Défense I - Livre II
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LIVRE II


SUITE   D'ERREURS  SUR  LA  TRADITION.    L’lNFAILLIBILITÉ  DE   L'ÉGLISE   OUVERTEMENT ATTAQUÉE. ERREURS SUR LES ÉCRITURES ET SUR LES PREUVES DE LA TRINITÉ.

LIVRE II

CHAPITRE PREMIER.

CHAPITRE  II.

CHAPITRE III.

CHAPITRE IV.

CHAPITRE V.

CHAPITRE VI.

CHAPITRE VII.

CHAPITRE VIII.

CHAPITRE IX.

CHAPITRE X.

CHAPITRE XI.

CHAPITRE XII.

CHAPITRE XIII.

CHAPITRE XIV.

CHAPITRE XV.

CHAPITRE XVI.

CHAPITRE XVII.

CHAPITRE XVIII.

CHAPITRE XIX.

CHAPITRE XX.

CHAPITRE XXI.

CHAPITRE XXII.

 

 

CHAPITRE PREMIER.

 

Que l'esprit de M. Simon est de ne louer la tradition que pour affaiblir l'Ecriture : quel soin il prend de montrer que la Trinité n'y est pas établie.

 

M. Simon se plaindra qu'on l'accuse à tort d'affaiblir la tradition , puisqu'il en établit la nécessité dans sa Préface, et qu'il l'appelle partout au secours de la religion, principalement en deux endroits du chapitre vi de son livre I. J'avoue qu'en ces deux endroits il semble favoriser la tradition; mais je soutiens en même temps qu'il le fait frauduleusement et malignement, et que le but de sa critique en ces endroits et partout, est d'employer la tradition pour faire tomber les preuves qu'on tire de l'Ecriture. Et afin de mieux connaître son erreur, il faut supposer que tous les Pères et tous les théologiens, après Vincent de Lérins, demeurent d'accord que parmi les lieux théologiques, c'est-à-dire parmi les sources d'où la théologie tire ses arguments pour établir ou pour éclaircir les dogmes de la foi, le premier et le fondement de tous les autres est l'Ecriture canonique, d'où tous les théologiens, aussi bien que tous les Pères, supposent qu'on peut tirer des arguments convaincants contre les hérétiques. La tradition, c'est-à-dire la parole non écrite est un second lieu, d'où on tire des arguments : Primo divinœ legis auctoritate, tum deinde Ecclesiœ catholicœ traditione (1), comme parle Vincent de Lérins. Mais ce second lieu, ce second principe de notre théologie ne doit pas être employé pour affaiblir l'autre, qui est l'Ecriture sainte. C'est pourtant ce qu'a toujours fait notre critique, et le chapitre VI où il semble vouloir établir la tradition, en est une preuve. Il y étale au long la dispute qu'on a supposée entre saint Athanase et Arius sur la sainte Trinité; et voici à quelle fin : « C'est afin, dit-il,

 

1 Comm. init., p. 325.

 

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de mieux connaître la méthode des catholiques et des anciens ariens (1). » Cette dispute particulière est donc un modèle du procédé des uns et des autres, et des principes dont ils se servaient en général dans la dispute : c'est pour cela que M. Simon produit celle-ci ; et l'on va voir que le résultat est précisément ce que j'ai dit, que l'Ecriture et ensuite la tradition ne prouvent rien de part et d'autre.

Je pourrais avant toutes choses remarquer que cette dispute n'est point de saint Athanase, M. Simon en convient. Elle n'approche ni de la force ni de la sublimité de ce grand auteur ; et c'est d'abord ce qui fait sentir la malignité de notre critique, qui pour nous donner l'idée de la faiblesse des arguments qu'on peut tirer de l'Ecriture contre Arius, choisit, non point saint Athanase, qui ne poussait point de coup qui ne portât, mais le faible bras d'un athlète incapable de profiter de l'avantage de sa cause. Voilà déjà un premier trait de sa malignité. Voici la suite. Et d'abord il fait dire aux deux combattants qu'ils ne se veulent appuyer que sur l'Ecriture : Moi, dit Arius, je ne dis rien qui n'y soit conforme. Et moi, répond le faux Athanase, «j'ai appris de l'Ecriture divinement Inspirée, que le Fils de Dieu est éternel (2) » Si donc ils ne prouvent rien par l'Ecriture, à laquelle ils se rapportent, on voit qu'ils demeureront tous deux en défaut. C'est précisément ce que M. Simon fait arriver, puisque les faisant entrer en dispute par l'Ecriture, il les fait paraître tous deux également embarrassés; en sorte qu'après avoir dit tout ce «qu'ils savent de mieux, ils passent dans d'autres matières un peu éloignées (3), » comme des gens, qui s'étant tâtés, sentent bien qu'ils ne peuvent se faire aucun mal. « Tant il est vrai, conclut notre auteur, qu'il est difficile de tirer des conclusions de l'Ecriture sainte, comme d'un principe clair et évident (4). »

Tout ce jeu de M. Simon n'aboutit visiblement qu'à faire voir contre toute la théologie, qu'on ne peut rien conclure des livres divins; et que ce lieu qui est le premier d'où l'on tire les arguments théologiques, est le plus faible de tous, puisqu'on n'avance rien par ce moyen. Et quand il dit « qu'il est difficile de tirer des

 

1 P. 92 et seq. — 2 P  93. — 3 P. 94. — 4 Ibid.

 

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conclusions de l'Ecriture, comme d'un principe clair et évident, » ce difficile est un terme de ménagement par lequel il se prépare une excuse contre ceux qui l'accuseraient d'affaiblir les preuves qu'on tire de l'Ecriture contre l'hérésie arienne; mais au fond il se déclare lui-même, et malgré ses précautions on voit qu'il n'a raconté cette dispute que pour montrer qu'on ne gagne rien avec l'Ecriture contre ceux qui nient la Trinité.

Ainsi par les soins de M. Simon, les ennemis de ce mystère sont à couvert des preuves de l'Ecriture. Il a voulu faire ce plaisir aux sociniens. J'avoue qu'il ne leur donne pas plus d'avantage sur le catholique que le catholique n'en a sur eux; mais M. Simon n'ignore pas, et même il étale ailleurs (1) le raisonnement de ces hérétiques, qui soutiennent que, pour exclure de notre créance une chose aussi obscure que la Trinité, c'est assez qu'elle ne soit pas prouvée clairement.

Il n'en demeure pas là, il fait encore revenir les deux lutteurs. « Ils retournent, dit-il, à la charge, » mais pour avancer aussi peu qu'auparavant, puisqu'après avoir observé soigneusement que « la dispute n'était appuyée de part et d'autre que sur des passages de l'Ecriture (2), » et avoir fait objecter ce qu'elle a de plus fort selon notre auteur, il en conclut que « cela fait voir, que si l'on ne joint une tradition constante à cette méthode, il est difficile de trouver la religion clairement et distinctement dans les livres sacrés, comme l'on en peut juger par tout ce qui vient d'être rapporté (3). »

De cette sorte la tradition ne paraît ici qu'afin de faire passer la proposition, qu'en matière de dogme de foi, et en particulier sur la foi de la Trinité, on n'avance rien par l'Ecriture ; et c'est pourquoi l'auteur ajoute : « Mais après tout, bien que la plupart des raisons d'Athanase prises de l'Ecriture fussent pressantes, Arius n'en demeure point convaincu (4). » Ce qui n'a d'autre but que de faire voir que l'effet des preuves de l'Ecriture est après tout de laisser chacun dans son opinion, sans qu'il y ait dans ces preuves de quoi convaincre un arien.

 

1 P. 865, etc. — 2 P. 94. — 3 P. 97. — 4 P. 98.

 

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CHAPITRE  II.

 

Qu'en affaiblissant la preuves de l'Ecriture sur la Trinité, M. Simon affaiblit également celles de la tradition.

 

Que M. Simon ne dise pas qu'en ôtant aux catholiques les preuves de l'Ecriture, il leur laisse celles de la tradition ; car s'il les voulait conserver, il faudrait rendre raison pourquoi l'orthodoxe ne les emploie pas. Pourquoi s'arrête-t-il à l'Ecriture et en fait-il dépendre absolument, aussi bien que l'arien, la décision delà cause, puisqu'il succombe manifestement de ce côté-là? Que ne se sert-il de ses véritables armes, c'est-à-dire de la tradition, qui l'auraient rendu invincible? C'est faire que le catholique ne connaisse pas l'avantage de sa cause; et tout cela pour conclure que si l'on néglige la tradition de part et d'autre, et que d'ailleurs on n'avance rien par l'Ecriture à qui seule on s'en rapporte, il n'y a ni Ecriture ni tradition qui puisse fournir de bons arguments à la doctrine de l'Eglise. Voilà donc le résultat de cette dispute à laquelle M. Simon nous renvoie, pour connaître «la méthode des catholiques et des anciens ariens, dans l'interprétation qu'ils ont donnée aux endroits du Nouveau Testament qui regardent leur doctrine (1). » Sa critique tend visiblement à rendre les ariens invincibles. C'est pourquoi il conclut, « que comme Arius est persuadé que sa croyance est fondée sur l'Ecriture (à laquelle les deux partis se rapportaient), il prétend n'être point dans l'erreur (2); » et M. Simon appuie sa pensée, puisque les deux partis étant convenus de décider la question par les preuves de l'Ecriture, dès qu'on avouerait avec lui qu'elles ne sont pas concluantes, on obligèrent le catholique à quitter la partie, et à laisser son adversaire dans une juste possession de sa croyance.

 

CHAPITRE III.

 

Soin extrême de l'auteur pour montrer que les catholiques ne peuvent convaincre les ariens par l’Ecriture.

 

Et afin qu'on ne doute pas que la chose ne soit ainsi, M. Simon

 

1 P. 92. — 2 P. 99

 

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affecte de louer beaucoup celui qui défend l'Eglise, à qui il donne ces trois éloges : l'un, « qu'il n'a point le défaut de la plupart des Pères grecs, qui sont ordinairement féconds en paroles et en digressions (1). » C'était donc déjà un homme excellent, qui n'avait point les défauts communs de sa nation. Le second éloge de ce défenseur de l'Eglise, « c'est qu'il va presque toujours à son but sans prendre aucun détour ; » de sorte que s'il ne prouve rien, ce sera visiblement par la faute non point de l'homme, mais de la cause. C'est pourquoi M. Simon ajoute encore, que «comme les ariens, outre leur application à l'étude de l'Ecriture, étaient fort exercés dans l'art de la dialectique, celui-ci ne leur cède en rien dans l'art de raisonner (2). » Il resterait encore à soupçonner que cet homme qui ne conclut rien, étant d'ailleurs si habile dans l'art du raisonnement, serait peut-être demeuré court pour ne pas assez savoir le fond des choses; mais M. Simon le met à couvert de ce reproche,  en disant à son occasion et pour achever son éloge : « Il faut avouer qu'il y avait alors de grands hommes dans l'Eglise orientale, qui lisaient avec beaucoup de soin les livres sacrés pour y apprendre la religion (3). » Qu'y a-t-il donc à répliquer? Rien ne manquait à cet homme pour pousser à bout un arien : il était très-bien instruit de la matière; il ne cédait rien à son adversaire dans l'art de la dispute, et aucun des Grecs n'allait plus directement au but. Si donc il n'avance rien, c'est le défaut de la cause : c'est que l'arien est invincible, et c'est ainsi que M. Simon nous le représente.

