DAVID ET SAUL II

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DEUXIÈME HOMÉLIE. Que c'est un grand bien, non-seulement de s'attacher à la pratique de la vertu, mais encore de louer la vertu ; que David gagna un plus beau trophée par sa clémence envers Seul, que par la mort de Goliath ; qu’ en agissant ainsi, il se fit plus de bien à lui-même qu'il n'en fit à Saul ; et sur la manière dont il se justifia devant celui-ci.

 

ANALYSE.

 

1° Qu'il est utile et bon de louer les hommes vertueux. — Sacrifice qu'offre David à Dieu, en lui immolant sa colère.

2° Triomphe de David, après cet acte d'humanité.

3° Comment il se justifie auprès de Saül, et fournit à celui-ci même l'occasion de se justifier. 4° Sage précaution de David, afin de prouver à Saül qu'il avait pu le tuer et l'avait épargné.

5° Sa douleur à la mort de Saül. — Larmes de l'auditoire : d'où saint Jean Chrysostome tire un sujet d'exhortation,

 

1. Vous avez applaudi, l'autre jour, à la patience de David, et moi, d'autre part, je vous ai félicités en moi-même de ce zèle 'de cette prédilection pour David. En effet, ce n'est pas seulement l'ardeur à poursuivre, à pratiquer la vertu, c'est encore l'admiration pour ceux qui la pratiquent , et l'empressement à les louer, qui nous procure une récompense digne d'ambition : de même que ce n'est pas seulement une conduite vicieuse, mais encore la louange accordée aux hommes vicieux qui nous expose à un redoutable châtiment, plus redoutable même. s'il faut le dire, au risque d'étonner, que celui dont sont menacés les gens adonnés au vice. La vérité de ce que j'avance est prouvée par le langage de Paul Après avoir énuméré toutes les espèces de vices, et avoir condamné tous ceux qui foulent aux pieds les lois du Seigneur, il poursuit en ces termes au sujet de ces mêmes personnes qui, ayant connu l'arrêt de Dieu , à savoir que ceux qui font ces choses sont dignes de mort, non-seulement les font, mais encore approuvent ceux qui les font : c'est pourquoi , ô homme! Tu es inexcusable. (Rom.I, 32 et II, 1.) Voyez-vous que s'il parle ainsi, c'est pour montrer que ce dernier crime est moins pardonnable que l'autre. Oui, il est moins grave, à l'égard du châtiment, de pécher que de louer les pécheurs, et cela se conçoit: car un pareil suffrage atteste une âme corrompue et atteinte d'un mal incurable. En effet, celui qui, tout en péchant, condamne la faute, pourra un jour, avec le temps, revenir à lui; mais quiconque approuve le vice, s'est ravi à lui-même le remède du repentir. Paul a donc raison de faire voir qu'il y a plus de gravité dans ce dernier cas que dans l'autre. Mais si les gens qui font l'éloge des actions criminelles encourent le même châtiment, ou un châtiment encore plus grave que ceux qui les commettent; ceux qui admirent et célèbrent les hommes vertueux participent aux couronnes promises à ceux-ci. Et c'est ce dont on peut voir encore la preuve dans l'Écriture. Dieu, en effet, dit à Abraham : Je bénirai ceux qui te bénissent, et je maudirai ceux qui te maudissent. (Gen. XII, 3.) On peut voir quelque chose de pareil jusque dans les jeux d'Olympie. En effet, ce n'est point seulement à l'athlète ceint de la couronne, ni à celui qui endure les fatigues et les sueurs, c'est encore au panégyriste de ce vainqueur que profite le chant de triomphe. Aussi, en louant ce généreux David de sa vertu, je vous loue aussi (566) du zèle que vous témoignez pour lui. C'est lui qui a lutté, qui a vaincu, qui a ceint la couronne; mais vous, par les éloges donnés à sa victoire, vous avez mérité d'emporter une bonne part des fleurs de cette couronne. Afin d'ajouter encore à votre plaisir et à votre richesse, je vais donc m'acquitter avec vous du reste de l'histoire. L'historien, après avoir rapporté les paroles, par lesquelles David demande la grâce de Saül, ajoute qu'il ne leur permit pas de se lever et de tuer Saül (I Rois, XXIV, 8), . faisant voir à la fois et l'ardeur de ces hommes à commettre le meurtre, et le courage de David. Cependant combien d'ennemis, même parmi ceux qui sont réputés sages, tout en répugnant eux-mêmes au meurtre, ne se décideraient pas à empêcher d'autres mains de l'accomplir. Tels ne furent point les sentiments de David: mais comme s'il avait entre les mains un dépôt, et qu'il dût en rendre compte, non-seulement il ne porte pas la main sur son ennemi, mais encore il arrête ceux qui voulaient le tuer, comme s'il n'était plus lui-même son ennemi, mais son garde-du-corps, son satellite fidèle: de sorte que l'on ne se tromperait pas en disant que David courut alors plus de danger que Saül. En effet, il n'engageait point un mince combat, en faisant tous ses efforts pour le dérober aux mauvais desseins des soldats: et il ne craignait pas tant d'être tué lui-même que de voir un de ces hommes se laisser emporter par la colère à frapper le roi. voilà pourquoi il entreprit l'apologie dont j'ai parlé. Les soldats étaient les accusateurs; Saül endormi, l'accusé; son ennemi le défendait; Dieu était juge, et son arrêt confirma l'opinion de David. En effet, sans l'assistance de Dieu, il n'aurait pu triompher de ces furieux mais la grâce de Dieu résidait sur les lèvres du prophète, et donnait un charme insinuant à ses paroles. D'ailleurs, David lui-même ne contribua point pour urne faible part au succès c'est parce que, de longue date, il avait inspiré ces sentiments à ses compagnons qu'au moment de la lutte il les trouva préparés et obéissants, car il ne s'était pas montré pour ses soldats un général, mais un prêtre: et dans ce jour la caverne était une église.

