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ORDONNANCE ET INSTRUCTION  
PASTORALE DE MGR L'ARCHEVÊQUE DE PARIS,
Portant condamnation du livre intitulé :
Exposition de la Foi, etc.

 

 

Louis-Antoine , par la permission divine et par la grâce du Saint-Siège apostolique, archevêque de Paris, etc. Le premier devoir des évêques est de garder le dépôt de la foi : ils doivent s'opposer avec zèle à toutes les nouveautés capables d'en altérer la pureté, et ne jamais souffrir qu'on y fasse le moindre changement, ni en ajoutant, ni en diminuant, selon la sage maxime de Vincent de Lérins (1). Aussi dès le moment que Dieu a permis que nous fussions chargés de la conduite d'un clergé et d'un peuple si nombreux, nous nous sommes résolus de veiller, avec tout le soin que nous devons, à la conservation de la saine doctrine. Nous savons que l'esprit d'erreur s'élève toujours par quelque « doctrine nouvelle contre la science de Dieu (2) ; » et, quoiqu'il voie ses conseils renversés par la puissance de l'esprit de vérité, il ne se rebute jamais. Nous espérions néanmoins que les troubles qu'il a excités dans l'Eglise de France pendant une si grande partie de ce siècle

 

1 Commonit., cap. XXXII. — 2 II Cor., X, 5.

 

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et dont on ne peut renouveler le souvenir qu'avec douleur, seraient entièrement apaisés par les censures des Papes, reçues et exécutées par tous les évêques, et appuyées de l'autorité et de la piété d'un roi qui est si digne, par son zèle pour la foi catholique, de la qualité de Fils aîné de l'Eglise. La cause étant si solennellement finie , nous pouvions nous promettre que l'erreur finirait aussi, pour user des paroles de saint Augustin dans une occasion semblable. Mais nous voyons avec un sensible déplaisir, qu'il y a encore parmi nous des esprits inquiets et ennemis de la paix, et qu'on répand dans le public des livres qui pourraient troubler le repos de l'Eglise, et renouveler les longues et fâcheuses disputes qu'elle a eu tant de peine d'arrêter. Tel est le livre intitulé : Exposition de la foi, touchant la grâce et la prédestination.

Personne n'ignore le bruit qu'ont excité les cinq fameuses propositions tirées du livre de Cornélius Jansénius, évêque d'Ipres, intitulé : Augustinus. Dix ans après que ce livre eut paru, quatre-vingt-cinq évoques de France y voyant des propositions déjà condamnées par le saint concile de Trente, parce qu'elles mettaient des bornes trop étroites à la liberté de l'homme et ne donnaient pas assez d'étendue à la bonté de Dieu, eurent recours à l'autorité du Saint-Siège. Le pape Innocent X, qui le remplissait alors, fit publier une Constitution en date du dernier mai 1053, où ces cinq propositions de ce livre reçurent la condamnation qu'elles méritaient. Cette première constitution fut interprétée pour un plus grand éclaircissement, et confirmée par deux autres d'Alexandre YII , l'une du 10 octobre 1050 et l'autre du 15 février 1005 , qui contenait un formulaire dont elle ordonnait la signature , lequel est de même sens et de même esprit que celui de l'assemblée du clergé de 1050.

Les évêques acceptèrent ces constitutions apostoliques, et y acquiescèrent unanimement avec toute sorte de respect et de soumission ; ce qui fut suivi du consentement de toute l'Eglise catholique. C'en était assez pour détruire une doctrine si pernicieuse ; d’autant plus que Jansénius, qui en était l'auteur, en soumettant ses écrits au jugement et à la censure du Saint-Siège, même dans son testament et près de sa mort, avait donné à ses disciples un

 

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exemple qu'ils devaient suivre. Cependant, comme l'orgueil ne cesse de s'élever quoiqu'abattu, nous voyons avec douleur renaître l'hérésie dans un livre nouvellement imprimé, avec d'autant plus de péril qu'étant composé en langue vulgaire, il peut être lu des simples et des ignorants comme des savants.

