Défense II - Livre VII
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LIVRE VII.

 

SAINT AUGUSTIN CONDAMNÉ PAR M. SIMON : ERREURS DE CE CRITIQUE SUR LE PÉCHÉ ORIGINEL.

 

LIVRE VII.

CHAPITRE PREMIER.

CHAPITRE II.

CHAPITRE III.

CHAPITRE IV.

CHAPITRE V.

CHAPITRE VI.

CHAPITRE VII.

CHAPITRE VIII.

CHAPITRE IX.

CHAPITRE X.

CHAPITRE XI.

CHAPITRE XII.

CHAPITRE  XIII.

CHAPITRE XIV.

CHAPITRE XV.

CHAPITRE XVI.

CHAPITRE XVII.

CHAPITRE XVIII.

CHAPITRE XIX.

CHAPITRE XX.

CHAPITRE XXI.

CHAPITRE XXII.

CHAPITRE XXIII.

CHAPITRE XXIV.

 

 

CHAPITRE PREMIER.

 

M. Simon entreprend directement de faire le procès à saint Augustin sur la matière de la grâce : son dessein déclaré dès sa préface.

 

Il ne faudra plus maintenant que lire, pour ainsi parler, à l'ouverture du livre L’ Histoire critique de M. Simon, pour y trouver les marques sensibles d'une doctrine réprouvée. Nous avons déjà remarqué en abrégé pour une autre fin, mais il faut maintenant le voir à fond, qu'il se déclare dès sa Préface, où après avoir parlé des gnostiques et avoir mis leur erreur à nier le libre arbitre, il assure « que c'est par rapport aux fausses idées de ces hérétiques, que les premiers Pères ont parlé tout autrement que saint Augustin des matières de la grâce, du libre arbitre, de la prédestination et de la réprobation (1). » Voilà donc le fondement de M. Simon, que pour combattre « les fausses idées » de ceux qui niaient le libre arbitre, il en fallait parler tout autrement que saint Augustin, qui demeure par conséquent ennemi comme eux du libre arbitre, et fauteur des hérétiques qui le niaient. C'est en général le plan de l'auteur; et pour le rendre plus vraisemblable, il ajoute : « que cet évêque, » c'est saint Augustin, « s'étant opposé aux nouveautés de Pélage, qui au contraire des gnostiques donnait tout au libre arbitre de l'homme et rien à la grâce, a été l'auteur d'un nouveau système (2). » C'est un système en matière de religion et de doctrine : c'est un système pour l'opposer aux nouveautés de Pélage. Si ce système est nouveau, saint Augustin a opposé nouveauté à nouveauté, par conséquent excès à excès, et d'autres excès et d'autres nouveautés aux excès et aux nouveautés de Pélage. Saint Augustin a le même tort que cet hérésiarque : il fallait faire un tiers parti entre eux deux, et non pas prendre

 

1 Prœf. — 2 Ibid.

 

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le parti de saint Augustin, comme a fait saint Célestin et toute l'Eglise.

Si la doctrine de saint Augustin est nouvelle sur la matière où il a reçu tant d'approbation, c'est une suite que ses preuves le soient. Aussi M. Simon pousse-t-il les choses jusque-là : « Saint Augustin, dit-il, s'est éloigné des anciens commentateurs, ayant inventé des explications dont on n'avait point entendu parler auparavant (1). » Voilà donc un novateur parfait, et dans le fond de son système et dans les preuves dont il le soutient, sans que l'Eglise s'en soit aperçue, sans que d'autres que ses ennemis, que toute l'Eglise a condamnés, l'en aient repris. Après douze cents ans entiers, M. Simon le vient dénoncer, on ne sait à qui : il vient réveiller l'Eglise qui s'est laissé endormir [aux belles paroles de ce Père et qui a déclaré en termes formels qu'elle n'a rien trouvé à reprendre dans sa doctrine; par conséquent rien de nouveau, rien à quoi elle ne fût accoutumée : autrement elle se serait soulevée , au lieu de réprimer ceux qui se soulevaient.

L'auteur n'a pu s'empêcher de sentir ici le mauvais pas où il s'engageait ; mais son erreur est de croire qu'il peut imposer au monde par des termes vagues : «Je déclare néanmoins, dit-il, que ce n'a point été pour opposer toute l'antiquité à saint Augustin, que j'ai recueilli dans cet ouvrage les explications des Pères grecs (2). » Mais pourquoi donc? Est-ce pour montrer qu'ils sont d'accord ? Ce serait le dessein d'un vrai catholique, qui chercherait à concilier les Pères, et non pas aies commettre. Mais visiblement ce n'est pas celui de M. Simon, chez qui l'on ne trouve à toutes les pages que les anciens d'un côté et saint Augustin de l'autre ; mais voici toute sa finesse : « Comme il y a toujours eu des disputes là-dessus, et qu'il y en a encore présentement, j'ai cru que je ne pouvais mieux faire que de rapporter fidèlement ce que j'ai lu sur les passages du Nouveau Testament dans les anciens commentateurs (3). » Il voudrait donc faire accroire que c'est seulement sur des matières légères et indifférentes qu'il oppose les anciens à saint Augustin. Nous verrons bientôt le contraire ; mais en attendant, sans aller plus loin, il se déclare en continuant de

 

1 Prœf., — 2 Ibid. — 3 Ibid.

 

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cette sorte : « Vincent de Lérins (à ce seul nom on s'attend d'abord à voir condamner quelque erreur : écoutons donc à qui l'on oppose ce savant auteur el les règles de la tradition), Vincent de Lérins dit que, lorsqu'il s'agit d'établir la vérité d'un dogme, l'Ecriture seule ne suffit pas, qu'il y faut joindre la tradition de l'Eglise catholique; « C’est-à-dire, comme il l'explique lui-même, l'autorité des écrivains ecclésiastiques (1). » Le principe est bien posé; mais voyons enfin contre qui on dresse cette machine. C'est premièrement contre l'hérésie en général : « Considérant, poursuit notre auteur, les anciennes hérésies, il rejette ceux qui forgent de nouveaux sens, et qui ne suivent point pour leur règle les interprétations reçues dans l'Eglise depuis les apôtres. » Mais ce qui se dit contre l'hérésie en général s'applique dans le moment à saint Augustin : « Sur ce pied-là, conclut l'auteur aussitôt après, on préférera le commun des anciens docteurs aux opinions particulières de saint Augustin. » Enfin donc, après de vaines défaites, M. Simon se déclare sa partie : c'est à lui que tout aboutit : c'est contre lui que l'on procède régulièrement : « C'est lui qui n'a pas suivi les interprétations reçues dans l'Eglise depuis les apôtres. » Il ne reste plus qu'à l'appeler hérétique : on n'ose lâcher le mot ; mais la chose n'est point laissée en doute, et l'application du principe est inévitable.

M. Simon croyant esquiver, s'embarrasse davantage.  « Les quatre premiers siècles, poursuit-il, n'ont parlé qu'un même langage sur le libre arbitre, sur la prédestination et sur la grâce : » c'est pour dire que saint Augustin ne l'a pas parlé : « Il n'y a pas d'apparence que les premiers Pères se soient tous trompés : » c'est donc saint Augustin qui se trompe et qui renverse l'ancienne doctrine, dont l'Eglise l'avait établi le défenseur. C'est où tendait naturellement tout le discours. L'auteur n'ose aller jusque-là; et tournant tout court : « Je n'ai pas pour cela prétendu condamner les nouvelles interprétations de saint Augustin, » quoique contraires à celles qui ont été reçues depuis les apôtres ; c'est-à-dire je n'ose pas condamner ce que les règles condamnent, ce que j'ai montré condamnable : j'ai bien posé le principe, mais je n'ose

 

1 Prœf.

 

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tirer la conséquence : «Je souhaite seulement que ceux qui font gloire d'être ses disciples, ne fassent pas passer tous les sentiments de leur maître pour des articles de foi. » Je vous l'ai déjà dit, M. Simon, vous voulez nous donner le change : il ne s'agit pas de Bavoir si tous les sentiments de saint Augustin sont des articles de foi : il s'agit de savoir si pour combattre ceux à qui vous le faites dire à tort ou à droit, il n'importe, vous n'avez pas pris un tour qui porte trop loin, qui range saint Augustin au nombre des adversaires de la doctrine reçue depuis les apôtres, qui le note par conséquent et qui oblige à le rejeter comme un novateur. Vous avez beau dire : Je ne prétends pas, je n'ai pas dessein : c'est de même « que tirer sa flèche contre quelqu'un et le percer de sa lance, et puis dire : Je ne l'ai pas fait tout de bon (1), » je n'avais pas dessein de le blesser.

On voit dans cette préface de M. Simon, toute la suite de son ouvrage. A vrai dire, c'est à la doctrine de saint Augustin qu'il en veut partout : il y revient à toutes les pages avec un acharnement qui fait peur : il en est lui-même honteux; et il voudrait bien pouvoir excuser un déchaînement si étrange : « Au regard des Latins, dit-il, j'ai examiné plus au long les ouvrages de saint Augustin que ceux d'aucun autre, parce qu'il a eu des lumières particulières sur plusieurs passages du Nouveau Testament et qu'il a tiré beaucoup de choses de son fonds (2). » Sans doute son dessein était de l'aire admirer la fécondité de son génie. Mais non : son dessein était de le reprendre partout, partout de le noter comme un novateur.

 

CHAPITRE II.

 

Diverses sortes d'accusations contre saint Augustin sur la matière de la grâce, et toutes sans preuves.

 

Jusqu'ici il parle sans preuves, et je ne m'en étonne pas dans une Préface où il s'agit seulement de proposer son dessein : mais partout il continue sur le même ton : il décide, il détermine, il suppose tout ce qu'il lui plaît ; mais en produisant les endroits des Pères qui ont précédé, il n'en produit aucun de saint Augustin

 

1 Prov., XXVI, 18, 19. — 2 Prœf.

 

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pour montrer qu'il leur soit contraire. Par exemple au chapitre V, où il commence à vouloir entrer en matière, il apporte bien un passage de la Philocalie d'Origène, que nous avons déjà rapporté pour une autre fin ; et non-seulement il loue cet auteur d'avoir soutenu (le libre arbitre) contre les gnostiques, mais il ajoute que son sentiment était alors « celui de toute l'Eglise grecque, ou plutôt, continue-t-il, de toutes les Eglises du monde avant saint Augustin, qui aurait peut-être préféré à ses sentiments une tradition si constante, s'il avait lu avec soin les ouvrages des écrivains ecclésiastiques qui l'ont précédé (1). » S'il avait lu avec soin ! Il n'a donc pas lu, ou il a lu sans attention. Il plaît ainsi à M. Simon ; mais si lui-même qui l'accuse d'avoir lu sans soin, avait lu avec soin seulement quatre ou cinq endroits des derniers ouvrages de ce Père, il y aurait appris qu'il a tout vu, qu'il a senti les difficultés dans toute leur étendue, mais aussi qu'il en a donné le vrai dénouement : s'il l'a fait sans citer les Pères ou sans les entendre, par malheur pour M. Simon le reste de l'Eglise ne les avait ni mieux lus, ni mieux entendus, puisqu'on a été content de ce que saint Augustin en a dit. Nous en parlerons ailleurs. Maintenant il nous suffit de remarquer que M. Simon accuse sans preuve saint Augustin de négligence. C'est ainsi qu'il agit toujours. En cet endroit et partout, à toutes les pages, saint Augustin selon lui a outré la grâce et affaibli le libre arbitre. Qu'il montre donc un seul endroit où il l'affaiblisse ! Il n'a osé ; car il sait bien qu'il l'a établi partout, je dis même dans ses ouvrages de la grâce, et peut-être encore mieux que dans tous les autres. Il outre la grâce. Vous le dites ; mais une preuve qu'il ne l'a pas fait, c'est que vous n'avez osé citer les endroits ni marquer précisément en quoi il excède.

