Défense II - Livre IX
Précédente Accueil Remonter Suivante
Bibliothèque

Accueil
Remonter
Remarques
Préface
Défense I - Livre I
Défense I - Livre II
Défense I - Livre III
Défense I - Livre IV
Défense II - Livre V
Défense II - Livre VI
Défense II - Livre VII
Défense II - Livre VIII
Défense II - Livre IX
Défense II - Livre X
Défense II - Livre XI
Défense II - Livre XII
Défense II - Livre XIII

LIVRE IX.

 

PASSAGES  DE  SAINT  CHRYSOSTOME,   DE THÉODORET,  DE PLUSIEURS  AUTRES CONCERNANT  LA  TRADITION  DU  PÉCHÉ ORIGINEL.

 LIVRE IX.

CHAPITRE PREMIER.

CHAPITRE II.

CHAPITRE III.

CHAPITRE IV.

CHAPITRE V.

CHAPITRE VI.

CHAPITRE VII

CHAPITRE VIII.

CHAPITRE IX.

CHAPITRE X.

CHAPITRE XI.

CHAPITRE XII.

CHAPITRE XIII.

CHAPITRE XIV.

CHAPITRE XV.

CHAPITRE XVI.

CHAPITRE XVII.

CHAPITRE XVIII.

CHAPITRE XIX.

CHAPITRE XX.

CHAPITRE XXI.

 

CHAPITRE PREMIER.

 

Passage de saint Chrysostome, objecté à saint Augustin par Julien.

Après que saint Augustin nous a menés par les témoignages, tant de l'Orient que de l'Occident, jusqu'au temps de saint Chrysostome, qui était le seul des Pères qu'on lui objectait, il vient aux sentiments de ce grand homme ; et non content d'avoir démontré par la méthode qu'on a vue, qu'il n'est pas possible que sa doctrine ait dégénéré de celle de tous les autres saints, il répond aux objections qu'on tirait de ses écrits, et en même temps il prouve à son tour qu'en effet il a reconnu dans tous les hommes, non-seulement la peine, mais encore la coulpe même du péché d'Adam. Suivons la méthode de ce saint, et proposons avant toutes choses le passage de saint Chrysostome, que Julien objectait.

Il était tiré d'une homélie sur les néophytes, c'est-à-dire sur les nouveaux baptisés, que nous n'avons plus; et on y lisait ces paroles selon la traduction que Julien proposait : « Il y en a qui se persuadent que la grâce du baptême consiste toute dans la rémission des péchés; mais nous venons d'en raconter dix avantages. C'est aussi pour cette raison que nous baptisons les enfants, quoiqu'ils ne soient point souillés par le péché, pour leur donner ou leur ajouter la sainteté, la justice, l'adoption, l'héritage, la fraternité de Jésus-Christ, l'honneur d'être ses membres et d'être la demeure du Saint-Esprit (1). » La force de ce passage consistait en ce que saint Chrysostome semblait vouloir dire qu'on baptisait les enfants, non point pour les laver du péché qu'ils n'avaient pas, mais pour leur donner les grâces annexées à ce sacrement.

 

1 Contr. Jul., lib.  I, cap. VI, n. 22.

 

323

 

CHAPITRE II.

 

Réponse de saint Augustin : passage de l'homélie qu'on lui objectait, par où il en découvre le vrai sens.

 

Sur ce passage de saint Chrysostome, saint Augustin fait trois choses : la première, il corrige la traduction de Julien; secondement il fait voir le sens véritable de saint Chrysostome ; en troisième lieu il prouve ce sens par la suite de l'homélie sur les nouveaux baptisés, qui était celle qu'on lui objectait. Nous commencerons par ce dernier endroit de la réponse, parce qu'il fait voir la solidité des deux autres. Voici donc dans cette homélie les paroles de saint Chrysostome dont saint Augustin nous rapporte le grec que nous n'avons plus et qu'il traduit ainsi de mot à mot : « Jésus-Christ est venu une fois, il a trouvé notre cédule ou obligation paternelle, chirographum paternum, qu'Adam a écrite : celui-ci a établi le commencement de la dette, nous l'avons augmentée par nos péchés postérieurs : Ille initium induxit debiti, nos fœnus auximus posterioribus peccatis (1). » Le passage est évident : les termes sont clairs. Chirographum est ici la cédule ou l'obligation pour contracter une dette. Saint Chrysostome enseigne ailleurs (2), que c'est là naturellement ce que ce mot signifie. La cédule ou obligation paternelle, chirographum paternum, marque une dette ancienne qui se trouve parmi les effets de la succession; fœnus signifie en ce lieu, selon l'usage ordinaire, œs alienum, dette. L'intelligence des termes étant supposée, la chose ne reçoit plus de difficulté. Saint Chrysostome ne parlerait pas des péchés postérieurs qui ont augmenté notre dette, s'il n'en avait supposé un premier qui l'a commencée. Le terme même de dette signifie péché dans l'usage de l'Ecriture, et nous donnons tous les jours ce nom au péché, lorsque nous disons dans l'Oraison Dominicale : Dimitte nobis débita nostra, «remettez-nous nos péchés comme nous les remettons à ceux qui nous doivent. » En ce sens nous avons deux sortes de dettes : la première est celle que nous avons contractée dans notre premier père ; et la seconde,

 

1 Contr. Jul., lib. I, cap. VI, n. 26. — 2 Hom. VI, in Coloss., II, 14.

 

324

 

celle que nous augmentons par nos péchés. Nous sommes des deux côtés redevables à la justice divine. Saint Augustin remarque très-bien de cette première dette qu'elle est nôtre, et qu'elle est aussi paternelle. Saint Chrysostome, dit-il, l'appelle « nôtre, » chirographum nostrum, parce qu'elle nous devient propre par la succession : Non contentus fuit dicere paternum chirographum, nisi adderet nostrum. Elle est aussi paternelle, parce qu'elle nous vient de notre Père, dont nous sommes héritiers; et que c'est, pour ainsi parler, le seul effet de cette malheureuse succession ; d'où il s'ensuit qu'il y a en nous, outre nos dettes particulières, une dette, c'est-à-dire, comme on a vu, un péché héréditaire.

 

CHAPITRE III.

 

Evidence de la réponse de saint Augustin ; en quel sens il a dit lui-même que les enfants étaient innocents.

 

Ce fondement supposé, la réponse de saint Augustin ne souffre point de difficulté ; puisqu'ayant prouvé par saint Chrysostome qu'il reconnaissait dans les baptisés des péchés postérieurs que nous ajoutons à celui qui nous vient d'Adam, il n'y a voit rien de plus naturel que de croire, lorsqu'il disait que les enfants n'ont point de péchés, qu'il l'entendait de ces péchés postérieurs ajoutés au premier péché par leur volonté, qui étaient ceux qu'en effet les enfants ne pouvaient avoir.

C'est pourquoi saint Augustin avait beaucoup de raison de corriger la version de Julien, qui au lieu qu'on lisait dans l'original de saint Chrysostome, que « les enfants n'ont point de péchés » au nombre pluriel, quamvis peccata non habentes. traduisait « qu'ils n'étaient point souillés du péché, » cùm non sint coinquinati peccato (1) ; ce qui était faire parler saint Chrysostome bien plus généralement et plus indéfiniment qu'il n'avait fait.

Il n'y avait donc rien de plus net que la solution de saint Augustin : « Il dit (saint Chrysostome) que les enfants n'ont point de péchés, c'est-à-dire propres; et c'est pourquoi, continue-t-il, nous les appelons innocents et avec raison, » au sens que saint Paul a

 

1 Contr. Jul., loc. citat., n. 22.

 

329

 

dit de Jacob et d'Esaü, qu'ils « n'avaient fait ni bien ni mal, » et non en celui où il a dit «qu'on est pécheur dans un seul (1), » par le péché d'autrui et non par le sien propre.

Et pour entendre à fond cette réponse de saint Augustin (2), il faut savoir qu'il y a une innocence dans les petits enfants, que ce Père a été obligé de défendre contre les pélagiens. Pressés par cette interrogation : Pourquoi on baptisait les enfants en la rémission des péchés, s'ils n'en avaient aucun ? plutôt que d'avouer le péché originel avec le reste des chrétiens , ils disaient que les enfants n'étaient pas incapables de pécher par leur propre volonté, et que c'était de tels péchés qu'on leur remettait dans le baptême. Contre cette folle opinion que l'Eglise ni l'humanité ne connaissaient pas, saint Augustin eut à soutenir en plusieurs endroits l'innocence des enfants (3) et le langage commun du genre humain, qui les appelait innocents. Il dit même que saint Cyprien a défendu leur innocence (4), du côté des péchés qu'on peut commettre par sa volonté; et pour cela il allègue le passage qu'on vient de voir de saint Paul, où il parle de Jacob et d'Esaü « comme n'ayant fait ni bien ni mal (5). » Il pouvait aussi rapporter ce que dit le même Apôtre : « La mort a régné sur tous ceux qui n'ont point péché (6).» Il venait de dire qu'ils ont péché en Adam; et il dit aussitôt après qu'ils n'ont point péché, c'est-à-dire, comme il ajoute, qu'ils n'ont point péché « en ressemblance de la prévarication d'Adam;» et comme l'explique saint Jérôme (7) aussi bien que saint Augustin (8), par leur propre et particulière volonté. On peut donc dire qu'ils ont péché et n'ont point péché à divers égards, et c'est vouloir embrouiller une chose claire que de chercher ici de l'embarras.

 

1 Rom., V, 19.— 2 Lib. I De pecc. mer., cap. XXXIV et XXXV. — 3 Ibid., XVII. — 4 Ibid., XXXV. — 5 Rom., IX, 11. — 6 Rom., V, 14.— 7 Adv. Pelag., lib. III, 471. — 8 De pecc. mer., lib. I, cap. XI.

 

326

 

CHAPITRE IV.

 

Pourquoi saint Chrysostome n'a point parlé expressément en ce lieu du péché originel, au lieu que Nestorius et saint Isidore de Lamiette en ont parlé un peu après avec une entière clarté.