Ainsi pour nous acquitter de notre devoir dans une occasion si importante, nous avons fait soigneusement examiner, et nous avons aussi nous-mêmes longtemps examiné cet ouvrage , où il nous a été facile de reconnaître tout le venin du dogme de Jansénius. La première proposition, qui est comme la source et le fondement de toutes les autres, c'est-à-dire celle où l'on ôte aux justes qui tombent la grâce sans laquelle on ne peut rien, y est renouvelée comme une vérité de foi. On n'a pas besoin de relever les autres propositions condamnées, que cet auteur inconnu a répandues dans son livre, non plus que l'abus qu'il y fait du nom de saint Augustin et de quelques autres docteurs.

Il n'y a point de meilleur remède à ce mal qui s'efforce de revivre, que celui par lequel il a été détruit la première fois, c'est-à-dire les Constitutions d'Innocent X et d'Alexandre VII. L'intelligence en est claire : il n'y a qu'à prendre les Constitutions et les propositions qu'elles condamnent dans le sens qui se fait sentir d'abord, et que la lecture présente in sensu obvio. C'est la règle que donne aux évêques des Pays-Bas et à la Faculté de théologie de Louvain, par ses brefs du 6 février 1091, notre saint Père le Pape Innocent XII, que Dieu veuille conserver longtemps pour le bien de la chrétienté, dont il est véritablement le Père commun.

Nous ne pouvons marcher par une voie plus sûre : ainsi en adhérant aux Constitutions d'Innocent X et d'Alexandre VII, après une mûre délibération, LE SAINT NOM DE DIEU INVOQUÉ , nous condamnons le livre intitulé : Exposition de la foi touchant la grâce et la prédestination, imprimé à Mons, chez Gaspard Migeot, comme contenant des propositions respectivement fausses, téméraires, scandaleuses, impies, blasphématoires, injurieuses à Dieu et dérogeantes à sa bonté, frappées d'anathème et hérétiques; enfin comme renouvelant la doctrine des cinq propositions de Jansénius, avec une témérité d'autant plus insupportable, que

 

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cet auteur ose donner, comme étant de foi, non-seulement ce qui n'en est pas, mais même ce que la foi abhorre et ce qui est détesté par toute l'Eglise.

Au surplus nous n'entendons point approuver les autres propositions contenues dans ce livre, nous en défendons la lecture sous peine d'excommunication et autres peines de droit. Ordonnons sous les mêmes peines de remettre les exemplaires entre nos mains ou en celles de nos vicaires généraux; et nous n'oublierons rien de ce qui dépend de notre charge pastorale, pour faire que la doctrine contenue et renouvelée dans ce livre soit entièrement éteinte et supprimée.

Mais pour ne pas arracher le bon grain avec l'ivraie, après avoir découvert l'erreur de ceux qui ont abusé de la doctrine de la grâce, en tirant de son efficace des conséquences outrées, il est encore de notre devoir d'instruire sur une matière si importante ceux que le Saint-Esprit a commis à notre conduite. Nous le ferons sans entrer dans des questions épineuses, nous contentant de tirer de l'Ecriture, des conciles et des saints Pères ce qui peut éclairer et nourrir la piété, sans entretenir l'esprit de curiosité et de dispute.

Il n'y a point de chrétien qui ne soit obligé de reconnaître que nous ne pouvons rien pour le salut, sans la grâce de Jésus-Christ. Les bonnes pensées, les saintes actions, a tout don parfait vient d'en haut et descend du Père des lumières (1). » C'est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire, selon la doctrine expresse de l'apôtre saint Paul (2). Il faut donc nous humilier dans la vue de notre impuissance, et nous relever en même temps par la considération de la bonté toute-puissante de Jésus-Christ. Quelque faibles que nous soyons par nous-mêmes et quelque perfection que Dieu nous demande, « il ne nous commande rien d'impossible; mais en nous faisant le commandement, il nous avertit de faire ce que nous pouvons, et de demander ce que nous ne pouvons pas : et il nous aide afin que nous le puissions (3). » Que celui donc qui a besoin de sagesse ne l'attende pas de soi-même, comme faisaient les philosophes orgueilleux ; mais qu'il la demande

 

1 Jacob., I, 17. — 2 Philipp., II, 13.— 3 Concil. Trid., sess. VI, cap. XI.

 

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à Dieu, comme ont toujours fait les humbles enfants de l'Eglise.