Il adjuge encore la victoire aux ennemis de la Trinité par une autre voie, lorsqu'après avoir rapporté les preuves du faux Athanase pour la divinité du Saint-Esprit, il donne ce qui suit pour toute preuve que cette dispute n'est point du vrai Athanase : « Il paraît par ce qu'on vient de rapporter de la divinité du Saint-Esprit, que l'auteur qui parle dans cette dispute n'est point véritablement Athanase (4). » ce qui laisse à croire au lecteur que saint Athanase n'admettait pas la divinité du Saint-Esprit, ou du moins qu'il n'en parlait pas fort clairement, puisqu'on prouve qu'il n'est pas l'auteur d'un discours à cause qu'elle y est soutenue.

 

1 P. 99. — 2 Ibid. — 3 Ibid. — 4. Ibid.

 

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CHAPITRE IV.

 

Que les moyens de M. Simon contre l'Ecriture portent également contre la tradition, et qu'il détruit l'autorité des Pères par les contradictions qu'il leur attribue. Passages de saint Athanase.

 

C'est encore dans le même endroit une autre remarque fort essentielle à notre sujet, que par le même moyen par lequel l'auteur affaiblit les preuves de l'Ecriture, il détruit également celles qu'on tire de la tradition. Voici ce qu'il dit sur l'Ecriture : « Cela (la dispute qu'on vient de voir sous le nom de saint Athanase et d'Arius) nous apprend qu'il ne faut pas toujours réfuter les novateurs par l'Ecriture ; autrement il n'y aurait jamais de fin aux disputes, chacun prenant la liberté d'y trouver de nouveaux sens (1).» Mais il sait qu'il en est de même des Pères, et que « chacun prend la liberté de leur donner de nouveaux sens, comme à l'Ecriture. » Il choisit donc un moyen contre les preuves de l'Ecriture, par lequel en sa conscience il sait bien que la tradition tombe en même temps, et il n'y a qu'à suivre cet aveugle pour tomber inévitablement avec lui dans le précipice.

Il ne faut pas dissimuler qu'il remarque dans le même lieu, « qu'encore que saint Athanase n'oppose presque rien aux ariens que l'Ecriture sainte, il n'a pas négligé les preuves qu'on tire de la tradition (2), et même que finalement il nous renvoie à l'Eglise et au concile de Nicée. Mais pour ce qui est de l'Eglise et de ce concile, l'auteur ne tardera pas à nous ôter ce refuge, qu'il semble nous donner ici ; et pour la tradition, on peut voir d'abord avec quelle froideur il en parle, puisqu'il se contente de dire que saint Athanase « ne la néglige pas. » Il nous prépare par ce petit mot à ce qu'il en dira ailleurs plus ouvertement, et par avance nous venons de voir le principe qu'il a posé pour la renverser.

J'observe enfin, dans le même lieu, ce qu'il dit de saint Athanase, « qu'il nous découvre lui-même à la fin de son Traité de l'incarnation du Verbe, d'où il tirait les principes de la théologie Car parlant en ce lieu à celui à qui il adresse son ouvrage, il lui dit (3) : Si après avoir lu ce que je viens de vous écrire, vous vous

 

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appliquez sérieusement à la lecture des livres sacrés, vous y apprendrez bien mieux et lien plus clairement la vérité de tout ce que j'ai avancé (1).» Un moment auparavant, il ne travaillait qu'à nous faire sentir qu'il n'y avait rien de convaincant dans les preuves de l'Ecriture : il fait dire ici à saint Athanase qu'il n'y a rien de plus clair. A quoi aboutit cet embarras, si ce n'est à conclure d'un côté que les Pères et saint Athanase lui-même qui est le maître de tous les autres en cette matière, ont prétendu trouver la Trinité clairement et démonstrativement dans l'écriture, et de l'autre côté que l'expérience nous a fait voir le contraire, et que les disputes par l'Ecriture n'ont aucun fruit?

 

CHAPITRE V.

 

Moyens obliques de l'auteur pour détruire la Ira lition et affaiblir la foi de

la Trinité.

 

Que le lecteur attentif prenne garde ici aux manières obliques et tortueuses dont M. Simon attaque la foi de la Trinité, et ensemble l'autorité de la tradition. Il attaque la foi de la Trinité, puisqu'après avoir supposé que le catholique, aussi bien que l'arien, met dans l'Ecriture la principale espérance de sa cause, il tourne tout son discours à faire sentir que c'est en vain qu'il s'y confiait; et pour ce qui est de la tradition, on a vu comme il nous prépare à la mépriser, et la suite fera connaître qu'en effet il lui ôte son autorité. En attendant, les ariens anciens et nouveaux ont cet avantage dans les écrits de M. Simon, que les preuves de l'Ecriture, qui sont celles que de part et d'autre on estimait les plus convaincantes, n'opèrent rien. Voilà un malheureux commencement du livre de cet auteur, et un grand pas pour nous mener à l'indifférence sur un point si fondamental.

 

CHAPITRE VI.

 

Vraie idée de la tradition ; et que, faute de l'avoir suivie, l'auteur induit son lecteur à l'indifférence des religions.

 

Ce n'est pas ainsi qu'il faut établir la nécessité de la tradition ;

 

1 Athan., De incarnat. Verbi.

 

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et la méthode de l'appuyer sur les débris des preuves de l'Ecriture est un moyen qui tend plutôt à la détruire. Elle se prouve par deux moyens : l'un, qu'il y a des dogmes qui ne sont peint écrits ou ne le sont point clairement; l'autre, que dans les dogmes où l'Ecriture est la plus claire, la tradition est une preuve de cette évidence, n'y ayant rien qui fasse mieux voir l'évidence d'un passage pour établir une vérité que lorsque l'Eglise y a toujours vu celle vérité dont il s'agit.

Pour prendre donc l'idée véritable de l'Ecriture et de la tradition , de la parole écrite et non écrite, il faut dire, comme notre auteur a dit quelquefois, mais non pas aussi clairement qu'il le fallait, que les preuves de l'Ecriture sur certains points principaux, sont convaincantes par elles-mêmes; que celles de la tradition ne le sont pas moins; et qu'encore que chacunes à part puissent subsister par leur propre force, elles se prêtent la main et se donnent un mutuel secours.

Selon cette règle invariable, on fait bien de joindre la tradition aux passages les plus évidents de l'Ecriture, comme une nouvelle preuve de leur évidence. Mais c'est mal fait de n'alléguer la tradition que pour affaiblir sous ce prétexte les preuves de l'Ecriture, encore plus mal d'avoir mis toute la force de l'Eglise dans la tradition, dont en même temps on suppose que l'on ne se servait pas ; et enfin le comble du mal, c'est l'affectation de faire sortir d'une dispute un catholique et un arien avec un égal avantage, sans que ni l'un ni l'autre prouve rien; en sorte qu'il ne reste plus qu'à tirer cette conséquence, que tout cela est indifférent.

 

CHAPITRE VII.

 

Que M. Simon s'est efforce, de détruire l'autorité de la tradition, comme celle de l'Ecriture, dans la dispute de saint Augustin contre Pélage : idée de cet auteur sur la critique, et que la sienne n'est selon lui-même que chicane : fausse doctrine qu'il attribue à saint Augustin sur la tradition, et contraire à celle du concile de Trente.

 

Notre auteur a voulu trouver le même défaut dans la dispute de saint Augustin contre les pélagiens. Selon lui, saint Augustin a toujours cru la dispute sur le péché originel très-clairement

 

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décidée par la seule autorité de l'Ecriture (1). Il produit lui-même un passage où ce Père dit : que « l'Apôtre ne pouvait parler plus précisément, plus clairement, plus décisivement » que lorsqu'il a proposé Adam comme celui en qui tous avaient péché (2), in quo omnes peccaverunt (3). Il n'importe que M. Simon, trop favorable à Pelage, soutienne dans tout son livre, non-seulement à saint Augustin, mais encore à trois conciles d'Afrique et au concile de Trente, que ce passage, qu'ils ont employé comme le plus décisif, ne l'est pas (c'est ce que nous verrons ailleurs) ; il nous suffit maintenant que saint Augustin, comme l'avoue notre auteur, «fût persuadé qu'il avait prouvé la créance de l'Eglise par des passages de l'Ecriture qui ne peuvent être contestés (4). » C'est donc l'esprit de l'Eglise de croire que l'on combattait en certains points la doctrine des hérétiques par des passages si clairs, qu'il ne leur restait, à vrai dire, aucune réplique. Mais il semble que notre auteur ne nous montre cette vérité que pour la détruire, puisqu'après avoir vainement tâché de répondre par la critique au passage de saint Paul, il conclut enfin ses remarques grammaticales par cette exclamation : « Tant il est difficile de convaincre les hérétiques par des textes si formels de l'Ecriture, qu'on n'y puisse trouver aucune ambiguïté, surtout quand ils sont exercés dans la critique (5) » C'est donc là le fruit de la critique, d'apprendre aux hérétiques à éluder les passages où les saints Pères et toute l'Eglise ont trouvé le plus d'évidence, et de leur faire trouver au contraire, comme fait M. Simon en cette occasion, «des ambiguïtés, » c'est-à-dire des chicanes et des pointillés de grammaire. Mais ce qui montre que ce critique ne fait que brouiller, c'est qu'après avoir affaibli les preuves de l'Ecriture par son recours aux traditions, il ô te encore à la tradition ce qu'elle avait de plus fort dans l'antiquité, c'est-à-dire le témoignage de saint Augustin. On sait que ce saint docteur, qui avait déjà établi d'une manière invincible l'autorité de la tradition contre les donatistes rebaptisants, atterre encore les pélagiens par la même voie, en leur opposant le consentement des Pères, et des Grecs autant que des Latins, comme une des preuves les plus constantes de la vérité.

 

1 P. 286.— 2 Auguste De pecc. mer., I, 10.— 3 Rom., V.— 4 P. 290.—5 P. 287.

 

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Que dit cependant M. Simon? Voici ses paroles : «Saint Augustin fait aussi venir quelquefois à son secours la tradition fondée sur les témoignages des anciens écrivains ecclésiastiques; mais il semble ne la suivre que comme un accessoire pour s'accommoder à la méthode de ses adversaires, qui prétendaient que toute la tradition était pour eux (1).» C'est nous montrer la preuve de la tradition, non comme une preuve naturelle et du propre fond de l'Eglise, mais comme une preuve étrangère et empruntée de ses ennemis; non comme une preuve constante et perpétuelle, mais comme une preuve que l'on appelait « quelquefois à son secours ; » non comme une preuve essentielle et principale, mais comme une preuve accidentelle et accessoire. Voilà l'idée qu'on nous donne de la tradition dans la dispute contre Pelage.

Mais elle est directement opposée à celle du concile de Trente, qui décide que la tradition, c'est-à-dire la parole non écrite, doit être reçue avec un pareil sentiment de piété et une pareille révérence, pari pietate ac reverentià (2). Ce n'est donc ni un accessoire, ni rien d'étranger à l'Eglise, mais le fond même de sa doctrine et de sa preuve, aussi bien que l'Ecriture.

 

CHAPITRE VIII.

 

Que l'auteur attaque également saint Augustin et la tradition, en disant que ce Père ne l'allègue que quelquefois et par accident, comme un accessoire.

