ROMAINS XIII

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HOMÉLIE XIII. AH NOUS SAVONS QUE LA LOI EST SPIRITUELLE, ET MOI JE SUIS CHARNEL, VENDU COMME ESCLAVE AU PÉCHÉ. (VII, 14, JUSQU'À VIII, 11.)

 

283

 

Analyse.

 

1. La loi est spirituelle et elle a l'approbation de notre raison.

2. Mais la convoitise qui est en nous obscurcit notre raison et ébranle notre bonne volonté.

3. Il en résulte une lutte intérieure entre ce que saint Paul appelle la chair et l'esprit. — Ce n'est pas que la chair soit mauvaise par sa nature et qu'elle soit la cause du mal, non, elle n'en est que l'occasion. — Qui nous délivrera de cette concupiscence dont la victoire fait notre malheur ? Ce sera Jésus-Christ.

4. L'homme qui a parc à la vraie foi en Jésus-Christ est soustrait par l'esprit de Jésus-Christ au péché et à la condamnation. — Il a la vie de l'esprit. — C'est ainsi que Jésus-Christ a fait ce que la loi de Moïse n'avait pu faire.

5. Il n'y a donc lias antagonisme entre Moïse et Jésus-Christ, puisque la loi de Jésus-Christ, ou la loi de grâce est venue en aide à la loi de Moïse. — Moïse avait enseigné à discerner le bien du mal, Jésus-Christ a donné le moyen de faire le bleu. — Enseigner était chose facile, donner la force de pratiquer, voilà ce qui est digne d'admiration. — Comment Jésus-Christ a rendu notre chair victorieuse du péché. — Cette victoire de Jésus-Christ a procuré à ceux qui n'obéissent pas à la convoitise charnelle la justification qui est le but de la loi.

6. Ne perdons pas ce trésor, et pour cela ne vivons plus selon la chair, mais selon l'Esprit. — Le sens charnel a pour conséquence et pour effet la mort, la mortification de la chair par l'Esprit produit la vie.

7. Comment la grâce de l'Esprit a tout renouvelé.

8. Effets de la présence de Jésus-Christ et du Saint-Esprit dans l'âme. — Le Saint-Esprit, source de la résurrection.

9-11. Avantages de la mortification. — Contre les excès du vin et contre l'avarice.

 

1. Après avoir dit que le mal a été grand, que le péché est devenu plus puissant à l'occasion de la loi, que le contraire de ce que la loi avait en vue est arrivé, et avoir jeté l'auditeur dans un grand embarras, il donne enfin la raison de toutes ces choses, mais sans avoir d'abord dégagé la loi de tout soupçon injuste. De peur qu'en entendant dire que le péché a pris occasion de la loi, que la présence du commandement l'a fait revivre, que c'est par son entremise qu'il a trompé et donné la mort; de peur, dis-je, qu'en entendant dire cela, quelqu'un ne s'imaginât due la loi était responsable de tous ces maux, il l'a d'abord justifiée surabondamment, et l'a non-seulement purgée de toute accusation, mais encore comblée d'éloges. Et il ne parle pas comme faisant ici une concession personnelle, mais comme exprimant le sentiment de t'out le monde. « Nous savons », dit-il, « que la loi est spirituelle »; comme s'il disait : C'est chose convenue, évidente, qu'elle est spirituelle; tant il, s'en faut qu'elle soit la cause du péché et responsable des maux survenus. Et voyez comment, non content de la laver de tout reproche , il fait d'elle le plus grand éloge. En effet, en l'appelant spirituelle, il fait voir qu'elle enseignait la vertu et combattait le vice : car être spirituel, c'est éloigner de tolus les péchés : ce que la loi faisait réellement, en effrayant, en avertissant, en punissant, en corrigeant, en donnant tous les conseils qui conduisent à la vertu. Pourquoi donc, demande-t-il, le péché a-t-il existé, puisque le maître était si merveilleux ? Par la lâcheté des disciples. Aussi ajoute-t-il : « Et moi je suis charnel » , par où il désigne l'homme qui a vécu sous la loi et avant la loi.

« Vendu comme esclave au péché ». Avec la mort, dit-il , les passions sont arrivées en foule. Le corps, une fois devenu mortel,.a nécessairement subi la concupiscence, la colère, la tristesse et toutes les autres affections; et il fallait beaucoup de sagesse pour les empêcher de déborder et de plonger la raison dans l'abîme du, péché. Car elles n'étaient point (284) elles-mêmes le péché, mais elles le produisaient si on ne jetait pas le frein à leur intempérance. Ainsi , par exemple, pour en citer une en particulier, la concupiscence n'est pas un péché ; mais quand elle ne garde pas la mesure, qu'elle ne se contient pas dans les lois du mariage, qu'elle convoite même des femmes étrangères, alors elle devient l'adultère, non précisément par sa nature de concupiscence, mais par l'abus et le défaut de mesure. Et voyez la sagesse de Paul. Après avoir fait l'éloge de la loi, il remonte aussitôt aux temps anciens, afin de montrer où en était notre race avant et après avoir reçu la loi, et faire comprendre que la grâce était absolument nécessaire : ce qu'il a soin de démontrer partout. Car en disant: « Vendu au péché comme esclave », il n'entend pas seulement parler de ceux qui ont vécu sous la loi , mais de ceux qui ont vécu avant la loi et dès le commencement. Ensuite il indique comment il a été vendu et livré.

« Aussi ce que je fais, je ne le comprends pas (15) ». Qu'est-ce à dire: « Je ne le comprends pas? » C'est-à-dire: Je l'ignore. Et quand donc cela est-il arrivé? Car personne n'a jamais péché par ignorance. Voyez-vous que si nous ne choisissons pas les expressions avec les précautions convenables, et si nous ne faisons pas attention au but de l'apôtre, une foule d'absurdités vont s'ensuivre? Si en effet les hommes péchaient par ignorance , ils ne méritaient aucun châtiment. De même que plus haut il disait : « Sans la loi , le péché est mort », non pour faire entendre qu'on péchait sans le savoir, mais pour indiquer qu'on le savait imparfaitement ; ce qui occasionnait des punitions, quoique moins sévères; et de même qu'il a dit encore : « Je ne connaîtrais pas la concupiscence » , désignant ici non une ignorance absolue, mais le défaut d'une parfaite connaissance : de même enfin qu'il a dit : « A opéré en moi toute concupiscence », non pour rendre le commandement responsable de la concupiscence, mats pour faire voir que le. péché a augmenté la concupiscence à l'occasion du commandement : ainsi il n'entend point exprimer une ignorance complète par ces mots : « Ce que je fais, je ne le comprends pas ». Autrement, comment se complairait-il dans la loi de Dieu selon l'homme intérieur? Que signifient donc ces paroles : « Je ne le comprends pas? » C'est-à-dire: Je suis dans les ténèbres, je suis entraîné, je souffre violence, je suis supplanté sans savoir comment. Nous avons nous-mêmes l'habitude de dire : Je ne sais comment un tel est venu et m'a entraîné; par quoi nous n'entendons pas prétexter d'ignorance, mais indiquer que nous avons été en quelque façon trompés, circonvenus, pris au piège.

