HOMÉLIE V

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HOMÉLIE V. ARRIVÉ DANS LA TROADE POUR Y PRÊCHER L'ÉVANGILE DU CHRIST; LA PORTE DE CE PAYS M'AYANT ÉTÉ OUVERTE DANS LE SEIGNEUR, MON ESPRIT N'EUT POINT DE REPOS; PARCE QUE JE N'Y TROUVAI POINT MON FRÈRE TITE. (II, 12, 13, JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE.)

 

Analyse.

 

1 et 2. Après avoir développé le sens de quelques versets, saint Chrysostome insiste sur les avantages d'une bonne conscience.

3. Le témoignage d'une bonne conscience est la gloire de l'homme.

4 et 5. Il traite ensuite du pardon des injures, et recommande de faire au démon une guerre acharnée.

 

1. Voilà des paroles indignes, ce semble, du grand apôtre; l'absence d'un frère lui fait perdre l’occasion de convertir les âmes. On ne voit d'ailleurs aucun lien .qui les unisse à ce qui précède. — Voulez-vous donc que je vous montre d'abord que saint Paul n'a riels dit qui fût indigne de lui? Ou bien voulez-vous que je vous fasse voir l'enchaînement de ses pensées? Il vaut mieux, je crois, commencer par ce second point ; il servira à nous faire comprendre le premier. Comment donc ces dernières paroles de l'apôtre se rattachent-elles aux précédentes? Pour le comprendre, reportons-nous à ce qu'il disait au commencement. — Que disait-il donc ? « Je ne veux pas que vous ignoriez les tribulations que nous avons a endurées en Asie, où nous avons été accablés outre mesure et au-dessus de nos forces ». Après avoir montré comment Dieu le délivra de ses maux, et ajouté ce que nous avons lu, il parle d'un nouveau genre d'affliction : il n'a point rencontré Tite dans. la Troade. Pour accabler son âme, c'est bien assez sans doute de supporter  tant de tribulations. Mais la souffrance n'est-elle pas encore plus vive quand on ne reçoit de consolations de personne, quand personne ne vient aider à supporter le poids du malheur. Or, Tite est ce même disciple dont Paul parle plus bas, disant qu'il est revenu de:Corinthe auprès de lui, à qui il donné de si grands éloges, et que dans la première épître, il dit avoir envoyé à Corinthe. C'est donc pour eux encore que saint Paul,a supporté cette affliction, et tel est le sens de ses paroles. Tout cela, vous le voyez, se lie donc très-bien à ce qui précède.

J'essaierai maintenant de vous prouver crue ces paroles ne sont pas indignes de saint Paul. Il ne dit pas en effet que l'absence de Tite ait retardé le salut de ceux qui devaient se convertir; ni que pour cette raison il ait négligé ceux qui déjà avaient embrassé la foi de l'Evangile, mais simplement que son esprit n'eut point de repos, c'est-à-dire que l'absence de ce (36) frère chéri le plongea dans la douleur et l'affliction. Il veut montrer par là combien l'absence d'un frère peut être pénible ; et la douleur qu'il ressentit le força de quitter ce pays. Que signifient ces paroles : «Après être venu dans la Troade pour l'Évangile ? » Je ne suis pas allé sans motif dans ce pays, mais bien pour y annoncer la parole de Dieu. C'était là le motif qui m'y avait amené; mon zèle trouvait une ample matière. « La porte », dit-il, « m'avait été ouverte dans le Seigneur ; je n'eus point de repos » ; mais cependant mon travail n'en fut point entravé. Pourquoi dit-il donc : « Prenant congé d'eux, je m'en allai? ».C'est-à-dire : les angoisses et la douleur ne rue permirent point d'y prolonger mon séjour. Peut-être même l'absence de Tite était-elle un obstacle aux travaux de l'apôtre ; c'est encore là un moyen de consoler les Corinthiens. Et en effet, la porte était ouverte à saint Paul, il était venu en Troade pour y prêcher l'Evangile; mais il n'y trouve point son frère, et aussitôt il quitte ce pays; à plus forte raison devez-vous nous pardonner en songeant à tant d'affaires pressantes, indispensables, qui nous mènent et nous ramènent, qui nous empêchent de nous rendre là où nous voudrions, et de prolonger notre séjour comme nous le souhaiterions.

