HOMÉLIE XV

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HOMÉLIE XV. BIEN QUE JE VOUS AIE ATTRISTÉS PAR MA LETTRE, NÉANMOINS JE N'EN SUIS POINT FACHÉ, QUOIQUE JE L'AIE ÉTÉ AUPARAVANT. (VII, 8, JUSQU'A 12.)

 

94

 

Analyse.

 

1 et 2. Je ne me repens donc pas de vous avoir écrit ma première lettre, mais je me réjouis de ce que cette lettre vous a inspiré une tristesse qui vous a portés à la pénitence, source du salut. — Je l'ai fait surtout par amour pour vous tous.

3-5. L'art de commander est le premier des arts, et l'agriculture vient après. — Mais il a une autorité plus tante que l'autorité temporelle, c'est l'autorité spirituelle. — Comparaison de ces deux autorités.  

 

1. Maintenant il peut traiter les. Corinthiens avec douceur, puisqu'ils sont revenus de leurs égarements. Il justifie donc la lettre qu'il leur a écrite, et leur- montre les avantages qu'ils en ont retirés. C'est né qu'il avait déjà fait auparavant quand il leur disait: « Du sein de mes tribulations et de mes angoisses, je vous ai écrit non pour vous contrister, mais pour vous faire connaître la vivacité de l'affection que je vous porte ». Il revient sur ce sujet, et développé sa pensée: Il ne dit pas : « Auparavant je me repentais, mais, aujourd'hui je ne me repens plus». Quelles sont donc ses expressions? « Je ne me repens point maintenant », dit-il, « quand même je me serais  repenti » ; comme s'il disait : Quand même je vous aurais blâmés jusqu'à l'exagération, jusqu'à m'en repentir ensuite; à la vue des avantages qui. en sont résultés, je ne puis plus avoir aucun repentir. Ce n'est pas à dire que ces reproches fussent exagérés; il s'exprime. de la sorte pour mieux faire ensuite leur éloge. Vous avez fait tant de progrès, dit-il, que, vous eusse-je même repris trop vivement et au point de me reprocher à moi-même quelque exagération, je -m'applaudirais, de l'avoir fait, à la pensée du succès obtenu. Quand on a donné aux enfants quelque remède un peu violent, après une amputation par exemple, ou une cautérisation, ou une potion amère, on peut les flatter sans inconvénient. j'est ce que fait maintenant l'apôtre à l'égard des Corinthiens. « Je vois que cette lettre vous a contristés dans le moment. Je me réjouis maintenant, non de ce que vous avez été contristés, mais de ce que cette tristesse vous a convertis... (9)».

Après avoir dit : « Je ne me repens point », il s'explique aussitôt, et rappelle l'heureux succès de son épître. Il a raison d'ajouter encore : « Bien que pour quelque temps seulement ». Le chagrin n'a duré qu'un, instant, les avantages ne finiront point. La suite des idées exigeait que l’apôtre dit : Ma lettre vous a contristé un instant, mais cette tristesse a été suivie d'une joie et d'une utilité sans fin. Il procède autrement toutefois, et avant d'exposer ces avantages, il fait de nouveau leur éloge; et leur exprime toute sa sollicitude à leur égard. « Je me réjouis maintenant, non pas de ce que vous avez été contristés (que « me revient-il en effet de votre tristesse ?) ; « mais de ce que ce chagrin vous a convertis » ; de ce que ce chagrin vous a été avantageux.. Un père qui voit amputer son fils, ne se réjouit certes point d'être témoin de ses souffrances, mais de la guérison qui en résultera. Ainsi en est-il de l'apôtre. « Voyez comme il leur attribue à eux-mêmes l'affaire de leur conversion, et comme il impute à son épître la tristesse qu'ils ont ressentie. Ne leur dit-il pas en effet que sa lettre les a contristés pour quelque temps » ; et n'est-ce pas de leur vertu qu'il fait résulter les avantages produits par sa lettre? Il n'a pas dit en effet : Mon épître vous a convertis, bien, qu'en cela il eût dit vrai; mais bien : « De ce que cette tristesse vous a convertis. Vous avez (95) été contristés selon Dieu, pour, que vous n'éprouviez de dommage en quoi que ce fût ». Quelle ineffable prudence ! Si nous n'avions agi de la sorte, dit-il, nous vous aurions fait beaucoup de mal. Le bien, ce sont eux qui l'ont produit.; le mal, lui seul en eût été cause, s'il eût gardé le silence. Puisque vous deviez vous convertir par- suite de nos reproches, si nous avions négligé de vous les adresser, nous vous aurions été nuisible, et nous nous serions aussi fait tort à nous-même. C'est nuire au navigateur que de ne point lui fournir ce qui lui est nécessaire pour s'embarquer; de même, c'est été vous nuire que dune pas vous exciter à la pénitence. Volez-vous quel tort .on fait au pécheur, quel tort on se fait à soi-même, quand on ne reprend point celui qui s'est rendu coupable?

