ROMAINS VIII

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HOMÉLIE VIII. QUEL AVANTAGE DIRONS-NOUS DONC QU'ABRAHAM, NOTRE PÈRE , A EU SELON LA CHAIR? CERTES, SI ABRAHAM A ÉTÉ JUSTIFIÉ PAR LES OEUVRES, IL A DE QUOI SE GLORIFIER, MAIS NON DEVANT DIEU. (IV, JUSQU'À 22.)

 

 

Analyse.

 

1 et 2. La doctrine de la justification par la foi peut être prouvée même par l'Ancien Testament : en effet, Abraham et David ne furent pas justifiés en vertu des seules oeuvres de la loi, mais à cause de leur foi.

3. C'est à raison de cette foi qu'Abraham avait, même avant qu'il fût circoncis, qu'il est devenu le père des croyants circoncis et incirconcis.

4. C'est la foi qui lui a valu, ainsi qu'à ses descendants, d'être l'héritier des promesses divines. 5. Etonnante foi d'Abraham.

6-8. Bonheur de l'homme qui peut en quelque chose procurer la gloire de Dieu. — Que l'incrédulité est une marque de bassesse. — Procurer la gloire de Dieu est notre souverain bien ; le faire blasphémer est le pire mal. — C'est dans les biens de ce monde que le démon s'embusque pour nous tendre des piéges. — Un sûr moyen de faire fuir cet ennemi c'est d'invoquer le nom de Jésus. — C'est surtout parle manque de foi que nous différons des grands saints. — Dieu parle par la bouche d'un chrétien fidèle. — L'Orateur déplore éloquemment les divisions qu'il voit parmi les chrétiens. — Que nous devons pleurer le mal que se font nos ennemis et non celui qu'ils nous font. — Relever celui qui tombe.

 

1. Après avoir dit que le monde était coupable devant Dieu, parce que tous avaient péché et qu'on ne peut être sauvé que par la foi, il s'attache ensuite à démontrer que le salut par la foi n'a rien de déshonorant , qu'il est très-glorieux au contraire, et plus grand (240) que par les oeuvres. Comme le salut accompagné de déshonneur pourrait être un sujet de tristesse , il veut en éloigner jusqu'au soupçon: ce qu'il avait d'ailleurs déjà insinué quand il l'appelait, non-seulement salut, mais justice: « La justice de Dieu », disait-il; « y est en effet révélée », Car celui qui est sauvé de la sorte, est assuré de son salut en qualité de juste. Il l'appelle non-seulement justice, mais manifestation de Dieu : car Dieu se manifeste dans les choses glorieuses , éclatantes, magnifiques. Du reste, la preuve est dans ce qu'il vient de dire et il continue par forme d'interrogation, comme il a coutume de faire pour plus de clarté, et pour montrer qu'il parle avec assurance. C'est ce qu'il a déjà fait plus haut en disant : « Qu'est-ce donc que le Juif a de plus?» Et encore : « Qu'avons-nous de plus? » Puis : « Où est le sujet de ta gloire?  Il est exclu »; enfin ici : « Quel avantage dirons-nous qu'Abraham, notre père a eu ? » Comme les Juifs ne cessaient de répéter à tout propos que le patriarche et l'ami de Dieu avait reçu le, premier la circoncision , il veut leur prouver qu'Abraham lui-même a été justifié par la foi; argument victorieux et triomphant. En effet que celui Oui n'a pas les oeuvres soit justifié par la foi , cela n'a rien d'invraisemblable; mais que celui qui a excellé dans les oevres ne soit pas justifié par elles, mais seulement par la foi , voilà ce qui est étonnant et ce qui montré la puissance de la foi. Aussi laissant de côté tous les autres, s'attache-t-il à celui-ci. Il l'appelle « Père selon la chair ». Pour exclure les Juifs d'une autre, parenté plus haute et pour faire espérer aux gentils de devenir ses enfants selon la foi, il dit ; « Car si Abraham a été justifié par les oeuvres ; il  a de quoi se glorifier ».

