NOMS III

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DAVID ET SAUL II
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TROISIÈME HOMÉLIE. A ceux qui critiquaient la longueur de ses exordes; — Qu'il est utile de supporter patiemment les réprimandes; — Pourquoi le nom de saint Paul ne fut pas changé tout de suite après sa conversion; — Que ce changement ne se fit pas de nécessité mais en conséquence d'une libre volonté, et sur ce mot ; — Saul ! Saul ! pourquoi me persécutes-tu ! »(Act. IX, 4.)

 

ANALYSE.

 

1°-2° On avait reproché à saint Chrysostome, et non sans raison peut-être, de faire de trop longs exordes. Ce reproche devient ici l'occasion d'un exorde encore beaucoup plus long que les autres, dans lequel le facile et brillant orateur développe ces pensées :que les blessures que font les amis sont moins dangereuses que les baisers empressés des ennemis; que les remontrances sont. avantageuses à ceux qui les reçoivent comme à ceux qui les font, et qu'il est beau de savoir les accueillir; chemin faisant et pour prouver ce qu'il avance, il nous donne un admirable, quoiqu'un peu verbeux commentaire de ce passage de l'exorde où Moise, averti par Jéthro, son beau-père, choisit des hommes sages et éclairés pour l'aider à juger tous les différends du peuple d'Israël. — 3° L'orateur donne plusieurs raisons de la longueur de ses exordes. Il résume sa précédente instruction. Pourquoi le nom de l'apôtre saint Paul fut-il changé? pourquoi ne le fut-il pas sur-le-champ après sa conversion? — 4° Commentaire de ces paroles : Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? etc., jusqu'à : Je suis Jésus que tu persécutes. — 5°-6° La conversion de saint Paul fut libre.

 

1. Le proche nous a été adressé, par quelques-uns de nos bien-aimés frères, d'être long dans nos exordes. Si ce reproche est mérité ou non, vous en déciderez après nous avoir entendu à notre tour; c'est à votre impartiale sentence que je remets le jugement de cette affaire. Avant que je me justifie, je dois dire à ceux qui font ces critiques que je leur en sais gré, car elles leur sont inspirées par un intérêt bienveillant, et nullement par la malignité. Et celui qui m'aime, ce n'est pas seulement lorsqu'il me loue, mais aussi lorsqu'il me critique pour me corriger, que je tiens à lui exprimer réciproquement mon amitié. Louer indistinctement et ce qui est bien et ce qui est mal, ce n'est pas le fait d'un ami, mais d'un trompeur et d'un moqueur; louer ce qui est convenable et blâmer ce qui ne l'est pas, c'est faire l'office d'un ami, d'un homme qui nous porte intérêt. Et, pour preuve que les louanges et les compliments prodigués à tort et à travers ne sont pas le signe d'une sincère amitié, mais bien de la fourberie, je vous citerai cette parole d'Isaïe : Mon peuple, ceux qui vous félicitent vous séduisent, et ils rompent le chemin par où vous devez marcher. (Is. III, 12.) Je repousse donc les louanges mêmes d'un ennemi; mais le blâme d'un ami, j'en ferai toujours le plus grand cas. Les baisers de l'un me sont déplaisants, les blessures de l'autre me font plaisir; je me défie de celui-là lorsqu'il me baise, et je sens l'intérêt que me porte celui-ci jusque dans les blessures. qu'il me fait. Oui, dit le Sage, il y a plus à se fier aux blessures d'un ami qu'aux baisers empressés d'un ennemi. (Prov. XXVII, 6.) Que dites-vous, homme sage? Des blessures meilleures que des baisers ! Oui, dit-il, car je fais attention non à la nature des actes, mais à l'intention de ceux qui les font.

Voulez-vous que je vous montre que les blessures d'un ami sont moins à craindre que les baisers empressés d'un ennemi? Judas baisa le Seigneur, mais son baiser était plein de trahison : il y avait du venin dans sa bouche, sa langue était remplie de malice; Paul, au contraire, frappa l'incestueux de Corinthe, et il le guérit. Et comment le frappa-t-il? en le livrant à Satan : Livrez, dit-il, cet homme à Satan pour la mort de sa chair. Pourquoi? Afin que son esprit soit sauf aie jour du Seigneur Jésus.

 

83

 

Voilà des blessures qui sauvent et voilà des baisers qui trahissent. Ainsi, rien de plus vrai, il y a plus à se fier aux blessures d'un ami qu'aux baisers empressés d'un ennemi. Des hommes, passons à Dieu et au démon pour la vérification de cette même maxime. Dieu est notre ami, le démon notre ennemi; l'un est un sauveur et un protecteur, l'autre un fourbe qui s'acharne à nous perdre. Or, celui-ci nous a baisés autrefois, et celui-là nous a frappés. Comment celui-ci nous a-t-il baisés et celui-là frappés? Le voici : le démon a dit : Vous serez comme des dieux, et Dieu a dit : Tu es terre et tu retourneras en terre. (Gen. III, 5 et 19.) Lequel des deux nous a mieux servis, de celui qui a dit : Vous serez comme des dieux, ou de celui qui a dit : Tu es terre et tu retourneras en terre? Dieu menaça de mort nos premiers parents, le démon leur promit l'immortalité. Or, celui qui leur avait promis l'immortalité les fit chasser même du paradis, et celui qui les avait menacés de mort les a reçus dans le ciel, eux et leurs descendants. Nouvelle preuve qu'il y a plus à se fier aux blessures d'un ami qu'aux baisers empressés d'un ennemi. Donc, je le répète, je sais gré à ceux qui me blâment de leurs critiques; car, fondés ou non fondés, leurs reproches sont faits dans l'intention non d'injurier, mais de corriger; mais les blâmes même justes des ennemis tendent non pas à corriger, mais à décrier. Les uns, lorsqu'ils louent, encouragent à mieux faire; les louanges des autres sont des piéges où ils veulent faire tomber ceux qui en sont l'objet.