« La tristesse qui est selon Dieu produit une pénitence qui à son tour produit le salut et l'affermit... (10) ». — C'est pourquoi, dit-il., bien que j'aie eu regret avant d'avoir aperçu les heureux résultats de ma démarche, maintenant je suis loin de m'en repentir. Tels sont les avantages de cette tristesse qui est selon Dieu; l'apôtre fait bien voir que toute tristesse n'est point fâcheuse, et qu'il n'y a de tristesse fâcheuse que la. tristesse. selon le monde. — Qu'est-ce à dire : Selon le monde? S'attrister de la perte, de ses biens, de la perte de sa gloire, de la mort de quelqu'un, c'est s'attrister selon le monde. Cette tristesse produit la mort. Celui qui s'attriste d'être privé de gloire, porte envie aux autres et, presque toujours il est dans la nécessité de mourir. Telle fut la tristesse de Caïn et d'Esaü. La tristesse du siècle est donc aux yeux de l'apôtre cette tristesse qui nuit à ceux qui l’éprouvent. Il n'y a d'avantageux que le chagrin que l'on ressent d'avoir péché et ce que nous venons de dire. le montre assez. S'affliger de la perte de ses biens, est-ce les recouvrer? Pleurer la mort de quelqu'un, est-ce un moyen de le ressusciter? Se tourmenter d'une maladie, n'est-ce pas .l'aggraver plutôt que de la guérir? Mais déplorer ses péchés; c'est se procurer de grands avantages; c'est les consumer, c'est les faire, disparaître. C'est au péché seulement que, la tristesse petit porter remède; là se borne son. utilité ; partout ail- leurs elle est dangereuse.

2. Mais, direz-vous, la tristesse de Caïn venait de ce qu'il ne pouvait plaire à Dieu. — Non, telle n'était point la cause de son chagrin. Il s'affligeait de la gloire de son frère. Si sa tristesse eût eu un autre principe, ne devait-il pas imiter la vertu d'Abel et le féliciter? Mais il s'en fallait bien; et vous voyez par là que sa tristesse était une tristesse selon le monde. Est-ce ainsi qu'agissaient David, Pierre et les autres justes? Non ; ce qui fait leur, gloire, c'est qu'ils s'attristaient ou de leurs propres péchés, ou de ceux du prochain. Et quoi de plus pénible que le chagrin? Néanmoins, quand on s'afflige selon Dieu, cette tristesse vaut mieux que la joie du monde. La joie du monde s'anéantit; la tristesse chrétienne produit le repentir, et le repentir, le salut, dont ou n'a jamais lieu de se repentir. Oui, si vous vous affligez de la sorte, jamais vous ne vous en repentirez;. et c'est tout le contraire qui arrive, lorsqu'on s'attriste selon le monde. Quoi de plus cher qu'un fils? Quoi de plus cruel que de le voir mourir? Et cependant ces parents qui sont inconsolables dans leur douleur, qui se frappent la poitrine, ne tardant tas à se repentir de cet excès de tristesse, qui n'a servi qu'à accroître leurs maux, bien loin de les diminuer. Bien différente est la tristesse selon Dieu : elle offre un double avantage; jamais on ne regrette de l'avoir éprouvée , et elle a pour conséquence le salut. La tristesse mondaine n'a aucun de ces résultats. Ceux qui s'affligent selon le monde; s'affligent pour leur malheur, et après s'être affligés, ils se le reprochent; ce qui montre bien l’inconvénient de cette tristesse. Quant à cette tristesse quia est selon Dieu, c'est tout le contraire : aussi l'apôtre disait-il : « Un repentir qui produit le salut, repentir que l'on ne regrette point ». Personne, en effet, ne se reprochera de s'être affligé pour ses péchés, d'avoir éprouvé de la douleur et de la contrition. Pour appuyer cette assertion, saint Paul n'avait pas besoin de chercher bien loin des exemples, de citer ces personnages dont la pénitence. nous est retracée par l’histoire; il suffisait d'en appeler aux Corinthiens eux-mêmes. C'est par leurs oeuvres qu'il prouve ce qu'il avance, et c'est pour lui. une occasion de les instruire en faisant leur éloge, et de se les attacher plus fortement.

