourquoi Jésus-Christ ne dit pas seulement: « Arrachez-le, » mais « jetez-le loin de vous; » afin que vous ne le repreniez plus s’il continue à vous être dangereux. Car vous empêcherez ainsi qu’il ne soit puni davantage, et vous vous sauverez vous-même.

Mais pour voir plus clairement l’avantage de ce précepte, examinons-le en le comparant avec ce qui se passe dans notre corps. Si on nous donnait le choix, et qu’il fallût nécessairement ou, en conservant nos deux yeux, tomber dans le précipice, ou en perdre un pour conserver tout le corps, n’est-il pas clair que nous choisirions le dernier parti , et que ce ne serait pas alors haïr son oeil que de le perdre, mais aimer le reste du corps? Appliquons ceci aux personnes qui nous sont chères. Si quelqu’un vous nuit par l’affection qu’il a pour vous, sans que vous puissiez y remédier, en (143) le retranchant de vous, premièrement vous empêcherez qu’il ne vous perde, ensuite vous le sauverez d’une condamnation plus terrible en faisant en sorte qu’il n’ait pas à rendre compte et de ses propres péchés et de votre perte. Il est donc visible que cette loi est très douce et très charitable, quoiqu’elle semble si sévère à tant de personnes.

Que ceux qui sont si ardents pour le théâtre et dont les yeux se remplissent d’adultères presque tous les jours, écoutent ce que nous disons. Si Jésus-Christ nous commande de retrancher de nous nos plus intimes amis, lorsqu’ils nous sont un sujet de scandale, qui pourra excuser ceux qui sans connaître d’ailleurs des personnes, et seulement parce qu’ils les voient tous les jours au théâtre, s’engagent dans dès connaissances qui leur font naître mille occasions de se perdre? Jésus-Christ ne se contente pas de défendre les regards accompagnés de mauvais désirs, mais, après avoir montré le mal qu’ils peuvent faire, il va plus loin, et il ordonne de s’arracher l’oeil et la main, et de les jeter loin de nous. Et cependant celui qui fait cette loi qui paraît si dure, est celui-là même qui nous commande tant la charité fraternelle, ce qui nous fait voir combien il veille pour notre salut, et comme il a soin d’écarter de nous ce qui nous peut nuire.

4. « Il a été dit encore: Quiconque veut quitter sa femme, qu’il lui donne un écrit par lequel il déclare qu’il la répudie (31). Mais « moi je vous dis que quiconque quitte sa femme, si ce n’est en cas de fornication, la fait devenir adultère, et que quiconque épouse celle que son mari aura quittée, commet un adultère (32) .» Jésus-Christ ne passe à ces ordonnances plus hautes qu’après avoir purifié tout ce qu’il y avait de plus grossier. Car il nous apprend encore ici une autre espèce d’adultère. Il y avait une loi qui permettait à un homme qui avait conçu de l’aversion pour sa femme pour quelque sujet que ce fût, de la quitter et d’en prendre une autre, pourvu qu’on lui donnât un écrit par lequel il déclarait qu’il la répudiait, afin qu’il ne fût plus permis à cette femme de le reprendre pour mari, et qu’au moins cette ombre de mariage subsistât. Car si le législateur n’eût apporté cette restriction, et qu’il eût simplement permis à un homme de répudier sa femme pour en prendre une autre, et de reprendre ensuite la première, ç’aurait été une confusion effroyable : les hommes auraient pris ainsi les femmes les uns des autres, ce qui aurait été une suite continuelle d’adultères.