Au reste, de quelque manière que se présente le blâme, c'est toujours un grand bien de le supporter sans s'irriter. Celui, dit l'Écriture, qui hait la réprimande est un insensé. (Prov. XII, 1.) L'auteur ne dit pas telle ou telle réprimande, il dit simplement la réprimande. Un ami vous fait un reproche juste, corrigez votre défaut; le blâme tombe-t-il à faux, louez du moins votre ami de sa bonne intention, voyez le but et reconnaissez un soin amical : la bienveillance a produit le blâme. Ne nous irritons pas lorsqu'on nous reprend. Quel avantage ce serait pour notre vie si, recevant des représentations de tous nos amis sans nous piquer, nous leur rendions nous-mêmes charitablement le service de les avertir de leurs défauts ! Les représentations sont aux défauts ce que les remèdes sont aux plaies, et l'on n'est pas moins déraisonnable de repousser les unes que les autres. Mais, la plupart du temps, l'on s'indigne d'être repris, on se dit à soi-même Quoi ! avec ma capacité et mon savoir, je me laisserais faire la leçon par cet homme ! On tient ce langage, sans songer qu'on donne ainsi une grande preuve de folie. Car, dit le Sage, espérez mieux de l'insensé que de l'homme qui se croit sage. (Prov. XXVI, 12.) Saint Paul dit de même: Ne soyez pas sages à vos propres yeux  (Rom. XII, 16.)

Soit, votre sagesse, votre perspicacité est admirable; malgré tout vous êtes homme, et vous avez besoin de conseils. Dieu seul ne manque de rien; seul il n'a pas besoin qu'on le conseille, lui de qui il est écrit: Qui connaît la pensée du Seigneur, où qui a été son conseiller? (Rom. XI, 34.) Mais nous autres hommes, si sages que nous soyons, nous méritons souvent qu'on nous reprenne, et nous laissons souvent voir la faiblesse de notre nature. Car tout ne peut pas se trouver dans les hommes, dit l'Ecclésiastique (XVII, 29), par la raison, ajoute-t-il, que le fils de l'homme n'est pas immortel. Quoi de plus lumineux que le soleil? et néanmoins il s'éclipse. Or, de même que l'obscurité vient parfois surprendre, au milieu de ses plus vives splendeurs, cet astre si brillant et lui dérober tous ses rayons; ainsi, pendant que notre intelligence resplendit comme à son zénith, revêtue de toutes ses clartés, souvent il lui survient une défaillance de pensée qui la laisse tout à coup sans lumière. Alors le sage n'aperçoit plus le devoir, tandis que parfois un moins sage le distingue d'une vue beaucoup plus pénétrante et plus sûre. Et cela arrive afin que le sage ne s'exalte pas et que le simple ne se décourage pas.

C'est un grand avantage de savoir souffrir les remontrances; pouvoir en présenter est aussi un grand avantage en même temps qu’une marque certaine de l'intérêt qu'on porte au prochain. Voyons-nous quelqu'un porter de travers et mal liée sa tunique ou quelque autre partie de son vêtement, aussitôt nous l'avertissons; mais si c'est sa vie qui est dissolue, nous ne prenons pas la peine de lui adresser une parole. Nous voyons une vie qui n'est pas selon les convenances et nous passons. Et cependant les travers dans le vêtement, on en est quitte Four quelques rires essuyés; mais les fautes de l'âme, c'est aux plus graves périls qu'elles exposent, c'est par les plus sévères châtiments qu'on les expie. Quoi ! vous voyez votre frère qui se jette (84) dans un précipice, qui ne fait nul effort pour sauver sa vie, qui ne voit pas le péril, et vous ne lui tendez pas la main, et vous ne le relevez pas de sa chute ! et vous n'avez à lui offrir ni avertissement ni remontrance ! Vous l'empêchez de tomber dans le ridicule, de manquer aux bienséances, et quand il y va de son salut, vous ne vous en inquiétez nullement ! Quelle justification, quelle excuse aurez-vous à présenter au tribunal de Dieu? Ne savez-vous pas l'ordre donné de Dieu aux Israélites de ne pas négliger la bête égarée d'un ennemi, et lorsqu'elle tombe en un précipice de ne pas passer à côté sans la relever? (Exod. XXIII, 4, 5; Deut. XXII, 1.) Voilà les Israélites à qui il est prescrit de ne pas négliger la bête de somme d'un ennemi, et nous, nous verrons avec indifférence l'âme de notre frère tomber chaque jour dans les piéges du démon ! Quelle barbarie, quelle inhumanité de s'intéresser moins à des hommes qu'ils ne s'intéressent à des bêtes ! Oui, ce qui perd tout, ce qui confond tout dans notre vie, c'est que nous ne souffrons pas qu'on nous reprenne, et que nous ne nous soucions pas de reprendre les autres. Nos remontrances ne sont trouvées désagréables que parce que nous repoussons avec colère celles qu'on nous présente. Si votre frère vous savait disposé à bien accueillir ses observations et à l'en remercier, lui-même, lorsque vous l'avertiriez, vous rendrait certainement la pareille. .

2. Voulez-vous vous convaincre que, même lorsque vous êtes un homme instruit, parfait, parvenu au faîte le plus élevé de la vertu, vous avez encore besoin de conseil, de correction, de remontrance ? Ecoutez une antique histoire. Rien n'était égal à Moïse. Il était, dit l'Ecriture, le plus doux des hommes (Nom. XII, 3), ami de Dieu, éclairé des lumières de l'Esprit; divin, il possédait en outre toute la sagesse humaine. Moïse, dit encore l'Ecriture, fut instruit de toute la sagesse des Egyptiens. Vous voyez bien que c'était un homme d'une science accomplie. Et il était puissant en parole et en vertu. Ecoutez encore un autre témoignage : Dieu a conversé avec beaucoup de prophètes, mais il n'a conversé avec aucun autre comme il l'a fait avec Moïse. (Deut. XXXIV, 10.) Quelle plus grande preuve de sa vertu voulez-vous que celle que Dieu donne en s'entretenant avec son serviteur comme avec un ami? Sagesse étrangère, sagesse domestique, il réunissait tout. Il était puissant en parole et en oeuvre. Il commandait à la création, ami qu'il était du Maître de la création. Il emmena d'Egypte tout un grand peuple. Il sépara les eaux de la mer et les réunit, et il parut alors un prodige que le soleil. voyait pour la première fois, une mer traversée non en vaisseau, mais à pied, battue non par la rame et l'aviron, mais parles pieds des chevaux. (Exod. XXXIII, 11.)