Cette tristesse que vous avez ressentie selon Dieu, quelle ardeur n'a-t-elle point « produite en vous !... (1) » Oui, loin de vous (96) porter à vous condamner vous-mêmes, comme si vous vous fussiez attristés en vain, elle a redoublé votre zèle. Et voici maintenant les marques de ce progrès; « elle a produit la  justification », sous-entendez, auprès de moi; « l'indignation », contre celui qui avait péché; « la crainte ». N'était-ce pas, en effet, une preuve de crainte, que ce zèle et cette conversion si prompte? Mais il ne veut pas qu'on lui reproche un mouvement de vaine gloire; et c'est pourquoi il modère aussitôt son langage en disant : « Le désir » pour moi; « l'émulation » pour Dieu; « la vengeance » ; car vous vous êtes montrés les défenseurs de la loi de Dieu. « En toutes choses dans cette affaire vous vous êtes montrés irrépréhensibles ». Non-seulement ils ne s'étaient eux-mêmes rendus coupables d'aucun crime, (ce qui était manifeste), mais ils n'avaient en rien favorisé celui de l'incestueux. Dans sa première épître il disait: « Vous avez été enflés d'orgueil ». Dans celle-ci il leur dit : « Vous vous êtes même affranchis de ce soupçon, puisque non-seulement vous n'avez point applaudi à ce crime, mais vous vous êtes même indignés contre son auteur.

