FAUSTE XIV
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LIVRE QUATORZIÈME. MOÏSE JUSTIFIÉ.

 

Moise justifié contre Fauste. — Explication de la malédiction lancée contre quiconque est suspendu au bois. — En quel sens elle tombe sur le Christ. — Les Manichéens sont idolâtres. — Explication de la malédiction de Moïse contre celui qui ne laisse point de postérité en Israël.

 

CHAPITRE PREMIER. FAUSTE REPROCHE A MOÏSE DES MALÉDICTIONS LANCÉES MAL A PROPOS.

CHAPITRE II. LE CHRIST A ÉTÉ SUSPENDU AU BOIS, IL AVAIT DONC UNE CHAIR MORTELLE.

CHAPITRE III. EN QUEL SENS LA MALÉDICTION DE MOÏSE TOMBE SUR LE CHRIST.

CHAPITRE IV. LE CHRIST A SUBI LA PEINE DU PÉCHÉ SANS LE PÉCHÉ.

CHAPITRE V. LA CHAIR DU CHRIST SEMBLABLE A LA CHAIR DU PÉCHÉ.

CHAPITRE VI. EN QUEL SENS LE CHRIST A ÉTÉ MAUDIT DE DIEU.

CHAPITRE VII. LE CHRIST VRAIMENT MAUDIT, PARCE QU'IL EST VRAIMENT MORT.

CHAPITRE VIII. VAINE DISTINCTION, IMPUTABLE AUX MANICHÉENS.

CHAPITRE IX. CALOMNIE DE FRUSTE CONTRE MOÏSE.

CHAPITRE X. LES MANICHÉENS SONT IDOLÂTRES.

CHAPITRE XI. ILS ADORENT LE SOLEIL ET LA LUNE.

CHAPITRE XII. RÉPONSE A UN DILEMME DE FAUSTE.

CHAPITRE XIII. AUTRE CALOMNIE DE FRUSTE CONTRE MOÏSE.

 

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CHAPITRE PREMIER. FAUSTE REPROCHE A MOÏSE DES MALÉDICTIONS LANCÉES MAL A PROPOS.

 

Fauste. Pourquoi ne recevez-vous pas Moïse? — Parce que nous aimons et honorons le Christ. Quel est, en effet, l'homme assez irréligieux pour accueillir celui qui a maudit son père? Or, bien que les blasphèmes de Moïse n'aient épargné ni choses divines, ni choses humaines, ce qui nous inspire cependant le plus d'horreur pour lui, c'est qu'il a lancé d'affreuses malédictions contre le Christ, le Fils de Dieu, qui a été suspendu au bois pour notre salut. L'a-t-il fait sciemment, ou par hasard, c'est à toi de le voir. Mais ni l'un ni l'autre ne l'excuse ni ne dispose à le recevoir. En effet, il déclare maudit quiconque est suspendu au bois (1). Et tu veux que je l'accepte, que je croie à sa parole ; lui qui a sciemment et volontairement maudit le Christ, s'il était prophète, et s'il n'était pas prophète, l'a maudit par ignorance et sans le savoir ? Choisis donc entre ces deux hypothèses : ou Moïse n'a pas été prophète et a péché par imprudence en enveloppant Dieu, sans le savoir? dans les malédictions qu'il formule contre d'autres, selon son usage; ou il était prophète, et alors il n'a point ignoré ce qui devait arriver, mais par jalousie contre notre salut qui devait avoir lieu par le bois, il a lancé contre Celui qui en est l'auteur le venin de sa bouche malfaisante. Et qui donc croira que celui qui déchire ainsi le Fils, a vu ou connu le Père; que celui qui a ignoré le terme ou l'ascension du Fils, a pu prédire son avènement? J'ajouterai encore une considération qui me frappe : c'est l'étendue et la portée de cette injure, le nombre de ceux qu'elle atteint et blesse: tous les justes et tous les martyrs, qui ont subi ce genre de mort, comme Pierre, André et tous ceux qui ont partagé leur sort. Si Moïse n'avait pas péché

 