A la façon d'un évêque, il leur adresse une homélie: et après cette homélie, il offre un sacrifice merveilleux, inouï, non point en immolant un veau, en égorgeant un agneau, mais, ce qui était bien plus précieux, en faisant au Seigneur une offrande de douceur et de modération, en immolant son courroux déraisonnable, en tuant sa colère, en mortifiant ses membres terrestres. Lui-même, il fut la victime, le prêtre, l'autel. En effet, et la raison qui faisait cette offrande de douceur et de modération, et la modération et la douceur, et le coeur où cette offrande se célébrait, toutes ces choses étaient en lui.

2. Enfin, quand il eut offert ce glorieux sacrifice, consommé sa victoire, et que rien ne manqua à son trophée, le sujet de ces luttes, Saül, se leva, et sortit de la caverne, ignorant tout ce qui s'était passé. Et David sortit après lui ( I Rois , XXIV, 9 ), élevant au ciel des regards désormais assurés, et plus joyeux alors, qu'après avoir abattu Goliath , et avoir coupé la tête de ce barbare. En effet, cette dernière victoire était plus belle , le butin en était plus précieux, les dépouilles plus superbes, le trophée plus glorieux. Alors, il lui avait fallu une fronde, des pierres , une bataille rangée; cette fois la raison lui a suffi, sans armes il a remporté la victoire, sans avoir versé de sang il a érigé le trophée. Il revenait donc rapportant non plus la tête d'un barbare, mais un coeur mortifié, mais une colère vaincue : et ce n'est point dans Jérusalem qu'il consacra ces dépouilles, mais dans le ciel, dans la cité d'en-haut. On ne voyait plus les femmes s'avancer à sa rencontre en dansant, en le saluant de leurs acclamations: mais le peuple des anges lui applaudissait là-haut, admirant sa sagesse et sa vertu. Car il revenait après avoir fait mille blessures à son adversaire, non à Saül, qu'il avait sauvé, mais à son véritable ennemi, le diable, qu'il avait percé de mille coups. Car ainsi que nos colères , nos luttes, nos chocs mutuels réjouissent et charment le diable: ainsi la paix, la concorde , les victoires remportées sur la colère, l'abattent au contraire et l'humilient, attendu qu'il déteste la paix, qu'il est l'ennemi de la concorde, et le père de la jalousie. David sortait donc de la caverne, une couronne sur la tête, une couronne aussi dans cette main qui valait un monde. En effet, de même que ceux qui se sont signalés au jeu du pancrace ou du pugilat, reçoivent souvent des juges une couronne dans la main, avant d'en recevoir une sur la tête: ainsi Dieu couronnait cette main qui avait eu la force de rapporter son épée sans tache, de montrer à Dieu une lame pure de sang, et de résister à un pareil assaut (567) de colère. Ce n'est pas le diadème de Saül, c'est la couronne de justice qui le décorait; ce n'était point la pourpre royale, c'était une sagesse supérieure aux forces humaines qui le revêtait d'un éclat devant lequel aurait pâli la robe la plus magnifique.

