ROMAINS XIX

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HOMÉLIE XIX. QU'EST-IL DONC ARRIVÉ? CE QUE CHERCHAIT ISRAEL, IL NE L'A POINT TROUVÉ; MAIS CEUX QUI ONT ÉTÉ CHOISIS L'ONT TROUVÉ; LES AUTRES ONT ÉTÉ AVEUGLÉS. (XI, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.)

 

345

 

Analyse.

 

1. Réprobation de la masse de la nation juive.

2. Cause de cette réprobation. — Que leur déchéance n'est pas irréparable.

3. L’Evangile devait être et a été annoncé premièrement aux Juifs, mais les juifs ayant refusé de le recevoir, les Gentils sont venus les premiers, pour donner de l'émulation aux Juifs.

4. Que si la déchéance des Juifs a été si utile au monde, de quelle utilité ne sera pas le retour de celte nation qui à la consommation des siècles, rentrera tout entière dans le sein de l'E;lise ?

5. Les Juifs peuvent recouvrer la position qu'ils ont perdue, ils ne doivent donc pas désespérer ; les Gentils pourraient perdre celle qu'ils ont acquise, qu'ils ne soient donc pas trop présomptueux.

6. Les Juifs entrerons toua un jour dans te sein de l'Eglise.

7.  Primitivement les Juifs durent leur vocation. à l'incrédulité des nations, de même aujoud'hui les nations doivent leur vocation à l'incrédulité des Juifs. — Cri sublime que pousse saint Paul à la vue des merveilles de la providence de Dieu.

8. Quelles sont les vraies richesses. — Ni la vertu ni le vice des parents n'ont aucune suite pour les enfants, si ceux-ci le veulent. Eloge de l'aumône.

 

1. Il a affirmé que Dieu n'avait point rejeté son peuple, et pour le prouver, ils eu recours aux prophètes; et après avoir démontré par leur témoignage que la plus grande partie d'Israël a péri, ne voulant pas les accuser encore de lui-même, les blesser par son langage et paraître animé envers eux de dispositions hostiles, il revient à David et à Isaïe, en disant

« Selon qu'il est écrit : Dieu leur a donné un « esprit de torpeur (8) ». Mais il nous faut reprendre les choses de plus haut. Après avoir parlé d'Elie, et montré ce que c'est que la grâce, il ajoute : « Qu'est-il donc arrivé? Ce que, cherchait Israël, il ne l'a point trouvé. C'est autant une accusation qu'une interrogation. Le Juif, nous dit-il, est en contradiction avec lui-même, en cherchant la justice et en ne voulant pas la recevoir. Puis. par l'exemple de ceux qui l'ont reçue, il leur ôte toute excuse et démontre leur ingratitude, en disant : « Mais « ceux qui ont été choisis l'ont trouvé ». Et ceux-là les condamneront. C'est aussi ce que disait le Christ : « Si je chasse les démons par Béelzébub, vos fils, par qui les chassent-ils? « C'est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges ». (Luc, XI, 19.) Pour que personne ne s'en prenne à la nature des choses, et qu'on n'accuse que leur volonté, il fait voir qui sont ceux qui ont trouvé. Aussi parle-t-il en termes énergiques pour signaler la grâce d'en-haut et le zèle de ceux-ci. Car ce n'est pas pour détruire le libre arbitre qu'il affirme qu'ils ont trouvé; mais pour indiquer la grandeur du bienfait, et faire voir que la grâce y a eu la part principale, mais non pas tout. Nous avons aussi l'habitude de dire : Un tel a rencontré, un tel a trouvé, quand il s'agit d'un gain considérable. En effet, ce n'est pas aux efforts de l'homme, mais à la grâce de Dieu que le principal appartient.

« Les autres ont été aveuglés ». Voyez comme il ne craint pas de dire en son propre nom que les autres ont été rejetés. Il l'avait déjà dit, mais en produisant l'accusation des prophètes; ici il le déclare lui-même. Cependant il ne se contente pas de son jugement personnel, et il invoque encore une fois le prophète Isaïe. En effet, après avoir dit: « Ont été aveuglés », il ajoute : « Selon qu'il est écrit: Dieu leur a donné un esprit de torpeur ». Et (346)

d'où est venu cet aveuglement? Il en a dit les causes plus haut et a tout fait retomber sur leur tête, en montrant que leur obstination déplacée leur a attiré ce malheur. Il le répète encore ici. Car après avoir dit : « Des yeux pour ne pas voir et des oreilles pour, ne pas entendre », il n'accuse plus que leur esprit de contention. En effet, ayant des yeux pour voir les miracles, et des oreilles pour entendre la merveilleuse doctrine, ils n'ont pu en faire l'usage convenable. Par ce mot: « A donné », n'entendez pas une action directe, mais la permission. Par l'expression : « Torpeur », Paul veut dire une disposition de l'âme pour le mal, laquelle n'est pas susceptible de guérison ni de, changement. David a dit ailleurs : « Afin que ma gloire soit un hymne a votre honneur et que je ne tombe pas dans la torpeur » (Ps. XXIX), c'est-à-dire : pour que je ne change pas. Car de même que celui qui est fixé dans la piété, ne change pas aisément; ainsi celui qui est fixé dans le mal, ne change pas non plus avec facilité : car être fixé n'est pas autre chose que d'être attaché et comme cloué. C'est donc pour indiquer leur volonté incorrigible, difficile à changer, qu'il emploie cette expression : « Esprit de torpeur ».