Nous avons déjà remarqué (2) outre la Préface de M. Simon, deux endroits dans le corps du livre, où il rejette les sentiments de saint Augustin sur la grâce, et où il produit contre lui Vincent de Lérins, comme si ses règles avoient été faites contre ce Père. Il le suppose ; mais le prouve-t-il ? Nous avons coté ces endroits (3) : qu'on les lise, on y trouvera des décisions de M. Simon, pas un passage de saint Augustin pour le convaincre d'avoir affaibli le

 

1 Prœf., p. 77. — 2 Ci-dessus. — 3 Ci-dessus.

 

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libre arbitre, ou, ce qui est la même chose, d'avoir excédé sur la grâce.

Si je voulais ici transcrire tous les endroits où M. Simon accuse saint Augustin d'avoir voulu engager les pélagiens dans « des opinions particulières, » je fatiguerais le lecteur, qui les trouvera de lui-même presque à chaque page (1). Je conclurai seulement, encore un coup que si cela était, on aurait eu tort de tant vanter dans l'Eglise un auteur qui en proposant aux pélagiens des opinions particulières, et non la doctrine commune, les aurait plutôt rebutés qu'il ne les aurait ramenés au grand chemin de la tradition.

 

CHAPITRE III.

 

Selon M. Simon c'est un préjugé contre un auteur et un moyen de le déprimer, qu'il ait été attaché à saint Augustin.

 

Nous observerons dans la suite que ce qu'il appelle « les opinions particulières de saint Augustin, » sont des vérités incontestables et la plupart très-expressément décidées dans les conciles. Tout ce que nous avons ici à remarquer, c'est le mépris que l'auteur inspire pour la doctrine de saint Augustin. Il est si grand, que tout au contraire des sentiments que nous avons vus dans les orthodoxes, c'est pour notre auteur une raison de censurer un écrivain que d'avoir suivi ce Père dans la matière de la grâce : « Il suit ordinairement, dit-il d'Alcuin, saint Augustin et Bède; » et voici quel en est le fruit : « c'est, poursuit-il, qu'il s'attache, non au sens littéral, mais à la minière des théologiens; et il ne fait pas toujours le choix des meilleures interprétations, étant prévenu de saint Augustin (2) ; » où l'on peut voir, en passant, ce qu'il appelle « la manière des théologiens; » c'est de s'écarter du sens littéral, surtout lorsqu'on s'attache à saint Augustin ou à Bède, qui ne fait presque que le transcrire de mol à mot. « Comme Claude de Turin, dit-il ailleurs, suit pour l'ordinaire saint Augustin sur les matières de la grâce, de la prédestination et du libre arbitre, il a quelquefois des expressions qui paraissent dures; mais on prendra garde que ce n'est pas lui qui parle (3) : » la faute en est à saint

 

1 P. 141, 252, 254, 255, 288, 290, 291, 292, 293, 298. — 2 P. 348. — 3 P. 359.

 

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Augustin à qui il s'est attaché. Saint Thomas fait la même faute ; et notre auteur le reprend dès les premiers mots de son Commentaire sur saint Paul, « d'être tout rempli de l'explication de saint Augustin (1). » Il le note un peu après, « pour avoir embrassé le sentiment de saint Augustin (2). » Lorsqu'il s'agit de ce Père, c'est une cause de récusation contre saint Thomas que d'y avoir été attaché. Estius, dit notre auteur, sur la dispute de saint Pierre et de saint Paul, n'apporte point d'autres preuves pour le sentiment de saint Augustin, « que les raisons de ce Père depuis confirmées par saint Thomas ; mais on sait, ajoute-t-il aussitôt après, que la théologie de ce dernier n'est pour l'ordinaire qu'une confirmation de la doctrine de saint Augustin (3) ; » c'est-à-dire qu'on ne le doit pas écouter sur le sujet de ce Père, pour lequel il est trop prévenu. En parlant d'Adam Sasbouth, un docte interprète de saint Paul : « S'il fait, dit-il, quelques réflexions, elles ne sont pas longues, parce qu'il est judicieux et qu'il ne dit presque rien qui ne soit à propos, si ce n'est qu'il s'étend quelquefois sur les interprétations des Pères et qu'il prend parti pour celles de saint Augustin (4) » Voilà tout le tort qu'il a, et le seul sujet de rabattre la louange qu'on lui donne d'être judicieux.

Jansénius de Gand a dit avec tous les théologiens que saint Augustin ayant eu à combattre l'hérésie de Pélage, a parlé plus exactement « de la grâce. » Le grand critique le relève magistralement et la sentence qu'il prononce, «c'est, dit-il, qu'il est vrai que saint Augustin a parlé plus en détail de la grâce, puisqu'il a traité exprès cette matière ; mais il y a lieu de douter que les principes dont il s'est servi et les conséquences qu'il en a tirées pour combattre plus fortement Pélage, doivent être préférées à ceux des anciens Pères qu'il aurait pu suivre, détruisant en même temps les erreurs des pélagiens (5). » Il tâche de faire perdre à ce docte Père l'avantage qui lui est commun avec tous les autres, d'avoir parlé plus correctement sur les vérités lorsqu'elles ont été contestées, et de les avoir défendues avec plus de force qu on ne faisait auparavant. Un peu au-dessus : « Il n'était pas nécessaire que saint Augustin inventât de nouveaux principes pour répondre aux pélagiens :

 

1 p. 474. — 2 P. 465. —3 P. 647.— 4 P. 639. — 5 P. 604.

 

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il eût été, ce me semble, mieux de suivre ceux qui avaient été établis par les anciens docteurs de l'Eglise. » Au lieu de prendre ce bon et nécessaire parti, saint Augustin a pris celui de donner occasion aux pélagiens de dire qu'on s'élevait contre les anciens docteurs, et qu'on leur opposait des principes, non-seulement nouveaux, mais encore outrés.

 

CHAPITRE IV.

 

M. Simon continue d'attribuer à saint Augustin l'erreur de faire Dieu auteur du péché avec Bucer et les protestants.

 

M. Simon pousse si loin cette idée, qu'à l'entendre saint Augustin, en combattant les pélagiens, s'est jeté dans l'autre excès, c'est-à-dire dans les erreurs les plus odieuses de Luther et de Calvin. C'est ce qu'on aura souvent à remarquer ; et je rapporterai seulement ici ce qu'il a dit de Bucer, lorsqu'en parlant « des manières dures dont il s'exprime, quand il parle de la prédestination et de la réprobation, » qui vont jusqu'à faire Dieu auteur du péché, il remarque que cet auteur cite pour lui « les anciens écrivains ecclésiastiques ; » mais la sentence de M. Simon est « qu'il se trompe en cela : Car, dit-il, à la réserve de saint Augustin et de ceux qui l'ont suivi, toute l'antiquité lui est contraire (1). » Si l'on n'était trop accoutumé aux emportements de M. Simon, il faudrait se récrier à chacune de ses paroles. On ne pouvait plus formellement faire de saint Augustin un défenseur de Bucer et des duretés des protestants, un homme par conséquent plus propre à rebuter les pélagiens qu'à les instruire, et qui se laisse emporter aux excès les plus odieux. Tel est l'homme que l'Eglise a tant loué et à qui elle a confié la défense de sa cause.

Nous avons déjà remarqué (2) que pour préférer Pélage à saint Augustin, il dit que ce Père a fait Dieu auteur du péché : ici pour lui égaler les protestants, il lui attribue la même erreur, et il n'y a point d'excès dont il ne l'accuse en faveur des hérétiques.

 

1 P. 744. — 2 Ci-dessus, liv. V. cap. VII.

 

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CHAPITRE V.

 

Ignorance du critique, qui tâche d'affaiblir l'avantage de saint Augustin sur Julien sous prétexte que ce Père ne savait pas le grec : que saint Augustin a tiré contre ce pélagien tout l'avantage qu'on pouvait tirer du texte grec, et lui a fermé la bouche.

 

Pour ôter à saint Augustin la gloire d'avoir vaincu les pélagiens, il n'y a chicane où M. Simon ne descende, jusqu'à dire que ce savant Père n'avait pas toute l'érudition nécessaire pour cette entreprise, parce qu'il ne savait pas beaucoup de grec, comme si tout consistait à savoir les langues. Il dit donc d'abord que Pélage s'était appliqué à l'étude de l'Ecriture ; et, comme on a vu, il relève tellement son Commentaire sur les Epîtres de saint Paul, qu'il le met presque au-dessus de tous ceux des Latins : « Mais Julien, poursuit-il, et ses autres sectateurs étaient encore plus habiles que lui, ayant eu une connaissance assez exacte de la langue grecque. Ils a voient lu de plus les commentateurs grecs, principalement saint Jean Chrysostome. Saint Augustin, qui n'avait pas tous ces avantages, n'a pas laissé de les combattre avec succès et de les accabler en quelque manière, non-seulement par la force de ses raisonnements, mais encore par un grand nombre de passages du Nouveau Testament, bien qu'il n'en apporte pas toujours le sens propre et naturel (1), à cause, dit-il deux pages après, qu'ayant eu des sentiments particuliers sur la grâce et sur la prédestination, il lui est quelquefois arrivé de rendre le sens de son texte conforme à ses opinions (2). »

On découvre de plus en plus les détours de notre critique, qui non-seulement fait marcher la louange avec le blâme, mais qui dans le fond ne dit jamais tout ce qu'il veut dire et se prépare partout des échappatoires. Quoi qu'il en soit, il résulte assez clairement de son discours que saint Augustin n'avait pas sur Julien tout l'avantage qu'il fallait, à cause du peu de grec qu'il savait, et parce qu'il n'avait pas lu, à ce que prétend ce critique, saint Chrysostome et les autres commentateurs grecs; et il se déclare

 

1 P. 285. — 2 P. 288.

 

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plus ouvertement, lorsqu'il ajoute : a Qu'il ne prévient pas toujours assez les objections de ses adversaires, dans l'explication des passages qui peuvent être interprétés de différentes manières, à cause de l'ambiguïté des mots ; » c'est-à-dire que, faute de savoir le grec, saint Augustin est demeuré court contre les pélagiens, etc., et comme ajoute notre auteur, « qu'il était difficile de remporter une victoire entière sur ces hérétiques, sans toutes ces vues (1), » qui viennent de la connaissance des langues.

On ne peut en vérité admirer assez ces esprits bornés à cette sorte d'étude et à la critique, qui, sous prétexte que parce secours on éclaircit quelques minuties, ou qu'on fortifie la bonne cause de quelques preuves accidentelles, s'imaginent que la victoire de la foi sur les hérésies ne sera jamais complète, s'ils ne s'en mêlent. Leur présomption fait pitié. Il faut n'avoir jamais ouvert saint Augustin pour ne pas sentir l'avantage qu'il a en toutes manières sur Julien, non-seulement par la bonté de la cause, mais encore par la force du génie. Pour ce qui est des avantages de la langue grecque, ce Père sans se piquer d'en savoir beaucoup, loin de rien laisser passer à Julien, sait l'abattre par le texte grec d'une manière si vive, qu'il n'y avait plus qu'à se taire. Quand Julien ou par malice ou par ignorance, abusait du mot latin plures, qui signifie tout ensemble et plusieurs, sans comparatif, et dans le comparatif un plus grand nombre, ce qui lui servait à éluder un passage de saint Paul dont il était accablé, saint Augustin ne lui dit qu'un mot en lui faisant seulement ouvrir le grec des Epîtres de saint Paul : « L'Apôtre, dit-il, n'a pas écrit plures un plus grand nombre ; mais multos sans rien comparer, c'est-à-dire simplement plusieurs : il a parlé grec, il a dit : pollous, plusieurs, et non pas pleisous; un plus grand nombre ; lisez et taisez-vous. Non pronuntiat plures, sed multos : grœce locutus est : pollous ; dixit, non pleisous : lege et obmutesce (2). » Il n'y avait en effet qu'à demeurer la bouche fermée et abandonner son argument.

