HOMÉLIE XIX

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HOMÉLIE XIX. CAR A L'ÉGARD DES SERVICES QUE L'ON REND AUX SAINTS, IL EST SUPERFLU QUE JE VOUS ÉCRIVE. (IX, 1; JUSQU'À 10.)

 

117

 

Analyse.

 

1. Chrysostome lait remarquer à ses auditeurs que l'Apôtre a eu la prudence de commencer par des éloges, à l'adresse des Corinthiens, de peur d'exciter leur jalousie. contre les Macédoniens lorsqu'il leur proposera ceux-ci pour modèles.

2. Voulant les amener à donner de bon coeur et beaucoup , l'Apôtre commence par leur représenter que l'aumône est une bénédiction.

3. Il faut donner beaucoup ; il est honteux de ne donner à Jésus-Christ qu'à contre-coeur, lorsqu'une foule de gens font si volontiers tant de dépenses honteuses. — Il faut savoir se contenter du nécessaire et donner son superflu.

4. Exemple de la veuve de l'Evangile et de celle du temps d'Elie. — Dieu mesure les dons aux ressources des personnes qui les font. — L'amour des richesses est incompatible avec la justice.

 

1. Après tout ce qu'il vient de dire au sujet de cette aumône, il ajoute ici: « Il est superflu que je vous écrive». Et sa prudence ne consiste pas seulement en ce qu'après avoir parlé si au. long, il ajoute : « Il est superflu que je vous écrive », mais elle consiste aussi en ce qu'il reparle encore après, sur le même sujet. En effet, ce qu'il vient de dire en. dernier lieu, avait rapport à ceux qui devaient recevoir les offrandes, et avait pour but de leur attirer beaucoup d'estime; ce qu'il avait dit auparavant au sujet des Macédoniens, que « leur profonde pauvreté avait été surabondante«pour la richesse de leur simplicité », et tout le reste, avait. rapport à la charité et à l'aumône. Eh bien ! malgré, cela, après tant de paroles, et lorsqu'il va encore en ajouter d'autres, il dit : « Il est superflu pour moi de vous écrire ». Or il s'y prend de  la sorte pour les attirer davantage. En effet, pour un homme dont la réputation est telle qu'il n'a même pas besoin de conseil, c'est une honte de paraître au-dessous de l'opinion que l'on a conçue de lui, et d'être dépassé. L'apôtre en use fréquemment ainsi, lorsqu'ayant à faire des reproches, il a recours aux prétéritions : c'est un moyen quia beaucoup de force. Un juge qui reconnaît chez un accusateur de la grandeur d'âme, n'a plus, aucun soupçon contre lui. Il se dit : Puisque cet homme ne dit pas tout ce qu'il pourrait dire, comment inventerait-il ce qui n'est pas? L'accusateur fait alors soupçonner de l'accusé plus de choses qu'il n'en dit,.et il donné de sa propre personne l'idée d'un caractère honorable.

C'est ainsi que procède l'apôtre et pour les conseils et pour les éloges. Après avoir dit « Il est superflu d’écrire » , voyez ce qu'il ajoute : « Car je connais votre bonne volonté, pour laquelle je me glorifie de vous auprès des Macédoniens (2) ». C'est déjà beaucoup que lui-même connaisse cette bonne volonté, mais c'est encore bien plus qu'il aille la redire aux autres; .elle n'en acquiert que plus de force, car les Corinthiens ne voudraient pas encourir une telle honte que de ne pas justifier cette réputation. Voyez la prudence de son plan : il les a exhortés d'abord par l'exemple des autres, c'est-à-dire des Macédoniens : « Je connais la grâce de Dieu qui a été donnée dans les Églises de Macédoine (VIII, 1) » ; ensuite par leur propre exemple : « Vous qui avez déjà commencé auparavant, depuis l'année dernière, non-seulement à exécuter cette oeuvre, mais encore à la vouloir». (VIII, 10.) Il les avait aussi exhortés en leur citant Notre-Seigneur : « Car vous connaissez », dit-il, « la grâce de Notre-Seigneur, par laquelle il  s'est appauvri pour nous, lui qui était riche (VIII. 9.) ». Enfin il revient à (118) son argument principal, l'imitation des autres. C'est que l'humanité est naturellement jalouse. L'exemple de Notre-Seigneur aurait dû les entraîner plus que tout le reste, et après cela, l'espoir de la récompense; mais, vu leur faiblesse, il préfère les entraîner par le motif d'émulation.