Eh bien ! ce sage, ce puissant en parole et en oeuvre, cet ami de Dieu, cet homme qui commandait à la création, cet auteur de tant de prodiges, ne remarqua pas une chose si simple que tous les hommes,la pouvaient comprendre. Ce fut son beau-père, un barbare, un homme simple qui la remarqua et la proposa; et ce grand homme ne l'avait pas trouvée. Mais, quelle était cette chose ? Ecoutez, et vous saurez que chacun a besoin de conseil, fût-ce un autre Moïse, et que ce qui échappe aux plus grands, aux plus intelligents des hommes, se découvre souvent aux petits et aux simples. Lorsque Moïse fut sorti de l'Egypte avec le peuple de Dieu, et qu'il était dans le désert, tous les Israélites, au nombre de six cent mille, venaient devant lui pour lui faire juger leurs différends. Témoin de ce fait, son beau-père, Jéthro, un homme simple, qui passait sa vie dans le désert, qui n'avait aucune habitude des lois et du gouvernement, et, ce qui prouve encore mieux son ignorance, qui adorait les faux dieux, quoi de plus grossier ! toutefois ce barbare, ce gentil, cet ignorant s'aperçut, que Moïse s'y prenait mal, et il en reprit ce sage, cet esprit éclairé, cet ami de Dieu. Il lui demanda pourquoi tous ces hommes venaient à lui, et en ayant appris. le motif, il lui dit : Tu ne fais pas bien. (Exod. XVIII, 14, 17.) Et à la réprimande il joignit le conseil, et loin de s'en fâcher, Moïse accueillit l'une et l'autre; Moïse le sage, l'esprit éclairé, l'ami de Dieu, le chef d'un si grand peuple. Ce n'était cependant pas .peu de chose de recevoir une leçon d'un barbare, d'un ignorant. Les étonnants miracles qu'il faisait, la grandeur du pouvoir qu'il exerçait ne l'enflèrent point, il ne rougit point d'être repris en présence doses subordonnés. Il comprit que ses grands prodiges ne l'empêchaient pas d'être toujours homme, par conséquent d'ignorer beaucoup de choses, et il reçut avec douceur le conseil qu'on lui donnait. Or, combien n'en voit-on pas qui, pour ne pas paraître avoir besoin de conseil,aiment mieux trahir l'intérêt de la cause qu'ils servent que de corriger leur tort (85) en profitant d'un bon avis? Ils préfèrent ignorer plutôt que de s'instruire, ne sachant pas que l'on est blâmable non de s'instruire, mais d'ignorer; non d'apprendre, mais de persister dans son ignorance; non d'être repris, mais de s'opiniâtrer à mal faire.

Oui, je le répète, l'homme le plus ordinaire et le plus simple trouve souvent ce qui échappe aux grands génies. Moïse le comprit, et il écouta avec douceur le conseil que lui donna son beau-père, disant : Etablis des chefs de mille, de cent, de cinquante et de dix hommes, ils te rapporteront les causes difficiles, et jugeront eux-mêmes les plus faciles. (Exod. XVIII, 21, 22.) Oui, Moïse écouta ce conseil sans que son amour-propre en fût blessé, sans rougir, sans être embarrassé de la présence de ses subordonnés; il ne se dit pas à lui-même : Je vais me faire mépriser de ceux qui m'obéissent, si, étant chef, je me laisse enseigner mes devoirs par un autre. Il reçut l'avis et le mit en pratique, il n'eut honte ni des contemporains, ni de la postérité; bien plus, comme s'il eût voulu tirer vanité de la remontrance de son beau-père, il l'a, par ses écrits, portée à la connaissance des hommes, non-seulement de son temps, mais encore de tous ceux qui sont venus après jusqu'à ce jour, et de tous ceux qui fouleront encore la terre jusqu'à l'avènement du Fils de Dieu; il n'a pas craint de publier à la face du monde qu'il n'avait pas su voir par lui-même ce qu'il fallait, et qu'il avait été redressé par son beau-père. Et nous, pour un homme qui est témoin des réprimandes que l'on nous fait, on nous voit troublés, hors de nous-mêmes, doutant si nous pourrons survivre à notre humiliation. Tel n'était pas Moïse; les témoins sans nombre que son ceil apercevait devant lui aussi bien que dans la suite des âges ne le font pas rougir ni hésiter à confesser tous les jours dans son livre, à la face de l'univers, que son beau-père a découvert ce que lui-même n'avait pas -su découvrir. Pour quelle raison a-t-il transmis ce fait à la mémoire des hommes? Pour nous avertir de ne pas trop présumer de nous, quelque sages que nous soyons, de ne pas mépriser les conseils même des derniers de nos frères. Un bon conseil vous est offert, recevez-le, vînt-il d'un esclave; s'il est mauvais, rejetez-le, quelle que soit la dignité de celui qui le donne. Ce n'est pas la qualité du conseiller, mais la nature du conseil qu'il faut considérer. Moïse nous apprend donc à ne pas rougir d'une réprimande même en présence d'un peuple nombreux. C'est le fait d'une vertu qui n'a rien de vulgaire, et le propre de la sagesse la plus haute, que de supporter courageusement la réprimande. Nous n'admirons pas tant Jéthro de ce qu'il reprit Moïse que nous ne sommes étonnés de voir ce grand saint se laisser courageusement redresser en public par Jéthro, livrer le fait à la connaissance du genre humain, montrant ainsi, sans le savoir, combien grande était sa sagesse et petite l'importance qu'il attachait à l'opinion des hommes.

3. Mais voilà qu'en nous excusant de la longueur de nos exordes, nous en avons fait un plus long que jamais, un toutefois qui contient autre chose que de vaines paroles, puisque, chose très-grave et très-nécessaire, nous vous exhortons à supporter courageusement les remontrances, comme aussi à reprendre avec zèle et à redresser ceux qui font mal. Force nous est cependant de nous expliquer au sujet de cette prolixité qu'on nous reproche, et de dire pourquoi nos exordes ont cette étendue. Quelles sont donc nos raisons? Nous parlons à une grande multitude composée d'hommes ayant des femmes et des enfants à nourrir, des maisons à régir, le poids d'un travail quotidien à soutenir, d'hommes sans cesse plongés dans les préoccupations de cette vie. Le difficile ne vient pas seulement de ce qu'ils n'ont pas de loisir, mais surtout de ce que nous ne pouvons les avoir ici qu'une fois la semaine; il faut les mettre à même de nous suivre et de nous comprendre. Or, c'est par le moyen des exordes que nous essayons d'éclaircir ce qu'il pourrait y avoir d'obscur dans nos instructions. Celui que ne distrait aucune occupation matérielle, qui est toujours cloué sur les livres saints, celui-là n'a pas besoin du secours de l'exorde; l'orateur n'a pas encore exprimé toute sa pensée, qu'un tel auditeur la comprend déjà tout entière. Mais un homme qui porte presque continuellement la chaîne des occupations de cette vie, qui ne fait que paraître ici un instant de loin en loin, si un exorde un peu étendu ne prépare point son esprit et ne l'amène comme pas à pas en lui frayant la voie jusqu'au sujet, il écoutera sans entendre et se retirera sans profit.