Julien tâche d'éluder un passage de la Genèse de la version des Septante, où il est dit qu'aussitôt après le péché nos premiers parents s'étaient fait cette forme d'habillement qui ne couvrait que

 

1 P. 288 et 289. — 2 Oper. imper., lib. II, n. 206.

 

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les reins, et que les Grecs appellent perizomata, nom que la Vulgate a retenu : en bon latin succinctoria, prœcinctoria, et encore plus précisément campestria. On sait à quoi les saints Pères, et saint Augustin après eux, ont fait servir ces sortes d'habillements : saint Augustin l'explique en un mot par ces paroles : Qui vult intelligere quid senserint, debet considerare quid texrint (1) ; ou comme il le propose ailleurs : Attende quid texerint, et confitere quid senserint (2). Julien, qui ne voulait pas reconnaître ce malheureux changement que le péché a fait en nous, tâche de persuader à ses lecteurs, que nos premiers parents couvrirent alors également tout leur corps, et il prétendait que ce mot perizomata, se devait traduire par le terme général, vestimenta (3), ce qui éludait manifestement l'intention de l'écrivain sacré; mais saint Augustin ramène cet hérétique à la signification du terme grec, qui rendait très-expressément l'hébreu de Moïse ; et parce que Julien alléguait quelques interprètes qui avoient traduit comme il voulait, saint Augustin lui fait voir premièrement l'ignorance ou l'affectation manifeste de ces interprètes inconnus, qui n'avaient pas entendu ou qui n'avoient pas voulu entendre un terme si clair; et secondement, quoi qu'il en fût, il démontrait que son argument subsistait toujours; ce qu'il fait d'une manière si pressante, qu'on ne lui peut répliquer : si bien qu'il sait tout ensemble, et profiter des avantages qu'on lirait du grec, et faire voir par la force de son génie que la preuve de la vérité ne dépendait pas des subtilités de la grammaire, parce qu'encore que son secours ait son utilité, Dieu a mis la vérité dans son Ecriture d'une manière si forte par la suite de tout le discours, qu'elle ne laisserait pas de se faire sentir indépendamment de ces minuties et de toutes les finesses du langage.

Il en use de la même sorte contre le même Julien, qui ne voulait pas entendre ce qui résultait contre lui de cette parole où saint Paul montre qu'il y a en nous quelque chose « de déshonnête, » inhonesta nostra (4), sans doute depuis le péché, puisque la sainteté du créateur ne permettait pas qu'il fût sorti de ses mains un ouvrage où manquât l'honnêteté. Quelques interprètes, par une sorte

 

1 De nupt. et conc., lib. II, cap. XXX.— 2 Oper. imper., lib IV, n. 37— 3 Contr. Jul., lib. V, cap. II, n. 5. — 4 Cor. Jul., 23 ; Contr. Jul., lib. IV, cap. XVI, n. 80.

 

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de honte, avoient adouci ce mot de saint Paul ; et Julien se servait de Leur timide interprétation pour affaiblir la pensée de cet apôtre, et cacher à l'homme pécheur l'inévitable déshonnêteté de sa nature corrompue : mais saint Augustin ne craint point, dans une occasion si pressante, de lui mettre devant les yeux toute la force du mot grec askremona qu'il faut traduire avec la Vulgate inhonesta « honnêtes » ce qu'il prouve par ce que l'Apôtre oppose à ce mot ce qu'il appelle euskemosunen, honestatem, «l'honnêteté,» et encore euskemona, honesta, « honnêtes; »et après avoir tiré tous ces avantages du texte grec, il fait voir encore à Julien que même, « sans considérer la force du grec, » nulla grœcorum consideratione verborum, la seule suite du discours de saint Paul eût dû lui faire sentir combien l'homme devait rougir du désordre que le péché a mis dans son corps. Il procède avec la même méthode dans le dernier ouvrage contre Julien, où après avoir établi le sens véritable de saint Paul par le texte grec, il prouve par la nature de la chose même qu'en effet il faut reconnaître cette déshonnêteté dans le corps humain, depuis que nos premiers pères furent obligés de le couvrir (1). Voilà ce qu'on appelle triompher et s'élever en sublime théologien au-dessus des langues, sans perdre les avantages qu'on en peut tirer.

Saint Paul avait fait voir le désordre de la concupiscence de la chair, en l'appelant pathos epithumias (2), ce que quelques-uns ont traduit comme la Vulgate passio desiderii, « la passion du désir ou de la concupiscence; » et les autres, peut-être plus profondément, morbus desiderii, « la maladie de la concupiscence (3). » Saint Augustin remarque la force du mot grec pathos, qui sans doute signifie très-bien une maladie, et encore plus expressément, si je ne me trompe, une maladie habituelle, c'est-à-dire le plus mauvais genre de maladie; et s'élevant selon sa coutume au-dessus de ces disputes de grammaire, il montre, et en cet endroit et ailleurs, non-seulement par la suite du passage de saint Paul, mais encore par tous les principes du christianisme, que de quelque façon qu'on veuille traduire le pathos de saint Paul, on ne peut s'empêcher

 

1 oper. Imper., lib. IV. n. 36, col. 1152. — 2 I  Thessal., IV,  5. — 3 De nupt. et conc, lib. II, cap. XXXIII.

 

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de reconnaître qu'on le doit prendre en mauvaise part et que c'est une véritable maladie.

On dira qu'il ne faut pas être fort savant en grec pour dire ces choses. J'en conviens; car qu'on n'aille pas s'imaginer que je veuille louer saint Augustin comme un grand grec, ou le relever par la science des mots qu'il a estimée, mais en son rang, c'est-à-dire infiniment au-dessous de la science des choses. J'avoue donc qu'il ne savait pas parfaitement le grec, si l'on veut, qu'il n'en savait pas beaucoup ; et c'est de là aussi que je conclus que sans peut-être en savoir beaucoup, on peut abattre ceux qui le savent très-bien, mais qui en abusent, sans leur laisser aucune ressource.

Julien savait le grec et mieux, à ce qu'on prétend, que saint Augustin (1). J'en doute : je ne le crois pas; mais après tout, que nous importe, puisque ce Père en savait assez pour dire à Julien, sans se tromper : « Je suis fâché que vous abusiez de l'ignorance de ceux qui ne savent pas le grec, et que vous ne respectiez pas le jugement de ceux qui le savent (2) ? » Sans atteindre à la perfection de la science des langues, je ne dis pas un saint Augustin, un si grand génie, mais tout homme judicieux et de bon esprit, peut en écoutant ceux qui les savent et en profitant de leurs travaux, et enfin par tous les secours qu'on a dans les livres, arriver à prendre le goût des langues originales, et entendre les propriétés de leurs mots jusqu'à un degré suffisant, non-seulement pour comprendre, mais encore pour soutenir invinciblement la vérité. C'est ce qu'a fait saint Augustin. Il ne faut que voir comment il s'est servi du travail de saint Jérôme sur l'Hébreu, et comment il en a tiré des avantages que saint Jérôme lui-même pourrait n'avoir point tirés ; et nous pouvons assurer qu'aucun de ceux qui ont su le Grec et l'Hébreu, n'ont mieux défendu que saint Augustin l'Ancien et le Nouveau Testament et la doctrine qu'ils contiennent. Nous serions bien malheureux, si pour défendre la vérité et la légitime interprétation de l'Ecriture, surtout dans les matières de foi, nous étions à la merci des hébraïsants ou des grecs, dont on voit ordinairement en toute autre chose le raisonnement

 

1 P. 283. — 2 Lib. V Contr. Jul., cap. II, n. 7.

 

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si faible; et je m'étonne que M. Simon, qui fait tant l'habile, ait l'esprit si court, qu'il veuille faire dépendre la perfection de la victoire de l'Eglise sur les pélagiens de la connaissance du grec.

 

CHAPITRE VI.

 

Suite des avantages que saint Augustin a tires du texte grec contre Julien.

 

Mais je vois où M. Simon nous veut mener. Il veut dire que saint Augustin n'a pas eu assez de savoir pour approuver les interprétations favorables aux pélagiens, que ce critique entreprend de soutenir. Par exemple, il veut établir que l'explication du passage de saint Paul : In quo omnes peccaverunt, « en qui tous les hommes ont péché, » n'est pas certaine, et qu'il lui faut préférer, ou lui égaler du moins celle de Pélage, qui soutenait qu’ in quo veut dire quatenùs ou eo quod : en sorte que l'intention de saint Paul soit de dire, non que tous les hommes aient péché en Adam, ce qui est le sens catholique; mais que tous les hommes, du moins les adultes, aient péché en l'imitant, qui est le sens de Pélage. Nous aurons bientôt à parler de cette pensée téméraire autant qu'ignorante, qui ne tend qu'à favoriser les pélagiens ; mais nous dirons en attendant à M. Simon que, si saint Augustin n'a pas approuvé cette mauvaise interprétation, ce n'est pas faute d'avoir vu que le Grec se pouvait tourner à la manière que le critique voudrait introduire (1). Car il l'a vue et l'a rapportée tout du long dans son livre à Boniface; mais il l'a aussi réfutée si solidement, non par la force du mot, mais par les raisons du fond, qu'il y aura sujet de s'étonner, quand nous serons au lieu de les proposer, comment M. Simon a osé prendre en tant d'endroits le parti contraire.

Il est bien aise de pouvoir dire « qu'il est difficile d'excuser ici la négligence de saint Augustin, qui n'a point consulté le texte grec (2) ; » ce qui est cause qu'il n'a pas songé d'abord qu'il fallait rapporter in quo, non point au péché qui est féminin en grec, mais à Adam même. Il est vrai qu'il n'avait pas d'abord consulté le Grec, mais il le consulta bientôt après : M. Simon le reconnait (3),

 

1 Contr. duas Epist. Pelag., lib. IV, cap. IV, n. 7.—  2 P. 286.— 3 Loco jam citat.

 

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et il paraît qu'il le consulta de lui-même, sans que Julien ou quelqu'autre de ses adversaires l'en ait averti : mais ce qui paraît encore, c'est qu'avant qu'il le consultât, il avait déjà si bien pris l'esprit de l'Apôtre et le fond de son sentiment par la seule suite du discours, que les pélagiens étaient confondus; en sorte qu'il a soutenu la véritable traduction de cet endroit de saint Paul, avec une parfaite connaissance de la vérité1. Voilà les négligences de saint Augustin, qui font plaisir à un vain critique, mais dont les esprits solides ne s'émeuvent pas.

Ce saint docteur n'a pas moins fait paraître l'attention qu'il avait au texte original, en examinant cet autre important passage du même saint Paul : Regnavit mors ab Adam, etc. (2). Car il rétablit par le texte grec la négative très-nécessaire qui manquait à un grand nombre de livres latins; et en même temps il affermit selon sa coutume la véritable leçon par la suite du discours et du dessein de saint Paul, afin que personne ne s'y put tromper : ce qui est le fruit d'une solide et véritable critique.