Ensuite pour prouver que leur incrédulité sera punie du dernier supplice, il ramène encore le prophète qui fait les mêmes menaces, mais menaces qui ont eu leur exécution. « Que leur table », dit David, « devienne pour eux lacet, piège et scandale (9) ». C'est-à-dire que la volupté , que tous les biens changent et disparaissent , et qu'ils deviennent -eux-mêmes faciles à vaincre pour tous. Et pour montrer que ces maux sont la punition de leurs péchés, il ajoute : « Et rétribution. Que leurs yeux s'obscurcissent pour qu'ils ne voient point, et faites que leur dos soit toujours courbé (10) ». Tout cela a-t-il encore besoin d'interprétation ? N'est-ce pas clair pour les moins intelligents? Mais avant toutes nos paroles, l'événement même a prouvé la vérité de ce que nous venons de dire. Quand en effet sont-ils devenus si faciles à vaincre ? Quand donc ont-ils été si aisément pris? Quand Dieu leur a-t-il fait courber le dos? Quand ont-ils subi un tel esclavage? Et le pire c'est que ces malheurs sont irréparables ; ce à quoi le prophète fait aussi allusion. Car il ne dit pas simplement : « Faites que leur dos soit courbé », mais : « Toujours courbé ». Et si vous disputez sur le résultat final, ô Juif, que le passé vous éclaire sur le présent. Vous êtes descendu en Egypte; mais après deux cents ans, Dieu s'est empressé de vous délivrer de cet esclavage , malgré votre impiété et votre horrible fornication; vous avez été tiré de l'Egypte, et vous avez adoré le veau d'or, vous avez immolé vos fils à Béelphégor; vous avez profané le temple; vous avez commis toute espèce de crimes; vous avez méconnu la nature elle-même; vous avez rempli de vos sacrifices impies les montagnes, les vallées, les collines, les fontaines, les fleuves, les jardins; vous avez tué les prophètes, vous avez démoli les autels, vous avez porté au plus haut degré le vice et l'impiété; et cependant après vous avoir livré aux Babyloniens pendant soixante-dix ans, ii vous a rendu votre première liberté, le temple, la patrie, et même l'antique forme de la prophétie; et les prophètes sont revenus et aussi la grâce de l'Esprit. Bien plus vous n'avez pas même été délaissé pendant le temps de la captivité mais vous avez vu, là, Daniel et Ezéchiel, Jérémie en Egypte, et Moïse dans le désert.

2. Et, après tout cela, vous êtes retourné à votre première malice , vous avez été saisi de vertige, vous avez adopté les lois des gentils sous l'impie Antiochus; puis, livrés pendant un peu plus de trois ans à ce même Antiochus, vous avez remporté sous les Macchabées de glorieuses victoires. Maintenant plus rien de semblable, mais tout le contraire : et ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que la malice a cessé et que la punition s'est aggravée et qu'il n'y a plus d'espérance de changement. Voilà, non pas soixante-dix, ni cent, ni deux cents, mais bien plus de trois cents ans passés, et il n'y a pas une lueur d'espoir, et cela quand vous ne commettez plus l'idolâtrie ni les autres crimes dont vous vous souilliez autrefois.

Quelle en est donc la cause? La vérité a succédé à la figure, la grâce a exclu la loi ; ce que le prophète avait prédit autrefois en disant : « Et faites que leur dos soit toujours courbé ». Voyez-vous l'exactitude de la prophétie, comme elle a annoncé d'avance l'incrédulité, signalé l'esprit de contention, désigné le jugement qui devait suivre, et prédit une punition sans terme? Comme beaucoup de Juifs des plus grossiers ne croyaient point à l'avenir et voulaient en juger d'après le (347) présent, le Christ leur a donné, à ces deux points de vue, une preuve de sa puissance, en exaltant, d'une part, au-dessus des cieux ceux des gentils qui avaient cru, et de l'autre, en réduisant à la dernière désolation et en livrant à des malheurs irréparables ceux des Juifs qui n'avaient pas voulu croire.

Après cette vive attaque, à l'occasion de leur incrédulité et des maux qu'ils souffraient et devaient encore souffrir, Paul mêle quelque consolation à ses paroles, et leur écrit : « Je «dis donc : Ont-ils trébuché de telle sorte « qu'ils soient tombés? Point du tout (11) ». Après leur avoir montré qu'ils sont accablés de maux sans nombre, il songe enfin à les consoler. Et voyez sa prudence ! Il accuse au nom des prophètes, mais il console en son propre nom. Personne, dit-il, ne peut nier qu'ils aient grandement péché; mais voyons si leur chute est telle qu'elle soit irréparable et qu'il n'y ait pas moyen d'y remédier. Or il n'en est pas ainsi. Voyez-vous comme il frappe encore sur eux, et comment, tout en leur faisant espérer une consolation , il les tient sous le poids des péchés qu'ils ont commis et dont tout le monde convient? Mais voyons, nous aussi, quelle est la consolation qu'il leur réserve. Quelle est-elle donc? Quand la plénitude des nations sera entrée, dit-il, alors tout Israël sera sauvé, au temps du second avènement et de la consommation. Il ne dit cependant pas cela immédiatement : après les avoir attaqués vigoureusement, avoir entassé accusations sur accusations, invoqué prophètes sur prophètes, fait retentir les cris d'Isaïe, d'Elie , de David , de Moïse , d'Osée, une fois, deux fois, bien des fois : pour ne pas les jeter dans le désespoir, pour ne pas leur fermer la voie du retour, de peur aussi que les gentils qui avaient cru n'en conçussent de l'orgueil, et ne souffrissent par là même préjudice en leur foi, il en vient enfin à les consoler et leur dit : « Mais par leur péché le salut est venu aux gentils ».

Il ne nous suffit pas d'entendre ces paroles; nous devons connaître l'intention et le but dé celui qui les prononce , 'savoir à quelle fin il tend : ce que je demande toujours de votre charité. Si , en effet, nous étudions ce texte dans cet' esprit, nous verrons qu'il ne renferme aucune difficulté. Or, le but que Paul se propose maintenant, c'est de détruire l'orgueil que ses paroles auraient pu inspirer aux gentils; en apprenant à être modestes, ils devaient être plus solides dans leur foi , et les Juifs, sauvés du désespoir, venir à là grâce avec plus de confiance. Ayant donc -cette intention présente à la pensée, écoulons maintenant ce que renferme ce passage. Que dit donc l'apôtre? Comment prouve-t-il que la chute n'est pas irréparable , qu'ils ne sont point rejetés à jamais? Il le prouve par les gentils eux-mêmes, en disant : « Par leur « ché, le salut est venu aux gentils, qui devaient ainsi leur donner de l'émulation ». Et ce n'est pas seulement Paul qui parle ainsi, mais c'est aussi le sens des paraboles de l'Evangile. En effet le roi qui avait préparé la noce de son fils, voyant que ceux qui étaient invités ne voulaient pas venir, envoya chercher ceux qui étaient dans les carrefours. Et celui qui avait planté une vigne, voyant son fils tué par l'es vignerons, la confia à d'autres. En dehors des paraboles , le Christ disait encore : « Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël ». (Matth. XV, 24.) Il a même dit quelque chose de plus à la syro-phénicienne qui lui faisait instance : « Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens ». (Ib. XXVI.) Et Paul disait aux Juifs qui se soulevaient : « C'était à vous qu'il fallait d'abord annoncer la parole de Dieu; mais puisque vous vous jugez indignes, voilà que nous nous tournons vers les gentils ».

