SERMON CCCLIV
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SERMON CCCLIV.

A CEUX QUI GARDENT LA CHASTETÉ.

 

ANALYSE. — Ce sont eux principalement qui font partie du corps de Jésus-Christ. Aussi doivent-ils s'attendre à souffrir, non-seulement des ennemis extérieurs, mais surtout des ennemis domestiques de la religion. Eh ! comment pourraient-ils se purifier et prier pour leurs ennemis, s'ils ne rencontraient point d'ennemis ? Ils doivent aussi prendre bien garde de se laisser aller à l'orgueil : c'est l'orgueil qui a perdu les mauvais anges ; c'est l'orgueil qui engendre l'envie en détruisant la charité ; c'est pour préserver saint Paul de l'orgueil que Dieu l'a laissé, malgré ses instances, en butte aux tentations humiliantes de la chair. Vous qui gardez la chasteté, précautionnez-vous contre l'orgueil ; n'oubliez pas que si les chrétiens mariés doivent occuper au ciel une moindre place que ceux qui conservent leur virginité, ces derniers en se laissant aller à l'orgueil n'y en occuperont absolument aucune.

 

1. Le Seigneur nous a appris, durant la lecture de l'Évangile, que croire en lui c'est croire en celui qui l'a envoyé . Que le Sauveur du monde nous ait été envoyé, c'est ce qu'atteste la foi la plus véridique. Le Christ lui-même ne prêche-t-il pas que le Christ, c'est-à-dire le corps du Christ, est répandu dans tout l'univers ? En effet, il était déjà au ciel, et à un persécuteur acharné sur la terre il criait : « Pourquoi me persécutes-tu (1) ? » C'était dire expressément qu'il est également ici, au milieu de nous. Ainsi il grandit dans tout lui-même ; car s'il est ici en nous, là, nous sommes en lui, et c'est ce que opère l'union de la charité. Il est tout à la fois notre chef et le sauveur de son corps. Voilà pourquoi on peut dire que le Christ prêche le Christ, et que le corps prêche la tête, et que le chef soutient son corps.

Voilà pourquoi encore nous sommes en butte à la haine du monde, comme nous l'a dit formellement le Seigneur (2) . Il ne s'arrêtait pas à ce petit nombre d'Apôtres quand il leur déclarait que le monde les haïssait et qu'ils devaient se réjouir lorsque les hommes les calomniaient et publiaient contre eux toute sorte de blâmes, puisque leur récompense ne ferait pour cela que s'accroître dans le ciel (3) ; non, il ne s'arrêtait pas aux seuls Apôtres lorsqu'il parlait ainsi ; il s'adressait à tout son corps, il s'adressait à tous ses membres. Ainsi, quiconque voudra faire partie de son corps, être l'un de ses membres, ne doit pas s'étonner d'être haï par le monde.

 

1 Jean, XII, 44. — 2 Act. IX, 4. — 3 Jean, XV, 18-21. — 4 Matt, V, 11, 12.

2.    Il est vrai, beaucoup reçoivent le sacrement de son corps ; mais tous ceux qui le reçoivent n'obtiendront pas devant lui la place promise à ses membres. Presque tous répètent que le saint Sacrement est son corps même, parce que tous paissent dans ses pâturages ; mais il viendra faire la grande séparation, placer les uns à droite et les autres à gauche. De part et d'autre on dira : « Seigneur, Seigneur, quand vous avons-nous vu et servi ? » ou bien : « Seigneur, quand vous avons-nous vu sans vous servir ? » Ainsi on parlera de chaque côté, mais à un côté seulement il sera dit : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume » ; et à l'autre : « Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges (1) ».

Ainsi donc, mes très-chers frères, nous qui sommes avec une conscience pure les membres du Christ, nous ne devons pas croire que nos seuls ennemis soient ceux qui le sont ouvertement. Nos pires ennemis sont assurément ceux qui semblent être de la famille et qui n'en sont pas, car ils aiment le monde et c'est ce qui les rend mauvais. Ils s'imaginent voir en nous ce qui les attire, et à l'aspect de cette espèce de prospérité dont nous gémissons, ils nous portent envie. Ils font consister notre bonheur dans ce qui nous met en danger de périr ; mais ils ne connaissent point notre félicité intérieure pour n'y avoir pas goûté. Ils ignorent, hélas ! que toutes les caresses temporelles du monde sont pour nous un péril plutôt qu'un honneur ; ils ne savent pas distinguer la joie de la joie.