 

CHAPITRE VII.

 

Vaines et malignes remarques de l'auteur sur cette traduction : Erasmus naturà filii irae : que saint Augustin y a vu tout ce qui s'y peut voir.

 

Notre auteur insinue encore artificieusement, à sa manière, que saint Augustin s'est trompé dans l'explication de ce passage natura filii irae : « nous étions, par la nature, enfants de colères. » « Je ne doute point, par exemple, dit ce critique, que saint Augustin n'ait très-bien expliqué à la lettre, dans son second livre des Mérites et de la Rémission des péchés (4), ces paroles de saint Paul : Eramus naturà filii irœ, qu'il entend du péché originel, parce que naturà ou, comme il lit, naluraliter, est la même chose qu’originaliter (5). » Pourquoi tant dissimuler ses sentiments? Il fait semblant de ne douter pas que saint Augustin « n'ait très-bien expliqué à la lettre, ce passage de saint Paul; » et moi, sans

 

1 De peccat. mer, lib. I, cap. IX, n. 10. — 2 Ibid., cap. XI, n. 13; Contr. Jul., lib. VI, cap. IV, n. 9, lib. II Oper. imper., p. 1028 et seq. — 3 Ephes., n, 3. — 4 Lib. II De mer. et remiss. pecc, cap   X, n. 15. — 4 Hist. crit.,  p. 289.

 

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hésiter, je dis qu'il en doute et même qu'il n'en croit rien, et que ce sont là des détours de cet esprit tortillant par lesquels il nous veut conduire au plus loin de ce qu'il semble dire d'abord. La raison que j'ai de le croire, c'est qu'il ajoute aussitôt après ces propres mots : « Mais saint Jérôme, qui est plus exact, a observé que le mot grec ffau, auquel répond naturà dans le latin, est ambigu et qu'il peut être traduit par prorsùs ou omnino. » S'il croit de si bonne foi que saint Augustin ait « très-bien expliqué à la lettre » l'endroit de saint Paul, pourquoi donc opposer ensuite l'interprétation de saint Jérôme, « qui est plus exact? » Pourquoi encore la confirmer par l'ancienne version syriaque? Pourquoi ajouter en confirmation que « plusieurs scholiastes grecs ont cru que phusei ne signifiait en ce lieu que gnesios véritablement, » et conclure enfin par ces paroles : « Ce qui rend encore ce passage plus obscur, c'est que le mot de colère se prend aussi dans L'Ecriture pour peine ; et alors le sens serait : Nous méritions véritablement d'être punis (1). »

Voilà comment il ne doute point que saint Augustin n'ait très-bien expliqué ce passage à la lettre, pendant qu'il en doute si bien, qu'il n'omet aucune raison pour nous en faire douter. Il faut une fois apprendre son malin langage et ses manières trompeuses. Mais il est aussi peu sincère dans le fond que dans les manières. Car premièrement il impose à saint Augustin, en faisant accroire qu'il a lu, non point naturà, mais naturaliter; ce qui n'est pas vrai. Saint Augustin a lu partout naturà (2); ce qu'il ajoute naturaliter, il ne l'ajoute pas comme le texte de l'Apôtre, mais comme l'explication de quelques-uns, qu'il explique encore davantage par originaliter. Pour s'en convaincre, il ne faut qu'entendre les propres paroles de ce Père, qui dit en termes formels « que ce qui est dans l'Apôtre : Eramus naturà, est tourné par quelques-uns naturaliter, non selon le terme, mais selon le sens (3), » ce qu'il répète encore en un autre endroit (4), Mais il a beau le répéter, notre critique ne l'entend pas davantage. Car à quelque prix que ce soit,

 

1 Hist. Critiq. p. 299.— 2 Contr. Jul., lib. VI. cap. X, II, 32 ; Oper. Imp. Li. II, cap, CCXXVIII; et lib. IV,cap. CXXIII. — 3 Vid. loc. citat., Contr. Jul. — 4 Oper imp., loc. cit.

 

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il veut, jusqu'aux moindres choses, faire voir dans saint Augustin une ignorance du texte, ou bien une négligence de le consulter.

Secondement saint Augustin n'a pas ignoré que le mot phusei, naturel, ne put signifier en grec dans une signification écartée, prorsùs ou omnino (1) : car il ne le nie pas à Julien qui le lui objecte; mais il ne daigne pas s'arrêter à une interprétation qui aurait été extraordinaire, bizarre, affectée, n'y ayant rien qui obligeât l'Apôtre à se servir, pour dire onminò, d'un autre terme que de olos, qu'il emploie ordinairement pour cela; et il convainc Julien par la traduction latine, « ne se trouvant presque aucuns livres latins où il ne soit écrit naturà, par la nature, si ce n'est ceux, poursuit-il, que vous autres pélagiens aurez corrigés, ou plutôt que vous aurez corrompus; » d'où il conclut, et très-bien, que c'est là le sens naturel, puisque c'est celui où s'est porté le gros des traducteurs; et que d'ailleurs il ne peut pas être mauvais, puisque s'il était mauvais, « l'ancienne interprétation s'en serait donné de garde, et ne l'aurait pas suivi. » On voit donc que saint Augustin sait remuer les livres quand il faut, et en tirer tout l'avantage.

Troisièmement il ne faut point imputer la traduction, naturel, à l'ignorance de la langue grecque, puisqu'il est certain que les plus anciens et les plus doctes commentateurs grecs, comme Origène contre Celse et sur saint Jean (2), et saint Chrysostome (3) ont entendu la nature même , et non autre chose. Théodoret ne s'en est pas éloigné. Théophylacte interprète : « Nous avons irrité Dieu, et nous n'étions que colère » (tant la colère de Dieu nous avait pénétrés ) ; et comme le Fils de l'homme est homme par la nature, ainsi en était-il de nous ( lorsque nous étions appelés enfants de colère) ; à quoi il ajoute après qu'être « par nature enfants de colère, » c'est l'être véritablement  kai gnesios (4) : où il ne faut pas par ce dernier mot entendre véritablement comme l'interprète M. Simon; car Théophylacte avait déjà dit véritablement alethos, mais il ajoute

 

1 Vide loc. jam citat., Contr. Jul., lib. VI, cap. X, n. 33.— 2 Orig., lib. III Contr. Cels., p. 149-151 ; in Joan., Huet, tom. XXIII , fin. p. 315; XXV, p. 325. — 8 Chrys., hic. — 9 Theophyl., hic.

 

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kai gnesios qui vient de génération et qui emporte avec soi l'origine , la naissance, la nature même, comme il paraît entre autres choses par les expressions où le Fils de Dieu est appelé Fils, gnesios, ce qui ne veut rien dire de moins, si ce n'est qu'il l'est par sa naissance et par sa nature ; d'où il s'ensuit que la naturelle et véritable interprétation est celle qui par phusei, nature, entend la nature même; et que l'autre interprétation prorsùs, omnino, est une interprétation étrangère et écartée, à laquelle l'ancien traducteur latin a raison de n'avoir eu aucun égard , non plus que saint Augustin.

Quatrièmement cette explication naturà, « par la nature, » revient en particulier aux expressions de l'Ecriture, où il est parlé des nations à qui la malice est naturelle, et en général à l'analogie de la foi, comme saint Augustin l'a démontré , puisqu'il est clair par la foi qu'il nous faut renaître : ce qui ne serait pas vrai si nous n'étions pas nés dans la corruption, ainsi que le Sauveur l'enseigne lui-même : « Ce qui est né de la chair est chair ; » c'est-à-dire, très-constamment , ce qui est né dans la corruption est corruption.

En cinquième et dernier lieu M. Simon impose à saint Jérôme, lorsque pour montrer son exactitude supérieure à celle de saint Augustin , il lui fait dire simplement et absolument que « le mot grec phusei, auquel répond naturà, « est ambigu, » et qu'il peut être traduit par prorsùs ou omninò (1); » car cette ambiguïté ne l'empêche pas de reconnaître que le sens simple et naturel, qui est aussi celui qu'il appuie, est d'entendre phusei par nature, comme il fait lui-même; et quant à l'explication prorsùs, omninò, premièrement il remarque qu'elle n'est que de quelques-uns : secondement il ne la reçoit qu'en la réduisant à la première; ce qui montre qu'il ne la regarde, non plus que saint Augustin, que comme une explication écartée qui mérite moins d'attention que celle de la Vulgate de ce temps-là, qui est conforme à la nôtre. Ainsi toute la critique de M. Simon sur ce passage ne sert qu'à faire voir qu'à quelque prix que ce soit il a voulu fournir des défenses à Julien le pélagien contre saint Augustin. Au surplus il

 

1 p. 289.

 

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ne s'agit pas des conséquences que saint Augustin a tirées de ce passage de saint Paul : il ne s'agit pas non plus de savoir si le sens de M. Simon peut être souffert, ou même si quelques Pères l'ont suivi : il s'agit de soutenir la traduction de la Vulgate, comme la plus sûre, et l'explication de saint Augustin, qui se trouve la plus commune, comme étant en même temps la plus solide : il s'agit en général dans tout cet endroit de faire-voir à M. Simon que ce Père, sans vanter son grec , sans faire le critique à outrance ni le savant de profession, a su tirer et du grec et de la critique tous les avantages que la bonne cause en pouvait attendre ; et que rien ne lui manquait pour atterrer Pélage et tous ses disciples, qui s'enflaient beaucoup de leur inutile et présomptueuse science.

 

CHAPITRE VIII.

 

Que saint Augustin a lu quand il fallait les Pères grecs, et qu'il a su profiter autant qu'il était possible de l'original, pour convaincre les pélagiens.

 

Voilà ce qui regarde l'ignorance qu'on veut attribuer à saint Augustin de l'original du Nouveau Testament. Pour ce qui est de saint Chrysostome et des autres commentateurs grecs, j'avouerai sans beaucoup de peine que ce n'était pas la coutume alors que des évêques aussi occupés que saint Augustin dans la prédication de la parole de Dieu, dans la méditation de l'Ecriture, et dans le gouvernement ecclésiastique, employassent beaucoup de temps à les lire. Car au fond je ne vois pas que les Latins fussent plus obligés à lire les Grecs que les Grecs à lire les Latins. En Jésus-Christ il n'y a ni Romains, ni Grecs; et Dieu est riche envers tous ceux qui l'invoquent. L'Evangile, pour avoir été écrit  en grec, n'en est pas plus aux Grecs qu'aux Latins. C'est une extravagance de s'imaginer que le petit secours qu'on tire du grec, donne plus d'autorité aux uns qu'aux autres. Autrement, il faudrait encore aller aux Hébreux pour l'Ancien Testament, et leur donner plus d'autorité qu'aux chrétiens. Ce qui est bien assuré, c'est que saint Augustin lisait les Grecs et les lisait avec une entière pénétration, lorsqu'il était nécessaire, pour défendre la Tradition. Ainsi quand

 

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Julien lui objecta un passage de saint Chrysostome contre le péché originel, il sut bien remarquer qu'il ne l'avait pas traduit selon le grec; et que le traducteur, quel qu'il fût, avait tourné sa traduction d'une manière désavantageuse à la propagation du péché d'Adam (1). Mais il ôte cet avantage aux pélagiens en recourant à l'original; et il épuise tellement toute la matière, qu'encore aujourd'hui les théologiens n'ont point d'autre solution pour ce pas-e de saint Chrysostome que celle de saint Augustin. Le fait est constant; et sans prévenir ce qu'on en verra dans les chapitres suivants, il suffit de voir ici que Julien n'a pu imposer à saint Augustin par une infidèle version. Au reste ce saint docteur rapporte, quand il le faut, le texte grec, tant celui de saint Chrysostome que celui de saint Basile et de saint Grégoire de Nazianze : il le traduit mot à mot : il en pèse tous les mots avec autant d'exactitude que pourraient faire les plus grands Grecs, et il montre à nos faux savants comment on peut suppléer au défaut des langues (2).