3. Tout démontre que l'ordre des choses exigeait que les Juifs vinssent les premiers et les gentils après eux; mais comme les Juifs ne voulurent pas croire, l'ordre fut renversé, et leur incrédulité et leur chute ont fait passer les gentils les premiers. Voilà pourquoi l'apôtre dit : « Par leur péché, le salut est venu aux gentils, qui devaient ainsi leur donner à de l'émulation ». Que s'il placé en premier lieu ce qui ne doit venir qu'au second rang, ne vous en étonnez pas ; il veut consoler leurs âmes affligées. Or, voici ce qu'il veut dire Jésus est venu chez les Juifs; ils ne l'ont point reçu malgré ses nombreux prodiges; mais ils l'ont crucifié; alors il a attiré à lui les nations, pour faire ressortir, par l'honneur qu'il leur accordait, l'insensibilité des Juifs et les déterminer à venir, en excitant leur jalousie contre les gentils. Il fallait en effet qu'ils reçussent la foi les premiers, et nous ensuite; c'est pourquoi Paul disait : « Car il » (l’Evangile) « est (348) la vertu de Dieu pour sauver tout croyant, le Juif d'abord, et puis le Grec » (Rom. I, 16) ; mais comme ils ont résisté, nous qui étions les seconds, nous sommes devenus les premiers. Voyez-vous quel honneur il sait tirer de là pour eux; d'abord en disant que nous n'avons été appelés que parce qu'ils ont refusé: ensuite en affirmant que nous n'avons pas été appelés seulement pour être sauvés, mais afin qu'excités à l'émulation par notre salut, ils en devinssent meilleurs. Quoi donc? direz-vous : Sans les Juifs , n'eussions-nous été ni appelés, ni sauvés? Certainement nous ne l'aurions pas été avant eux, mais dans l'ordre convenable. Aussi quand le Christ parlait à ses disciples, il ne leur disait pas : Allez vers les brebis perdues de la maison d'Israël; mais plutôt : « Allez »; indiquant par là qu'ils ne devaient aller chez les nations qu'après s'être adressés aux Juifs. Et, à son tour, Paul ne dit pas : il fallait vous annoncer la parole , mais : « C'était d'abord à vous qu'il fallait annoncer », pour montrer que nous ne devions venir qu'en second lieu. Tout cela s'est fait, tout cela s'est dit pour qu'ils n'eussent pas l'impudence de prétexter qu'ils avaient été dédaignés et qu'à cause de cela ils n'avaient pas cru. Aussi le Christ, qui prévoyait tout, est-il d'abord venu chez eux.

« Que si leur péché est la richesse du monde, et leur diminution, la richesse des gentils, combien plus encore leur plénitude (12)?» Ici il parle en leur faveur. Car, fussent-ils tombés dix mille fois, les nations n'eussent pas été sauvées, si elles n'avaient reçu la foi; comme les Juifs eux-mêmes n'eussent point péri, s'ils n'avaient été incrédules et obstinés. Mais, comme je l'ai dit, il les console dans leur chute, et met tout en oeuvre pour leur faire espérer leur salut, s'ils veulent se convertir. En effet, dit-il, si, quand ils sont tombés, tant d'autres ont été sauvés, si, quand ils ont été rejetés, tant d'autres ont été appelés songez à ce que ce sera quand ils se convertiront. Et il ne dit pas: Combien leur conversion, ni Combien plus leur changement, ni : Combien plus leur correction ; mais : « Combien plus leur plénitude? » C'est-à-dire quand ils entreront tous. Or il dit cela pour indiquer qu'alors la grâce sera plus abondante, ainsi que le don de Dieu, et qu'on aura à peu près tout.

« Car je le dis à vous, gentils: Tant que je serai apôtre des gentils, j'honorerai mon ministère : m'efforçant d'exciter l'émulation de ceux de mon sang et d'en sauver quelques-uns ». Encore une fois il cherche à se soustraire à d'injustes soupçons; d'un côté il semble; attaquer les gentils et prévenir leur orgueil, et de l'autre, il blesse légèrement les Juifs, et use de détours en cherchant à les soulager et à les consoler d'une si grande ruine, et n'en trouve aucun moyen dans la nature même des choses. En effet, ce qu'il vient de dire les accuse encore plus haut, puisque d'autres, qui leur étaient bien inférieurs, ont profité de tous les biens qui leur étaient préparés. C'est pourquoi il passe des Juifs aux gentils et insère un mot sur ceux-ci, pour leuf faire voir qu'en tout ce qu'il dit, son intention est de leur apprendre à être humbles. Je vous loue, leur dit-il, pour deux raisons : la première c'est que j'y suis obligé, vu que votre administration m'a été confiée; la seconde, c'est afin d'en sauver d'autres par vous. Et il ne dit pas : Mes frères, mes proches, mais : « Ceux de mon sang ». Ensuite : « Et de sauver », non pas tous, mais « Quelques-uns d'eux » : tant ils étaient durs. Mais tout en leur adressant ce reproche, il fait voir que la situation des gentils est brillante; et s'ils sont les uns. pour les autres une occasion de salut, ce n'est pas parle même moyen: car c'est par leur incrédulité que les Juifs procurent des avantages aux gentils, et c'est par leur foi que les gentils deviennent utiles aux Juifs, d'où il ressort que la condition des gentils est égale et même supérieure.