 

Mais peut-être que saint Augustin aura donné lieu à cette maligne réflexion de notre critique ? Tout au contraire, ce Père, dont il dit qu'il n'appelle la tradition que quelquefois au secours de la religion, est celui de tous les Pères qui s'en est servi le plus souvent. Vingt ou trente célèbres passages qu'on cite de ses ouvrages contre les donatistes, et de son Epître à Janvier en font foi ; et afin de nous renfermer dans la Dispute contre Pelage, qui est celle où M. Simon assure que saint Augustin ne fait venir la tradition a son secours « que quelquefois, » on voit au contraire qu'il donne a la tradition deux livres entiers , le premier et le second contre Julien. Il revient continuellement à cette preuve dans le livre des

 

1 P. 285. — 2 sess. IV.

 

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Noces et de la Concupiscence, dans le livre de la Nature et de la Grâce , dans les livres au pape Boniface contre les lettres des pélagiens, dans les livres de la Prédestination des Saints et de la Persévérance, dans le livre contre Julien qu'il a laissé imparfait et sur lequel il est mort (1) : dans tous ces livres et partout ailleurs, il ne cesse d'alléguer les Pères, et de faire de leur témoignage une de ses preuves les plus authentiques pour autoriser sa doctrine sur le péché originel. Il n'y a rien qu'il presse plus que la tradition du baptême des petits enfants , et des exorcismes qu'on faisait sur eux pour les délivrer de la puissance du démon. Pour établir sa doctrine sur la prédestination et sur le don de la persévérance (2), qui sont des matières connexes, il n'allègue rien de plus puissant que les prières de l'Eglise, qu'il ne cesse de rapporter comme l'instrument le plus manifeste de la tradition. Si M. Simon avait lu ces livres, s'il les avait pour ainsi parler seulement ouverts, aurait-il dit que saint Augustin ne se sert de la tradition « que quelquefois? » Mais il décide sans lire : il ne fait que jeter les yeux sur quelques passages connus; c'en est assez pour conclure que saint Augustin parle « quelquefois » de la tradition. Pour en dire davantage, il faudrait s'être attaché à tousses ouvrages; mais il n'y regarde pas, ou il ne fait que passer les yeux légèrement par-dessus.

A-t-on lu et pesé saint Augustin, lorsqu'on assure que la preuve de la tradition n'est pour lui « qu'un accessoire, » où il n'entre que par accident et pour s'accommoder aux pélagiens, pendant qu'on voit au contraire qu'il insiste continuellement sur cette preuve, comme sur une preuve tirée de l'intérieur de sa cause? M. Simon produit lui-même ce célèbre passage de saint Augustin, où il montre que les saints Pères , dont il allègue l'autorité contre Pelage , n'ont pu enseigner au peuple que ce qu'ils avaient trouvé déjà établi dans l'Eglise (2); ni en disant ce qu'ils y avaient trouvé établi, dire autre chose que ce que leurs Pères y avaient laissé, ni en tout cela dire autre chose que ce qui venait

 

1 De nupt., lib. II, cap. VIII; De nat. et grat., cap, LXII et seq.; Ad Bonif., lib. IV, cap. VIII, etc.; De praetest. SS., cap. XIV; Op. imp., lib. II. — 2 De dono persev., lib. II, cap. XIX, etc. — 3 P. 298.

 

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des apôtres (1). Est-ce là un argument emprunté et un accessoire de preuve, ou le fond de la cause? Avouons donc que M. Simon, qui le fait parler de la tradition d'une manière si méprisante , ne pèse pas ce qu'il lit et n'y voit que les préjugés dont il s'est laissé prévenir.

 

CHAPITRE IX.

 

L'auteur affaiblit encore la tradition par saint Hilaire, et dit indifféremment le bien et le mal.

 

Notre auteur n'attaque pas moins la tradition en parlant de saint Hilaire, lorsqu'il remarque avec tant de soin « que ce Père ne s'appuie pas même sur les traditions et sur les témoignages des anciens docteurs, mais seulement sur les livres sacrés (2). » Il est vrai qu'il insinue au même lieu que saint Hilaire en usait ainsi pour combattre les ariens « parleur propre principe, et même selon leur méthode, à cause que l'Ecriture était leur fond principal. »

Il semble donc qu'il ne fait omettre la tradition à saint Hilaire que pour s'accommoder aux ariens ; mais le contraire paraît dans les paroles suivantes : « Il suppose (c'est saint Hilaire) que les ariens convenaient de principes avec les catholiques, ayant de part et d'autre la même Ecriture, et que toute leur dispute ne consistait que dans le sens qu'on lui devait donner (3). » Si le principe des ariens était la seule Ecriture et si saint Hilaire en convient avec eux, il convenait donc avec eux que l'Ecriture était suffisante, et qu'on n'avait besoin de la tradition, ni pour expliquer ce qu'elle dit, ni pour suppléer à ce qu'elle tait : ce n'était donc pas pour s'accommoder aux ariens que saint Hilaire ne « s'appuyait pas sur les traditions; » c'est à cause que le principe commun était que l'Ecriture est assez claire, et la tradition inutile. C'est pour cela qu'il fait dire au même Père (4), que ces paroles de Jésus-Christ : « Allez maintenant instruire toutes les nations, les baptisant au nom du Père , et du Fils , et du Saint-Esprit, » sont simples et claires d'elles-mêmes. Ainsi l'Ecriture est claire selon les Pères : selon M. Simon l'on n'en peut rien conclure de certain,

 

1 Lib. II Contra Jul., cap. X, n. 34. — 2 P. 132. — 3 Ibid. — 4 Ibid.

 

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il faut avoir recours à la tradition, et néanmoins saint Hilaire ne s'appuie pas dessus. Notre auteur dit tout ce qu'il veut; il dit le pour et le contre , et fait sortir de la même bouche le bien et le mal, contre le précepte de saint Jacques », afin que chacun choisisse ce qui lui convient et que tout soit indifférent.

 

CHAPITRE X.

 

Si M. Simon a dû dire que saint Hilaire ne s'appuyait point sur la tradition.

 

Au reste, si saint Hilaire ne trouve pas à propos d'apporter les témoignages des Pères dans ses Livres de la Trinité, il ne fallait pas dire pour cela « que ce Père ne s'appuie pas sur la tradition. » M. Simon parle sans mesure. C'est s'appuyer sur la tradition, que d'avoir dit ces paroles qui en renferment toute la force : Hœc ego ita didici, ita credidi : « C'est ainsi que j'ai été instruit, et c'est ainsi que j'ai cru (2) : » ce qu'il répète en un autre endroit avec des paroles aussi courtes, et en même temps aussi efficaces : Quod accepi teneo, nec demuto quod Dei est : « Je conserve ce que j'ai reçu, et je ne change point ce qui vient de Dieu (3). » Pour s'expliquer davantage il ajoute : « Ces docteurs impies que notre âge a produits sont venus trop tard ; avant que d'en avoir ouï seulement les noms , j'ai cru à vous, ô mon Dieu, en la manière que j'y crois : j'ai été baptisé dans cette foi, et dès ce moment je suis à vous. » Il en appelle à la foi dans laquelle il a été instruit au temps de son baptême, et ne veut point écouter ceux qui le viennent enseigner depuis.

 

CHAPITRE XI.

 

Que les Pères ont également soutenu les preuves de l'Ecriture et de la tradition : que M. Simon fait le contraire, et affaiblit les unes par les autres : méthode de saint Basile, de saint Grégoire de Xysse et de saint Grégoire de Nazianze, dans la dispute contre Aèce et contre Eunome son disciple.

 

L'endroit où M. Simon semble le plus appuyer la tradition est celui où il parle de saint Basile, de saint Grégoire de Nysse son

 

1 Jacob.., III, 10. — 2 Lib. VI, n. 10. — Lib. II ad Const., n. 8, et alibi.

 

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frère, et de saint Grégoire de Nazianze son ami; mais il y tombe dans la même faute qu'on a déjà remarquée, qui est une affectation d'affaiblir, principalement sur le mystère de la Trinité, les preuves de l'Ecriture.

Pour découvrir la malignité de ce dangereux auteur, il faut remarquer en peu de mots qu'Eunome , disciple d'Aëce, ayant attaqué ce grand mystère avec de nouvelles subtilités, disons mieux, avec de nouvelles chicanes, toutes les forces de l'Eglise se tournèrent aussitôt contre lui. Saint Basile fut le premier à l'attaquer par cinq livres, auxquels il joignit un peu après celui du Saint-Esprit, pour montrer qu'on le pouvait glorifier avec le Père et le Fils, parce qu'il était leur égal et un avec eux.

Eunome fit une réponse à saint Basile , et ce Père étant mort un peu après qu'elle eut paru, saint Grégoire de Nysse entreprit la défense de son frère, qu'il appelle partout son père et son maître. Saint Grégoire de Nazianze ne manqua pas à l'Eglise dans cette occasion, et composa ces cinq oraisons ou discours célèbres contre Eunome, qu'on appelle aussi les Discours sur la théologie, et qui en effet lui ont acquis plus que tous les autres dans toute l'Eglise le titre de Théologien par excellence, à cause qu'il y défend avec une force invincible, dans sa manière précise et serrée, la théologie des chrétiens sur le mystère de la Trinité.

Les preuves dont se servent ces grands hommes sont tirées de l'Ecriture et de la tradition. Les preuves de l'Ecriture ne sont ni en petit nombre ni insuffisantes, selon l'idée qu'on va voir qu'en a voulu donner M. Simon. Au contraire tous leurs discours sont tissus de témoignages de l'Ecriture, que ces grands hommes proposent partout comme invincibles et démonstratifs par eux-mêmes. La tradition ne laissait pas de leur servir en deux manières : l'une, pour montrer qu'ils exposaient l'Ecriture comme on avait fait de tout temps; l'autre, à cause qu'y ayant des dogmes non écrits également recevables avec ceux qui se trouvaient dans l'Ecriture, ce n'était pas un argument de dire, comme faisaient les hérétiques : Cela n'est pas écrit ; donc il n'est pas.

Il ne faut pourtant pas s'imaginer qu'ils aient jamais rangé le dogme de la divinité de Jésus-Christ,  ou du Saint-Esprit, parmi

 

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les dogmes non écrits. Au contraire ils montrent partout que les preuves de l'Ecriture sont claires et suffisantes. Lorsqu'aux chapitres XXVII et XXVIII du Traité du Saint-Esprit, saint Basile vient à établir les dogmes non écrits, c'est pour prouver qu'on se peut servir, pour glorifier le Saint-Esprit avec le Père et le Fils, d'une façon de parler qui n'est point dans l'Ecriture. Les hérétiques voulaient bien qu'on unît les trois Personnes divines par la particule et, qui en effet se trouvait dans les paroles de l'Evangile : «Les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; » mais ils ne voulaient pas qu'on put dire : « Gloire soit au Père et au Fils, avec le Saint-Esprit, » à cause que ce terme avec ne se trouvait pas dans l'Ecriture; comme s'il y avait de la différence entre la conjonction et qu'on lisait dans l'Evangile, et la préposition avec qu'on n'y lisait pas. Les Pères , qui n'oubliaient rien pour détruire jusqu'aux moindres chicanes des hérétiques, démontraient premièrement que le fond de celle expression était dans l'Evangile ; et secondement que quand même il ne s'y trouverait pas, il ne faudrait pas moins la recevoir, à cause de la certitude des dogmes non écrits : et ces deux preuves sont le sujet du Livre du Saint-Esprit, de saint Basile.

