SERMON CCCLVII
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SERMON CCCLVII

PRONONCÉ EN 411, VERS LE 15 MAI, AVANT LA CONFÉRENCE DE CARTHAGE. EXHORTATION A LA PAIX.

 

ANALYSE. — On sait qu'il s'agissait, dans la conférence de Carthage, de la réunion des Donatistes aux catholiques. Les Donatistes ne voulaient point de cette réunion ; il fallait donc inspirer aux catholiques un vif désir de la conclure. Pour y réussir, saint Augustin rappelle d'abord que la paix est la bonne et chaste amie du cœur ; il ajoute qu'au lieu de diminuer, elle ne fait que s'accroitre en se répandant, et que pour la posséder il suffit de l'aimer. Comment la répandre ? En la gardant premièrement soi-même, tout en travaillant à la donner à autrui, quelles que soient d'ailleurs les résistances que l'on rencontre ; conséquemment en souffrant avec douceur les injures dont on peut être l'objet ; en priant Dieu pour ceux qui la repoussent ; en leur parlant, même malgré eux, avec une tendresse toute chrétienne ; enfin en jeûnant, en pratiquant la charité dans cette intention. Ce qui a dû faire surtout l'intérêt de ce discours, ce sont les allusions constantes faites par le saint docteur aux objections qui couraient alors. Il n'y a pas ici un mot qui ne porte et qui ne frappe par l'à-propos. Tel est d'ailleurs le point de vue où il faut se placer pour apprécier les sermons de saint Augustin.

 

1.    Il est temps d'exhorter votre charité, dans la mesure des forces que nous donne le Seigneur, à aimer la paix et à prier Dieu pour l'obtenir.

Ah ! que la paix soit pour nous une bien-aimée, une amie dont la présence laisse pur le lit de notre union et nous fait goûter un repos plein de sécurité et exempt d'amertume, dont les embrassements sont pleins de douceur et l'union indissoluble.

Louer la paix, c'est chose plus difficile que de la posséder. Voulons-nous la louer en effet ? nous désirons des forces, nous cherchons à éveiller la sensibilité, nous équilibrons des mots. Au contraire, voulons-nous la posséder ? sans travail elle est à nous, nous la tenons.

Gloire à ceux qui aiment la paix ; quant à ceux qui la repoussent, mieux vaut les calmer par l'enseignement et le silence, que de les provoquer par des reproches. Un ami véritable de la paix aime ceux qui ne l'aiment pas. Si tu aimais cette lumière du jour, tu plaindrais les aveugles, au lieu de l'irriter contre eux ; car tu saurais de quel bien tu jouis, et en voyant par là même de quel bien ils sont privés, tu les sentirais dignes de compassion ; de plus, si tu avais à ta disposition richesses, science ou remèdes, tu courrais à eux plutôt pour les guérir que pour les condamner : de même, si tu chéris la paix, prends pitié, qui que tu sois, de celui qui n'aime pas ce bien qui te charme, et qui ne possède pas ce bien que tu possèdes. Car ce bien que tu affectionnes ne souffre pas que tu jalouses quiconque le possède avec toi. En jouissant de la paix avec toi, il n'amoindrit pas ton trésor.

Aimes-tu un bien terrestre quelconque ? Il t'est difficile de ne ressentir point d'envie contre qui le possède. Admettons que tu aies dessein, pour faire louer ta générosité, pour faire même publier ta charité en matière temporelle, de partager avec ton ami la terre qui t'appartient ; oui, admettons que tu veuilles partager avec un ami un bien terrestre, un domaine, par exemple, une maison ou quelque chose de semblable ; voilà que tu partages avec un, que tu admets ce privilégié à jouir et à se réjouir avec toi. Veux-tu maintenant t'associer un troisième, un quatrième ami ? Tu examines avec combien il t'est possible de partager soit cette demeure pour l'habiter, soit ce champ pour qu'on y trouve sa nourriture ; puis tu dis : impossible de partager avec un cinquième, un sixième ne saurait loger avec nous, comment un si étroit domaine peut-il fournir des aliments à un septième ? Ce qui exclut ici, ce n'est pas toi, c'est la pauvreté de la chose. Ah ! aime la paix, mets la main sur la paix, possède la paix attire à la possession de la paix tous ceux que tu pourras ; elle sera d'autant plus étendue qu'elle régnera dans plus de cœurs. Une maison de boue ne saurait contenir un si grand nombre d'habitants ; la paix s'étend en proportion du nombre de ceux qui la possèdent.