Autre raison non moins considérable. Entre tant d'auditeurs, les uns sont exacts, les autres ne le sont guère à venir ici; nécessité donc de (86) louer les uns et de réprimander les autres, afin que ceux-ci se corrigent de leur négligence et que ceux-là redoublent de zèle. Les exordes sont encore utiles pour une autre cause. Les sujets que nous traitons sont ordinairement trop vastes pour qu'il soit possible de les achever en une seule fois, nous sommes obligés de donner deux et trois, et même quatre discours à la même matière. De là encore, la nécessité de reprendre chaque fois les conclusions de l'instruction précédente; cet enchaînement est nécessaire à la clarté de l'exposition; sans lui nos auditeurs ne verraient rien à nos discours. Pour vous faire comprendre combien, sans la préparation de l'exorde, un discours serait peu compréhensible, écoutez, j'entame brusquement mon sujet; c'est une expérience que je veux faire. Jésus l'ayant regardé, lui dit : Tu es Simon, fils de Jonas, tu t'appelleras Céphas, c'est-à-dire Pierre. (Jean, I, 42.) Voyez, comprenez-vous? Savez-vous ce qui précède et amène cette parole? En face de ce sujet brusquement entamé, vous voilà comme un homme que l'on introduirait au théâtre après l'avoir entouré de voiles épais. Eh bien ! ces voiles, ôtons-les maintenant par le moyen d'un exorde. C'était sur saint Paul que roulait dernièrement notre discours, nous parlions des noms , et nous recherchions pourquoi cet apôtre s'appela d'abord Saul, puis Paul. De là, nous sommes passés à l'Ancien Testament, et nous avons passé en revue tous ceux à qui Dieu a donné des noms. Nous en sommes venus à Simon et à la parole que le Seigneur lui adresse : Tu es Simon, fils de Jonas, tu t'appelleras Céphas, c'est-à-dire Pierre. Voyez-vous comment ce qui semblait hérissé de difficultés est devenu facile et uni? De même qu'il faut une tête à un corps, une racine à un arbre, une source à un fleuve, de même il faut un exorde à un discours. Maintenant que nous vous avons amenés jusqu'à l'entrée de la voie et que vous voyez la suite des choses, entamons le commencement de l'histoire. Saul respirant encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur. (Act. IX, 1.)

Il s'appelle Paul dans les Epîtres. Pourquoi donc le Saint-Esprit lui a-t-il changé son nom? Quand un maître achète un esclave, il lui donne un autre nom pour lui faire mieux comprendre à qui il appartient; c'est aussi ce qu'a voulu le Saint-Esprit. Il avait fait saint Paul prisonnier de guerre, il n'y avait pas longtemps qu'il s'en était rendu maître, il lui changea donc son nom pour lui faire sentir qu'il avait un nouveau maître. Le pouvoir d'imposer des noms est une marque de domination; nous le voyons manifestement par la pratique journalière de la vie et, mieux encore, par la conduite de Dieu envers Adam. Voulant lui montrer qu'il l'établissait maître de la terre et de ses habitants, il amena devant lui tous les animaux, afin qu'il vît à leur donner des noms (Gen. II, 19); ce qui montre bien que c'est une prise de possession que l'imposition d'un nom. On en use de même parmi les hommes, et c'est assez l'habitude de ceux qui font des prisonniers à la guerre de leur changer leurs noms. C'est ce que fit, par exemple, le roi des Babyloniens pour Ananias, Azarias et Misaël, ses prisonniers de guerre, auxquels il donna les noms de Sidrac, Misac et Abdénago.

Mais pourquoi le changement du nom n'eut il lieu que plus tard pour l'Apôtre, et non immédiatement? Parce qu'un changement si prompt n'eût pas assez laissé paraître la conversion de Paul , et que son passage à la foi eût été moins remarqué. Ce qui arrive pour les esclaves fugitifs, qui se rendent introuvables par un simple changement de nom, serait arrivé pour Paul; si; tout en passant de la synagogue à l'église, il avait pris un autre nom, il serait demeuré inaperçu, et personne n'aurait découvert le persécuteur dans l'Apôtre. Or, l'important, c'était précisément que l'on apprît que le persécuteur était devenu apôtre. Rien ne confondait les Juifs comme de voir que celui qui avait été leur maître fût devenu leur adversaire. Le Saint-Esprit a donc laissé quelque temps à l'Apôtre son premier nom, de peur qu'un prompt changement de nom ne cachât le changement du coeur. Il faut que tous sachent que celui qui d'abord persécutait l'Eglise en est devenu le défenseur; cette prodigieuse conversion une fois connue, le nom sera changé. Cette raison nous est indiquée par saint Paul lui-même, lorsqu'il dit: J'allai dans la Syrie et dans la Cilicie. Or, les Eglises de Judée ne me connaissaient point de visage. (Gal. I, 21.) S'il était inconnu dans la Palestine, où il demeurait, combien plus dans les pays éloignés ! Son visage était inconnu, mais il ne dit pas que son nom le fût. Pourquoi les fidèles ne connaissaient-ils point son visage? C'est que nul d'entre eux n'osait le regarder en (87) face, lorsqu'il faisait la guerre à l'Église, tant il respirait le meurtre et la fureur. Tous s'éloignaient, tous fuyaient, quand ils le voyaient paraître quelque part; quant à le regarder en face, nul ne l'osait, tant il était déchaîné contre uni ! Ils entendaient seulement dire que celui qui les persécutait naguère prêchait maintenant la foi qu'il avait voulu détruire. Puis donc qu'ils ne connaissaient pas les traits de son visage, s'il eût sur-le-champ pris un nouveau nom, ceux mêmes qui auraient entendu parler de sa conversion n'auraient point assez remarqué le persécuteur devenu prédicateur de l'Évangile. Tous savaient son premier nom de Saul, et s'il eût pris celui de Paul tout en embrassant la foi, ceux à qui l'on aurait dit : Paul, celui qui persécutait les fidèles, prêche maintenant la foi, n'auraient pas compris qu'on leur parlait du fameux persécuteur qu'ils connaissaient sous le nom de Saul, et non pas sous celui de Paul. Le Saint-Esprit laissa donc notre Apôtre assez longtemps avec son premier nom, afin d'attirer sur lui les regards et l'attention des fidèles, même de ceux qui étaient éloignés, même de ceux qui ne le connaissaient pas.