4. En effet, que pouvez-vous dire, ô Juif? Ceci peut-être : Si nous n'avions pas été rejetés, vous n'auriez pas été appelés immédiatement? Mais le gentil vous répond: Si je n'avais pas été sauvé, vous ne vous seriez pas piqué d'émulation. Et si voulez savoir en quoi je l'emporte sur vous, c'est que je vous sauve parce que j'ai cru ; tandis que c'est parce que vous êtes tombé que nous sommes passés au premier rang. Puis sentant qu'il les a blessés, Paul revient à son premier sujet et dit : « Car si leur perte est la réconciliation du monde, que sera leur rappel, sinon une résurrection (15)? » Mais ceci les condamne encore, puisque les autres ont profité de leurs fautes et qu'ils n'ont pas su eux-mêmes tirer parti des bonnes actions des autres. Que s'il leur attribue ce qui est le résultat de la nécessité, ne (349) vous en étonnez pas ; il donne souvent cette forme à son langage pour contenir les uns et exciter les autres, comme je l'ai déjà dit bien des fois. Et, comme je l'ai dit encore, les Juifs eussent-ils été mille fois rejetés, les gentils n'auraient pas été sauvés s'ils n'avaient reçu la foi. Mais l'apôtre soutient le côté faible et vient en aide à ceux qui sont dans la peine. Mais voyez jusqu'à quel point il condescend en faveur des Juifs, comme il les console par ses paroles. « Car », dit-il , « si leur perte est la réconciliation du monde ». Qu'est-ce que cela fait aux Juifs, dira-t-on? « Que sera leur rappel, sinon la résurrection ? » Mais, s'ils n'avaient pas été rappelés, ceci ne serait rien encore pour eux. Voici ce que l'apôtre veut dire : Si Dieu, irrité contre les Juifs, a fait à d'autres tant et de si grands dons, que ne leur accordera-t-il pas quand il sera réconcilié avec eux? Mais comme ce n'est pas à cause de leur rappel qu'a lieu la résurrection des morts, de même ce n'est pas à cause d'eux que nous est venu le salut; ils ont été rejetés à cause de leur folie, et nous avons été sauvés par la foi et la grâce d'en-haut. Or, rien de cela ne peut leur être utile, s'ils ne montrent une foi suffisante.

Du reste, selon son habitude, l'apôtre passe à un autre éloge, éloge apparent seulement et non réel : imitant en cela les bons médecins qui donnent aux malades toutes les consolations que comporte la nature de la maladie. Que dit-il donc ? « Que si les prémices sont saintes, la masse l'est aussi, et si la racine est sainte, les rameaux aussi (16) »; appelant ici prémices et racine Abraham, Isaac, Jacob, les prophètes, les patriarches, tous les hommes illustres de l'Ancien Testament, et rameaux, ceux de leurs descendants qui ont cru. Puis comme on lui objectait qu'un grand nombre n'avaient pas cru, voyez comme il coupe court à l'objection en disant: « Si donc quelques-uns des rameaux ont été rompus... 17) ». Pourtant vous disiez plus haut que le plus grand nombre avaient péri, que bien peu avaient été sauvés; comment donc, en parlant ici de ceux qui ont péri, dites-vous : « Quelques-uns », ce qui désigne clairement un petit nombre? Je ne suis point, répond-il, en contradiction avec moi-même ; mais j'ai hâte de guérir et de relever ceux qui souffrent. Voyez-vous comme dans tout le passage percent ses efforts et son désir de les consoler ?

Autrement, on y trouverait bien des contradictions. Mais considérez sa sagesse, comment, tout en paraissant plaider en leur faveur et à chercher à les consoler, il les accuse implicitement et leur démontre, par leur racine, par leurs prémices, qu'ils n'ont aucun moyen de se justifier? Songez à la malice des rameaux, qui, sortis d'une racine douce, n'ont pas su être doux comme elle: et à la méchanceté de la masse, que les prémices mêmes n'ont pas la vertu de changer.

« Si donc quelques-uns des rameaux ont été rompus ». Et c'est le plus grand nombre qui ont été rompus, mais, comme je l'ai dit, son but est de les consoler. C'est pourquoi il ne parle pas de sa seule autorité, ruais d'après les patriarches, et, faisant ainsi un reproche implicite, il montre qu'ils sont déchus de la race d'Abraham ; car c'était là ce qu'il tenait à leur dire : qu'ils n'ont plus rien de commun avec lui. En effet, si la racine est sainte et qu'ils ne soient pas saints, ils sont donc loin de la racine: Puis, en paraissant consoler les Juifs, il accuse encore une fois les gentils. Après avoir dit : « Si donc quelques-uns des rameaux ont été rompus», il ajoute : « Et si toi, qui n'étais qu'un olivier sauvage, tu as été enté ». Plus le gentil était méprisable, plus le Juif souffrait de le voir jouir de son propre bonheur . et le gentil à son tour est moins humilié de sa bassesse qu'honoré du changement qui s'est opéré en lui. Et voyez la sagesse de Paul ! Il ne dit pas : Qui as été planté, mais : « Qui as été enté » ; pour blesser encore ici le Juif, en lui faisant voir que c'est sur son tronc que le gentil est placé, tandis qu'il est lui-même gisant à terre. Aussi ne s'en tient-il pas là, ne se borne-t-il pas à dire : « Tu as été enté », quoique ce mot renferme tout; mais il insiste sur le bonheur du gentil et proclame sa gloire en disant : « Et participant de la racine et de la graine de l'olivier ». Il semble, il est vrai, présenter le gentil comme une adjonction ; mais il prouve aussi qu'il n'en éprouve aucun dommage et qu'il a eu tout ce qu'a eu le rameau sorti de la racine. Et de peur qu'en entendant ces mots. «Tu as été enté », vous ne vous imaginiez que le gentil , comparé au rameau naturel, lui est inférieur, voyez comme Paul le place au même rang, en disant . « Tu as été fait participant de la racine et de la graisse d'olivier »; c'est-à-dire, tu partages la même noblesse, la (350) même nature. Ensuite en avertissant sévèrement le gentil et en disant : « Ne te glorifie point aux dépens des rameaux », il semble consoler le Juif, et néanmoins fait voir sa bassesse et l'excès de son ignominie. Aussi ne dit-il pas . Ne te glorifie pas, mais : « Mais ne te glorifie pas aux dépens », ne te glorifie pas de manière à les briser entièrement : car tu occupes leur place, tu jouis de leurs avantages.