 

Au reste dans la liberté qu'on avait, selon ses diverses vues, de mettre les petits enfants au rang des coupables ou des innocents, saint Chrysostome en ce lieu avait ses raisons pour les regarder de cette dernière manière ; car il avait à réfuter ceux qui dégradaient le baptême et en mutiloient la grâce en la restreignant au seul pardon, à l'exclusion des autres dons beaucoup plus grands. C'est ce qui paraît par le texte de son homélie, qu'il faut encore une fois, pour un plus grand débrouillement de cette matière, présenter aux yeux des lecteurs : « Il y en a, dit-il, qui veulent croire que la grâce de ce sacrement consiste toute dans la rémission des péchés ; mais nous venons d'en raconter dix avantages. C'est aussi pour cette raison que nous baptisons les enfants, quoiqu'ils n'aient point de péchés, pour leur ajouter la sainteté, la justice, l'adoption, l'héritage, la fraternité de Jésus-Christ, l'honneur d'être ses membres et la demeure du Saint-Esprit. »

Dans le dessein que se proposait ce grand personnage, on voit qu'il avait besoin, non point des péchés dont le baptême nous délivre, mais des grâces qu'il nous confère. C'est pourquoi il exagère les dons, et passe légèrement sur le péché des enfants. Et si l'on demande : Pourquoi en disant qu'ils n'avaient point de péchés, ne s'explique-t-il pas davantage ? Que lui eût-il coûté de dire qu'ils n'avaient point de péchés propres, et de mettre tout à couvert par ce peu de mots ? Saint Augustin répond pour lui qu'il ne faut pas s'étonner s'il n'a pas eu cette précaution dans un temps qu'il n'y avait pas de question qui l'y obligeât, et que les pélagiens ne s'étaient pas encore élevés (1).

Et pour montrer la solidité de cette réponse, il n'y a qu'à voir comment on parle depuis la naissance de cette hérésie. Avant que Nestorius eût éclaté contre l'Eglise, nous avons vu qu'il s'était

 

1 Cont. Jul., lib. I, cap. IV, n. 22.

 

327

 

servi contre Pélage et Célestius, de cette cédule que saint Chrysostome avait prêchée peut-être dans la même chaire (1). Mais Nestorius s'explique plus clairement que n'avait fait saint Chrysostome. Car il dit positivement « que cette cédule, c'est le péché d'Adam. » Il ajoute que « cette cédule » nous exclut « du ciel, » , et nous fait mourir a dans la puissance du diable. » D'où vient qu'il a parlé plus précisément et avec plus de précaution que saint Chrysostome, bien plus habile que lui, si ce n'est que Julien le pélagien, réfugié à Constantinople après sa condamnation et présent peut-être à ce sermon, l'avait rendu plus attentif à l'hérésie pélagienne, qu'il se faisait alors un honneur de combattre ? C'est pourquoi on peut bien trouver le même fond de doctrine dans saint Chrysostome, mais non pas toujours pour cela la même précision.

C'est ce qui paraît encore plus clairement un peu après dans saint Isidore de Damiette. On lui demande pourquoi on baptise les petits enfants, encore qu'ils soient sans péché, anamarteta onta: « Et il y en a, répond-il, qui s'attachant aux petites choses, en rendent cette raison, qu'on efface par ce moyen la tache qui passe en nous par la prévarication d'Adam ; pour moi, je crois aussi que cela se fait, mais non pas cela seulement; car ce serait peu de chose. Il y faut donc ajouter les dons qui surpassent notre nature : elle ne reçoit pas seulement ce qui lui est nécessaire pour effacer le péché, mais elle est ornée des dons divins ; elle n'est pas seulement délivrée du supplice, ni de toute la malice du péché, mais elle est régénérée d'en haut, rachetée, sanctifiée, adoptée, justifiée, cohéritière du Fils unique et unie à ce chef comme un de ses membres (2). » Et un peu après : « Nous n'avons pas seulement reçu un remède contre une plaie, mais une beauté au-dessus de tous nos mérites. Ainsi il ne faut pas croire que le baptême ôte seulement les péchés mais encore qu'il opère avec l'adoption mille autres dons dont j'ai expliqué une partie. »

Je ne crois pas que personne puisse lire cette lettre d'un homme que l'on sait d'ailleurs avoir été si affectionné à la lecture de saint Chrysostome (3) sans sentir qu'il avait en vue l'homélie de ce Père

 

1 Apud Mercat., serm. II, Nestor., n. 7, 8; Garn., p. 84. — 2 Lib. III, Epist. CXCV. — 3 Lib. V, Epist. XXXII.

 

328

 

que Julien objectait. On voit dans toutes les deux, je veux dire et dans la lettre et dans l'homélie, non-seulement le même dessein de prouver que le baptême ne consiste pas dans la seule rémission des péchés, mais encore les mêmes preuves, les mêmes expressions, le même ordre et le même esprit de ne s'arrêter presque pas à la rémission du péché, en comparaison des dons immenses qui sont attachés à ce sacrement. Si saint Isidore s'explique plus clairement, s'il s'exprime en termes formels, qu'un des effets du baptême des petits enfants est d'effacer la tache du péché originel et d'en guérir la plaie ; s'il l'appelle formellement un péché, une malice ; en un mot, s'il explique si distinctement ce que saint Chrysostome n'a dit qu'en gros, ce n'est pas qu'il soit plus savant que ce grand évêque, ni qu'il pense autrement que lui, puisqu'il le nomme si souvent comme son maître ; mais c'est qu'étant réveillé par l'hérésie des pélagiens, qui avait fait tant de bruit par toute la terre, il a été plus attentif à des choses que saint Chrysostome n'avait point d'obligation d'expliquer.

 

CHAPITRE V.

 

Passages de saint Chrysostome dans l'homélie X sur l’Epître aux Romains, proposés en partie par saint Augustin pour le péché originel.

 

Outre l'homélie sur les nouveaux baptisés, que nous n'avons plus, saint Augustin oppose à Julien les passages de l'homélie X sur l’Epître aux Romains, que nous avons. «C'est reconnaître, dit-il, le péché originel que d'enseigner, comme saint Chrysostome a fait au commencement de cette homélie, que le péché qui a tout souillé n'est pas celui qui vient de la transgression de la loi de Moïse, mais celui qui vient de la désobéissance d'Adam (1). » Il s'agit d'un véritable péché, puisqu'on le compare à la transgression de la loi de Moïse : ce péché est universel, puisqu'il souille tout, et d'une souillure qui est comparée à celle que l'on contracte par la prévarication de la loi de Moïse. Ce n'est donc pas seulement la

 

1 Chrysost., hom. X in Epist. ad Rom., apud August., lib. I Contr. Jul., cap. VI, n. 17.

 

329

 

peine, mais encore le péché qui passe d'Adam à tous les hommes et qui infecte tout le genre humain.

Saint Augustin nous fait voir encore dans la suite de cette homélie « que tous ceux qui sont baptisés en la mort de Jésus-Christ et ensevelis avec lui, ont en eux-mêmes un péché auquel ils meurent. » Les enfants en ont donc un, puisqu'on les baptise de l'aveu de saint Chrysostome, comme de tout le reste des Pères.

Que si nous continuons la lecture de cette homélie, nous y trouverons ces mots : « Si le Juif demande comment est-ce que toute la terre a été sauvée par la sainteté d'un seul Jésus-Christ, demandez-lui, à votre tour, comment est-ce qu'elle a été condamnée par la désobéissance d'un seul Adam (1). » La comparaison est nulle, si de même que vous mettez d'un côté une véritable justice, « qui nous est communiquée, dit saint Chrysostome, par la croix et l'obéissance de Jésus-Christ, » vous ne mettez aussi de l'autre un véritable péché, qui nous vient de la désobéissance d'Adam. C'est pourquoi ce saint docteur continue ainsi : « De peur que vous ne croyiez, quand vous entendez nommer Adam, qu'on ne vous ôte que le seul péché qu'il a introduit, saint Paul nous apprend qu'on nous a remis tous les péchés qui ont suivi ce premier péché commis dans le paradis. »

Il y a donc un péché qu'Adam a introduit dans le monde. Qu'est-ce que l'introduire, si ce n'est le communiquer et le répandre? Or ce péché introduit n'est pas moins péché que les autres, puisqu'il a besoin d'être remis à chacun de nous comme ceux que nous avons commis.

 

CHAPITRE VI.

 

Qu'en parlant très-bien au fond dans l'homélie X sur l’Epître aux Romains, saint Chrysostome s'embarrasse un peu dans une question qui n'était pas encore bien éclairée.

 

Après avoir parlé si clairement du péché originel en tant d'endroits de cette savante homélie, s'il s'embarrasse dans la suite, s'il ne trouve « aucune apparence qu'on soit pécheur par la

 

1 Vide apud Chrys., loc. cit.

 

330

 

désobéissance d'autrui, » il faut ici entendre nécessairement par «être pécheur, » l'être par un péché propre et actuel : autrement un si grand docteur n'aurait pas seulement contredit les autres, mais se serait encore contredit lui-même.

Mais d'où vient donc que partout, dans cette homélie, il explique lâcher en Adam de la peine plutôt que du péché? C'est là qu'il ne paraît pas que sa doctrine soit assez suivie, ou du moins assez expliquée ; et néanmoins dans le fond et à parler de bonne foi, on doit plutôt dire qu'il s'embarrasse dans une matière qui n'était pas encore bien éclaircie, qu'on ne doit dire qu'il se trompe. Ceux qui lui attribuent l'erreur de reconnaitre le supplice où le péché ne serait pas, et le font en cela plus déraisonnable que n'ont été les pélagiens, comme on l'a démontré plus haut l, devraient trouver quelque part dans ses écrits que la justice permît de punir de mort des innocents, ou de faire sentir la peine à ceux qui n'ont pas de part au crime. Mais loin qu'on trouve quelque part une si étrange doctrine dans les ouvrages de ce Père, on y trouve tout le contraire, et même dans l'homélie x et dans l'endroit qu'on nous oppose. Car au même endroit où il dit « qu'il n'y a aucune apparence qu'on soit pécheur par la désobéissance d'autrui, » il ajoute : « qu'on trouvera que celui qui serait tel, » c'est-à-dire, qui serait pécheur du péché d'un autre, « ne serait redevable d'aucune peine, puisqu'il ne serait point pécheur en lui-même, » ou en son particulier, oikoden. Quiconque donc n'a point de péché en lui-même ne peut selon la règle de saint Chrysostome être assujetti à la peine, et ceux qui lui attribuent une autre doctrine sont réfutés par lui-même.