Après avoir donc affirmé que Dieu justifie la circoncision par la foi, aussi bien que l'incirconcision, et l'avoir suffisamment prouvé dans ce qui précède, au moyen d'Abraham ; il pousse sa démonstration plus loin qu'il ne l'avait promis, met la foi aux prises avec les oeuvres et concentre toute la bataille sur le juste lui-même, et non sans raison. Voilà pourquoi il l'entoure de respect, en l'appelant père, et leur imposant la nécessité de l'imiter en tout: Ne me parlez pas d'un Juif, leur dit-ils ne me nommez ni un tel, ni un tel; moi, je remonte au sommet  au point où la circoncision a pris naissance : « Si Abraham a été justifié par les oeuvres, il a de quoi se glorifier, mais non devant Dieu ». Ces paroles sont obscures; et il est besoin de les éclaircir. Il y a deux manières de se glorifier : ou par les oeuvres ou par la foi. En disant : « S'il a été justifié par les oeuvres, il a de quoi se « glorifier, mais non devant Dieu », il indique qu'Abraham attrait pu aussi se glorifier de la foi, et à bien plus juste titre. C'est ici surtout que Paul montre sa force, en ce qu'il retourne, le sujet en sens contraire, et fait, voir que lés avantages attachés au salut par les oeuvres, à savoir le droit de se glorifier et d'agir avec sécurité, le salut par la foi les revendique à bien plus forte raison. En effet, celui qui se glorifie dans les oeuvres, peut présenter ses travaux personnels; mais celui qui se glorifie de croire à Dieu, a de meilleurs motifs de se féliciter; puisque c'est le Seigneur qu'il honore et qu'il glorifie. Apprenant par la foi en Dieu ce que ne lui enseignait pas la nature visible, il fait , preuve d'un véritable amour pour lui et a proclamé solennellement sa puissance. Or c'est là le propre d'une âme très-généreuse, d'une intelligence sage et d'un esprit élevé: Ne pas tuer, ne pas voler, c'est chose vulgaire; mais croire que Dieu peut l'impossible, est le fait d'une âme magnanime et parfaitement disposée à son égard ; et là est le cachet du véritable amour. Sans doute. celui qui accomplit les commandements honore Dieu; mais celui qui a la sagesse de la foi l’honore beaucoup plus ; le premier, lui obéit, mais le second a de lui une idée convenable et lui prouve , mieux que par les oeuvres qu'il l'honore et l'admire.. Dans le premier cas on se glorifie du bien que l'on a fait, dans le second on glorifie, Dieu lui-même, à qui alors tout appartient; car on se glorifie de concevoir de lui de hautes idées, ce qui tourne entièrement à sa gloire. Voilà pourquoi Paul dit qu'Abraham se glorifiait, devant Dieu, et pour une autre raison encore,. outre celle-là. En effet le croyant ne se glorifie pas seulement d'aimer Dieu véritablement, mais aussi d'en être grandement aimé et honoré. Car comme en concevant de lui des idées sublimes, il lui donne une preuve, d'amour, puisque c'est ainsi que l'amour se prouve; de même Dieu l'aime à son tour, quoique mille fois coupable; et non content de le dispenser du châtiment, il le fait encore juste. Le croyant peut donc se glorifier, comme étant l'objet d'un grand amour: « En (241) effet, que dit l'Ecriture? Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice. Or, à celui qui travaille, le salaire n'est point imputé comme une grâce, mais comme une dette (3 ; 4) ». Mais c'est quelque chose de plus grand, direz-vous. Nullement : car l'imputation est faite au croyant, ce qui n'aurait. pas lieu, s'il y mettait quelque chose du sien.

2. Ainsi celui-ci aussi a Dieu pour débiteur, et débiteur non de choses vulgaires, mais de choses grandes et sublimes. En effet, après avoir montré la hauteur de cette intelligence, cette pensée toute spirituelle, Paul ne dit pas simplement : « A celui qui croit, mais à celui « qui croit en celui qui justifie le pécheur (5) ». A celui-là, la foi est imputée à justice. Songez en effet quelle grande chose c'est de croire, d'être pleinement convaincu que Dieu peut immédiatement, non-seulement dispenser du châtiment celui qui a vécu dans l'impiété , mais encore le rendre juste et digne des honneurs immortels. Ne vous imaginez donc pas que celui-ci soit inférieur à l'autre, puisqu'à cet autre l'imputation ne se fait pas selon la grâce. Car c'est précisément là ce qui fait surtout la gloire du croyant, de recevoir une telle grâce, de montrer une si grande foi. Et voyez combien la récompense est plus grande ! A celui-là on donne un salaire, à celui-ci, la justice; or, la justice est bien au-dessus d'un salaire, car elle renferme une multitude de salaires.