1. Deut. XXI, 23.

 

par ignorance, faute du don de prophétie, ou si, étant prophète, il n'eût pas cédé à l'instinct de la malice et de la haine, il ne leur eût pas infligé un si cruel anathème: car il ne les déclare pas seulement maudits d'une façon vulgaire, c'est-à-dire chez les hommes, mais aussi devant Dieu. Or, si cela est, quel espoir de bénédiction reste-t-il au Christ même, ou aux Apôtres, ou à nous, s'il nous arrive d'être crucifiés en qualité de chrétiens? Enfin, à quel point n'était-il pas imprudent et dénué de l'inspiration divine, pour ne pas songer que les hommes peuvent être attachés au bois pour des causes différentes; les uns en expiation d'un forfait, les autres pour la justice et pour Dieu? Aussi a-t-il lancé sa malédiction au hasard, sur tous et sans distinction; tandis que, s'il avait eu la moindre, je ne dirai pas inspiration prophétique, mais prévoyance, et si la croix le blessait au point de former, elle seule, une exception et un supplice à part entre tous les genres de supplices, il devait simplement déclarer maudit tout scélérat, tout impie suspendu au bois, afin d'établir une distinction entre les bons et les méchants ; et encore n'eût-il pas été absolument dans le vrai, puisque c'est du gibet que le Christ a fait entrer avec lui le larron dans le paradis de son Père (1). Où est donc l'anathème: « Maudit celui qui est suspendu au bois ? » Est-ce que Barrabas, cet insigne brigand, qui non-seulement ne fut pas suspendu au bois, mais qui fut même élargi à la demande des Juifs (2), fut plus béni que celui qui monta, avec le Christ, de la croix au ciel? Dirai-je enfin que Moïse appelle maudit quiconque adore le soleil et la lune (3) ? Si donc, étant sujet d'un roi païen, je suis forcé d'adorer le soleil, que je résiste et que, craignant la malédiction attachée à cet acte, je sois condamné à être crucifié : quoi ! j'encourrai l'autre malédiction lancée par Moïse contre celui qui est suspendu au bois? Veut-il donc maudire tous

 

1. Luc, XXIII, 43. — 2. Matt. XXVII, 26. — 3. Deut. XVII, 3.

 

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les gens de bien? Pour nous, nous ne devons pas plus faire cas de ses anathèmes que de ceux d'une vieille femme en colère. C'est ainsi encore qu'il poursuit d'une même malédiction les enfants et les vierges, quand il déclare maudit celui qui ne laissera point de postérité en Israël (1). Injure, qui s'adresse encore particulièrement à Jésus, lequel étant issu selon vous, du peuple juif, n'a cependant point laissé de postérité dans sa nation, et aussi sur ses disciples, dont quelques-uns étaient mariés et qu'il a séparés de leurs femmes, tandis qu'il a défendu le mariage à ceux qu'il a trouvés vierges. En conséquence, sachez que nous avons à bon droit en abomination cette langue insolente de Moïse, qui décoche les traits de sa malice contre le Christ qui est la lumière, contre la virginité, contre tout ce qu'il y a de divin. Que si par hasard vous prétendez qu'il v a une grande différence entre un suspendu et un crucifié (car c'est là ordinairement votre principal moyen de défense), écoutez Paul, rejetant vos subterfuges : « Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, en devenant malédiction pour nous. Car il est écrit : Maudit quiconque est suspendu au bois (2) ».

 

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CHAPITRE II. LE CHRIST A ÉTÉ SUSPENDU AU BOIS, IL AVAIT DONC UNE CHAIR MORTELLE.

 

Augustin. Fauste, homme pieux, s'afflige de ce que le Christ a été maudit par Moïse, et pour cela il hait Moïse, parce qu'il aime le Christ. Mais avant d'expliquer avec quel profond mystère et avec quelle piété ces paroles ont été dites : « Maudit quiconque est suspendu au bois (3) », j'ai une question à faire à ces hommes pieux. Pourquoi se fâchent-ils contre Moïse, puisque cette malédiction ne tombe pas sur leur Christ ? Car si le Christ a été suspendu au bois, c'est sans doute parce qu'il a été attaché avec des clous. Aussi après sa résurrection a-t-il montré ses cicatrices à un disciple d'une foi faible (4). Or, si cela est, il avait donc un corps vulnérable et mortel : ce que les Manichéens ne veulent pas accorder. Donc encore si ces blessures, si ces cicatrices étaient fausses, il est également faux qu'il ait été suspendu au bois. Par conséquent la malédiction n'a pu l'atteindre, et ils

 