C’est pourquoi cet écrit de répudiation était une admirable invention de la sagesse de Dieu; car cette loi s’opposait encore à un autre mal bien plus grand. Si Dieu eût contraint les Juifs de retenir leur femme chez eux, lors même qu’ils la haïssaient, ils eussent pu se porter quelquefois jusqu’à la tuer. Telle était l’humeur brutale de cette nation. S’ils ne pardonnaient pas à leurs enfants, s’ils tuaient les prophètes, s’ils répandaient le sang comme l’eau, combien auraient-ils moins épargné leurs femmes? C’est pourquoi Dieu souffrait un moindre mal, afin d’en empêcher un plus grand. Car Jésus-Christ fait assez voir que ce n’était pas là l’intention principale de Dieu, lorsqu’il dit : « Moïse vous a permis cela à cause de la dureté de votre coeur (Matth. XIX, 8), » pour vous empêcher de tuer vos femmes dans vos maisons, en vous permettant de les chasser. Mais comme il avait déjà condamné la colère et défendu non-seulement l’homicide, mais encore le moindre mouvement de haine, il lui était plus aisé d’établir cette loi touchant les femmes. Il apporte toujours les paroles de l’ancienne loi pour faire voir comme elle s’accorde avec la nouvelle. Car sa doctrine n’est pas une destruction, mais une extension de la loi de Moïse, et, bien loin de la violer, il l’accomplit et la perfectionne.

Remarquez aussi qu’il s’adresse toujours aux hommes : « Celui qui quitte sa femme la fait devenir adultère, et quiconque épouse celle que son mari a quittée, commet un adultère. » Lors même que le premier de ces deux n’épouse point une autre femme, il se rend coupable par cela seul qu’il rend sa femme adultère. Et le second, en prenant la femme d’un autre, commet encore un adultère. Et ne me dites point que cet homme a chassé sa femme. Quoiqu’il l’ait chassée, elle ne cesse pas d’être sa femme. Et de peur qu’en rejetant tout sur le mari, il ne rende la femme trop insolente, il lui ferme aussi à elle la porte d’un second mariage, en disant: « Quiconque épouse celle que son mari a quittée, commet un adultère. » Ainsi il rend en quelque sorte la femme sage malgré elle, en empêchant tout autre de l’épouser, en ne (144) souffrant pas qu’elle cherche les occasions d’irriter son mari contre elle. Car se voyant dans la nécessité, ou d’être toujours avec le mari qu’elle a pris d’abord, ou, si elle est une fois répudiée, de demeurer toute sa vie sans secours et sans assistance, elle se sent comme forcée d’aimer son mari.

Il ne faut pas s’étonner que Jésus-Christ ne parle point en particulier à la femme. Ce sexe est trop faible, et Jésus se contente, en effrayant les hommes, de retenir en même temps les femmes dans leur devoir. Il imite un père qui, ayant un fils débauché, lui épargnerait la honte d’une réprimande, et se contenterait de menacer ceux qui l’auraient jeté dans la débauche, leur commandant de ne le plus voir, et de ne se trouver jamais avec lui.

Si cela vous paraît onéreux, souvenez-vous de ce que le Seigneur a dit d’abord dans les huit béatitudes, et vous le trouverez aisé. Comment, en effet, un homme doux et ami de la paix, comment celui qui est pauvre d’esprit et charitable, répudiera-t-il sa femme? comment celui qui réconcilie les autres serait-il lui-même en guerre avec sa femme? Mais Jésus rend encore cette loi douce et facile d’une autre manière, puisqu’il laisse à l’homme une occasion légitime de répudier sa femme si ce n’est, » dit-il, « en cas de fornication. »Sans cela tout aurait été dans le trouble. Car si Jésus-Christ avait commandé de retenir sa femme après qu’elle se serait abandonnée à un autre, le monde aurait été plein d’adultères.

Vous voyez donc la liaison que ce commandement a avec les autres. Celui qui ne voit point d’un oeil impudique la femme de son prochain, ne commettra pas d’adultère avec elle; et ainsi on ne donnera occasion à personne de répudier sa femme. C’est pourquoi il ne craint point, après cela, d’intimider si fort le mari, en le menaçant d’un grand péril s’il répudie sa femme, et en le rendant coupable de l’adultère où il l’expose. Car de peur qu’on n’entendît de la femme cette parole : « Arrachez votre oeil, » il prévient cette interprétation abusive, lorsqu’il déclare qu’il n’y a qu’un sujet légitime où l’on puisse la répudier.