Il sortit de la caverne avec la même gloire que les trois enfants sortirent de la fournaise. Le feu ne les consuma point : l'incendie de la colère ne put l'embraser. Le feu qui venait du dehors ne leur fit point de mal : mais lui, qui portait en lui-même des charbons ardents, et qui voyait le diable attiser du dehors le feu de la fournaise, sut résister et à la vue de son ennemi, et aux exhortations des soldats, et à la facilité du meurtre , et au délaissement de celui qu'il avait entre les mains, et au souvenir du passé, et aux angoisses de l'avenir; et certes, les sarments, la poix, les étoupes, et tous les combustibles entassés dans la fournaise de Babylone, ne donnaient pas une plus vive flamme : il n'en fut point consumé, il n'éprouva rien de ce qu'on devait présumer; il sortit pur, et la vue de son ennemi fut ce qui l'éleva au plus haut point de sagesse. Le voyant endormi, immobile, impuissant, il se dit : Où est maintenant cette colère? où est cette scélératesse? où sont tant d'artifices et de trames perfides? Tout a disparu, tout a fui devant un moment de sommeil; le roi repose enchaîné, sans que nous ayons eu recours pour cela à aucun complot, à aucun manège. Il le voyait endormi et il méditait sur la mort qui nous attend tous également. Car, qu'est-ce que le sommeil, sinon une mort temporaire, un trépas quotidien? Il n'est point hors de propos ici de rappeler encore l'histoire de Daniel. Daniel sortait de la fosse, après avoir triomphé des bêtes carnassières . de même David quittait la caverne, vainqueur d'autres monstres plus redoutables. Les lions entouraient de tous côtés cet autre juste : ainsi le nôtre était en butte aux attaques de lions sans égaux en férocité, je veux dire des passions : d'un côté, le ressentiment du passé, de l'autre, la crainte de l'avenir : David, néanmoins, sut apaiser, brider ces bêtes féroces, faisant voir par sa conduite qu'il n'y a rien de plus sûr que d'épargner ses ennemis, rien de plus dangereux que de vouloir se venger et se faire justice. Car, celui qui avait voulu tirer satisfaction était là, nu, désarmé, sans secours, à la merci d'autrui comme un prisonnier : au contraire, celui qui lui cédait et lui obéissait constamment, celui qui n'avait pas voulu poursuivre même une juste réparation, celui-là, sans stratagèmes, sans armes, sans chevaux, sans armée, voyait son ennemi tomber entre ses mains : et ce qui surpassait tout, il se rendait plus agréable à Dieu.