5. Voyez-vous comme, tout en gourmandant les gentils, il pique vivement les Juifs ? « Que si tu te glorifies », dit-il, « sache que tu ne portes point la racine, mais que c'est la racine qui te porte (18) ». Et qu'est-ce que cela fait aux rameaux qui ont été retranchés ? Rien. Comme je l'ai déjà dit, tout en paraissant apporter aux Juifs une faible consolation et attaquer les gentils , il porte à ceux-là un coup mortel. Car en disant : « Ne te glorifies pas », et : « Que si tu te glorifies, sache que tu ne portes pas la racine », il fait voir au Juif qu'on pouvait se glorifier du passé, bien qu'on ne le dût pas : il l'excite, il l'anime à embrasser sa foi, il joue le rôle dé défenseur, en lui montrant la perte qu'il a subie et comment d'autres ont recueilli ses avantages. « Tu diras sans doute, les rameaux ont été brisés « pour que je fusse enté (19) ». Sous forme d'objection, il établit le contraire de ce qui précède, et fait voir que ce qu'il vient de dire tout à l'heure n'avait pas d'autre but que d'attirer les Juifs. 'Ce n'est plus par leur péché que le salut est venu aux gentils, leur péché m'est plus la richesse du monde. Nous n'avons plus été sauvés parce qu'ils sont tombés ; c'est tout le contraire qui a lieu. Il indique que les gentils ont eu la part principale dans cette action de la Providence, bien que ses paroles précédentes semblent présenter un autre sens ; il enchaîne tout ce passage sous forme d'objection, pour écarter tout soupçon d'hostilité de sa part et se faire accepter de l'auditeur.

            « Fort bien ». Il approuve ce qui vient d'être dit: puis il excite l'épouvante en disant « C'est à cause de leur incrédulité qu'ils ont été rompus. Pour toi, tu as été enté par la foi ». Voici encore un éloge des gentils et une accusation contre les Juifs. Mais de nouveau il réprime l'orgueil des gentils, en ajoutant . « Ne cherche pas à t'élever; mais crains (20) ». Car ceci n'est point chose naturelle, mais affaire de foi et d'incrédulité. Encore une fois, il a l'air de fermer la bouche au gentil et d'apprendre au Juif qu'il ne faut faire aucune attention à la parenté naturelle ; c'est pourquoi il ajoute : « Ne cherche pas à t'élever ». Il ne dit pas : Sois humble, mais « Crains » : Car l'orgueil produit le mépris et la lâcheté. Puis voulant peindre leur infortune avec de vives couleurs, pour ne pas leur être trop odieux, il a l'air de gourmander les gentils et dit : « Car si Dieu n'a pas épargné les rameaux naturels » ; il n'ajoute pas : Il ne t'épargnera pas, mais : « Il pourra bien ne pas t'épargner toi-même (21) ». Il ôte aussi à sa parole ce qu'elle avait de désagréable, en même temps qu'il excite la vigilance du fidèle, attire les Juifs et contient les gentils.

«Vois donc la bonté et la sévérité de Dieu; sa sévérité envers ceux qui sont tombés, et sa bonté envers toi, si toutefois tes demeures ferme dans cette bonté ; autrement tu seras aussi retranché (22) ». Il ne dit pas : Vois tes bonnes oeuvres, vois tes travaux, mais Vois la bonté de Dieu ; indiquant par la que tout est l'oeuvre de la grâce d'en-haut et leur inspirant des sentiments de terreur. Car c'est parce que tu as sujet de te glorifier, que tu dois trembler. Crains, précisément parce que Dieu s'est montré bon envers toi : car ces biens-là né sont pas immuables, si tu te relâches, pas plus que les maux pour les Juifs, s'ils se convertissent. Et toi aussi, dit-il, tu seras retranché, si tu ne persévères pas dans la joie.

« Mais eux-mêmes, s'ils ne demeurent point dans l'incrédulité, seront entés (23) ». Car Dieu ne les a pas retranchés, mais ils se sont brisés eux-mêmes et sont tombés. Et il a raison de dire : « Se sont brisés »; car jamais Dieu ne les a ainsi rejetés, bien qu'ils aient grandement et souvent péché. Voyez-vous quelle est la puissance du libre arbitre? Quel est le pouvoir de la volonté? Car rien n'est immuable, ni ton bonheur ni leur malheur. Voyez-vous comme il relève celui qui désespère et abat celui qui a trop de confiance? Toi qui entends parler de sévérité, ne désespère point; toi qui entends parler de bonté, ne t'enfle point. Il t'a retranché avec- sévérité, afin que tu désires revenir; il t'a montré de la bonté, afin que tu persévères. Il ne dit pas Dans la foi, mais : « Dans cette bonté », c'est-à-dire, si tu te conduis d'une manière digne de la bonté de Dieu : Car la foi ne suffit pas. (351) Voyez-vous comme il ne permet pas que le Juif reste à terre, ni que le gentil s'enorgueillisse, et comme il pique le premier d'émulation, en indiquant par ce qu'il vient de dire que le Juif pourrait reprendre la place du gentil , comme le gentil a d'abord pris la place du Juif? II épouvante les gentils par l'exemple des Juifs, afin qu'ils ne se glorifient pas aux dépens de ceux-ci; et il encourage les Juifs par l'exemple des faveurs faites aux gentils. Et toi aussi, dit-il au gentil , tu seras retranché, si tu te relâches : car le Juif l'a été; et le Juif sera enté, s'il montre du zèle : car tu as été enté toi-même. Il s'adresse uniquement aux gentils, suivant sa prudente habitude de fortifier les faibles en gourmandant les forts. Il en fait autant à la fin de son épître, quand il s'agit ces observances relatives à la nourriture. Et il se fonde, non-seulement sur l'avenir, mais aussi sur le passé : ce qui fait plus d'impression sur l'auditeur. Et comme il doit présenter une série de raisonnements irréfutables, il commence sa démonstration par la puissance de Dieu. En effet, quoique les Juifs aient été retranchés et rejetés, cependant ne désespérez pas : « Car Dieu est puissant pour les enter de nouveau », lui qui peut faire au-delà de toute espérance.