« Car ce que je veux, je ne le fais pas: mais ce que je hais, je le fais ». Comment donc ne savez-vous pas ce que vous. faites? Si vous voulez le bien et haïssez le mal, c'est la preuve d'une parfaite connaissance. Par où l'on voit clairement que, par ces expressions: « Ce que je ne veux pas », il ne prétend point supprimer le libre arbitre ni introduire l'idée d'une nécessité quelconque. Car si nous ne péchons pas librement, mais par forcé, les châtiments qui ont été infligés autrefois n'auraient plus de raison d'être. Mais comme par ces expressions : «Je ne le comprends pas», il n'entend point parler d'une ignorance absolue; et qu'il faut les interpréter dans le sens que nous avons dit; ainsi, en ajoutant ces mots : « Ce  que je ne veux pas », il n'exprime pas l'idée de la nécessité, mais veut seulement dire qu'il n'approuve pas ce qu'il a fait. Et si ce n'était pas là le sens de ces expressions : « Ce que je ne veux pas, je le fais », comment n'aurait-il pas. ajouté : Mais ce que je suis forcé de faire, je le fais? Car c'est là l'opposé de la volonté et de la faculté d'agir. Mais ce n'est point ce qu'il dit; au lieu de cela, il emploie ces expressions : « Ce que je hais », pour nous apprendre qu'en disant: « Ce que je ne veux pas » , il ne détruit point la liberté. Que signifient donc ces mots : « Ce que je ne veux pas? » C'est-à-dire, ce que je ne loue pas, ce que je n'approuve pas, ce que je n'aime pas ; et par antithèse il ajoute : « Mais ce que je hais, je le fais. Or, si je fais ce que je ne veux pas, j'acquiesce à la loi comme bonne (16) ».

2. Voyez-vous que l'âme n'est point perverse, mais qu'elle conserve dans l'action sa noblesse originelle? Si elle commet le mal, c'est en le haïssant : ce qui forme le plus bel éloge de la loi naturelle et de la loi écrite. La preuve, dit-il, que la loi est bonne, c'est que je m'accuse moi-même de ne l'avoir pas écoutée, et que je hais le mal que j'ai fait. Or, si la loi était la cause du péché, comment celui qui se complaît en elle, haïrait-il ce qu'elle aurait (285) commandé? Car « J'acquiesce à la loi, comme étant bonne. Maintenant ce n'est plus moi qui fais cela, mais le péché qui habite en moi. Car je sais que le bien n'habite pas en a moi, c'est-à-dire dans ma chair (17, 18) ». C'est sur ce texte qu'insistent ceux qui calomnient la chair et nient qu'elle soit l'ouvrage de Dieu. Que dirons-nous donc? Ce que nous disions hier à propos de la loi; qu'ici, comme là, Paul attribue tout au péché. En effet il ne dit point : C'est la chair qui fait cela, mais il dit au contraire : « Maintenant ce n'est plus a moi qui fais cela, mais le péché qui habite en moi ». Que s'il dit que le bien n'habite « pas dans la chair, ce n'est point encore une accusation contre elle : car de ce que le bien n'habite pas en elle, ce n'est pas une preuve qu'elle ne soit pas bonne. Nous convenons que la chair est inférieure à l'âme, qu'elle est plus défectueuse, sans cependant être son ennemie, ni son adversaire, ni mauvaise en elle-même; mais nous disons qu'elle est soumise à l'âme comme la lyre au musicien, comme le navire au pilote : instruments qui ne sont point ennemis de ceux qui les dirigent ou les manient, mais s'accordent parfaitement avec eux, sans être leurs égaux en dignité. Comme donc en disant que l'art n'est pas dans la lyre ni dans le vaisseau, mais dans le pilote et dans le musicien, on ne calomnie pas ces instruments , on indique seulement la distance qui les sépare de ceux qui les emploient; ainsi Paul en disant : « Le bien n'habite pas dans ma chair », ne calomnie pas le corps, mais marque la supériorité de l'âme sur lui, car c'est à l'âme que sont confiées les fonctions de pilote et de musicien; et c'est ce que Paul veut exprimer, en lui attribuant l’autorité. Partageant l'homme en deux parties, l'âme et le corps, il dit que la chair est dénuée de raison, privée d'intelligence, qu'elle doit âtre conduite et ne saurait conduire ; tandis que l'âme plus sage, pouvant discerner ce qu'il faut faire et ce qu'il faut éviter, ne peut cependant modérer le cheval à son gré : reproche qui ne s'adresse pas seulement au corps, mais aussi à l'âme, qui sachant ce qu'il faut faire, n'exécute cependant pas ce qu'elle approuve.

« En effet, le vouloir réside en moi », nous dit-il, « mais pour ce qui est d'accomplir le bien, je ne l'y trouve pas ». Ici encore en disant ; « Je ne l'y trouve pas », il n'entend pas parler de l'ignorance ou du doute, mais du tort causé par le péché et des piéges qu'il tend ; ce qu'il exprime plus clairement en ajoutant: « Ainsi le bien que je veux, je ne le fais point; mais le mal que je ne veux pas , je le fais. Si donc je fais ce que je ne veux pas, ce n'est pas moi qui le fais , mais le péché qui habite en moi (19, 20) ». Voyez-vous comment, justifiant la substance de l'âme et celle du corps, il rejette tout sur la mauvaise action ? En effet, s'il ne veut pas le mal, l'âme n'est pas coupable ; s'il ne le fait pas, le corps est exempt de faute : tout est l'effet de la mauvaise volonté. Car il faut distinguer avec soin l'âme , le corps et la volonté : ces deux premiers sont les oeuvres de Dieu, et l'autre est un mouvement qui part de nous et tend où nous le dirigeons. La faculté de vouloir est naturelle et vient de Dieu ; mais telle ou telle volonté vient de nous et est l'oeuvre de notre choix.

« Je trouve donc, quand je veux faire le bien, cette loi, que le mal réside en moi ». Ces paroles sont obscures : quel en est le sens? J'approuve la loi dans ma conscience , nous dit-il; je la trouve d'accord avec moi quand je veux faire le bien, elle fortifie ma volonté; et comme je me. complais en elle , aussi agrée telle mon intention. Voyez-vous comme il démontre que la distinction du bien et du mal nous a été donnée dès le principe, que la loi de Moïse l'approuve et en est approuvée? En effet, plus haut il n'a pas dit: J'apprends de la loi , mais : « J'acquiesce à la loi »; il n'a pas dit : La loi m'instruit, mais : « Je me complais en elle ». Qu'est-ce que cela : « Je me complais? » Je conviens qu'elle est bonne, puisqu’elle est d'accord avec moi quand je veux faire le bien. Ainsi vouloir le bien et ne pas vouloir le mal date du commencement; mais la loi survenant a accusé davantage chez les méchants et approuvé davantage chez les bons. Le voyez-vous attester partout l'extension et l'augmentation de la loi, mais rien de plus? Car bien que la loi m'approuve, que je me complaise en elle et que je veuille le bien, le mal est. pourtant là et son action n'est pas détruite. Ainsi la loi ne vient en aide à celui qui se propose de faire le bien,qu'autant qu'il veut ce qu'elle veut. Mais comme il n'avait dit cela qu'obscurément, il l'explique ensuite et l'exprime, plus clairement, en faisant voir comment le mal est présent et comment la loi (286) aide celui qui veut faire le bien. « Je me complais », dit-il, « dans la loi de Dieu, selon l'homme intérieur », c'est-à-dire : Je connaissais déjà le bien auparavant, mais je l'approuve quand je le trouve dans la loi écrite. « Mais je vois dans mes membres une autre loi , qui combat la loi de mon esprit (22, 23) ».

3. Sous le nom de loi qui combat, il désigne ici le péché, fion par honneur, mais à cause de la facilité avec laquelle on lui obéit. Car comme on donne à Mammon le nom de Seigneur, au ventre celui de Dieu, non qu'ils aient une dignité Propre , mais à raison de la soumission de leurs esclaves : ainsi l'apôtre appelle le péché loi , parce que ses partisans lui obéissent servilement et craignent de le quitter, comme ceux qui ont reçu la loi craignent de la perdre. Or le péché, dit Paul , est opposé à la loi naturelle; car c'est là ce que signifient ces mots: « La loi de mon esprit ». Puis il parle d'armée et de combat, et reporte le poids de la lutte sur la loi naturelle. En effet, la loi de Moïse a été donnée par surcroît. Et pourtant toutes les deux, l'une en enseignant , l'autre en approuvant ce qu'il fallait faire, n'ont pas obtenu grand succès dans la bataille : tant est grande la violence du péché, à qui reste le triomphe et la victoire ! C'est ce que Paul déclare, et en constatant la défaite, il dit : « Mais je vois dans moi une autre loi qui combat la loi de mon esprit et me captive »; il ne dit pas simplement : Qui remporte la victoire , mais : « Qui me captive « sous la loi du péché ». Il ne dit pas : Sous l'impulsion de la chair, ni : Sous la nature de la chair; mais : « Sous la loi du péché », c'est-à-dire sous la tyrannie, sous la puissance.