 

1 Matt. XXV, 31-41.

 

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3.    C’est ce qui nous porte à adresser à votre charité des paroles d’encouragement, aujourd'hui surtout que nous vous voyons réunis en plus grand nombre, vous qui nourrissez un dessein plus élevé, car vous occupez par la grâce de Dieu, et non à cause de vos mérites, une place distinguée dans le corps même du Christ, en gardant la continence qui est un don du ciel. Les méchants et les envieux la suspectent en effet. Mais si elle est attaquée, c’est pour être éprouvée. Si nous cherchions les louanges humaines en taisant profession de continence, le blâme humain nous ferait succomber. Serviteur de Dieu, tu es chaste ; le monde toutefois te soupçonne peut-être d’être immoral, il te harcèle, il te blâme, il s’arrête volontiers au mal qu’on dit de toi, car les soupçons mauvais sont comme la douce pâture d’une âme malveillante : si donc le désir de l’estime des hommes t’a porté à embrasser la continence, dès que tu ne recueilles que leurs sarcasmes, tu es vaincu, tu perds tout ce que tu espérais gagner. Si au contraire tu sais dire avec l’Apôtre : « Notre gloire est dans le témoignage de notre conscience (1) »; loin de diminuer la récompense, la critique ne fait que la rendre plus ample. Prie toutefois pour ton détracteur, afin que ta récompense ne soit pas sa mort. C’est la une épreuve pour nous, mes bien-aimés. Effectivement, si nous n’avions pas d’ennemis, nous ne pourrions accomplir ce précepte imposé par Notre-Seigneur : « Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous haïssent (2) ». Comment savoir, comment demander à notre cœur si nous pouvons obéir à cet ordre, quand nous ne sentons ni ennemi, ni diffamateur, ni détracteur, ni mauvaise langue? Ainsi, vous reconnaissez que les méchants mêmes sont nécessaires aux bons. Ce monde est pour nous comme la fournaise de l’orfèvre. N’es-tu pas de l’or? tu brûles avec la paille. En es-tu au contraire? le méchant est pour loi la paille. Es-tu paille aussi? vous deviendrez fumée l'un et l’autre.

4.    Toutefois sachez d’abord, mes bien-aimés, que dans le corps du Christ il n’y a pas seulement les membres les plus nobles. La vie conjugale a son mérite aussi et sa place dans le corps du Sauveur. Est-ce qu’il n’y a, dans notre corps, que les membres les plus noblement placés, comme les sens de la tête

 

1 II Cor. I, 12. — 2 Matt. V, 11.

 

qui en occupent la partie supérieure? Mais si les pieds ne nous portaient, tout ce qu’il y a en nous de plus élevé serait gisant sur la terre. Aussi l’Apôtre dit-il : « Nos membres les moins nobles sont les plus nécessaires;  Dieu a réglé le corps de manière à ce qu’il n’y ait en lui aucune scission (1) ». Or, nous le savons, si les membres du Christ qui mènent la vie conjugale, sont réellement des membres du Christ, en d’autres termes, s’ils sont fidèles, s’ils espèrent ou attendent le siècle à venir, s’ils savent pourquoi ils portent le signe du Christ, autant nous voyons qu’ils vous honorent, autant nous jugeons qu’ils préfèrent votre vertu à la leur. Mais plus ils vous honorent, plus à votre tour vous devez les honorer vous-mêmes. Car s’il y a en vous quelque sainteté, craignez de la perdre. Comment? Par l’orgueil. Un homme chaste peut perdre sa sainteté par l’orgueil aussi bien que par l’adultère. Je l’ose même dire : si ceux qui mènent la vie conjugale se tiennent à l’humilité, ils valent mieux que ceux qui sont chastes et orgueilleux. Pour constater cette vérité, que votre charité considère le diable : au jugement de Dieu, lui reprochera-t-on l’adultère ou la fornication ? N’ayant point de corps, il ne commet aucun de ces crimes. Il n’y a eu que l’orgueil, que l’envie, pour le jeter aux feux éternels.