 

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2.    Qu'il est bon de l'aimer ! L'aimer c'est l'avoir. Qui s'oppose à l'accroissement de ce qu'il aime ? Ne veux-tu la paix qu'avec un petit nombre ? Ta paix sera restreinte. Veux-tu l'accroissement de ce trésor ? Multiplies-en les possesseurs. Qui pourrait apprécier en effet le caractère que j'ai signalé en ces termes : Il est bon d'aimer la paix, et l'aimer c'est l'avoir ? Comment louer, comment méditer ces mots : L'aimer, c'est l'avoir ? Considère les autres biens dont le désir embrase les hommes d'ardeur. Voici un homme qui aime les propriétés, l'argent, l'or, une nombreuse famille, de riches et belles maisons, d'opulents et magnifiques domaines. Est-il vrai qu'il aime cela ? C'est indubitable. De ce qu'il les aime, s'ensuit-il qu'il les possède ? Il peut se faire que tout en les aimant il n'ait absolument rien. Il n'a rien et il aime, il est passionné du désir de posséder ; parvient-il à acquérir ? il est tourmenté de la crainte de perdre. Il aime l'honneur, il aime la puissance. Combien de particuliers soupirent après les honneurs ? Souvent toutefois ils arrivent à leur dernier jour avant d'être arrivés au terme de leurs désirs. Combien coûte d'ailleurs ce trésor qu'il te suffit d'aimer pour le posséder ? Tu ne cherches point d'argent pour l'acheter ; pour te le procurer tu ne t'adresses point à un protecteur. Ici même où tu es, aime la paix, et la paix est avec toi. C'est un bien du cœur, un bien que tu ne saurais donner à tes amis comme tu leur donnes ton pain. Veux-tu partager ton pain ? Plus il y aura de mains pour le recevoir, plus il diminuera. La paix, au contraire, ressemble à cet aliment qui se multipliait entre les mains des disciples à mesure qu'ils le rompaient et le distribuaient.

3.    Soyez donc en paix, mes frères. Si vous désirez que les autres aussi soient en paix, soyez-y vous-mêmes, restez-y vous-mêmes. Pour embraser autrui, que la paix de votre charité soit en vous tout ardente. L'hérétique repousse la paix, comme l'œil malade repousse la lumière. De ce que l'œil malade ne puisse endurer la lumière, s'ensuit-il que la lumière ne soit pas bonne ? L'œil malade la hait ; c'est pour elle néanmoins que l'œil a été créé.

Ceux donc qui aiment la paix et qui désirent qu'on soit en paix avec eux, s'appliquent à l'étendre en en multipliant les possesseurs. Ah ! qu'ils emploient tous leurs moyens, tous leurs efforts à guérir l'œil malade. C'est malgré lui qu'on traite cet œil, il résiste aux soins qu'on lui donne ; mais quelle joie quand il reverra la lumière ! Admettons que le malade s'emporte ; ne cesse pas, ne te lasse pas. Ami de la paix, sois attentif ; goûte d'abord les charmes de cette amie et enflamme-toi d'ardeur pour attirer à elle. Fais en sorte que ton frère voie ce que tu vois, qu'il aime ce que tu aimes et qu'il s'attache à ce que tu tiens. Voici ce que te dit cette bien-aimée de ton cœur ; voici comment elle te parle : Aime-moi, et aussitôt je suis à toi ; amène-moi tous ceux que tu pourras attirer à m'aimer, je resterai chaste, chaste et immaculée ; oui, amène tous ceux que tu pourras ; qu'ils m'approchent, me saisissent, jouissent de moi. Eh ! si tant d'hommes n'altèrent pas la lumière en la voyant, pourquoi plusieurs me corrompraient-ils en m'aimant ? Ils refusent de venir ; hélas ! c'est qu'ils ne sont pas en état de me voir. Ils refusent de venir ; hé ! c'est que l'éclat de la paix ne frappe en eux que des yeux fermés par la discorde. Considère combien est pitoyable leur langage. On leur dit : On a dessein de faire régner la paix entre les chrétiens. À cette nouvelle, ils s'écrient : Malheur à nous ! — Pourquoi ? — C'est que voici l'unité. — Eh quoi ! quel langage : malheur à nous, car voici l'unité ? Combien il serait plus juste que vous disiez : Malheur à nous, car la discorde est établie ! À Dieu ne plaise qu'elle s'établisse encore ! la discorde n'est que ténèbres, elle aveugle. Ah ! voici l'unité ; donc, mes frères, il se faut réjouir. Pourquoi trembler ? On a dit : Voici l'unité ; a-t-on dit : Voici une bête farouche, voici le feu ? — Voici l'unité. Voici la lumière. Oui, si on voulait parler sincèrement, on vous dirait : Si je tremble, ce n'est pas que je sois menacé d'une bête farouche, car je ne suis pas timide à ce point, c'est que voici la lumière, et j'ai les yeux malades. Il faut donc s'appliquer à les guérir ; il faut donner à ces malheureux ce qui ne s'amoindrit pas quand on le partage ; il faut le leur donner dans la mesure de nos forces, de tout notre pouvoir, autant que Dieu nous en rend capables.