Cette sage et pieuse mère, conduite par le Saint-Esprit, nous apprend par ses prières, formées sur le modèle de l'Oraison Dominicale , la nécessité de la grâce et le moyen de l'obtenir. C'a été en cette matière, dès les premiers temps, une règle invariable des saints Pères, que la loi de la prière établit celle de la foi, et que, pour bien entendre ce que l'on croit, il n'y a qu'à remarquer ce que l'on demande : « ut legem credendi, lex statuat supplicandi (1). » On demande à Dieu, au saint autel, non-seulement que les infidèles puissent croire, les pécheurs se convertir, et les bons persévérer dans la justice, mais encore que les premiers reviennent effectivement de leurs erreurs ; que le remède de la pénitence soit appliqué aux seconds, et que les derniers conservent jusqu'à la fin la grâce qu'ils ont reçue : ce n'est donc pas le seul pouvoir, mais encore l'effet, que l'on demande ; et pour montrer qu'on ne le fait pas inutilement, lorsque ces saintes prières sont suivies d'un bon succès, on ne manque point d'en rendre grâces à Dieu avec une particulière reconnaissance.

Aussi le Maître céleste, quand ses apôtres le supplient de leur enseigner à prier Dieu, voulant instruire toute l'Eglise en leur personne, nous apprend à lui demander que son nom soit en effet sanctifié en nous par notre bonne vie, que son règne à qui tout est soumis arrive bientôt, que sa volonté s'accomplisse en nous comme dans le ciel, et que notre pain de tous les jours, c'est-à-dire, la nourriture nécessaire aux esprits et aux corps, nous soit donnée par sa libéralité.

Comme nous lui demandons les biens dont nous avons besoin, nous le prions pareillement de nous délivrer des maux que nous devons craindre : nous le conjurons de ne nous pas laisser succomber à la tentation, et de nous délivrer du mal, c'est-à-dire, de nous défendre à jamais du péché, qui est le seul mal véritable et la source de tous les autres. Cette délivrance emporte avec soi la persévérance finale ; et l'Eglise s'en explique ainsi dans cette

 

1 Auctoritates Sedis apostolicae, post Epistolam Cœlestini Papœ ad Episcopo Galliae. Concil., tom. II, col. 1616, n. VIII.

 

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prière qu'elle fait faire à tous ses ministres, et qu'elle propose à tous les fidèles dans la communion : « Faites, Seigneur, que je demeure toujours attaché à vos commandements, et ne souffrez pas que je sois jamais séparé de vous. »

L'Orient conspire avec l'Occident dans ces demandes ; et il y a plus de mille ans que les défenseurs de la grâce ont rapporté cette prière de la Liturgie attribuée à saint Basile : « Faites bons les méchants, conservez les bons dans la piété ; car vous pouvez tout, et rien ne vous contredit; vous sauvez quand vous voulez, et il n'y a personne qui résiste à votre volonté (1). »

C'est cette toute-puissance de la volonté de Dieu opérante en nous, qui a encore formé cette oraison du sacrifice : «Forcez nos volontés, même rebelles, à se rendre à vous ; » non que nous soyons justifiés et sauvés malgré nous, mais parce que Dieu rend nos volontés soumises de rebelles qu'elles étaient, et qu'il leur fait aimer ce qu'elles haïssaient auparavant. En faisant passer la volonté du mal au bien, selon l'expression de saint Bernard, il ne force pas la liberté, mais il la redresse et la perfectionne. C'est le Seigneur qui dirige les pas de l'homme, mais c'est en faisant que l'homme entre librement dans la voie : Apud Dominum gressus hominis dirigentur, et viam ejus volet (2). C'est Dieu qui tire l’âme après lui ; mais c'est en faisant qu'elle suive cet attrait avec toute la liberté de son choix.