Rien n'égale en effet le pouvoir de ce sentiment. Et encore, examinez de quelle manière neuve il le met en jeu. Il ne leur dit pas : Imitez-les; comment s'exprime-t-il? « L'émulation venue de vous a excité le plus grand nombre (IX, 2) ». Eh quoi ! diront les Corinthiens, vous disiez naguère que les Macédoniens avaient agi d'eux-mêmes et en vous priant avec beaucoup d'instance ; comment donc nous dites-vous à présent : « L'émulation  venue de vous? » Sans doute, répondra l'apôtre; car nous ne leur avons adressé ni conseil ni supplication; nous vous avons simplement loués, nous nous sommes glorifiés de vous, et cela a suffi pour les exciter. Vous avez vu comme il les stimule les uns parles autres; les Macédoniens à l'aide des Corinthiens, et réciproquement, et comme à l'émulation il sait joindre les plus grands éloges?

Puis, pour ne pas les enorgueillir, il y met un certain correctif, en disant : « L'émulation venue de vous a excité le plus grand nombre ». Songez un peu ce que ce serait pour vous, après avoir fait naître cette noble ambition chez les autres, de vous laisser dépasser à l'occasion de cette offrande. C'est pourquoi il ne dit pas : Imitez les Macédoniens; car cela n'eût pas été aussi propre à les piquer d'honneur ; et que dit-il donc? Ce sont les Macédoniens qui vous ont, imités; ne vous montrez- donc pas, vous les maîtres, au-dessous de vos disciples. Voyez en même temps comme pour les réveiller, pour augmenter leur ardeur, il fait semblant de prendre parti pour eux; on dirait une lutte, une rivalité dans laquelle il se range de leur côté. Car de même qu'il disait plus haut : « Ils sont venus nous trouver d'eux-mêmes, et avec beaucoup d'instances, de sorte que nous avons engagé Tite à achever cette grâce comme il l'avait commencée ». (VIII, 3, 4, 6.) De même il dit ici : « C'est pourquoi j'ai envoyé nos frères, afin que nous ne nous soyons pas vainement glorifiés en vous ». (IX, 3.) Vous voyez, il est tourmenté, il tremble, craignant de paraître n'avoir parlé de la sorte que pour les exhorter; aussi leur dit-il : Dans un tel état de choses, j'ai, envoyé nos frères : si je m'occupe de vous avec tant de zèle, c'est afin que nous ne nous soyons pas vainement glorifiés en vous. Et il semble prendre de tout point les intérêts des Corinthiens, quoique en réalité sa sollicitude soit la même pour tous. Voici le sens de ce qu'il dit : Je suis extrêmement fier de vous, je m'en fais honneur devant tous, je m'en suis glorifié devant les Macédoniens., de . sorte que si vous vous laissez vaincre, la honte sera tout ensemble pour vous et pour moi. Et ici encore, il mesure ses expressions, car il ajoute : « Sous ce rapport »; et non pas en toute chose : « Afin que, comme je le disais, vous soyez préparés ». (Ibid.) Car je n'ai pas dit que les Macédoniens se proposent d'agir, mais bien que tout est disposé, et qu'il né leur manque plus rien pour. l'exécution. Je veux donc que vos oeuvres soient là pour témoigner que vous êtes prêts. Puis les inquiétudes de l'apôtre redoublent : « De peur », ajoute-t-il, « que si les Macédoniens viennent avec moi, nous ne soyons (car je ne veux pas dire, vous ne soyez) couverts de confusion , de ce que nous nous serons glorifiés de volis sous ce rapport (4) ».