4.    Par conséquent, mes très-chers frères, j'engage votre charité à leur témoigner une douceur toute chrétienne et toute catholique. On s'applique fortement aujourd'hui à les guérir. Les yeux de ces malheureux sont enflammés ; il faut n'y toucher qu'avec précaution,

 

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ne les traiter qu'avec douceur. Que nul d'entre vous n'entreprenne de disputer avec aucun d'eux, que nul ne conseille à défendre même sa foi par la discussion : de la dispute pourrait jaillir une étincelle, et l'occasion pourrait se présenter à qui la cherche. On l'outrage : souffre, dissimule ; passe outre, souviens-toi qu'il s'agit d'un malade à guérir. Voyez combien sont caressants les médecins envers ceux mêmes qu'ils traitent, le fer à la main. Les injurie-t-on ? Ils appliquent le remède et se gardent de rendre injure pour injure. Qu'on réponde paisiblement, et qu'on voie, ici un malade et là un médecin, mais non pas deux hommes qui se querellent. Je vous en conjure, mes frères, souffrez-les. Je ne puis les souffrir, réplique-t-on, parce qu'ils blasphèment l'Église. Mais c'est l'Église qui te prie de souffrir les blasphèmes qu'ils profèrent contre l'Église. — On dénigre mon évêque ; on calomnie mon évêque, et je me tairai ? — Qu'il le calomnie, mais tais-toi, tais-toi, non pas en consentant, mais en supportant ; ton évêque te saura gré de ne pas entrer maintenant en discussion ; comprends bien le moment, montre-toi prudent. Combien blasphèment ton Dieu ! Tu les entends, lui ne les entend-il pas ? tu les connais, ne les connaît-il pas ? Et pourtant « il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes (1) ». Ainsi montre-t-il sa patience ; quant à sa puissance, il en ajourne le déploiement. Toi aussi sache distinguer les temps ; garde-toi de tourmenter ces yeux gonflés, c'est les porter à se brouiller eux-mêmes. Tu aimes la paix ? Sois donc bien intérieurement avec cette amie de ton cœur. — Que faire ? — Le voici : point de querelles, des prières plutôt ; n'emploie pas l'injure pour repousser l'injurieux, prie pour lui. Tu voudrais lui parler contre lui-même ; pour lui plutôt parle à Dieu. Je ne t'invite point à ne rien dire ; mais sache où parler, parle devant Celui à qui parle ton silence, quand, les lèvres fermées, ton cœur crie jusqu'à lui. Quand l'œil de ton frère ne le voit pas, c'est alors qu'il te faut être bon pour lui. Il n'aime pas la paix, il veut disputer ; pour toi, réponds-lui avec calme : dis tout ce qu'il te plaira, hais-moi, déteste-moi autant que tu voudras, tu n'en es pas moins mon frère. Que peux-tu faire pour ne l'être

 

1 Matt. V, 15

 

pas ? Que tu sois bon ou méchant, que tu le veuilles ou non, tu es mon frère. — Comment suis-je ton frère, répliquera-t-il, puisque tu es pour moi un ennemi, un ennemi acharné ? — Autant il est vrai que tu parles ainsi, autant il est vrai que tu es mon frère.