Qu'on ne s'imagine donc pas que la puissance de la grâce détruise la liberté de l'homme, ou que la liberté de l'homme affoi-blisse la puissance de la grâce. Peut-on croire qu'il soit difficile à Dieu, qui a fait l'homme libre, de le faire agir librement et de le mettre en état de choisir ce qui lui plait ? L'Ecriture, la tradition , la raison même nous enseignent que toute la force que nous avons pour faire le bien vient de Dieu, et notre propre expérience nous fait sentir que nous ne pouvons que trop nous empêcher de faire le bien si nous voulons. Il n'arrive même que trop souvent que nous résistons actuellement aux grâces que Dieu nous donne, et que nous les recevons en vain (3). Mais quelque

 

1 Petr Diacon., ad S. Fulgent., de Incarn. et Grat. Christi. — 2 Psal. XXXVI, 23. — 3 II Cor., VI, 1.

 

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pouvoir que nous sentions en nous de refuser notre consentement à la grâce, même la plus efficace, la foi nous apprend que Dieu est tout-puissant, et qu'ainsi il peut faire ce qu'il veut de notre volonté et par notre volonté. Quand donc il plaît à la miséricorde toute-puissante de Jésus-Christ de nous appeler de cette vocation que saint Paul nomme selon son propos (1), c'est-à-dire selon son décret, les morts mêmes entendent sa voix et la suivent. Les liens par lesquels sa grâce nous attire, nous parois-sent aussi doux et aussi aimables que les chaînes du péché nous deviennent pesantes et honteuses, « et la suavité du Saint-Esprit fait que ce qui nous porte à l'observance de la loi, nous plaît davantage que ce qui nous en éloigne (2). »

Par là nous pouvons entendre en quelque manière comment la grâce s'accorde avec le libre arbitre, et comment le libre arbitre coopère avec la grâce. La grâce excite la volonté, dit saint Bernard , en lui inspirant de bonnes pensées ; elle la guérit en changeant ses affections; elle la fortifie en la portant aux bonnes actions; et la volonté consent et coopère à la grâce en suivant ses mouvements. Ainsi ce qui d'abord a été commencé dans la volonté par la grâce seule, se continue et s'accomplit conjointement par la grâce et par la volonté ; mais en telle sorte que tout se faisant dans la volonté et par la volonté, tout vient cependant de la grâce : Totum quidem hoc, et totum illa; sed ut totum in illo, sic totum ex illâ (3).

Dieu nous inspire les saintes prières avec autant d'efficace qu'il opère en nous les bonnes œuvres. Quand saint Paul dit que «le Saint-Esprit prie en nous (4) » les saints Pères interprètent qu'il nous fait prier en nous donnant tout ensemble, avec le désir de prier, l'effet d'un si pieux désir, impartito orationis affectu et effectu (5), et l'Eglise bien instruite de cette vérité, demande aussi pour être exaucée, «que Dieu lui fasse demander ce qui lui est agréable. »

C'est donc Dieu qui nous fait prier avec autant de pouvoir qu'il

 

1 Rom., VIII, 28. — 2 S. August, lib. De Spiritu et litt., cap. XXIX, n. 51. — 3 S. Bern., lib. De Grat. et lib. Arbit., cap. XIV, n. 47.—  4 Rom., VIII, 26. — 5 Epist. S. August., CXCIV, ad Sixtum, n. 16.

 

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nous fait agir ; il a des moyens certains de nous donner la persévérance de la prière, pour nous faire obtenir ensuite celle de la bonne vie. Il a su, il a ordonné, il a préparé devant tous les temps ces bienfaits de sa grâce : il a aussi connu ceux à qui il les préparait par son éternelle miséricorde et par un amour gratuit. Il faut poser pour fondement qu'il n'y a point d'injustice en Dieu, et que nul homme ne doit sonder ni approfondir ses impénétrables conseils. Tout le bien qui est en nous vient de Dieu, et tout le mal vient uniquement de nous. « Dieu couronne ses dons dans ses élus, en couronnant leurs mérites (1); » et il ne punit les réprouvés que pour leurs péchés, qui sont l'unique cause de leur malheur. C'est parla que nous apprenons qu'en concourant avec la grâce par une humble et fidèle coopération, nous devons, avec saint Cyprien et saint Augustin, attribuer à Dieu tout l'ouvrage de notre salut, ut totum detur Deo, et nous abandonnera sa bonté avec une entière confiance, persuadés avec le même saint Augustin que nous serons dans une plus grande sûreté, si nous donnons tout à Dieu, que si nous nous confions en partie à lui et en partie à nous : Tutiores igitur vivimus, si totum Deo damus ; non autem nos illi ex parte, et nobis ex parte committimus (2).