« Si donc je vous ai écrit, ce n'est ni à cause de celui qui a fait l'injure, ni à cause de celui qui l'a soufferte (12) ». Les Corinthiens auraient pu dire : Pourquoi donc nous faire des reproches, puisque nous n'avons en rien participé au crime ? C'est une objection qu'il voulait prévenir plus haut, et il se frayait, pour ainsi dire, le chemin, en disant : « Je ne me repens pas, quand même j'aurais dû me repentir. Bien loin de me repentir maintenant de ce que je vous ai écrit, je m'en serais repenti autrefois plutôt que maintenant que vous vous montrez si fermes dans le bien. Voyez-vous quelle force de langage; avec quelle énergie saint Paul réfute l'objection ! et comment il sait la rétorquer. ils voudraient le blâmer de leur adresser des reproches non mérités, puisqu'ils ont fait de grands progrès dans la vertu ; et il profite de cette idée pour leur montrer qu'il doit leur parler avec une entière liberté: Il ne refuse point de leur parler avec douceur, quand il le peut. Il leur disait plus haut : « Celui qui fait le mal avec une prostituée, ne fait qu'un  avec elle » (I Cor. VI, 16) ; et encore : « Livrez cet homme à Satan pour la perte de sa chair » (I Cor. V, 5) ; et encore : « Tous les péchés que l'homme commet sont en dehors de son corps » (I Cor. VI, 48) ; et autre chose de ce genre. Comment se fait-il qu'il leur dise maintenant : « Ce n'est pas à cause de celui qui a fait l'injure, ni à cause de celui qui l'a soufferte? » Il ne. se contredit point en parlant de la sorte ; au contraire, il est parfaitement d'accord avec lui-même. Et comment cela? C'est qu'il avait à coeur de leur témoigner toute la vivacité de son amour. Il ne veut pas empêcher qu'on ne prenne soin du pécheur; il veut seulement montrer aux Corinthiens l'affection qu'il leur porte, et leur faire  comprendre qu'il craint pour le bien de toute l'Église. Il tremblait en effet que le mal ne gagnât de proche en proche et n'envahît toute la famille chrétienne. Aussi disait-il : « Un peu de levain corrompt toute la pâte ». (I Cor. V, 6.) Voilà ce qu'il disait alors. Maintenant qu'ils se sont amendés, il leur tient un autre langage. Il leur laisse entendre là même chose, mais ses paroles ont plus de douceur ; et il leur dit : « Pour vous témoigner le zèle que nous avons pour vous ». C'est-à-dire pour que vous sachiez combien nous vous aimons. C'est ce qu'il disait plus haut; mais, exprimée en d'autres termes, cette pensée offre un tout autre aspect. Que ce soit la même pensée, voyez l'intention de l'apôtre, et vous en serez convaincus. Je vous aime, dit-il, et c'est pourquoi je craignais que vous n'éprouviez de la tristesse et de l'ennui. Quand l'apôtre dit : « Est-ce que Dieu s'inquiète des boeufs? » (I Cor. IX, 9), il ne veut pas dire que Dieu ne prend aucun soin de ces animaux; car rien ne peut continuer à vivre sans le secours de la Providence; il veut dire seulement qu'au moment de donner sa loi Dieu n'avait pas eu spécialement en vue les créatures dénuées d'intelligence. De même ici l'apôtre veut dire : C'est à cause de vous spécialement que j'ai écrit, et ensuite à cause de lui. Je vous aimais du fond du coeur, lors même que je ne vous aurais pas adressé de lettre; mais je tenais à vous témoigner à tous mon affection au moyen d'une épître. « C'est pourquoi nous avons été consolés ». Car, nous vous avons témoigné notre amour et nous nous sommes pleinement acquittés de notre mission. Ainsi disait-il encore ailleurs : «Nous vivons, si vous vous tenez dans le Seigneur » (I Thess. III, 8) ; et encore : « Quelle est donc notre espérance, ou notre joie, ou la couronne de notre gloire? (97) N'est-ce pas vous? » (I Thess. II, 19.) La vie d'un maître, s'il est digne de ce nom, sa consolation, sa joie, ce sont les progrès de ses disciples.

3. Rien ne sied mieux à quiconque a le pouvoir, que l'amour et l'indulgence pour ses inférieurs. Etre père, ce n'est pas seulement engendrer des enfants, mais encore les aimer après leur avoir donné la naissance. Si la loi naturelle commande à ce point l'amour, que ne fera pas la loi de grâce? C'est par là que brillèrent tous les personnages anciens. Ainsi Samuel fit preuve de grandeur, quand il dit : « Loin de moi ce péché contre le Seigneur ; non , je ne cesserai point de prier pour vous ». ( I Rois, XII, 23.) Ainsi parlaient David, Abraham, Elie, tous les justes de l'Ancien et du Nouveau Testament. Moïse n'abandonna-t-il point d'immenses richesses, de prodigieux trésors, pour partager l'affliction du peuple qu'il commandait? Avant d'être établi chef de ce peuple, il le gouvernait déjà par ses services. Quoi de plus ridicule que les paroles de cet Hébreu, qui lui disait : « Qui donc t'a établi notre chef et notre juge? » (Exod. II ,14.) Que dis-tu ? Ne vois-tu pas ses oeuvres ? Hésites-tu encore à l'appeler du nom de chef? Vous voyez un médecin occupé à traiter un malade ; il apporte beaucoup de soulagement au membre qui souffre. Vous lui demandez : Eh ! dites-moi , qui vous a établi médecin ? Qui vous a permis de traiter ce malade ? — Mais, vous répondra-t-il, c'est la science que je possède; c'est la maladie qui vous travaille. Or, n'est-ce pas aussi la science du commandement qui a élevé Moïse à la dignité de chef? Car le commandement n'est pas seulement une dignité , c'est aussi un art, et le plus sublime de tous. Si le commandement dans l'ordre temporel est un art, et le plus beau de tous les arts, que dirons-nous du commandement dans l'ordre spirituel? Autant l'ordre spirituel l'emporte sur l'ordre temporel, autant l'art de commander dans l'ordre spirituel est supérieur à l'art de commander dans l'ordre naturel ; et ce n'est pas assez dire encore. Mais entrons dans de plus grands développements.