Comment dit-il donc. « Laquelle est dans mes membres? » Et qu'est-ce que cela? Il n'en résulte pas que les membres soient péché, il les distingué au contraire du péché : car autre chose est le contenu, autre chose le contenant. De même donc que le commandement n'est pas mauvais, parce que le péché en a pris occasion ; ainsi en est-il de la nature de la chair, quoique le péché nous attaque par elle; autrement l'âme aussi serait mauvaise, et à bien plus forte raison, puisque c'est à elle qu'appartient l'autorité pour agir. Mais cela n'est pas, cela n'est pas du tout. Si un tyran ou un voleur s'emparait d'une magnifique maison et d'un palais royal, ce n'est point à la maison qu'en reviendrait le blâme, mais l'accusation retomberait tout entière sur les auteurs d'une telle surprise. Mais les ennemis de la vérité, outre leur impiété, tombent ici dans une grande folie sans s'en apercevoir. En effet, ils n'accusent pas seulement la chair, mais ils calomnient la loi; et pourtant si la chair est mauvaise, la loi est bonne, car elle est opposée à la chair et la combat; et si la loi est mauvaise, la chair est bonne; car, selon eux, elle lutte et combat contre la loi. Or, si ces deux choses sont opposées, comment les attribuent-ils toutes les deux au démon ? Voyez-vous comme la folie se mêle ici à l'impiété? Elle n'est point la doctrine de l'Eglise : elle ne condamne que le péché ; mais elle affirme que les deux lois données par Dieu, la loi naturelle et la loi mosaïque, sont les ennemies du péché et non de la chair; que la chair n'est point péché, mais oeuvre de Dieu , apte à la pratique de la vertu, si nous veillons sur nous.

« Malheureux homme que je suis ! qui me a délivrera de ce corps de mort (21) ? »  Voyez-vous jusqu'où va la tyrannie du péché, puisqu'il triomphe même de l'âme qui se complaît dans la loi.? Personne, nous dit Paul, ne peut affirmer que le péché me domine parce que je hais et repousse la loi , car je me complais en elle, j'y acquiesce; j'y cherche mon refuge ; et pourtant elle ne peut sauver celui qui recourt à elle, tandis que le Christ a sauvé même celui qui s'éloignait de lui. Voyez-vous quelle est la supériorité de la grâce? Ce n'est cependant pas ainsi que parlait l'apôtre mais gémissant et versant d'abondantes larmes, comme s'il était privé de tout secours, il nous fait voir, par son inquiétude même, la puissance du Christ, et s'écrie : « Malheureux homme que je suis ! qui me délivrera de ce corps de mort ? » La loi ne l'a pas pu, la conscience n'y a pas suffi ; et pourtant j'approuvais le bien, et non-seulement je l'approuvais, mais, je luttais contre le mal. Car en disant : « Qui combat », il indique qu'il résistait lui-même. Où est donc l'espérance du salut ?

« Je rends grâces à Dieu », dit-il, « par Notre-Seigneur Jésus-Christ (25) ». Voyez-vous comme il fait voir que la présence de la grâce est nécessaire et que les bienfaits sont communs au Père et au Fils? Si, en effet, il rend grâces au Père, c'est le Fils même qui en est la (287)  cause. Et quand vous l'entendez dire: « Qui me délivrera de ce corps de mort ? » ne vous imaginez pas qu'il accuse la chair. Car il ne dit pas : Ce corps de péché, mais : « Ce corps de mort », c'est-à-dire, ce corps mortel, sujet à la mort, mais qui n'a pas engendré la mort : ce qui est un indice, non de la malice de la chair, mais du dommage qu'elle a souffert. De même que si quelqu'un était pris par les barbares, on dirait de lui qu'il leur appartient, non parée qu`i[ serait lui-même barbare; mais parce qu'il serait en leur pouvoir; ainsi le corps est dit corps de mort, non parce qu'il a causé la mort, mais parce qu'il est sous sa domination. C'est pourquoi Paul ne demande pas à être délivré du corps, mais du corps mortel : insinuant ce que j'ai répété bien des fois, que le corps est très-accessible au péché, précisément parce qu'il est passible.

4. Mais, direz-vous, puisque avant la grâce la tyrannie du péché était si grande, pourquoi les pécheurs étaient-ils punis ? Parce qu'on ne leur commandait que ce qu'ils pouvaient faire sous l'empire même du péché. En effet, Dieu n'exigeait pas d'eux une grande perfection ; il leur permettait l’usage des richesses, ne leur défendait pas d'avoir plusieurs femmes, tolérait la colère dans les limites de la justice, la jouissance des plaisirs modérés; sa condescendance allait jusqu'au point que la loi écrite était moins exigeante que la loi naturelle. En effet, la loi naturelle voulait qu'un homme n'eût jamais qu'une femme, ce que le Christ rappelle quand il dit : « Celui qui les créa au commencement, les fit mâle et femelle ». (Matth. XIX, 4.) Mais la loi de Moïse n'exigeait pas même qu'on renvoyât une première femme pour en prendre une seconde ; elle ne défendait point de les garder toutes les deux. Outre cela, nous voyons les anciens , instruits par la loi naturelle, faire encore, en d'autres points, beaucoup plus que ceux qui ont vécu sous la toi. On n'a donc pas eu de tort envers ceux-ci, puisque leur législation était si modérée. Donc s'ils n'ont pas pu vaincre, la faute en est à leur lâcheté. C'est pourquoi Paul rend grâces de ce que le Christ, laissant de côté toute enquête minutieuse , non-seulement n'a pas demandé compte des péchés passés, mais nous a rendus capables de courir dans une voie plus parfaite. Ce qui lui fait dire : « Je rends grâces à Dieu par Jésus-Christ ». Sans parler du salut, bienfait dont tout le monde convient, il passe de la question qu'il vient de traiter à une autre plus élevée, à savoir : que non-seulement nous sommés délivrés de nos péchés passés, mais que nous en sommes garantis pour l'avenir.

« Il n'y a donc pas maintenant de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ, qui ne marchent pas selon la chair ».(VIII, 1.) Il n'a dit cela qu'après avoir rappelé le premier état de choses. En effet, après avoir d'abord dit ; « Ainsi j'obéis moi-même par l'esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché », il ajoute : « Il n'y a donc pas de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ ». Puis, comme on pouvait objecter que beaucoup pèchent même après le baptême, il se hâte d'aborder ce point. Et il ne dit pas simplement : « A ceux qui sont en. « Jésus-Christ » ; mais : « A ceux qui ne marchent pas selon la chair », indiquant par là que tout le mal .qui se fait est l'effet de notre lâcheté; car il est possible maintenant de ne pas marcher selon la chair, mais alors c'était difficile. Il donne encore une autre preuve dans ce qui suit, quand il dit: « Car la loi de l'esprit de vie qui est dans le Christ Jésus m'a délivré... (2) » : donnant ici à l'esprit le nom de loi de l'Esprit: Comme il a appelé le péché loi de péché, ainsi il appelle l'esprit loi de l'Esprit. Or, il a aussi donné ce nom à la loi de Moïse, en disant : « Nous savons en effet que la loi est spirituelle ». Où est donc la différence? Elle est grande, elle est immense: l'une était spirituelle , et l'autre est la loi de l'Esprit. Et en quoi consiste cette différence? C'est que la première a été simplement donnée par l'Esprit, et que la seconde donne abondamment l'Esprit à ceux qui la reçoivent. Aussi l'appelle-t-il loi de vie, par opposition non à la loi mosaïque, mais à la loi du péché. En effet. quand il dit : « M'a délivré de la loi du péché et de la mort », il n'entend point parler de la loi de Moïse, vu que nulle part il ne l'a appelée loi de péché ; et comment pourrait-il lui donner ce nom, puisqu'il l'a déclarée juste, sainte, destructive du péché ? Celle qu'il désigne est donc celle qui combat la loi de l'Esprit. C'est la grâce de l'Esprit qui a mis fin à cette guerre terrible, en tuant le péché,en nous rendant le combat facile, en nous couronnant d'abord, et en nous provoquant à la lutte par des secours abondants.