1. Deut. XXV, 5,10. — 2. Gal. III, 13. — 3. Deut. XXI, 23. — 4. Jean, XX, 27.

 

n'ont pas de raison de se fâcher contre celui qui l'a prononcée. Et si les Manichéens ont l'air de s'irriter contre celui qui a maudit la mort fausse du Christ (pour parler leur langage) ; à combien plus forte raison doit-on fuir ceux qui ne maudissent pas seulement le Christ, mais qui l'accusent? Si, en effet, il faut rejeter un homme qui lance la malédiction contre la nature mortelle, quelle horreur éprouvera-t-on pour celui qui oppose le mensonge à la vérité? Mais voyons, à l'occasion de cette calomnie des hérétiques, comment il faut expliquer ce mystère aux fidèles.

 

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CHAPITRE III. EN QUEL SENS LA MALÉDICTION DE MOÏSE TOMBE SUR LE CHRIST.

 

La mort chez l'homme est la peine du péché, ce qui lui fait donner le nom de péché; non que l'homme pèche en mourant, mais parce que c'est le péché qui est cause qu'il meurt. De même qu'on dit, dans un sens, la langue, en parlant de l'organe charnu qui se meut sous le palais entre les dents, et dans un autre sens, la langue, en parlant du langage qui se produit par elle, comme par exemple la langue grecque, la langue latine; de même encore que le mot main signifie proprement le membre que nous mettons en mouvement pour agir, et aussi l'écriture qui se forme par la main, en sorte qu'on dit : On a produit sa main (son écriture) ; on a lu sa main (son écriture) contre lui; j'ai votre main (id.), recevez votre main (id.) (1), bien que, à la rigueur, la main soit un membre du corps humain, ce qui, je pense, ne peut se dire de l'écriture, et cependant celle-ci s'appelle main, parce qu'elle est produite par la main : ainsi on appelle péché, non-seulement l'action mauvaise même, à laquelle la punition est due, mais encore la mort qui est le résultat du péché. Le Christ n'a donc point commis le péché, qui l'eût rendu digne de mort; mais, dans l'autre sens, il l'a subi, c'est-à-dire il a accepté pour nous la mort infligée par le péché à la nature humaine. C'est là ce qui l'a suspendu au bois, c'est là ce que Moïse a maudit; la mort a été condamnée, afin qu'elle cessât de régner, elle a été maudite pour périr. C'est donc par le péché du Christ entendu en ce

 

1. Cette métaphore, propre à la langue latine, ne petit se Tendre en français, où cependant on dit, en parlant de l'écriture de quelqu'un : Il a une belle main.

 

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sens qu'a été condamné notre propre péché, afin que nous fussions délivrés, afin que notre condamnation ne fût pas perpétuée par le règne du péché.

 

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CHAPITRE IV. LE CHRIST A SUBI LA PEINE DU PÉCHÉ SANS LE PÉCHÉ.

 

Comment donc Fauste s'étonne-t-il que le péché ait été maudit, que la mort ait été maudite, ainsi que la mortalité de la chair qui se trouvait dans le Christ, non par suite de son péché, mais à cause du péché de l'homme? En effet, il avait pris son corps d'Adam, puisque la Vierge Marie, mère du Christ, descendait d'Adam. Or, Dieu avait dit dans le paradis : « Au jour où vous en toucherez, vous mourrez de mort (1) ». Voilà la malédiction qui a été suspendue au bois. Que celui qui nie que le Christ soit mort, nie qu'il ait été maudit. Mais que celui qui confesse que le Christ est mort, qui ne peut nier que la mort soit le fruit du péché et que pour cela on l'appelle péché, que celui-là écoute l'Apôtre dire : « Parce que notre vieil homme a été crucifié avec lui (2) », et qu'il comprenne à qui s'adresse la malédiction de Moïse. Aussi le même apôtre dit-il du Christ en toute confiance : « Il est devenu malédiction pour nous (3) », de même, qu'il n'a -pas craint de dire : «Il est mort pour tous (4) ».Car mort a ici le même sens que maudit; parce que la mort elle-même est le fruit de la malédiction, et que tout péché est maudit ou en lui-même, parce qu'il mérite aine punition, ou dans la punition même qu'on appelle aussi péché, parce qu'elle est aussi la suite du péché. Or, le Christ a accepté notre punition sans la faute, afin de payer lui-même la dette de notre faute, et de mettre par là un terme à notre punition.

