HOMÉLIE XXVIII

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HOMÉLIE XXVIII. SOIT, JE NE VOUS AI POINT ÉTÉ A CHARGE MOI-MÊME, MAIS ÉTANT ARTIFICIEUX, J'AI USÉ D'ADRESSE POUR VOUS SURPRENDRE. MAIS ME SUIS-JE SERVI DE CEUX QUE JE VOUS AI ENVOYÉS POUR BÉNÉFICIER SUR VOUS? J'AI PRIÉ TITE DE VOUS ALLER TROUVER, ET J'AI ENVOYÉ AVEC LUI UN DE NOS FRÈRES. TITE S'EST-IL ENRICHI A VOS DÉPENS ? N'AVONS-NOUS PAS SUIVI LIT MÈNE ESPRIT? N'AVONS-NOUS PAS MARCHÉ SUR LES MÊMES TRACES? (XII, 16, 17, 18, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.)

 

Analyse.

 

1. Réponse de saint Paul à ceux qui pourraient. lui objecter que, s'il n'a rien voulu recevoir par lui-même, il a reçu par l’entremise de ses disciples.— Il en appelle, en ce qui concerne ses envoyés, au témoignage des Corinthiens eux-mêmes.— Du zèle parfaitement désintéressé de l'Apôtre pour l'édification des fidèles.— Comment il les réprimande ; plus ses paroles sont sévères, plus, en môme temps, elles sont tempérées par l'affection.

2. L'orgueil envieux, cause principale de tous les dérèglements.— La fornication n'est pas la seule impureté; toute espèce de péché souille l'âme.— De là, la faiblesse des pécheurs qui perdent facilement contenance devant les hommes irréprochables.— Achab, devant Elie ; Hérode, devant saint Jean.

3 et 4. Le vice ne peut soutenir l'aspect de la vertu, il la redoute.

 

1. Il y a certes une grande obscurité dans ces paroles, mais ce n'est pas sans dessein ni raison que l'apôtre s'exprime ainsi. II s'agissait d'argent, de justification dans des questions de ce genre, et Paul enveloppe d'une certaine ombre ce qu'il veut dire à ce sujet. Qu'entend-il par ces paroles? Il vient de dire : Je n'ai rien voulu recevoir, et je suis prêt en outre à donner, à faire des dépenses; il y a beaucoup de protestations de cette nature, et dans sa première lettre, et dans celle-ci. Maintenant, il dit quelque chose de plus; il a l'air de prévenir une objection "et de la résoudre. Ce qu'il dit revient à ceci. Je n'ai fait aucun bénéfice sur vous. Mais peut-être me dira-t-on que si je n'ai rien reçu par moi-même, comme je suis artificieux, je me suis arrangé de manière que ceux que j'ai envoyés, vous ont de mandé en leur propre nom quelque chose, que j'ai fort bien reçu par leur entremise, que j'ai sauvé les apparences, que je n'ai rien reçu par moi-même , mais que j'ai reçu par le moyen des autres. Eh bien! non; personne ne saurait tenir ce langage ; et vous êtes mes témoins.—Voilà pourquoi il présente sa pensée sous forme d'interrogation : « J'ai prié Tite de vous aller trouver, et j'ai envoyé avec lui un de nos frères. Tite s'est-il enrichi à vos dépens? » N'a-t-il pas marché comme moi? C'est-à-dire, Tite, lui aussi, n'a rien reçu. Vous voyez jusqu'où s'étendent les preuves de sa rigidité; non-seulement il s'est conservé personnellement sans reproche, il n'a rien reçu; mais il a discipliné ses envoyés de manière à ne pas donner, par eux, la moindre prise à ceux qui voulaient le trouver en défaut. Il y a (169) bien plus de grandeur encore dans cette conduite que dans celle du patriarche. De retour après sa victoire, le roi lui offrant des dépouilles, Abraham refusa de rien recevoir, (Gen. XIV, 23, 24); excepté ce que ses gens auraient pris pour leur nourriture; mais Paul n'accepta pas même la nourriture qui lui était nécessaire, et, de plus, il ne permit pas à ses compagnons de l'accepter, et il ferma victorieusement la bouche à ses détracteurs effrontés. Aussi ne se borne-t-il pas à une simple affirmation, il ne dit pas que ses envoyés n'ont rien reçu; mais, ce qui est bien plus significatif, il invoque le témoignage des Corinthiens eux-mêmes, comme quoi ils,n'ont rien reçu; ce n'est pas lui qui décide la question de sa propre autorité, ce sont les Corinthiens eux-mêmes qui prononcent; c'est la conduite que nous tenons d'ordinaire dans les faits qui sont incontestés, et qui nous laissent toute notre confiance. Répondez donc, leur dit-il, y en a-t-il un seul de ceux que nous vous avons envoyés qui ait fait un bénéfice sur vous? Il ne dit pas qui ait reçu de vous quelque chose; il se sert de l'expression « Faire d'injustes profits », s'enrichir aux dépens de quelqu'un; l'expression est vive, mordante, c'est pour montrer que recevoir de celui qui ne veut pas donner, c'est chercher, avant tout, à faire un injuste profit. Et il ne dit pas, dans sa première interrogation : Tite a-t-il, mais : « Me suis-je servi de ceux que je vous ai envoyés?» Vous ne pouvez pas dire qu'un tel n'a pas reçu,mais que tel autre a reçu. Personne n'a rien reçu.