Après avoir démontré cela par Abraham, Paul produit ensuite le témoignage de David à l'appui de ce qu'il vient de dire. Que dit donc David, et qui appelle-t-il heureux? Celui qui se glorifie de ses oeuvres, ou celui qui a reçu la grâce et obtenu la rémission et le don ? Or, en nommant le bonheur, j'exprime le comble de tous les biens. De même que la justice est plus que le salaire, ainsi la béatitude est plus que la justice. Après avoir montré l'excellence de la justice, non-seulement parce qu'Abraham l'a reçue, niais à l'aide du raisonnement : « Il  a », a-t-il dit, « de quoi se glorifier, mais « non devant Dieu) » ; Paul emploie un autre genre de preuve pour la relever encore, et produit le témoignage de David, lequel déclare heureux celui,qui a été ainsi justifié : « Bienheureux ceux dont les iniquités ont été remises ». (Ps.- 31.) Cependant il semble apporter là, un témoignage peu convenable ; car le prophète ne dit pas : Heureux ceux dont la foi est imputée à justice, mais il fait cela à bon escient, et non par ignorance, pour augmenter encore la force de l'argument. En effet, si celui dont les iniquités ont été remises par la grâce est heureux, à bien plus forte raison celui qui est justifié et qui a prouvé sa foi. Or là où il y a béatitude, tout opprobre disparaît et la gloire est grande ; car la béatitude est le surcroît de la récompense et de la gloire. C'est pourquoi Paul ne recourt point à l'Ecriture pour établir l'avantage du premier, il se contente de dire . « A celui qui travaille, le salaire n'est point imputé comme une grâce » ; mais pour prouver la prééminence du croyant, il emploie la parole écrite, comme l'a dit David : « Bienheureux ceux dont les iniquités sont « remises et dont les péchés sont couverts (7) ». Mais pourquoi, dira-t-on, affirmez-vous que la rémission ne s'accorde pas comme une dette, mais par grâce ? Eh ! c'est précisément pour cela que le croyant est déclaré heureux. Paul ne l'eût pas béatifié, s'il ne l'avait vu en possession d'une grande gloire. Il ne dit pas la rémission est pour la circoncision, mais que dit-il? « Or cette béatitude », (ce qui est bien plus) « est-elle pour la circoncision ou pour l'incirconcision (9) ? » Il s'agit désormais de savoir à qui ce grand don appartient, si c'est aux circoncis ou aux incirconcis. Et voyez la force de l'argument ! Paul fait voir que non-seulement ce don n'a point d'aversion pour l'in circoncision ; mais comme David qui proclame cette béatitude était circoncis et parlait à des circoncis, voyez comme Paul s'empresse d'appliquer ses paroles aux incirconcis ? Car après avoir rattaché cette béatitude à la justice et montré que les deux ne font qu'un, il .demande comment Abraham a été justifié; si la béatitude appartient au juste et qu'Abraham ait été justifié, voyons comment il l'a été, si c'est- comme incirconcis ou comme circoncis. C'est, nous dit-il, comme incirconcis. « Comment donc lui a-t-elle été imputée? Est-ce dans la circoncision ou dans l'incirconcision ? Ce n'est point dans la circoncision , mais dans l'incirconcision. Car nous disons que la foi a été imputée à justice à Abraham (10) ».

Plus haut il parlait d'après l'Ecriture, (il nous disait en effet : « Que dit l'Ecriture ? Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé  à justice) » ; ici il invoque le jugement de ceux qui parlent, et montre que la justification (242) a eu lieu dans l'incirconcision. Puis il résout une autre objection qui s'élève : Si Abraham, dit-on, a été justifié quand il était incirconcis, pourquoi la circoncision a-t-elle été établie ? « Il a reçu », répond-t-il, « la marque de la circoncision) comme sceau de la justice par « la foi, qu'il avait déjà quand il était encore « incirconcis (11) ». Voyez-vous comme il fait voir que les Juifs sont en quelque sorte des parasites? qu'ils ont été adjoints aux incirconcis ? Car si Abraham, encore incirconcis, a été justifié et couronné, s'il a reçu la circoncision plus tard et que les Juifs ne soient venus qu'après lui, il est donc d'abord le père des incirconcis qui se rattachent à lui par la foi, puis des circoncis; car il est la tête d'une double génération. Voyez-vous briller la foi? Tant qu'elle ne vient pas, le patriarche n'est point justifié. Voyez-vous que l'incirconcision n'est point un obstacle ? Il était incirconcis et n'en a pas moins été justifié. Donc la circoncision est postérieure à la foi.

3. Et pourquoi vous étonner que la circoncision soit postérieure à la foi, quand l'incirconcision elle-même l'est? Non-seulement la circoncision est postérieure à la loi, mais elle lui est très-inférieure, aussi inférieure que le signe l'est à la chose signifiée, comme par exemple le drapeau au soldat. Et pourquoi, dira-t-on, Abraham avait-il besoin de signe? Il n'en avait lui-même pas besoin. Pourquoi donc l'a-t-il reçu? Afin de devenir le père commun des croyants incirconcis et circoncis, mais point uniquement de ces derniers; aussi Paul ajoute-t-il : « Non-seulement des circoncis ». Si donc il est le père des incirconcis, ce n'est pas parce qu'il est incirconcis, bien qu'il ait été justifié dans l'incirconcision, mais parce que les incirconcis ont imité sa foi. A bien plus forte raison n'est-il point le père des circoncis à cause de la circoncision, à moins que la foi ne vienne s'y ajouter. Il a reçu la circoncision, dit Paul, afin d'être le père des uns et des autres, et pour que les incirconcis ne repoussent point les circoncis. Voyez-vous comme il a été d'abord le père des incirconcis? Que si la circoncision est respectable parce qu'elle proclame la foi, le privilège de l'incirconcision n'est pas mince d'avoir la première reçu la foi. Vous pourrez donc avoir Abraham pour père, si vous marchez sur les traces de la foi, et que vous ne disputiez pas et n'apportiez point de trouble en introduisant la loi. De quelle foi, s'il vous plaît, parlez-vous? « De celle qui est dans l'incirconcision (12) ».