L'agriculture, la fabrication des tissus, l'architecture sont des arts, et des arts vraiment nécessaires pour l'entretien de la vie. Les autres, l'art de travailler le fer, par exemple, ou les autres métaux, l'art d'élever les brebis et les autres animaux, ne sont que leurs auxiliaires. Mais quoi de plus nécessaire que l'agriculture? Dieu lui-même n'en a-t-il pas fait le premier des arts, en créant l'homme? On peut, dans la vie, se passer de chaussures et de vêtements; mais l'agriculture est indispensable. Ne sont-ils point nus les Hamaxobiens, ces nomades de la Scythie, qui vivaient au milieu des pâturages, ces gymnosophistes de l'Inde? Ils se passent bien d'architecture, de tissus, et de ce qui sert à vêtir le corps; ils se contentent de cultiver leurs champs. Rougissez donc d'avoir recours à tant d'arts superflus, d'avoir besoin de cuisiniers, pour vous préparer des pâtisseries et autres friandises , d'avoir besoin de tant d'autres gens pour donner plus de charmes à votre existence ! Rougissez d'avoir introduit dans la vie humaine un si grand nombre d'arts frivoles ! Vous qui croyez en Jésus-Christ, que ces barbares qui savent se passer de tout cela vous fassent honte. Dieu nous a faits de manière à pouvoir nous contenter de peu. Cependant je ne veux pas vous contraindre à ressembler à ces peuples, je ne veux pas vous en faire une loi. Imitez seulement Jacob dans les demandes qu'il faisait. Que demandait-il donc? .« Que Dieu me donne du pain pour me nourrir et des vêtements pour me couvrir ». (Gen. XXVIII, 20.) Saint Paul n'enjoignait-il pas de ne pas rechercher davantage : « Contentons-nous, disait-il, d'avoir des aliments, et de quoi nous vêtir ». (I Tim. VI, 8.) Le premier des arts, c'est donc l'agriculture; vient ensuite l'art de tisser les vêtements, puis l'art de bâtir des maisons. Le dernier de tous est celui de faire des chaussures. Ne voit-on pas chez, nous beaucoup de serviteurs et de laboureurs se passer de chaussures? Les premiers seuls sont donc utiles et nécessaires Eh bien ! comparons-les avec l'art du commandement. C'est dans ce dessein que j'ai parlé de ces arts les plus utiles de tous. S'il est évident qu'ils sont inférieurs à l'art de commander, à plus forte raison les autres arts lui seront-ils inférieurs. Comment vous ferai-je voir que l'art de commander l'emporte sur les autres? C'est que, sans lui, tous les autres sont inutiles.