2. Cela nous .impose davantage, quand on nous donne dg nombreux, spectateurs , et deux-là même à qui l'on a parlé de nous. Et il ne dit pas,: Car j'amène avec moi les Macédoniens; les Macédoniens viennent avec moi; afin qu'on ne suppose pas qu'il le fait exprès; comment s'exprime-t-il? « De peur que si les « Macédoniens viennent avec moi ». C'est-à-dire , cela peut arriver; c'est une chose possible. De cette ;façon, il mettait ses paroles -à l'abri de tout soupçon; et s'il eût tenu un autre langage, il eût rendu les Corinthiens trop jaloux. Voyez comment il les attire non-seulement par des raisons spirituelles, mais encore par des motifs humains. Si vous ne faites par, grand cas de moi, et que vous comptiez sur mon indulgence, songez du moins aux Macédoniens, « de peur que s'ils, viennent, ils ne vous trouvent », non pas; dit-il, de mauvaise volonté, mais seulement « non préparés », n'ayant pas encore tout accompli. Et s'il serait honteux de n'avoir pas apporté votre offrande promptement, imaginez combien vous auriez à rougir, si vous n'en apportiez aucune, ou si elle était trop faible. (119) Ensuite, il leur représente avec douceur en même temps que d'une manière propre à leur, faire impression, ce qui résulterait de cette conduite; et voici en quels termes : « Nous ne soyons (car je ne veux pas dire, vous ne soyez) couverts de confusion ». Puis il met de nouveau un certain tempérament à ses paroles : « De ce que nous nous serons glorifiés ; de vous sous ce rapport ». Non pas qu'il veuille les rendre plus négligents, mais il veut montrer qu'ayant bonne réputation pour le reste, ils doivent encore jouir sur ce dernier point d'une renommée incontestable.

«J'ai donc cru nécessaire d'envoyer par avance nos frères, afin qu'ils préparent cette  bénédiction de vos offrandes; de telle sorte qu'elles soient prêtes à titre de bénédiction, et non pas comme arrachées à votre avarice (5) ». C'est la même pensée reprise d'une autre façon; et pour que l'on ne croie pas qu'il tient ce langage au hasard, il va jusqu'à dire que ce voyage n'a pas d'autre motif que de leur épargner la confusion. Vous voyez bien que ces mots : « Il est superflu pour moi de vous écrire », étaient le commencement d'un conseil. Aussi, vous voyez pareillement combien il s'étend sur cette oeuvre de charité. En même temps, on peut dire encore une chose : il eût semblé se contredire en continuant à les entretenir du même objet, après avoir dit que cela était « superflu»; afin donc de ne pas donner prise à cette critique, il passe à d'autres considérations; il leur parle de promptitude, de générosité, de bonne volontés ce qui lui sert même à préparer le résultat qu'il cherche. En effet, ce sont les trois conditions qu'il réclame, et ces points-là, il les a mis en avant tout d'abord : car lorsqu'il disait : « La surabondance de leur joie s'est manifestée dans de nombreuses épreuves de tribulation, et leur profonde pauvreté a été surabondante pour la richesse de leur simplicité (VIII, 2) », cela ne signifiait pas autre chose que : Ils ont donné beaucoup, ils l'ont fait avec joie et avec promptitude; et non-seulement ils n'ont pas été fâchés de donner beaucoup, ils n'ont pas même été contristés -par les épreuves, chose plus pénible pourtant que de faire l'aumône. Et ces paroles-ci : « Ils se sont donnés à nous », montrent de même et leur bonne volonté, et la solidité de leur foi. Et maintenant, il revient encore sur le même sujet. Comme il y a antagonisme entre la libéralité et la bonne volonté, et que souvent tel qui a donné beaucoup en est fâché, et que tel autre donne moins, pour ne pas avoir à souffrir, voyez comme il s'occupe de ces deux sortes de gens et avec la prudence qui lui convient. Il ne dit pas : Il vaut mieux donner peu, et de bon coeur, que beaucoup et par contrainte : non, car il voulait que leurs offrandes fussent à la fois abondantes et faites de bonne grâce. Que dit-il donc? « Afin qu'ils préparent cette bénédiction de vos offrandes de telle sorte qu'elles soient prêtes à titre de bénédiction, et non pas comme arrachées à votre avarice ». Il commence par la condition la plus douce, la moins pesante ce ne doit pas être par contrainte. En effet; dit-il, c'est une bénédiction. Puis, voyez comme sous forme d'exhortation il leur montre bientôt le fruit qui en résulte, et la bénédiction venant combler ceux qui ont donné. C'est par l'expression dont il s'est servi qu'il les a attirés; en effet nul ne donne avec chagrin ce qui est une source de bénédiction. Et non content de cela, il a ajouté : « Et non pas comme arrachées à votre avarice ». N'allez pas croire, veut-il dire, que nous-mêmes, nous recevions cette aumône en gens avides; non, mais c'est afin de vous attirer des bénédictions. Quand on est avide, on donne à contre-coeur; de sorte que celui qui fait l'aumône à contre-coeur, fait un don d'avare.