De nouveau encore il réprime l'orgueil des Juifs, en leur rappelant le temps de la justice. Et il a raison de dire : « Sur les traces », afin que vous croyiez, comme Abraham, -à la résurrection des morts. Car celui-ci a montré sa foi là-dessus; en sorte que si vous rejetez l'incirconcision, vous pouvez être certain que la circoncision ne vous sera d'aucun profit. Si vous ne,suivez pas les traces de la foi, fussiez-vous mille fois circoncis, vous n'êtes point un descendant d'Abraham; car il a reçu la circoncision , afin que vous ne fussiez point exclus par l'incirconcis. N'exigez donc point la circoncision de l'incirconcis ; car elle vous a été utile, mais non à lui. Pourtant, dit-on, c'était un signe de justice. Oui, mais à cause de vous, bien que ce ne soit plus maintenant; mais alors vous aviez besoin de signes corporels, qui sont inutiles aujourd'hui. Mais, direz-vous, même par la foi ne pouvait-on pas connaître la vertu de l'âme d'Abraham ? On le pouvait; mais vous aviez besoin de cette addition. Comme vous n'imitiez point sa vertu, que vous ne pouviez pas la voir, on vous a donné la circoncision sensible pour qu'à l'aide de ce signe corporel vous fussiez peu à peu amené à la. sagesse de l'âme et qu'après l'avoir accueillie avec un grand empressement confine une très-haute dignité, vous apprissiez à imiter et à respecter votre père. Et ce n'était pas seulement la circoncision que Dieu instituait dans ce but, mais toutes les autres prescriptions, telles que les sacrifices, les sabbats et les fêtes. Pour vous convaincre que c'est à cause de vous qu'Abraham a reçu la circoncision, écoutez la suite : Après avoir dit qu'il reçut le signe et la marque, Paul en donne la raison, en disant : « Pour être le père de la circoncision », chez ceux qui la reçoivent spirituellement; en sorte que si vous n'avez qu'elle, elle ne vous est d'aucune utilité. Car elle est seulement un signe, quand on voit en vous ce dont elle est le signe, à savoir la foi ; en sorte que si vous n'avez pas la foi, le signe ne peut plus être un signe. Signe de quoi, marque de quoi, quand la chose signifiée n'existe pas? C'est comme si vous nous montriez une bourse portant un cachet, mais ne contenant rien ; en sorte que la circoncision est ridicule, quand la foi intérieure manque. En effet, si elle est le signe (243) de la justice et que vous n'ayez pas la justice, vous n'avez pas même le signe. Car vous avez reçu le signe pour chercher la chose dont vous avez le signe; en sorte que si vous cherchez la chose signifiée sans le signe, le signe ne vous est pas nécessaire. Non-seulement la circoncision annonce la justice, mais la justice des incirconcis. La circoncision n'annonce donc pas autre chose que l'inutilité de la circoncision.

« Et si ceux qui ont reçu la loi sont héritiers, la foi devient vaine, et la promesse est « abolie (14) ». Il a montré que la foi est nécessaire, qu'elle est antérieure à la circoncision, qu'elle est plus puissante que la loi , qu'elle affermit la loi. En effet si tous ont péché, elle est nécessaire ; si Abraham encore incirconcis a été justifié, elle est antérieure à la circoncision ; si par la loi on a la connaissance du péché, et si elle a été manifestée dans la loi, elle est plus puissante que la loi ; si elle a reçu le témoignage de la loi et qu'elle l'affermisse, elle n'est point son ennemie, mais son amie et son auxiliaire dans le combat. Il prouve d'autre part qu'il n'était pas possible d'obtenir l'héritage par là loi ; après avoir comparé la foi à la circoncision et remporté la victoire, il revient encore à la comparaison en disant : « Et si ceux qui ont reçu la loi sont héritiers, la foi devient vaine ». Et pour qu'on ne dise pas qu'il est possible d'avoir la foi et d'observer la loi, il montre que cela est impossible. Car celui qui tient à la loi comme à un moyen de salut méconnaît la puissance de la foi. Voilà pourquoi il dit : « La foi devient vaine », c'est-à-dire, il n'y a plus besoin du salut par la foi, puisqu'elle ne peut plus faire preuve de sa vertu, et la promesse est réduite à néant. En effet, le Juif aurait pu dire : Qu'ai-je besoin de la foi? Donc s'il en était ainsi, tout ce qui regarde la promesse disparaîtrait avec la foi.