Saint Grégoire de Nysse son frère, qui le défend contre Eunome, agit dans le même esprit et selon les mêmes principes. Saint Grégoire de Nazianze procède en tout et partout selon cette règle; et parce que les hérétiques voulaient qu'on leur lût dans l'Ecriture certains termes précis et formels, d'où ils faisaient dépendre la dispute, il démontrait à ces chicaneurs, premièrement qu'il y en avait d'équivalents; secondement, qu'il fallait croire même ce qui n'était nullement écrit, à plus forte raison ce qui l'était équivalemment et dans le fond, encore qu'il ne le fût pas de mot à mot.

On voit par là combien on s'oppose aux avantages de l'Eglise et à l'autorité des Pères, lorsqu'on affaiblit les preuves de l'Ecriture, qu'ils ont toujours regardées comme un principal fondement de leur créance, et qu'il n'y a rien de plus pernicieux que d'abuser de la tradition pour un dessein si malin. Cela posé, voyons maintenant les démarches de M. Simon.

 

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CHAPITRE XII.

 

Combien de mépris affecte l'auteur pour les écrits et les preuves de saint Basile et de saint Grégoire de Nazianze, principalement pour ceux où ils défendent la Trinité contre Eunome.

 

Et d'abord on ne peut voir sans douleur qu'il ne trouve que de la faiblesse dans tous les écrits par où ces grands hommes ont établi la Divinité de Jésus-Christ. Un des plus forts, quoique des plus courts sur cette matière, est celui de saint Basile sur ces paroles de saint Jean : « Au commencement était le Verbe. » Mais M. Simon le méprise, et commence sa critique sur ce Père par ces paroles : « Il paraît plus d'esprit et plus d'éloquence dans l'homélie que saint Basile nous a laissée sur ces premiers mots de saint Jean : Au commencement était le Verbe, que d'application à expliquer les paroles de son texte (1). »

C'était pourtant un texte assez important pour mériter qu'on s'y attachât : « Mais saint Basile, poursuit notre auteur, a presque toujours recours aux règles de l'art ; c'est pourquoi il s'arrête plus dans ce petit discours aux lieux communs, selon la coutume des rhéteurs, qu'à sa matière (2). »

Que veut-il qu'on pense d'un auteur, qui traitant une matière si capitale, et le texte fondamental pour en décider, ne s'applique à rien moins qu'à l'expliquer ; et qui, quoique son discours soit «petit, » se perd encore dans des lieux communs? C'est un homme qui manque de sens, ce qu'on ne peut penser de saint Basile ; ou qui sentant la faiblesse de sa cause, se jette sur des digressions et des lieux communs. Mais le contraire paraît par la lecture de cette homélie, et il faut être bien prévenu pour ne pas sentir avec quelle force les ariens y sont poussés par saint Basile. Cependant on le traite de simple rhéteur ; et si l'on veut savoir quelle idée notre critique attache à ce mot, il n'y a qu'à lire ce qu'il dit de saint Grégoire de Nazianze, « qu'il raisonne quelquefois plutôt en rhéteur qu'en théologien (3), » lui à qui tout l'Orient a donné le titre de Théologien par excellence ; et comme si le critique ne s'était pas

 

1 P. 101. — 2 Ibid. — 3 P. |24.

 

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encore expliqué d'une manière assez méprisante : « Les grands orateurs, continue-t-il, se contentent souvent de raisons qui ont quelque faible apparence (1). » Ce terme, « les grands orateurs, » fait assez sentir le style moqueur de notre critique. On n'est point, à parler juste, un grand orateur, mais un rhéteur impertinent, quand on se contente des apparences de la raison, et non pas de la raison même.

Voilà comme on traite les deux plus sublimes théologiens de leur temps, et en particulier saint Grégoire de Nazianze, quoique l'Orient l'ait tellement révéré qu'il en a fait, comme on a vu, son théologien : il n'est pourtant qu'un rhéteur, c'est-à-dire un vain discoureur qui prend l'apparence, c'est-à-dire l'illusion, pour la vérité, aussi bien que son ami saint Basile, dans le discours le plus sérieux qu'il ait jamais prononcé.

Philostorge, l'historien des ariens et l'ennemi de l'Eglise, parle plus honorablement de ces grands hommes, puisqu'il admire en eux la sagesse, l'érudition, la science des Ecritures, jusqu'à dire qu'on les préférait à saint Athanase ; et pour ce qui est du discours , il attribue en particulier la noblesse et la force aussi bien que la beauté à saint Basile; et la solidité avec la grandeur à saint Grégoire de Nazianze. Voilà quels ils étaient dans la bouche des ariens leurs ennemis, et on a vu quels ils sont dans celle de M. Simon, qui fait semblant de les révérer.

 

CHAPITRE XIII.

 

Suite du mépris de l'auteur pour les écrits et les preuves de saint Basile, et en particulier pour ses livres contre Eunome.

 

Ce qu'il y a de pire en cette occasion, c'est d'affecter de les faire faibles dans tous les écrits où ils défendent le plus fortement la foi de la Trinité. Nous avons vu comme on a traité la docte homélie de saint Basile sur le commencement de l'évangile de saint Jean. Si nous en croyons M. Simon, les livres contre Eunome, qui sont un trésor des passages les plus concluans pour la foi de la Trinité, n'ont guère de fondement sur l'Ecriture. « Saint Basile, dit notre

 

1 P. 124.

 

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auteur, lui oppose (à Eunome) de temps en temps des passages du Nouveau Testament (1). » Ce n'est que de « temps en temps, » et à  l'entendre ils y sont bien clairsemés ; mais cela est faux. Il faut une fois que ce critique, qui avance si hardiment des faussetés, en soit démenti à la face du soleil. Les passages du Nouveau Testament sont en si grand nombre et si vivement pressés dans ce livre de saint Basile, que l'hérétique en est visiblement accablé. Outre ceux qu'il étale plus au long, il y en a quelquefois plus de vingt ou trente si fortement ramassés en peu de lignes, qu'on n'en peut assez admirer la liaison, que ce critique n'a pas sentie.

Encore si en ôtant à l'Eglise le nombre des preuves, il lui en avait laissé la force, la foi demeurerait suffisamment établie, et on pourrait bien en croire un Dieu, quand il n'aurait parlé qu'une fois. Mais ces passages, que saint Basile semait par-ci par-là dans ses discours, « sont, dit-il, pour la plupart les mêmes qui ont été produits ci-dessus sous le nom d'Athanase (2). » Souvenons-nous donc quels ils étaient, et ce qu'en a dit notre auteur. C'étaient des passages dont nous avons vu que, selon lui, on ne pouvait rien conclure de clair. C'est ainsi qu'il jette de loin en loin des paroles, qui rapprochées et unies ensemble, comme un hérétique ou un libertin le saura bien faire, laissent les preuves de l'Eglise, non-seulement en petit nombre, mais encore faibles ; ce qu'il confirme en ajoutant : « Que la plupart de leurs disputes (de saint Basile et d'Eunome) roulent sur les conséquences qu'ils tirent de leurs explications; en sorte qu'on y trouve plus de raisonnements que de passages du Nouveau Testament (3). » Nous examinerons ailleurs ce qu'il ajoute encore un peu après : « Que cette méthode n'est pas exacte, à cause que la religion semblerait dépendre plutôt de notre raison que de la pure parole de Dieu (4). » Il suffit ici de faire voir que l'esprit de notre critique est de donner un mauvais tour aux preuves des Pères.

C'est encore une autre malice contre les Pères, de prendre plaisir à relever les défauts qu'on croit trouver dans leurs preuves. « Saint Basile, dit notre auteur, se sert aussi de quelques preuves tirées de l'Ancien Testament (on voit toujours en passant l'affectation

 

1 P. 105. — 2 Ibid.— 3 Ibid. — 4 P. 107.

 

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d'exténuer le nombre des preuves) ; mais, poursuit-il, il ne suit pas toujours le sens le plus naturel (1). » Il en rapporte un exemple dont je ne veux pas disputer ; car il n'est pas nécessaire qu'il n'y ait jamais dans les Pères des preuves plus faibles ou même défectueuses. Ce qu'il fallait remarquer, c'est que, pour une preuve de cette nature, les Pères en ont une infinité de si convaincantes, que les hérétiques n'y pouvaient répondre que par des absurdités manifestes. Tout lecteur équitable en portera ce jugement; et sans cet avis nécessaire, les exemples de pareils défauts, dont l'auteur a rempli son livre, ne servent qu'à insinuer le mépris des Pères, et c'est aussi le dessein qui règne dans tout cet ouvrage.

 

CHAPITRE XIV.

 

Mépris de M. Simon pour saint Grégoire de Nysse, et pour les écrits où il établit la foi de la Trinité.

 

Voilà pour ce qui regarde saint Rasile. Saint Grégoire de Nysse son frère et son défenseur contre Eunome, ne vaut pas mieux, « puisqu'encore qu'il soit plus exact et attaché à son sujet dans les douze livres qu'il a écrits contre Eunome pour la défense de saint Basile, il y conserve néanmoins l'esprit de rhéteur (2). » Le voilà donc déjà rhéteur et vain discoureur comme les autres : « tâchant de persuader ses lecteurs, autant par la beauté de son art que par la force de ses raisons. » Cet autant enveloppe un peu la malignité de l'auteur; mais au fond c'est trop clairement s'opposer à la vérité, que de choisir constamment et en tant de lieux des paroles pour l'obscurcir.

Poursuivons : « Etant orateur de profession, il fait entrer dans tous ses discours les règles de son art (3). » On a vu ce que c'est qu'un orateur dans le style de notre critique; et de là vient, qu'ayant rangé saint Grégoire de Nysse dans cet ordre, il en tire cette conséquence : « C'est pourquoi, dit-il, il faut lire beaucoup pour y trouver (dans cet ouvrage contre Eunome) un petit nombre de passages du Nouveau Testament expliqués (4). » Il se trompe : il y en a un très-grand nombre, ou étalés au long, ou pressés

 

1 P. 105. — 2 P. 114. — 3 P. 111. — 4 P. 114.

 

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ensemble, comme nous avons dit de saint Basile. Mais l'auteur affecte de parler ainsi, parce qu'il ne nous veut point tirer de l'idée du petit nombre et de la faiblesse des preuves de l'Eglise.

 

CHAPITRE XV.

 

Mépris de l'auteur pour les discours et les preuves de saint Grégoire de Nazianze sur la Trinité.