« J'ai prié Tite ». L'expression est éloquente. Il ne dit pas : J'ai envoyé Tite, mais : « Je l'ai prié », montrant par là que, même s'il avait reçu quelque chose, il aurait usé de son droit; toutefois il a montré une grande rigidité. Voilà pourquoi, dans sa seconde interrogation, il dit : « Tite a-t-il fait quelque bénéfice sur vous? N'avons-nous pas suivi le même esprit? » Qu'est-ce à dire, « Le même esprit? » Il attribue le tout à la grâce, il montre que tout ce qu'il y a de glorieux dans cette conduite ne vient pas de son énergie, de son courage, que c'est un pur don de l'Esprit , un bienfait de la grâce. En effet, c'était une grâce insigne que de supporter l'indigence, la faim, et de ne rien recevoir afin d'édifier les disciples. « N'avons-nous pas marché sur les mêmes traces?» Ce qui veut dire : ils n'ont pas bronché, ils ont toujours montré la même rigidité.

« Pensez-vous que ce soit encore ici notre dessein de nous justifier devant vous (19) ? » Voyez-vous cette peur qui ne le quitte pas de passer pour un flatteur ? Voyez-vous avec quelle sagesse apostolique il reprend sans cesse la même pensée? Il a commencé par dire : « Nous ne prétendons point nous relever encore ici nous-même, mais vous donner une occasion de vous glorifier » (II Cor. V, 12) ; et, au commencement de l'épître : « Avons-nous besoin de lettres de recommandation? » (II Cor. III, 1.) « Tout ce que nous vous disons ici, est pour votre édification ». Il y a un changement de ton dans ces dernières paroles de notre texte; elles sont caressantes. L'apôtre ne dit pas ouvertement aux fidèles : c'est pour ménager votre faiblesse que nous ne voulons rien recevoir de vous; mais nous voulons vous édifier; il parle d'une manière plus explicite qu'auparavant, il découvre la pensée dont il est pressé de se délivrer, il le fait toutefois sans les heurter. Il ne dit pas : c'est à cause de votre faiblesse, mais : c'est afin que vous soyez édifiés.