Plus haut c'était déjà l'Esprit-Saint qui dirigeait ses voyages; maintenant c'est encore Dieu qui les détermine, car il, ajoute : « Or, je rends grâces à Dieu qui nous fait toujours triompher en Jésus-Christ, et qui répand en tout lieu par notre ministère, la bonne odeur  de sa connaissance (14) ». Bien loin de verser des larmes et de se lamenter, l'apôtre rend grâces à Dieu. Or voici le sens de ses paroles. Partout l'affliction, partout les angoisses : je suis venu en Asie; les souffrances y dépassaient mes forces. Je suis venu en Troade, je n'y ai point trouvé mon frère ; je n'ai pu venir chez vous, et j'en ai ressenti une vive tristesse, d'abord parce que beaucoup d'entre vous sont tombés dans le péché, ensuite parce queutais prisé de vous voir : « Ç'a été pour vous ménager que je ne suis pas allé à Corinthe », dit-il. Pour ne point paraître désolé, il ajoute non-seulement nous ne nous plaignons point de ces tribulations, mais nous nous en réjouissons; oui, nous nous en réjouissons non-seulement à cause des biens futurs, mais encore à cause des biens présents : car tout cela donne un nouveau lustre à notre gloire. Bien loin de nous en désoler, nous triomphons au contraire, et nous nous glorifions de tout ce qui nous est arrivé. Et Lest pourquoi l'apôtre disait : « Nous rendons grâces à Dieu qui nous fait triompher » ; c'est-à-dire, qui fait briller notre gloire aux yeux de tous. Ces persécutions qui semblent être un déshonneur , nous nous regardons comme très-honorés de les subir. Aussi, ne dit-il pas seulement : Qui nous rouvre de gloire; mais, « qui nous donne le triomphe », voulant montrer que ces persécutions lui élèvent partout de nombreux trophées contre le démon. Puis, après avoir indique le triomphateur, il fait connaître la cause du triomphe, et par là encore il relève les courages. Non-seulement c'est Dieu qui nous fait triompher, dit-il, mais nous triomphons en Jésus-Christ, c'est-à-dire, à cause de Jésus-Christ et de la prédication de l'Évangile. Puisqu’il s'agit d'un triomphe, et que nous portons le trophée, nous devons être en évidence, et par là-même couverts d'une gloire éclatante : « Et il manifeste en tous lieux par notre ministère la bonne odeur de sa connaissance ».

2. Tout à l'heure l'apôtre disait : « Qui nous fait triompher toujours », maintenant il dit : « en tous lieux »  pour montrer que tous les temps et tous les lieux sont remplis dès travaux apostoliques. Il emploie encore une autre métaphore, celle « d'un suave parfum » ; nous sommes aperçus de,tous, comme si nous portions des parfums : c'est la connaissance de Dieu qu'il compare à un parfum de grand prix. Il ne dit pas: la connaissance, mais le «parfum de la connaissance ». Telle est en effet la connaissance que nous avons de Dieu ici-bas, une connaissance qui est loin d'être claire et sans voiles. Et c'est  pourquoi, dans sa première épître, l'apôtre disait : « Nous voyons maintenant comme dans un miroir et en énigme ». ( I Cor. XIII, 12.) Ici, c'est à une odeur qu'il compare la connaissance que nous avons de Dieu. Une substance odorante, . cachée quelque part, se trahit par son odeur, mais la nature de cette substance, on ne peut. La connaître uniquement par son odeur; il faut avoir vu la substance elle-même. De même nous savons que Dieu existe, mais nous ne savons quelle est sa nature. Nous sommes donc, pour ainsi dire, un encensoir royal, et partout. nous allons, nous portons en quelque sorte un parfum céleste, une odeur spirituelle. Voilà (37) ce que disait saint Paul, afin de montrer la puissance de la prédication évangélique. Dresser des embûches aux apôtres, c'est donner tan nouvel éclat à leur gloire; en les persécutant, on rend l'univers entier témoin de leurs victoires, et on répand partout la suavité de leurs parfums. Ce que se proposait encore l'apôtre, c'était d'encourager les Corinthiens à supporter généreusement toutes les afflictions, toutes les tribulations, en leur montrant la gloire ineffable dont ils seraient environnés, même avant de recevoir les récompenses célestes.