 

Mais saint Grégoire de Nazianze est celui dont on représente les preuves et la méthode comme la plus faible. C'est dans ses Oraisons contre Eunome qui, comme nous avons vu, ont acquis à ce grand docteur le titre de Théologien, à cause qu'il y soutient avec tant de solidité la véritable théologie ; c'est, dis-je, dans ces Oraisons qu'on le met au nombre de « ceux qui se contentent des apparences et de l'ombre de la raison (1). »

Il est vrai qu'on tempère, en quelque façon, cette téméraire critique par un a quelquefois » et un « souvent (2). » Mais ces faibles corrections ne servent qu'à faire voir que le hardi censeur des Pères n'ose dire à pleine bouche ce qu'il en pense. Car si les preuves de saint Grégoire de Nazianze lui avaient paru concluantes en gros, du moins en disant « que souvent » elles sont apparentes plutôt que solides, et que « toutes » ne sont pas fortes, il aurait dû expliquer qu'elles le sont ordinairement, ce qu'il ne fait en aucun endroit. Au contraire, ce grand personnage est partout, dans notre auteur, un homme qui tremble, qui évite la difficulté : « Grégoire évite, dit-il, de rapporter en détail les endroits de l'Ecriture où il est fait mention du Saint-Esprit (3). » Il se couvre en ajoutant « qu'il laisse cela à d'autres qui les avaient examinés. » Pour exposer la chose comme elle est et à l'avantage de ce grand théologien, il fallait dire qu'à la vérité il se remet du principal de la preuve aux écrivains précédents, et « à saint Basile, qui avait écrit devant lui sur cette matière (4) ; » mais que dans la suite il ne laisse pas de rapporter toutes leurs preuves et tous leurs passages d'une manière abrégée, et d'autant plus convaincante. Mais il faut dire encore un coup à notre critique qu'il ne sent pas ce qu'il lit.

 

1 P. 124. — 2 Ibid. — 3 Ibid. — 4 Orat. 37.

 

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Il croit n'entendre que peu de passages de l'Ecriture dans les discours théologiques de saint Grégoire de Nazianze, parce que ce sublime théologien, qu'il a traité ignoramment de vain rhéteur, fait un précis de cent passages qu'il ne marque pas, parce que la lettre en était connue et qu'il fallait seulement en prendre l'esprit. C'est ce que peuvent reconnaître ceux qui liront avec réflexion ses cinq Discours contre Eunome, et surtout la fin du cinquième, où il établit en deux pages la divinité du Saint-Esprit d'une manière à ne laisser aucune réplique. Cela n'est pas éviter la preuve ni tout le détail, comme dit le hardi censeur de saint Grégoire de Nazianze, puisque ce Père n'oublie rien, et n'en fait pas moins valoir le texte sacré, pour n'en avoir pas cité expressément tous les endroits. Un bon critique devait sentir cette vérité, et un catholique sincère ne la devait pas taire. Mais il ne faut pas chercher dans notre auteur ces délicatesses de goût et de sentiment, non plus que celles de religion et de bonne foi. Au contraire, comme s'il ne s'était pas encore assez expliqué en insinuant que Grégoire évite la difficulté, il ajoute, pour ne laisser aucun doute de sa faiblesse : « qu'avant que de produire les passages qu'on lui demandait (pour prouver qu'il fallait adorer le Saint-Esprit), il se précautionne judicieusement dans la crainte qu'on ne les trouve pas concluants (1) ; » d'où il infère « qu'il était difficile qu'il convainquît ses adversaires par la seule Ecriture. » Ainsi ce ne sont point les hérétiques, mais les catholiques qui hésitent, quand il s'agit de la preuve par l'Ecriture : leur fuite est aussi honteuse que manifeste, et la victoire de l'Eglise sur les ennemis de la Trinité consiste plutôt dans l'éloquence de ses rhéteurs que dans le témoignage des livres sacrés.

 

CHAPITRE XVI.

 

Que l'auteur, en cela semblable aux sociniens, affecte de faire les Pères plus forts en raisonnements et en éloquence que dans la science des Ecritures.

 

C'est ce que l'auteur ne nous laisse pas à deviner dans l'endroit où, commençant la critique de saint Grégoire de Nazianze, il en parle en cette manière : « Ce qu'on a remarqué ci-dessus du

 

1 P. 124.

 

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caractère de saint Basile dans les livres qu'il a écrits contre les hérétiques , se trouve presque entièrement dans les disputes de saint Grégoire de Nazianze, qui ne s'est pas tant appuyé sur des passages de l'Ecriture que sur la force de ses raisons et de ses expressions (1) ; » ce qui se termine à dire enfin « qu'il a été un grand maître dans l'art de persuader (2). »

C'est ce que veulent encore aujourd'hui les sociniens. Les discours des anciens Pères, selon eux, sont des discours d'éloquence, pour mieux dire des discours de déclamateurs ; ou comme M. Simon aime mieux les appeler, de rhéteurs qui n'ont rien de convaincant. Saint Grégoire de Nazianze, avec son titre de Théologien, n'a eu, non plus que les autres, qu'une éloquence parleuse, destituée de force et de preuves. Ce qu'il ajoute de ce même Père, comme pour l'excuser de ne s'être pas beaucoup appuyé sur l'Ecriture, « qu'il suppose que ceux qui l'ont précédé avaient épuisé cette matière, et qu'il était inutile de répéter ce qu'ils avaient dit (3), » n'est après tout qu'une faible couverture de sa malignité. Car outre que nous avons vu qu'il entre en preuve quand il faut et comme il faut, il ne sert de rien de nous dire qu'il se repose sur les écrivains précédents, après qu'on a travaillé à nous faire voir que les anciens écrivains, saint Basile et saint Athanase, ou celui qu'on fait disputer si faiblement sous son nom, après tout ne concluent rien par l'Ecriture ; en sorte que les hérétiques parois-sent toujours invincibles de ce côté-là, ce qui dans l'esprit de tous les Pères et de l'aveu de M. Simon, est le principal.

 

CHAPITRE XVII.

 

Que la doctrine de M. Simon est contradictoire : qu'en détruisant les preuves de l'Ecriture, il détruit en même temps la tradition, et mène à l'indifférence des religions.

 

Il allègue ici la tradition ; et c'est par où je confirme ce que j'ai déjà remarqué, qu'il ne l'allègue que pour affaiblir l'Ecriture sainte. Ce n'est pas là l'esprit de l'Eglise ni des Pères ; et au contraire je vais démontrer par les principes de M. Simon, que c'est un moyen certain de détruire la tradition avec l'Ecriture même.

 

1 P. 119. — 2 ibid.— 3. Ibid.

 

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Il n'y a qu'à parcourir tous les endroits où il convient que les Pères mettaient leur fort principalement sur l'Ecriture (1). On a vu que dans la dispute sur le mystère de la Trinité les deux contendants, tous deux habiles selon lui et parfaitement instruits de la matière (2), se fondaient également sur l'Ecriture comme sur un principe convaincant, et réduisaient la question à la bien entendre. « La dispute, dit M. Simon, n'est appuyée de part et d'autre que sur des passages de l'Ecriture (3). » « Le véritable Athanase, dit encore M. Simon, nous apprend que les preuves les plus claires sont celles de l'Ecriture (4). » Les autres Pères ont suivi, selon notre auteur (5), la méthode comme la doctrine de saint Athanase, dont ils ont pris ce qu'ils ont de meilleur. Ils raisonnent à la vérité, et trop selon lui, comme on va voir, mais c'est toujours sur l'Ecriture. « La plupart de leurs disputes, dit-il, roulent sur des conséquences qu'ils tirent des explications de l'Ancien et du Nouveau Testament (6). » Telle est la méthode de saint Basile. En effet on a vu (7) que ce grand auteur prétend avoir démontré la divinité du Fils et du Saint-Esprit, par les saints Livres. S'il y joint la tradition, ce n'est pas pour affaiblir l'Ecriture ni les preuves très-convaincantes qu'il ne cesse d'en tirer, mais pour ajouter ce secours à des preuves déjà invincibles.

On a vu que les deux Grégoire ont suivi cette méthode. Notre auteur nous apprend lui-même les deux principes de saint Grégoire de Nysse : « Le premier est de s'attacher aux paroles simples de l'Ecriture, le second de s'en rapporter aux décisions des anciens docteurs (8). » Voilà donc dans ce saint docteur deux principes également forts, et celui de l'Ecriture établi autant que l'autre.

Les Pères latins n'ont pas eu une autre méthode. « Saint Hilaire, dit notre auteur, ne s'appuie pas sur la tradition, mais seulement sur les livres sacrés; » et un peu après : « Les ariens convenaient de principes avec les catholiques, ayant de part et d'autre la même Ecriture, et toute leur dispute ne consistait que dans le sens qu'on lui devait donner (9), »

 

1 Ci-desssus, lib. II, chap. I, II, III, IV. — 2 Simon, p. 93. — 3 p. 97. — 4  p. 99. — 5 p. 91. — 6 P. 105. — 7 Ci-dessus, chap. XI et suiv. — 8 p. 115. — 9 p  132.

 

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Dans la dispute de saint Augustin contre Maximin sur la même matière de la Trinité, si l'hérétique proteste qu'il n'a point d'autre volonté que de se soumettre à l'Ecriture, « saint Augustin de son coté ne fait pas moins valoir que lui les preuves de l'Ecriture (1). C'était donc dans l'Eglise catholique une vérité reconnue, que les preuves de l'Ecriture étaient convaincantes.

Si l'on a mis le fort de la cause sur l'Ecriture dans la dispute sur la Trinité, dans celle contre Pelage saint Augustin ne l'y met pas moins, et nous avons vu (2) que M. Simon lui fait pousser l'évidence des preuves, jusqu'à regarder celles de la tradition comme n'étant point nécessaires (3), en quoi même nous avons marqué son excès.

C'est donc une tradition constante et universelle dans l'Eglise, que les preuves de l'Ecriture sur certains mystères principaux, sont évidentes par elles-mêmes, encore que les hérétiques aveugles et préoccupés n'en sentent pas l'efficace; et M. Simon nous apprend qu'encore dans les derniers temps Maldonat avait soutenu que, par la force des termes, «il n'y avait rien de plus clair, pour établir la réalité, que cette proposition : Ceci est mon corps (4); tant il est vrai que la tradition de l'évidence de l'Ecriture sur certains points principaux est de tous les âges, et même selon notre auteur.

Mais s'il est certain que M. Simon établit sur ces articles principaux l'évidence de l'Ecriture, d'autre côté il n'est pas moins clair, par tout ce qu'on vient de rapporter, qu'il en affaiblit les preuves jusqu'à dire qu'elles n'ont rien de convaincant. Quand on a des vues aussi diverses que celles de ce faux critique, qu'on veut plaire à autant de gens de principes différons et de créances si opposées, jamais on ne peut tenir un même langage : la force de la vérité ou la crainte de trop faire voir qu'on l'a ignorée tire d'un côté, les vues particulières entraînent de l'autre. Mais ce qui règne dans tout l'ouvrage de notre critique, est une pente secrète vers l'indifférence ; et il n'y a point de chemin plus court pour y parvenir et pour renverser de fond en comble l'autorité de l'Eglise, que de faire voir d'un côté qu'elle fait fond sur l'Ecriture, pendant

 

1 P. 284. — 2 Ci-dessus, chap. VII. — 3 P. 285, 286, 290. — 4 P. 623.

 

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qu'on montre de l'autre qu'elle n'avance rien par ce moyen. Lorsqu'on diminue les preuves peu à peu, on met les sociniens en égalité avec elle. Comme il faut trouver un prétexte pour affaiblir les témoignages de l'Ecriture, on n'en peut trouver de plus spécieux que celui de faire paraître qu'on veut par là pousser l'hérétique à l'aveu de la tradition ; et voilà ce qui a produit cette méthode réservée à la maligne critique de M. Simon, de renverser la tradition sous couleur de la défendre, et de détruire l'Eglise par l'Eglise même.

 

CHAPITRE XVIII.

 

Que l'auteur attaque ouvertement l'autorité de l'Eglise sous le nom de saint Chrysostome, et qu'il explique ce Père en protestant déclaré.