Mais ne nous occupons que de l'agriculture, de ce premier des arts. A quoi servirait le trayait des laboureurs, si les hommes étaient sans cesse en guerre, et se pillaient mutuellement? N'est-ce pas la crainte du Prince qui (98) les retient, et qui garde ainsi le fruit de leurs travaux? Que cette crainte disparaisse, toute leur peine sera perdue. En examinant bien, vous trouverez un autre pouvoir, qui engendre et protégé celui-là : quel est-il donc ? C'est un pouvoir en vertu duquel chacun doit se commander à soi-même, se dominer soi-même , . réprimer ses mauvaises passions , mettre tout son zèle à développer le germe de ses vertus et à les accroître. Il y a en effet deux espèces de commandements. D'abord le commandement des peuples et des villes : il dirige la vie civile. C'est celui dont parle saint Paul, quand il dit: « Toute âme doit être soumise aux puissances supérieures: car il n'y a pas de pouvoir qui ne vienne de Dieu ». (Rom. XIII, 1.) Et ensuite,: pour montrer les avantages de ce commandement, l'apôtre ajoute : « Le magistrat est le ministre de Dieu pour le bien »; et encore.: «. Il est le ministre de Dieu, son vengeur contre celui qui fait le mal ». Une autre sorte de commandement, c'est celui qu'exerce sur soi-même quiconque veut être prudent. Saint Paul en parle dans ce passage : « Voulez-vous ne pas craindre le pouvoir? Faites le bien». (Rom. XIII, 3.) Il a en vue celui qui se commande à lui-même.

4. Il y a encore une autre espèce de commandement, d'un ordre plus élevé que le commandement politique. Quel est-il donc? C'est le pouvoir ecclésiastique. Saint Paul en fait mention, quand il dit : « Obéissez à ceux qui sont à votre tête; soyez-leur soumis : ils sont pleins de vigilance, comme devant rendre compte de vos âmes ». (Hébr. XIII, 17.) Autant le ciel est au-dessus de la terre, autant ce pouvoir de l'Eglise est au-dessus du pouvoir politique; et je ne dis pas assez encore. Le pouvoir ecclésiastique s'occupe- moins de punir les crimes que de les prévenir; quand ils ont été commis, il ne cherche pas à faire périr le malade, mais à guérir la maladie. Il s'occupe peu des choses de ce monde; il a toujours en vue le ciel : « Notre conversation est dans les cieux » (Phil. III, 20), dit l'apôtre, et notre vie aussi. «En effet », dit-il, « elle est cachée en Dieu avec Jésus-Christ ». (Coloss. III, 3.) C'est dans le ciel que se trouve la récompense, et on court dans le stade pour mériter des couronnes toutes célestes. La vie chrétienne ne finit point avec la mort; la mort lui donne un nouvel éclat. Ainsi donc ceux qui sont investis de ce pouvoir, sont plus honorés que les chefs de provinces, que les rois eux-mêmes, puisque l'objet de leur charge est plus élevé, puisqu'ils préparent les hommes à de plus grands avantages.

Mais ni les chefs politiques, ni les supérieurs ecclésiastiques, ne pourront s'acquitter dignement de leurs fonctions , sans se commander d'abord à eux-mêmes, et sans observer scrupuleusement les lois de l'Etat et de l'Eglise. S'il y a deux espèces de pouvoirs publics, il y a aussc deux sortes d'empire à exercer sur soi-même. Et ici encore l'empire spirituel l'emporte sur l'empire temporel, comme nous l'avons démontré. Certains arts exercent aussi une espèce d'empire; l'art du laboureur, par exemple. Le laboureur n'est pas comme préposé aux plantes. Il les taille, il en arrête la croissance; ou bien il en hâte le développement parla culture. Il imite en cela la conduite des meilleurs princes, qui punissent, qui font mourir les criminels, ces hommes dangereux pour la société, et qui comblent d'honneur las gens de bien. C'est pourquoi l'Ecriture compare à des vignerons ceux qui commandent aux autres. Les plantes, il est vrai, ne se plaignent pas comme ceux qui dans les cités reçoivent quelque injure; mais leur aspect montre le mal qu'elles éprouvent des mauvaises herbes qui les étreignent. Les lois répriment la méchanceté ; de même aussi l'art du laboureur corrige les vices du sol et la mauvaise nature, la nature sauvage des plantes. Les plantes nous offrent l'image de nos moeurs; nous y retrouvons l'âpreté, la mollesse, la timidité, l'audace, l'inconstance; nous y voyons certains rameaux se nourrir, se développer aux dépens des autres, et d'autres par là même se sécher et périr. C'est une haie qui nuit aux plantes du voisinage, ce sont des arbres stériles et sauvages , dont l'ombrage nuit aux arbres du voisinage. Les préfets et les empereurs voient leur autorité menacée et battue en brèche ; et le laboureur n'a-t-il pas à redouter les incursions des bêtes féroces, l'intempérie des saisons, la rouille, la grêle, la sécheresse, et d'autres fléaux. Tout cela arrive pour que vous mettiez toujours votre espérance dans le Seigneur.