Ensuite il passe à l'autre point : la largesse dans l'offrande. « Or, je vous dis ceci (6) ». C'est-à-dire, à cette première considération j'en ajoute une seconde. Et laquelle? « Celui qui sème mesquinement, moissonnera mesquinement, et celui qui sème au milieu de la bénédiction, moissonnera au milieu de la bénédiction ». Il ne dit pas : Sordidement, il se sert d'une expression adoucie : celle qui caractérise l'homme parcimonieux. Et il compare l'aumône à des semailles, afin qu'aussitôt cela vous fasse envisager la rétribution, et qu'en songeant à une moisson, vous sachiez que vous recevrez en retour plus que vous n'avez donné. Voilà pourquoi il ne dit pas: Celui qui donne; mais : « Celui qui sème » ; et il ne dit pas non plus : Si vous semez, mais il parle d'une manière générale. Au lieu de dire Abondamment, il emploie cette expression « Au milieu des bénédictions » ; ce qui était bien plus. Puis il se rejette encore sur la première condition, celle de faire l'aumône avec (120) joie : il dit: « Que chacun donne selon la détermination de son coeur (7) ». En effet, nous faisons plus quand on nous laisse libres, que lorsque nous sommes contraints. Aussi insiste-t-il sur ce point; car après ces mots : « Selon la détermination de son coeur », il ajoute : « Non avec chagrin, ni par force ». Et non content même de cela, il y joint encore ce témoignage tiré de l'Ecriture : « Car Dieu aime celui qui donne avec joie». Voyez-vous quelle suite l'apôtre met dans tout cela « Je ne vous dis pas cela par manière de commandement (VIII, 8); » puis : « Et je vous donne en cela un avis » (VIII, 10) ; ensuite : « A titre de bénédiction, et non pas comme arrachées à votre avarice » (IX, 5); et enfin : « Non avec chagrin, ni par force; car Dieu aime celui qui donne avec joie (IX, 7) ». Je crois qu'ici « avec joie » veut dire avec libéralité ; mais il s'est servi de ce mot afin de les porter à donner de bon coeur. En effet, comme l'exemple des Macédoniens, et tous les autres, étaient capables de -les faire donner abondamment, il ne parle pas beaucoup de cette qualité de leurs dons, mais il parle d'une autre: la spontanéité. Car si c'est une oeuvre de vertu, et que toute action provenant de la contrainte perde sa récompense, il est bien fondé à s'y prendre ainsi. Et il. ne se borne pas à des conseils; mais, comme toujours, il fait des voeux pour eux: « Et Dieu », dit-il, « a le pouvoir de vous combler de toute grâce (8) ».