 

Certainement, s'il avait la tradition autant à cœur qu'il en veut faire semblant, comme la tradition n'est autre chose que la perpétuelle reconnaissance de l'infaillible autorité de l'Eglise, il n'aurait pas anéanti une autorité si nécessaire. C'est cependant ce qu'il a fait dans le chapitre XI de son livre, sous le nom de saint Chrysostome, en cette sorte : « Saint Chrysostome, dit-il, représente dans l'homélie XXXIII sur les actes, un homme qui voulant faire profession de la religion chrétienne, se trouve fort embarrassé sur le parti qu'il doit prendre, à cause des différentes sectes qui étaient alors parmi les chrétiens. Quels sentiments sui-vrai-je? dit cet homme; à quoi m'attacherai-je? Chacun dit qu'il a la vérité de son côté; je ne sais à qui je dois croire, parce que j'ignore entièrement l'Ecriture, et que les différents partis prétendent tous qu'elle leur est favorable. Saint Chrysostome, poursuit-il, ne renvoie pas cet homme à l'autorité de l'Eglise, parce que chaque secte prétendait qu'elle l'était ; mais il tire un grand préjugé en sa faveur de ce que celui qui voulait embrasser le christianisme se soumettait à l'Ecriture sainte, qu'il prenait pour règle. De s'en rapporter, dit-il, aux raisonnements, c'est se mettre dans un grand embarras, et en effet la raison seule ne peut pas nous déterminer entièrement. Lorsqu'il s'agit de préférer la véritable religion à la fausse, il faut supposer une révélation. C'est pourquoi il ajoute que si nous croyons à l'Ecriture, qui est simple

 

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et véritable, il sera facile de faire ce discernement, surtout si on a de l'esprit et du jugement (1). »

Je demande ici à notre auteur : Que prétend-il par ce passage ? A qui en veut-il? En faveur de qui fait-il cette remarque? « Saint Chrysostome ne renvoie point à l'autorité de l'Eglise » cet homme incertain, mais à l'Ecriture « qui est simple, » où il trouvera un moyen facile de discerner, parmi tant de sectes, celle où il faut se ranger. N'est-ce pas là manifestement le langage d'un protestant qu'il met à la bouche de saint Chrysostome? Où est cet homme qui nous disait tout à l'heure qu'on n'avançait rien par l'Ecriture, et qu'il fallait avoir recours à la tradition? Il y fallait donc renvoyer, si ses principes avaient quelque suite. Mais non, dit-il, saint Chrysostome ne renvoie point à l'Eglise, ni par conséquent à la tradition, puisque, comme on vient de dire, la tradition n'est autre chose que le sentiment perpétuel de l'Eglise. Il renvoie à l'Ecriture, qui à cette fois devient si claire, que pourvu qu'on ait du sens et du jugement, il sera aisé de prendre parti par elle seule, sans qu'on ait besoin d'avoir recours à l'Eglise. Il ne faut point ici de raisonnement pour découvrir les sentiments de M. Simon. Malgré tout ce qu'il répand çà et là dans ses livres pour l'autorité de la tradition, qui est celle de l'Eglise, à ce coup il se déclare à visage découvert. L'esprit protestant, je le dis à regret, mais il n'est pas permis de le dissimuler ; oui, l'esprit protestant paraît. Il est bien certain qu'un catholique déterminerait cet homme douteux par l'autorité de l'Eglise , plus claire que le soleil, par la succession de ses pasteurs, par sa tradition, par son unité, dont toutes les hérésies se sont séparées, et portent dans ce caractère de séparation et de révolte contre l'Eglise, la marque évidente de réprobation. Saint Chrysostome a souvent parlé de cette belle marque de l'Eglise. Il a dit sur ces paroles : Les portes de l'enfer ne prévaudront point contre l'Eglise, « que saint Pierre avait établi une Eglise plus forte, plus inébranlable que le ciel. » Il a dit sur celles-ci : Je suis avec vous jusqu'à la fin des siècles : « Voyez quelle autorité ! Les apôtres ne devaient pas être jusqu'à la fin des siècles ; mais il parle en leur personne à tous les fidèles

 

1 P. 166.

 

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comme composant un seul corps,  qui ne devait jamais être ébranlé. « Il  a dit : » Rien n'est plus ferme que l'Eglise : que l'Eglise soit votre espérance : que l'Eglise soit votre salut : que l'Eglise soit votre refuge : elle est plus haute que le ciel, et plus étendue que la terre : elle ne vieillit jamais, sa jeunesse est perpétuelle (1). Pour montrer combien elle est ferme et inébranlable, l'Ecriture la compare à une montagne ; » la même comparaison montre «qu'elle devait éclater aux yeux de tous les hommes : plus on l'attaque, plus elle reluit (2). » Si M. Simon ne voulait pas se donner la peine de rechercher ces passages, et tant d'autres aussi précis dans saint Chrysostome, il ne devait pas omettre ce qui se trouvait au lieu même qu'il fait semblant de vouloir transcrire. Car n'est-ce pas manifestement renvoyer cet homme douteux à l'Eglise, à son autorité, à son unité, dont toutes les autres sectes se sont détachées , que de lui parler en ces termes : « Considérez toutes ces sectes , elle? ont toutes le nom d'un particulier dont elles sont appelées; chaque hérétique a nommé sa secte; mais pour nous, aucun particulier ne nous a donné son nom, et la seule foi nous a nommés ? »

Ce Père fait allusion au nom d'homousiens ou de consubstantialistes que les ariens donnaient aux catholiques. Mais, dit-il, ce n'est pas le nom de notre auteur; c'est celui qui exprime notre foi. Quiconque a un auteur d'où il est nommé, porte sa condamnation dans son titre. N'est-ce pas en termes formels ce que nous disons tous les jours aux hérétiques, que la marque de la vraie Eglise est de n'avoir aucun nom que celui de chrétien et de catholique, qui lui vient pour avoir toujours conservé la même tige de la foi, sans avoir eu d'autres maîtres que Jésus-Christ? C'est pourquoi saint Chrysostome finit par ces mots : « Nous sommes-nous séparés de l'Eglise ? Avons-nous fait schisme? Des hommes nous ont-ils donné leur nom? Avons-nous un Marcion, un Manichée, un Arius, comme en ont les hérésies? Que si l'on nous donne le nom de quelqu'un (si l'on nous dit : Voilà l'Eglise, voilà le troupeau, ou le diocèse, comme nous parlons, de Jean, d'Athanase, de Basile), on ne les nomme pas comme les auteurs d'une secte,

 

1 Homil. in illud : Astitit Regina, et alias passim. — 2 Homil. in cap. II Isaiœ.

 

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mais comme ceux qui sont préposés à notre conduite et qui gouvernent l'Eglise : nous n'avons point de docteur sur la terre ; mais nous n'en avons qu'un seul dans le ciel. » Puis revenant aux sectes dont il s'agissait : «Ils en disent autant, poursuit-il, ils disent que leur maître est dans le ciel, mais leur nom, le nom de la secte vient les convaincre et leur fermer la bouche. » Voilà donc le dernier coup par lequel saint Chrysostome ferme la bouche à toutes les sectes séparées : leur nom, leur séparation et le mépris qu'ils ont fait de l'autorité de l'Eglise ne leur laissent aucune défense.

Notre critique a rapporté confusément quelque chose de ces paroles de saint Chrysostome, afin qu'on ne lui put pas reprocher de les avoir entièrement supprimées; mais il n'a pas voulu avouer que c'était là manifestement parler de l'Eglise et renvoyer à l'Eglise : il a même éclipsé le mot d'ÉGLlSE, qui était si expressément dans son auteur; et en disant que saint Chrysostome «a recours à quelques marques extérieures qui servent à discerner les sectaires d'avec les orthodoxes (1), » il supprime encore ce que ce Père a dit de plus fort, qui est, non pas que ces marques « servent à discerner les sectaires, » paroles faibles et ambiguës; mais ce qui ne laisse aucune réplique, « que c'est là ce qui convainc et ce qui ferme la bouche, » d'avoir un nom qui marque la séparation, où l'on voit dans son titre même qu'on a quitté l'Eglise, de laquelle nul ne se sépare sans être hérétique. Et quand notre critique décide que saint Chrysostome ne renvoie pas à l'Eglise, « à cause que toutes les sectes prétendaient être la véritable, » il va directement contre l'esprit et les paroles de ce Père, qui pour ôter tout prétexte de donner aux hérésies le titre d'Eglise, les en fait voir excluses par le seul nom qu'elles portent et par leur séparation, dont elles ne peuvent jamais effacer la tache.

Qu'on apprenne donc à connaître le génie de notre critique qui dit des choses contraires, et parle quand il lui plaît pour les pro-testans, qu'il semble vouloir combattre en d'autres endroits, ou pour se faire louer de tous les partis, et mériter des protestants mêmes la louange d'un homme savant et d'un homme libre; ou

 

1 P. 167.

 

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parce qu'en combattant manifestement en tant d'endroits l'autorité de l'Eglise, il se prépare des excuses dans les autres, où il veut paraître parler aussi en sa faveur.

 

CHAPITRE XIX.

 

L'auteur fait mépriser à saint Augustin l'autorité des conciles : fausse traduction d'un passage de ce Père, et dessein manifeste de l'auteur, en détruisant la tradition et l'autorité de l'Eglise, de conduire insensiblement les esprits à l'indifférence de religion.

 

Il ne se déclare pas moins pour les protestants, lorsqu'en exposant la dispute de saint Augustin contre Maximin arien, il fait parler ce Père en cette sorte : « Je ne dois point maintenant me servir contre vous du concile de Nicée comme d'un préjugé, aussi ne devez-vous pas vous servir de celui d'Arimini contre moi. » Jusqu'ici il rapporte bien les paroles de saint Augustin;  mais quand il lui fait dire dans la suite : « Il n'y a rien qui nous oblige à les suivre, » il falsifie ses paroles (1) ; car saint Augustin ne dit pas : « Il n'y a rien qui nous oblige à suivre » (les conciles d'Arimini et de Nicée;) ce qui marquerait dans les deux partis, et dans saint Augustin comme dans Maximin, une indifférence pour l'autorité des conciles ; mais il dit à son adversaire, avec sa précision ordinaire : «Nous ne nous tenons soumis, ni vous au concile de Nicée, ni moi à celui d'Arimini (2), » ce qui montre que, bien éloigné  de tenir pour indifférente l'autorité du concile do Nicée, comme on veut le lui faire accroire par une traduction infidèle, il s'y soumet au contraire avec tout le respect qui lui fait dire en tant d'endroits que ce qui était défini par le concile de toute l'Eglise, ne pouvait plus être révoqué en doute par un chrétien; et si, parce qu'il ne pressait pas son adversaire par l'autorité du concile de Nicée, on voulait conclure qu'il n'en recevait pas lui-même l'autorité, ou qu'il croyait même que les ariens dans le fond n'y devaient pas être soumis, on pourrait croire de même qu'il ne recevait pas l'Ancien Testament, ou qu'il ne croyait pas que les manichéens s'y dussent soumettre, à cause qu'il ne pressait

 

1 P. 284. — 2 Contr. Maxim., lib. II, cap. XIX, n. 3.

 

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pas ces hérétiques par l'autorité de ces livres qu'ils refusaient de reconnaître (a).