4. Le délai apporté dans le changement du nom de l'Apôtre est suffisamment expliqué; il nous faut à présent reprendre notre texte : Saul respirant encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur. Qu'est-ce à dire, encore? Qu'avait-il donc déjà fait pour que l'on dise encore? Ce mot encore insinue qu'il s'agit d'un homme qui s'est déjà signalé par des exploits mauvais. Qu'avait-il donc fait? ou plutôt que n'avait-il pas fait? Il avait rempli Jérusalem du sang des fidèles, ravagé l'Église, poursuivi les apôtres, lapidé saint Etienne; il n'épargnait ni les hommes ni les femmes. Écoutez ce qu'en dit son disciple : Saul ravageait l'Église, entrant dans les maisons, entraînant hommes et femmes. (Act. VIII, 3.) La place publique ne lui suffisait pas : il violait le secret des maisons, entrant dans les maisons, dit l'écrivain sacré, et il ajoute, non pas emmenant, ni tirant, mais traînant hommes et femmes. Il ne parlerait pas autrement d'un animal féroce entraînant hommes et femmes; entendez bien l'auteur ne dit pas seulement les hommes, mais encore les femmes. Il n'avait nul égard à la nature, il ne respectait point le sexe; il n'était point touché à l'aspect de la faiblesse. Le zèle l'enflammait, et non la colère. Ç'a été son excuse, et il a été trouvé digne de pardon après s'être rendu coupable des mêmes actes .:qui firent condamner les Juifs. Eux, c'était le désir de gagner l'estime des hommes et l'amour de la vaine gloire qui les faisaient agir. Lui, au contraire, était poussé par son zèle pour le service de Dieu, zèle, sincère, quoique aveugle. De là, vient que les autres juifs, sans s'occuper des femmes, faisaient la guerre aux hommes; parce qu'ils voyaient leur gloire, l'antique gloire du peuple juif, passer à ces hommes nouveaux. Pour lui, le zèle qui l'animait. ne lui permettait pas d'épargner personne. C'était à ce zèle encore inassouvi que saint Luc songeait, lorsqu'il écrivait ces paroles : Saul respirant encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur. Le meurtre de saint Etienne ne l'a pas rassasié; la persécution de l'Église n'a pas assouvi sa soif du sang chrétien; sa rage, loin d'être épuisée, courait toujours à de nouveaux excès. Le zèle en était le principe. Il est encore tout couvert du sang d'Étienne, et déjà il poursuit les Apôtres. Il est comme un loup féroce qui a déjà attaqué une bergerie, qui en a enlevé un agneau, qu'il a déchiré de sa gueule sanglante, et qui n'en est devenu que plus altéré dé carnage et plus hardi. Tel Saul se jetait sur le chœur apostolique; il avait déjà enlevé l'agneau Etienne, il l'avait dévoré  : son âpreté au meurtre s'en était accrue. Voilà le sens de ce mot encore.

Quel autre cependant n'eût pas- été satisfait d'une telle victime, touché de tant de douceur, vaincu par la prière que le martyr, pendant qu'on le lapidait, adressait au ciel pour ses bourreaux : Seigneur, ne leur imputez pas ce péché? (Act. VII, 59.) Prière sublime qui d’un persécuteur fit un apôtre. Ce fut en effet :tout de suite après le martyre d'Étienne qu'eut lieu la conversion de Paul. Dieu avait entendu la voix de son serviteur. Etienne méritait d'être exaucé tant pour la future vertu de Paul, que pour sa propre confession : Seigneur, ne leur imputez pas ce péché. Ecoutez, vous qui avez des ennemis, vous qui êtes en hutte à l'injustice. Vous. avez peut-être beaucoup souffert, mais avez-vous été lapidés comme saint Etienne? Et voyez ce qui se passait ! Par la mort d'Étienne, une source évangélique se fermait dans l'Église, mais déjà s'ouvrait une autre source de laquelle devaient couler des milliers de fleuves. La bouche d'Étienne se tait, et aussitôt éclate dans le monde (88) la trompette de Paul. C'est ainsi que jamais Dieu n'abandonne son Eglise, et qu'il répare les pertes dont l'ennemi l'afflige par des dons plus grands. Le Christ ne souffre pas le vide dans sa phalange : on lui enlève un soldat, et vite le poste est occupé par un plus grand. Et ceci nous met sur la voie d'un nouveau sens du mot encore. Il signifie que Saul était encore furieux , encore altéré de carnage , encore bouillant de rage, lorsque déjà le Christ l'attirait à lui. Car il n'attendit pas la cessation du mal, l'extinction du feu, l'apaisement de la fureur, pour amener à lui le persécuteur. Jésus-Christ se saisit de son ennemi lorsque celui-ci était au comble de l'irritation; quelle plus grande marque de sa puissance pouvait-il donner que de maîtriser, que de dompter ce coeur au milieu même de son délire et dans le transport de sa bouillante colère? Un médecin ne fait jamais plus admirer son art que lorsque, amené en présence d'un malade qu'une fièvre ardente dévore, il éteint et fait complètement disparaître cette flamme d'un mal arrivé à son paroxysme. Voilà ce qu'éprouva Paul. Sa fièvre était au paroxysme, et comme une douce rosée qui descendait du ciel, la voix du Seigneur le délivra complètement de son mal. Saul respirant encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur. Vous le voyez, il laissait de côté la foule pour s'attaquer aux disciples. Comme un homme qui veut abattre un arbre, va droit à la racine, sans s'occuper des branches, ainsi Paul attaquait les disciples du Seigneur pour couper en eux la racine dû la prédication évangélique.