Et ce qu'il fait toujours, eu passant du Fils (288) à l'Esprit, de l'Esprit au Fils et au Père, et en attribuant tout ce que nous avons à la Trinité, il le fait encore ici. Car, après avoir dit : « Qui me délivrera de ce corps de mort ? » il a montré que c'est-le Père. par le Fils , puis l'Esprit-Saint avec le Fils: « Car »,dit-il, «la loi de l'Esprit de vie qui est dans le Christ Jésus, m'a affranchi »; puis le Père et le Fils: « Car », dit-il encore, « ce qui était impossible à la loi, parce qu'elle était affaiblie par la chair, Dieu, envoyant son Fils dans une chair semblable à celle du péché, a condamné le péché dans la chair à cause du péché même (3) ». Une fois encore, il semble accuser la loi ; mais, si on y fait attention, il en fait un grand éloge, en montrant qu'elle est d'accord avec le Christ et impose les mêmes .commandements. Il ne dit pas : Ce qui était mauvais dans la loi, mais : « Ce qui était impossible sous la, loi » ; et encore : «.Parce qu'elle était affaiblie », mais non : Parce qu'elle faisait le mal, ni. Parce qu'elle tendait des pièges. Encore ce n'est pas même à elle qu'il impute sa faiblesse, mais à la chair , disant : « Parce qu'elle était affaiblie par la chair » ; et par chair ici il n'entend point la substance même et le sujet, mais le sens trop charnel; ainsi il justifie de toute accusation et le corps et la loi ; non-seulement par ce qu'il vient de dire, mais encore par ce qui suit.

5. En effet, si la loi était contraire, comment le Christ serait-il venu à son aide, aurait-il complété sa justification, lui aurait-il tendu la main, en condamnant le péché dans la chair? C'était tout ce qui restait à faire, puisque depuis longtemps la loi condamnait le péché dans l'âme. Quoi donc ? La loi a-t-elle fait le principal, et le Fils unique de Dieu l'accessoire? Nullement. Ce principal, Dieu l'avait fait avant tout, en donnant la loi naturelle, et en y ajoutant la loi écrite ; mais, du reste, il eût été inutile, si l'accessoire n'était venu s'y joindre. Car à quoi sert de connaître ses devoirs, si on ne les remplit pas? A rien,; la condamnation n'en est que plus forte. Celui donc qui a sauvé l'âme est précisément celui qui a refréné la chair. Enseigner est facile ; mais montrer le chemin par où tout devient facile; voilà le merveilleux. C'est pour cela que le Fils unique est venu, et il ne s'en est pas allé avant de nous avoir dégagés de cette difficulté. Et ce qu'il y a de plus grand encore, c'est la manière dont il a remporté la victoire ; car il n'a pas pris d'autre chair que celle que les maux accablaient ; comme si quelqu'un voyant une femme de vile condition, une vagabonde, maltraitée sur une place publique, se déclarait son fils, étant lui-même fils du roi, afin de l'arracher ainsi aux mains de ceux qui l'outragent. C'est ce que le Christ a fait, se déclarant fils de l'homme, prêtant secours à la chair, et condamnant te péché. Et le péché n'osa plus frapper la chair, ou plutôt il l'a frappée du coup de la mort; mais par là même, a été condamné et détruit, non la chair qui avait reçu le coup, mais le péché qui l'a donné: chose prodigieuse entre toutes. Car si la victoire n'eût pas été remportée dans la chair, ce serait moins étonnant, puisque la loi en faisait autant; mais la merveille c'est que le trophée ait été élevé avec la chair, et que celle qui avait reçu du péché d'innombrables blessures, ait elle-même remporté contre le péché une éclatante victoire.

Et voyez que de choses incroyables la première, c'est que le péché n'a pas vaincu la chair; la seconde, c'est qu'il a été vaincu. et vaincu par la chair; car ce n'est pas la même chose de n'être pas vaincu ou de vaincre celui dont on a toujours été vaincu. La troisième, c'est que non-seulement la chair a vaincu, mais qu'elle a, infligé un châtiment ; car, n'ayant; pas péché, le Christ n'a pas été vaincu; et en mourant il a vaincu et condamné le péché, en lui rendant terrible la chair qui lui avait , paru jusque-là méprisable. Il a donc ainsi détruit sa puissance et aussi la mort qui était venue à sa suite. En effet, tant que le péché avait rencontré des coupables, il avait eu le droit de leur donner la mort; mais ayant trouvé un corps innocent et l'ayant aussi livré à la mort, il a été condamné comme coupable d'injustice. Voyez-vous combien de victoires? La chair n'a pas été vaincue par le péché; elle l'a elle-même vaincu et condamné, et non simplement condamné, mais condamné comme coupable d'injustice: En effet, elle l'a d'abord convaincu d'injustice, puis elle l'a condamné, non-seulement par. sa force et par sa puissance, mais encore en vertu du droit. C'est ce que l'apôtre entend, en disant du péché : « Il a condamné le péché dans la chair», comme s'il disait : Il l’a convaincu d'une extrême injustice et l'a ensuite condamné. Voyez-vous que le péché est partout condamné, mais non la chair ; que la chair même est couronnée et (289) qu'elle prononce la sentence contre le péché? Que si l'apôtre nous dit que Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable,'n'allez pas vous imaginer que la chair de Jésus-Christ ait été autre que .la nôtre : comme il avait parlé de chair de péché, il a dû se servir de cette expression : « Semblable ». Car le, Christ n'a pas une chair coupable; il l'a eue semblable à notre chair coupable, de même nature qu'elle, mais impeccable. D'où il résulte clairement que la nature de la chair n'est pas mauvaise. Le Christ n'a point pris une autre chair que la chair primitive, .il n'en a point changé la Substance pour la rendre capable de combattre le péché; mais la laissant subsister dans sa nature propre, il lui a fait remporter la victoire contre le péché, et, après cette victoire, il l'a ressuscitée et rendue immortelle.

Mais, direz-vous, que m'importe que tout cela se soit passé date la chair du Christ?Cela vous importe beaucoup; car l'apôtre ajoute « Afin que la justification de la loi s'accomplît en nous, qui ne marchons point selon la chair (14) ». Qu'est-ce à dire, «La justification? » Le terme, le but, le succès. Car que demandait la loi, que prescrivait-elle? D'être sans péché. Or le Christ nous a obtenu cette faveur; résister et vaincre, ç'a été son affaire; profiter de sa victoire, voilà la nôtre. Désormais donc nous ne pécherons plus; non, nous ne pécherons plus, à moins d'être absolument dénués de force et de courage. Aussi l'apôtre ajoute-t-il : « Nous qui ne marchons pas selon la chair ». Et de peur qu'en entendant dire que le Christ vous a délivré des assauts du péché, que la justification de la loi est accomplie en vous, que le péché a été condamné dans la chair, vous ne détruisiez toute l'économie de l'œuvre, l'apôtre, après avoir dit : « Il n'y a donc pas de condamnation », a ajouté : «Pour ceux qui ne marchent pas selon la chair ». Et ici, tout en disant : « Afin que la justification de la loi s'accomplisse en nous», il répète la même chose et dit même beaucoup plus. Car, après ces mots:. « Qui ne marchons point selon la chair », il ajouté : « Mais selon l'Esprit » ; nous montrant par là qu'il faut non-seulement s'abstenir du mal, mais aussi faire le bien. En effet, c'est au Christ de vous donner la couronne, mais c'est à vous de la conserver. Ce qui était le but de la loi, à savoir d'être exempt de la malédiction, le Christ vous l'a accordé.