3. Par cette prière il fait tomber un argument où l'on se retranche contre cette générosité, et qui encore maintenant arrêté plusieurs personnes. Bien des gens craignent de faire l'aumône, parce qu'ils se disent : J'ai peur de devenir, pauvre moi-même, et d'avoir besoin des autres à mon tour. Eh bien ! pour dissiper cette crainte, il ajoute cette prière : « Dieu a le pouvoir de faire abonder toute grâce en vous ». Non pas simplement: De vous combler, mais : « De faire abonder en vous ». Et qu'est-ce que « faire abonder la grâce?» C'est-à-dire, vous enrichir de tant de faveurs que vous puissiez exercer abondamment cette générosité. « Afin qu'en toutes choses et toujours ayant tout ce qui vous suffit, vous abondiez en toute bonne oeuvre ». Voyez encore dans ce souhait la grande sagesse de l'apôtre. Il ne leur désire pas la richesse ni le superflu, mais « tout ce qui leur suffit ». Et ce n'est pas seulement par là qu'il est admirable; car si d'une part il ne leur a pas souhaité le superflu, il ne les surcharge pas non plus, il ne Les force pas à donner de leur indigence même, parce qu'il condescend à leur faiblesse; il demande pour eux des ressources suffisantes, et il fait voir en même temps qu'il ne faut pas abuser des dons de Dieu. « Afin », dit-il, « que vous abondiez en toute bonne oeuvre ». C'est-à-dire, je vous souhaite ces biens afin que vous en fassiez part à d'autres. Et il ne dit pas seulement Afin que vous en donniez, mais : « Afin que vous abondiez ». Oui, s'il leur souhaite le nécessaire quant aux choses matérielles, il demande que dans l'ordre spirituel ils aient même du superflu, non pas seulement en fait., d'aumône; mais sous tous les autres rapports; car c'est le sens de cette expression : « En toute bonne oeuvre ». Ensuite, à l'appui de cette pensée, et voulant un témoignage qui les détermine à la libéralité, il fait intervenir la parole du prophète; c'est pourquoi il, ajoute : « Selon qu'il est écrit : Il a dispersé son bien, il a donné aux pauvres; sa justice demeure dans la suite des siècles (9) ». Cela revient à ce qu'il disait : « Afin. qui vous abondiez ». Car l'expression : « Il a dispersé » ne signifie pas autre chose que donner avec libéralité. Car si les richesses ne subsistent pas, leur. résultat subsiste. Chose admirable en effet, celles que l'on garde se perdent, et celles que l'on disperse demeurent, et demeurent pour toujours. Ce que le prophète appelle ici justice, c'est la charité envers le prochain : en effet la charité nous justifie, parce que c'est un feu qui détruit nos péchés, quand nous répandons largement nos aumônes.

Ainsi, n'y regardons point, mais donnons à pleines mains. Voyez combien d'argent certaines gens dépensent pour le donner à des histrions ou à des prostituées ! Donnez seulement à Jésus-Christ la moitié de ce que ces gens-là donnent à des danseurs; ce que, dans leur amour du faste, ils consacrent à des comédiens, réservez-le pour les pauvres. Ils couvrent d'or sans mesure le corps des courtisanes : et vous, vous ne revêtez pas même d'un mince vêtement la chair de Jésus-Christ, et~ cela, quand vous voyez qu'il est nul Quel pardon méritez-vous, et de quel châtiment n'êtes-vous pas digne,. lorsque voyant tel homme fournir de pareilles sommes à la femme qui le perd et le déshonore, vous n'accordez pas la moindre (121) chose à celui qui vous sauve et vous ennoblit? Ah ! vous savez bien dépenser de l'argent pour votre gourmandise, . votre ivrognerie, votre luxure; et jamais vous ne songez à là pauvreté : quand  il vous faut venir en aide à un pauvre, vous devenez tout à coup plus pauvre. que personne. au monde : s'agit-il de nourrir des parasites et des flatteurs, vous vous en. donnez à coeur joie, comme si vous puisiez la richesse à une source intarissable ; mais vous arrive-t-il de voir un pauvre, alors la crainte , de la pauvreté s'empare de vous. C'est pour, cela que nous serons condamnés un jour,. et par nous-mêmes et par les autres; tant justes que pécheurs. Car on vous dira : Pourquoi n'avez-vous pas montré la même libéralité dans les choses convenables? Voici un homme. qui, pour donner à une courtisane, n'a pas réfléchi à tout cela; et vous, pour offrir quelque secours à ce divin Maître qui vous a recommandé de n'avoir aucune inquiétude, vous voilà plein de trouble et de crainte. Quelle indulgence méritez-vous? Si un homme à qui vous faites du bien n'y reste pas indifférent, mais sait vous en tenir compte, à plus forte raison Jésus-Christ agira-t-il ainsi. Lui qui vous donne avant d'avoir rien reçu de vous, comment ne vous donnerait-il pas, quand il aura reçu quelque chose de vous?