 

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CHAPITRE V. LA CHAIR DU CHRIST SEMBLABLE A LA CHAIR DU PÉCHÉ.

 

On pourrait m'accuser d'inventer, si l'Apôtre ne nous le répétait pas si souvent, et pour réveiller ceux qui dorment, et pour réduire les calomniateurs au silence. « Dieu », nous dit-il, « a envoyé son Fils dans une chair semblable à celle du péché, afin de condamner le péché, dans la chair, par le péché

 

1. Gen. II,17. — 2. Rom. VI, 6. — 3. Gal. III,13. — 4. II Cor. V, 15.

 

même (1) ». La chair du Christ n'était donc point une chair de péché, parce qu'elle ne lui était point venue de Marie par un père mortel; mais comme la mort est le fruit du péché, cette même chair, quoique produite d'une vierge, a cependant été mortelle, et par le fait qu'elle était mortelle, elle ressemblait à la chair du péché. C'est ce que l'Apôtre appelle aussi péché et ce qui lui fait dire : « Afin de condamner le péché dans la chair, par le péché même». Et ailleurs encore : « Celui qui ne connaissait point le péché, il l'a rendu péché pour l'amour de nous, afin qu'en lui nous devinssions justice de Dieu (2) ». Pourquoi Moïse craindrait-il d'appeler maudit celui que Paul n'a pas craint d'appeler péché? Assurément le Prophète a dû prévoir et prédire cela, tout prêt à subir, avec l'Apôtre, le blâme, des hérétiques. Car quiconque reproche au Prophète d'avoir dit maudit, est censé blâmer aussi l'Apôtre d'avoir dit péché : puisque la malédiction est la compagne du péché.

 

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CHAPITRE VI. EN QUEL SENS LE CHRIST A ÉTÉ MAUDIT DE DIEU.

 

 

Il ne faut pas plus en vouloir à Moïse d'avoir ajouté de Dieu : « Maudit de Dieu quiconque est suspendu au bois ». Car si Dieu ne haïssait pifs le péché et la mort en nous, il n'eût pas envoyé son Fils pour la subir et la détruire. Est-il donc étonnant que Dieu maudisse ce qu'il hait? Car il nous accordera d'autant plus volontiers l'immortalité qui doit suivre l'avènement du Christ, qu'il a mis plus de miséricorde à haïr notre mort qui a été suspendue au bois avec le Christ mourant. Quant à ce mot quiconque: « Maudit quiconque est suspendu au bois », certainement Moïse a prévu aussi que des justes subiraient la croix; mais il a également prévu que les hérétiques nieraient un jour la réalité de la mort du Seigneur, et qu'ils chercheraient à l'exempter de cette malédiction, dans le but de le soustraire par là à une mort véritable. Si, en effet, sa mort n'a pas été vraie, la malédiction n'atteint pas le Christ suspendu au bois, puisqu'il n'a pas été vraiment crucifié. Mais au contraire, c'est de loin que Moïse crie (et depuis quel temps il leur crie : C'est, en vain que vous tergiversez !) crie, dis-je, aux hérétiques à qui la mort réelle du Christ déplaît: « Maudit

 

1. Rom. VIII, 3. — 2. II Cor. V, 21.

 

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quiconque est suspendu au bois » ; non pas tel ou tel, mais quiconque, absolument quiconque. Quoi ! même le Fils de Dieu ? Très-certainement. Et c'est justement là ce que vous ne voulez pas : c'est là le point de mire de vos efforts, votre grand moyen de séduction. Il vous déplaît que le Christ soit maudit pour nous, parce que vous ne voulez pas qu'il soit mort pour nous, car il serait exempt de la malédiction d'Adam, s'il n'avait pas subi la mort d'Adam. Mais comme il a subi la mort en tant que Fils de l'homme et pour l'homme, c'est pour cela qu'il n'a pas dédaigné d'encourir, et comme Fils de l'homme et pour l'homme, la malédiction qui accompagne le péché : lui, le Fils de Dieu toujours vivant dans sa justice propre, mais aussi mort pour nos péchés (1), dans une chair qu'il a revêtue en expiation de notre péché. C'est ainsi qu'il est toujours béni dans sa justice, et maudit, à raison de nos péchés, dans la mort qu'il a subie en expiation de nos fautes : et voilà pourquoi ce mot quiconque, afin qu'on ne puisse pas dire que le Christ n'est pas véritablement mort, si, par de stupides égards, on parvenait à le soustraire à la malédiction qui est attachée à la mort.