 

(a) Peu de temps après la célèbre conférence que M. de Meaux eut avec le ministre Claude, ce ministre objecta ce même passage de saint Augustin à mademoiselle de Duras, chez qui s'était tenue la conférence. L'objection fut communiquée à 31. de Meaux, qui fit la réponse suivante, que nous insérons ici, pour ne rien perdre des ouvrages de ce grand homme.

« Depuis notre conférence, M. Claude a objecté à mademoiselle de Duras un passage de saint Augustin tiré du cinquième livre contre Maximin arien, où il parle ainsi : «Je ne dois point maintenant vous alléguer comme un préjugé le concile de Nicée, comme vous ne devez point m'alléguer celui de Rimini ; ni je ne reconnais l'autorité du concile de Rimini, ni vous ne reconnaissez celle du concile de Nicée; servons-nous des autorités de l'Ecriture sainte, qui ne sont pas particulières à chacun de nous, mais qui sont reçues des uns et des autres ; et faisons parce moyen combattre la chose avec la chose, la cause avec la cause, la raison avec la raison. »

» Il est aisé de voir que ces paroles ne font rien du tout à la question qui est entre les catholiques et messieurs les prétendus réformés.

» Il s'agit entre eux de savoir s'il faut recevoir, sans examiner, les décrets de l'Eglise universelle faits dans les conciles généraux.

» Or il est clair que saint Augustin ne dit pas que les catholiques ne doivent pas recevoir sans examiner le décret du concile de Nicée; mais que lui, saint Augustin, ne doit pas objecter l'autorité de ce concile à un arien qui n'en convient pas.

» Le procédé de saint Augustin est tout semblable à celui d'un catholique qu’ayant à traiter du mystère de la grâce avec un protestant, lui dirait : « Je ne dois pas ici agir contre vous par le concile de Trente, ni vous contre moi par le synode de Dordrecht, parce que vous ne recevez pas l'un, comme je ne reçois pas l'autre. Traitons la chose par les Ecritures qui sont communes entre nous. »

» Personne ne dira que le catholique déroge par ce procédé à ce qu'il croit de l'autorité des conciles, ni de celui de Trente en particulier; et pour omettre en ce lieu ce que le protestant lui conteste, il ne s'ensuit pas pour cela qu’il l'abandonne.

» Mais, dira-t-on, saint Augustin croit qu'il faille s'en tenir, sans examiner, à l'autorité de l'Eglise universelle? Oui, sans doute; et trois faits incontestables le vont faire paraître.

» 1er Fait. Il dispute contre les pélagiens, et leur prouve le péché originel par le baptême des petits enfants, et voici comment il établit sa preuve. « C'est une chose, dit-il, solidement établie : on peut souffrir ceux qui errent dans les autres questions qui ne sont pas encore bien examinées, qui ne sont pas décidées par l'autorité de l'Eglise; c'est là que l'erreur se doit tolérer, mais elle ne doit pas entreprendre d'ébranler le fondement de l'Eglise. » ( Serm. CCXCIV, aliàs XIV De verbis Apost., cap. 21.)

Ce qu’il appelle ébranler le fondement de l'Eglise, c'est douter de ses décisions.

» 2e Fait. Les pélagiens avaient été condamnés par les conciles d'Afrique, et le pape avait confirmé les décrets de ces conciles; personne dans l'épiscopat ne réclamait que quatre ou cinq évêques pélagiens. Saint Augustin explique a son peuple ce qui s'était passé. « Deux conciles d'Afrique tenus sur cette matière, ont été, dit-il, envoyés au Saint-Siège : les réponses en sont venues, la cause est finie, plaise à Dieu que l'erreur finisse. » (Serm. CXXXI, aliàs II De verbis Apost., cap. 10.)

» Les affaires sont finies parmi les chrétiens, quand le Saint-Siège en convient avec l'épiscopat.

» 3e Fait. Saint Augustin dispute contre les donatistes, qui disaient que le baptême donné par les hérétiques n'était pas valable , et qu'il le fallait réitérer. Ces hérétiques alléguaient l'autorité de saint Cyprien, qui avait soutenu leur sentiment. Saint Augustin excuse saint Cyprien sur ce qu'il a erré avant qu'il fût décidé par l’autorité de l'Eglise universelle, que le baptême se pouvait donner valablement hors de l'Eglise : « Et nous-mêmes, dit-il, nous n'oserions pas l'assurer, si nous n'étions appuyés sur l'autorité et le consentement de l'Eglise universelle, à laquelle saint Cyprien aurait cédé sans difficulté, si la vérité eût été dès lors éclaircie et confirmée par un concile universel. » (De Bapt. contra Donat., lib. II, cap. IV.)

» Ce que saint Augustin n'oserait pas assurer sans l'autorité de l'Eglise, non-seulement il l'assure après sa décision, mais encore il ne peut croire que saint Cyprien ni aucun homme de bien en puisse disconvenir.

» Et il ne se trompe pas en jugeant ainsi de saint Cyprien, qui avait enseigné si constamment qu'il fallait condamner sans examen tous ceux qui se séparaient de l'Eglise. Voici comme il en écrit à levé pie Antonien sur la doctrine de Novatien, prêtre de l'Eglise romaine, et auteur d'une secte nouvelle : « Vous me priez de vous écrire quelle hérésie a introduite Novatien. Sachez premièrement, mon cher frère, que nous ne devons pas même être curieux de ce qu'A enseigne, puisqu'il n'enseigne pas dans l'Eglise. Quel qu'il soit, il n'est pas chrétien, n'étant pas en l'Eglise de Jésus-Christ. » (Epist. LI, éd. Pamel.)

» Saint Augustin avait raison de croire qu'un homme qui parle ainsi de l'autorité de l'Eglise, n'aurait pas hésité après la décision.

» On objecte à mademoiselle de Duras qu’il faut bien, quoi qu'on lui dise, qu'elle se serve de sa raison pour choisir entre deux personnes qui lui parlent de la religion d'une façon si contraire, et ainsi que les catholiques ont tort de lui proposer une soumission à l'Eglise sans examen.

» Mais qui ne voit 1° que c'est autre chose d'examiner après quelques particuliers, autre chose d'examiner après l’Eglise ?

» 2° Que si mademoiselle de Duras est forcée d'examiner après son Eglise, qui lui déclare elle-même qu'elle et tous ses synodes peuvent se tromper, et qu'il se peut faire qu'elle seule entende mieux la parole de Dieu que tout le reste de l'Eglise ensemble, comme M. Claude le lui a enseigné, il ne s'ensuit pas pour cela que l'Eglise soit faillible en soi, ni qu'il faille examiner après elle, mais que ceux-là seulement doivent faire cet examen qui doutent de l'autorité infaillible de l'Eglise.

» 3° Les catholiques ne prétendent pas qu'il ne faille pas se servir de sa raison; car il faut de la raison pour entendre qu'il se faut soumettre ta l'autorité de l'Eglise; un fou ne l'entendrait jamais : mais qu'il faille de la raison, il ne s'ensuit pus pour cela que la discussion de ce point soit difficile ou embarrassée, comme celle des autres points. Si peu qu'on ait de raison, ou en a assez pour voir qu'un particulier ne doit pas être assez téméraire pour croire qu'il entend mieux la parole de Dieu que toute l'Eglise.

» 4° C'est pour cela que Dieu nous a renvoyés à l'autorité, comme à une chose aisée, au lieu que la discussion par les Ecritures saintes est infinie, comme l'expérience le fait voir.

» 5° Quand l'Eglise propose de se soumettre sans examen à son autorité, elle ne fait que suivre la pratique des Apôtres.

» A la première question qui s'est mue dans l'Eglise, elle a prononcé en disant : « Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous. » (Ad., XV, 28.) Examiner après cela, ce serait examiner après le Saint-Esprit.

» La discussion se fit donc dans le concile des apôtres : après ou ne laissa plus de discussion à faire aux fidèles. Paul et Silas allaient parcourant les villes, « leur enseignant de garder ce qui avait été jugé par les apôtres et les prêtres dans Jérusalem. » ( Act., XVI, 4.)

» Ceux donc qui ne soûl pas dans l'Eglise doivent examiner, et c'est ce que faisaient ceux de Bérée (Act., XVII, 17.); mais pour ceux qui sont dans le concile des apôtres leur fait voir qu'il n'y a plus rien à examiner après la décision.

» Nous avons appris par ce premier concile à tenir des conciles pour définir lestions qui s'élèvent dans l'Eglise. Nous devons apprendre quelle est l'autorité des conciles par où nous avons appris à tenir les conciles mêmes.

» Encore un mot de saint Augustin : « Qui est hors de l'Eglise ne voit ni n'entend; qui est dans l'Eglise n'est ni sourd ni aveugle. » (Note de la première édition.)

 

 

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On voit donc manifestement que notre critique n'a rien de certain dans ses maximes. Tantôt il veut qu'on renvoie, non à l'Eglise, mais à l'Ecriture comme plus claire : tantôt il renvoie de l'Ecriture à la tradition comme plus certaine : l'autorité des conciles n'est pas plus sacrée que les autres : tout tend à l'indifférence : il n'y a point d'autorité dans l'Eglise ni dans ses traditions : malgré la tradition, les opinions particulières de saint Augustin ont prévalu dans l'Occident : malgré la tradition, l'Eglise a changé la foi de l'absolue nécessité de l'Eucharistie : en un mot, dans la pensée de notre critique, il n'y a rien de réel dans ces mots de tradition et d’autorité; et ce sont des termes dont il se sert, selon qu'il en a besoin, pour couvrir ses secrets desseins.

 

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CHAPITRE XX.

 

Que la méthode que M Simon attribue à saint Athanase et aux Pères qui l'ont suivi dans la dispute contre les ariens, n'a rien de certain et mène à l'indifférence.

 

Mais afin qu'on ne croie pas que je craigne par une vaine terreur les secrets desseins de l'auteur, il faut ici les approfondir avec plus de soin , et mettre encore dans un plus grand jour ce mystère d'iniquité, en le déterrant du milieu des expressions ambiguës dont cet auteur artificieux a tâché de l'envelopper.

Je dis donc hautement et clairement que la méthode de notre auteur nous mène à l'indifférence des religions, et que le moyen

 

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dont il se sert pour nous y conduire, est de faire voir que ce qu'on appelle foi n'est autre chose dans le fond qu'un raisonnement humain.