« Vous avez encore appris qu’il a été dit aux anciens: Vous ne vous parjurerez point; mais « vous vous acquitterez envers le Seigneur des serments que vous lui aurez faits (33). Et moi je vous dis de ne point jurer du tout (34). » Pourquoi Jésus-Christ passe-t-il le commandement qui défend le larcin, pour venir à celui qui regarde le parjure et le faux témoignage? C’est parce que quelquefois celui qui craindrait de dérober ne craindrait pas de se parjurer, et qu’au contraire celui qui craindra le mensonge et le parjure, ne se laissera jamais aller au larcin. Ainsi en détruisant le parjure il détruit le vol, puisque c’est du vol que naît le parjure.

5. Mais que veulent dire ces paroles: «Vous rendrez au Seigneur les serments que vous lui aurez faits? » (Ps. XL1X, 14.) C’est-à-dire, lorsque vous jurerez, vous direz la vérité « Et moi, » dit-il, «je vous défends de jurer absolument. » Et voulant les éloigner davantage de jurer par le nom de Dieu, il dit: « Ne jurez point, ni par le ciel, parce que c’est le trône de Dieu (34); ni par la terre, parce que c’est son marche-pied; ni par  Jérusalem, parce que c’est la ville du grand Roi (35). » Il se sert encore du langage des prophètes, et montre qu’il n’est point contraire aux anciens, qui avaient coutume de jurer par ces choses, comme il le dit à la fin de cet évangile. Mais remarquez comment il relève les éléments, non par leur nature particulière, mais par le rapport qu’ils ont à Dieu; remarquez aussi la condescendance de son langage. Les hommes alors étaient étrangement portés à l’idolâtrie. C’est donc pour les détourner de croire les éléments vénérables par eux-mêmes, qu’il se sert du motif que nous venons de voir, et qu’il met en jeu la majesté de Dieu. Il ne dit pas que le ciel est beau, et d’une grande étendue, ou que la terre est féconde et très-utile aux hommes; mais il dit de l’un qu’il est le trône de Dieu, et de l’autre, qu’elle est son marchepied, afin de porter les hommes par toutes sortes de considérations à craindre et à révérer le Créateur.

« Et ne jurez pas même par votre tête, parce que vous ne pouvez rendre un seul de vos cheveux blanc ou noir. » Lorsque Jésus-Christ défend à l’homme de jurer par sa tête, ce n’est pas qu’il considère l’homme comme quelque chose de bien grand, puisque l’homme n’a été créé que pour être soumis à Dieu, et pour l’adorer. Mais il veut en ceci rendre gloire à Dieu, et montrer que l’homme n’est pas le maître de lui-même, ni des serments qu’il ferait en jurant par sa tête. Que si (145) un père ne donne point son fils à un autre homme, Dieu donnera bien moins à un autre l’ouvrage de ses propres mains. Car encore que votre tête soit à vous, elle est néanmoins l’ouvrage d’un autre. Vous êtes si éloigné d’en être le seigneur et le maître, qu’il vous est impossible d’y faire le moindre changement. Il ne dit pas : Vous ne pouvez agrandir un de vos cheveux, mais: vous n’en pouvez changer la couleur.

Vous me direz peut-être: Si quelqu’un me contraint de jurer, et m’impose cette nécessité, que dois-je faire? Je vous réponds que. la crainte de Dieu doit être plus forte sur votre esprit, que cette nécessité qu’on. vous impose. Que si vous allez chercher des raisons de ce genre, et de semblables prétextes, vous n’obéirez à aucun des commandements de Dieu. Car lorsqu’on vous défend de répudier votre femme, ne pourrez-vous pas dire de même: mais si elle est de mauvaise humeur, si elle fait trop de dépense? Lorsqu’on vous commande d’arracher votre oeil droit, ne pourrez-vous pas dire : Mais si je l’aime de tout mon coeur? Lorsqu’on ne vous permet pas de jeter un seul regard déshonnête, ne direz-vous pas encore : Mais puis-je m’empêcher de voir? Lorsqu’on vous ordonne de ne vous point mettre en colère contre votre frère, ne pourrez-vous pas dire aussi : Mais si je suis prompt, et que je ne puisse retenir ma langue? Ainsi vous pourriez éluder tous les commandements que Dieu vous fait.