6. Que si vous faites attention à la suite des faits et des raisonnements, vous trouverez chez vous-même une preuve de la plus grande force. « En effet », dit-il, « si tu as été coupé de l'olivier sauvage, ta tige naturelle, et enté contre ta nature sur l'olivier franc, à combien plus forte raison ceux qui sont les rameaux naturels seront-ils entés sur leur propre olivier (24) ? » Si la foi a pu ce qui est contraire à la nature, à bien plus forte raison pourra-t-elle ce qui est conforme à la nature. Si celui qui a été retranché de la race de ses pères naturels, en devient, contre sa nature, enfant d'Abraham ; à bien plus forte raison pourras-tu rentrer dans ta famille propre. Chez le gentil le mal est naturel, car il est, de sa nature , olivier sauvage ; et le bien est contre nature, puisque c'est contre sa nature qu'il a été enté sur Abraham. Chez toi, au contraire, le bien est naturel ; et si tu veux revenir, tu ne seras pas, comme le gentil, enté sur une racine étrangère, mais sur ta racine propre. Quelle serait donc ton excuse, de ne pouvoir selon la nature ce que le gentil a pu contre la nature, et de renoncer à tes avantages? Ensuite, après avoir dit : « Contre nature », et : « Tu as été enté », pour qu'on ne croie pas que le Juif a quelque chose de plus, il met lui-même le correctif, en disant que le Juif aussi est enté. « A combien plus forte raison ceux qui sont les rameaux naturels seront-ils entés sur leur propre olivier? » Et encore : « Dieu est assez puissant pour les enter de nouveau ». Plus haut il avait dit qu'ils seraient entés, s'ils ne demeuraient pas dans l'incrédulité. Et si vous l'entendez sans cesse dire : « Contre la nature et selon la nature », ne vous imaginez pas qu'il parle de la nature immuable; ces expressions signifient simplement chez lui ce qui convient, ce qui résulte, et ce qui ne convient pas. Car le bien et le mal ne sont pas le produit de la nature, mais de la volonté et du libre arbitre. Et voyez comme il évite tout ce qui peut blesser ! Après avoir dit : Tu seras aussi retranché, si tu ne demeures pas ferme dans la foi, et les Juifs seront entés de nouveau, s'ils ne demeurent point dans l'incrédulité : quittant ce langage sévère, il en prend un plus doux, et finit par inspirer aux Juifs de grandes espérances, s'ils montrent de la bonne volonté. C'est pourquoi il ajoute : « Car je neveux pas, mes frères, que vous ignoriez ce mystère, afin que vous ne soyez pas sages à vos propres yeux (26) ».

Ici «mystère» veut dire chose inconnue, cachée, renfermant tout à la fois quelque chose de prodigieux et d'incroyable : Comme quand il dit ailleurs : « Voici que je vais vous dire un mystère : Nous ne mourrons pas tous, mais nous serons tous changés ». (I Cor. XV, 5.) (1) Quel est donc ce mystère? « Qu'une partie d'Israël est tombée dans l'aveuglement ». Ici encore, il frappe sur les Juifs, en paraissant donner une leçon aux gentils. II veut dire ce qu'il a déjà établi plus haut, que l'incrédulité n'a pas été universelle, mais partielle ; comme quand il dit ailleurs : « Que si l'un de vous m'a contristé, il ne m'a contristé qu'en partie, pour ne pas vous charger tous ». Et encore : « Après que j'aurai un peu joui de vous ». (Rom. XV, 24.) De même il répète ici ce qu'il a dit plus haut : « Dieu n'a point rejeté son peuple, qu'il a connu dans sa prescience » ; et encore :

 

1 Le texte de la Vulgate est tout différent. — Voir tome IX, page 594.

 

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« Quoi donc ! Ont-ils trébuché de telle sorte « qu'ils soient tombés? Point du tout ». C'est ce qu'il dit encore ici : Toute la race des gentils n'a pas été attirée, mais beaucoup ont déjà cru et croiront encore. Puis comme il annonce une chose importante, il la prouve par le témoignage du prophète. Quand à. ce qui regarde l'aveuglement, il ne produit pas de témoignage , puisque c'est un fait évident pour tous : mais pour prouver qu'ils croiront et qu'ils seront sauvés , il cite une seconde fois Isaïe qui s'écrie : « Il viendra de Sion, celui qui doit délivrer et qui doit bannir l'impiété de Jacob (26) ». Ensuite, après avoir indiqué le signe de la délivrance, pour que personne ne revienne au passé et ne s'y rattache, il ajoute : « Et ce sera là mon alliance avec eux quand j'aurai effacé leurs péchés « (27) »; non pas quand ils seront circoncis, ni quand ils auront sacrifié, ni quand ils auront rempli les autres prescriptions légales, mais quand ils auront reçu la rémission de leurs péchés. Si donc cette promesse a été faite, si elle n'est bras encore accomplie sur eux, s'ils n'ont pas encore obtenu la rémission par le baptême, certainement cela aura lieu. Aussi ajoute-t-il : « Parce que les dons et la vocation de Dieu sont sans repentir (29) ». Ce n'est pas seulement par ce motif qu'il les console, mais aussi par le souvenir du passé; et il pose comme principe ce qui n'était que conséquence, en disant : « Il est vrai que, selon l'Evangile, ils sont ennemis à cause de vous; mais, selon l'élection, ils sont très-aimés à cause de leurs pères (28) ». De peur que le gentil ne s'enfle et ne dise : Je suis debout, ne me parlez pas de ce qui a pu être, mais de ce qui est : Il le comprime encore par ce motif, en disant : « Selon l'Evangile ils sont ennemis à cause de vous ». En effet, par ce que vous avez été appelés, ils sont devenus plus obstinés.