            6 . Ne perdez donc pas un si grand bienfait; mais conservez toujours ce précieux trésor. L'apôtre nous fait voir ici que le baptême ne suffit pas pour, le salut, si nous ne menons ensuite une vie digne d'un si grand don. Ce langage plaidé encore en faveur de la loi. Car dès que nous croyons au Christ, il faut tout faire, tout mettre en oeuvre, pour que la justification qu'il a accomplie, persévère en nous et ne soit pas perdue. « En effet, ceux qui sont selon la chair goûtent les choses de la chair; mais ceux qui sont selon l'esprit, ont le sentiment des choses de l'esprit. Or, la prudence de la chair est mort; mais la prudence de l'esprit, est vie et paix. Parce que la sagesse de la chair est ennemie de Dieu; car elle n'est point soumise à la loi de Dieu, et elle ne le peut (5-7) ». Ceci encore n’est point une calomnie contre la chair. Car, tant qu'elle garde son rang, il ne se fait rien de déplacé; mais quand nous lui permettons tout; quand, dépassant ses limites, elle se révolte contre l'âme alors elle perd tout, elle gâte tout, non par l'effet de sa propre nature, mais par son intempérance et le désordre qui en est la suite. « Mais ceux qui sont selon l'esprit, ont le sentiment des choses de l'esprit. Or, la prudence de la chair est mort ». Il ne dit pas : La nature de la chair; ni : La substance du corps; mais : « La prudence »,qui peut se corriger et se détruire. Et s'il parle ainsi, ce n'est pas qu'il attribue à la chair une pensée propre : à Dieu ne plaise ! mais il veut désigner l'instinct de l'âme le plus grossier et lui donne le nom de la partie la plus imparfaite, comme souvent il appelle chair l'homme tout entier quoique doué d'une âme.

« Mais la prudence. de l'esprit ». Ici il revient à l'âme spirituelle, comme plus bas, quand il dit : «Mais celui qui scrute les coeurs sait ce que désire l'esprit », et il fait voir que beaucoup de biens en résultent pour le présent, et pour l'avenir. En effet: la prudence spirituelle produit beaucoup plus de biens que la prudence charnelle ne cause de maux; c'est ce .que Paul. indique en disant : « Vie et paix » ; l'un, par opposition à ce qu'il a dit : « La prudence de la chair est mort » ; l'autre, par opposition à ce qui suit, puisqu'après avoir dit : « Paix » , il ajoute: « Parce que la prudence de la chair est ennemie de Dieu », ce qui est encore. pire que la mort. Puis, pour prouver qu'il y a mort et inimitié de Dieu, il ajoute : (290) « Car elle n'est point soumise à la loi de Dieu et ne peut l'être ». Toutefois ne vous troublez pas en entendant dire « Qu'elle ne le peut » ; c'est une difficulté qui se résout aisément. Par prudence de la chair il entend ici la pensée terrestre, la pensée grossière, qui soupire après les jouissances de la vie et les mauvaises actions : celle-là, il déclare qu'elle ne peut être soumise à Dieu. Quelle espérance de salut reste-t-il donc, si le méchant ne peut devenir bon? Ce. n'est point là ce qu'il dit autrement, comment Paul le serait-il devenu? Et le larron? Et Manassès?  Et les Ninivites? Comment David s'est-il relevé après sa chute? Comment Pierre, après avoir renié son Maître, est-il rentré en lui-même? Comment le fornicateur a-t-il été reçu dans le troupeau du Christ? Comment les Galates, qui avaient perdu la grâce, ont-ils recouvré leur première noblesse? Paul ne dit donc pas que le méchant ne peut devenir bon, mais qu'en restant méchant il ne peut être soumis à Dieu; une fois changé, il lui est facile de devenir bon et d'être soumis. Il ne dit pas en effet que l'homme ne peut pas être soumis à Dieu, mais qu'une mauvaise action ne saurait être bonne; comme s'il disait : La fornication ne peut être. la chasteté, ni le vice la vertu. Le Christ dit aussi dans l'Evangile : « Un arbre mauvais ne peut produire de bons fruits » (Matth. VII, 18); n'empêchant point le passage du vice à la vertu, mais déclarant que celui qui persévère dans le mal ne peut produire dé bons fruits. En effet, il ne dit pas : Un arbre mauvais ne peut devenir bon; mais seulement: En demeurant mauvais il ne peut produire de bons fruits. Du reste, qu'un changement soit possible, il le fait voir ici par cette autre parabole, où il parle de la zizanie devenue froment.

Aussi défend-il de l'arracher : « De peur », dit-il, « que vous n'arrachiez aussi le froment avec elle » (Matth. XIII, 29); c'est-à-dire, le froment qui en doit sortir. Paul appelle la malice, prudence de la chair; et prudence de l'esprit; la grâce qui a été donnée et l'énergie qui -e manifeste par la bonne volonté; il ne parle nullement de nature et de substance, mais de vertu et de vice. Ce gtie vous n'avez pas pu sous la loi, nous dit-il, vous le pouvez maintenant : marcher droit et sans trébucher, pourvu que vous obteniez le secours de l'Esprit. Car il ne suffit pas de ne pas marcher selon la chair, mais il faut marcher selon l'esprit; puisqu'il ne suffit pas pour le salut d'éviter le mal, mais qu'il faut encore faire le bien. Or il en sera ainsi, si nous livrons notre âme à l'Esprit, et si nous persuadons à la chair de rester à sa place. Par là nous la rendrons spirituelle; comme, parla lâcheté, nous rendrons notre âme charnelle.

7. Or, comme le don n'est pas imposé par la nature, mais qu'il est le produit de la libre volonté, il dépend de vous de choisir l'un ou l'autre. Tout ce qui vient de lui est parfait; car le péché ne combat plus la loi de notre esprit, il ne la captive plus comme auparavant; c'est est fait, tout est détruit, les passions craintives et tremblantes redoutent la grâce de l'Esprit. Mais si vous éteignez la lumière, si vous jetez le clicher en bas de son siége, si vous chassez le pilote, ne vous en prenez qu'à vous de la tempête. De ce que la vertu est maintenant plus facile, de ce que la sagesse est plus solidement appuyée, apprenez quelle était la situation de l'homme sous l'empire de la. loi, et quelle elle est maintenant, depuis que la grâce a brillé. Ce qu'on ne croyait alors possible pour personne, comme la virginité, le mépris de la mort, et tant d'autres sentiments généreux, se pratique aujourd'hui par toute la terre. Ce n'est pas seulement chez nous, mais chez les Scythes, chez les Thraces. chez les Indiens, chez les Perses, chez beaucoup d'autres peuples barbares, que les choeurs de vierges, les troupes de martyrs, les communautés de moines sont plus nombreux que les unions conjugales; que les jeûnes y sont rigoureux, le détachement parfait : ce qu'aucun de ceux qui vivaient sous la loi, excepté un ou deux, n'eût osé imaginer même en songe. En voyant donc la réalité des faits plus éclatants que le son de la trompette, ne vous laissez point aller à la mollesse, ne trahissez pas une si grande grâce. Quand on a reçu la foi, il n'est plus possible de se sauver avec le relâchement. Si le combat est facile, c'est, pour que vous luttiez et remportiez la victoire; et non pour que vous vous endormiez, pour que votre lâcheté s'autorise de la grandeur même du bienfait, et que vous vous replongiez dans l'ancien bourbier.