3. En effet, si je proclame heureux notre saint, ce n'est point pour avoir vu son ennemi gisant à ses pieds, c'est pour l'avoir épargné lorsqu'il le tenait en son pouvoir. Car c'est la puissance de Dieu qui lui valut cette rencontre : mais il ne dut le reste qu'à sa propre sagesse. Comment doit-on supposer que ses soldats se comportèrent désormais à son égard ? Quelle affection ne durent -ils pas éprouver pour lui? S'ils avaient eu mille vies, n'auraient-ils pas été tout prêts à les sacrifier pour leur chef, instruits par l'exemple de sa sollicitude envers un ennemi, du dévouement qui devait l'animer pour les siens? Humain et charitable pour ses persécuteurs, comment n'aurait-il pas eu les mêmes dispositions pour ceux qui lui étaient attachés? C'étaient pour eux la plus forte garantie de sécurité. Mais ils ne lui étaient pas seulement plus attachés, ils étaient encore plus ardents à marcher contre les ennemis, sachant que Dieu combattait pour eux, ne cessait d'assister leur général et de seconder toutes ses entreprises. Ce n'est plus un homme, c'est un ange qu’ils voyaient en David. Et en attendant la rémunération divine, ici-bas même, celui-ci gagna plus à sa propre clémence que celui qu'il avait sauvé, et remporta une plus éclatante victoire, que s'il avait immolé Saül. En effet, quel profit comparable à celui de sa miséricorde lui aurait valu le meurtre de son ennemi? Songez donc, vous aussi, si jamais votre persécuteur tombe en votre pouvoir, qu'il est bien plus grand et bien plus avantageux de faire grâce que de tuer. Celui qui a tué se condamnera plus d'une fois lui-même, il aura la conscience troublée, poursuivi chaque jour, à toute heure, par son péché. Au contraire, celui qui a fait grâce, qui a su se maîtriser un instant, est ensuite dans la joie et la béatitude; il vit dans une heureuse espérance, comptant que Dieu récompensera sa patience. Si jamais il lui survient quelque calamité, avec une entière confiance, il demandera à Dieu son salaire : c'est ainsi que tous ces biens échurent à David et qu'il reçut plus tard de Dieu d'amples et merveilleuses récompenses , pour prix de sa (568) sollicitude envers cet ennemi. Mais voyez la suite. David, dit l'Ecriture, sortit de la caverne derrière Saül, et il cria derrière lui, disant Roi, mon seigneur. Et Saül regarda derrière lui, et David tomba la face contre terre et il l'adora. Voilà qui ne fait pas moins d'honneur que d'avoir sauvé son ennemi. Car ce n'est point le fait d'une âme commune que de ne pas se laisser enfler par les services rendus au prochain, on plutôt de ne pas faire comme le grand nombre, qui montrent à leurs obligés le dédain qu'on a pour des esclaves, et les regardent avec hauteur.

Bien loin de se comporter ainsi, le bienheureux David, après son bienfait, n'en était que plus modeste et cela, par la raison qu'il ne faisait honneur d'aucune de ces bonnes oeuvres à son propre zèle et qu'il rapportait tout à la grâce divine. Voilà pourquoi ce sauveur adore celui qu'il a sauvé, le salue ensuite du nom de roi et s'appelle lui-même serviteur afin de vaincre par cette attitude l'altier ressentiment de Saül, d'apaiser son courroux, de guérir sa jalousie. Mais écoutons dans quels termes il se justifie : Pourquoi prêtes-tu