Il est pourtant vrai qu'il venait de dire dans cette même homélie « qu'encore qu'il ne semble pas raisonnable qu'on soit puni pour le péché d'autrui, cela néanmoins est arrivé aux enfants d'Adam ; » et on ne peut concilier ces deux endroits du même discours, à moins de reconnaitre que ce péché qu'il appelle le péché d'autrui à cause qu'un autre l'a commis actuellement , devient le propre péché de tous les autres, en tant qu'ils en ont la tache en eux-mêmes par contagion ; de même à peu près, qu'encore qu'on

 

1 Ci-dessus, liv. VIII, chap. XII et suiv.

 

331

 

prenne le mal de quelqu'un, on ne laisse pas de l'avoir en soi ; et c'est la comparaison que saint Augustin fait en plusieurs endroits : d'où il infère que le péché que nous tirons de nos premiers parents « nous est étranger d'une certaine façon, quoiqu'il soit propre d'une autre : étranger en le regardant selon la propriété de l'action, » qui appartient en ce sens à Adam qui l'a fait ; « et propre cependant par la contagion de notre naissance (1), » qui le fait passer en nous avec la vie.

Il ne faut pourtant pas s'imaginer que la comparaison de la contagion soit parfaite, puisque cette maladie que nous aurions contractée dans un air qu'un pestiféré aurait infecté, serait de même nature que la sienne ; au lieu que le péché que nous avons contracté d'Adam ne peut pas être en nous comme il est en lui, ni absolument de même nature, puisqu'il n'y peut jamais être aussi actuel et aussi propre qu'il est à ce premier père, auteur de notre vie et de notre faute.

 

 

CHAPITRE VII

 

Pourquoi, en un certain sens, saint Chrysostome ne donnait le nom dépêché qu'au seul péché actuel.

 

Et pour pousser la chose à bout, si l'on demande à quoi servait à saint Chrysostome de distinguer l'actuel de l'originel dans cette précision, cela lui servait à montrer qu'il y avait un libre arbitre et par conséquent un péché de propre détermination, de propre volonté, de propre choix : ce que niaient les gnostiques et les manichéens, qui attribuaient le péché à une nature mauvaise; les uns, qui étaient les gnostiques, en disant qu'il y avait des hommes de différente nature, dont quelques-uns étaient essentiellement mauvais ; et les autres, qui étaient les manichéens, en attribuant le péché à ce principe mauvais qu'ils reconnaissaient indépendant de Dieu même, sans que ni les uns ni les autres voulussent avouer un libre arbitre, ni par conséquent aucun péché qui vint d'un propre choix.

Il lui était donc important de montrer aux uns et aux autres,

 

1 Contr. Jul., lib. VI, cap. IV.

 

332

 

non-seulement qu'il y avait des péchés de propre choix, mais encore que le péché venait de là naturellement, puisque même le péché d'Adam, qui passait en nous avec la naissance, était dans la source et dans Adam même un péché de propre volonté, qui dans cette précision et en ce sens ne venait point jusqu'à nous.

C'est donc ce qui lui fait dire en un certain sens qu'on n'a point péché en Adam de cette manière singulière de pécher qui consiste dans l'acte même et dans le propre choix, cela est vrai; en excluant toute tache de péché généralement, on a vu tout le contraire dans saint Chrysostome.

Et afin de tout expliquer par un seul principe, il faut entendre qu'y ayant deux choses dans le péché, l'acte qui passe, comme par exemple dans un homicide l'action même de tuer, et la tache qui demeure par laquelle aussi celui qui cesse de faire l'acte par exemple de tuer demeure coupable et criminel, l'intention de saint Chrysostome est d'exclure des enfants d'Adam ce qu'il y a d'actuel dans son péché, c'est-à-dire la manducation actuelle du fruit défendu, et non pas ce qu'il y a d'habituel et de permanent, c'est-à-dire la tache même du péché, qui fait qu'après avoir cessé de le commettre, on ne laisse pas d'en demeurer toujours coupable. Pour ce qui est donc de l'acte du péché d'Adam, il n'a garde de passer à ses enfants ou d'y demeurer, puisqu'il ne demeure pas en Adam même, et c'est tout ce que veut dire saint Chrysostome ; mais quant à ce qu'il y a d'habituel et de permanent dans le péché, ce saint docteur l'exclut si peu, qu'au contraire il le présuppose comme le fondement nécessaire des peines.

 

CHAPITRE VIII.

 

Preuve par saint Chrysostome, que les peines du péché ne passaient à nous qu'après que le péché y avait passé : passage sur le psaume L.

 

C'est ce qui paraît clairement dans ce verset du psaume cinquantième : «Je suis conçu en péché, » où ce docte Père parle ainsi : « De toute antiquité, dit-il, et dès le commencement de la nature humaine, le péché a prévalu, puisque la transgression du commandement divin a précédé l'enfantement d'Eve : voici donc

 

333

 

ce que veut dire David : Le péché qui a surmonté nos premiers pères, s'est fait une entrée et une ouverture dans ses enfants. » C'est donc le péché qui entre : les peines entrent aussi, il est vrai; et c'est pourquoi saint Chrysostome les rapporte après, et premièrement la mort, ou si l'on veut la mortalité, d'où il fait naître « les passions, les craintes, l'amour du plaisir, » et en un mot, la concupiscence ; mais il a fallu que le péché même entrât le premier, sans quoi le reste n'aurait pas suivi.

 

CHAPITRE IX.

 

Que saint Chrysostome n'a rien de commun avec les anciens pélagiens, et que saint Augustin l'a bien démontré.

 

C'est là aussi, pour en revenir à l'homélie X sur l’Epître aux Romains, le pur esprit de saint Paul dans cette épitre. « Le péché, dit-il, est entré dans le monde par un seul homme. » Remarquez la particule par. Il n'est pas entré seulement en Adam, mais par lui. Il est entré dans tout le monde; et, poursuit-il sur ce fondement, « la mort est aussi entrée par le péché ; » comme le supplice entre par le crime.

A cela il n'y avait de solution que celle dont les pélagiens se servaient d'abord, que ce n'était pas par la génération, mais par l'exemple qu'Adam avait introduit le péché dans le monde ; mais comme cette solution était absurde et insoutenable pour toutes les raisons qu'on a vues ailleurs, saint Augustin, qui n'oublie rien, sait bien remarquer que saint Chrysostome ne s'en est jamais servi. « Ce Père, » dit-il en traitant la question comment le péché a passé d'Adam à tous les hommes, « n'a pas seulement songé à dire que ce fût par imitation : trouve-t-on, dit saint Augustin, un seul mot dans tout son discours qui ressente cette explication (1) ? » Pélage et Célestius en sont les auteurs : saint Chrysostome rapporte tout à l'origine et non pas à l'exemple, et dès là les anciens pélagiens ne peuvent s'autoriser de son témoignage.

 

1 Lib. I Contr. Jul., cap. VI.

 

334

 

CHAPITRE X.

 

Que saint Chrysostome ne dit pas qu'on puisse être puni sans être coupable, et que les nouveaux pélagiens lui attribuent sans preuve cette absurdité.

 

Mais les nouveaux pélagiens qui le font auteur du nouveau système encore plus prodigieux, où la peine passe sans la faute, ne sont pas mieux fondés. Car après tout, que dit ce Père? Dit-il que la peine puisse passer sans la coulpe, ou, ce qui est la même chose, qu'on puisse être puni sans être coupable ? On ne trouvera jamais dans ses écrits une telle absurdité. Il dit seulement que dans ce passage de saint Paul : « Plusieurs ont été faits pécheurs par la désobéissance d'un seul ; » pécheurs, c'est-à-dire sujets au supplice et condamnés à la mort (1). » En toute opinion, cela est vrai : être pécheur n'est pas en ce lieu avoir actuellement commis le péché, actuellement mangé le fruit défendu, ce que n'ont pas fait les enfants d'Adam ; mais être pécheur, c'est avoir en soi ce qui demeure après l'acte du péché, ce qui est resté en Adam après que cet acte a été passé, c'est-à-dire être coupable ; ce que saint Chrysostome explique très-bien par « être assujetti au supplice, kolasei, et condamné à la mort. »

En effet, à dire le vrai et en bonne théologie, être coupable ne peut être autre chose que d'être obligé au supplice, upeuthumoi kolasei, comme parle saint Chrysostome (2) ; ou, comme dit le même Père au même endroit, « redevable de la peine, » diken opheilos. C'est ce que saint Chrysostome explique par ces termes généraux kolasis dike : « punition, peine. » Que s'il ajoute qu'être coupable n'est pas seulement « être assujetti à la peine, » mais encore « être condamné à mort; » et s'il s'attache principalement à la mort du corps dans toute la suite de son discours, ce n'a pas été pour réduire à la seule mort corporelle tout le supplice d'Adam, mais pour l'exprimer tout entier par la partie la plus sensible.

 

1 Hom. X in Rom. — 2 Ibid.

 

335

 

CHAPITRE XI.

 

Que saint Chrysostome a parfaitement connu la concupiscence, et que cela même c'est connaître le fond du pêche originel : le formel ou l'essence de ce péché ne consiste pas dans la domination de la convoitise.

 

Au reste saint Chrysostome ajoute aux maux que nous avons hérités d'Adam ce qu'il appelle kakia (1), qu'on peut traduire la malice ou malignité, le vice, la dépravation de notre nature ; en un mot, la concupiscence, qui consiste dans cette pente violente au mal que nous apportons en naissant.