Aussi l'apôtre ajoute-t-il : « Mais ceux qui sont dans là chair ne peuvent plaire à Dieu  (8) ». Quoi donc? direz-vous; nous tuerons notre corps pour plaire à Dieu? Vous voulez (291) que nous sortions de notre chair, que nous nous suicidions, pour nous conduire à la vertu? Voyez-vous que d'absurdités s'ensuivraient, si nous prenions les expressions à la lettre? Ici, par chair, l'apôtre n'entend pas le corps, ni la substance du corps, mais la vie charnelle et mondaine, livrée complètement à la volupté et à la débauche et qui transforme en chair l'homme tout entier. Car, de même que ceux à qui l'esprit donne des ailes, rendent leur corps spirituel; ainsi ceux qui repoussent l'esprit et sont esclaves de leur ventre et de la volupté, transforment leur âme en chair, non pas en changeant sa substance, mais en détruisant sa noblesse. Souvent cette métaphore est employée même dans l'Ancien Testament, où le nom de chair désigne une vie grossière, fangeuse, plongée dans des voluptés coupables. Dieu dit à Noé : « Mon esprit ne demeurera pas dans ces hommes, parce qu'ils sont chair ». (Gen. VI, 3.) Pourtant Noé aussi était revêtu de chair; mais là n'était point le crime, puisque c'est dans la  nature ; le mal, c'était d'avoir embrassé la vie charnelle.

Aussi Paul dit-il : « Ceux qui vivent dans la chair ne peuvent plaire à Dieu » , et il ajoute : « Pour vous, vous n'êtes point dans la chair, mais dans l'esprit... (9) » ; entendant ici non simplement la chair, mais la chair entraînée, tyrannisée par les passions. Mais, dira-t-on , pourquoi ne s'est-il pas exprimé ainsi et n'a-t-il pas fait1a différence? Pour élever l'auditeur, et faire voir que celui qui vit bien n'est, pour ainsi parler, plus dans son corps. En effet, puisqu'il est évident pour tout le monde que celui qui est dans le péché. n'est pas spirituel, l'apôtre établit quelque chose de plus, à savoir que l'homme spirituel non-seulement n'est pas dans le péché, mais pas même dans la chair, et par là même est devenu un ange, s'élevant vers le ciel et portant, simplement une enveloppe de chair. Que si vous accusez là chair, parce que Paul donne son nom à la 'vie charnelle, vous accuserez aussi le monde, parce que souvent on désigne le vice sous son nom, comme quand le Christ dit à ses disciples : « Vous n'êtes point de ce monde » (Jean, XV, 19); et encore, à ses frères : « Le monde ne peut pas vous haïr; pour moi il me hait ». (Id. VII, 7.) Et il faudra dire aussi que l'âme est étrangère à Dieu, parce que Paul a appelé animaux ceux qui vivent dans l'égarement. Non, non, il n'en est pas ainsi. Ce n'est pas simplement aux expressions qu'il faut s'en tenir, mais à l'intention de celui qui parle; il faut saisir exactement la différence des termes. Il y a des choses bonnes, des choses mauvaises et des choses indifférentes ; au nombre de ces dernières sont l'âme et le corps, qui peuvent devenir bons ou mauvais; mais l'esprit est toujours bon et ne peut jamais cesser de l'être. D'un autre côté , la prudence de la chair, c'est-à-dire, une action mauvaise, est toujours mauvaise : car elle n'est point soumise à la loi de Dieu. Si donc vous livrez votre âme et votre corps au bien, vous partagerez le sort du`bien , si vous les livrez au mal, vous aurez part à sa ruine, non par la nature de l'âme et de la chair, mais à raison de votre propre volonté qui était libre de choisir l'un ou l'autre. Qu'il en est ainsi, et que Paul n'a point calomnié la chair, nous en aurons une, preuve plus sensible, en reprenant le texte : « Pour vous, vous n'êtes point dans la chair, mais dans l'esprit ».

8. Quoi donc ! Ils n'étaient point dans la chair? Ils marchaient sans corps? Est-ce possible ? Voyez-vous que l'apôtre fait ici allusion à la vie charnelle? Et pourquoi n'a-t-il pas dit: Vous n'êtes pas dans le péché ? Pour vous apprendre que le Christ a non-seulement détruit la tyrannie du péché, mais aussi rendu l'âme plus légère et plus spirituelle, non en changeant sa nature, mais plutôt en lui donnant des ailes. Comme le fer, au milieu du feu, devient feu, tout en gardant sa nature propre; ainsi la chair des fidèles et de ceux qui ont l'esprit, prend l'énergie même de l'esprit et devient toute spirituelle, étant entièrement crucifiée et s'élevant comme l'âme, sur des ailes. Tel était le corps de celui qui tenait ce langage. Aussi prenait-il en pitié toutes les voluptés et toutes les délices; il mettait son bonheur dans la faim, dans la flagellation, dans la captivité, et n'en ressentait aucune souffrance. C'était ce qu'il entendait quand il disait : « Nos courtes et légères tribulations ». (II Cor. IV, 17.) Il avait si bien maté sa chair qu'elle allait du même pas que l'esprit. « Si toutefois l'Esprit de Dieu habite en vous ». Souvent ce terme de « Si toutefois », n'est pas chez lui une expression de doute, mais de foi ferme, et signifie « Puisque »; comme quand il dit : « Si toutefois il est juste devant Dieu qu'il rende l'affliction à ceux qui vous (292) affligent » (II Thess. I, 6); et. encore: « Vous avez tant souffert en vain, si toutefois c'est en vain ». (Gal. VI, 4.) « Or, si quelqu'un n'a pas l'esprit du Christ, celui-là n'est point à lui». Il ne dit pas : Si vous n'avez pas, mais transporte sur d'autres une supposition pénible.

« Mais si le Christ est en vous... (10) ». De nouveau il suppose que le Christ est en eux. Ce qui pouvait attrister, il l'a dit brièvement et au milieu de son discours; mais ce qui réjouit, il l'a dit avant et après et dans beaucoup de paroles, ale manière à tenir le reste dans l'ombre. Non qu'il confonde le Christ avec l'esprit : bien loin de là; mais il montre que celui qui a l'esprit, non-seulement est dit appartenir au Christ, mais le possède lui-même. Car il n'est pas possible que le Christ ne soit pas là où est l'esprit. En effet, là où est une,seule personne de là Trinité, se trouve la Trinité tout entière, vu qu'elle est indivisible en elle-même et forme une unité parfaite: Et qu'arrivera-t-il, si le Christ est en vous ? « Le corps, il est vrai, est mort à cause du péché ; mais l'esprit est vie par la justice ». Voyez-vous combien de maux résultent de l'absence du Saint-Esprit : la mort, la haine de Dieu, l'impossibilité d'obéir à ses lois, ne point appartenir au Christ comme on le doit, ne pas le posséder au dedans de soi? Voyez au contraire que de biens découlent de la présence de l'esprit : appartenir au Christ, le posséder lui-même, être l'égal des anges, c'est-à-dire, avoir mortifié sa chair, vivre de la vie immortelle , posséder un gage de la résurrection, courir sans obstacle dans la voie de la vertu. Il ne dit pas que le corps cesse de pécher, mais qu'il est mort, pour indiquer une plus grande facilité à 'courir. Et on . est enfin couronné sans combats et sans, peines. Voilà pourquoi il ajoute : « Au péché », pour vous apprendre que le Christ a détruit une fois la malice, mais non tir nature du corps. Si en effet le corps était détruit, beaucoup de choses qui peuvent être utiles à l'âme, disparaîtraient. Ce n'est point là ce que dit l'apôtre, mais bien que le corps vivant et subsistant doit être mort. Car c'est là le signe que nous possédons le Fils, que l'Esprit habite en nous, lorsque nos corps ne diffèrent point, quant à leur action propre, de ceux qui sont couchés dans le cercueil. Cependant ne vous épouvantez pas en entendant parler de mortification : car vous avez une vie qu'aucune mort ne peut atteindre. Telle est la vie de l'esprit; elle ne cède plus à la mord mais elle l'absorbe et la consume, et rend immortel tout ce qui la reçoit. Aussi après avoir dit que le corps est mort, il n'ajoute pas : L'esprit est vivant, mais : « Est vie », pour montrer qu'il peut aussi procurer la vie à d'autres.