Considérez que vous n’oseriez alléguer de semblables excuses, lorsqu’il s’agit de garder les lois humaines. Vous n’oseriez dire: Mais si telle ou telle chose arrive, suis-je obligé de garder la loi? Et il faut de gré ou de force que vous vous y soumettiez. Si vous voulez être fidèle à la loi de Jésus-Christ, vous ne vous trouverez pas exposé à cette nécessité de jurer. Car celui qui aura écouté avec foi ces béatitudes, et qui se sera mis dans l’état où Jésus-Christ le demande, sera tellement cru de tout le monde, qu’il ne trouvera personne qui le contraigne à jurer.

« Mais contentez-vous de dire: Cela est, ou cela n’est pas. Ce qui est de plus vient du mauvais (37). » Ce qui est de plus que le oui ou le non, c’est le jurement, et non le parjure, puisque ce dernier étant visiblement mauvais, nous n’avons pas besoin que personne nous en avertisse, et Jésus-Christ ne dirait pas: «  ce qui est de plus, » en parlant d’une chose évidemment mauvaise. Car ce qui est « de plus,» c’est le superflu, le surajouté, ce qui dépasse le nécessaire, tel qu’est le jurement.

Vous nie direz peut-être: Si le serment vient d’une mauvaise cause, pourquoi Dieu le commande-t-il par la loi ?Vous pourrez demander la même chose touchant le divorce : Pourquoi ce qui est un adultère maintenant, était-il permis autrefois? Que pouvons-nous répondre à cela, sinon que la faiblesse de ce peuple obligeait Dieu. à user de condescendance dans les lois qu’il lui donnait? N’était-il pas de même indigne de Dieu d’être honoré par la fumée des holocaustes? Mais il se proportionnait à ce peuple, comme un homme sage prend avec un enfant le langage des enfants. Mais depuis que Dieu nous a instruits des véritables vertus, le divorce passe pour un adultère, et le jurement est défendu comme venant d’un mauvais principe.

Si ces premières lois avaient eu le démon pour auteur, elles n’auraient pas produit tant de bons effets. Si la loi ancienne n’avait précédé la nouvelle, celle-ci n’aurait pas été si facilement reçue. N’accusez donc point d’être sans vertu une loi, dont l’usage n’est plus de saison. Elle a servi, en son temps, et nous pouvons dire qu’elle sert encore aujourd’hui. Rien ne montre mieux son utilité que le reproche même qu’on lui fait de n’en avoir pas. C’est sa gloire qu’on en juge de la sorte. Car si elle ne nous avait nourris d’abord d’une manière proportionnée à notre faiblesse, et si elle ne nous avait ainsi rendu capables de quelque chose de plus grand, nous n’aurions pu jamais en porter un semblable jugement.