4. Voyez comme il démontre qu'ils ont eu tous et depuis le commencement, le patriarche pour adversaire. En effet, après avoir montré que la justice partage le sort de la foi, il prouve qu'il en est de même de la promesse. Et de peur que le Juif ne dise : Que m'importe qu'Abraham ait été justifié par la foi? Paul répond : Même ce qui te touche le plus, la promesse de l'héritage, ne peut être réalisé sans elle. Et c'était ce qui, les effrayait le plus. Quelle promesse, direz-vous? La promesse  d'hériter du monde entier, et de voir toutes les nations bénies en sa personne. Puis Paul explique comment cette promesse a été abolie « Attendu que la loi opère la colère : car là où il n'y pas de loi, il n'y a pas de prévarication (15) ».

Si donc elle opère la colère et rend sujet à la prévarication, il est clair qu'elle rend aussi sujet à là malédiction. Or, ceux qui sont sujets à là malédiction, au châtiment et à la prévarication ne sont pas dignes de l'héritage ; ils ne méritent que le supplice et l'expulsion. Qu'arrive-t-il alors? La foi vient, attirée par la grâce, de manière à ce que la promesse soit accomplie. Car où est la grâce, là est le pardon; là où est le pardon, il n'y a plus de châtiment;,tt dire que le châtiment a disparu et que la justice est venue par la foi, rien n'empêche qu'on hérite de la promesse de la foi. « Aussi », dit-il, « c'est à la foi qu'est attachée la promesse, afin qu'elle soit gratuite et assurée à toute la postérité d'Abraham, non-seulement à celle qui a reçu la loi, mais encore à celle qui suit la foi d'Abraham, qui est le père de nous tous (16) ». Voyez-vous que non-seulement la foi affermit la loi, mais qu'elle ne laisse pas la promesse de Dieu tomber à vide ; tandis qu'au contraire la loi, observée au-delà de son terme, annule la foi, et empêche l'accomplissement de la promesse ?

Par tout cela il fait voir non-seulement que la foi n'est pas superflue, mais qu'elle est tellement nécessaire que sans elle on ne peut se sauver, d'un côté la loi opère la colère, car tous l'ont transgressée ; de l'autre la foi rend dès l'abord la colère impossible. « Là où il n'y a pas de loi », nous dit-il, « il n'y a point « de prévarication ». Voyez-vous comme non-seulement elle efface le péché, mais l'empêche même de naître? Aussi dit- il : « Gratuite ». Pourquoi? Ce n'est pas pour nous faire rougir, mais : « Afin qu'elle soit assurée à toute la postérité d'Abraham ». Il établit ici deux avantages : les dons sont assurés et ils le sont à toute la postérité; comprenant les Gentils sous ces expressions, et indiquant que les Juifs seront exclus, s'ils disputent contre la foi. Car la foi est plus solide que la loi ; elle ne nous fait point de tort (ne le contestez pas), elle vous sauve même des périls où la loi vous expose. Après avoir dit : « A toute la postérité », il détermine quelle espèce de (244) postérité. « A celle qui suit la foi», dit-il: établissant la parenté avec les nations, et montrant que ceux-là ne peuvent avoir de rapport avec Abraham, qui n'ont pas la même foi que lui. Voilà un troisième effet de la foi : elle a resserré les liens de parenté avec le juste et l'a fait père d'une famille plus nombreuse. Aussi Paul ne dit-il pas simplement Abraham, mais « Abraham, le père de nous, les croyants ». Puis donnant un sceau à ce témoignage, il ajoute : « Comme il est écrit : Je t'ai établi père d'une multitude de nations (17) ».

Voyez-vous que tout est réglé depuis longtemps ? Mais, direz-vous, n'est-il pas ici question des Ismaélites, des Amalécites, des Agarépiens? Il montrera clairement plus bas que ce n'est point de ceux-là qu'il s'agit. En attendant il passe à une autre preuve, en déterminant le mode de cette parenté et la prouvant avec beaucoup d'habileté. Que dit-il donc? « Devant Dieu à qui il. a cru », c'est-à-dire Comme Dieu n'est point le Dieu de quelques-uns, mais le Dieu de tous, ainsi en est-il d'Abraham. Et encore : Comme Dieu n'est point père selon la nature, ,mais par le lien de la foi, ainsi en est-il d'Abraham : car c'est l’obéissance qui l'a fait le père de nous tous. Et comme ,les Juifs ne tenaient aucun compte de cette parenté, pour s'attacher à l'autre plus grossière, il montre que la première est plus importante, en les faisant remonter à Dieu. De plus il déclare qu'Abraham a reçu en elle la récompense de sa foi; sans quoi, fût-il le père de tous les habitants de, la terre, ce mot « devant », n'aurait plus de sens et le don de Dieu serait amoindri : car « devant » veut dire de la même manière. Qu'y aurait-il d'étonnant, je vous le demande, à ce qu'il fût le père de ceux de sa race? C'est là le propre de tous les hommes. Le merveilleux est qu'il ait reçu, par le don de Dieu, ceux que la nature ne lui avait pas donnés.