 

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CHAPITRE VII. LE CHRIST VRAIMENT MAUDIT, PARCE QU'IL EST VRAIMENT MORT.

 

Mais celui qui est fidèle selon la vérité évangélique, comprend que la bouche de Moïse ne fait pas plus injure au Christ en le déclarant maudit (non dans sa majesté divine, mais selon la condition de notre nature punie, dans laquelle il a été suspendu au bois), que la bouche des Manichéens ne : fait son éloge quand ils nient qu'il ait revêtu une chair capable de subir une mort véritable. En effet, l'oracle prophétique fait ressortir la gloire de son humilité, et le prétendu respect que lui témoignent les hérétiques, fait peser sur lui l'accusation de fausseté. Si tu nies la malédiction, nie donc qu'il soit mort; et si tu nies qu'il soit mort, ce n'est plus Moïse, mais les Apôtres que tu combats. Si, au contraire, tu confesses que le Christ est mort, avoue qu'il s'est chargé de la peine de notre péché, sans avoir péché avec nous. Et quand tu entends parler de la peine du péché, crois qu'elle

 

1. Rom. IV, 25.

 

provient ou de bénédiction ou de malédiction ; dans le premier cas, désire d'y rester toujours; mais si tu souhaites d'en être délivré, pense qu'elle est le fruit de la malédiction par un arrêt de la divine justice. Confesse donc que celui que tu reconnais être mort pour nos péchés, a aussi accepté la malédiction pour nous, et que ces paroles de Moïse : « Maudit quiconque est suspendu au bois », n'ont pas d'autre sens que celui-ci : Tout homme est mortel et tout homme est mourant quand il est suspendu au bois. Le Prophète pouvait dire en effet : Maudit tout mortel, ou maudit tout homme qui meurt; mais voilà ce qu'il a voulu enseigner: parce qu'il savait que le Christ devait mourir suspendu à la croix, et qu'un jour des hérétiques diraient : Il a été suspendu à la croix, il est vrai, mais seulement en apparence, et non pour subir une mort véritable. En criant donc : « Maudit », il n'a pas voulu proclamer autre chose, sinon que le Christ est vraiment mort, sachant que la mort de l'homme coupable, qu'il a subie sans avoir péché, provient de cette malédiction : « Si vous en mangez, vous mourrez de mort (1) ». C'est encore à cela que se rapporte le serpent suspendu au bois, pour signifier que le Christ n'a pas subi une mort apparente, mais qu'il a suspendu au bois de sa passion la véritable mort, dans laquelle le serpent avait précipité l'homme par ses perfides conseils. Et c'est cette véritable mort que les Manichéens ne veulent pas voir; et voilà pourquoi ils ne sont pas guéris du venin du serpent, comme l'étaient tous ceux qui jetaient sur lui un regard dans le désert (2).

 

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CHAPITRE VIII. VAINE DISTINCTION, IMPUTABLE AUX MANICHÉENS.

 

Nous avouons cependant que les ignorants prétendent qu'autre chose est d'être suspendu au bois, autre chose, d'y être cloué. Et c'est ainsi que quelques-uns ont cherché à résoudre la question, en disant que la malédiction de Moïse s'adresse à Judas qui se suspendit à un lacet : comme s'ils savaient d'abord, si c'est à un bois ou à une pierre qu'il s'est suspendu. Mais il est vrai, comme Fauste lui-même le fait remarquer, que l'Apôtre ne permet pas d'entendre cette malédiction autrement que comme une prédiction relative au

 

1. Gen. II, 17. — 2. Num. XXI, 9.

 

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Christ. Hélas ! cette ignorance de quelques catholiques est le résultat de la séduction manichéenne. Car c'est à de tels hommes qu'ils s'adressent d'habitude, ce sont ceux-là qu'ils enveloppent du filet de leurs erreurs; tels nous étions tombés entre leurs mains, tels nous étions pris, et tels nous avons été délivrés, non par nos propres forces, mais par la miséricorde de Dieu.

 

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CHAPITRE IX. CALOMNIE DE FRUSTE CONTRE MOÏSE.