« Nous sommes la bonne odeur du Christ pour Dieu dans tous ceux qui sont sauvés et dans ceux qui périssent (45) ». — Oui, dit-il, qu'un homme soit sauvé , ou qu'il périsse , l'Evangile n’en manifeste pas moins cette énergie qui lui est propre : si les yeux sont malades, le soleil les offusque; en est-il pour cela moins lumineux? Le miel est amer pour les infirmes; mais cependant n'est-il pas doux de sa nature? Ainsi l'Evangile exhale le parfum le plus suave; bien que plusieurs refusent de croire et, périssent. Ce n'est pas l'Evangile qui 'est cause de leur perte, mais bien la perversité de leurs cœurs. Au contraire la perte des hommes méchants et corrompus fait ressortir la douceur de l'Evangile. Et de la sorte les méchants qui se damnent comme les bons qui se sauvent, révèlent sa vertu. N'est-ce point par son éclat même que le soleil blesse les yeux des malades? Le Sauveur n'est-il point venu pour la ruine et la résurrection d'un grand nombre? Il n'en demeure, pas moins le Sauveur, quel que soit le nombre de ceux qui se perdent.: il a été présent au milieu des hommes, et il a puni d'autant plus sévèrement ceux qui ont refusé d'obéir; mais sa présence dans le monde n'en a pas été moins salutaire. Aussi l'apôtre dit-il : « Nous sommes une bonne odeur pour Dieu». C'est-à-dire , bien que plusieurs périssent, nous demeurons néanmoins ce que nous étions. Il ne dit pas d'une manière absolue : « Nous sommes une bonne odeur » mais « pour Dieu». C'est vers Dieu que s'élève cette odeur; il l'a pour agréable. Qui pourrait donc soulever la moindre objection. Ces paroles : « Nous sommes la bonne odeur du Christ », me semblent pouvoir s'entendre de deux manières. Les apôtres, en mourant pour Jésus-Christ, s'offrent eux-mêmes comme victimes.; ou bien encore, ils sont la bonne odeur de Jésus-Christ immolé ; comme si l'on disait : Le parfum que les apôtres exhalent est la bonne odeur de cette victime sainte. Tel est peut-être le sens de ce passage, ou bien,comme je l'ai dit plus haut, il signifie que chaque jour ils sont immolés pour le Christ. Voyez-vous comme saint Paul exalte les tribulations, en les nommant un triomphe, une bonne odeur, un sacrifice offert à Dieu.

Puis, après avoir dit : « Nous sommes la bonne odeur de Jésus-Christ dans ceux qui périssent »; pour empêcher que vous ne regardez ceux-ci comme agréables à Dieu , il ajoute : « Aux uns nous sommes une odeur de mort pour la mort; aux autres une odeur de vie pour la vie (46) ». Cette odeur, les uns la respirent pour être sauvés; d'autres, pour périt. Il en est donc qui trouvent la mort dans cette odeur, mais c'est leur faute. Les parfums, dit-on, suffoquent les porcs, et l'éclat de la lumière, comme je l'ai dit, plonge dans les ténèbres les yeux malades. C'est ainsi que les Substances les meilleures non-seulement guérissent les substances auxquelles elles conviennent, mais aussi font périr celles à qui elles ne conviennent pas: c'est en cela surtout que se montre leur énergie. Voyez le feu ! Ce n'est pas seulement quand il éclaire, quand il purifie l'air qu'il manifeste sa force; mais encore lorsqu'il ravage les épines. De même le Christ fait éclater sa grandeur; quand de son souffle il terrasse l'antéchrist, et l'écrase par la splendeur de son visage. « Et qui est capable de ces choses? » L'apôtre vient de tenir un langage magnifique, en disant : Nous sommes immolés pour le Christ, nous sommes une bonne odeur, partout nous triomphons; maintenant pour tempérer cette magnificence, il renvoie à Dieu toute la gloire : « Et qui est capable de ces choses?» Tout cela appartient au Christ ; nous ne devons rien nous attribuer à nous-mêmes. Quelle différence entre ce langage et celui des faux apôtres ! Ceux-ci se glorifiaient en effet comme si, dans la prédication de l'Evangile, ils avaient eu quelque mérite propre; mats saint Paul ne se glorifie que d'une chose, c'est de ne rien avoir en propre « Notre gloire dit-il , c'est ce témoignage de notre conscience que nous avons vécu dans le monde non pas selon la sagesse de la chair,  mais selon les mouvements de la grâce de Dieu ». (II Cor. I, 12.) Cette sagesse extérieure que les faux apôtres se glorifiaient de (38) posséder, saint Paul se glorifie de ne pas l'avoir; et c'est pourquoi il dit : « Et qui est capable de ces choses ? » Si nous n'en sommes point capables, elles sont donc l'oeuvre de la grâce : « Car nous ne ressemblons pas à tant d'autres qui corrompent la parole de Dieu (17) ».