Saint Chrysostome y ajoute encore cette révolte des sens, ce faible pour le bien sensible, cette ardeur qui nous y entraîne comme malgré nous, d'où naît même dans nos corps ce désordre honteux que ce Père appelle l'image du péché, et qu'il explique avec autant de force que d'honnêteté dans un passage qui est rapporté par saint Augustin (2).

Nous avons déjà remarqué que ce désordre n'est pas seulement un des effets de notre péché, mais qu'il en fait une partie, puisqu'il en est le fond et le sujet. Nous naissons dans ce désordre, parce que c'est par ce désordre que nous naissons, et qu'il est inséparable du principe de notre naissance. C'est donc là ce qui fait en nous la propagation du péché, et la rend aussi naturelle que celle de la vie.

Ainsi il n'y a rien de plus véritable que ce qu'on a déjà remarqué, que quiconque connaît parfaitement la concupiscence, dans le fond connaît aussi ce péché de notre nature. C'est pourquoi saint Augustin joint ces deux choses dans tous ses écrits, et en particulier dans les livres contre Julien (3), où il montre que tous les anciens ont reconnu le péché originel, parce qu'ils ont reconnu la concupiscence; parce qu'en effet la reconnaître c'est reconnaître dans tous les hommes dès le principe de leur conception ce dérèglement radical, qui devient si sensible dans le progrès de l'âge, qu'il a même été reconnu par les philosophes païens. Il est donc vrai que tous les hommes portent dans la

 

1 Hom. X. in Rom. — 2 Contr. Jul., lib. II, cap. VI. — 3 Lib. II.

 

336

 

révolte de leurs sens une secrète et naturelle impression de l'ancien péché dont toute la nature est infectée.

C'est une doctrine commune et très-véritable de l'Ecole, que la concupiscence est le matériel du péché de notre origine. Pour le formel, quelques-uns le mettent en ce que ce dérèglement radical est un véritable péché, tant qu'il domine, et qu'il y faut la grâce habituelle et sanctifiante pour l'empêcher de dominer; de sorte que la rémission du péché originel consiste dans l'infusion de la grâce, qui établit le règne de la justice au lieu de celui de la convoitise.

Cette doctrine, quoique spécieuse, est insoutenable dans le fond, puisque si le formel du péché originel était le règne de la convoitise, toutes les fois qu'on perd la grâce et que ce règne revient, le péché originel reviendrait aussi, ce qui est contre la foi et contre cette règle de saint Paul, « que les dons de Dieu sont sans repentance. » Je n'en dirai pas davantage sur une chose si claire; et j'ai voulu seulement en avertir quelques catholiques, qui se laissent aller trop aisément dans le sentiment que je viens de rapporter, pour n'en avoir pas assez vu la conséquence.

 

 

CHAPITRE XII.

 

En quoi consiste l'essence ou le formel du péché originel et quelle est la cause de la propagation.

 

Il faut donc dire que la malice, et comme parle l'Ecole, le formel de ce péché de notre origine, c'est d'avoir été en Adam, lorsqu'il péchait; et la rémission de ce péché, c'est d'être transféré en Jésus-Christ comme juste et comme auteur de toute justice.

Qu'est-ce qu'avoir été en Adam? Notre être, notre vie, notre volonté, avait été dans la sienne; voilà notre crime. Dieu qui l'avait fait notre principe, avait tout mis en lui pour lui et pour nous, et non-seulement la vie éternelle, mais encore celle de la grâce, c'est-à-dire la sainteté et la justice originelle. Par conséquent en péchant il a tout perdu, autant pour nous que pour lui-même. Un des dons qu'il a perdus, c'est l'empire sur ses passions et sur ses sens. Ce désordre, cette révolte des sens étant en

 

337

 

lui un effet de son péché, être venu de là, c'est lui être uni comme pécheur. Ainsi tout le genre humain devient en lui un seul criminel. Dieu le punit en nous tous, qui faisons, étant ses enfants, comme une partie de son être : par là il nous impute son péché. C'est tout ce qu'on peut savoir de ces règles impénétrables de la justice divine, et le reste est réservé à la vie future.

 

CHAPITRE XIII.

 

Comment la concupiscence est expliquée par saint Chrysostome : deux raisons pourquoi sa doctrine n'est pas aussi liée et aussi suivie que celle de saint Augustin, quoique la même dans le fond.

 

C'est la doctrine de tous les siècles sur la liaison de la concupiscence avec le péché originel. Il ne nous reste qu'à remarquer que saint Chrysostome attache ordinairement la concupiscence à la mortalité, parce que l'homme, devenu mortel, tombe par là dans cette indigence, d'où naissent nos faiblesses et nos mauvais désirs, ainsi que ce Père, et après lui Théodoret, l'explique sur ce verset du Psaume L : Ecce in iniquitatibus, etc.

C'est aussi une des raisons pour laquelle cet éloquent patriarche de Constantinople parle si souvent de la mort en expliquant le péché originel, parce qu'il regarde la mortalité comme la source de nos faiblesses et la pépinière de tous nos vices; en quoi s'il ne touche peut-être pas la source la plus profonde de nos maux héréditaires, qui est l'orgueil et l'amour-propre, il en expose du moins la cause la plus sensible.

On peut voir par toutes ces choses qu'il a reconnu dans le fond le péché originel aussi certainement que tous les autres Pères; et que tout ce qu'il peut y avoir d'embarras dans sa doctrine, c'est qu'elle n'est pas aussi attentive, aussi précautionnée, aussi suivie que celle de saint Augustin, à cause en partie que les questions sur cette matière ne s'étaient pas encore élevées; en partie aussi, parce que ce docte Père à la vérité ne cède à aucun des autres en bon sens et en éloquence; mais de dire qu'on y trouve autant de principes et de profondeur, ou un corps de doctrine aussi suivi que dans saint Augustin, qui est l'aigle des docteurs, avec le

 

338

 

respect et l'admiration qui est due à cette lumière de l'Eglise grecque, la vérité ne le permet pas.

Il nous suffit en considérant le corps de doctrine de ce Père, d'y avoir trouvé qu'on ne pèche point en Adam ou, ce qui est la même chose, qu'on ne reçoit point en lui la mort du péché, si on regarde la propriété de l'action ; mais qu'on a péché en Adam et qu'on a reçu en lui la mort du péché, si on en regarde la tache, la contagion, la malice, ou ce qu'on appelle reatus, puisque c'est là précisément ce qui est effacé par le baptême.

 

CHAPITRE XIV.

 

Quelques légères difficultés tirées de saint Clément d'Alexandrie, de Tertullien, de saint Grégoire de Nazianze et de saint Grégoire de Nysse.

 

Par les principes posés, non-seulement la tradition du péché originel est établie, mais encore toutes les difficultés sont résolues. Chaque dogme de la religion a sa difficulté et son dénouement. La difficulté dans la matière du péché originel est qu'étant d'une nature particulière en ce que c'est un péché que l'on contracte sans agir ou, ce qui est la même chose, un péché qui vient d'autrui, et non pas de nous, il a dû arriver naturellement que ceux qui n'avaient que ce péché, comme les petits enfants, fussent ôtés en un certain sens du rang des pécheurs, parce qu'à l'égard des péchés que l'on commet par un acte propre de la volonté, ils sont absolument innocents. De là vient donc qu'on a trouvé dans les anciens « qu'ils ne sont pas dans le péché. » C'est ce qu'a dit saint Clément d'Alexandrie, que « leur âge est innocent, » et que pour cela « on ne doit point se hâter de leur donner le baptême (1). » C'est ce qu'on trouve dans Tertullien, « qu'ils ne sont ni bons ni mauvais, » et que par cette raison ils ne seront « ni dans la gloire ni dans les supplices (2). » C'est ce que semble dire saint Grégoire de Nazianze (3) ; et saint Grégoire de Nysse ne parle point du pèche originel dans des occasions qui semblaient le demander davantage. Voilà les objections dont on tâche d'embarrasser la tradition

 

1 Strom., III, edit. Commel, p. 342. — 2 Tertull., De Bapt., cap.  XVIII. — 3 Orat. XL.

 

339

 

du péché originel. S'il y a d'autres expressions incommodes des saints docteurs, elles peuvent se rapporter à celles-ci; et il ne reste plus qu'à faire voir qu'elles demeurent si clairement résolues par les choses que l'on vient de dire, qu'il n'y reste plus de difficulté.

 

CHAPITRE XV.

 

Saint Clément d'Alexandrie s'expliqua lui-même : le passage de Tertullien où il appelle l'enfance un âge innocent : que ce passage est démonstratif pour le péché originel : autre passage de Tertullien dans le livre du Baptême.

 

On a trouvé dans saint Clément d'Alexandrie, que David n'a pas été dans le péché, encore qu'il y fût conçu : saint Augustin dans un cas semblable a répondu que n'être point dans le péché, c'était à dire n'en avoir point de propre. Mais ici, sans avoir recours à ce Père, l'auteur qu'on nous objectait s'est expliqué, comme on a vu, de sa propre bouche.

Tertullien appelle l'enfance « un âge innocent, qui ne doit pas se presser d'aller à la rémission des péchés (1), » c'est-à-dire au baptême. Mais a-t-il dit que les enfants en soient exclus, ou qu'ils en soient incapables? Point du tout : au contraire il les en croit capables, en conseillant seulement comme plus utile de le leur différer : Cunctatio utitior praecipuè circa parvulos. Il donne le même conseil à ceux qui ne sont pas encore mariés : Innupti quoque procrastinandi. Par conséquent les conseils qu'il donne sont des conseils de prudence, à cause du grand péril de violer le baptême ; et non de nécessité, comme si ceux qu'il faisait différer étaient incapables de le recevoir. Ainsi très-constamment, selon cet auteur, les enfants étaient capables de la rémission des péchés. Ils n'étaient donc innocents qu'au sens qu'on les y appelle, comme n'ayant point de péchés propres, et au sens que saint Augustin les y appelle lui-même, comme on a vu (2).