5.    C’est qu’une fois gagné par l’orgueil, un serviteur de Dieu est promptement envieux; il est impossible que l’orgueilleux ne soit pas esclave de l’envie; l’envie est la fille de l’orgueil; l’orgueil ne saurait être stérile, il enfante aussitôt qu’il est quelque part. Pour l’éloigner de vous, songez qu’au temps des persécutions sainte Crispine, femme mariée, fut couronnée comme la vierge Agnès; on vit même alors, sans aucun doute, des vierges succomber, et grand nombre d’époux et d’épouses combattre et triompher. Aussi n’est-ce pas en vain que l’Apôtre dit à tous les membres du Christ : « Que chacun de vous croie les « autres au-dessus de soi; de plus, honorez-vous avec prévenance les uns les autres (2) ». Avec ces pensées, vous ne serez pas grands dans votre esprit; aussi bien devez-vous vous occuper de ce qui vous manque, plutôt que le ce que vous avez. Ce que tu possèdes, prends garde de le perdre; ce que tu n’as pas encore, demande à l’avoir. Tu dois envisager

 

1 I Cor. XII, 23-25. — 2 Philipp. II, 3 ; Rom. XII, 10.

 

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en quoi tu faiblis, et non en quoi lu l’emportes. Penses-tu à ce qui t’élève au-dessus d’autrui ? crains l’enflure. Penses-tu au contraire à tout ce qui te manque? tu gémis alors, ces gémissements sont pour toi un remède, tu deviendras humble, tu vivras en sûreté, également éloigné du précipice et de l’enflure.

6.    Ah! si tous pouvaient n’occuper leur esprit que de charité! D’elle seule en effet on peut dire qu’elle l’emporte sur tout, que sans elle tout est sans valeur, et que partout où elle est elle attire tout à elle. Elle est exempte d’envie. Tu veux en savoir la raison? Prête l’oreille à ce qui suit : « Elle ne s’enfle point (1)». Le premier des vices est l’orgueil, j’avais commencé à le dire ; vient ensuite l’envie, car ce n’est pas l’envie qui engendre l’orgueil, mais l’orgueil qui produit l’envie. Quand est-on envieux, sinon quand on aime la supériorité? Or, cet amour de la supériorité est ce qu’on appelle l’orgueil. Maintenant l’orgueil venant en premier lieu et l’envie ensuite, l’Apôtre en faisant l’éloge de la charité, n’a point voulu dire d’abord : « Elle ne s’enfle point », pour ajouter : « Elle n’est pas envieuse ». Il a dit d’abord : « Elle n’est point envieuse », puis : « Elle ne s’enfle point ». Pourquoi? Il a prévu qu’après avoir entendu que la charité « n’est point envieuse », tu pourrais lui en demander la raison ; c’est alors qu’il a ajouté : « Elle ne s’enfle point». Par conséquent, dès qu’on n’est pas envieux quand on n’est pas enflé, il s’ensuit que si l’on était enflé on serait envieux. Eloignez-vous de plus en plus de l’orgueil et de l’envie, et moins notre âme est enflée, plus elle se solidifie en quelque sorte.

« La science enfle », dit l’Apôtre. Eh! s’ensuit-il que vous devez la fuir et préférer ne rien savoir pour échapper à l’enflure? Mais si l’ignorance vaut mieux que la science, pourquoi vous prêchons-nous? pourquoi discutons-nous, éclaircissons-nous les questions devant vous? Pourquoi, s’il faut éviter la science pour être préservé de l’enflure, vous rappeler ce que vous savez, et vous apprendre ce que vous ignorez encore? Aimez donc la science, mais préférez la charité. Si la science est seule, elle enfle; mais comme « la charité édifie (2)», la charité ne laisse point enfler la science. Ainsi donc la science n’enfle que la

 

1 I Cor. XIII, 4. — 2 I Cor. VIII, 1.

 

où n'édifie point la charité ; mais partout où la charité édifie, la science est ferme : rien de creux, quand la pierre même sert de fondement.

7. Combien ne sont pas redoutables les tentations de l'enflure, c'est-à-dire de l'orgueil, puisqu'afin d'échapper à ce vice, un si grand Apôtre nous assure que près de lui et pour le souffleter fut placé l'aiguillon de la chair, l'ange de Satan ! Être souffleté, c'est être frappé à la tête, pour qu'elle ne se dresse point. Aussi bien était-il à craindre que l'Apôtre même ne fût porté à s'enfler, ou à s'enorgueillir de sa science, « Dans la crainte, dit-il, que je ne m'élève de la grandeur de mes révélations ». Oui, la révélation de ces grands mystères faisait craindre l'orgueil. « Dans la crainte que je ne m'élève de la grandeur de mes révélations, il m'a été donné un aiguillon dans ma chair, un ange de Satan pour me souffleter. C'est pourquoi j'ai demandé trois fois au Seigneur de le retirer de moi ; et il m'a dit : Ma grâce le suffit, car la vertu se perfectionne dans la faiblesse (1)  ». Voilà donc un malade qui prie le médecin d'éloigner de lui, quand il le désire, ce que lui applique le médecin pour le guérir. Non, répond le médecin, le remède cuit, mais il guérit. Tu t'écries : Enlevez-le, car il me fait mal. Je ne l'enlèverai pas, réplique le médecin, car il te fait du bien. Pourquoi t'es-tu adressé au médecin ? Est-ce pour guérir ou pour ne rien souffrir ?