Il faut ici expliquer la méthode qu'il attribue aux anciens docteurs sur le sujet du raisonnement. «La théologie, dit M. Simon, reçut en ce temps-là (dans le temps de saint Athanase) de nouveaux éclaircissements; et comme les disputes (sur la divinité du Fils de Dieu) commencèrent à Alexandrie, ou la dialectique était fort en usage, on joignit le raisonnement au texte de l'Ecriture (1). » Voilà déjà un beau fondement. Auparavant on ne raisonnait point sur l'Ecriture : on ne conférait point un passage avec un autre : on n'en tirait pas les conséquences, pas même les plus certaines, car tout cela certainement c'est raisonner; or on ne raisonnait pas. Tertullien, ni Origène, ni saint Denys d'Alexandrie, et les autres Pères n'avaient point raisonné contre Marcion, ni contre Sabellius, ni contre Paul de Samosate et contre les autres hérétiques, ni contre les Juifs; cela commence du temps de saint Athanase. « On joignit alors le raisonnement au texte de l'Ecriture ; ce qui, poursuit notre auteur, causa dans la suite de grandes controverses; car chaque parti voulut faire passer, pour la parole de Dieu, les conséquences qu'il tirait des écrits des évangélistes et des apôtres (2). » Ces embarras sont donc également causés par les orthodoxes et par les hérétiques, par Athanase et par Arius, et chaque parti voulut prendre ses conséquences pour la pure parole de Dieu. Qui aura tort? On n'en sait rien; et tout ce qu'on voit jusqu'ici, c'est qu'on suivait de part et d'autre une mauvaise méthode. C'est déjà un assez grand pas vers l'indifférence ; mais ce qu'ajoute l'auteur nous y mènerait encore plus certainement, si nous suivions ce guide aveugle. Voici la suite de ses paroles : «Les ariens opposèrent de leur  côté aux  catholiques, qu'ils avaient introduit dans la religion des mots qui n'étaient pas dans les livres sacrés. Saint Athanase prouva au contraire que les ariens en avaient inventé un bien plus grand nombre; en sorte que de part et d'autre l'on s'appuyait, non-seulement sur les passages formels de la Bible, mais aussi sur les conséquences qu'on

 

1 P. 91. — 2 Ibid.

 

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en tirait, et de plus sur les traditions des écrivains ecclésiastiques qui avaient précédé (1). »

Voilà donc comme on agissait de part et d'autre; mais de part et d'autre on avait tort. Il ne fallait pas raisonner, mais s'attacher uniquement à la pure parole de Dieu. Tout ce qu'on pouvait ajouter au texte de l'Ecriture n'était qu'un raisonnement humain ; « il en fallait revenir à la tradition ; » c'est-à-dire, selon notre auteur, « aux interprétations des écrivains ecclésiastiques qui avaient précédé. » Mais c'était là le moyen des hérétiques aussi bien que des catholiques : « l'on s'appuyait sur cela, dit notre auteur, de part et d'autre. » Il fallait donc encore raisonner sur cette tradition, afin de voir pour qui elle était; et l'on revenait au raisonnement humain, que notre auteur vient de rejeter comme ud moyen peu sur d'établir la foi ; et selon sa belle critique, on en vient toujours à tout détruire sans rien établir. Telle est, selon lui, la méthode qui commença du temps de saint Athanase ; et ce qu'il y a de plus remarquable, c'est qu'elle « a servi de règle, ou comme il parle, de fond aux autres Pères qui ont écrit après lui contre les ariens (3). »

 

CHAPITRE XXI.

 

Suite de la mauvaise méthode que l'auteur attribue à saint Athanase et aux Pères qui l'ont suivi.

 

La suite d'un si beau commencement nous paraîtra dans un endroit de M. Simon, que nous avons déjà rapporté pour une autre fin : « Saint Basile s'étend, dit-il, contre Eunome sur de grands raisonnements : la plupart de leurs disputes roulent sur des conséquences qu'ils tirent de leurs explications, en sorte qu'on y trouve plus de raisonnements que de passages du Nouveau Testament (4). » Ce n'est donc pas l'hérétique, plutôt que le catholique, qui suit cette méthode de raisonnement, qu'on fait voir si embarrassée. Voyons quelle en sera la fin.

Il poursuit : « Saint Basile examine en détail un assez grand nombre de passages du Nouveau Testament, qu'il résout d'une manière fort sublime et selon les principes de la dialectique (5). »

 

1 P. 91. — 2 Ibid.— 3 Ibid. — 4 P. 105. — 5 P. 107.

 

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C'était donc, encore un coup, la méthode de saint Basile et des Pères, aussi bien que celle des hérétiques, et voici quel en est le fruit : « Cette méthode, continue-t-il, n'est pas à la vérité toujours exacte, parce que la religion semblerait dépendre plutôt de notre raison que de la parole de Dieu. » Ainsi tant les orthodoxes que les hérétiques, nous sont toujours représentés comme des gens dont la méthode tendait à établir la religion sur le raisonnement, et non sur la pure parole de Dieu. C'est le sentiment de l'auteur, et c'est aussi le chemin par où les sociniens, sectateurs d'Episcopius, arrivent à l'indifférence, qui jusqu'ici est le fruit que nous pouvons recueillir de la critique de M. Simon.

Il est vrai qu'il semble dire en quelques endroits, que saint Basile et les anciens orthodoxes ne se servaient de cette méthode de raisonnement « que pour réfuter les hérétiques, qui étaient de grands dialecticiens, par les principes qu'ils suivaient (1). » Mais après tout notre auteur ne donne point une autre méthode aux orthodoxes, et nous avons déjà remarqué que selon lui, chaque parti, et les orthodoxes aussi bien que les hérétiques, n'avaient qu'une seule et même méthode pour établir leur doctrine, qui était cette méthode de raisonnement.

Il dira qu'il ne la rejette que pour en venir à une méthode plus sûre, qui est celle de la tradition, qu'en effet il fait semblant de recommander. Mais (sans répéter ici ce qu'on a déjà remarqué sur un si grossier artifice) en s'attachant seulement à l'endroit que nous avons rapporté dans le chapitre précédent, on a vu que la tradition par elle-même ne déterminait pas plus les esprits pour les catholiques que pour les ariens. On s'en servait de part et d'autre avec aussi peu d'utilité, et tout enfin se réduisait à raisonner, qui est ce que blâme notre auteur. Ainsi il embrouille tout, et de quelque côté qu'on se tourne pour sortir de ce labyrinthe, on ne trouve aucun secours dans ses écrits ; au contraire il nous précipite d'autant plus inévitablement dans cet abîme d'incertitude, que par le même moyen par lequel il a affaibli les preuves de l'Ecriture, il détruit également celles qu'on peut tirer de la tradition. Nous en avons vu le passage : « Cela, dit-il, (la contestation

 

1 P. 105, 107.

 

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inutile sous le nom de saint Athanase et d'Arius, que nous avons rapportée) nous apprend qu'il ne faut pas toujours réfuter les novateurs par l'Ecriture, autrement il n'y aurait jamais de fin aux disputes, chacun prenant la liberté d'y trouver de nouveaux sens (1). » Voilà le principe : la preuve de l'Ecriture n'est pas concluante , parce qu'après l'Ecriture on dispute encore ; et voici la conséquence trop manifeste : la preuve de la tradition ne conclut pas non plus, parce qu'on dispute encore après elle. C'est où nous mène le guide aveugle qui se présente pour nous conduire. L'Ecriture ne convainc pas : les ignorants lui laissent passer sa proposition par l'espérance qu'il donne dé forcer par là les hérétiques à reconnaitre les traditions. Il vous pousse ensuite plus avant : la tradition ne conclut pas non plus; c'est à quoi vous vous trouverez encore forcé par la voie qu'il prend. En effet il vous montre la tradition, et une tradition constante, abandonnée du temps de saint Augustin (2) : une autre tradition non moins établie, abandonnée, lorsqu'on cessa de communier les petits enfants; et sans sortir de cette matière, il vous a fait voir que c'était le sentiment unanime de tous les Pères, et le principe commun entre l'Eglise et les hérétiques, qu'on trouvait dans l'Ecriture des décisions évidentes, et après cela on vous dit qu'on ne les y trouve pas. Tout va donc à l'abandon, et l'Eglise n'a plus de règle.

 

CHAPITRE XXII.

 

Que la méthode de M. Simon ne laisse aucun moyen d'établir la sûreté de la foi, et abandonne tout à l'indifférence.

 

Ce serait un asile sûr pour les catholiques de bien établir quelque part l'infaillible autorité de l'Eglise ; mais c'est de quoi on ne trouve rien dans notre auteur. Au contraire on y trouve trop clairement que dans les disputes de foi, ce n'était pas à l'Eglise que les Pères renvoyaient : nous venons d'en rapporter le passage (3). Le même critique qui s'en était servi pour achever d'embarrasser les voies du salut, a détruit encore l'autorité de l'Eglise en faisant voir

 

1 P. 100. — 2 ci-dessus, liv. I, chap. I et suiv.; chap. X et suiv. — 3 Ci-dessus, chap. XVIII.

 

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qu'elle a varié dans sa croyance (1). Un esprit flottant ne trouve non plus aucune ressource dans les décisions des conciles, puisqu'on lui dit que saint Augustin ne s'est pas tenu obligé à celui de Nicée (2). Ainsi, en suivant ce guide, on périra infailliblement.

C'est un secours pour fixer l'interprétation des Ecritures que d'employer certains termes consacrés par l'autorité de l'Eglise, comme est celui de consubstantiel établi dans le concile de Nicée contre les chicanes des ariens. Mais M. Simon tâche encore de nous ôter ce refuge en rangeant ces termes, ainsi ajoutés au texte de l'Ecriture, parmi ces conséquences humaines qu'il a rejetées. Voici ses paroles dans l'endroit que nous avons souvent cité, mais pour d'autres fins : « Les ariens opposèrent de leur côté aux catholiques qu'ils avaient introduit dans la religion des mots qui n'étaient nullement dans les Livres sacrés ; saint Athanase prouva, au contraire, que les ariens en avaient inventé un bien plus grand nombre; en sorte que de part et d'autre on s'appuyait, non-seulement sur des passages formels de la Bible, mais aussi sur les conséquences qu'on en tirait (3) ; » c'est-à-dire, comme on vient de voir, non-seulement sur la parole de Dieu, mais sur la dialectique et sur des raisonnements. Ainsi chaque secte avait ses termes consacrés pour fixer sa religion : les catholiques en avaient ; les hérétiques en avaient à la vérité « un bien plus grand nombre » mais enfin il n'y allait que du plus au moins ; et afin que les catholiques ne pussent tirer aucun avantage, non plus que les hérétiques, de leurs termes consacrés, M. Simon les réfute les uns après les autres par cette règle générale : « La règle cesse d'être règle, aussitôt qu'on y ajoute quelque chose (4). » A la vérité cette règle est employée en ce lieu contre Eunome, qui ajoutait quelques mots à l'ancienne règle, « à l'ancienne formule de foi qu'Eunomius proposait comme la règle commune de tous les chrétiens (5). » Mais que nous sert qu'il ait réfuté Eunome par un principe qui nous perce, aussi bien que lui, d'un coup mortel? S'il est permis de le poser en termes aussi généraux et aussi simples que ceux-ci de M. Simon : « La règle cesse d'être règle, aussitôt qu'on y ajoute quelque chose, »

 

1 Ci-dessus, liv. I, chap. I  et suiv.; chap. X et suiv. — 2 Ci-dessus, chap. XIX. — 3 P. 91. — 4 P. 105. — 5 P. 104.

 

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Nicée qui y ajoute le consubstantiel a autant de tort qu'Eunome qui y ajoute d'autres termes. Et l'on ne veut pas qu'on s'élève contre un critique orgueilleux, qui dans le sein de l'Eglise, sous le titre du sacerdoce et à la face de tout l'univers, par des principes qu'il sème deçà et delà, mais dont la suite est trop manifeste, vient mettre l'indifférence, c'est-à-dire l'impiété sur le trône ?

On dira que je mets moi-même les libertins dans le doute, en découvrant les moyens subtils par lesquels M. Simon les y induit, et qu'il faudrait résoudre les difficultés après les avoir relevées. Je l'avoue : mais on ne peut tout faire à la fois, et il a fallu commencer par découvrir ce poison subtil qu'on avalerait, sans y penser, dans les pernicieux ouvrages de M. Simon. Louons Dieu que ses artifices soient du moins connus. Par ce moyen les simples seront sur leurs gardes, et les docteurs attentifs à repousser le venin.

 

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