Quand nous n'aurions point montré d'ailleurs qu'il n'y a point d'autours ecclésiastiques plus favorables que Tertullien au péché

 

1 De Bapt., cap. XVIII, p. 231, edit. Pamel. — 2 August., Contr. Jul., lib. I, cap. VI. Voyez ci-dessus, chap. III.

 

340

 

originel, il faudrait, pour le propre lieu où il appelle l'enfance innocente, l'entendre comme on vient de faire, puisque même on trouve encore dans ce livre, « que la propre vertu du baptême est de détruire la mort en lavant les péchés, » et que ce sacrement « n'ôte la peine qu'à cause qu'il ôte la coulpe (1). » Ce sont ses termes exprès, qui montrent que si les petits enfants n'avaient point un véritable péché, il les faudrait contre son avis exclure du baptême. Ainsi puisqu'il est constant que, malgré cette innocence de leur part, Tertullien est un des auteurs les plus déclarés pour les faire pécheurs en Adam, la solution de l'objection qu'on tire de ses écrits n'est pas seulement pour lui, mais encore donne l'ouverture à résoudre toutes celles que l'on pourrait tirer de semblables paroles des autres anciens.

 

CHAPITRE XVI.

 

Saint Grégoire de Nazianze et saint Grégoire de Nysse.

 

On en peut dire autant de saint Grégoire de Nazianze, où nous avons vu si clairement le péché d'Adam dans les enfants, et pour cela même la nécessité de leur donner le baptême. Par conséquent, lorsqu'il semble les ranger au nombre de ceux qui n'ont fait ni bien, ni mal, il faut visiblement l'entendre de ceux qui n'en ont point fait par eux-mêmes, qui sont comme il les appelle aponeroi, « sans malice (2), » qui est aussi ce qu'on trouve dit des petits enfants à toutes les pages de l'Ecriture, sans qu'on songe à le tirer à conséquence contre le péché originel.

Par la suite du même principe, il met, non-seulement les petits enfants, mais encore les adultes qui auront manqué, non par mépris, de recevoir le baptême dans un état mitoyen entre la gloire et les punitions : non qu'il veuille dire que ce ne soit pas une punition de demeurer exclus du paradis avec Adam, et d'être bannis du royaume de Dieu; mais à cause que « leur damnation, la plus légère de toutes ;», » n'est rien en comparaison de l'horrible châtiment des autres, qui ont un propre péché, une propre

 

1 De Bapt., cap. V, p. 226, edit. Pamel. — 2 Orat. XL, p. 643. — 3 August., Contr. Jul., lib. V, cap. XI.

 

341

 

malice; ce qui loin d'être contraire à la doctrine du péché originel, dans le fond ne paraît pas même éloigné de saint Augustin, puisque ce Père n'ose assurer que le supplice des petits enfants les mette dans un tel état, que comme aux grands criminels, selon la parole de Jésus-Christ (1), il leur soit meilleur de n'être pas.

Pour saint Grégoire de Nysse, on en pourrait être en peine par rapport à quelques endroits, s'il ne s'était expliqué en d'autres aussi clairement qu'on a vu. Cependant il est véritable que dans quelques-uns de ses discours, comme dans celui où il combat ceux qui différaient leur baptême (2), et dans celui qu'il a fait sur le « sujet des enfants qui meurent avant l'usage de la raison (3); » encore que le péché originel pût servir dans ces disputes d'un grand dénouement, comme il en sert en effet dans le même temps à saint Grégoire de Nazianze, celui-ci ne s'en sert point, si ce n'est peut-être fort confusément dans le premier de ces deux discours : tant il est vrai que les hommes ne sont réveillés fortement sur certaines choses que par le bruit qu'on en fait, lorsque les questions s'émeuvent, et que loin que tout vienne dans l'esprit lorsqu'on traite quelque matière, souvent ce qu'on dit le moins, c'est ce qu'il y a pour ainsi parler de plus trivial, qu'on suppose pour cette raison le plus connu.

 

CHAPITRE XVII.

 

Réponse aux réflexions de M. Simon sur Théodoret, Photius et les autres Grecs, et premièrement sur Théodoret.

 

Après avoir satisfait aux difficultés de la tradition qui précèdent le temps de Pélage, il faut ajouter un mot sur celles qui viennent depuis, et que notre auteur a tirées principalement de Théodoret et de Photius.

Pour ce qui est de Théodoret, dont il fait tant valoir l'autorité, voici le passage qu'il en produit : « La mort, dit-il, a passé dans tous les hommes, parce qu'ils ont tous péché ( eph o, parce que); car personne n'est soumis à la mort à cause du péché du premier

 

1 Matth., XXVI, 24; Contr. Jul., ibid. — 2 Tom. II. — 3 Tom. III.

 

342

 

père, mais pour son propre péché (1). » Il y a deux observations à faire sur ce passage : la première sur ce terme eph o , qu'il faut rendre constamment ici et selon le sentiment de Théodoret, par QUATENUS, parce que ; la seconde sur ces paroles : Personne ne meurt pour le péché du premier père, mais pour son propre péché, par lesquelles, s'il n'entend pas que ce péché du premier père qui nous était étranger quand il le commit, devient propre à chacun de nous quand il le contracte, il s'ensuivra de sa doctrine que les enfants ne devaient point mourir. Il faut donc, ou lui donner un hon sens, ou avouer qu'il s'est exprimé d'une manière très-absurde en toute opinion. Voilà comment on peut excuser le fond de sa doctrine; mais pour le reste, comme constamment il est le premier des orthodoxes qui ait donné lieu de changer l’in quo en quatenùs, il est d'abord fâcheux pour lui qu'il ait suivi en cela une explication dont Pélage l'hérésiarque a été l'auteur. Je ne veux pas dire pour cela qu'il ait été pélagien. C'est assez qu'il ait été peu attentif, aussi bien que quelques autres Grecs, à l'hérésie pélagienne, comme M. Simon le remarque lui-même, pour conclure que ce n'est pas de lui qu'il faut apprendre les moyens de la combattre. On sait d'ailleurs combien il est attaché à Théodore de Mopsueste, qui a écrit contre saint Augustin, qui s'est déclaré le défenseur de Pélage, qui en a suivi les faux préjugés sur le péché originel, et s'est comme mis après lui à la tète de ce parti réprouvé, en protégeant Julien. Ajoutons que l'étroit commerce qu'eut Théodoret à Ephèse, dans le faux concile d'Orient, avec les évêques pélagiens intéressés comme lui dans la cause de Nestorius, aura fait peut-être que trop favorable aux personnes des hérétiques, il aura pris, non pas le fond, mais quelque teinture de leurs interprétations, avec d'autant plus de facilité qu'elles étaient du génie de Théodore un de ses maîtres. Que les partisans de Théodoret ne se formalisent point de cette pensée. J'estime autant que qui que ce soit le jugement et le savoir de ce Père; mais il ne faut pas se passionner pour les auteurs. Il n'est pas plus impossible que ce savant homme, sans être pélagien, ait pris quelque chose des interprétations pélagiennes, que sans être nestorien il

 

1 P. 321, in Epist. Ad Rom., V.

 

313

 

ait retenu tant de locutions de Nestorius ou plutôt de Théodore, d'où Nestorius puisait les siennes. De là vient dans les écrits il.-Théodoret la peine qu'il fait paraître à confesser pleinement qu'un Dieu soit né, qu'un Dieu soit mort, et les autres propositions de cette nature d'une incontestable vérité, dont je rapporterais les exemples, si la chose n'était constante. Après tout il est bien certain qu'il est un des Grecs dont le langage est le plus obscur, non-seulement sur le péché originel, mais encore sur toute la matière delà grâce; et quoique j'avoue que les locutions incommodes qu'on trouve dans ses écrits sur ce sujet là, semblent quelquefois revenir à celles de saint Chrysostome, dont il ne fait ordinairement que suivre les explications et abréger les paroles, cela n'est pas vrai à l'égard du quatenùs dans saint Paul. En cela Théodoret est entièrement sorti de la chaîne de la tradition dans laquelle saint Chrysostome est demeuré ferme. Dans les autres propositions qu'il tire de saint Chrysostome, par exemple, dans l'explication du psaume cinquantième, verset septième, nous avons dit qu'il lui faut donner en ces endroits le même sens qu'à ce Père, avec néanmoins cette différence, qu'on trouve dans les écrits de Théodoret moins de secours pour la tradition que dans ceux de saint Chrysostome; tant, comme on a vu, sur le péché originel que sur les vérités de la grâce, comme la suite le fera paraître.

 

CHAPITRE XVIII.

 

Remarque sur Photius.

 

Pour Photius, son autorité dans l'explication de saint Paul est encore moins considérable que celle de Théodoret qu'il a suivi. —M. Simon ne peut souffrir qu'on reproche à ce patriarche de Constantinople, qu'il est le patriarche du schisme; et j'avoue que son schisme n'a rien de commun avec la doctrine du péché originel. Mais, quoi qu'il en dise, ce sera toujours une note à un auteur d'avoir procuré par tant de chicanes la rupture de l'Orient avec l'Occident. M. Simon l'excuse, en disant que d'autres auteurs, qui n'étaient pas schismatiques, ont embrassé l'interprétation que Photius a suivie, mais tous ces auteurs se réduisent à Théodoret,

 

344

 

qui est suspect d'autant de côtés que l'on vient de voir, ou à quelques scholiastes inconnus, parmi lesquels il avoue que Théodore de Mopsueste tient un grand rang. L'autorité en est donc bien faible pour interrompre la suite de la tradition; et quoi qu'il en soit, si la remarque de M. Simon sur le peu d'attention que donnaient les Grecs au péché originel est vraie en quelqu'un, c'est principalement dans Photius (1). Il a loué saint Augustin comme le vainqueur des pélagiens; et d'un autre côté, en examinant un livre de Théodore de Mopsueste, il ne s'est point aperçu que c'était contre saint Augustin qu'il était composé, et que ceux qu'il y défendait étaient sur le péché originel les disciples de Pélage, ou si l'on voulait dire qu'il l'eût aperçu, il l'aurait donc dissimulé, ce qui serait bien plus digne de condamnation.