« Car j'appréhende qu'arrivant vers vous, je ne vous trouve pas tels que je voudrais, et que vous ne me trouviez pas non plus tel que vous voudriez (20) ». Au moment de faire entendre une parole sévère, pénible, il s'excuse; il vient de dire : « Tout ce que nous vous disons ici, est pour votre édification » ; il ajoute : « Car j'appréhende », afin d'adoucir l'amertume de ce qu'il prépare. Il n'y a là ni orgueil insolent, ni. cette confiance que donne à un maître son autorité; Paul montre ici la sollicitude d'un père, il éprouve plus de crainte que tes pécheurs mêmes, il tremble au moment de les corriger. Ce n'est pas tout, il rie tombe pas sur eux sans hésitation, il ne s'exprime pas de manière à tout dire, il est incertain : « J'appréhende qu'arrivant vers vous, je ne vous trouve pas tels que je voudrais » ; il ne dit pas : attachés à toutes les vertus, mais : « Tels que je voudrais » ; toutes ses expressions respirent l'amitié. Ces mots : « Que je ne vous trouve pas », marquent une attente trompée, il en est de même de : « Et que vous ne me trouviez pas non plus ». Car ce ne peut être un effet assuré de aria volonté, mais le résultat d'une nécessité dont la cause est en vous; de là cette expression . « Que vous ne me (170) trouviez pas non plus tel que vous voudriez ». Il ne dit pas, tel que je voudrais, mais, d'une manière plus efficace pour les piquer: « Tel que vous voudriez ». En effet, il entendait suivre, dès ce moment, sa volonté à lui; non pas sans doute une volonté absolue , mais peu importe, une volonté décidée enfin à la sévérité. L'apôtre pouvait dire : « Tel que je ne veux pas être», et manifester ainsi son affection; mais il ne veut pas flatter le relâchement de ceux qui l'écoutent: Ou plutôt, en parlant ainsi, son discours eût été plus difficile à supporter; au contraire, sa manière présente est plus forte pour frapper et montre en même temps un esprit plus doux. C'est le caractère propre de la sagesse de Paul d'être d'autant plus caressant qu'il fait des blessures plus profondes. Ensuite, comme il y avait de l'obscurité dans son langage, il s'explique: « Je crains de rencontrer parmi vous des dissensions, des jalousies, des animosités, des médisances, des faux rapports, des esprits enflés ». Ce qu'il aurait dû dire en premier lieu, il le met à la fin; en effet, c'était l'orgueil qui les soulevait contre lui. Mais l'apôtre ne veut pas avoir l'air de combattre d'abord ce qui gêne son action sur eux; voilà pourquoi il parle d'abord de ce qu'il y a de général dans leurs égarements.

2. C'était l'envie qui les produisait, ces calomnies , ces accusations , ces dissensions. Comme une racine funeste, l'envie produisait la colère, l'esprit de dénigrement, la démence de l'orgueil et tous les autres fléaux qui, à leur tour, envenimaient cette haine jalouse. « Et qu'ainsi Dieu ne m'humilie encore, lorsque je serai retourné chez vous (29) ». Cet « Encore » est à lui seul un reproche. C'est bien assez, dit-il, de vos premiers égarements. Aussi disait-il au commencement : « C'est pour vous épargner que je ne suis pas allé à Corinthe ». (II Cor. I, 23.) Voyez-vous comme il s'entend à montrer à la fois ce qui indigne son cœur, et l'affection qu'il ressent? Mais maintenant que veut dire « Ne m'humilie? » Il est pourtant glorieux d'avoir le droit d'accuser, de punir, de demander des comptes, de siéger comme juge, et c'est ce qu'il appelle une humiliation. Il était si loin de rougir de l'Humilité, de ce qu'on trouvait de bas dans sa personne , de méprisable en son discours (II Cor. X, 10), qu'il souhaitait de rester toujours en cet état, que ses prières tendaient à n'en pas sortir. Il explique bientôt sa pensée, et ce qu'il appelle humiliation c'est, avant tout; la nécessité de châtier et de punir. Mais pourquoi, au lieu de dire : qu'en retournant chez vous je ne sois humilié, dit-il . « Que Dieu ne m'humilie lorsque je serai retourné chez vous? » C'est que si ce n'était pour Dieu, je n'aurais aucun souci, tout me serait fort indifférent. Ce n'est pas par une usurpation orgueilleuse de pouvoir que je recherche; lorsque je châtié, je ne veux qu'exécuter les ordres de Dieu. Il dit plus haut : « Que vous ne me trouviez pas tel que vous voudriez » : ici avec plus de ménagement, d'une manière plus douce, :plus affectueuse, il. dit : « Et que je n'aie à en pleurer plusieurs qui ont péché ». Il ne se contente pas de dire : « Qui ont péché »; il ajoute: «Et qui n'ont pas fait pénitence». Il ne dit pas tous, mais « Plusieurs » ; et les pécheurs mêmes, il ne les désigne pas, il leur laisse un moyen facile de retourner à la pénitence; il montre clairement que la pénitence peut effacer les fautes, et qu'enfin il ne pleurera que ceux qui sont incapables de faire pénitence, que les incurables, qui conservent leur plaie. Méditez donc sur la vertu apostolique de l'homme à qui sa conscience ne fait aucun reproche, qui gémit des fautes d'autrui, qui s'humilie parce que les autres ont péché. C'est là en effet ce qui doit surtout distinguer le maître, la compassion pour les malheurs de ses disciples, les chagrins, la douleur pour les blessures de ceux qu'il conduit.