7. Pourtant Dieu n'a pas renoncé à vous appeler, mais il attend que tous les gentils qui doivent croire, soient entrés, et alors les Juifs viendront aussi. Ensuite il leur fait encore une autre concession, en disant : « Mais, « selon l'élection, ils sont très-aimés à cause « de leurs pères ». Qu'eu-ce que cela veut dire? Ennemis, ils rencontrent le supplice; bien-aimés à cause de leurs pères, la vertu de leurs ancêtres leur est inutile, à moins qu'ils ne croient. Cependant, comme je l'ai dit, il ne cesse de les consoler en paroles, afin de les attirer. C'est pourquoi, appuyant d'une autre preuve qu'il a affirmé plus haut, il dit : « Comme donc autrefois vous-mêmes n'avez pas cru à Dieu, et que maintenant vous avez obtenu miséricorde, à cause de  leur incrédulité; ainsi eux maintenant n'ont pas cru, pour que miséricorde vous fût faite. Car Dieu a renfermé tous les hommes (1) dans l'incrédulité, pour faire miséricorde à tous (30-32) ».

Ici il fait voir que les gentils ont été appelés les premiers. Mais que, sur leur refus, les Juifs ont été élus; et que, dans le sens inverse, les Juifs n'ayant pas voulu croire, les nations ont été de nouveau introduites. Mais il ne s'en tient pas là et ne se borne pas uniquement à proclamer leur expulsion ; il leur laisse aussi espérer un retour de miséricorde. Voyez combien il accorde aux gentils ! Autant qu'il accordait en premier lieu aux Juifs. Quand vous, gentils, leur dit-il, vous avez été indociles, les Juifs sont venus; puis, quand ils ont été indociles à leur tour, vous êtes revenus à leur place. Cependant ils ne sont pas perdus à jamais. « Car Dieu a renfermé tous les hommes dans l'incrédulité », c'est-à-dire, a convaincu, les a fait paraître incrédules, non pour qu'ils demeurent tels, mais pour sauver les uns par émulation à l'égard des autres, ceux-ci par ceux-là et ceux-là par ceux-ci. Examinez un peu : Vous, gentils, vous avez cessé de croire et les Juifs ont été sauvés; puis les Juifs ont cessé de croire, et vous avez été sauvés à votre tour; vous n'avez cependant pas été sauvés de manière à sortir encore une fois, comme les Juifs, mais pour persévérer et les attirer par l'émulation.

« O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont incompréhensibles (33) ! » Ici, après avoir fait un retour sur les premiers temps, contemplant l'action de la Providence divine depuis la création du monde jusqu'au moment présent, et considérant la variété de ses voies, il est frappé de stupeur et pousse une exclamation, pour attester à l'auditeur que tout ce qu'il a dit s'accomplira certainement. S'il en eût dû être autrement, il n'aurait pas été saisi d'étonnement, il n'eût pas poussé cette exclamation. Que la profondeur existe,

 

1 Dans la Vulgate : tout, omnia.

 

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il le sait; quelle elle est, il ne le sait pas; car c'est le cri de l'étonnement et non d'une parfaite connaissance. Ravi d'admiration et frappé de stupeur à la vue de la bonté de Dieu, il la proclame, autant qu'il le peut, par deux expressions énergiques : la richesse et la profondeur; et il reste saisi d'étonnement que Dieu ait voulu et pu ces choses, et qu'il ait tramé les contraires par les contraires. « Que ses jugements sont incompréhensibles! » Non-seulement on ne peut les comprendre, mais pas même les scruter. « Et ses voies impénétrables ! » c'est-à-dire les desseins de sa Providence, car non-seulement on ne peut pas les connaître, mais pas même s'en enquérir. Je n'ai pas pu, dit-il, découvrir tout; mais seulement une faible partie : car Dieu seul connaît parfaitement ses oeuvres. Aussi ajoute-t-il: « Car qui a connu la pensée du Seigneur? Ou qui a été son conseiller? Ou qui, le premier, lui a donné, et sera rétribué? (34-35) » Voici ce qu'il veut dire : Dieu si sage n'emprunte point sa sagesse à un autre, mais est lui-même la source des biens; tout ce qu'il a fait pour nous, tout ce qu'il nous a accordé, il nous l'adonné de sa propre abondance sans l'emprunter à personne ; il ne doit point de retour comme ayant reçu de quelqu'un, mais il est lui-même toujours le premier auteur de ses bienfaits.

Or c'est là surtout le propre de la richesse ; de surabonder et de n'avoir besoin de personne. Voilà pourquoi Paul ajoute : « Puisque c'est de lui, et par lui, et en lui que sont toutes choses ». C'est lui qui a inventé, c'est lui qui a fait, c'est lui qui conserve : car il est riche et n'a pas besoin de recevoir; car il est sage et n'a pas besoin de conseiller. Que dis-je, de conseiller? Personne ne peut rien savoir de lui , si ce n'est lui , le seul riche, et le seul sage. Il faut être en effet bien riche, pour procurer aux gentils une telle abondance de biens; et il faut être bien sage pour donner aux Juifs, comme maîtres, les gentils qui leur sont si inférieurs Ensuite, après le mouvement de son admiration, l'apôtre exprime un sentiment de reconnaissance, en disant : « A lui la gloire dans les siècles ! Amen» . Quand il. a énoncé quelque chose de grand et de mystérieux. Son admiration se termine par la louange. Il en fait autant quand il parle du Fils; ainsi, plus haut, après avoir exprimé son admiration, il ajoute comme ici . « De qui est sorti, selon la chair, le Christ même, qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans tous les siècles. Amen. »