Eh quoi ? direz-vous, quand je vois des gens qui après avoir tout sacrifié, non-seulement ne reçoivent rien en retour, mais ont ensuite eux-mêmes besoin d'autrui? A cela je répondrai : Vous me parlez là de ceux qui ont donné tous leurs biens, tandis que vous; vous ne donnez pas même une obole. Engagez-vous à vous dépouiller de tout, et vous demanderez ensuite comment font les autres ; mais tant que vous serez avare, et que vous ne donnerez qu'une très-faible portion de votre avoir, pourquoi toutes ces allégations, tous ces prétextes? Nous ne vous poussons pas jusqu'aux dernières limites de l'indigence, nous vous prions seulement de vous retrancher le superflu, et de vous contenter de ce qui suffit. Ce qui est suffisant, c'est ce dont on ne peut se passer pour vivre. Personne ne veut vous enlever cela, on ne veut pas vous interdire votre nourriture de chaque jour ; mais je dis nourriture et non pas délices (1) ; je dis vêtement, et

 

1. Il y a dans le grec un jeu de mots intraduisible sur trophen et truphen

 

non pas parure. Et même, en y regardant. bien, c'est là précisément que sont les délices. Car voyez : lequel des deux jugerons-nous être dans les plus grandes délices, de celui qui se nourrissant de légumes, jouit de la santé, et n'éprouve aucune souffrance, au de celui qui, avec une table digne des Sybarites, est accablé d'une foule de maladies? Evidemment c'est le premier. Eh bien donc, ne cherchons pas plus loin, si nous voulons à la fois vivre dans les délices et avoir la santé; que ce sait là pour nous la mesure de ce qui suffit. Tel se porte. bien en ne mangeant que des légumes secs , qu'il rie cherche pas autre chose ; tel autre, d'une santé plus faible , a besoin d'un régime d'herbes et de racines: on ne s'y oppose point. Si enfin le tempérament d'un troisième, plus délicat encore, exige l'usage modéré de la viande, nous ne la refuserons pas non plus. Car nos conseils n'ont pas pour but la perte et la destruction des hommes, mais le retranchement du superflu ; or le superflu, c'est ce qui dépasse nos besoins. Or, lorsque nous pouvons nous passer d'une chose, sans nuire à notre santé ni aux convenances; c'est une addition tout à fait superflue.

4. Calculons de la. sorte à l'égard de notre habillement, de notre table, de notre demeure, et de tout le reste, et ne cherchons en tout que le nécessaire. En effet, le superflu est même inutile. Et quand vous aurez travaillé à vous contenter de ce qui suffit, et. qu'alors vous voudrez imiter la veuve de l'Evangile, nous vous initierons à une plus grande perfection. Car vous n'êtes -pas arrivé à la haute sagesse de cette femme, tant que vous êtes préoccupé du nécessaire. Elle s'était élevée encore au dessus : elle avait sacrifié tout ce qui devait la nourrir. Et vous contesteriez encore sur la question du nécessaire? vous n'auriez pas honte d'être vaincu par une femme? Et loin de chercher à l'imiter, quelle supériorité ne lui laissez-vous pas sur vous? Elle ne disait pas comme vous autres : Eh quoi? si après avoir tout donné, j'étais forcée d'avoir recours aux autres? Non, elle s'est dépouillée avec libéralité de ce qu'elle possédait. Et que diriez-vous de la veuve de l'Ancien Testament, du temps du prophète Elie? (III Rois, XVII.) Celle-là ne courait pas seulement le risque d'être pauvre, mais elle était en danger de mourir, de perdre la vie, et non pas elle toute seule, mais encore ses enfants. En effet, elle (122) n'espérait l'assistance de personne; elle ne s'attendait qu'à une mort  prochaine. Mais, nous dit l'Ecriture, elle vit le prophète, et cela la rendit libérale. N'avez-vous pas les exemples d'une foule de saints ? Et pourquoi parler des saints? vous voyez le Maître des prophètes lui-même demander l'aumône, et vous redevenez pas encore charitables? vous avez des réserves qui débordent de toutes parts, et vous ne faites part à personne de votre superflu? Vous me direz : L'homme qui vint trouver cette veuve était un prophète, et cette circonstance la détermina à montrer tant de générosité. Mais cela même n'est-il pas fort surprenant, qu'elle fut ainsi persuadée qu'elle avait devant elle un grand homme, un personnage admirable? Comment. ne s'est-elle pas dit, ainsi que cela était naturel de la part d'une étrangère, d'une femme d'un autre pays : Si cet homme était prophète, il n'aurait pas besoin de moi ; s'il était l'ami de Dieu, Dieu ne l'aurait pas abandonné. Que les Juifs, pour leurs péchés, subissent ce châtiment, soit ! mais l'homme que voici , qu'a-t-il fait? pourquoi est-il puni? Mais au lieu de faire toutes ces réflexions, elle lui ouvrit sa maison, et avant cela, son coeur; elle lui apporta tout ce qu'elle possédait, et oubliant la nature, mettant de côté ses enfants, elle fit passer son hôte avant tout.