Mais pour prouver les sentiments de l'Eglise grecque, ce Père a des argumens bien au-dessus des minuties auxquelles M. Simon et ses semblables voudraient assujettir la théologie. Nous les verrons dans la suite et bientôt : nous verrons, dis-je, que saint Augustin bien éloigné de M. Simon et des critiques ses imitateurs , qui imaginent des oppositions entre les anciens et les modernes, entre les Grecs et les Latins, les conciliait au contraire par des principes certains, qui ne dépendent ni des langues, ni de la critique ; ce qui néanmoins n'empêcha pas que, pour confondre les pélagiens par toutes sortes d'autorités et par toutes sortes de méthodes, il n'ait aussi, comme on vient de voir, tourné contre eux le grec dont ils abusaient.

 

CHAPITRE IX.

 

Causes de l’acharnement de M. Simon et de quelques critiques modernes contre saint Augustin.

 

On voit avec quel excès, et en même temps avec quel aveuglement et quelle injustice, on s'opiniâtre à décrier saint Augustin et

 

1 Lib. I Contr. Jul., cap. VI, n. 22. — 1 Ibid. et alibi.

 

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à le chicaner sur toutes choses. Cette aversion des nouveaux critiques contre ce Père ne peut avoir qu'un mauvais principe. Tous ceux qui, par quelque endroit que ce fût, ont voulu favoriser les pélagiens, sont devenus naturellement les ennemis de saint Augustin. Ainsi les semi-pélagiens, quoiqu'en apparence plus modérés que les autres, néanmoins « se sont attachés, dit saint Prosper, à le déchirer avec fureur ; et ils ont cru pouvoir renverser tous les remparts de l'Eglise et toutes les autorités dont elle s'appuie , s'ils battaient de toute leur force cette tour si élevée et si ferme (1). » Un même esprit anime ceux qui attaquent encore aujourd'hui un si grand homme. Qu'on en pénètre le fond, on les trouvera attachés à la doctrine de Pélage et des demi-pélagiens, ainsi que nous Talions voir de M. Simon. Mais ils n'en veulent pas seulement à la doctrine de la grâce. Saint Augustin est celui de tous les docteurs qui, par une pleine compréhension de toute la matière théologique, a su nous donner un corps de théologie ; et pour me servir des termes de M. Simon, « un système plus suivi » de la religion que tous les autres qui en ont écrit. On ne peut mieux attaquer l'Eglise qu'en attaquant la doctrine et l'autorité de ce sublime docteur. C'est pourquoi on voit à présent les pro-testans concourir à le décrier. Déjà, pour les sociniens, on voit bien dans les erreurs qu'ils ont embrassées que c'est leur plus grand ennemi : les autres protestants commencent à se repentir d'avoir tant loué un Père qui les accable ; et on trouve des catholiques qui, par une fausse critique, se laissent imprimer de cet esprit.

 

CHAPITRE X.

 

Deux erreurs de M. Simon sur le péché originel : première erreur, que par ce péché il faut entendre la mort et les autres peines : Grotius auteur et M. Simon défenseur de cette hérésie : ce dernier excuse Théodore de Mopsueste et insinue que saint Augustin expliquait le péché originel d'une manière particulière.

 

Pour procéder maintenant à la découverte des erreurs particulières de M. Simon, j'en trouve deux sur le péché originel : l’une, qu'il en change l'idée, l'autre, qu'il en ruine la preuve.

 

1 Contr. Collat., cap. XXI, n. 57; in Append. tom. X August.

 

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Sur le premier point, il faut savoir qu'il se répand une opinion parmi les critiques modernes, que le péché originel n'est pas ce qu'on pense : que saint Augustin, et après lui les Occidentaux, l’ont poussé trop loin : que les Grecs et saint Chrysostome l’ont mieux entendu, en expliquant (ce sont les paroles de M. Simon « plutôt de la peine due au péché, c'est-à-dire de la mort, que du péché même, ces paroles de saint Paul : Le péché est entré dans le monde par un seul homme (1),» et le reste.

La proposition ainsi énoncée est formellement condamnée par ces paroles du concile de Trente : « Si quelqu'un dit qu'Adam, par sa désobéissance, ait transmis dans le genre humain la mort seulement et les autres peines du corps, et non pas le péché , qui est la mort de l’âme, qu'il soit anathème (2) ; » ce qui est répété de mot à mot du second concile d'Orange (3). M. Simon, qui allègue ici saint Chrysostome, ne fait autre chose que chercher selon sa coutume à interrompre la suite de la tradition, et à trouver dans les Pères et dans ce Père comme dans les autres, les plus grossières erreurs.

Cette nouvelle doctrine sur le péché originel a pour principal auteur dans ce siècle Grotius (4), qui l'a prise des sociniens, et pour principal défenseur, même de nos jours, M. Simon qui rapporte soigneusement le sentiment de Grotius en un endroit, et l'insinue ou plutôt l'établit manifestement dans les autres : premièrement en l'attribuant comme on vient de voir à un auteur aussi grave que saint Chrysostome, à l'exemple du même Grotius (5) : en second lieu et plus clairement, lorsque selon sa coutume, prenant en main la défense de Théodore de Mopsueste, que les anciens ont regardé comme le premier maître de Pélage, il en parle ainsi : « Ces paroles (de Théodore) semblent insinuer qu'il ait nié absolument le péché originel : peut-être n'attaquait-il que la manière dont saint Augustin l’expliquait, qui lui paraissait nouvelle, aussi bien que les preuves de l'Ecriture sur lesquelles il se fondait (6). » Il faut toujours que saint Augustin porte la peine de tout; il n'y a point d'hérétique qu'on n'entreprenne de justifier à ses dépens.

 

1 P. 171.— 2 Sess. V, can. II. —  3 Can. II. — 4 In Epist. ad Rom., V, 12 et seq. — 5 In Rom., ibid. — 6 P. 444.

 

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On suppose que ce saint docteur a fait deux fautes sur le péché originel : l'une, de l'expliquer d'une manière particulière ; l'autre, de l'appuyer par des preuves que Théodore, aussi bien que les autres Grecs, ont trouvées nouvelles. Mais sous le nom de saint Augustin, c'est l'Eglise qui est attaquée, puisque ni ce Père n'a rien dit sur ce péché que l'Eglise n'ait dit avec lui, ni il n'a employé pour rétablir d'autres preuves que celles qu'elle a formellement adoptées. Nous allons parler du premier dans le chapitre XI, et nous parlerons de l'autre dans les chapitres suivants.

 

CHAPITRE XI.

 

Que saint Augustin n'a enseigné sur le péché originel que ce qu'en a enseigné toute l'Eglise catholique dans les décrets des conciles de Carthage, d'Orange, de Lyon, de Florence et de Trente : que Théodore de Mopsueste défendu par l'auteur, sous le nom de saint Augustin, attaquait toute l'Eglise.

 

Premièrement donc, pour ce qui regarde le fond du péché originel , saint Augustin n'en a point dit autre chose, sinon que c'était un véritable péché, une tache qui rendait coupables tous les hommes dès leur naissance et qu'ils héritaient d'Adam, non-seulement la mort du corps, mais encore celle de l’âme, par laquelle ils étaient exclus de la vie éternelle. Mais c'est là précisément le sentiment de l'Eglise dans le concile de Trente, où l'on définit, comme on vient de voir, après celui d'Orange , que le péché originel « fait passer d'Adam jusqu'à nous, et dans tout le genre humain, non-seulement la mort et les autres peines du corps, mais encore la mort de l’âme, qui est le péché (1) ; » ce qui est directement le contraire de ce que M. Simon voudrait encore autoriser du nom de saint Chrysostome (2).

Le concile de Carthage, qui est le premier où la question a été définie par deux canons exprès, nous montre aussi le péché originel comme un véritable péché , « pour la rémission duquel il faut baptiser les petits enfants, afin de purger en eux par la régénération ce que la génération leur a apporté (3). » Le concile de

 

1 Conc. Trident., sess. V, can. II; Conc. Araus. II, can. II. — 2 P. 171.— 3  Conc. Carth., can. II.

 

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Trente a répété ce canon du concile de Carthage (1). Saint Augustin n'en a dit ni plus ni moins : les conciles de Carthage, d'Orange et de Trente n'ont fait que transcrire les paroles de ce Père, comme tout le monde en est d'accord. Ainsi encore une fois, ce sont ces conciles, c'est toute l'Eglise catholique qui est attaquée sous le nom de saint Augustin : ce n'est pas contre saint Augustin, c'est contre toute l'Eglise que M. Simon défend Théodore de Mopsueste.

En effet, il n'y a qu'à lire dans la bibliothèque de Photius (2) l'extrait du livre de Théodore, pour voir qu'il a attaqué toute l'Eglise en la personne de saint Jérôme et de saint Augustin, qu'il ne faut point séparer dans cette cause, puisque tout le monde sait qu'ils n'avoient qu'un même sentiment. Théodore défend visiblement tous les articles qu'on a condamnés dans les pélagiens : il y rejette les expressions dont toute l'Eglise s'est servie contre eux : il leur fait les mêmes calomnies que les pélagiens ont faites à toute l'Eglise. Voilà l'auteur que M. Simon prétend excuser en apparence contre saint Augustin, et en effet bien certainement contre l'Eglise catholique.

Au reste après la publication des ouvrages de Marius Mereator, faite par le savant P. Garnier, on ne doute plus que Théodore n'ait été comme le chef des pélagiens. Si M. Simon l'excuse, s'il déplore la perte de ses Commentaires comme « d'un homme savant, qui avait étudié sous un bon maître (a) avec saint Chrysostome le sens littéral de l'Ecriture (3); » si par là il insinue que saint Chrysostome pourrait être de son sentiment, et que cela même c'est suivre le sens littéral, il ne dégénère pas de lui-même, ni du zèle qu'il a fait paraître pour les pélagiens. Il a loué Pélage autant qu'il a pu. Il pouvait bien excuser les sentiments de Théodore de Mopsueste, après avoir approuvé ceux d'Hilaire, diacre.

L'approbation de la doctrine de ce diacre est dans les livres de M. Simon, un dernier trait de pélagianisme, et le plus manifeste de tous; mais comme nous en avons déjà parlé, je répéterai seulement que, de l'aveu de M. Simon (4), cet auteur dit formellement que le péché originel ne nous attire point la mort de l’âme; que

 

1 Sess. V, can. IV. — 2 Cod. 177. — 3 P. 446. — 4 P. 134.

(a) Diodore. (Note de la 1ère édition.)

 

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M. Simon l'approuve en ce point (1) ; et que c'est là formellement l'hérésie de Pélage condamnée par tant de conciles , notamment par ceux de Carthage, d'Orange, de Florence, dont ceux de Lyon II et de Trente répètent les décrets que nous avons rapportés (2). Il n'y a qu'à laisser faire nos critiques, ils nous auront bientôt forgé un christianisme tout nouveau, où l'on ne reconnaîtra plus aucun vestige des décisions de l'Eglise. M. Simon commence assez bien, puisque le péché originel qu'il nous donne, visiblement n'est plus celui que l'Eglise a défini par ces conciles, qui était la première chose que j'avais à prouver.