3. Oui, nous avons dit de grandes choses; mais nous avons protesté que tous ces succès ne nous appartiennent pas, qu'ils appartiennent à Jésus-Christ. Nous ne voulons pas imiter les faux apôtres qui revendiquent pour eux toute la gloire. N'est-ce pas un trafic honteux, que de mêler l'eau au vin, que de vendre à prix d'argent, ce que l'on doit donner gratuitement? Saint Paul se raille ici de leur amour pour les richesses ; il veut aussi faire comprendre qu'ils , mêlent leurs propres intérêts aux intérêts de Dieu. Isaïe adressait dé son temps le même reproche : « Tes cabaretiers mêlent l'eau avec le vin». Sans doute le prophète parle de vin; mais ce n'est point se tromper pourtant que d'entendre ces peuples de l'enseignement de la vérité. Pour nous, dit l'apôtre , nous n'agissons point de la sorte. Mais tout ce que l'on nous a confié, nous le distribuons, et nous offrons toujours une doctrine sans mélange. C'est pourquoi il ajoute : « Nous parlons avec sincérité, comme au nom de Dieu, en présence de Dieu et dans le Christ ». Ce n'est point pour vous tromper que nous prêchons, ni pour vous flatter, ni pour vous faire admettre nos propres idées mêlées à celles du Seigneur; mais nous vous prêchons au nom de Dieu, c'est-à-dire, nous ne vous disons point que nous vous enseignons notre propre doctrine, mais que tout nous vient de Dieu. Tel est le sens de cette parole : « Au nom de Dieu ». Nous ne nous glorifions point comme si nous avions quelque chose en propre; mais c'est à liai que nous . renvoyons toute la gloire : « Nous parlons dans le Christ », inspirés non par notre propre sagesse, mais par sa puissance. Quand on se glorifie, parle-t-on de la sorte? Non, mais on s'attribue tout à soi-même. Ce sont encore les faux apôtres qu'il attaque ailleurs en ces termes: « Qu'avez-vous que vous n'ayez reçu? et si vous l'avez reçu, pourquoi vous en glorifier, comme si vous ne l'aviez pas reçu? »

La plus grande de toutes les vertus, c'est de tout attribuer à Dieu, de ne rien s'attribuer à soi-même, de ne rien faire en vue de la gloire humaine, mais de faire toutes choses pour se conformer à la volonté de Dieu. Car c'est lui qui nous demandera compte des actions de nôtre vie. Eh bien ! L'ordre n'est-il point renversé ? Celui qui sera assis sur son tribunal, qui nous demandera compte de notre vie, le craignons-nous? Et ne tremblons-nous pas au contraire devant ceux qui se tiendront devant lui pour être jugés avec nous? Quelle étrange maladie ! Comment se fait-il qu'elle ait envahi nos âmes? C'est que nous ne songeons pas assez à la vie future, et que nous demeurons trop attachés aux biens présents. Et c'est pourquoi nous tombons si facilement dans des actions coupables, et, si nous faisons quelque bien, c'est par ostentation que nous le faisons, en Sorte que. ce bien même nous devient funeste. Cet homme a jeté des regards immodestes sur une femme; celte-ci ne s'en est peint aperçue non plus que les autres; mais l'oeil vigilant du Seigneur l'a remarqué. Oui, cet oeil a pénétré, même avant que la faute eût été commise, cette âme impudique, cette passion intérieure, ces pensées qui s'agitaient comme une tempête furieuse. A-t-il besoin de témoins et de preuves, celui à qui toutes choses sont connues? Ne considérez donc point les compagnons de votre misère: l'homme aura beau vous louer, si Dieu ne vous accueille favorablement; et c'est en vain que l'homme vous condamnera ; vous ne souffrirez point de cette condamnation, si Dieu lui-même ne vous condamne point. Prenez garde, vous irriterez votre juge, si vous tenez compte de vos compagnons, si vous ne montrez ni crainte ni effroi devant son visage indigné.