5. Si donc vous. croyez que le patriarche a été honoré, croyez qu'il est le père de tous. Après avoir dit Devant Dieu à qui il a « cru », il ajoute : « Qui vivifie les morts et appelle les choses qui ne sont pas, comme  celles qui sont », proclamant déjà la doctrine de la résurrection; ce qui lui était utile pour le but qu'il se proposait. Car s'il est possible à Dieu de vivifier les morts, d'appeler les choses qui ne sont pas comme celles qui sont, il peut aussi donner pour fils à Abraham ceux qui ne sont pas nés de lui. Aussi l’apôtre ne dit-il pas : Qui produit les choses qui ne sont pas comme celles qui sont, mais « qui « appelle », pour mieux indiquer un pouvoir à qui tout est facile. En effet, comme il nous est facile d'appeler des choses qui sont, ainsi il est facile, et bien plus facile encore, à Dieu de produire les choses qui ne sont pas. Après avoir rappelé le grand, l'ineffable don de Dieu et parlé de sa puissance, il montre que la foi d'Abraham était digne de ce don, pour,qu'on ne croie pas qu'il a été honoré sans raison. Après avoir éveillé l'attention de l'auditeur, de peur qu'il ne se trouble et que le Juif ne soulève une difficulté et ne dise : Comment ceux qui ne sont pas fils peuvent-ils devenir fils? Il revient au patriarche et dit : « Qui ayant espéré contre l'espérance a cru qu'il deviendrait le père d'un grand nombre de nations, selon ce qui lui fut dit : Ainsi sera, ta postérité (18) ».

Comment a-t-il cru à l'espérance contre l'espérance? Il a cru à l'espérance de Dieu contre l'espérance de l'homme. Paul fait voir la grandeur de la chose et ne permet pas qu'on mette sa parole en doute : Ce qui paraît contradictoire est concilié par la foi. S'il eût parlé des descendants d'Ismaël, ce langage serait inutile ; car c'étaient des enfants selon la nature et non selon la foi. Mais il introduit aussi Isaac : car ce n'était pas pour ces nations qu'Abraham avait cru, mais pour l'enfant qui devait naître d'une femme stérile. Si donc c'est une récompense d'être père d'un grand nombre de nations, cela s'entend évidemment des nations pour lesquelles il a cru. Et pour vous convaincre que c'est bien d'elles qu'il est question, écoutez la suite : « Et sa foi ne faiblit point, et il ne considère ni son corps éteint, puisqu'il avait déjà environ cent ans, ni l'impuissance de Sara (19) ».

Voyez-vous comme il fait ressortir les obstacles, et aussi la grandeur d'âme du juste qui les surmonte tous? « Contre l'espérance », nous dit-il, en parlant de la promesse. Voilà le premier obstacle : car le patriarche n'avait point sous les yeux l'exemple d'un autre Abraham qui eût eu ainsi un fils. Ceux qui sont venus après lui ont fixé les yeux sur lui; niais lui n'a pu les fixer sur personne, si ce n'est sur Dieu seul; aussi nous dit-on : « Contre l'espérance ». Ensuite, un corps éteint, second obstacle; puis l'impuissance (245) de Sara, troisième et quatrième obstacle. — « Il n'hésita point en défiance de la promesse de Dieu (20) ». Dieu ne lui donna point de preuve, point de signe, mais de simples paroles, des promesses qui ne s'accordaient point avec la nature. Et pourtant « Il n'hésita « pas », nous dit l'apôtre. Il ne dit pas : Il ne refusa pas de croire, ruais « Il n'hésita pas », c'est-à-dire, il ne douta pas, il ne chancela pas, malgré tant d'obstacles. Nous apprenons par là que quand Dieu nous promettrait mille choses impossibles, si celui qui les entendrait refusait d'y croire, cette faiblesse serait un effet de sa folie et non un résultat de la nature des choses. « Mais il se fortifia par la « foi ». Voyez la sagesse de Paul ! Comme il était question de ceux qui font les oeuvres et de ceux qui traient, il montre que les derniers font plus que les premiers; qu'ils ont besoin d'une plus grande grâce et de beaucoup de force et que leurs travaux ne sont pas des travaux vulgaires. En effet, on cherchait à déprécier la foi par la raison qu'elle n'avait point de travaux à supporter. Repoussant cette assertion , il fait voir que non-seulement celui qui pratique la chasteté ou quelqu'autre vertu de ce genre, a besoin de force; mais qu'il en faut une plus grande encore à celui qui a fait preuve de foi. Car comme le premier a besoin de vigueur pour repousser les suggestions de l'impureté, ainsi le second doit avoir une âme forte pour écarter les raisonnements de l'incrédulité. Comment donc Abraham est-il devenu fort? Par la foi, nous dit Paul, et non en s'abandonnant aux raisonnements; autrement il eût falli. Et comment a-t-il pratiqué la foi ? « En rendant gloire à Dieu, pleinement assuré que tout ce qu'il a promis, il est puissant pour le faire (21) »