Ainsi donc saint Paul ne fut pas exaucé selon ses désirs, mais il le fut pour sa guérison. Ce n'est pas un bonheur, non, ce n'est pas un bonheur d'être exaucés par Dieu selon nos désirs. Ne croyez pas que ce soit un grand bien, pour un homme qui prie, de voir ses vœux exaucés. Que demande cet homme ? en quoi est-il exaucé ? Non, ne vous figurez pas que c'est un grand bien pour vous d'être exaucés selon vos désirs ; le grand bien c'est de l'être pour votre utilité réelle. Les démons eux-mêmes ne furent-ils pas exaucés selon leurs désirs, lorsqu'ils demandèrent et qu'ils reçurent la permission d'entrer dans des pourceaux (2) ? Leur prince même, le diable, ne fut-il pas exaucé également selon ses désirs, lorsqu'il demanda et qu'il reçut la permission de tenter Job, pour éprouver celui-ci et pour se couvrir lui-même de confusion (3)? Les Israélites

 

1 II Cor. XII, 7-9. — 2 Matt. VIII, 31,32. — 3 Job, I, 1 et 2.

 

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également furent exaucés selon leurs désirs; mais vous savez ce qui leur arriva, lorsqu’ils avaient encore la nourriture à la bouche Ne voyez donc pas un grand bonheur à être exaucé selon ses désirs. Parfois Dieu accorde dans sa colère ce qu’on lui demande, et il le refuse parfois dans sa clémence. Implorez-vous de lui, cependant, ce que lui-même loue, ce qu’il commande, ce qu’il promet pour le siècle à venir? Implorez sans crainte et, pour l’obtenir, appliquez-vous de toutes vos forces à la prière. C’est dans sa bonté que Dieu accorde ces sortes de biens, il les répand, non dans sa colère, mais dans sa miséricorde. Au contraire, lorsque vous demandez des avantages temporels, demandez les avec retenue, demandez-les avec crainte; remettez à Dieu de vous les accorder s’ils vous doivent être utiles, de vous les refuser s’ils doivent vous nuire. Le médecin, et non le malade, sait ce qui est bon et ce qui ne l’est pas.

8.    Parmi ceux qui gardent la chasteté, il en est donc qui sont humbles, d’autres qui sont orgueilleux. Ah! que les orgueilleux ne se promettent pas le royaume de Dieu ! la place où conduit la continence est bien élevée ; cependant «qui s’élève sera abaissé (2) ». Pourquoi tendre à cette haute place en aspirant à la grandeur, quand tu peux y parvenir en conservant l'humilité? Si tu t’élèves, Dieu t’abaisse; si tu t’abaisses, il t’élève. C’est l’arrêt du Seigneur; on n’y peut ni ajouter ni retrancher. Néanmoins il est souvent des hommes chastes qui s’enorgueillissent jusqu’à se montrer ingrats non-seulement envers d’autres hommes, mais encore envers leurs propres parents, jusqu’à se roidir vis-à-vis de ces derniers. Pourquoi ? C’est que, disent-ils, ces parents nous ont donné le jour, tandis que, nous, nous avons dédaigné l’union conjugale. Eh ! d’où leur viendrait cette ingratitude pour leur dédain de l’union conjugale, s’ils n’avaient reçu le jour de leurs parent ? — Toutefois, en tant qu’il ne s’est point marié, un fils l’emporte sur son père, et une fille sur sa mère en tant que la fille n’a pas, comme sa mère, convoité d’alliance. — Si l’enfant est plus orgueilleux, il est loin d’être meilleur; s’il est meilleur, c’est qu’il est plus humble assurément. Veux-tu savoir si lues meilleur? Interroge ton âme : y vois-tu de

 

1 Nomb. XI. — 2 Luc, XIV, 11.

 

l’enflure? Toute enflure est du vide; or, partout où le diable rencontre du vide, il essaie de s’y faire un nid.