Mais que cette confiance , que cet abandon à Dieu ne nous fasse pas croire qu'il n'y ait rien à faire de notre part pour notre salut, puisque saint Pierre nous enseigne « que nous devons rendre, par nos bonnes œuvres, notre vocation et notre élection certaine (3); que saint Paul veut que nous courions pour gagner le prix, sic currite ut comprehendatis (4) ; et que saint Augustin nous assure (5) que « nous devons espérer et demander à Dieu tous les jours la persévérance, et croire que parce moyen nous ne serons point séparés de son peuple élu, puisque si nous espérons et si nous demandons, c'est lui-même qui nous le donne ; » en sorte que notre espérance et notre prière est un gage de sa bonté et une preuve qu'il ne nous abandonne pas. Et ce qui doit encore soutenir la confiance, est que les conciles nous répondent que Dieu

 

1 S. August., Epist. ad Sixtum, CXCIV,n. 19; et De Grat. et lib. Arbit., cap. VI, n. 15. — 2 De dono Persever., cap.VI, n. 12. — 3 II Petr., I, 10. — 4 I Cor., IX, De dono Persever., cap. XXII, n. 62, col. 855.

 

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n'abandonne jamais ceux qu'il a une fois justifiés par sa grâce, s'il n'en est abandonné le premier. Ce sont les termes du concile de Trente : Deus suà gratià semel justificatos non deserit, nisi ab eis prias deseratur (1) ; et c'est ce que le second concile d'Orange avait reconnu plusieurs siècles auparavant, déclarant qu'il est de la foi catholique que tous ceux qui ont été baptisés peuvent avec la grâce de Jésus-Christ accomplir tout ce qui est nécessaire pour leur salut, s'ils veulent travailler fidèlement (2).

Voilà ce que les fidèles doivent savoir de ce grand mystère de la prédestination, qui a tant étonné et tant humilié, l'apôtre saint Paul. Le reste peut être regardé comme faisant partie de ces profondeurs qu'on ne doit point mépriser, mais qu'on n'a aussi aucun besoin d'établir (3).

Qu'on se garde bien de penser que les saints Pères qui nous ont donné ces vérités saintes, et en particulier saint Augustin, aient excédé, puisqu'au contraire les Papes déclarent que ce Père, dans sa doctrine toujours approuvée par leurs saints prédécesseurs , « n'a jamais été atteint du moindre soupçon désavantageux (4) : » et bien loin qu'il y ait rien d'excessif dans ses derniers livres, dont les ennemis de la grâce ont paru le plus émus, ce sont ceux où un savant Pape a voulu principalement que l'on apprît sur la grâce et sur le libre arbitre les sentiments de l'Eglise romaine, c'est-à-dire, ajoute-t-il, ceux de l'Eglise catholique (5).

Ces paroles du saint pontife Hormisdas, qu'un ancien concile de confesseurs bannis pour la foi a opposées à tous ceux qui, manquant de respect pour les ouvrages de saint Augustin, étaient tombés dans l'erreur, méritent d'être répétées en ce temps où notre saint Père le Pape nous renvoie encore à ce même Père, pour savoir « les sentiments que suit l'Eglise romaine, selon les décrets de ses prédécesseurs (6). » Telle est la saine doctrine de la prédestination et de la grâce de Jésus-Christ. Le principal fruit

 

1 Sess. VI, cap. II.— 2 Concil. Araus. II, cap. XXV.— 3 Auctoritates Sedis  apostolicœ, post. epist. Cœlestini Papes ad epics. Galliœ, Concil., tom. II, col 1617. n. X. — 4 « Numquàm hunc (Augustinum) sinistrœ suspicionis saltem rumor aspersit. » Epist. Cœlestini ad Galliœ episcopos, Concil., tom. II, col. 1612. — 5 Hormisd., Epist. ad Possessorem, Concil., tom. IV, col. 1532. — 6 Breve ad Facult. theolog. Lovaniensem, 6 febr. 1694.