 

Mais quelles sont donc ces choses divines que Moïse a outragées, comme Fauste l'en accuse, en disant « qu'il n'a jamais rien respecté dans les choses humaines ni dans les choses divines? » Fauste a dit cela et a passé outre : il ne s'est pas donné la peine de rien prouver, il n'a pris aucun souci de rien démontrer. Or, nous savons, nous, que Moïse a décerné de pieux éloges à tout ce qui est vraiment divin, et qu'il a gouverné avec justice les choses humaines selon les besoins de son temps et dans la mesure des grâces qui lui étaient départies. Que les Manichéens me forcent à le leur apprendre, comme ils se sont eux-mêmes efforcés de prouver ce que Fauste objecte, avec précaution, il est vrai, mais par là même, imprudemment: car il se perçait de ses propres armes. Heureux, en effet, le coeur pénétrant pour la vérité, malheureux celui qui l'est contre la vérité. Fauste n'a pas dit que Moïse n'a épargné personne, ni hommes ni dieux, mais qu'il n'a rien respecté, ni « dans les choses humaines, ni dans les choses divines ? ». Si, en effet, il s'était borné à dire qu'il n'a pas respecté Dieu, il serait facile de le convaincre .de calomnie: car on prouverait que Moïse honore et prêche partout le vrai Dieu qui a fait le ciel et la terre. S'il disait que Moïse n'a épargné aucun des dieux, il se trahirait aux yeux des chrétiens, en faisant voir qu'il adore lui-même les dieux, dont Moïse a interdit le culte, et alors, les poussins se réfugiant sous les ailes de leur mère, l'Église catholique, il ne rassemblerait pas des petits qui ne sont pas les siens. Afin donc de tendre un piége aux petits enfants, il a dit que Moïse n'a rien respecté dans les choses divines, afin que les chrétiens, ne voyant pas là une idolâtrie manifeste, n'eussent pas horreur d'un impiété si opposée à la religion chrétienne, et pour trouver appui contre nous chez les païens, qui savent que Moïse a dit bien des choses vraies et justes contre les idoles et les dieux des nations, qui sont des démons.

 

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CHAPITRE X. LES MANICHÉENS SONT IDOLÂTRES.

 

Si ceci blesse les Manichéens, qu'ils se déclarent franchement adorateurs des idoles ou des démons: ce qu'ils sont, sans s'en douter, par cela même qu'ils sont hérétiques. Car c'est de telles gens que l'Apôtre a dit, «que dans les derniers temps quelques-uns abandonneront la foi, s'attachant à des esprits séducteurs, à des doctrines de démons, sous le langage menteur de l'hypocrisie (1) ». Qui, en effet, sinon les démons, amis du mensonge, persuaderait à ces hommes que le Christ a faussement souffert, est faussement mort, a montré faussement des cicatrices, c'est-à-dire qu'il n'a pas vraiment souffert, qu'il n'est pas vraiment mort, et que ses cicatrices n'étaient pas de vraies cicatrices ? Quelles doctrines portent plus évidemment le, signe des démons menteurs, que celles qui cherchent à persuader que le Fils de Dieu, c'est-à-dire la vérité même, est un imposteur ? Mais dans la doctrine de ces hérétiques se retrouve clairement le culte, sinon des démons, du moins de la créature, lequel est condamné par l'Apôtre qui nous dit : « Ils ont adoré et servi la créature au lieu du Créateur (2). »

 

 

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CHAPITRE XI. ILS ADORENT LE SOLEIL ET LA LUNE.

 

Par conséquent, à travers leurs rêves fantastiques et leurs fables, les Manichéens adorent, sans le savoir, les idoles et les démons; ils savent que, dans le soleil et dans la lune, ils servent la créature, et s'ils pensent servir aussi le Créateur, ils se trompent beaucoup: car ils servent leur fantôme, et nullement le Créateur, puisqu'ils nient que Dieu ait créé ce que l'Apôtre démontre clairement appartenir à l'ordre de la création, quand il dit, à propos de nourriture et de viande : « Car toute créature de Dieu est bonne, et on ne doit rien rejeter de ce qui se prend avec actions de grâces (3) ». Voyez ce que c'est que la saine doctrine, en haine de laquelle vous vous tournez

 

1. I Tim. IV, 1, 2. — 2. Rom. I, 25. — 3. I Tim. IV, 4.

 