Donc s'abstenir de toute recherche curieuse c'est glorifier Dieu, et s'y livrer c'est se rendre coupable. Si nous ne glorifions pas Dieu quand nous discutons et scrutons minutieusement des choses d'un ordre inférieur, nous le glorifions encore bien moins en sondant avec curiosité la génération du Maître; c'est une injure que nous expierons par les derniers supplices. Car si nous ne devons pas même chercher la forme propre de la résurrection, beaucoup moins nous est-il permis de scruter ces profonds et terribles mystères. L'apôtre ne dit pas simplement croyant, mais « pleinement assuré ». Telle est la foi : beaucoup plus claire, plus persuasive que la démonstration par les raisonnements : car aucun raisonnement ne saurait plus l'ébranler. Celui que le raisonnement a convaincu, peut changer d'opinion; mais celui que la foi a affermi, ferme ensuite l'oreille aux arguments qui pourraient la détruire. Après avoir dit qu'Abraham fut justifié par la foi, Paul fait voir que, par cette même foi, il a rendu gloire à Dieu : ce qui est le propre d'une vie vertueuse ; car il est écrit

« Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux ». (Matth. V, 16.) Voilà qui parait être le résultat de la foi. Mais comme les couvres demandent de la force, aussi en demande la foi. Ici souvent le corps partage lui-même le travail, là l'âme seule suffit. En sorte que la difficulté est plus grande, parce que l'âme n'a pas toujours le corps pour auxiliaire.

6. Voyez-vous comme il démontre que tout ce qui tient aux oeuvres, comme par exemple se glorifier devant Dieu, avoir besoin de force et de travail, rendre gloire à Dieu, existe à un bien plus haut degré dans la foi? En disant que Dieu peut faire ce qu'il a promis, il rue semble prédire l'avenir : car ce ne sont pas seulement des biens présents, mais des biens futurs, que Dieu a promis : ceux-ci sont le type de ceux-là. Ainsi l'incrédulité est le propre d'une âme faible, étroite et misérable. Donc quand certains hommes nous font un crime de notre foi, en retour reprochons-leur leur incrédulité, les traitant de misérables, de pusillanimes, d'insensés, de faibles, qui n'ont rien de plus que les ânes. Car comme la foi est le signe d'une âme grande et sublime, ainsi l'incrédulité est le propre d'une âme tout à fait déraisonnable, très-vile et rabaissée au rang des animaux stupides.

Laissant donc de tels hommes de côté, imitons le patriarche, et glorifions Dieu, comme il l'a glorifié lui-même. Qu'est-ce que cela veut dire : Il a rendu gloire à Dieu? Il a pensé à sa justice, à sa puissance infinie; et ayant conçu de lui une idée juste, il a été pleinement assuré de l'exécution des promesses. Glorifions donc Dieu, nous aussi, par la foi et par les oeuvres, afin d'obtenir pour récompense d'être glorifiés par lui : car il a dit : Je glorifierai ceux qui me glorifient. Du reste, quand même il n'y aurait pas de récompense, ce serait déjà une gloire d'être jugé digne de glorifier Dieu. (246) Si en effet ceux qui célèbrent les louanges des rois, s'en estiment honorés, n'en recueillissent-ils d'ailleurs aucun autre avantage; songez quelle gloire ce serait pour nous que notre Maître fût glorifié en nous, et aussi de quel châtiment nous serions dignes, si nous étions cause qu'il fût blasphémé? Toutefois c'est pour notre propre avantage qu'il veut être glorifié par nous, puisqu'il n'en a lui-même aucun besoin. Car quelle est, pensez-vous, la distance entre Dieu et l'homme? Est-ce la même qu'entre l’homme et le ver de terre? Mais dire cela, ce n'est rien dire; cette distance ne saurait s'exprimer. Voudriez-vous donc être glorifié, célébré, par des vers de terre? Non, sans doute. Eh bien ! si, malgré votre passion pour .la gloire, vous n'y tenez pas; comment Dieu, qui est exempt de cette passion et si élevé au-dessus de vous, aurait-il besoin de la gloire que vous pouvez lui rendre? Et pourtant, bien qu'il n'en ait pas besoin, il déclare la désirer à cause de vous. S'il a daigné se faire esclave pour vous, pourquoi vous étonner de tout ce qu'il a pu faire encore dans le même but? Il ne regarde comme indigne de lui rien de ce qui peut contribuer à notre salut.