Il montre ensuite la nature du péché : « De leurs dérèglements et de leur impureté ». Ce qu'il désigne par là, à mots couverts, c'est la fornication; mais si l'on tient à se rendre un compte .exact des péchés de toute nature, ce nom leur convient à tous. Car quoique le fornificateur , l'adultère soient surtout ceux qu'on traite d'impurs, les autres péchés aussi mettent l',impureté dans l'âme. Voilà pourquoi, n'en doutez pas, le Christ traite d'impurs les Juifs; ce ne sont pas seulement leurs fornications qu'il accuse, mais leur dépravation à d'autres égards. Aussi fait-il. observer qu'ils n'ont pris soin de purifier que le dehors (Matth: XXIII, 25) ; aussi dit-il ailleurs: « Ce n'est pas ce qui entre: qui souille l'homme, mais ce qui sort ». (Matth. XV, 11.) L'Ecriture dit ailleurs encore : « Tout homme au coeur insolent est impur devant le Seigneur ». (Prov. XVI, 5.) Et c'est avec raison. Rien de plus pur (171) que la vertu, rien de plus impur que le péché; car la vertu est plus éclatante que le soleil ; le péché est plus infect que la fange. C'est ce que peuvent prouver, par leur propre témoignage, ceux qui se roulent dans le bourbier, qui passent leur vie dans les ténèbres; il suffit qu'on leur fasse ouvrir un moment les yeux. Tant qu'ils restent abandonnés à eux-mêmes, enivrés de leurs passions, ils continuent, comme dans l'obscurité, à croupir dans l'opprobre, dans l'ignominie ; ils ne sentent pas leur état, ils ne s'en rendent pas un compte exact; mais s'ils se voient convaincus d'infamie par un homme vertueux, ne feraient-ils que l'apercevoir, c'est alors qu'ils reconnaissent combien leur état est misérable ; c'est comme un rayon qui tombe sur eux; ils veulent alors cacher leur honte; ils rougissent devant,ceux qui connaissent leur conduite, quand le témoin serait un esclave, et le coupable un homme libre; quand le premier serait un sujet, et l'autre un souverain.

C'est ainsi que l'aspect seul d'Elie couvrait Achab de confusion, avant même que le prophète eût parlé, rien que sa vue saisissait le roi; l'accusateur gardait le silence, et le roi prononçait lui-même la sentence de sa propre condamnation; ses paroles étaient celles du coupable convaincu : « Vous m'avez trouvé; vous, mon ennemi ». (III Rois, XXI, 20.) Voilà comment Elie parlait à ce tyran avec une pleine liberté. Voilà comment Hérode, incapable de supporter la honte et les remords, (tel était l'éclat que donnait à son crime le cri retentissant de la: voix du prophète), fit jeter Jean en prison; ce roi ressemblait à un homme qui se trouve en état de nudité, qui veut éteindre un flambeau, pour rentrer dans les ténèbres. Ou plutôt il n'osa pas l'éteindre lui-même, mais il le plaça comme sous un boisseau, dans l'intérieur de sa maison; cette malheureuse et misérable femme le força enfin à l'éteindre. Eh bien, ils ne purent pas même par ce moyen faire disparaître leur crime; ils le rendirent encore plus éclatant. Ceux qui demandaient pourquoi Jean était en prison, en apprenaient la causé, elle fut connue ensuite de tous ceux qui habitaient la terre et la mer, de tous sans exception, des hommes d'alors, des hommes d'aujourd'hui ; et ceux qui doivent naître apprendront à leur tour ce drame de forfaits, d'impuretés, d'infamie, joué par ces deux grands pécheurs, et il n'est pas de siècle qui puisse jamais en abolir la mémoire.