 

CHAPITRE XII.

 

Seconde erreur de M. Simon sut le péché originel. Il détruit les preuves dont toute l'Eglise s'est servie, et en particulier celle qu'elle tire de ce passage de saint Paul : In quo omnes peccaverunt (3).

 

La seconde est qu'il a renversé, et toujours selon sa coutume , en faisant semblant de n'en vouloir qu'à saint Augustin, les fondements de la foi du péché originel. Les fondements de l'Eglise sont tirés ou de la Tradition ou de l'Ecriture.

Pour la Tradition, le fondement principal était la nécessité du baptême des petits enfants : mais nous avons déjà vu que M. Simon n'a rien oublié pour anéantir cette preuve (4), et nous n'avons rien à dire de nouveau sur ce sujet.

Pour l'Ecriture, le principal fondement est dans ce passage de saint Paul : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme...., en qui tous ont péché (5). » Il y a deux versions de ce passage : l'une, au lieu de ces mots : « En qui, » in quo, met : « parce que, » quatenùs, quia, eà quod, ou ex eo quòd. C'est celle qui favorise le plus les pélagiens, et qui leur donne lieu de dire : « que le péché est entré dans le monde par Adam, » à cause seulement que tous ont péché à son exemple, de laquelle explication Pélage est constamment le premier auteur.

La seconde version est celle de toute l'Eglise, selon laquelle il

 

1 P. 134. — 2 Ci-dessus, liv. V, chap. II. — 3 Rom., V, 12. —  4 Ci-dessus, liv. I, chap. II, — 5 Rom., V, 12.

 

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faut lire « que le péché est entré dans le monde par un seul homme, en qui tous ont péché ; » ce qui ne laisse aucune ressource à ceux qui nient le péché originel.

C'est un fait constant, dont aussi M. Simon demeure d'accord, que cette dernière version, qui est celle de notre Vulgate, l'est aussi de la Vulgate ancienne, comme il paraît, non-seulement par saint Augustin, mais encore par le diacre Hilaire, par saint Ambroise, par Pélage même, qui lit comme tous les autres in quo, dans son Commentaire (1), encore que dans sa note il détourne le sens naturel de ce passage de la manière qu'on vient de voir.

M. Simon convient aussi que, selon l'explication de saint Chrysostome , il faut traduire in quo, et on en peut dire autant d'Origène : de sorte que les anciens Grecs ne diffèrent point des Latins. La suite fera paraître quel est parmi eux l'auteur de l'innovation. Quoi qu'il en soit, il est bien certain que depuis le temps de Pélage, tous les docteurs qui ont disputé contre lui, tous, dis-je, sans exception, lui ont opposé ce passage et ont suivi en cela saint Jérôme et saint Augustin.

Après un consentement si universel et si manifeste de tout l'Occident à traduire in quo, il n'est pas permis de douter qu'il ne faille tourner ainsi ce célèbre eph’ o de saint Paul, puisque tous les Latins l'ont pris naturellement de cette sorte. Mais M. Simon, au contraire, s'acharne de telle manière à affaiblir cette version, qu'il y revient sous divers prétextes quinze ou seize fois, n'oubliant rien de ce qu'on peut dire pour autoriser, non-seulement la traduction, mais encore les explications qui favorisent Pélage : en quoi il ne fait toujours que combattre directement, sous le nom de saint Augustin, toute l'Eglise dans quatre conciles universellement approuvés.

 

1 Comment. in Epist. ad Rom., V; Ambr., lib. IV, n. 67 ; in Luc; apud August., lib. I Contr. Jul., cap. III, n. 10; Comment. in Epist ad Rom., V.

 

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CHAPITRE  XIII.

 

Quatre conciles universellement approuvés, et entre autres celui de Trente, ont décidé sous peine d'anathème que dans le passage de saint Paul, Rom., V, 12, il faut traduire in quo, et non pas quatenùs. M. Simon méprise ouvertement l’autorité de ces conciles.

 

Le premier est celui de Milève, où soixante évêques rapportent ce passage selon la Vulgate, et n'allèguent que celui-là dans leur lettre synodique à saint Innocent, avec un autre de même sens du même saint Paul : ce qui montre qu'ils en faisaient le principal fondement de la condamnation des pélagiens.

Le second concile est celui de Cartilage ou d'Afrique, de deux cent quatorze évêques, qui dans le chapitre II, après avoir établi la foi du péché originel sur le baptême des enfants, anathématise les contredisants : « A cause, dit-il, qu'il ne faut pas entendre autrement ce que dit l'Apôtre : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme... en qui tous ont péché » : in quo omnes peccaverunt, que comme l'Eglise catholique répandue par toute la terre l'a toujours entendu; » où le concile, en suivant la version qu'on veut contester, dit deux choses : premièrement, que le sens qu'il donne à ce passage n'est pas seulement le véritable, mais encore celui qui a toujours été reçu dans l'Eglise universelle ; secondement, que pour cela même il n'est pas permis de ne le pas suivre, à moins qu'on ne dise en même temps qu'il est permis de s'opposer à l'intelligence constante et perpétuelle de toute l'Eglise.

Le troisième concile est celui d'Orange II, qui dans une semblable décision, allègue pour tout fondement le même passage entendu de la même sorte, traduit de la même sorte (1).

Le quatrième, est le concile œcuménique de Trente, qui répète de mot à mot les décrets de ces deux derniers conciles, et par deux fois le passage dont il s'agit, comme le fondement de sa décision, en déclarant, dans les mêmes termes du concile d'Afrique, que l'Eglise catholique l'a toujours entendu ainsi et qu'il ne faut pas, c'est-à-dire, qu'il n'est pas permis de l'entendre autrement (2).

 

1 Can. II. — 2 Sess. V, can. II.

 

267

 

Mais M. Simon ne craint pas d'éluder cette explication et formellement l'autorité de ces conciles sur ces mots : en qui tous ont péché. « Cornélius à Lapide, dit-il, traite à fond du péché originel, opposant à ceux qui croient qu'on ne le peut pas prouver efficacement de ce passage, le concile de Milève et celui de Trente ; mais il n'y a pas d'apparence que ces deux conciles aient voulu condamner les plus doctes Pères qui l'ont entendu autrement (1). » Ainsi L'autorité de ces deux conciles, dont l'un est œcuménique et l'autre de même valeur, et de deux autres qu'on vient de voir, également approuvés, ne fait rien à M. Simon : il n'y aura plus qu'à rapporter quelques passages des Pères, pour conclure que les conciles qui auront plus précisément examiné la matière, ne sont rien. On en sera quitte pour dire, qu'il n'y a pas d'apparence qu'on ait voulu condamner les plus doctes Pères. Voilà un beau champ ouvert aux hérétiques, et sur ce pied ils n'auront guère à se mettre en peine des décisions de l'Eglise.

 

CHAPITRE XIV.

 

Examen des paroles de M. Simon dans la réponse qu'il fait à l'autorité de, ces conciles : qu'elles sont formellement contre la foi, et qu'on ne doit pas les supporter.

 

Mais pesons encore plus en particulier les paroles de M. Simon : « Il n'y a aucune apparence que ces conciles aient voulu condamner les plus doctes Pères, qui ont entendu autrement le passage de saint Paul. » Nous verrons bientôt quels sont ces Pères, et si leur autorité est si décisive. En attendant j'avouerai qu'on n'a pas dessein de condamner personnellement les Pères qui auront parlé avec moins de précaution, ou avant les difficultés survenues, ou sans y être attentifs; mais de là s'ensuivra-t-il qu'il soit permis de suivre les expositions que les conciles auront condamnées, ou qu'il ne faille pas s'attacher à ce qu'on aura décidé de plus correct ? Quelle critique serait celle-là, et quelle porte ouvrirait-elle aux novateurs?

« Les Pères de Trente et de Milève, poursuit le critique, n'ont

 

1 P. 661.

 

268

 

songé qu'à condamner l'hérésie des pélagiens. » Je vois bien qu'il aura ouï dire qu'en obligeant à recevoir les définitions des conciles à peine d'être hérétique, les théologiens n'obligent pas ordinairement sous la même peine à recevoir toutes les preuves dont les conciles se servent ; mais premièrement les théologiens qui parlent ainsi, ne permettent pas pour cela d'affaiblir ces preuves. Une si étrange témérité est-elle exempte de censure? En matière de religion ne faut-il craindre précisément que d'être hérétique? N'est-ce rien de favoriser l'hérésie et de désarmer l'Eglise , en lui ôtant ses fondements principaux? Que deviendra la saine doctrine, s'il est permis d'en renverser les remparts l'un après l'autre? M. Simon aura détruit celui de saint Paul : un autre attaquera celui de David, où l'on voit l'homme conçu en iniquité. Par ce moyen la place est ouverte, et l'Eglise sans défense. Mais secondement ce n'est pas le cas où les théologiens excusent ceux qui ne veulent pas recevoir toutes les preuves des conciles. Lorsque les conciles déclarent en termes formels, comme ceux de Trente et de Carthage font ici, que le sens qu'ils donnent à un passage est « celui que l'Eglise catholique répandue par toute la terre a toujours reçu, et qu'il n'est pas permis d'en suivre un autre, » l'Eglise veut astreindre les fidèles à la preuve comme au dogme, et n'écoute plus ceux qui la rejettent.

 

CHAPITRE XV.

 

Suite de l'examen des paroles de l'auteur sur la traduction in quo. Il se sert de l’autorité de ceux de Genève, de Calvin et de Pélage, contre celle de saint Augustin et de toute l'Eglise catholique, et il avoue que la traduction quatenùs renverse le fort de sa preuve.

 

Il n'en faudrait pas davantage pour confondre M. Simon; et je ne m'attacherais pas à peser ses autres paroles, s'il n'était bon de montrer avec quel entêtement et par quelles vues il s'opiniâtre à détruire les sens de l'Ecriture, et même la traduction que les conciles proposent.

Premièrement sur la traduction qui met « parce que, » quatenùs, quia, qui est celle qui favorise les pélagiens, au lieu « d'en

 

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qui, » in quo, qui est celle de l'Eglise catholique, « l'auteur cite les docteurs de Genève, qui ne peuvent pas être suspects en cette matière (1). » Us ne peuvent pas être suspects : comme si pour ne l'être pas sur le pélagianisme , ils l'en étaient moins sur le sujet de la Vulgate, qu'ils sont bien aises de reprendre et avec elle l'Eglise, qu'ils ne cessent de chicaner sur cette matière.

En un autre endroit, pour excuser le sens de Pélage, il allègue encore l'autorité de Calvin, à cause qu'il n'est pas pélagien, « et de quelques autres calvinistes (2). » Ils ne sont pas non plus ariens; et cependant combien de passages ont-ils affaiblis en faveur de l'arianisme? M. Simon ne l'ignorait pas; et il n'emploierait pas si souvent l'autorité de ces critiques novateurs, qui font les savants en cherchant les sens détournés et particuliers, si ce n'était qu'il a pris lui-même cet esprit.