Mais il se trompait; la racine de là prédication, ce n'étaient pas les disciples, c'était le Maître. Ecoutez :: Je suis la vigne, et vous les branches. (Jean, XV, 5.) Or cette racine-là, nul ne peut la frapper. Aussi plus on coupait de branches, plus il en repoussait de nouvelles. Etienne retranché, à sa place repoussent saint Paul et. ceux qui reçoivent la foi par saint Paul. Ecoutez la suite du récit : Or il arriva, comme il approchait de Damas, que tout à coup éclata autour de lui une lumière venant du ciel , et étant tombé à terre, il entendit une voix qui lui disait: Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? Pourquoi la voix ne se fait-elle pas entendre la première?pourquoi est-ce la lumière qui éclate d'abord ? C'est afin que Saul écoute la voix avec calmé. Quand un homme a l'esprit tendu vers un objet, qu'il est rempli d'ardeur , on a beau l'appeler, il n'entend pas , parce qu'il est tout entier à ce qui l'occupe. C'est ce qui aurait eu lieu pour Paul. L'espèce d'ivresse et de délire que lui causait la pensée des événements ne lui aurait pas permis d'écouter la voix, il n'en aurait pas même entendu les premières paroles, tant son esprit était attaché tout entier à l'œuvre de destruction qu'il méditait ; c'est pourquoi le Seigneur éblouit d'abord ses yeux par l'éclat de la lumière: il le force ainsi à se recueillir, il le calme , il l'apaise; et quand il n'y. a plus de trouble dans son âme, que le calme y règne, c'est alors qu'il fait entendre la voix, afin que la tempête d'orgueil qui agitait son coeur étant enfin tombée, il écoute avec une raison sereine les divines paroles qui vont venir à son oreille.

Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? Il accuse moins qu'il ne se défend. Pourquoi me persécutez-vous ? qu'avez-vous à vous plaindre de moi ? quel mal vous ai-je fait Est-ce parce que j'ai ressuscité vos morts ? parce que j'ai purifié vos lépreux ? parce que j'ai chassé les démons ? Mais ces choses-là devraient me faire adorer et non persécuter. Pour vous faire comprendre que le Seigneur se défend plus qu'il n'accuse par cette parole Pourquoi me persécutes-tu ? écoutez comment s'exprime son Père, parlant aux Juifs, et comparez : Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? dit Jésus-Christ; et son Père dit Mon peuple, que l'ai-je fait, en quoi t'ai-je contristé ? (Mich. VI, 3.) Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? Te voilà renversé, te voilà lié sans chaîne. Tel un maître, qui serait parvenu à s'emparer d'un esclave coupable d'évasion ainsi que de mille autres méfaits , qui le tiendrait dans les fers et qui lui dirait : que veux-tu que je te fasse maintenant ? te voici dans mes mains ; tel est Notre-Seigneur à l'égard de Paul; il l'a pris, il l'a renversé par terre, il le voit craintif et tremblant, sans pouvoir faire un mouvement, et il lui dit : Saul , Saul, pourquoi. me persécutes-tu ? Qu'est devenue ta colère ? Où sont maintenant ces emportements d'un zèle faux ? Que fais-tu de ces fers destinés aux fidèles et que tu leur portais en courant par tout le pays? Je ne vois plus sur ton visage cet air féroce qui te signalait naguère. Tu es immobile à présent, et tu ne peux même regarder celui que tu persécutais. Tout-à-l'heure tu te hâtais , tu courais à la tête d'une troupe d'hommes armés, et (89) maintenant tu as besoin de quelqu'un qui te conduise par la main.

Pourquoi me persécutes-tu ? En entendant cette parole, Paul comprend toute l'indulgence du Seigneur qui a souffert une persécution qu'il pouvait si facilement arrêter; bonté sans faiblesse dans le passé, providence sans cruauté dans le présent, voilà ce qu'il découvre dans la conduite de Dieu à son égard. Et que répond-il ? Qui êtes-vous, Seigneur ? L'indulgence lui a révélé le Seigneur de toutes choses, sa propre cécité lui fait voir le Tout-Puissant, et aussitôt il confesse sa souveraine autorité : Qui êtes-vous, Seigneur ? Voyez quel coeur bien disposé , quelle âme remplie d'une généreuse liberté, quelle conscience sincère ! II ne résiste ni ne dispute, mais il reconnaît le Maître sur-le-champ. Les Juifs avaient vu des morts ressuscités, des aveugles recouvrer la vue, des lépreux purifiés, et non-seulement ils n'étaient pas accourus à l'Auteur de tant de merveilles, mais ils l'avaient insulté, appelé imposteur, ils lui avaient tendu toute espèce d'embûches. Saint Paul se conduit bien différemment, et sa conversion ne se fait pas attendre. Et la réponse du Christ, quelle est-elle ? Je suis Jésus que tu persécutes. Et pourquoi ne dit-il pas : je suis Jésus ressuscité, je suis Jésus assis à la droite de Dieu, mais: je suis Jésus que tu persécutes ? C'est pour émouvoir son coeur, pour faire pénétrer la componction dans son âme. Ecoutez comment, longtemps après, il soupire amèrement sur ce passé réparé cependant par tant de travaux : Je suis le moindre de tous les Apôtres , je ne suis pas même digne d'être nommé Apôtre, moi qui ai persécuté l'Eglise. (I Cor. XV, 9.) Si tels étaient ses sentiments après les œuvres merveilleuses de son apostolat , que devait-il éprouver, alors qu'il n'avait encore rien fait pour Dieu, que la persécution dont il s'était rendu coupable était seule présente à sa pensée, et qu'il entendait cette voix divine?