Puis, serrant de près l'auditeur, il dit quel est le principe dé. la vie et quelle en est la preuve : c'est la justice. En effet, une fois le péché détruit, la mort disparaît; et la. mort disparaissant, la vie est indestructible. «Que si l’esprit de celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité le Seigneur, vivifiera aussi vos « corps mortels, par son esprit qui habite en vous (11) ». Il revient encore à la résurrection, percé que cette espérance tenait surtout l'auditeur en haleine et l'affermissait par la pensée de ce qui est arrivé au Christ. Ne vous effrayez- pas, leur dit-il, d'être revêtu d'un corps mortel ; ayez l'esprit, et ce corps ressuscitera certainement.  Quoi donc ! Est-ce que les corps qui n'ont pas l'esprit ne ressusciteront pas? Comment donc tous les hommes doivent-ils paraître devant le tribunal du Christ? Comment croire alors à tout ce qu'on dit de l'enfer ? Si ceux qui n'ont pas l'esprit ne ressusciteront pas, il n'y aura point d'enfer. Que signifient donc ces paroles? Tous ressusciteront mais non pas tous pour la vie.; les uns pour le châtiment, les autres pour la vie. Aussi l'apôtre ne dit-il pas: Ressuscitera, mais : « Vivifiera » : ce qui est plus que de ressusciter et n'est réservé qu'aux justes. Puis, pour donner. la raison d'un si grand honneur, il ajoute : « Par son esprit qui habite en vous ». En sorte que si, étant sur la terre, vous repoussez la grâce de l'esprit, que vous ne la possédiez pas saine et sauve au moment du départ, vous serez perdre sans ressource, quoique vous ressuscitiez. De même que si le Christ voit briller en vous son esprit, il ne souffrira pas que vous soyez livré au supplice; ainsi, s'il le voit éteint, il ne permettra pas que vous entriez, dans la chambre nuptiale, non plus que les vierges folles. Ne laissez donc pas vivre votre corps maintenant, afin qu'il vive alors; faites-le mourir, pour qu'il ne meure pas; s'il continue à vivre, il ne vivra pas; s'il meurt, il vivra. Il en sera ainsi dans la résurrection universelle; il faut (293) d'abord que le corps meure et soit enseveli, puis qu'il devienne immortel. C'est aussi ce qui a eu lieu dans le baptême : le corps y a d'abord été crucifié et enseveli, puis il est ressuscité. Ainsi en a-t-il été du corps du Seigneur : il a été crucifié, puis enseveli, et il est ressuscité.

9. Faisons-en autant : mortifions sans cesse notre corps dans nos actions. Je ne parle pas ici de sa substance, à Dieu ne plaise ! mais de ses penchants aux actions coupables. Ne rien supporter d'humain en soi, n'être point l'esclave des voluptés; là, et là seulement est la vie. Du reste celui qui se soumet à leur joug, ne peut même plus vivre, à raison des chagrins, des craintes, des périls, des maux sans nombre qu'elles engendrent. Dans l'attente de la mort; il meurt de peur, avant de mourir; dans la prévision de la maladie, des injures, de la pauvreté, de quelque autre malheur inopiné, il dépérit, il se consume. Qu'y a-t-il de plus misérable qu'une telle vie ? Il n'en est pas ainsi de celui qui vit par l'esprit; il est au-dessus de la crainte, du chagrin, des périls, de toute espèce de revers, non parce qu'il ne les éprouve pas, mais, ce qui est bien mieux, parce qu'il méprise leurs assauts. Mais comment cela peut-il être ? Si l'esprit habite toujours en nous. Car l'apôtre n'entend pas parler d'un passage, rapide, mais d'un séjour perpétuel. Aussi ne dit-il pas : Qui a habité, mais : « Qui habite », pour indiquer une demeure permanente. Ainsi celui qui est mort à cette vie est donc le plus rivant. C'est pourquoi Paul dit : « L'esprit est vie par la justice ».

Pour rendre cela plus sensible, supposons deux hommes, dont l'un est livré aux folles dépenses, aux plaisirs, aux séductions de la vie; et l'autre y est mort, et voyons quel est celui qui vit le plus. Que de ces deux hommes, l'un très-riche, illustre, nourrissant des parasites et des flatteurs , passe toutes ses journées dans les jeux et la débauche ; que l'autre, en proie à la faim, aux privations, à toutes les nécessités de la vie, soit sage, ne prenne que le soir la nourriture strictement nécessaire, ou même, si vous le voulez, passe deux et trois jours sans manger : lequel des deux nous semble le plus vivre? Je sais que le plus grand nombre répondront que c'est le premier, celui qui danse et dissipe son bien; mais nous, nous pensons que c'est celui qui garde les bornes de la modération. Mais puisqu'il y a ici matière à débat et à discussion, entrons chez l'un et l'autre , au moment précis où le riche vous semble surtout vivre, dans l'instant même où il se livre aux plaisirs; entrons, dis-je, et voyons où ils en sont tous les deux : car c'est par les faits qu'on juge d'un vivant et d'un mort. Nous trouverons donc l'un au milieu des livres, ou vaquant à la prière et au jeûne, ou appliqué à quelque autre oeuvre nécessaire, veillant dans la sobriété, et conversant avec Dieu; et nous verrons l'autre plongé dans l'ivresse, et dans un état semblable à celui d'un mort; et si nous attendons jusqu'au soir, nous verrons la mort l'envahir encore davantage, jusqu'à ce que le sommeil lui succède; tandis que le premier passera la nuit dans la sobriété et les veilles. Lequel donc appellerons-nous vivant; de celui qui est étendu insensible, et objet de dérision pour tout le monde , ou de celui qui est. plein de vigueur et s'entretient avec Dieu?

Si vous vous approchez de l'un et que vous soyez obligé de lui parler, il ne vous répondra pas plus que s'il était mort; si vous allez trouver l'autre, soit de jour, soit de nuit, vous verrez un ange plutôt qu'un homme, appliqué aux choses du ciel. Voyez-vous donc que l'un est le plus vivant des vivants, et que l'autre est dans un état plus pitoyable que les morts? Que si on le voit agir, il prend un objet pour un autre, il ressemble aux insensés, il est même plus misérable qu'eux. Si en effet quelqu'un insulte ceux-ci, nous avons tous pitié d'eux et nous blâmons l'auteur de l'outrage; si au contraire nous voyons quelqu'un injurier celui-là, non-seulement nous n'éprouvons aucun sentiment de compassion, mais nous le condamnons pour être en pareil état. Est-ce là vivre, dites-moi ? Cette vie n'est-elle pas pire que, mille morts? Voyez-vous que non-seulement l'homme livré aux plaisirs est mort, ruais qu'il est dans un état pire que la mort, qu'il est plus misérable que le possédé du démon? Car celui-ci excite la pitié, et lui l'aversion ; l'un rencontre l'indulgence , et l'autre est puni de sa maladie. Et s'il est ridicule extérieurement, quand il laisse tomber une bave puante, et exhale une fétide odeur de vin, songez à l'état malheureux de son âme, ensevelie dans son corps comme dans un sépulcre. C'est absolument comme si on commandait à une servante barbare, laide, immonde, d'insulter et d'outrager en toute liberté une jeune fille parée, chaste, libre, de noble (294) origine et belle : Voilà l'image de l'ivresse.

10. Quel homme sensé ne préférerait mille fois la mort à un suit jour ainsi passé? Si le lendemain, au sortir d'une telle orgie, il semble être sage, il ne jouit pas encore des avantages de la tempérance, parce qu'il a devant les yeux le nuage soulevé par la tempête de l'ivresse. Accordons cependant qu'il est vraiment sain, quel profit en retire-t-il ? Sa sobriété ne sert qu'à lui mettre ses accusateurs sous les yeux. Dans sa honteuse situation il gagnait au moins de ne pas s'apercevoir qu'on se moquait de lui ; mais le lendemain , il n'a plus cette consolation, quand il s'aperçoit que ses domestiques murmurent, que sa femme est couverte de confusion, que ses amis le blâment, que ses ennemis le tournent en dérision. Quoi de. plus misérable qu'une telle vie : être pendant le jour un objet de mépris, et retomber, le soir, dans les mêmes turpitudes? Quoi encore ? Voulez-vous que -nous mettions en scène les avares? C'est encore une autre ivresse, plus grave même que la première ; or si c'est une ivresse, c'est aussi une mort pire, puisque c'est une pire ivresse.