Chose étonnante ! il me hait, il me déteste, et il est mon frère ? — Veux-tu donc que je me fie à cet aveugle, qui ne sait ce qu'il dit ? Mais je désire sa guérison, afin qu'il puisse voir la lumière et me reconnaître pour son frère. Veux-tu que sur sa parole et par la raison qu'il me hait et me déteste je croie que je ne suis point son frère ? Ne dois-je pas m'en rapporter plutôt à la lumière elle-même ? Ouvre le Prophète. « Vous qui tremblez, dit-il, écoutez la parole de Dieu ». C'est l'Esprit-Saint qui s'exprime ainsi par l'organe du prophète Isaïe : « Vous qui tremblez, écoutez la parole de Dieu. À ceux qui vous haïssent et vous détestent, dites : Nous sommes vos frères ». Que vois-je ? C'est la lumière qui rayonne et qui montre que nous sommes frères ; néanmoins l'œil malade s'écrie encore : Fermez la fenêtre ! Ah ! plutôt, ouvre les yeux à la lumière, du sein des ténèbres où tu es placé, reconnais ton frère qui n'y est pas, et dis, dis sans crainte, car c'est la parole de Dieu et non la mienne, dis donc, ainsi le veut le Seigneur, dis : « Vous êtes nos frères ». À qui ? « A ceux qui vous haïssent ». Est-il étonnant que vous le disiez à ceux qui vous aiment ? Dites-le « à ceux qui vous haïssent et qui vous détestent ». Pourquoi ? Apprends-le et reconnais-en l'utilité.

Comme si tu avais demandé au Seigneur ton Dieu : Seigneur, comment voulez-vous qu'à celui qui me hait et qui me déteste je dise : Tu es mon frère ? Veuillez me dire pourquoi. « Afin de faire honorer le nom du Seigneur ; que sa gloire se révèle au moins dans votre joie, et qu'ils soient, eux, couverts de confusion  ». Considère donc, je t'en conjure, quel sera le fruit de ta patience, de ton invincible douceur. « Dites : Vous êtes nos frères ». Pourquoi ? « Pour faire honorer le nom du Seigneur ? » Pourquoi au contraire ne veut-il point voir en toi son frère ? Parce qu'en ne t'appelant qu'homme il cherche une gloire humaine. Dis-lui donc : Tu es mon frère. Tu me haïras, tu me détesteras en vain : tu es mon frère. Reconnais

1 Isa. LXVI, 5, suiv. les Sept.

 

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en toi les traits de mon Père. Voici ce que dit notre Père. Si mauvais, si chicaneur que tu sois, tu es mon frère. Ne dis-tu pas comme moi : « Notre Père qui êtes aux cieux (1) ? » Puisque nous nommons un même Père, pourquoi ne sommes-nous pas unis en lui? Je t'en conjure, mon hère, reconnais ce que tu dis avec moi, et condamne ce que tu fais contre moi. Remarque les paroles qui sortent de tes lèvres. Ecoute, non pas moi, mais toi. Considère à qui nous disons : « Notre Père qui êtes aux cieux ». Ce n’est ni un ami ni un voisin, c’est Celui à qui nous adressons ces mots qui nous ordonne de vivre d’accord. Puisque devant notre Père nous sommes unis par un même langage, pourquoi ne le sommes-nous pas entre nous par une même paix ?

5.    Parlez-leur ainsi avec zèle, parlez-leur ainsi avec douceur. Que votre zèle soit embrasé des ardeurs de la charité et non enflé par l’orgueil de la discorde; de plus, priez avec nous le Seigneur durant ce jeûne solennel. Ce que nous faisons déjà pour Dieu, faisons-!e aussi en vue de la grande affaire. Après la Pentecôte, en effet, nous observons un jeûne solennel; ah ! puissions-nous l’observer, lors même que nous n’aurions pas

 

1 Matt. VI, 9.

  

cette affaire en vue! Mais, que devons-nous à nos frères, à ces frères que nous entreprenons, au nom du Seigneur notre Dieu, lui qui est notre médecin, de traiter et de guérir, les lui offrant pour que lui-même les guérisse, et nous gardant de la présomption de nous croire médecins nous-mêmes? Comment les lui offrir? Suppliais le Médecin céleste en jeûnant avec l’humilité dans le cœur, de pieux aveux sur les lèvres et un profond respect pour nos frères. Témoignons à Dieu notre religion, à nos frères notre charité. Multiplions nos aumônes ; elles feront exaucer plus facilement nos prières. Exercez l’hospitalité; en voici le moment, les serviteurs de Dieu accourent. En voici le moment, l’occasion : pourquoi la laisser passer? Regarde ce que renferme ton cellier ; regarde aussi ce que tu peux déposer au ciel, t’y réserver : c’est le seul trésor pour lequel tu peux être sûr. Place donc au ciel ; confie, non à ton serviteur, mais à ton Seigneur. Peux-tu craindre que le larron ne s’y glisse, que le brigand n’y entre violemment, qu'un cruel ennemi ne t’y dépouille? Ah I cherche à y posséder ce que tu y retrouveras. Que dis-je? tu n’y retrouveras point ce que tu auras déposé en ce lieu : le Seigneur veut que tu prêtes à usure, non pas à ton prochain, mais à lui.