5. Mais ici se présente une objection. Ne vous lassez pas, quoique le jour baisse déjà : nous parlons en l'honneur de Paul, de Paul qui pendant trois ans enseigna les fidèles jour et nuit. On nous fait donc une objection et l'on nous dit : Quoi d'étonnant si saint Paul a embrassé la foi ? pouvait-il résister à cette voix divine que je comparerais volontiers à une corde que Dieu lui fiait autour du cou pour l'attirer vers lui ? Prêtez-moi, toute votre attention. Nous avons tous les jours à combattre sur ce point les Gentils et les Juifs qui s'efforcent, en rabaissant le mérite d'un homme juste, de déguiser le vice de leur propre incrédulité, sans s'apercevoir qu'ils pèchent doublement, d'abord en ne renonçant pas à leurs erreurs, puis en essayant de dénigrer le favori de Dieu. Avec la grâce de Dieu nous saurons rendre vaines toutes leurs attaques. Mais qu'osent-ils dire contre l'Apôtre ? Que Dieu a usé de contrainte pour le convertir. Où voyez-vous la contrainte, mon ami.? Dieu, dites-vous, l'a appelé d'en-haut. Tout de bon, le croyez-vous? Mais alors si vous croyez que Dieu a appelé Paul, la même voix vous appelle vous-même tous les jours, et toutefois vous n'obéissez pas. Vous voyez donc qu'il n'y a pas eu de contrainte pour Paul, puisque s'il y en avait eu pour lui il y en aurait aussi pour vous, et vous obéiriez; votre désobéissance est la preuve que son obéissance a été libre et volontaire. S'il est certain que la vocation a beaucoup contribué au salut de saint Paul, comme à celui des autres hommes, il ne l'est pas moins qu'elle ne l'a pas exempté des bonnes oeuvres, ni surtout du mérite d'une bonne volonté; qu'elle a laissé entier son libre arbitre, qu'il est venu à Dieu librement sans subir de contrainte. Un, autre exemple vous le démontrera jusqu'à l'évidence. Les Juifs, eux aussi, ont entendu une voix d'en-haut. voix non du Fils, mais du Père, laquelle fit retentir les bords du Jourdain de ces paroles Celui-ci est mon Fils bien-aimé, et cependant ils disent : Celui-ci est un séducteur. (Matth. III, 17; XXVII, 63.) Quelle opposition signalée ! quelle lutte ouverte ! Vous voyez qu'une bonne volonté, qu'une âme sincère, qu'un coeur dégagé de toute prévention fâcheuse sont partout nécessaires. Une voix se fait entendre aux Juifs, une voix à saint Paul : saint Paul obéit, les Juifs résistent. La voix qui parle aux Juifs n'est même pas. seule, mais en même temps se montre le Saint-Esprit sous la figure d'une colombe. Comme Jean baptisait, et que le Christ était baptisé, de peur que, ne voyant que la forme humaine, on n'estimât le baptisant plus grand que le baptisé, il vint une voix pour distinguer celui-ci de celui-là. Et comme l'on ne distinguait pas assez de qui la voix parlait, le Saint-Esprit vint, sous forme de colombe se poser sur la tête du Christ, afin qu'il n'y eût plus lieu à aucun doute. Tout ensemble la voix l'annonçait, le Saint-Esprit le (90) désignait, et Jean s'écriait : Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers. (Luc, III, 16.) Les Juifs virent encore éclater des milliers d'autres signes miraculeux soit en paroles soit en actes, et, nonobstant ces lumières, ils sont demeurés dans leur aveuglement. Leurs yeux voyaient, leurs oreilles entendaient, et leur raison restait plongée dans la nuit des préjugés. C'est ce que l'Evangéliste rapporte expressément lorsqu'il dit que beaucoup de Juifs crurent en Jésus, mais qu'ils ne le confessaient pas, de peur d'être chassés de la synagogue par les chefs du peuple. (Jean, VII, 42.) Et Jésus-Christ lui-même disait : Comment pouvez-vous avoir la foi, vous qui recevez de la gloire les uns des autres et ne recherchez pas la gloire qui est de Dieu seul? (Jean, V, 44.)

Paul se conduit bien différemment: il n'entend qu'une, seule fois la voix de celui qu'il persécute, et aussitôt il accourt, aussitôt il obéit, sa conversion est soudaine et complète. Si vous n'êtes pas trop fatigués de la longueur de ce discours, je poursuivrai cette comparaison de la bonne volonté de saint Paul et de l'obstination des Juifs, et je vous citerai un autre exemple qui en fera mieux ressortir le contraste. —Les Juifs eux-mêmes entendirent la voix du Fils, ils l'entendirent comme Paul l'avait entendue, et presque dans les mêmes circonstances, et néanmoins ils ne crurent pas. Ce fut au fort de son délire et de sa colère, dans le feu de la guerre qu'il faisait aux disciples, que Paul entendit la voix: on en peut dire autant des Juifs. Quand et comment? Ils sortirent la nuit avec des torches et des lanternes . pour le prendre, car ils croyaient n'avoir à faire qu'à un pur homme. Mais lui, voulant les instruire de sa puissance, et, en dépit de leur obstination, leur montrer qu'il est Dieu, leur dit : Qui cherchez-vous? (Jean, XVIII, 4.) Ils étaient devant lui et tout près, et ils ne le voyaient pas. Ils le cherchaient, et c'était lui qui guidait leurs pas afin qu'ils le trouvassent; Jésus voulait leur apprendre qu'il n'allait pas à la passion par contrainte, et que, s'il n’avait pas consenti à souffrir, aucune puissance humaine n'aurait pu l'y forcer. Comment auraient-ils pu le contraindre ceux qui ne savaient pas même le trouver ? que dis-je, ceux qui ne pouvaient même pas le voir quoiqu'il fût présent? Non-seulement ils ne le voyaient pas, quoique présent, mais Jésus les interrogeait, ils lui répondaient, et ils ne savaient pas encore qui était celui qui leur parlait, tant ils étaient aveuglés ! Jésus fit plus: il fit tomber ces hommes à la renverse. Lorsqu'il eut dit Qui cherchez-vous ? tous s'en allèrent à la renverse comme poussés par cette voix. La voix les renversa par terre de la même manière que saint Paul fut lui-même terrassé par celle qu'il entendit. Saint Paul ne vit pas celui qu'il persécutait, les Juifs ne virent pas celui qu'ils cherchaient. La fureur de Paul l'empêcha de voir, la fureur des Juifs les empêcha de voir. Paul fut terrassé lorsqu'il était en route pour aller enchaîner les disciples, les Juifs le furent pendant qu'ils allaient pour enchaîner le Christ. Ici des chaînes, et là des chaînes; persécution ici, persécution là; cécité d'une part, cécité de l'autre; voix dans un cas, voix dans l'autre; dans les deux cas la puissance du Christ paraît avec le même éclat, les remèdes employés sont les mêmes, mais l'effet produit n'est pas. le même; c'est qu'aussi les malades étaient bien différents. Quoi de plus insensé, de plus stupidement dur que les Juifs? Il sont renversés, mais ils se relèvent et poursuivent leur criminelle entreprise. Des pierres seraient-elles plus insensibles ! Afin qu'ils sachent quel est Celui qui les a jetés par terre par cette seule parole : Qui cherchez-vous? il réitère sa demande lorsqu'ils sont levés : Qui cherchez-vous? puis, quand ils ont répondu : Jésus, il reprend : Je vous l'ai déjà dit : C'est moi. (Jean, XVIII, 6.) C'est comme s'il leur disait: sachez que je suis le même qui mous ai demandé: qui cherchez-vous? et qui vous ai terrassés. Mais cela ne produisit aucun effet, et ils demeurèrent dans leur aveuglement. Ce parallèle a dû vous convaincre que saint Paul ne s'est pas converti par nécessité, mais par l’heureuse disposition de son âme et par la sincérité de sa conscience.