Il n'est pas en effet aussi terrible d'être ivre de vin, qu'ivre de cupidité ; car, là, la punition se borne à la souffrance, et tout se termine à l'insensibilité et à la ruine de celui qui s'enivre ; mais ici le mal passe à des milliers d'âmes et allume des guerres de tout genre. Comparons-les donc l'un à l'autre, et voyons en quoi l'avare se rapproche de l'ivrogne, en quoi il le surpasse, et faisons aujourd'hui la part de chacun d'eux. Ne les mettons plus en comparaison avec ce bienheureux qui vit de l'Esprit, niais mettons-les en l'ace l'un de faut tre et examinons-les. Mettons au milieu une table, ensanglantée de mille meurtres. Qu'ont-ils donc de commun et en quoi se ressemblent-ils? Dans la nature même de leur maladie, l'apparence de l'ivresse diffère, puisque l'une est le produit du vin,. et l'autre celui des richesses ; mais la maladie est la même : car tous les deux sont tourmentés d'un désir désordonné. Plus celui qui est ivre de vin avale dé coupes, plus il désire en boire; plus celui -qui est avide de richesses en amasse, plus il attise le feu de la cupidité et augmente sa soif. En ce point ils se ressemblent; mais, sous un autre rapport, l'avare va plus loin. Comment cela ? C'est que l'ivrogne souffre selon les lois de la nature : car le vin étant chaud et augmentant ainsi la sécheresse naturelle, procure la suif à ceux qui le boivent; mais l'avare, pourquoi désire-t-il avoir plus? Pourquoi, puisque plus il est riche, plus il est pauvre? En vérité c'est un mal étrange, et qui tient de l'énigme. Mais voyons-les, s'il vous plaît, après l'ivresse; ou plutôt, on ne peut jamais, voir l'avare après l'ivresse, puis qu'il est toujours ivre.

Prenons-les donc dans l'ivresse même, examinons lequel des deux est le plus ridicule, et faisons exactement leur portrait. Nous verrons l'homme ivre de vin déraisonner sur le soir, ouvrir les yeux et ne voir personne, aller çà et là sang but et au hasard, heurter les passants, vomir, se déchirer et se déshabiller honteusement; et si sa femme est là, ou sa fille, ou sa servante, ou toute autre personne, on rira de lui à gorge déployée. Produisons maintenant l'avare. Ici, ce qui se passe n'est pas seulement visible, mais excite l'horreur, la plus vive indignation, et mérite mille fois la foudre; voyons pourtant le côté ridicule. Aussi bien que l'autre, celui-ci méconnaît tout le monde, amis et ennemis; il ouvre aussi les yeux et ne voit pas ; et comme le premier ne voit partout que du vin , lui ne voit partout que de l'argent. Sée vomissements sont bien. plus pénibles. Ce n'est point de la. nourriture qu'il rejette; mais des paroles d'injure, d'outrage, de guerre, de mort, qui attirent sur sa tête la foudre du ciel; comme le corps. de l'ivrogne est livide et chancelant, ainsi est l'âme de l'avare.. Bien plus, son corps même n'est point exempt de la maladie, il dépérit même davantage : car le souci, la colère, l'insomnie, le minent plus que le vin ne le ferait et le rongent en peu de temps. L'ivrogne peut du moins être sobre pendant la nuit; mais l'avare est continuellement ivre, le jour et la nuit, qu'il veille ou qu'il dorme, subissant un châtiment plus grand que le prisonnier, que le malheureux condamné aux mines, ou tout autre plus misérable encore.

11. Est-ce donc là une vie, dites-moi? N'est-ce pas plutôt la mort, et .même quelque chose de plus pitoyable que quelle mort que ce soit? Du moins la mort donne le repos au corps, le soustrait au ridicule, à l'indécence, au péché; mais ces ivresses précipitent dans tous ces maux, bouchent les oreilles, crèvent les yeux, environnent l'esprit de ténèbres. Car l'avare ne peut entendre parler, ni parler lui-même (295) que d'intérêts et d'intérêts d'intérêts, de profits odieux, de gains ignobles et vils; aboyant comme un chien contre tout le monde ; haïssant et repoussant tout le monde, faisant sans raison la guerre à tout le monde, ennemi du pauvre, jaloux du riche, désagréable à tous. S'il a une femme, des enfants, des amis, il les regarde comme plus ennemis que des ennemis naturels, s'il n'a pas la liberté de gagner à tout prix, Quoi de pire qu'une pareille folie? Quoi de plus misérable, puisque, n'ayant qu'un corps, ne servant qu'un ventre, il se crée à lui-même des rochers, des écueils cachés, des précipices, des fossés, des abîmes sans nombre? Si on vous appelle aux charges publiques, vous vous enfuyez, de peur de la dépense ; mais en sacrifiant à Mammon, vous vous imposez un service bien plus pénible, et non-seulement plus coûteux, mais encore plus dangereux; car vous ne livrez pas seulement à ce tyran cruel de l'argent, des fatigues de corps, des tourments et des peines d'esprit, mais encore votre corps lui-même, pour tirer, misérable que vous êtes, quelque profit de ce barbare esclavage. Ne voyez-vous pas tous les jours ceux qu'on porte au tombeau ; comme ils s'en vont nus, dépouillés de tout, ne pouvant rien emporter de chez eux, mais abandonnant aux vers le linceul même qui les enveloppe? Contemplez-les chaque jour, et peut-être votre maladie se guérira-t-elle, à moins que l'aspect de somptueuses funérailles n'augmente encore votre folie, car c'est un mal bien grave, c'est une maladie terrible. Voilà pourquoi à chaque réunion nous eu parlons, pourquoi nous en, rebattons si souvent vos oreilles, afin d'obtenir quelque chose à force d'instances.

Du reste ne contestez pas : ce n'est pas seulement au jour du jugement, mais déjà ici-bas que ce mal, si varié dans ses formes, attire de grands châtiments. Car, lorsque je parlerais des prisonniers condamnés à perpétuité, de l'homme cloué sur sa couche par une longue maladie, de celui qui lutte avec la faim, ou de tout autre infortuné, je ne nommerais personne qui souffre autant que les avares. Quoi de plus affreux en effet que de haïr tout le monde, et d'en être haï, de ne vivre en paix avec personne, de n'être jamais rassasié ; d'avoir toujours soif, de lutter continuellement avec la faim, et une faim plus terrible que la faim ordinaire, d'être accablé de soucis quotidiens, de n'être jamais dans son bon sens, d'être toujours dans l'agitation et dans le trouble? Or les avares subissent ces tourments et bien d'autres encore; car, même quand ils gagnent, serait-ce la fortune de tout le monde, ils n'en éprouvent aucune satisfaction, à cause du désir de gagner davantage ; et s'ils font une perte, ne serait-ce que d'une obole, ils s'estiment les plus malheureux des hommes , et s'imaginent avoir perdu la vie. Quelles paroles pourraient décrire ces souffrances? Or, s'il en est ainsi dès ce monde , songez aux maux qui doivent suivre , à la perte du royaume; aux supplices de l'enfer, aux chaînes éternelles, aux ténèbres extérieures, au ver empoisonneur, au grincement de dents, aux tourments, aux angoisses, aux fleuves de feu, aux fournaises qui ne s'éteignent jamais; et recueillant tout cela et le comparant aux plaisirs que procurent les richesses, détruisez radicalement cette maladie, afin que, possédant la vraie richesse et délivré de cette affreuse pauvreté, vous obteniez les biens présents et à venir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui, gloire soit rendue au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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