3. Le pouvoir de la vertu est si grand, si impérissable est le souvenir que la vertu laisse après elle, qu'elle n'a qu'à parler pour confondre ses contradicteurs. Pourquoi ce tyran jette-t-il en prison le prophète ? Pourquoi ne se contente-t-il pas de le mépriser? Est-ce que Jean allait le traîner devant un tribunal ? Est-ce qu'il parlait de le punir de son adultère? Est-ce que l'action de Jean ne se réduisait pas à des paroles? Que craint-il donc et qu'a-t-il à trembler ? Quoi de plus, ici, que des paroles, que des discours? C'est que ces paroles frappaient plus durement qu'un châtiment réel. Il ne le conduisait pas devant un tribunal, il le traînait devant sa conscience, il lui donnait pour juges toutes les consciences libres. Voilà pourquoi tremblait ce tyran, incapable de supporter la lumière de la vertu. Comprenez-vous la grandeur de la sagesse et de la vertu? C'est elle qui fait qu'un prisonnier resplendit de plus de gloire qu'un tyran, et que ce tyran a peur et qu'il tremble. Celui-ci toutefois se contenta de le charger, de fers , mais cette femme criminelle provoqua le tyran à un meurtre. Cependant c'était lui plus qu'elle , qui était accusé. En effet, le prophète n'avait pas été trouver cette femme pour lui dire : Que faites-vous? vous cohabitez avec le tyran ? Ce n'est pas qu'elle ne pût être accusée; qui en doute? mais c'est par lui que le prophète voulait que le scandale cessât: Voilà pourquoi c'est lui qu'il réprimande, et sa parole ne gronde pas d'une manière terrible. Il ne lui dit pas :

O scélérat, ô le plus scélérat de tous les hommes, violateur des lois, impie, tu as foulé sous tes pieds la loi de Dieu, tu as tourné ses commandements en dérision, tu n'as reconnu pour loi que ta brutalité. Il ne lui dit rien de pareil; dans ses reproches respire une modération, une douceur parfaite : « Il ne vous est pas permis d'avoir la femme de Philippe, votre frère ». (Marc, VI, 18.) C'était plutôt le ton de l'enseignement que de l'accusation, c'était plutôt une leçon qu'un châtiment, une réprimande qu'une poursuite , un avertissement qu'une attaque. Mais, je l'ai déjà dit, le voleur déteste la lumière, et les pécheurs détestent l'homme juste, rien que son aspect : « Il nous importune », dit l'Ecriture, «rien que quand il paraît ». (Sag. II, 14.)

En effet, ils n'en peuvent supporter les (172) rayons; les yeux malades ne soutiennent pas les rayons du soleil. Pour la foule des méchants ce n'est pas seulement la présence de l'homme juste, qui est insupportable, mais rien que le son de sa voix. Voilà pourquoi cette femme criminelle, cette femme la plus criminelle de toutes, cette infâme qui prostituait sa fille, ou plutôt qui en était le bourreau, cette misérable, qui pourtant n'avait ni vu le prophète, ni entendu sa voix, s'élança pour obtenir son meurtre, et elle s'associa, pour cette oeuvré de sang, l'impudique qu'elle avait formée, qu'elle avait nourrie, tant elle redoutait le terrible prophète. Et que dit-elle ? « Donnez-moi ici, sur un plat, la tête de Jean ». Et pourtant, s'il est en prison, c'est pour toi, c'est à cause de toi qu'il est dans les fers, et cependant tu peux flatter ton amour insensé en te disant : J'ai triomphé du roi, il a repoussé une accusation publique, il n'a pas rejeté son amour, il n'a pas rompu nos liens adultères; il s'en faut bien; celui par qui il a été repris, il l'a chargé de chaînes. Quel est ton délire, quelle est ta rage, ô femme; même après la réprimande tu jouis de ton amour? Qu'as-tu à demander une table de furies, à préparer un banquet pour les démons tes bourreaux ? Voyez-vous le néant, la misère, la terreur, la lâcheté du vice; voyez-vous que, plus il triomphe, plus il est frappé de faiblesse? Cette femme avait moins le vertige avant que le prophète eût été jeté en prison; c'est maintenant qu'elle se trouble surtout, maintenant qu'il est dans les fers ; c'est maintenant qu'elle dit : « Donnez-moi ici, sur un plat, la tête de Jean ».