l'oreille aux propos du peuple, disant : Voici que David recherche ta vie? (I Rois, XXIV, 10.) Cependant le narrateur a dit plus haut que tout le peuple était avec David, qu'il agréait aux yeux des serviteurs du roi, que le fils du maître et toute l'armée lui étaient attachés de coeur. Comment donc peut-il dire ici qu'il v avait des gens qui le dénonçaient, le calomniaient et qui excitaient Saül? En effet, que Saül ne cédait point à l'impulsion d'autrui, mais bien à la méchanceté innée dans son coeur en persécutant le juste, c'est ce que montre l'écrivain sacré en disant que les éloges donnés à David firent naître l'envie chez Saül et que cette envie ne faisait que croître et progresser chaque jour. Pourquoi donc David rejette-t-il la faute sur d'autres personnes, en disant : Pourquoi prèles-tu l'oreille aux propos du peuple, disant : Voici que David recherche ta vie? C'est pour lui donner la faculté de revenir à de meilleurs sentiments. Souvent les pères agissent de la sorte avec leurs enfants : viennent-ils à s'apercevoir que leur fils est perverti, qu'il a commis beaucoup de mauvaises actions, quand bien même ils se seraient assurés que c'est son propre instinct, sa propre volonté qui l'a poussé au vice,cela n'empêche pas que souvent ils ne rejettent le tort sur d'autres en disant : Je sais que ce n'est pas ta faute; d'autres t'ont séduit et gâté, c'est d'eux que vient tout le tort. En effet, il est plus facile à celui qui s'entend tenir ce langage de détourner ses yeux du vice et de revenir à la vertu, parce qu'il aurait honte et rougirait de paraître indigne de l'opinion qu'on a sur son compte. Paul emploie aussi ce moyen dans son épître aux Galates. Après les longs et nombreux avertissements, les reproches inouïs dont cette lettre est remplie, quand il arrive au bout, voulant les décharger de ces accusations, afin qu'ils eussent le temps de respirer après cette énumération de griefs et le moyen de se justifier, il s'exprime à peu près en ces termes : J'ai en vous cette confiance que vous n'aurez point d'autres sentiments; mais celui qui vous trouble en portera la peine, quel qu'il soit. (Gal. V, 10.) Ainsi fait David en cette occurrence. En disant : Pourquoi prêtes-tu l'oreille aux propos du peuple, disant : Voici que David recherche ta vie? il, fait entendre qu'il y a d'autres personnes qui excitent Saül, d'autres personnes qui le corrompent dans son empressement à lui fournir un moyen de justification. Puis, entamant sa propre apologie, il ajoute : Et voici que tes yeux ont vu aujourd’hui que le Seigneur t'a livré entre mes mains dans la caverne, et je n'ai pas voulu te tuer, et je t'ai épargné, et j'ai dit: Je ne porterai pas la main sur mon seigneur parce qu'il est l'oint du Seigneur. (I Rois, XXIV, 11.) Ces personnes m'accusent par des paroles, veut-il dire; mais moi, je me justifie par des actes, c'est par ma conduite que je réfute l'accusation. Je n'ai pas besoin de discours; l'issue même des événements suffit à démontrer plus clairement que tout discours ce que c'est que ces gens, ce que je suis moi-même et qu'enfin tout est mensonge et calomnie dans les accusations dirigées contre moi. Et pour le certifier je n'invoque pas d'autre témoin que toi-même, toi que j'ai obligé.