Le même Photius rapporte les Actes des Occidentaux (2) comme d'expresses décisions approuvées de toute l'Eglise contre Pélage et Célestius, et en même temps il n'entend pas ce qui y est contenu. Le concile de Cartilage tient sans doute le premier lieu parmi ces Actes, puisque c'est la règle en cette matière. Si Photius, qui en cite les canons, le savait lus avec attention, il y aurait trouvé l'interprétation de saint Paul par in quo, canonisée comme celle que l'Eglise catholique a toujours suivie; et c'est celle-là néanmoins que le même Photius rejette dans le Commentaire d'Oecuménius, encore plus expressément dans la Lettre à Taraise, ce qui a fait dire à l'interprète anglais « qu'il pélagianisait sans y penser, aussi bien que Théodoret (3). »

Disons donc qu'il ne savait guère cette matière, et que meilleur critique que théologien, il n'en a pas pénétré la conséquence; et concluons que M. Simon, qui oppose l'autorité de ce schismatique avec celle de Théodoret au torrent des Pères précédents et aux décisions des conciles, abuse de son vain savoir pour embrouiller une chose claire et renverser visiblement les règles de Vincent de Lérins, qui préfèrent l'antiquité à la nouveauté et l'universalité aux particuliers.

 

1 Cod. 177. — 2 Cod. 53, 54. — 3 Not. ad Epist. Phot., Epist. 152.

 

345

 

CHAPITRE XIX.

 

Récapitulation de la doctrine des deux derniers litres : prodigieux égarements de M. Simon.

 

Pour peu qu'on fasse de réflexions sur les preuves qu'on vient de voir, on demeurera étonné de l'erreur et de tous les faux raisonnements des nouveaux critiques.

On voit d'abord que s'il y a une vérité dans la religion, qui soit clairement attestée par L'Ecriture et par la tradition, c'est celle de ce péché que nous avons hérité d'Adam. On n'ose ni on ne veut la nier absolument. On l'élude en disant que ce que nous avons hérité de ce premier père est la mort ou en tout cas, avec la mort, la concupiscence, et non pas un péché proprement dit.

Par là on trouve le moyen d'attribuer à saint Augustin, que toute l'Eglise a suivi un sentiment particulier, qui donne lieu aux répréhensions de Théodore de Mopsueste : ce qui est déjà une fausseté et une erreur manifeste.

En voici une autre : c'est que par là on élude la nécessité du baptême des petits enfants. puisque s'ils n'ont hérité d'Adam que la mort et la concupiscence, que ce sacrement ne leur ôte pas, il s'ensuit qu'il n'opère en eux actuellement aucune rémission, et que la plus ancienne tradition de l'Eglise est anéantie. On peut ici se ressouvenir de ce qu'a dit M. Simon de la nécessité de ce sacrement, et de la plaie qu'il a voulu faire à l'autorité de l'Eglise.

Pour en venir à la doctrine des saints Pères, on a vu qu'ils convenaient en tout et partout avec saint Augustin, tant dans le fond que dans la preuve.

Dans le fond, ils admettent tous en termes aussi formels que saint Augustin un véritable péché dans les enfants. Pour la preuve, ils se sont servis, pour établir ce péché, des mêmes textes de l'Ecriture. Il yen a deux principaux, dont l'un est dans l'Ancien Testament, celui de David : Ecce enim in iniquitatibus, etc.; et l'autre dans le Nouveau, de saint Paul : Per unum hominem , etc.

Sur le passage de David, en ramassant toutes les interprétations que nous en avons rapportées, on formera une chaîne

 

346

 

composée des autorités de saint Hilaire, de saint Basile, de saint Grégoire de Nazianze, de saint Ambroise, de saint Chrysostome, de saint Jérôme , de saint Augustin, qui a été suivi de tout l'Occident, comme on en convient.

Quant au passage de saint Paul, nous avons vu que la tradition qui tourne  eph o par in quo, et non pas par quatenùs ou quia, est de toute l'Eglise latine et de tous les auteurs latins, sans en excepter Hilaire et Pélage ; qu'elle est conforme aux plus anciens et plus doctes Grecs, comme Origène et saint Chrysostome ; qu'elle est posée par les papes et par les conciles comme un fondement de la foi du péché originel : après quoi je laisse aux sages lecteurs à prononcer sur la critique de M. Simon, et à juger si Théodoret et Photius avec quelques scholiastes du bas âge, qui sont les seuls auteurs qu'il allègue contre notre interprétation, peuvent empêcher qu'on ne la tienne pour universelle et pour la seule recevable, sous prétexte qu'Erasme , Calvin et peut-être quelque catholique mal instruit ou peu attentif, les aura suivis seulement au siècle passé.

 

CHAPITRE XX.

 

Briève récapitulation des règles de Vincent de Lérins, qui ont été exposées, et application à la matière de la grâce.

 

Cet auteur fournit des exemples de toutes sortes d'égarements. Quand il lui plaît, il affaiblit l'autorité des anciens par le témoignage des nouveaux auteurs, comme les exemples qu'on vient de voir nous le font paraître : d'autres fois par une illusion aussi dangereuse, sous le beau prétexte de louer l'antiquité, il nous rappelle aux expressions, assez souvent peu précises, des Pères qui ont précédé la discussion des matières. C'est vouloir embrouiller les choses en toutes façons, et envier à l'Eglise le profit que Dieu lui veut faire tirer des hérésies.

Ce n'a pas été sans raison que nous avons tant insisté sur cette dernière vérité; et il ne faut pas oublier que Vincent de Lérins a poussé la chose jusqu'à dire que la tradition passe d'un état obscur à un état plus lumineux : en sorte qu'elle reçoit avec le temps une lumière, une précision, une justesse, une exactitude qui lui

 

347

 

manquait auparavant ; ce qui s'entend du degré et non pas du fond, par comparaison et non pas en soi; car on trouve en tous les temps et en gros, dans les Pères, des passages clairs en témoignage de la vérité, comme on l'a pu voir par l'exemple du péché originel. Mais comme il y a des endroits où la vérité éclate, on ne peut trop répéter qu'il y en a aussi où, si l'on n'y prend garde de bien près, elle semblera se mêler, en sorte que la doctrine y paraîtra moins suivie.

C'est ce qu'on a pu remarquer dans saint Chrysostome, qui a parlé sur le péché originel le plus souvent aussi clairement qu'aucun des Pères, et en quelques autres endroits s'est embarrassé dans les vues et pour les raisons que nous avons rapportées ; ce qu'il a fallu observer pour montrer que nous rappeler à certaines expressions de ce Père, c'est vouloir tout embrouiller.

On tombe dans la même faute, lorsqu'on nous ramène à l'Eglise grecque, peu attentive à cette matière en comparaison de la latine. Mais qu'on ne se serve point de cet aveu pour commettre Les deux Eglises : qu'on se souvienne au contraire que ce fut dans l'Orient que Pélage reçut sur ce sujet sa première flétrissure ; et enfin que si l'Eglise latine demeure très-constamment plus éclairée sur cet article, c'est pour avoir eu plus de raison de s'y appliquer, et pour en avoir trouvé un plus parfait éclaircissement dans les écrits de saint Augustin, dont la pénétration a été aidée par l'obligation où il se trouvait de démêler plus que les autres tous les détours de l'erreur. Il ne reste plus ici qu'à remarquer encore une fois qu'il faut juger de la même sorte de toutes les autres matières dont ou dispute avec Pélage ou, en quelque manière que ce soit, de La grâce de Jésus-Christ. Ni les anciens, ni l'Eglise grecque n'y ont pas plus donné d'application qu'à celle du péché originel. Ainsi il demeurera pour certain en général que sur tout le dogme de la grâce, on ne peut sans mauvais dessein nous rappeler perpétuellement, comme fait notre critique, de saint Augustin à l'antiquité ou à l'Orient, comme s'ils étaient contraires à ce l'ère, ce qui n'est pas ni ne peut être; et c'est aussi la source la plus manifeste des erreurs de M. Simon, tant sur le péché originel que sur la prédestination, et sur toute la matière de la grâce.

 

348

 

CHAPITRE XXI.

 

On passe à la doctrine de la grâce et de la prédestination, et on démontre que les principales difficultés en sont éclaircies dans la prédestination des petits enfants.

 

Nous n'aurons pas peu avancé dans cette matière, si nous nous mettons bien avant dans l'esprit celle que nous venons de traiter, c'est-à-dire cette plaie profonde du péché originel, dont nous avons établi la tradition sur des fondements inébranlables. Saint Augustin répète souvent que quiconque a comme il faut dans le cœur la foi du péché originel, y peut trouver un moyen certain de surmonter les principales difficultés de la prédestination, et en voici la preuve évidente.