Et pourquoi « ici? » Je crains, dit-elle, que le meurtre ne reste dans l'ombre, qu'il n'y ait des gens pour le soustraire au danger. Et pourquoi ne veux-tu pas tout son corps privé de vie, mais seulement sa tête? C'est cette langue, dit-elle, qui m'a affligée, que je désire voir silencieuse. Eh bien, c'est tout le contraire qui aura lieu, ô malheureuse, ô misérable , cette langue fera entendre une voix encore plus éclatante dans cette tête tranchée, après ton crime. Jusqu'à ce jour, on n'entendait ses cris que dans la Judée, mais maintenant ils vont retentir jusqu'aux extrémités de la terre, et quelle que soit l'Eglise où vous entriez, chez les Maures, chez les Perses, dans les îles mêmes des Bretons, vous entendrez la voix éclatante de Jean : « Il ne vous est pas permis d'avoir la femme de Philippe, votre frère ». Mais cette femme, qui ne comprend rien, qui ne voit rien, pousse au meurtre, elle obsède, elle y précipite ce tyran insensé; elle n'a qu'une peur, c'est qu'il ne change de volonté. Eh bien, remarquez encore cette nouvelle preuve de la puissance de la vertu. Le prophète est en prison, il est enchaîné, il est dans le silence, et cependant ce roi ne soutient pas l'aspect de l'homme juste. Comprenez-vous toute la faiblesse, toute l'impureté du vice? Au lieu de mets, c'est une tête humaine qu'il fait apporter sur un plat. Quoi de plus exécrable, de plus abominable, de plus infâme que cette jeune fille ? Quelle voix a-t-elle fait entendre sur le théâtre de Satan, au banquet des démons? Vous voyez une langue et une langue; l'une portant des remèdes salutaires, l'autre, la perdition ; l'autre , dressant pour les festins de l'enfer, la table empoisonnée. Mais pourquoi l'ordre n'a-t-il pas été donné d'exécuter le meurtre dans la salle du banquet? elle y aurait trouvé un plaisir plus exquis. Mais elle a eu peur, qu'à sa présence, qu'à sa vue, rien qu'en l'apercevant, rien qu'en entendant sa libre parole, toutes les dispositions ne fussent changées. Voilà pourquoi elle demanda sa tête, jalouse de dresser, de son infamie, ce trophée éclatant, qu'elle donna à sa mère.

4. Avez-vous bien compris ce salaire de la danse? Avez-vous bien compris ces dépouilles conquises par l'artifice du démon ? Ce n'est pas de la tête de Jean que je parle, mais de l'adultère. Il suffit de se rendre un compte exact de ce qui se passe, pour voir que ce trophée est dressé contre lé roi ; et maintenant celle qui a triomphé -a été vaincue, le décapité a obtenu la couronne, et son nom a été proclamé; après sa mort, il n'en u que plus vivement secoué la conscience des criminels. Nos paroles ne sont pas un vain bruit. Interrogez Hérode lui-même; à peine eût-il appris les miracles de Jésus-Christ : « C'est Jean, c'est lui-même qui est ressuscité », dit-il, « d'entre les morts; et c'est pour cela qu'il se fait, par lui, des miracles ». (Matth. XIV, 2.) Ce qui prouve combien la terreur était vive et persistante en lui , et combien il ressentait d'angoisses ; et, nul n'était assez fort pour l'affranchir des terreurs de sa conscience ; le juge incorruptible continuait à le suffoquer, à lui demander chaque jour l'expiation du meurtre. Donc, instruits de ces vérités, craignons, non (173) pas de souffrir du mal, mais de commettre le mal: d'une part, c'est la victoire ; de l'autre, la défaite. Voilà pourquoi Paul aussi disait « Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt qu'on vous fasse du tort? Mais vous faites du tort aux autres, vous les frustrez, et vous faites cela à vos frères ». (I Cor. VI, 7, 8.) C'est la patience dans les maux qui mérite les couronnes, les récompenses, la gloire. C'est une vérité que manifeste la vie de tous les saints. Donc, puisque c'est ainsi que tous ont conquis leur couronne, ont conquis leur gloire, marchons, nous aussi, dans le même chemin ; demandons, par nos prières, à ne pas entrer en tentation ; si la tentation nous arrive, luttons avec énergie, avec courage, déployons l'ardeur qui convient à la vertu, afin d'obtenir les biens à venir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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