Le travail de l'homme est pour beaucoup dans les autres arts; l'agriculture doit mettre surtout en Dieu son espérance ; c'est de lui que dépend toute sa richesse. Sans doute elle (99) a besoin des pluies, d'un temps favorable; mais ce qu'elle requiert avant tout, ce sont les soins de la Providence : « Car ni celui qui plante, ni celui qui arrose, ne sont rien; c'est Dieu qui donne l'accroissement ». (I Cor. III, 7.) Là encore il y a vie et mort, il y a enfantement laborieux, comme dans l'espèce humaine. On arrache les arbres, ils portent des fruits, ils meurent; et la mort est suivie d'une résurrection; en sorte que la terre elle-même nous prêche de mille manières la résurrection de nos corps. Quand la racine porte des fruits, quand elle produit des semences, n'est-ce pas là une résurrection ? Une étude approfondie de cet art y découvre partout la Providence et la sagesse de Dieu. Mais, pour revenir à notre sujet, le pouvoir de l'agriculture a pour objet la terre et ses plantes; le nôtre a pour objet les âmes. Quelle distance des plantes aux âmes ! Combien par conséquent l'un de ces pouvoirs ' est supérieur à l'autre ! Autant il vaut mieux commander à des êtres qui consentent qu'à des créatures qui s'y soumettent par force , autant ceux qui commandent dans l'Église l'emportent sur les chefs de la société civile. Le commandement ecclésiastique est vraiment celui qui convient à notre nature. Hors de. l'Église, c'est la crainte et la nécessité qui déterminent à agir; dans l'Église, on fait le bien librement et sans contrainte. Ce n'est pas seulement par là que le gouvernement ecclésiastique vaut mieux que le gouvernement politique; on peut dire encore que c'est moins un gouvernement qu'une paternité. Il commande avec une douceur toute paternelle; et tout en prescrivant de plus grandes choses, il n'emploie que la persuasion. Le prince dit : « Si vous commettez un adultère, c'en est fait de vous ». Le gouvernement ecclésiastique va jusqu'à vous menacer de peines très-graves, si vous portez sur une femme des regards immodestes. Le tribunal de l'Église est un tribunal auguste, qui n'atteint pas seulement le corps, mais aussi l'âme elle-même.

5. Il y a entre les deux gouvernements la même différence qu'entre le corps et l'âme. Le pouvoir civil ne juge que les crimes extérieurs, et encore ne les juge-t-il pas tous, mais seulement ceux qu'il a découverts. Bien souvent même, il fait semblant de les ignorer. Au contraire, notre tribunal avertit les accusés qu'un jour viendra où le Juge suprême manifestera aux regards du monde entier toutes les fautes dont on se sera rendu coupable; et que là il n'y aura pas moyen de les cacher. Ainsi donc la loi du christianisme protégé notre vie bien mieux que ne font toutes les lois civiles. Ne vaut-il pas mieux trembler pour des péchés secrets et cachés, que de craindre seulement pour des fautes rendues publiques? Ne se tiendra-t-on pas davantage sur ses gardes? En punissant pour des fautes légères, n'excite-t-on pas mieux à la pratique de la vertu qu'en punissant seulement pour des fautes énormes? Il est donc bien certain que le pouvoir ecclésiastique fait beaucoup plus que les autres pour le bien de l'humanité.