Ce qu'on trouve de plus difficile dans cette matière est que dans une même cause , qui est la cause commune de tous les enfants d'Adam, il y ait une différence si prodigieuse entre les hommes, que les uns soient prédestinés gratuitement à la vie éternelle, et les autres éternellement réprouvés. C'est donc là que les pélagiens et les semi-pélagiens demandaient comment on pouvait fonder cette différence sur autre chose que les mérites d'un chacun , puisque Dieu, autant qu'il est en lui, voulant sauver tous les hommes et Jésus-Christ étant mort pour leur salut, éternel, comme l'Ecriture le répète en tant d'endroits, ce n'est que par les mérites qu'on peut établir entre eux de la différence; et cette raison ôtée, il ne reste plus, disaient-ils, qu'à attacher leur sort ou bien au hasard ou à une espèce de fatalité, ou en tous cas du côté de Dieu à une acception de personnes contre cette parole de saint Paul : « Il n'y a point d'acception de personnes auprès de Dieu (1), » ce que cet Apôtre inculque souvent comme un fondement sans lequel il n'y aurait point de justice en Dieu. Mais toutes ces difficultés s'évanouissent, dit saint Augustin, dans la cause des petits enfants, ce qui sera manifeste et démonstratif en parcourant les opinions de l'Ecole. Pour commencer par la volonté générale de sauver les hommes, Vasquez croit si peu la devoir étendre à tous les petits enfants qui meurent sans baptême, qu'au contraire il décide expressément

 

1 Rom., II, 11; Galat., II, 6; Ephes., VI, 9.

 

349

 

que les passages par lesquels on l'établit, principalement celui de saint Paul : Il veut que tous les hommes soient sauvés (1), ne se doivent entendre que des adultes, » ; ce qu'il prouve par ce qu'ajoute l'Apôtre : « Et qu'ils viennent à la connaissance de la vérité ; » par où il montre, poursuit ce théologien , « qu'il a voulu parler des adultes, (2) à qui seuls cette connaissance peut appartenir ; et en général ce docteur estime que la volonté de sauver tous les hommes ne peut pas comprendre tous les petits enfants (3). Sa raison est que cette volonté de sauver tous les hommes ne subsiste que dans celle de leur donner à tous des moyens, du moins suffisants, pour parvenir au salut; or est-il que selon lui beaucoup de petits enfants n'ont aucuns moyens, même suffisants (4) pour parvenir au salut, dont il allègue pour exemple incontestable ceux qui meurent dans le sein de leur mère sans sa faute, le nombre desquels est infini, et ceux qui trouvés mourants dans un désert aride, ne pourraient être baptisés faute d'eau. Tous ceux-là, dit le docte Vasquez , n'ont aucun moyen pour être sauvés. Car encore, continue-t-il (5), que le baptême soit un moyen suffisant en soi pour sauver tous les enfants d'Adam, afin qu'il soit suffisant pour les enfants dont il s'agit, il faut qu'il puisse leur être appliqué. Or est-il qu'il ne leur peut être appliqué, et il n'y a aucun moyen de le faire. Il n'est donc pas suffisant pour eux, et Dieu par conséquent, selon ses principes, ne peut avoir la volonté de les sauver.

Lorsqu'on lui répond que si le baptême ne peut pas être appliqué à ces enfants, il ne le faut pas imputer à Dieu, mais à l'ordre des causes secondes qu'il n'est pas tenu de renverser, il traite cette réponse d'échappatoire inutile (6), et il y réplique eu premier lieu qu'elle fait pour lui, « puisque quand Dieu ne ferait autre chose que de permettre que l'enfantement fût empêché par l'ordre des causes naturelles, c'en serait assez pour nous faire dire que les remèdes suffisants ont manqué à cet enfant, puisqu'aucune diligence humaine ne les lui a pu appliquer ; et cela, dit-il, serait vrai quand Dieu n'userait en cette occasion que d'une simple permission, sans exclure expressément ces enfants du remède nécessaire. »

 

1 I Timoth., II, 3. — 2 Part. I, disp. XCVI, cap. III.— 3 Disp. XCV, cap. VI.— 4 Ibid., et disp. XCVI. — 5 ibid., cap. III. — 6 ibid., cap. II et III.

 

350

 

Mais secondement, il passe plus avant : « Et qui osera dire, continue-t-il, que cet ordre des causes naturelles qui a empêché cet enfant de venir heureusement au monde, ou qui en d'autres manières lui a ôté la vie après sa naissance, n'a pas été prédéfini et ordonné de Dieu spécialement et en particulier, speciatim, et minutim, puisque Notre-Seigneur a dit des passereaux, qu'un seul de ces petits animaux ne tombe pas sans le Père céleste (1). » Mais de peur qu'on n'ait recours à une simple permission, il presse son argument en cette sorte : « Qui assurera que ces enfants meurent sans une providence qui l'ordonne ainsi, puisque Dieu étant l'auteur de tous les événements par sa volonté et sa providence à la réserve du péché , on ne peut nier que la mort de cet enfant, en ce temps et en ce lieu ( du sein maternel ), n'ait été prédéfinie, ni qu'elle ne soit arrivée, non-seulement par la permission de Dieu qui aura laissé agir les causes secondes, mais encore par sa volonté et par son ordre; et je ne doute nullement que ceux qui attribuent cet ordre de causes à la permission de Dieu, et non à sa volonté et à son ordre, ne se trompent manifestement. » Ce qu’il inculque en assurant que ses adversaires doivent accorder « que Dieu a voulu expressément refuser ces remèdes à certains enfants, sans qu'ils pussent leur être appliqués par aucune diligence humaine; » à quoi il ajoute, « que Dieu a voulu premièrement refuser ces remèdes, et disposer les causes naturelles pour cet effet. »

Tel est le sentiment de Vasquez, qu'il confirme par les passages de saint Augustin, où il est dit que le baptême n'a pas été donné à ces enfants, parce que « Dieu ne l'a pas voulu, » Deo nolente (2) : ce qui d'abord est incontestable en parlant de la volonté absolue qui a toujours son effet; mais Vasquez l'étend à la volonté générale et antécédente , comme l'appelle l'Ecole, puisque Dieu, selon cet auteur, n'a voulu donner ni à ces enfants, ni à aucun homme vivant les moyens de les délivrer.

Après cela, dit saint Augustin dans l’Epître à Sixte (3), « on sera trop vain et trop aveugle, si on tarde davantage à se récrier : « O profondeur des richesses de la sagesse et de la science de

 

1 Matth., X, 29.— 2 De dono persev., C. XII, n. 31.— 3 Epist., CXCIV, al. CV, n. 33.

 

351

 

Dieu (1) ! » » Pourquoi permet-il de tels exemples, sinon pour nous, tenir humbles et tremblants sous sa main, et au lieu de raisonner sur ses conseils, nous apprendre à dire avec l'Apôtre : « Que ses jugements sont impénétrables et ses voies incompréhensibles (2)? »

Il n'en faudra pas moins venir à cette conclusion quand on voudra suivre le sentiment des théologiens qui enseignent que, pour pouvoir dire que Dieu a voulu sauver ces enfants, c'est assez qu'il ait institué le remède du baptême, sans les en exclure, et au contraire avec une volonté de les admettre à ce sacrement, supposé qu'ils vinssent au monde en état de le recevoir. Je le veux : j'accepte aisément ces douces interprétations, qui tendent à recommander la bonté de Dieu; mais il ne faut pas s'aveugler jusqu'à ne voir pas qu'il reste toujours du côté de Dieu une manifeste préférence pour quelques-uns de ces enfants, puisqu'en préparant aux uns des secours suffisants en soi, mais qu'on n'a aucun moyen de leur appliquer, et en procurant aux autres les remèdes les plus infaillibles, il laisse entre eux une différence qui ne peut pas être plus grande. Mais à quoi pourra-t-on l'attribuer? Au mérite des enfants ou de leurs parents? Pour les enfants, on voit d'abord qu'il n'y en a point; d'ailleurs, dit saint Augustin (3), on ne peut pas dire qu'un enfant, qui ne pouvait rien par lui-même, aura été distingué par le mérite de ses proches, puisque tous les jours on voit porter au baptême un enfant conçu dans un sein impur, exposé par sa propre mère et recueilli par un passant pieux, pendant que le fruit d'un chaste mariage, le fils d'un père saint, expirera au milieu de ceux qui préparent tout pour le baptiser. Il n’y a ici aucun mérite, ni de l'enfant ni de ses parents; el quand il faudrait imputer le malheur de cet enfant, qui meurt sans baptême . à la négligence de ses parents , ce n'est pas lui qui les a choisis, et le jugement de Dieu n'en sera pas moins caché ni moins redoutable.

Au défaut du mérite personnel ou de celui des parents, aurons-nous recours ans causes secondes qui entraînent ce malheureux enfant dans la damnation ? Dieu, dit-on, n'est pas tenu d'en empêcher

 

1 Rom., XI, 33.— 2 ibid. — Epist. CXCIV ; lib. I ad Bonif., cap. VI, VII; lib. VI Contr. Jul., cap V; De dono persev., cap. XII.

 

352

 

empêcher le cours ; il en est donc d'autant plus inévitable et la perte de l'enfant plus assurée. Souvenons-nous du raisonnement de Vasquez, qui ne permet pas d'enseigner que Dieu laisse seulement agir les causes naturelles, ou qu'il en permette simplement les effets. Cela serait bon peut-être, si l'on parlait du péché ; mais pour les effets qui suivent du cours naturel des causes secondes, Dieu les veut, Dieu les préordonne, les dirige, les prédéfinit. On n'entre pas par hasard, dit saint Augustin (1), dans le royaume de Dieu : sa providence qui ne laisse pas tomber un passereau ni un cheveu de la tête, sans lui marquer le lieu où il doit tomber et le temps précis de sa chute, ne s'oubliera pas elle-même, quand il s'agira d'exercer ses jugements sur les hommes. Si ce n'est point par hasard que se déterminent de si grandes choses, ce n'est pas non plus par la force aveugle des causes qui s'entre-suivent naturellement. Dieu qui les pouvait arranger en tant de manières différentes, également belles, également simples, pour en diversifier les effets jusqu'à l'infini, a vu dès le premier branle qu'il leur a donné tout ce qui devait en arriver, et il a bien su qu'un autre tour aurait produit toute autre chose. Vous attribuez au hasard l'heureuse rencontre d'un homme qui est survenu pour baptiser cet enfant, et tous les divers accidents qui prolongent ou qui précipitent la vie d'une mère et de son fruit ; mais Dieu qui les envoie du ciel, ou par lui-même, ou par ses saints anges, ou par tant d'autres moyens connus ou inconnus qu'il peut employer, sait à quoi il les veut faire aboutir, et il en prépare l'effet dans les causes les plus éloignées. Enfin ce n'est pas l'homme, mais le Saint-Esprit qui a dit : « Il a été enlevé, de peur que la malice ne lui changeât l'esprit, ou que les illusions du monde ne lui corrompissent le cœur : Dieu s'est hâté de le tirer du milieu des iniquités (2). » Ce n'est donc point au hasard, ni précisément au cours des causes secondes qu'il faut attribuer la mort d'un enfant, ou devant ou après le baptême ; c'est un dessein formel de Dieu, qui décide par là de son sort; et jusqu'à ce qu'on ait remonté à cette source, on ne voit rien dans les choses humaines.