Méprisons donc cette gloire qui vient des hommes. Jusques à quand travaillerons-nous à nous avilir et à nous dégrader? Dieu veut nous élever au ciel; jusques à quand persisterons-ous à ramper sur la terre? Si les frères de Joseph avaient eu la Crainte de Dieu devant les yeux, ils ne se seraient pas emparés de lui dans le désert pour le faire mourir. Et Caïn,.s'il eût redouté le jugement de Dieu , aurait-il dit à Abel : « Viens, et sortons dans la campagne ». Quoi donc, ô lâche, ô misérable, tu l'entraînes loin de son père et tu l'emmènes dans la campagne ! Mais au milieu des champs, Dieu ne verra-t-il point ton crime? Ce qui est arrivé à ton père n'a-t-il pu t'apprendre que Dieu sait tout et (39) qu'il assiste à toutes tes actions? Pourquoi, lorsque Caïn niait son crime, Dieu ne lui dit-il pas : Peux-tu m'échapper à moi qui suis présent partout et qui connais ce qu'il y a de plus secret? C'est que le coupable ne pouvait comprendre ce langage. Que lui dit-il donc? « La voix du sang de ton frère crie vers moi ». Ce n'est pas que le sang ait une voix, mais Dieu parle, comme nous parlons de toute chose évidente et manifeste : Cette choses crie, disons-nous. Il faut donc avoir sans cesse devant,les yeux le jugement de Dieu; et bientôt le mal aura disparu. Nous pouvons avoir la même attention dans nos prières, si nous songeons quel est celui auquel nous notes adressons,si nous nous rappelons que nous offrons un sacrifice, que nous portons dans nos mains le glaive, le feu, le bois; si par la pensée nous ouvrons les portes du ciel, si nous nous y transportons, si ce glaive de l'esprit nous l'enfonçons dans la gorge de la victime, si nous offrons à (Esprit-Saint notre vigilance, si nous répandons des larmes. Les larmes, voilà le sang de la victime : ce sont elles qu'il faut faire fouler sur l’autel du sacrifice. Ne souffrez pas qu'en ce moment aucune pensée humaine occupe votre âme.

4. Rappelez -vous qu'Abraham,  lorsqu'il offrit son sacrifice, n'admit en sa présence ni. son épouse, ni son serviteur, ni personne autre. Vous non plus, ne souffrez pas qu'aucune passion servile, indigne des enfants de Dieu vienne occuper votre coeur ; allez tout seul sur la montagne que gravit Abraham, sans. permettre à personne de. la gravir avec lui. Que si des pensées humaines veulent monter avec vous, commandez-leur avec autorité; dites leur : Restez ici; mon fils et moi nous reviendrons, après avoir adoré. Laissez donc au pied de la montagne l'ânesse, les serviteurs, tout ce qui est dépourvu de siens et de pensées. Prenez avec vous ce qui est doué d’intelligence et montez, comme Abraham monta avec Isaac. Comme le patriarche, élevez un autel ; dépouillez-vous de toute humaine pensée, élevez-vous au-dessus de la nature. Eût-il immolé son fils, s'il ne se fût lui-même élevé au-dessus de la nature? Que rien ne vienne vous troubler dans votre oraison; élevez-vous au-dessus du ciel même; poussez d'amers gémissements; offrez à Dieu, comme un sacrifice, la confession de vos fautes : « Commencez par confesser, vos iniquités, afin d'être par là justifié ». Offrez-lui la contrition de votre~coeur. Voilà des victimes qui ne sont pas réduites en cendres, qui ne se dissipent pas en fume, pour lesquelles vous n'avez besoin ni de bois ni de feu, mais seulement d'une âme remplie de componction c'est le bois, c'est le feu qui brûle ces victimes, sans les consumer. Celui qui prie avec ferveur, est brûlé, mais il n'est point consumé ; son éclat redouble comme celui de l'or que le feu vient d'éprouver.