6. Ainsi la mamelle d’une nourrice paraît inutile lorsqu’elle a nourri l’enfant, et qu’elle l’a rendu capable, d’une nourriture plus solide. On ne la considère plus alors; et le père qui la regardait auparavant comme étant si nécessaire à son fils, s’en moque ensuite. Plusieurs même y mettent quelque chose d’amer, afin que n’en pouvant retirer l’enfant par des paroles, ils arrêtent par cette amertume l’inclination violente qui sans cesse l’y ramène. Ainsi Jésus-Christ dit que le jurement venait d’un mauvais principe, non pour marquer que la loi ancienne vînt du démon, mais pour porter les hommes avec plus de force à se séparer de ses observances désormais trop imparfaites. C’est ainsi qu’il agit avec ses disciples (146). Mais pour ce qui est des Juifs, qui sont demeurés toujours inflexibles et opiniâtres dans leur aveuglement, il a voulu leur rendre leur ville inaccessible, comme on empêche les enfants d’approcher de la mamelle de leurs nourrices; et comme on y met quelque chose d’amer pour les en éloigner, il a voulu aussi les éloigner de Jérusalem par la crainte d’un siége, et par l’appréhension de perdre leur liberté. Et parce que cela ne suffisait pas pour les écarter, et qu’ils désiraient toujours de revoir leur ville, comme un enfant qui veut reprendre la mamelle de sa nourrice, Dieu se vit enfin réduit à la cacher entièrement, à la détruire tout à fait, et à disperser la plupart d’entre eux dans des pays éloignés, les traitant comme ces animaux qu’on enferme et qu’en sépare de leurs mères lorsqu’on veut les en sevrer, afin que la longueur du temps leur apprenne à se désaccoutumer enfin de cette nourriture, et comme du lait de la loi, pour passer à une autre plus solide.

Si l’ancienne loi avait eu le démon pour auteur, elle n’aurait jamais défendu l’idolâtrie, et elle en eût fait un commandement exprès, puisque le démon n’aime rien tant que cette impiété sacrilège. Cependant nous voyons tout le contraire, et c’est- pour cela même qu’elle permettait de jurer, et afin que les hommes ne jurassent point par les idoles « Jurez, »leur dit-elle, « par le véritable Dieu. » Il est donc vrai que la loi ancienne a été très utile, puisqu’elle a élevé les hommes pendant leur enfance, et qu’elle les a rendus capables d’une nourriture plus solide.

Mais quoi! me direz-vous, est-ce un mal que de jurer? Oui c’en est un, depuis que règne la perfection évangélique, mais auparavant ce n’était pas un mal. Vous me répondrez sans doute: Comment ce qui était autrefois un bien est-il devenu maintenant un mal? Et moi je vous demande au contraire: Comment peut-on nier que ce qui est bon en un temps ne l’est plus en un autre, puisque nous voyons cette vérité dans tous les arts, dans tous- les fruits de la terre, et dans toute la nature? Considérez premièrement ce qui se passe dans notre enfance. C’est un bien lorsqu’on est enfant d’être sur les bras; mais ce serait un mal de l’être encore lorsqu’on est homme. C’est un bien quand on est petit de sucer le lait d’une nourrice; mais ce serait un mal de le faire quand on est grand. L’enfant au berceau veut qu’on lui mâche sa nourriture, tandis que cela répugnerait à l’homme fait. Ainsi vous voyez que la différence des temps rend les mêmes choses tantôt bonnes tantôt mauvaises. Un habit d’enfant sied bien à un enfant: mais il serait in supportable dans un homme. Ce qui est de même propre à l’homme, ne l’est pas à un enfant. Habillez un enfant en homme, tout le monde s’en rira, et cet habit même pourrait le faire tomber. Donnez à un enfant le soin du commerce, d’une ferme, des affaires civiles, et tout le monde se moquera de vous.

Mais que dis-je ? Nous avons encore des preuves plus grandes de cette vérité. L’homicide est certainement l’ouvrage du démon, et néanmoins un homicide a mérité à Phinée l’honneur du sacerdoce. Jésus-Christ, lorsqu’il disait aux juifs: « Vous voulez exécuter les désirs de votre père. Il a été homicide dès le « commencement (Jean, VIII, 44) ,» fait assez voir que c’est le démon qui a appris à tuer les hommes: et néanmoins Phinée tue un homme, et ce meurtre lui est imputé à justice Abraham, pour avoir voulu tuer un homme seulement, mais son propre fils, ce qui est bien plus grave, en devient plus juste et plus agréable aux yeux de Dieu. Saint Pierre tue Ananie et Saphira, et il les tue par un mouvement du Saint-Esprit.