6. Si vous le permettez et si votre patience n'est pas épuisée, je vous citerai encore un exemple plus saisissant, et qui démontrera, sans qu'il reste rien à objecter, que ce ne, fut pas par nécessité, mais librement, que saint Paul s'est converti au Seigneur. Paul vint plus tard à Salamine, dans l'île de Chypre, et il trouva là un magicien qui le combattait en présence du proconsul Sergius. Alors Paul rempli du Saint-Esprit lui dit : O homme rempli de fraude et. de malice, fils du diable, ne cesseras-tu pas de pervertir les voies du Seigneur? (Act. XIII, 10.) C'est ainsi que parle (91) maintenant ce persécuteur. Glorifions Celui qui l'a si bien converti. Tout à l'heure vous entendiez dire qu'il dévastait l'Église, qu'il entrait dans les maisons pour en retirer les hommes et les femmes qu'il traînait en prison. Entendez maintenant les fiers accents de sa prédication : Ne cesseras-tu pas de pervertir les voies droites du Seigneur ? Et voici que la main du Seigneur s'étend sur toi, et tu seras aveugle jusqu'à un temps. Le remède qui lui avait rendu la vue à lui-même, il l'imposa au magicien; mais celui-ci resta aveugle, ce qui. vous montre que la vocation n'a pas toute seule amené saint Paul à la foi, et que sa bonne volonté y a contribué en même temps. Si la cécité seule avait fait ce miracle, elle l'eût également opéré sur le magicien. Il n'en fut pas ainsi. Le magicien demeura dans les ténèbres; et le proconsul témoin du prodige crut. Le remède est appliqué à celui-là et c'est sur celui-ci qu'il opère. Voyez ce que peut la bonne disposition du coeur, ce que peut l'obstination et l'endurcissement ! Le magicien devint aveugle, il était opiniâtre, c'est pourquoi il ne profita pas du remède; mais le proconsul ouvrit les yeux à la lumière et connut le Christ.

Saint Paul s'est donc converti librement, je l'ai suffisamment démontré. Non , soyez-en convaincus, Dieu ne force pas les volontés rebelles, il attire seulement les volontés obéissantes. Personne, dit Notre-Seigneur , ne vient à moi, si mon Père ne l'attire. (Jean, VI, 44.) Or, le Père n'attire que celui qui veut être attiré, et qui du fond de sa misère tend les bras au divin Libérateur. Encore une fois, Dieu ne fait pas violence aux volontés; il voudrait notre salut qu'il ne saurait l'opérer, si nous ne le voulions pas, non pas que sa volonté soit faible, mais il ne veut forcer personne. Je crois nécessaire d'insister sur cette proposition, à cause du grand nombre de ceux qui, pour colorer leur paresse, font valoir ce faux prétexte ; les exhorte-t-on à la lumière du baptême, à un changement de vie, à la pratique des bonnes oeuvres : ils hésitent, ils reculent, et répondent qu'ils attendent que Dieu veuille bien les persuader et les convertir. Qu'ils s'en remettent à la volonté de Dieu, rien de mieux; mais il faut déjà qu'ils fassent ce qui dépend d'eux-mêmes, et je leur permettrai alors de dire quand Dieu voudra. Car si vous vous livrez au sommeil et à l'indifférence, vous aurez beau vous en référer à la volonté de Dieu, rien ne se fera jamais de ce qu'il faut, je vous le déclare. Je ne me lasse pas de vous répéter que jamais Dieu n'a usé de contrainte et de violence pour attirer à lui un seul homme. Il veut que tous soient sauvés, il ne sauve personne malgré sot, Saint Paul ne dit-il pas, lui qui veut-le salut de tous les hommes et leur arrivée à la connaissance de la vérité? (I Tim. II, 4.) Comment donc tous né sont-ils pas sauvés, si Dieu veut qu'ils le soient? c'est que la volonté de tous ne se conforme pas à sa volonté et qu'il ne contraint personne. N'a-t-il pas dit: Jérusalem, Jérusalem, que de fois j'ai voulu rassembler tes enfants, et tu ne l'as pas voulu ? Et quel sera le sort de Jérusalem? écoutez : Voici que votre maison demeurera déserte. (Luc, XIII, 34 , 35.) Vous le voyez, Dieu a beau vouloir nous sauver, si nous n:y consentons pas, nous sommes maîtres de nous perdre. Encore une fois, Dieu ne sauve que celui qui veut bien être sauvé. Les hommes dominent leurs esclaves bon gré mal gré, parce qu'ils se proposent, dans leur domination, leur propre intérêt et nullement celui de leurs serviteurs. Mais Dieu, gui ne manque de rien , Dieu qui veut nous montrer que s'il désire nous avoir pour ses serviteurs ce n'est pasqu'il ait besoin de ce qui est à nous, mais parce qu'il recherche notre intérêt, Dieu qui fait tout pour notre utilité et rien pour son avantage, qui nous accorde notre salut quand nous l'acceptons avec empressement et reconnaissance, Dieu ne peut user de violence contre ceux qui lui résistent, et, en respectant leur liberté,. il -montre que nous lui devons de la reconnaissance pour sa domination, et qu'il ne nous en doit point pour notre soumission. Pénétrons-nous de ces pensées, réfléchissons à la charité de Dieu pour les hommes, et, autant que nous le pouvons, menons une vie qui soit digne de cette bonté , afin que nous méritions de posséder le royaume des cieux, que je vous souhaite à tous, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l'empire, avec le Père, le Saint-Esprit , maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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