Dans la suite il reprend saint Augustin (3) pour avoir dit de ce passage de saint Paul « qu'il est clair, qu'il est précis, et excluait toute ambiguïté (4) ; » mais M. Simon répond pour Pélage, que « ce passage et les autres » ne sont pas si clairs que saint Augustin se l'imaginait : « on les pouvait interpréter de différentes manières même selon le sens grammatical. Pélage et ses sectateurs ont prétendu que in quo était en ce lieu-là pour quatenùs. » A cause que Pélage l'a prétendu, saint Augustin aura tort d'avoir trouvé le passage clair, et les doutes des hérétiques feront la loi à l'Eglise. Mais M. Simon croit tout sauver en ajoutant « que cette interprétation a été suivie par quelques orthodoxes, » c'est-à-dire par un ou deux qui n'y pensaient pas et qui n'étaient point attentifs à l'hérésie de Pélage. M. Simon veut nous obliger aies égaler aux Pères et aux conciles, même œcuméniques, dont les disputes émues ont tourné l'attention de ce côté-là. N'est-ce pas là une solide critique, et bien propre à établir les preuves de la tradition? Mais voici où le critique en voulait venir : « Les pélagiens affaiblissaient par ce moyen le plus fort de la preuve de saint Augustin, qui consistait en ce mot in quo (5). » C'est donc là le fruit de la critique, de trouver « le moyen d'affaiblir le fort de la preuve de

 

1 P. 171.— 2 P. 241.— 3 P. 286.— 4 August, De pecc. mer. et rem., cap. X, n  11 — 5 P. 286.

 

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saint Augustin, » ajoutons, qui était aussi le fort de la preuve de quatre conciles, dont l'autorité est œcuménique. C'en est trop, et il n'y eut jamais dans toute l'Eglise d'exemple d'une pareille témérité.

 

CHAPITRE XVI.

 

Suite de l'examen des paroles de l'auteur : il affaiblit l'autorité de saint Augustin et de l'Eglise catholique par celle de Théodoret, de Grotius et d'Erasme : si c'est une bonne réponse en cette occasion, de dire que saint Augustin n'est pas la régie de la foi.

 

Il continue cependant : « Théodoret n'a fait en ce lieu (sur le passage de saint Paul dont il s'agit) aucune mention du péché originel (1). » Au contraire l'auteur tâche de faire paraître qu'il y était opposé, de quoi nous parlerons ailleurs. Le patriarche Photius en use de même que Théodoret (2) : voilà donc ces orthodoxes de M. Simon réduits au seul Théodoret, si ce n'est qu'on veuille mettre Photius, le patriarche du schisme, au nombre des orthodoxes. « En général, continue-t-il, la plupart des commentateurs grecs n'ont fait aucune mention du péché originel sur ce passage de saint Paul. » C'est ce que je nie, et je n'en crois pas M. Simon sur sa parole. Quoi qu'il en soit, c'est à l'occasion de Théodoret, de Photius et de quelques Grecs, qu'il a prononcé cette sentence, qu'on ne doit pas croire « que les conciles aient voulu condamner les plus doctes Pères (3) ; » ce qu'il conclut par ces paroles : « Ce n'est pas être pélagien que d'interpréter eph o «, où il y a dans la Vulgate in quo, par quatenùs ou eo quod, avec Théodoret et Erasme. » Voilà deux autorités bien assorties ! Et il ajoute : « Le sentiment de saint Augustin, qui traite cette interprétation de nouvelle et de fausse, n'est pas une décision de foi ; » et à cause de cela il sera permis de lui égaler «Théodoret et Erasme, » comme si c'était ôter toute autorité à saint Augustin, que de ne lui pas donner celle d'être la règle de la foi, à quoi personne ne pense. Voilà comment raisonne un esprit outré. Qu'il apprenne donc que sans prétendre en aucune sorte que les sentiments de saint Augustin soient une décision de foi, on peut bien dire que l'interprétation qu'il a rejetée

 

1 P. 321. — 2 P. 463. — 3 P. 661.

 

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celle qui met quatenùs pour in quo, était nouvelle et fausse: nouvelle parce qu'elle était contraire à toutes les versions dont l’Eglise se servait : nouvelle encore, parce que tous les Pères latins qui sont les seuls qu'il faut consulter sur une version latine, voient constamment traduit in quo, comme tout le monde en est d'accord ; mais fausse de plus, parce que sans parler encore de la suite du discours de l'Apôtre, qui détermine manifestement à l'explication de saint Augustin, il est certain de l'aveu de M. Simon qu'elle ôtait à la preuve de l'Eglise contre les pélagiens ce qu'elle avait de plus fort et de principal ; quoique d'ailleurs cette preuve soit celle de quatre conciles d'une autorité infaillible.

Quand le sentiment de saint Augustin est soutenu de cette sorte, sans en faire la règle de la foi, on peut bien dire qu'il n'y a que les hérétiques ou leurs adhérents qui s'y opposent ; et ainsi quand avec Erasme M. Simon aura mis encore Calvin et les calvinistes, ce traducteur ne serait pas excusable d'avoir changé la version que saint Augustin a suivie, puisqu'elle a toujours été et qu'elle est encore celle de toute l'Eglise d'Occident.

 

CHAPITRE XVII.

 

Réflexion particulière sur l’allégation de Théodoret : autre réflexion importante sur l'allégation des Gras dans la malien: du péché originel, et de la grâce en général.

 

Pour ce qui regarde Théodoret, que notre auteur apparie avec Erasme afin que le nom de l'un couvre la faiblesse de l'autre, son autorité est détruite par M. Simon en deux endroits : le premier est celui où il convient que le commentaire de saint Chrysostome, dont l'autorité L'emporte de beaucoup sur celle des autres Grecs, induit à traduire in quo, « en qui,» et non pas quia, «parce que (2). » Le second es! dans un passage que nous avons marqué ailleurs, mais qu'il faut ici rapporter tout du Long : «Ce n'est pas ici le lieu d'examiner si cette pensée de Théodoret (sur le passage de saint Paul) est pélagienne ; je remarquerai seulement en passant, que le pélagianisme avant lait plus de bruit dans les Eglises où l'on

 

1 P. 286. — 2 P. 171.

 

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parlait la langue latine que dans l'Orient, il n'est pas surprenant que ce commentateur qui a recueilli en abrégé ce qu'il avait lu dans les auteurs grecs, n'ait point fait mention en ce lieu-ci du péché originel (1). » Cette remarque en passant, de M. Simon, vaut mieux que toutes celles qu'il fait exprès, puisqu'il y donne lui-même la solution de tous les passages des Grecs, qu'il étale si ambitieusement dans tout son livre. Ces Grecs, ou auront écrit comme saint Chrysostome avant Pélage ; et en ce cas, comme ils n'avoient point ses erreurs en vue et sans songer à presser le sens qui le pouvait serrer de plus près, ils demeuraient dans des expressions plus générales : ou s'ils ont écrit depuis Pélage, comme Théodoret, parce que cette hérésie faisait moins de bruit en Orient qu'en Occident, ils n'avoient garde d'y avoir la même attention ; ils n'y pensaient pas, et de l'aveu de M. Simon ils se contentaient « de rapporter ce qu'ils avoient lu » dans les Pères précédents, qui y pensaient encore moins, puisque Pélage venu depuis ne pouvait pas exciter leur vigilance avant qu'il fût né.

Voilà donc, par M. Simon, un dénouement des lacets qu'il tend lui-même aux ignorants dans l'autorité des Pères grecs, tant sur la matière du péché originel que sur les autres qui concernent la grâce. Si rien ne sollicitait leur attention vers une de ces matières, il en est de même des autres sur lesquelles tout le monde fut réveillé par l'hérésie de Pélage. Ainsi les préférer aux Latins, aux Latins, dis-je, que cette hérésie avait excités, c'est de même que si on disait qu'il faut dans l'explication d'une doctrine préférer ceux qui n'y pensent pas à ceux qui y pensent, ce qui est, comme on a vu, une illusion d'où M. Simon ne sortira jamais.

Au reste comme notre auteur en revient souvent à Théodoret et à Photius, et que ce sont en cette matière ses deux grands auteurs, j'aurai occasion d'en parler ailleurs plus à fond : il me suffit maintenant d'avoir fait voir combien vainement on les oppose, je ne dis pas à saint Augustin, mais à toute l'Eglise catholique.

 

1 P. 321.

 

273

 

CHAPITRE XVIII.

 

Minuties de M. Simon et de la plupart des critiques.

 

Les autres endroits où M. Simon parle du passage de saint Paul ne méritent pas, en vérité, d'être relevés. Gagney préfère quia à in quo, et Photius aux Latins : Tolet « ne condamne pas » ce sentiment, « et se contente de dire que l'autre est plus vrai (1). » Est-ce là de quoi contre-balancer l'autorité de saint Augustin et celle du Saint-Esprit dans quatre conciles ? Un critique qui va ramassant de tous côtés des minuties pour affaiblir les explications et la doctrine de l'Eglise, n'a-t-il pas bien employé sa journée ? Il se trouvera à la fin qu'il n'aura fait plaisir qu'aux sociniens. Aussi a-t-il remarqué en leur faveur « que les unitaires ne reconnaissaient point le péché originel, ne le trouvant point dans le Nouveau Testament (2). » Voilà ceux pour qui il travaille : il insinue qu'ils ne trouvent pas le péché originel dans le Nouveau Testament. Il sait bien qu'ils le reconnaîtraient, s'ils le trouvaient dans l'Ancien ; de sorte qu'en parlant ainsi, il présuppose manifestement qu'ils ne le trouvent nulle part ; et afin qu'on ne puisse pas leur reprocher que c'est par leur faute, le critique remue tous ses livres, et emploie tout son esprit pour empêcher qu'on ne le trouve où il est le plus, qui est l'endroit de saint Paul dont il s'agit. Ainsi toute la critique de M. Simon ne tend qu'à soulager les hérétiques sur un passage de saint Paul, où le péché originel se trouve plus clairement qu'ils ne veulent; et autant que l'Eglise catholique s'attache dans ses conciles à le montrer là, autant M. Simon s'est-il attaché à faire qu'on l'y cherche en vain.

 

CHAPITRE XIX.

 

L'interprétation de saint Augustin et de l’Eglise catholique s'établit par la suite des paroles de saint Paul. Démonstration par deux conséquences du texte que saint Augustin a remarquées : première conséquence.

 

C'est ici une occasion nécessaire de faire sentir aux lecteurs combien sont vaines dans le fond les difficultés que les altercations

 

1 P. 582,612.— 2 P. 850.

 

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des critiques mal intentionnés et les grands noms des saints Pères, qu'on y interpose, font paraître si embarrassantes. Tout se démêle

par un seul principe de la dernière évidence, c'est que l'Apôtre s'est proposé dans le chapitre V de l’Epître aux Romains, de comparer Jésus-Christ comme principe de notre justice et de notre salut avec Adam comme principe de notre péché et de notre perte ; d'où saint Augustin tire d'abord en divers endroits deux conséquences contre les explications des pélagiens (1) : la première, que Jésus-Christ nous étant proposé comme celui qui nous profite, non-seulement par son exemple, mais encore en nous communiquant intérieurement sa justice, Adam nous est aussi proposé comme celui qui nous a perdus, non point par l'exemple seulement, ainsi que le prétendaient les pélagiens, mais par la communication actuelle et véritable de son péché : en sorte que nous soyons faits aussi véritablement « pécheurs par la désobéissance d'Adam, que nous sommes faits justes par l'obéissance » de Jésus-Christ (1), qui est la proposition où aboutit manifestement le raisonnement de saint Paul.

 

CHAPITRE XX.

 

Seconde conséquence du texte de saint Paul remarquée par saint Augustin : de quelque sorte qu'on traduise, on démontre également l'erreur de ceux qui, à l'exemple des pélagiens, mettent la propagation du péché d'Adam dans l'imitât ion de ce péché.