7. Ne regardons pas les choses, mes frères, comme elles paraissent. à l’extérieur. Examinons avec soin le temps, le sujet, la volonté, la différence des personnes, et toutes les autres circonstances, puisque sans cela nous ne pouvons bien connaître la vérité. Efforçons-nous, si nous voulons entrer dans le royaume de Dieu, de faire plus de bonnes oeuvres, et d’aller au delà de la justice de la loi, puisqu’autrement nous ne devons point prétendre d’avoir aucune part au ciel. Si nous nous bornons à la vertu des anciens, les portes célestes nous seront fermées. « Car si votre justice n’est plus abondante, » dit Jésus-Christ, « que celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux. » Et cependant après cette menace , il y a des personnes, qui non-seulement ne surpassent point la vertu des anciens; mais qui même en sont encore très-éloignées. Bien loin d’éviter de jurer, ils se parjurent. Bien loin de s’empêcher de jeter un regard impur, ils s’abandonnent à. des actions brutales, Ils commettent sans aucune crainte tout ce que Jésus-Christ nous défend. (147)

Et il ne leur reste plus que de trouver ce jour qui vengera tous leurs crimes, et qui les punira avec une extrême rigueur; puisque c’est là le partage de ceux qui finissent leur vie dans le péché. Il faut que ceux qui vivent de la sorte, désespèrent de leur salut, et qu’ils n’attendent plus que la punition de leurs crimes. Pour ceux qui ont encore du temps et de la vie, ils peuvent combattre et vaincre aisément leur ennemi, et mériter ainsi la couronne.

Ne vous laissez donc point abattre par la négligence, et ne perdez point courage. Ce qu’on vous commande n’est point pénible. Quelle peine y a-t-il à ne point jurer ? Faut-il pour cela dépenser beaucoup d’argent ? Faut-il y employer beaucoup de travail? Il suffit de le vouloir, et tout ce qu’on vous commande sera accompli. Que si vous vous excusez sur votre mauvaise habitude, c’est par cela même que je vous veux faire voir qu’il vous est aisé de vous corriger. Car aussitôt que vous aurez pris une habitude contraire, vous aurez gagné ce que vous voulez. On en a vu autrefois parmi les païens qui, ayant une difficulté de langue, l’ont surmontée par leurs soins, et se sont corrigés de ce défaut : d’autres qui remuaient sans cesse les épaules d’une façon disgracieuse, se sont fait des violences pour perdre cette habitude, jusqu’à arrêter ce mouvement de leur corps par la pointe d’une épée nue.

Puisque l’Ecriture ne vous persuade pas, je suis contraint de vous exciter par l’exemple de ces idolâtres. Dieu traitait ainsi les Juifs lorsqu’il leur disait : « Allez dans les îles de Céthim et envoyez dans le pays de Cédar, et voyez si ces peuples ont quitté leurs dieux, quoique certainement ils ne soient pas dieux. » (Jér. II, 10.) Il renvoie même quelquefois l’homme à l’exemple des bêtes. Il dit aux paresseux : « Allez à la fourmi, allez à l’abeille et imitez leur activité et leur travail. » (Prov. VI, et XXX.) Je suis donc aujourd’hui cet exemple et je vous dis : Jetez les yeux sur ces philosophes païens et vous reconnaîtrez de quels supplices sont dignes ceux qui méprisent la loi de Dieu, puisque ceux-là, pour avoir l’extérieur un peu mieux réglé, ont enduré tant de maux, et que vous ne voulez rien faire de semblable pour gagner le ciel.

Que si après cela vous dites que la longue habitude est difficile à vaincre et qu’elle trompe souvent ceux qui se tiennent le plus sur leurs gardes, j’en demeure d’accord avec vous. Mais je vous dis en même temps, que comme elle peut aisément vous surprendre, vous pouvez aussi aisément la vaincre. Car si vous donnez ordre à quelqu’un de chez vous de vous avertir, comme à un domestique, à votre femme, à quelque ami, vous vous dégagerez bientôt de votre habitude. Si vous prenez cette peine seulement durant dix jours, il ne vous en faudra pas davantage, vous serez dans une paisible assurance et cette nouvelle habitude que vous contracterez, vous rendra fermes contre la mauvaise. Si, lorsque vous entreprendrez ainsi de vous corriger, vous tombez, une ou deux ou plusieurs fois, ne vous découragez pas. Relevez-vous aussitôt, revenez au combat avec ardeur et vous remporterez enfin la victoire.