Examinons encore l'élection des chefs de l'Église et celle des chefs de la société civile ici encore nous trouverons la même différence. Ce n'est pas avec de l'argent que. l'on obtient les dignités ecclésiastiques, mais bien en faisant preuve d'une vie irréprochable. Celui que l'on y  élève, ne doit pas avoir en vue la gloire humaine et le repos, mais le travail, la fatigue et l'utilité des fidèles. Aussi reçoit-il abondamment les grâces de l'Esprit-Saint. Le prince se. contente de publier les lois qu'il faut exécuter; l'évêque y ajoute le secours de ses prières, qui obtiennent la grâce du Seigneur. Dans le gouvernement civil, personne qui enseigne la sagesse, qui apprenne à connaître l'âme, le monde; qui dise ce que nous deviendrons après cette vie, où nous irons après l'avoir quittée, comment on peut pratiquer la vertu. On ne parle que de marchés, de contrats, de richesses :de la vertu et de sa récompense, pas un mot. Dans l'Église c'est là au contraire l'objet de tous les discours. Aussi peut-on l'appeler, sans craindre de se tromper, un tribunal, une école de médecine ou de sagesse, la carrière où l'âme s'exerce à cette course qui mène au ciel. Si le gouvernement ecclésiastique réclame le plus de diligence, c'est aussi le plus doux des gouvernements, et en voici la preuve. Que le gouvernement civil convainque un homme d'adultère, aussitôt il sévit contre lui. Et quel profit la société peut-elle en retirer? Ce n'est pas un vice qu'on fait disparaître, c'est une âme que l'on bannit. L'évêque au contraire ne se préoccupe point de punir le coupable; il veut que le vice disparaisse. Vous, vous ressemblez à un homme qui, au lieu de guérir un mal de tète, couperait fa tête au malade; pour moi c'est la maladie que je tranche. J'éloigne, il est vrai, le coupable des (100) mystères et de l'enceinte sacrée; mais quand il s'est corrigé, quand il s'est purifié de ses fautes, quand il s'est amélioré par la pénitence, je le rétablis dans ma communion.

Et comment faire , direz-vous, pour faire disparaître l'adultère? Rien de plus facile: il suffit de se soumettre aux lois de I'Eglise. L'Église est un bain spirituel, qui, par les exercices de la pénitence, enlève non les souillures du corps, mais celles de l'âme. — Vous, si vous ne punissez point le coupable,  vous l'autorisez à pécher de nouveau; si vous le punissez, vous ne le guérissez point; moi, ni je ne le laisse impuni, ni je ne le punis comme vous faites. Mais du même coup et je lui inflige la peine qu'il mérite et je le corrige de ses défauts: Oui, votre glaive; vos bûchers ne peuvent remédier au mal; et moi, tout en me passant de ces rigueurs, je rends au malade une santé parfaite. Pour vous en convaincre, je n'ai pas besoin d'un long discours. Il me suffit de vous montrer la terre et la mer, et par conséquent la nature même de l'homme. Avant que le tribunal de l'Église eût été dressé, où en étaient les hommes ? Les grandes actions que l'on accomplit de nos jours étaient-elles connues seulement de nom? Se montrait-on intrépide en face de la mort? Méprisait-on les richesses? Se riait-on de la gloire humaine? Abandonnait-on le tumulte du monde pour les montagnes, pour la solitude, cette mère de la sagesse ? La virginité était-elle connue? Toutes ces vertus et beaucoup d'autres, c'est le tribunal de. l'Église qui les a enfantées c'est le pouvoir ecclésiastique qui nous les a données. Ainsi donc tous les avantages sérieux de la vie présente, toute cette réforme de l'univers, a son origine dans le gouvernement de l'Église. Si. vous en êtes convaincus, venez donc souvent entendre la parole de Dieu; rassemblez-vous souvent pour prier. Si telles sont vos dispositions, si votre vie, si vos moeurs sont dignes du ciel, vous pourrez arriver aux biens éternels par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et. toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

Traduction de M. l'abbé JOLY

 

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