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vers des fables. Et de même que l'Apôtre trouve bonne la créature de Dieu, tout en défendant de lui rendre un culte religieux de même Moïse (qui vous semble n'avoir rien respecté de divin, uniquement, je le soupçonne, parce qu'il a défendu d'adorer le soleil et la lune (1) que vous suivez dans leur cours en vous tournant dans tous les sens pour les adorer), Moïse, dis-je, a honoré d'une vraie louange le soleil et la lune, en racontant qu'ils ont été créés par Dieu et placés dans l'ordre des corps célestes pour accomplir la mission qui leur est confiée : « Le soleil pour présider au jour, la lune pour présider à la nuit (2) ». Vos louanges menteuses, au contraire, ne font aucun plaisir au soleil ni à la lune. Le diable, créature rebelle, aime les fausses louanges; mais les puissances des cieux, qui ne sont point déchues par le péché, veulent qu'on exalte en elles celui qui les a faites; et leur vraie louange est celle qui ne préjudicie point à la gloire de leur Créateur. Or, on outrage celui-ci, quand on dit qu'elles sont ses parties, ou ses membres, ou une portion de sa substance. Car étant parfait, n'ayant besoin de rien, ne coulant nulle part, n'étant point divisé, sans étendue locale, entièrement immuable en lui-même, se suffisant à lui-même, heureux par lui-même, il a, dans son immense bonté, parlé par son Verbe et tout a été fait : il a ordonné et tout a été créé (3). Par conséquent, si les corps terrestres, dont l'Apôtre parlait quand il disait qu'il n'y a pas de nourriture immonde, si, dis-je, ces corps sont bons, « parce que toute créature de Dieu est bonne », à combien plus forte raison les corps célestes, parmi lesquels brillent le soleil et la lune, puisque le même Apôtre dit : « Il y a des corps célestes et des corps terrestres ; mais autre est la gloire des célestes, autre celle des terrestres (4)».

 

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CHAPITRE XII. RÉPONSE A UN DILEMME DE FAUSTE.

 

Moïse n'injurie donc point le soleil et la lune, quand il défend de les adorer, il les loue comme des créatures célestes, mais il loue Dieu comme le créateur des corps célestes et des corps terrestres, et il ne veut pas qu'on l'offense en adorant, à sa place, des objets qui ne sont louables que pour lui et par lui.

 

1. Deut. XVII, 3. — 2. Gen. I, 16; Ps. CXXXV, 8, 9. — 3. Ps. CXLVIII, 5. — 4. I Cor. XV, 40.

 

Mais quelle bonne fortune pour Fauste, paraît-il, de ce que Moïse appelle aussi maudit celui qui adore le soleil et la lune ! « Si donc», nous dit-il, « étant sujet d'un roi païen, je suis, forcé d'adorer le soleil, que je résiste, et que, craignant la malédiction attachée à cet acte, je sois condamné à être crucifié, j'encourrai l'autre malédiction lancée par Moïse contre celui qui est suspendu au bois ?» Aucun roi païen ne nous oblige à adorer le soleil; le soleil lui-même ne vous y obligerait pas, sil était roi sur la terre, puisqu'il vous le défend même aujourd'hui : mais comme le Créateur lui-même supporte les impies qui le blasphèment jusqu'au jour du jugement, ainsi les corps célestes supportent leurs stupides adorateurs, jusqu'au jugement de celui qui les a créés (1). Cependant, souvenez-vous qu'un roi chrétien ne peut forcer à adorer le soleil. Fauste parle d'un roi païen, parce qu'il sait parfaitement que, quand vous adorez le soleil, vous faites un acte de paganisme. Cela n'est donc pas chrétien : mais la perdrix proclame partout le nom du Christ, afin de rassembler des petits qui ne sont pas les siens (2). Voyez cependant avec quelle facilité la vérité vous répond et la saine doctrine brise le lacet en apparence inévitable de votre question à deux tranchants ! Supposons donc un homme armé du pouvoir royal, et exigeant d'un chrétien qu'il adore le soleil, sous peine d'être suspendu au bois. Si, dites-vous, j'évite la malédiction formulée par la loi contre celui qui adore le soleil, j'encours celle que cette même loi lance contre celui qui est suspendu au bois. Vous serez vraiment dans l'embarras ; mais non, non, vous n'y serez pas, vous qui adorez le soleil même sans qu'on vous y force. Quant au chrétien, bâti sur le fondement des Apôtres et des Prophètes (3), il remonte ici aux causes, il examine les deux malédictions : il voit que l'une s'adresse au corps suspendu au bois, et l'autre à l'âme qui adore le soleil. Car, bien que le corps s'incline pour adorer, c'est cependant l'âme qui rend ses hommages à ce qu'elle adore, ou feint de les lui rendre : et l'un et l'autre est pernicieux. C'est pourquoi, comme la mort a mérité la malédiction dans le corps et dans l'âme, si être suspendu au bois est la mort du corps, adorer le soleil est la mort de l'âme. Il faut donc choisir la malédiction dans la mort du corps (malédiction