 

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qu'elle doit produire, est d'inspirer aux fidèles l'humilité et la vigilance chrétienne, de leur faire craindre leur faiblesse, et de réveiller leur attention pour l'accomplissement de leurs devoirs. En leur faisant connaître « qu'ils ne peuvent rien sans le secours de Jésus-Christ (1), » elle leur fait sentir « qu'ils peuvent tout en celui qui les fortifie (2). » Leur crainte est soutenue par la confiance; et ces vertus préparent l’âme à l'amour de Dieu, que « le Saint-Esprit répand dans nos cœurs (3) » avec la grâce, puisque la grâce consiste principalement dans la délectable inspiration de cet amour. C'est à cet amour que la crainte des supplices éternels prépare la voie : le commencement de cet amour ouvre les cœurs à la conversion, comme sa perfection les y affermit. Par l'amour de Dieu toutes les vertus entrent et se perfectionnent dans nos âmes ; toute la fausse morale s'évanouit, l'amour ne nous rendant pas moins éclairés sur nos devoirs que fervents pour les remplir. C'est par cet amour que les hommes cessent de chercher de vaines excuses dans leurs péchés ; et de toutes ces vaines excuses, dont l'amour-propre se fait un fragile appui, il n'y en a point de plus pernicieuse que celle par où l'on tâche de se décharger de l'obligation d'aimer Dieu, puisque c'est la première et la principale, comme la plus juste et la plus aimable de toutes.

Nous exhortons les prédicateurs et les confesseurs, et leur ordonnons par l'autorité du Saint-Esprit, qui nous a établi pasteur pour gouverner l'Eglise de Dieu, de s'attacher fidèlement à la sainte doctrine que nous leur proposons, puisque dans toutes ses parties elle est tirée de l'Ecriture et exprimée par les propres paroles des saints, que le Saint-Siège et toute l'Eglise catholique a reçues et canonisées, nous confiant eh Notre-Seigneur que ceux qui auraient écrit dans un autre esprit n'attendront pas la correction que nous pourrions faire de leurs erreurs, s'ils y persistaient.

Pour achever d'imiter en cette occasion la sage conduite de notre saint Père le Pape, que nous nous proposons pour modèle, il ne nous reste plus que de recommander, comme Sa Sainteté fait dans les brefs déjà cités, qu'on ne se serve plus de cette accusation vague et odieuse du jansénisme pour décrier personne, à

 

1 Joan., XV, 5. — 2 Philips., IV, 13. — 3 Rom., V, 5.

 

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moins qu'il ne soit convaincu d'avoir enseigné de vive voix ou par écrit quelqu'une des propositions condamnées. Nous nous opposerons aussi fortement que nous le devons à tous ceux qui auront la témérité d'en renouveler la doctrine, et de parler ou d'écrire directement ou indirectement contre les constitutions des papes ; mais nous ne souffrirons pas aussi que des gens sans autorité, comme sans charité, s'ingèrent de juger de la foi de leurs frères, et donnent atteinte à leur réputation sur de légers soupçons. Nous savons trop combien il est préjudiciable à l'Eglise de recevoir facilement de mauvaises impressions contre ceux à qui Dieu a donné la piété et la science nécessaire pour la servir ; et nous ferons tous nos efforts pour arrêter l'inquiétude des esprits remuants, qui pourraient troubler son repos en altérant sa foi par une mauvaise doctrine, ou sa paix par la division de ses ministres, ut desinat Ecclesiarum quietem inquietudo turbare (1). C'est ce que recommandait autrefois aux évêques de France un saint Pape, et ce que celui qui nous gouverne aujourd'hui avec tant de grâce et de bénédiction, ordonne aux églises des Pays-Bas. Si mandons aux officiers de notre Cour d'Eglise, de tenir la main à l'exécution de notre présente ordonnance, de la faire afficher aux portes des églises de cette ville et faubourgs, et partout ailleurs où besoin sera.

Donné à Paris, dans notre palais archiépiscopal, le vingtième août mil six cent quatre-vingt-seize.

 

1 Coelestini Papœ Epist. ad Galliarum Episcopos, loc. cit.

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