Le parjure n’est pas un péché peu considérable, et si le simple jurement vient du mauvais, jugez de quels supplices le parjure sera puni. Vous applaudissez à ce que je dis, mais ce ne sont point ces applaudissements ni ces acclamations que je recherche. Tout mon désir est que vous écoutiez paisiblement et modestement ce que je .vous prescris et que vous soyez fidèles à le pratiquer. Ce sont là les acclamations que je cherche, et les applaudissements que je désire. Que si vous vous contentez de louer ce que je dis sans le pratiquer, vous vous attirez un plus grand supplice et une condamnation plus sévère, et vous vous couvrez vous-mêmes de honte. Nous n’êtes pas ici au théâtre et vous ne vous y assemblez pas pour écouter des comédiens et leur applaudir. C’est ici une école toute sainte, et tout ce que vous avez à faire, c’est de mettre en pratique ce que vous entendez et de témoigner votre obéissance par vos actions. Ce sera alors que je me tiendrai bien récompensé de toutes mes peines. Mais maintenant je vous avoue que je suis presque réduit au désespoir. Quoique je ne cesse point de vous instruire et en particulier et en public, le n’en remarque aucun fruit et vous êtes encore comme aux premiers éléments de la vie spirituelle, ce qui abat sans doute et qui décourage beaucoup un pasteur. Considérez que saint Paul même témoigne une extrême peine de voir des chrétiens toujours dans la bassesse des premières instructions : « Au lieu que depuis le temps qu’on « vous instruit, » dit-il aux Hébreux, « vous devriez déjà être maîtres, vous avez besoin « encore qu’on vous apprenne les rudiments (148) par où l’on commence à expliquer la parole « de Dieu. » (Hébr. V, 12.) C’est le sujet de notre douleur et de nos gémissements. Et si vous demeurez toujours les mêmes, je vous interdirai l’entrée de l’église et la participation des sacrés mystères, comme aux impudiques, aux adultères et aux homicides. Car il vaut bien mieux offrir à Dieu nos prières avec deux ou trois qui gardent ses commandements, que d’assembler une foule de personnes corrompues qui se perdent et perdent les autres. Que les riches, que les grands ne s’élèvent point ici contre moi, qu’ils ne me regardent point avec indignation. Je me ris de leur colère, et leurs menaces sont pour moi une fable, une ombre et un songe. Ces riches ne me défendront pas un jour quand Dieu m’accusera à son tribunal et qu’il me reprochera de n’avoir pas soutenu avec vigueur la sainteté de ses commandements. C’est ce qui perdit autrefois cet admirable vieillard Héli qui était irrépréhensible d’ailleurs. L’indifférence avec laquelle il vit ses enfants fouler aux pieds la loi de Dieu, attira sa colère sur lui et sur eux, et il en fut puni d’une manière terrible. Que si dans une rencontre où la nature, qui a tant d’empire, pouvait jusqu’à un certain point servir d’excuse, cet homme néanmoins fut puni avec tant de rigueur, parce qu’il n’avait pas été assez sévère à réprimer ses enfants, quelle excuse nous restera-t-il à nous autres, si sans être surpris comme lui par cette tendresse naturelle, nous corrompons néanmoins les hommes par notre indulgence et nos flatteries? Afin donc que vous ne nous perdiez pas avec vous-mêmes, je vous conjure de vous rendre à ce que je vous dis. Priez autant de personnes que vous pourrez, de vous avertir quand vous jurerez, pour vous défaire peu à peu de cette mauvaise habitude. C’est ainsi que vous avançant dans la vertu, elle vous deviendra aisée de plus en plus et que vous mériterez de jouir des biens à venir, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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