Gardez-vous encore de prononcer aucune parole capable d'irriter le Seigneur, et ne l'invoquez point non plus contre vos ennemis. Si c'est déjà une honte d'avoir des ennemis, songez quel mal ce serait de prier contre eux ! Loin de vous . excuser d'avoir des ennemis, vous iriez encore les accuser devant Dieu Et comment obtiendrez-vous votre pardon, si vous les accusez au moment même où vous implorez miséricorde pour Vous? N'est-ce pas en effet le pardon de vos péchés que Nous sollicitez dans votre prière: ne vous souvenez donc, pas des péchés d'autrui; autrement vous réveilleriez. le souvenir des vôtres. Si vous dites: frappez mon ennemi; vous vous fermez la bouche, vous enlevez toute liberté à votre languie, N'excitez-vous pas en effet dès le commencement la colère du Seigneur; et ensuite ne demandez-vous pas précisément le contraire de ce qu'il faudrait demander? Si en effet vous priez pour obtenir la rémission de vos péchés, comment se fait-il qu'en même temps vous, sollicitiez-la punition des autres? C'est le contraire que vous deviez faire : il fallait prier polir vos ennemis, afin de pouvoir aussi prier avec confiance pour vous-mêmes. Vous prévenez la sentence du juge par votre propre sentence, puisque vous déclarez les pécheurs dignes d'une punition : comment seriez-vous . encore excusables ? Priez pour eux, et alors vous n'avez pas même besoin de dire un mot de vos propres fautes : tout est fait. Rappelez-vous combien la Loi prescrivait de sacrifices : le sacrifice de louange, le sacrifice de la confession, le sacrifice dû salut, le sacrifice d'expiation et tant d'autres; mais je ne vois pas qu'elle en prescrive aucun contre les ennemis, tous au contraire ont pour objet nos propres péchés ou nos bonnes oeuvres.

Quel Dieu priez-vous donc? N'est-ce pas celui qui a dit : « Priez pour vos ennemis ? » (40) (Matth. v, 44.) Comment osez-vous donc élever la voix contre eux ? Comment pouvez-vous prier Dieu d'enfreindre sa propre loi? Rien qui convienne moins au rôle de suppliant personne ne supplie pour qu'un autre périsse; mais on implore son propre salut. Pourquoi donc jouer le rôle de suppliant avec des paroles d'accusateur? Quand nous prions pour nous-mêmes, nous nous remuons, nous nous agitons, nous nous laissons aller à mille pensées étrangères ; mais quand nous prions contre nos ennemis, nous le faisons avec attention et avec ardeur. Le diable sait bien que nous nous enfonçons alors un glaive dans la poitrine; et c'est pourquoi il se garde bien de nous distraire, de détourner notre attention; il veut nous causer ainsi tout le mal. possible. — Mais, direz-vous, on m'a fait injure, on m'a blessé. — Eh bien , priez donc contre le démon, qui nous outragé plus que personne ne le fait. On vous prescrit de dire dans votre prière : « Délivrez-nous du malin ». (Matth. VI, 93.) Voilà votre implacable ennemi mais l'homme, quoi qu'il vous fasse, est votre ami et votre frère. :Aussi lançons-nous tous contre lui, prions Dieu contre lui; et disons: Brisez Satan sous nos pieds. C'est lui qui nous suscite des ennemis. Si vous priez contre vos ennemis, vous accomplissez le plus ardent de ses voeux; mais en priant pour vos ennemis, c'est contre lui que vous priez. Pourquoi donc laisser de côté votre véritable ennemi, pour dévorer vos membres, vous montrant ainsi plus cruels que les bêtes. féroces? — Mais, dites-vous, on m'a outragé; on m'a enlevé mes biens. — Qui donc est le plus à plaindre, de celui qui supporte l'outrage ou d'e celui qui le fait? S'enrichir à vos dépens, c'est perdre l'amitié de Dieu, et le dommage l'emporte Sur le gain. Agir de la sorte; c'est se nuire à soi-même. Au lieu de prier contre votre ennemi, priez pour lui, pour que Dieu lui fasse miséricorde.