 

La seconde conséquence de saint Augustin est que la justice de Jésus-Christ étant infuse aux enfants par le baptême, qui est une seconde naissance, le péché d'Adam passe aussi à eux avec la vie par la première génération.

Il est clair, dit saint Augustin, par toute la suite du raisonnement de saint Paul qu'il aboutit à ce parallèle. Ce Père remarque aussi qu'il est ridicule d'attribuer tous les péchés des hommes au mauvais exemple d'Adam, que les hommes pour la plupart n'ont pas connu. Il leur nuisait donc autrement que par son exemple : « Il leur nuisait, dit saint Augustin, par propagation, et non point par

 

1 August., De pecc. mer., lib. I, cap. IX, X, XV; ad Bonif., lib. IV, cap. IV et alibi passim.— 2 Rom., V, 19.

 

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imitation (1), » comme un père qui les engendre, et non point comme un modèle dont l'exemple les induisait à faire mal, d'autant plus que visiblement saint Paul comprenait dans sa sentence tout ce qui était sorti d'Adam, et tout ce qui était sujet à la mort. Il y comprenait par conséquent les petits enfants, à qui l'exemple d'Adam, non plus que celui de Jésus-Christ, ne pouvait ni nuire, ni servir. Enfin il s'agissait de montrer dans le genre humain la cause de la mort et de la vie : l'une, dans le péché d'Adam ; l'autre, dans la justice de Jésus-Christ. Tous mouraient, et les enfants mêmes. Si, par les paroles de saint Paul : «le péché était introduit dans le monde par Adam, et la mort par le péché, » les enfants qui participaient à la mort d'Adam, devaient aussi participer à son péché : autrement, dit saint Augustin , par une injustice manifeste, vous faites passer l'effet sans la cause, le supplice sans la faute, « la peine de mort sans le démérite qui l'attire (2). » Chicanez, M. Simon, tant qu'il vous plaira : ni vous, ni les pélagiens ne pouvez plus reculer : laissez à part pour un moment les noms de Théodoret, de Photius, si vous voulez, et des scholiastes grecs : traduisez comme vous voudrez le passage de saint Paul : voulez-vous traduire par en qui, c'est la bonne, c'est la naturelle version, où l'Eglise de votre aveu gagne sa cause, parce qu'on y trouve celui « en qui tous étaient un seul homme (3), » comme dans le principe commun de leur naissance, et en qui aussi ils sont tous un seul pécheur dans le principe commun de leur corruption? Voulez-vous, au lieu d'en qui, mettre parce que? vous n'échapperez pas pour cela à la vérité qui vous presse : « La mort a passé à tous, parce que tous ont péché : » il faut donc trouver le péché partout où l'on trouvera la mort. Vous la trouvez dans les enfants : trouvez-y donc le péché. S'ils sont du nombre de ceux qui meurent par votre propre traduction, ils sont du nombre de ceux qui pèchent : ils ne pèchent pas en eux-mêmes, c'est donc en Adam : et malgré que vous en ayez, il faut ici de vous-même rétablir l’in quo, que vous aviez voulu supprimer. On y est forcé par la seule suite des paroles de saint Paul, cet Apôtre visiblement n'ayant fait Adam introducteur

 

1 Lib. I De pecc. mer. cap. IX, X, XV. — 2 Ad Bonif., lib. IV. cap. IV. — 3 De pec. mer., cap. X.

 

276

 

de la mort qu'après l'avoir fait introducteur du péché, d'où il avait inféré que la mort avait passé à tous, dans la présupposition « que tous aussi avoient péché : » en sorte que, selon le texte de saint Paul, ils ne pouvaient naître mortels que parce qu'ils naissaient pécheurs.

 

CHAPITRE XXI.

 

Intention de saint Paul dans ce passage , qui démontre qu'il est impossible d'expliquer la propagation du péché d'Adam par l'imitation et par l'exemple.

 

Et afin de pénétrer une fois tout le fond de cette parole de saint Paul, sur laquelle roule principalement tout ce qui doit suivre, lorsqu'il a dit que par a un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort, » son intention n'a pas été de nous apprendre que le premier de tous les péchés soit celui d'Adam, ou que sa mort soit la première de toutes les morts. L'un et l'autre est faux. Pour la mort, Abel en a subi la sentence avant Adam : pour le péché, celui des anges rebelles a précédé. Quand on voudrait se réduire au commencement du péché parmi les hommes, Eve en a donné la première le mauvais exemple ; et quand on s'attacherait à Adam comme à celui dont le sexe était dominant, il n'y aurait rien de fort remarquable qu'étant le premier et alors le seul, il n'y ait point eu de péché parmi les hommes qui ait pu précéder le sien. Ce n'était pas une chose qui méritât d'être relevée avec tant d'emphase ; mais ce qui était véritablement digne de remarque et ce qu'aussi le saint Apôtre nous fait observer, c'est que le péché et la mort qu'Adam avait encourue ne sont pas demeurés en lui seul, tout ayant passé de lui à tout le monde, le péché le premier comme la cause, et la mort après comme l'effet et la peine.

A cela les pélagiens d'abord ne trouvèrent de solution qu'en disant que notre premier père était introducteur du péché par son exemple; mais outre que cela était insoutenable par toutes les raisons qu'on vient de voir, la suite des paroles de l'Apôtre y répugnait, puisqu'Adam n'y étant introducteur du péché que de la même manière et à même titre qu'il L'était aussi de la mort, comme ce n'était point par son exemple, mais par la génération

 

277

 

que la mort s'était introduite, ce ne pouvait être non plus par son exemple, mais par la génération, que le péché fût entré dans le

monde.

Voilà si visiblement le raisonnement de saint Paul et tout l'esprit de ce passage, qu'il n'est pas possible de ne s'y pas rendre, à moins que d'être tombé dans l'aveuglement. C'est aussi de cette manière que raisonnent tous les orthodoxes, Tolet que vous citez mal à propos, Bellarmin, Estius, tous les autres d'une même voix. Vous vous vantiez d'avoir ôté à saint Augustin la force de sa preuve en lui ôtant sa version ; mais elle revient ; et malgré vous le passage de saint Paul est aussi clair, aussi convaincant que saint Augustin le disait (1).

 

CHAPITRE XXII.

 

Embarras des pélagiens dans leur interprétation : absurdité de la doctrine de M. Simon et des nouveaux critiques, qui insinuent que la mort passe à un enfant sans le péché, et la peine sans la faute : que c'est faire Dieu injuste, et que le concile d'Orange l'a ainsi défini.

 

L'embarras des pélagiens que vous soutenez, est encore inévitable par un autre endroit. Quelle mort est venue par Adam, selon saint Paul? Celle de l’âme seulement, ou avec elle celle du corps? Ils ne savent à quoi s'en tenir. Celle de l’âme seulement? c'est ce que Pélage disait d'abord dans son Commentaire sur saint Paul (2) ; mais si cela est, tous, et les enfants mêmes, sont morts de la mort de l’âme, qui est le péché. Celle du corps seulement, comme saint Augustin a remarqué (3) que quelques pélagiens furent enfui contraints de le dire? mais ce Père retombe sur eux et leur soutient qu'ils font Dieu injuste en faisant passer à des innocents, tels que les enfants selon eux, le supplice des coupables : ce qui n'est pas seulement le raisonnement de saint Augustin, mais celui de toute l'Eglise catholique. Afin qu'on y prenne garde et que personne ne s'avise de le contredire, voici en effet la définition expresse du IIe concile d'Orange : « Si quelqu'un dit que la prévarication d’Adam n'a nui qu'à lui seul et non pas à sa postérité, ou du moins

 

1 De pec. mer., cap. IX et X. — 2 In Rom., V, etc. — 3 Ad Bonif., lib. IV, cap. IV.

 

278

 

que la mort du corps qui est la peine du péché, et non pas le péché même qui est la mort d L'âme, a passé à tout le genre humain, il attribue à Dieu une injustice, en contredisant l'Apôtre, qui dit : « Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et la mort par le péché (1). » et ainsi la mort a passé à tous (par un seul) en qui tous ont péché.

On voit, selon ce concile, que « faire passer la mort sans le péché, c'est attribuer à Dieu une injustice. » Quelle injustice, sinon celle de faire passer le supplice sans le crime, qui est celle que saint Augustin avait remarquée (2), et que le concile avait prise, comme on vient de voir, du propre texte de saint Paul?

 

CHAPITRE XXIII.

 

Combien vainement l'auteur a tâché d'affaiblir l'interprétation de saint Augustin et de l’Eglise : son erreur, lorsqu'il prétend que ce soit ici une question de critique et de grammaire : Bèze mal repris dans cet endroit, et toujours en haine de saint Augustin.

 

Nous reviendrons ailleurs à ce principe, qui servira d'explication aux autorités des saints docteurs, dont notre critique se prévaut. En attendant, on peut voir combien vainement il a tâché d'obscurcir la preuve de saint Augustin, adoptée par toute l'Eglise ; et on peut voir en même temps combien mal à propos il reprend Bèze d'avoir en cette occasion recouru à l'autorité de saint Augustin, « à cause, disait-il, qu'il a réfuté mille fois » la version qui met quia au lieu d'in quo; sur quoi notre auteur lui insulte en ces termes : « Comme si, lorsqu'il s'agit de l'interprétation grammaticale de quelque passage de saint Paul, qui a écrit en grec, le sentiment de saint Augustin de voit servir de règle, surtout à des critiques ou à des protestants (3). » Je lui laisse à expliquer ce beau parallèle entre les protestants et les critiques, qui se prêtent la main mutuellement pour se rendre également indépendants du tribunal de saint Augustin ; mais je demande où est le bon sens de récuser ce Père dans une interprétation, si l'on veut grammaticale, mais qui au fond dépend de la suite des paroles de saint Paul, et ne peut

 

1 Conc. Araus, II, can. II. — 2 Ad Bonif., lib. IV, cap. IV. — 3 p. 756.

 

279

 

être déterminée que par cette vue? Où était donc le tort de Bèze de renvoyer à saint Augustin, sur une matière qu'il avait si expressément et si doctement démêlée? Ce que je dis, afin qu'on entende que notre critique écrit sans réflexion, selon que ses préventions le poussent ou d'un côté ou d'un autre, et qu'il raisonne également mal, soit qu'il blâme les protestants, soit qu'il les suive.

 

CHAPITRE XXIV.

 

Dernier retranchement des critiques, et passage et un nouveau livre.

 

Je sais pourtant ce qu'il nous dira, et c'est ici son dernier retranchement et la méthode ordinaire des nouveaux critiques : je n'agis pas en théologien, je suis critique : je ne raisonne pas en l'air, j'établis des faits; qu'on me réponde à saint Chrysostome, à Théodoret, à Photius, aux Grecs. Ignorant écrivain ou homme de mauvaise foi, qui ne sait pas ou qui dissimule que toute l'Ecole répond à ces passages; et cependant il ne laisse pas de les alléguer comme s'ils étaient sans réplique. Peut-être même qu'il pense en son cœur qu'on ne peut pas ajuster ce qu'on a vu des conciles de Carthage et de Trente, sur l'intelligence unanime et perpétuelle du passage de saint Paul, avec les sentiments contraires de tant d'excellents Grecs qu'il a rapportés. Voilà du moins son objection dans toute sa force : on ne la dissimule pas, et je me suis réservé ici à proposer la méthode dont saint Augustin l'a résolue à l'égard de saint Chrysostome. Nous viendrons après à Théodoret, et s'il le faut, à Photius ; mais comme cette discussion est importante, pour donner du repos au lecteur, il est bonde commencer un nouveau livre.

 

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