Songez donc au châtiment qui nous attend, nous qui avons moins de vertu, nous qui sommes plus faibles qu'une veuve, qu'une étrangère, qu'une inconnue, pauvre et mère de plusieurs enfants, à laquelle rien n'était révélé des mystères dont nous autres nous avons connaissance. Car ce n'est pas la vigueur du corps qui fait l'homme courageux. Celui-là seul possède cette vertu, fût-il sur un lit de douleur, chez qui la force procède de l'intérieur : comme aussi celui à qui cette force manque, quand même il serait assez robuste pour arracher des montagnes, je le déclare aussi faible qu'une jeune enfant, ou qu'une malheureuse vieille femme. Le premier lutte contre des maux immatériels que le second n'ose même pas envisager. Et pour vous convaincre que c'est bien en cela que consiste le courage, concluez de cet exemple même. Quoi de plus courageux que cette femme qui a bravé généreusement, et la tyrannie de la nature, et la violence de la faim, et les menaces de la mort, et qui a triomphé de tout cela ? Aussi, écoutez en quels termes le Christ fait son éloge : « Il y avait », dit-il, « beaucoup de veuves du temps d'Elie, et le prophète ne fut pas envoyé vers d'autre que celle-là ». (Luc. IV, 25.) Dirai-je quelque chose, de bien fort, quelque chose qui semblera étrange? Cette femme a dépassé en fait d'hospitalité notre père Abraham. Elle n'a point, comme lui, couru à son .troupeau, mais avec sa poignée de farine, elle a plus fait que tous ceux qui ont été renommés pour leur hospitalité. Le triomphe d'Abraham fut de s'acquitter par lui-même de cet office ; mais le triomphe de la veuve fut de n'épargner pas même ses enfants, pour l'amour de son hôte, et cela, sans attendre en retour les biens futurs.

Et nous, avec l'espérance du royaume des cieux, la menace de l'enfer, et au-dessus de tous les motifs, lorsque Dieu a tant fait pour nous, lorsque cette vertu lui plaît et le réjouit, nous languissons de la sorte ! Non, je vous en conjure : répandons nos largesses, donnons aux pauvres comme il faut donner. Car Dieu n'évalue pas la grande ou la petite quantité à la mesure de ce que l'on donne, mais aux ressources de celui qui donne. Souvent donc, vous qui avez apporté cent statères d'or, vous avez moins sacrifié que cet autre qui. n'a remis qu'une obole; car vous avez pris sur votre superflu. Mais n'importe : même dans ces conditions , donnez toujours ; vous en viendrez bientôt à plus de munificence. Répandez vos richesses, pour faire provision de justice. La justice ne saurait se trouver en compagnie des richesses : elle nous arrive par les richesses, mais non point avec elles. Il n'est pas possible que l'amour des richesses et la justice habitent ensemble; leur domaine est distinct. Ne vous acharnez donc pas à réunir des choses incompatibles, mais expulsez l'avarice, qui est une usurpatrice, si vous voulez accueillir la justice, qui est la souveraine légitime. Oui, c'est elle la véritable reine, qui d'esclaves nous rend libres; l'avarice fait tout le contraire. Employons donc tout notre zèle à fuir l'une et à nous attacher à l'autre, afin de jouir de la liberté ici-bas, et de posséder ensuite le royaume des cieux; puissions-nous, tous obtenir cette faveur, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, puissance et honneur au Père ainsi qu'au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.          

 

 

Traduit par M. E. MALVOISIN.

 

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