4. Et comment, dira-t-on, Saül pouvait-il en témoigner, puisqu'il était endormi tandis que ces choses se passaient, qu'il n'avait pas entendu ce qui s'était dit, qu'il ne s'était pas aperçu de la présence de David, ne l'avait pas vu s'entretenir avec les soldats? Mais comment prévenir cette objection de telle sorte que la démonstration devienne évidente? Si David avait produit en témoignage les personnes qui étaient alors avec lui, Saül aurait suspecté leur déclaration, il aurait cru qu'ils parlaient (569) ainsi pour faire plaisir au juste. D'autre part, si David avait appelé le raisonnement et les probabilités à son secours, il aurait excité encore bien plus de défiance chez ce juge partial et prévenu. Comment, en effet, lui qui après tant de services rendus s'acharnait contre un innocent, aurait-il pu croire que la victime tenant en ses mains son persécuteur, l'avait épargné? Car la loi générale est que la plupart des hommes jugent les autres d'après eux-mêmes : ainsi l'ivrogne d'habitude se persuadera difficilement qu'il existe un homme vivant dans la tempérance; celui qui fréquente les prostituées prête son incontinence à ceux même qui vivent chastement; de même encore, celui qui prend le bien d'autrui ne se laissera pas facilement convaincre que des hommes ont été jusqu'à faire le sacrifice de leurs biens. Ainsi Saül, une fois en proie à son ressentiment, aurait eu peine à croire qu'il existait un homme assez maître de cette passion, non-seulement pour ne pas infliger de mauvais traitements, mais encore pour sauver celui qui l'avait maltraité. Aussi David, sachant que le juge était gagné, et que les témoins qui pourraient être produits seraient nécessairement en butte au soupçon, David avisa à se munir d'une preuve capable de fermer la bouche aux plus impudents. — Quelle preuve donc? Le morceau du manteau il le présenta à Saül, et lui dit: Voici dans ma main le morceau du manteau, que j'ai dérobé, et je ne t'ai point donné la mort. (I Rois, XXIV, 12.) Témoin muet, mais plus éloquent que ceux qui ont la parole. C'est comme si David avait dit : Si je n'avais été près de toi; si je n'avais été à portée de ta personne, je n'aurais pas coupé ce lambeau de ton vêtement. Voyez-vous quel bien résulta pour David, du trouble qu'il avait éprouvé d'abord? S'il n'avait pas ressenti un mouvement de colère, il nous eût été impossible de comprendre sa sagesse ; car la plupart auraient attribué sa modération, non à la sagesse, mais à l'insensibilité; et il n'aurait pas non plus entamé le manteau : or, faute de l'avoir fait, il n'aurait eu aucun gage à produire aux yeux de son ennemi. Mais grâce à cette colère et à cette précaution, il donna une preuve irréfragable de sa prévoyance. Quand donc il a produit ce témoignage vrai, irrécusable, c'est Saül désormais, c'est son ennemi lui-même qu'il prend pour juge et pour témoin de son dévouement, en lui disant : Connais et vois aujourd'hui qu'il n'y a sur ma main ni iniquité ni irrévérence et toi, tu tends des piéges à ma vie, afin de me la ravir. (Ib.) C'est en ceci particulièrement qu'il faut admirer sa magnanimité, qu'il se sert uniquement des événements de ce jour pour se défendre. C'est à quoi il fait allusion en disant : Connais et vois aujourd'hui. Je ne dis rien du passé, veut-il faire entendre; la présente journée suffit à ce que je veux établir. Cependant il n'aurait pas manqué de grands services à énumérer, s'il avait voulu retourner en arrière : il pouvait rappeler à Saül le combat singulier que lui-même avait soutenu contre le barbare, et dire : — Quand l'armée barbare allait inonder, comme un déluge, et dévaster tout le royaume, quand vous étiez plongés dans la stupeur et dans la crainte et que chaque jour vous vous attendiez à mourir, j'ai paru : rien ne m'y forçait, au contraire tu me retenais, tu m'arrêtais, en me disant : Tu ne pourras marcher, parce que tues un jeune enfant, tandis que cet homme est guerrier dès sa jeunesse; j'ai résisté, j'ai bondi au premier rang, j'ai attendu l'ennemi, je lui ai coupé la tête; j'ai réprimé l'invasion de ces barbares, pareille à un torrent ; j'ai raffermi l'Etat ébranlé; c'est grâce à moi que tu as conservé la couronne et la, vie, c'est à moi que tous les autres doivent, outre la vie, la ville, les maisons qu'ils habitent, leurs enfants et leurs femmes. Et après ce triomphe, il aurait eu à citer bien d'autres victoires non moindres. Il aurait pu dire qu'une, deux fois et plus, Saül avait essayé de le tuer, et avait dirigé la lance contre sa tête, sans lui laisser de rancune; qu'après cela, lui devant la récompense de son précédent exploit, il lui avait demandé pour présent de noces, non de l'or et de l'argent, mais un carnage, une extermination; et que cela encore, il l'avait obtenu. Il aurait pu dire tout cela, et bien d'autres choses encore plus importantes : mais il n'en fit rien. Car il ne voulait pas reprocher ses bienfaits à Saül, mais seulement le convaincre, qu'il était pour lui un ami dévoué, et non pas un traître ni un ennemi.