Je ne m'étonne donc pas si saint Augustin ramène toujours aux

 

1 De dono persev., loc cit. — 2 Sapient., IV, 11.

 

353

 

petits enfants les pélagiens et tout homme qui murmurait contre la prédestination : « C'est là, dit-il, que leurs arguments et tous les efforts du raisonnement humain perdent leurs forces : » nempe totas vires argumentationis humanœ in parvulis perdunt (1). Vous dites que si ce n'est point le mérite qui met la différence entre les hommes, c'est le hasard ou la destinée, ou l'acception des personnes, c'est-à-dire en Dieu une manifeste iniquité. Contre chacun de cea trois reproches, saint Augustin avait des principes et des preuves particulières, qui ne souffraient point de réplique. Et d'abord pour ce qui regardait le dernier reproche, c'est-à-dire l'acception des personnes, qui était le plus apparent, il n'a pas même de lieu en cette occasion, et ce n'en est pas le cas (2). L'acception des personnes a lieu, lorsqu'il s'agit de ce qu'on doit par la justice ; mais elle n'a pas lieu, lorsqu'il s'agit de ce qu'on donne par pure grâce (3). C'est Jésus-Christ même qui l'a décidé dans la parabole des ouvriers (4). Si en donnant à ceux qui avaient travaillé tout le long de la journée le denier dont il était convenu, il en donne autant à ceux qui n'avaient été employés qu'à la dernière heure, il fait grâce à ceux-ci, mais il ne fait point de tort aux autres; et lorsqu'ils se plaignent, il leur ferme la bouche, en leur disant : « Mon ami, je ne vous fais point de tort; ne vous ai-je pas donné le prix dont nous étions convenus : si maintenant je veux donner autant à ce dernier, » de quoi avez-vous à vous plaindre? « Ne m'est-il pas permis de faire (de mon bien) ce que je veux. » C'est décider en termes formels que dans L'inégalité de ce qu'on donne par une pure libéralité , il n'y a point d'injustice ni d'acception de personnes. Si deux personnes vous doivent cent écus, soit que vous exigiez de l'une et de l'autre toute la dette soit que vous la quittiez également à toutes les deux, soit que libéral envers l'une, vous exigiez de l'autre ce qu'elle doit, il n'y a point là d'injustice, ni d'acception de personnes, mais seulement une volontaire dispensation de vos grâces. C'est ainsi que Dieu fait, lorsqu'il dispense les siennes. De même s'il punit l'un, s'il pardonne à l'autre, c'est le Souverain des souverains qu'il faut

 

1 Epist. CXCIV. — 2 Lib. II ad Bonif., cap. VII initio. — 3 August., ibid. — 4 Matth., XX, 13-15.

 

354

 

remercier lorsqu'il pardonne, mais il ne faut point murmurer lorsqu'il punit. Cela est clair, cela est certain. Il n'est pas moins assuré qu'il n'agit point par hasard en cette occasion , mais par dessein, puisqu'il a celui de faire éclater deux attributs également saints et également adorables, sa miséricorde sur les uns et sa justice sur les autres. Il n'est pas non plus entraîné au choix qu'il fait des uns plutôt que des autres, par la destinée ou par une aveugle conjonction des astres. Ceux-là lui font suivre une espèce de destinée, qui font dépendre son choix des causes naturelles ; mais ceux qui savent qu'il les a tournées dès le commencement pour en faire sortir les effets qu'il a voulu, établissent, non pas le destin , mais une raison souveraine qui fait tout ce qui lui plaît, parce qu'elle sait qu'elle ne peut jamais faire le mal. « Si l'on veut, dit saint Augustin, appeler cela destin, et donner ce nouveau nom à la volonté d'un Dieu tout-puissant, nous éviterons à la vérité, selon le précepte de l'Apôtre, ces profanes nouveautés dans les paroles, mais au reste nous n'aimons point disputer des mots (1). » Ces réponses de saint Augustin ne laissent point de réplique. Mais c'est sa coutume de réduire les vains disputeurs à des faits con-stans, à des choses qui ferment la bouche dès le premier mot, tel qu'est dans cette occasion l'exemple des petits enfants. Disputez tant qu'il vous plaira de la prédestination des adultes; dites qu'il la faut établir selon les mérites , ou bien introduire le hasard, la fatalité, l'acception des personnes : que direz-vous des petits en-fans, où vous voyez sans aucune diversité de mérites une si prodigieuse diversité de traitements; où l'on ne peut reconnaître dit saint Augustin, « ni la témérité de la fortune, ni l'inflexibilité de la destinée, ni l'acception des personnes, ni le mérite des uns, ou le démérite des autres? Où cherchera-t-on la cause de la différence, si ce n'est dans la profondeur des conseils de Dieu (2)?» Il faut se taire, et bon gré malgré avouer qu'en de telles choses il n'y a qu'à reconnaître et adorer sa sainte et souveraine volonté.

Je ne m'étonne donc pas si les semi-pélagiens, encore qu'ils reconnussent le péché originel, ne voulaient pas qu'on apportât l'exemple des petits enfants à l'occasion des adultes, comme on

 

1 Lib. II ad Bonif., cap. V. — 2 Lib. VI Contr. Jul., cap. XIV, n. 43.

 

335

 

l'apprend de saint Augustin (1) et de La lettre d'Hilaire (2), ni s'ils cherchaient de vaines différences entre les uns et les autres. C'est qu'en avouant oc séché ils n'en voulaient pas voir toutes les suites, dont l'une est le droit qu'il donne à Dieu de damner et les grands et les petits, et de  faire miséricorde à qui il lui plaît. L'orgueil humain rejette volontiers un argument qui finit trop tôt la dispute, el fait taire trop évidemment toute langue devant Dieu.

Les pélagiens s'imaginaient justifier Dieu dans la différence qu'il met entre les enfants, en disant qu'il ne s'agissait pour eux que d'être privés du royaume des cieux, mais non pas d'être envoyés dans l'enfer ; et ceux qui ont voulu introduire a celte occasion une espèce de félicite naturelle dans les enfants morts sans baptême, oui imité ces erreurs des pélagiens; mais L'Eglise catholique ne les souffre pas. puisqu'elle a décidé, comme on a vu, dans les conciles œcuméniques de Lyon II et de Florence, qu’ils  sont en enfer comme les adultes criminels, quoique leur peine ne soit pas égale; et quand il serait permis (ce qu'à Dieu ne plaise! d'en revenir à l'erreur des pélagiens, saint Augustin n'en conclut pas moins que ces hérétiques n'ont qu'à se taire (3), puisqu'enfin de quelque côté qu'ils se tournent pour établir la différence entre les enfants baptisés et non baptisés, quand il n'y aurait dans les uns que la possession et dans les autres que la privation d'un si beau royaume, il faudrait toujours reconnaître qu'il n'y a là ni hasard, ni fatalité, ni acception de personnes, mais la pure volonté d'un Dieu souverainement absolu.

Ainsi il sera toujours véritable que la prédestination des enfuis répond aux objections qu'on pourrait faire sur la prédestination des adultes ; mais il ya bien un autre argument à tirer de l'un à l'autre. Saint Augustin a démontré par ce passage de la Sagesse: « Il a été enlevé de peur que la malice ne le corrompit (4) » que Dieu prolonge la vie ou l’abrégé selon les desseins qu'il a formés de toute éternité sur le salut des hommes; qu'ainsi c'est par un effet d'une prédestination purement gratuite qu'il continue la vie à un enfant, et qu'il tranche les jours de l'autre, taisant par là que

 

1 De dono persev.,  C. XI, n. 26. — 2 Epist. Hilar. ad August., n. 8. — 3 Lib II ad Bonif., cap. V. — 4 Sapient., IV, 11.

 

356

 

l'un d'eux vient au baptême, dont l'autre se trouve privé, ou que l'un est enlevé en état de grâce sans que jamais la malice le puisse corrompre, pendant que l'autre demeure exposé aux tentations où Dieu voit qu'il doit périr. Quelle raison apporterons-nous de cette différence, sinon la pure volonté de Dieu, puisque nous ne pouvons la rapporter ni au mérite de ces enfants, ni à l'ordre des causes naturelles, comme à la source primitive d'un si terrible discernement; puisqu'ainsi que nous avons vu, ce serait ou introduire les hommes dans le royaume de Dieu, ou les en exclure par une espèce de fatalité ou de hasard? Mais si ce raisonnement ne souffre point de réplique pour les enfants, il n'en souffre pas non plus pour les adultes. Leurs jours ne sont pas moins réglés par la sagesse de Dieu que ceux des enfants. C'est d'eux principalement que parlait le Saint-Esprit dans le Livre de la Sagesse, lorsqu'il dit, qu'ils ont été enlevés pour prévenir les périls où ils auraient pu succomber. C'est donc par une pure miséricorde que l'un est pris en état de grâce , pendant que l'autre également en cet état est abandonné aux tentations où il doit périr. De là pourtant il résulte que l'un est sauvé et que l'autre ne l'est pas. Il n'y a point d'autre raison de la différence, que celle de la volonté de Dieu. Ce qu'il a exécuté dans le temps, il l'a prédestiné de toute éternité. Voilà donc déjà dans les adultes , aussi bien que dans les enfants, un effet certain de la prédestination gratuite, en attendant que la suite nous découvre les autres que M. Simon reproche à saint Augustin comme des erreurs, où ce grand homme s'est éloigné du droit chemin des anciens.

Dans toute cette matière, l'esprit de ce téméraire critique est de dépouiller la doctrine de saint Augustin de tout ce qu'elle a de solide et de consolant, pour n'y laisser, s'il pouvait, que des difficultés et des sujets de dispute, ou même de désespoir et de murmure. Mais si l'on apporte à la déduction que nous allons commencer tant de la doctrine de ce Père que des erreurs de M. Simon sur le dogme de la grâce, l'attention que mérite un discours de cette nature, j'espère qu'on trouvera que tout ce qu'a dit saint Augustin pour établir l'humilité, est aussi plein de consolation que ce qu'a dit M. Simon pour flatter l'orgueil est sec et vain.

 

Précédente Accueil Suivante