5. Que de souffrances n'endurèrent pas les trois jeunes Hébreux, sans avoir fait aucun mât. Emmenés loin de leur patrie, privés de toute liberté; captifs, esclaves sur une terre étrangère, dans un pays barbare, ils étaient menacés de mort, sans motif, sans raison, uniquement à cause d'ut1 songe qu'avait eu le roi. Quand ils furent réunis à Daniel quelle fut leur prière? Que dirent-ils? Brisez Nabuchodonosor, arrachez-lui son diadème, précipitez-le de son trône ? — Non, ils ne demandèrent rien de semblable ; au contraire ils imploraient sur lui la divine miséricorde. Dans la fournaise, ils firent de même. Et vous, que faites-vous? Vous avez moins souffert qu'eux, et la plupart du temps vos souffrances étaient bien méritées, et cependant vous ne cessez de charger vos ennemis d'imprécations. L'un s'écrie : Seigneur, renversez pion ennemi ; comme vous avez précipité dans les flots le char de Pharaon ; l'autre : frappez-le dans sa chair; un troisième, punissez-le dans ses enfants. Ne reconnaissez-vous point votre langage ?

Pourquoi riez-vous donc? voyez-vous combien tout cela devient ridicule, dès que la passion est absente? Retranchez la passion, et vous verrez aussitôt combien le péché renferme de honte. Il suffit dé rappeler à celui qui s'est irrité, les paroles qu'il a proférées dans sa colère pour qu'il ait honte de lui-même, et il aimerait mieux souffrir toutes sortes de maux plutôt que d'avoir prononcé de telles paroles. Mettez un impudique en présence de la femme qu'il a violée; il s'en détournera avec horreur. Maintenant que vous n'éprouvez point de passion contre vos ennemis, vous riez en entendant les paroles que je viens de prononcée: elles sont en effet ridicules, dianes d'une vieille femme en état d'ivresse qui se prend de querelle avec une autre.

Joseph avait été vendu, réduit en servitude, jeté en prison; néanmoins il ne lui échappa . pas un seul mot d'amertume contre ceux qui l'avaient outragé. Que disait-il? « J'ai été enlevé furtivement de la terre des Hébreux ». (Gen. XL, 15) Il ne dit point par qui. Il rougit du crime de ses frères, plus qu'ils n'en rougissaient eux-mêmes. Telles doivent être nos dispositions : éprouvons pour ceux qui nous ont injuriés, une douleur plus vive qu'ils ne l'éprouvent eux-mêmes. Car tout le dommage est pour eux. Si vous voyez un homme lancer des coups de pied contre des clous, et s'enorgueillir de sa bravoure, vous vous prendriez de pitié, vous verseriez des larmes à la vue d'une telle démence. De même vous devez plaindre, et non maudire ceux qui vous outragent, sans que vous leur ayez fait aucun mal : car ils font une grave blessure à leur âme. Quoi de plus criminel qu'une âme qui fait des imprécations? Quoi de plus impure qu'une langue qui offre de tels sacrifices? Vous êtes (41) hommes; ne vomissez point le venin des aspics; vous êtes hommes; ne vous changez pas en bêtes féroces. La bouche vous a été donnée, non pour mordre, mais pour guérir les blessures du prochain. Souvenez-vous de mes commandements, dit le Seigneur; je vous ai prescrit de remettre et de pardonner. Et vous me demandez de me joindre à vous pour renverser mes préceptes; vous rongez votre frère, vous ensanglantez vos dents, vous ressemblez à ces furieux qui enfoncent leurs dents dans leurs propres chairs. Quelle joie doit ressentir le démon, quels éclats de rire il doit poisser, en entendant votre prière ! Mais aussi que le Seigneur doit être irrité contre vous, et qu'il doit vous haïr, quand vous le priez de la sorte. Rien de plus fâcheux qu'une telle conduite. On ne peut s'approcher des saints mystères avec du ressentiment contre ses ennemis; mais si, non contents de les haïr, vous faites des imprécations contre eux, on doit vous interdire jusqu'à l'entrée du temple. Pleins de ces pensées, nous rappelant l'objet de l'auguste sacrifice , dans lequel le Christ s'est immolé pour ses ennemis, mettons tous nos soins à n'avoir pas même un ennemi ; si nous en avons. un, prions pour lui ; afin d'obtenir nous-mêmes te pardon de nos fautes, et de pouvoir nous présenter avec confiance devant le tribunal du Christ, à qui soit gloire, empire, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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