Voilà pourquoi il laisse de côté tous ces arguments, pour faire figurer seulement dans son apologie l'événement de ce jour même. Tant il était exempt d'orgueil et pur de toute vanité , tant il est vrai qu'il n'avait en vue qu'une chose la volonté de Dieu. — Il dit ensuite: Que le (570) Seigneur soit juge entre nous deux (I Rois, V,13) : non qu'il souhaitât la punition de Saül, ni qu'il voulût en tirer vengeance, mais afin de l'effrayer en lui remettant en mémoire le futur jugement, et non-seulement de l'effrayer, mais encore de justifier sa propre conduite. Les faits eux-mêmes, veut-il dire, me fournissent toutes les preuves désirables: si pourtant tu conserves un doute, je prends Dieu lui-même à témoin, Dieu qui connaît les mystères de la pensée de chacun, et qui sait sonder la conscience.

5. En disant cela, il voulait faire entendre qu'il n'aurait pas osé invoquer l'infaillible Juge, et appeler le jugement sur sa tête, s'il n'était pas bien assuré de sa parfaite innocence. Et que ce n'est point ici une conjecture, que David, en faisant mention du grand jugement, voulait et se justifier lui-même, et ramener Saül à la raison, c'est ce que les faits précédents seraient déjà suffisants à prouver; mais ceux qui suivirent n'en fournissent pas un moins fort témoignage. En effet, Saül étant retombé ensuite entre ses mains, après avoir reconnu le bien fait de son salut par de nouvelles entreprises contre la vie de son sauveur, David, qui pouvait le massacrer avec toute son armée, le relâcha, saris lui avoir infligé aucun des traitements qu'il méritait. Alors, voyant que la maladie du roi était incurable, désespérant de jamais fléchir la haine que lui-même lui inspirait, il se déroba aux regards de son ennemi, et vécut chez les barbares, esclave, obscur, honteux, se procurant par le travail et la peine ce qui était nécessaire à sa subsistance. Et ce n'est pas là tout ce qu'il faut admirer en lui, c'est encore qu'en apprenant la mort de Saül, tué dans un combat, il ait déchiré sa robe, qu'il se soit couvert de cendres, et qu'il ait éclaté en gémissements comme s'il avait perdu un fils unique et légitime, ne cessant de répéter à haute voix et son nom et celui de son fils, chantant ses louanges, poussant des cris plaintifs, restant jusqu'au soir sans nourriture, et maudissant jusqu'aux lieux teints du sang de Saül: Montagnes de Gelboé, dit-il, que ni rosée, ni pluie ne tombe sur vous, montagnes de mort, parce que là sont tombés les boucliers des forts. (II Rois, I, 21.)

Comme ces pères en deuil qui prennent leur demeure en aversion, qui considèrent avec douleur la rue par laquelle ils ont conduit la pompe funèbre de leur fils, David maudit les montagnes mêmes que e meurtre avait ensanglantées. Je hais jusqu'à l'endroit, dit-il; à cause de ceux qui y sont tombés morts. Que les pluies d'en-haut cessent donc de vous arroser; il suffit que vous ayez été arrosées, hélas ! du sang de mes amis; et à chaque instant, il fait revenir leurs noms : Saül et Jonathan, ces hommes aimables et beaux, n'avaient pas été séparés durant leur vie, et ils ne le furent pas dans la mort. Faute d'avoir auprès de lui leurs cadavres pour les serrer dans ses bras, il les embrasse par leurs noms, afin d'apaiser par ce moyen, autant qu'il était en lui, sa propre douleur, et de tromper l'excès de son infortune. Beaucoup regardaient comme un irréparable malheur la mort du père et du fils dans une seule journée ; David trouve en cela même un sujet de consolation. Car ces mots: Ils n'avaient pas été séparés durant leur vie, et ils ne le furent pas dans la mort, ne sont pas dits dans une autre intention. On ne peut dire, veut-il faire entendre, que le fils ait à pleurer son père, le père à gémir sur son fils; ce qui n'arrive à personne est arrivé pour eux, c'est en même temps, c'est dans la même journée que la vie leur a été arrachée, il n'y a pas eu de survivant. Car il pensait qu'une séparation aurait rendu la vie insupportable à celui qui l'aurait conservée. Vous êtes attendris, vous pleurez, l'émotion trouble vos pensées, vos yeux sont devenus prompts aux larmes? Eh bien ! que chacun de vous songe maintenant à son ennemi, à l'auteur de ses peines, tandis que la douleur palpite encore dans son sein. Veillez sur lui sa vie durant, prenez le deuil après sa mort, non par ostentation, mais du fond de l'âme et dans la sincérité du coeur ; et, quand il faudrait souffrir quelque chose pour ne pas affliger celui qui vous a fait tort, sachez tout faire et tout endurer, dans l'espérance d'être amplement récompensé par le Seigneur. Voyez David : il obtint la royauté, et sans tremper ses mains dans le sang, la droite toujours pure, il ceignit la couronne, il monta sur le trône, avec un titre de gloire plus éclatant que la pourpre et le diadème, sa clémence envers un ennemi, les pleurs que lui avait arrachés la mort de Saül. Aussi, maintenant qu'il n'est plus, célèbre-t-on encore sa mémoire. Ainsi donc, si tu veux, toi aussi, jouir même ici-bas d'un perpétuel renom, et posséder là-haut les biens éternels, homme, irrite la vertu de ce geste, prends sa sagesse pour modèle, fais preuve en ta conduite de la même patience, afin qu'ayant supporté les mêmes épreuves (571) que David, tu sois jugé digne des mêmes biens; lesquels je souhaite à nous tous, tant que nous sommes, d'obtenir, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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