9.    J’ose même avancer, mes frères, qu’il est bon de tomber, pour les orgueilleux qui sont chastes, afin que l’humilité vienne en eux de ce qui faisait leur orgueil. Qu’importe la continence, quand on est dominé par l’orgueil? On méprise alors ce qui a donné la vie, et on recherche ce qui a fait tomber le diable. Tu as rejeté le mariage; c’est bien, tu as choisi un état meilleur : mais prends garde à l’orgueil ; si le mariage donne la vie à l’homme, c’est l’orgueil qui a fait la ruine des anges. A considérer les avantages qui sont en vous, tu vaux mieux que ton père, toi qui as repoussé le mariage, et toi qui l’as repoussé aussi, en cela tu vaux mieux que ta mère; car à la pudeur conjugale est préférable la sainteté virginale; en comparant ces deux états, qui doute que le second ait plus de mérite que le premier? Mettons en présence deux autres choses, l’orgueil et l’humilité; je vais vous questionner à ce sujet, répondez : De l’humilité ou de l’orgueil, qui l’emporte? — L’humilité, réponds-tu. — Joins-la à la sainteté virginale. Quant à l’orgueil, écarte-le, non-seulement de la virginité, mais de ta mère elle-même. Car si tu as de l’orgueil et la mère de l'humilité, ta mère vaudra mieux que sa fille. Je renouvellerai ce rapprochement.

Lorsqu’il y a un instant je ne considérais en vous qu’une chose, je te trouvais meilleure; maintenant que j’en réunis deux je n’hésite pas à préférer une femme humble à une vierge orgueilleuse. Comment la préférer? Voyez pourquoi je préfère l’une à l’autre après les avoir mises en face l’une de l’autre. La pudeur conjugale est bonne, la pureté virginale vaut mieux. Ici ce sont deux biens en présence, et non pas le bien en présence du mal; c’est le bien cl le mieux que je distingue. Mais en parlant de l’orgueil et de l’humilité, pouvons-nous dire : L’orgueil est un bien, l'humilité mi bien plus considérable? Que disons-nous? Que l’orgueil est un mal, et l'humilité un bien; l’orgueil un grand mal, et l'humilité un grand bien. Si donc l’orgueil est un mal, et l'humilité un bien, en unissant Ce mal à ce qui est en toi un bien préférable, on corrompt tout, et en unissant ce bien à ce qui est dans ta mère un bien moins important, on obtient un grand bien. Dans le

 

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royaume des cieux, la mère, en tant que mariée, occupera une moindre place que sa fille, en tant que celle-ci est vierge : oui, à celle-ci, parce qu'elle est vierge, une place plus belle ; une place moindre à la mère, parce qu'elle est mariée ; l'une et l'autre y seront néanmoins, comme deux étoiles sont également au ciel, quoique l'une y soit brillante et que l'autre ne s'y aperçoive pas. Mais si la mère est humble et que tu sois orgueilleuse, elle y aura une place quelconque, tandis que, toi, tu n'y en auras point. Et si l'on y est sans place, où se trouvera-t-on, sinon avec celui qui est tombé du ciel et qui en a fait tomber l'homme ? Oui, le diable est tombé du séjour d'où il a fait tomber l'homme.

Il l'en a fait tomber quand l'homme était encore debout ; mais le Christ en s'abaissant a relevé ce malheureux tombé. Ah ! considère comment l'a relevé ton Seigneur. Il t'a relevé par l'humilité, en se faisant obéissant jusqu'à la mort, en s'humiliant lui-même (1) . Quoi ! ton prince est humble, et tu es un orgueilleux ! Le chef est humble, et le membre superbe ! Qu'il n'en soit plus ainsi. Aimer l'orgueil, c'est ne vouloir pas appartenir au corps d'un chef humble. Or, si l'on n'est pas dans ce corps, où sera-t-on ? Je m'abstiens de le dire, pour ne paraître pas inspirer trop d'effroi. Ah ! puissé-je plutôt en inspirer et produire de l'effet ! Puissent n'être plus ce qu'ils étaient, celui ou celle qui étaient orgueilleux ! Puissé-je avoir déposé en vous ces réflexions sans avoir perdu ma peine ! Il faut tout espérer de la miséricorde de Dieu ; car s'il effraie, il attriste aussi ; en attristant, il console, et en consolant, il réforme.

 

1 Philipp. II, 8.