Imitons-le, nous aussi , et glorifions Dieu partout par la régularité de notre vie ; instruits par l'exemple des Juifs, ne nous reposons point sur les vertus de nos ancêtres. Car il n'y a point, non, il n'y a point d'autre parenté chez les chrétiens que l'union par l'Esprit. C'est ainsi que le scythe devient fils d'Abraham , et que le fils d'Abraham lui est plus étranger que le scythe. Ne nous confions donc point sur les mérites de nos pères; fussiez-vous né d'un homme admirable, ne pensez pas que ce soit assez pour être sauvé, honoré, glorifié, si vous n'êtes pas son fils par vos moeurs; comme, si vous avez pour père un homme vicieux, ne croyez pas que ce soit pour vous un motif de condamnation et de honte, pourvu que vous teniez une bonne conduite. En effet qu'y avait-il de moins honorable que les gentils? Et cependant ils sont devenus subitement par la foi les enfants des saints qui étaient membres de la famille plus que les Juifs? Et cependant, par leur incrédulité, ils lui sont devenus étrangers. En effet la parenté qui nous lie tous est fondée sur la nature et sur la nécessité ; car nous sommes tous nés d'Adam, et tous au même degré, par rapport à Adam, à Noé, ou à la terre, notre mère commune; mais la parenté qui mérite les couronnes est celle qui nous distingue des méchants. ici tous ne sont pas parents, mais seulement ceux qui tiennent la même conduite; nous ne donnons pas le nom de frères à ceux qui sont sortis du même sein que nous, mais à ceux qui montrent le même zèle.

C'est en ce sens que le Christ dit enfants de Dieu, enfants du diable, enfants de l'incrédulité, de l'enfer, de la perdition. C'est ainsi que Timothée était fils de Paul par ses vertus et s'appelait son enfant légitime, tandis que nous ne savons pas même le nom du fils de la sueur de l'apôtre ; cependant celui-ci lui appartenait selon la nature ; mais cela n'y faisait rien : le plus rapproché de lui était celui-là même que la nature et la patrie (il était citoyen de Lystres) avaient jeté à une plus grande distance de lui. Soyons donc, nous aussi, enfants des saints; bien plus encore, soyons enfants de Dieu. Que nous puissions le devenir, la preuve en est dans ce que dit le Christ : « Soyez donc parfaits, comme votre Père, qui est dans les cieux ».

 

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(Matth. V, 48.) Voilà pourquoi nous lui donnons le nom de Père quand nous prions; nous remettant ainsi en mémoire, non-seulement la grâce, mais encore la vertu, afin de ne faire rien d'indigne d'une si noble origine. Et comment, direz-vous , peut-on être fils de Dieu ? En vous débarrassant de vos passions, en vous montrant bon à l'égard de ceux qui vous injurient et vous font tort; car c'est ainsi que fait votre Père à l'égard de ceux qui le blasphèment. C'est pourquoi , bien qu'il ait dit ailleurs beaucoup d'autres choses, le Christ n'a dit nulle part : Afin que vous soyez semblables à votre Père; et c'est seulement quand il dit : « Priez pour ceux qui vous persécutent, faites du bien à ceux qui vous haïssent », qu'il ajoute cette récompense. Car rien ne nous rapproche de Dieu, rien ne nous rend semblables, à lui, comme cette bonne oeuvre. Aussi quand Paul dit . « Soyez les imitateurs de Dieu » (Eph. V, 1), c'est dans ce sens qu'il parle.

Sans doute nous avons besoin de toutes les vertus, mais surtout de bonté et de douceur, car il en faut beaucoup à notre égard. En effet, nous commettons bien des fautes tous les jours; aussi avons-nous grand besoin de miséricorde. Or le plus et le moins ne se mesurent pas sur la quantité du don, mais sur les ressources de ceux qui donnent. Que le riche ne s'enorgueillisse donc pas, et que le pauvre ne se décourage pas, parce qu'il donne peu car souvent il donne plus que le riche. Il ne faut donc pas se tourmenter à raison de sa pauvreté, car elle rend l'aumône plus facile. En effet celui qui possède beaucoup est dominé par l'orgueil et l'ambition ; tandis que celui qui n'a que peu , est exempt de cette double tyrannie, et trouve par là même plus d'occasions de faire le bien. Ainsi il ira sans peine en prison, et visitera les malades, il donnera un verre d'eau froide; tandis que le riche, fier de sa fortune, ne se prêtera à aucune de ces démarches. Ne vous découragez donc pas à cause de votre pauvreté; elle nous rend plus facile le commerce avec le ciel , ne possédassiez-vous rien, si vous avez une âme compatissante , vous en recevrez encore la récompense. Voilà pourquoi Paul veut qu'on pleure avec ceux qui pleurent, et qu'on soit comme prisonnier avec les prisonniers. Non-seulement ceux qui pleurent, mais encore ceux qui éprouvent d'autres infortunes, sont consolés quand beaucoup de personnes leur compatissent; il est même des cas où la parole n'a pas moins de puissance que l'argent pour rendre le courage à celui qui souffre. C'est même pour cela que Dieu ordonne qu'on fasse l'aumône aux indigents, non pas seulement pour soulager leur pauvreté, mais pour nous apprendre à compatir aux maux du prochain.

C'est aussi pourquoi l'avare est odieux, non-seulement  par ce qu'il méprise le pauvre, mais parce qu'il se rend lui-même dur et inhumain; comme celui qui méprise l'argent en faveur des pauvres est aimable, parce qu'il est miséricordieux et humain. Quand le Christ appelle heureux ceux qui sont miséricordieux, il n'entend pas seulement parler de ceux qui donnent de l'argent, mais aussi de ceux qui en ont la bonne volonté. Ayons donc cette disposition à la pitié, et tous les biens nous viendront à la suite. En effet celui qui est doué d'un coeur humain et compatissant donne de l'argent s'il en a ; il pleure et gémit avec celui qu'il voit dans l'affliction ; il prête appui à celui qui est victime de l'injustice; et s'il voit quelqu'un exposé aux outrages, il lui tend la main. Possédant au dedans de lui-même le trésor des biens , une âme bonne et compatissante, il en verse l'abondance sur ses frères et il recevra toutes les récompenses que Dieu tient en réserve. Et nous aussi, pour les obtenir, faisons-nous avant tout une âme pleine de mansuétude. C'est ainsi que nous ferons beaucoup de bonnes oeuvres ici-bas et que nous jouirons des récompenses à venir. Puissions-nous tous avoir ce bonheur par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent , au Père et au Saint-Esprit la gloire, l'honneur, la force, maintenant et toujours, dans les siècles- des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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