 

1. Rétract. liv. II, ch. VII, n. 3. — 2. Jer. XVII, 11. — 3. Eph. II, 20.

 

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dont le corps lui-même sera délivré lors de la résurrection), et éviter la malédiction dans la mort de l'âme, pour qu'elle ne soit pas condamnée, avec son corps, au feu éternel. Car le Seigneur a lui-même tranché la question, en disant : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l'âme ; mais craignez plutôt celui qui peut précipiter le corps et l'âme dans la géhenne du feu (1) ». Comme s'il disait : Ne craignez point la malédiction de la mort corporelle, qui passe avec le temps; mais craignez la malédiction de la mort spirituelle, par laquelle l'âme est tourmentée éternellement avec son corps. Ainsi ces paroles : « Maudit quiconque est suspendu au bois », ne sont pas une malédiction de vieille femme, mais une prédiction de prophète. Car c'est par là que le Christ ôte la malédiction de la malédiction, aussi bien que la mort de la mort et le péché du péché. Moïse n'a donc pas blasphémé en disant : « Maudit quiconque est suspendu au bois », pas plus que les Apôtres en disant : « Il est mort (2) »; ou: « Notre vieil homme a été crucifié avec lui (3) » ; ou : « Il a condamné le péché à cause du péché (4) », ou encore : « Celui qui ne connaissait point le péché, il l'a rendu péché pour l'amour de nous (5) »; et bien d'autres choses de ce genre. Mais vous, en manifestant votre horreur pour le Christ maudit, vous témoignez de l'horreur que sa mort vous inspire. Là on voit paraître chez vous, non une malédiction de vieille femme, mais une dissimulation diabolique vous qui, pour ne pas croire à la mort du Christ, donnez la mort à votre âme. Cependant cette mort du Christ, vous la prêchez, non réelle, mais simulée : comme si vous

 

1. Matt. X, 28. — 2. II Cor. V, 14, 15. — 3. Rom. VI, 6. — 4. Id. VIII, 3. — 5. II Cor. V, 21.

 

n'osiez pas même tromper les hommes sous le nom du Christ, sans faire du Christ lui-même un imposteur.

 

CHAPITRE XIII. AUTRE CALOMNIE DE FRUSTE CONTRE MOÏSE.

 

Quant au reproche que Fauste fait à Moïse d'avoir blâmé la continence ou la virginité, en disant : « Maudit quiconque ne laissera point de postérité en Israël (1) », qu'on écoute Isaïe s'écrier : « Voici que le Seigneur dit à tous les eunuques: S'ils observent mes commandements, s'ils choisissent ce qui m'est agréable et restent fidèles à mon alliance, je leur donnerai dans ma maison et dans l'enceinte de mes murs une place d'honneur, meilleure que celle des fils et des filles; je leur donnerai un nom éternel et qui ne périra pas (2) ». Si les Manichéens voient une contradiction entre Isaïe et Moïse, qu'ils adoptent celui-ci, puisque celui-là leur déplait et ce n'est pas là un faible argument contre eux. Pour nous, il nous suffit de savoir que c'est le même Dieu qui a parlé par Moïse et par Isaïe; que maudit est celui qui ne laisse pas de postérité en Israël ; soit dans ces temps-là, quand, la race devant être propagée selon la chair, la formation d'une famille par, le chaste exercice du mariage était un devoir du citoyen ; soit maintenant, où tout homme, lié spirituellement, ne doit pas penser qu'il se suffit à lui-même, et se dispenser de travailler pour le Seigneur : car chacun, en prêchant le Christ suivant son faible pouvoir, doit engendrer des chrétiens. Ainsi cette divine sentence : « Maudit quiconque ne laisse pas de postérité en Israël », renferme dans sa merveilleuse brièveté tous les temps des deux Testaments.

 

1. Deut. XXV, 7. — 2. Is. LVI, 4, 5.

 

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