Pénétrés de ces vérités, évitons tout péché qui pourrait le faire blasphémer. « Fuyez le  péché », est-il écrit, « comme vous fuiriez à la vue d'un serpent ». Si vous en approchez, il vous mordra; car ce n'est pas lui qui vient à nous, mais nous qui allons à lui. Dieu l'a ainsi réglé pour que le démon n'établisse point son empire tyrannique : autrement personne ne pourrait lui résister. Voilà pourquoi il l'a repoussé à l'écart comme un voleur et un tyran ; et à moins qu'il ne trouve quelqu'un seul et sans défense dans ses propres retraites, il n'ose pas attaquer; à moins qu'il ne nous voie traverser le désert, il craint d'approcher or, le désert pour lui n'est pas autre chose que le péché. Nous avons donc besoin du bouclier de la foi, du casque du salut, du glaive de l'esprit; non-seulement pour nous garantir, mais encore pour lui trancher la tête, s'il veut s'élancer contre nous : nous avons besoin de prier continuellement, afin de le fouler sous nos pieds. Car il est impudent et détestable ; et quoiqu'il combatte d'en bas, il remporte cependant la victoire. La raison en est que nous ne nous mettons pas en peine de nous tenir au-dessus de ses coups; car il ne saurait s'élever bien haut; mais il se traîne à terre. Aussi le serpent est-il sa figure. Si Dieu lui a assigné cet état dès le commencement, à plus forte raison maintenant.

Mais si vous ne savez pas ce que c'est que de combattre d'en bas, j'essayerai de, vous expliquer cette manière de faire la guerre. Qu'estce donc que combattre d'en bas? C'est lutter à l'aide des objets inférieurs, la volupté, la richesse , toutes les choses mondaines. Voilà pourquoi si le démon voit quelqu'un voler vers le ciel, il ne pourra d'abord s'élancer à sa poursuite; en second lieu, s'il l'essayait, il retomberait bien vite : car il n'a pas de pieds, ne craignez rien; il n'a pas d'ailes, n'ayez pas peur; il rampe à terre et dans les choses terrestres. N'ayez donc rien de commun avec la terre et vous n'aurez pas besoin de combattre. Car il ne connaît pas la lutte corps à corps; il trompe souvent par l'appât des richesses. Si vous coupez les épines, comme le serpent, il se cache dans les épines, il fuira au plus vite comme un lâche, et si vous savez employer contre lui les divins enchantements, il sera bientôt blessé. Car nous avons, oui, nous avons des enchantements spirituels: le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et la vertu de la croix. Non-seulement ces enchantements débusquent le dragon de ses retraites et le précipitent dans le feu, niais encore ils guérissent les blessures.

7. Que si beaucoup de ceux qui ont prononcé ce nom n'ont pas été guéris, cela ne vient pas de son impuissance, mais de leur peu de foi ; car les uns se pressaient autour de Jésus et le poussaient, sans y rien gagner; et l'hémorroïsse, sans toucher son corps, par le seul contact de ses vêtements, fut guérie d'un flux de sang invétéré. Ce nom est terrible aux démons, aux passions et aux maladies. Faisons-nous en donc un ornement et un rempart. C'est ainsi que Paul est devenu grand, bien qu'il fût de même nature que nous; mais la foi le transforma, et telle était sa puissance que ses vêtements mêmes avaient une grande vertu. Quelle sera donc notre excuse, si l'ombre, si les vêtements des apôtres chassaient les maladies et que nos prières ne puissent réprimer nos passions? Et quelle en est la cause? La grande différence des dispositions de l'âme, puisque tout ce qui tient à la nature est égal et commun entre lui et nous : car Paul a été engendré et nourri de la même manière que nous, il a habité la terre,, il a respiré l'air (247) comme nous; mais du reste il était bien plus grand, bien meilleur que nous en zèle, en foi, en charité.

Imitons-le donc, faisons en sorte que le Christ parle par notre bouche;. car il le souhaite plus vivement que nous et c'est pour cela qu'il nous a donné cet organe, qu'il ne veut pas voir inutile et oisif, mais qu'il désire avoir sans cesse en mains. Pourquoi donc ne le tenez-vous pas toujours à la disposition de l'artiste? Pourquoi en relâchez-vous les cordes et les amollissez-vous par la volupté, de manière à rendre la lyre entière inutile pour lui, quand il faudrait tendre ces cordes, les rendre sonores et les resserrer par le sel spirituel? Si le Christ la voyait d'accord, .en cet état, lui-même en toucherait dans notre âme. Et alors, vous verriez danser les anges, les archanges et les chérubins. Soyons donc dignes de ces mains sans tache; invitions-le à venir jouer dans notre coeur; il n'a même pas besoin d'être invité : rendez-le. digne de ce contact; et lui-même accourra le premier. S'il, vient au-devant des retardataires (il faisait. déjà l'éloge de Paul avant sa conversion), que ne fera-t-il pas quand il verra un instrument préparé? Et si le Christ fait entendre des sons, l'Esprit arrivera infailliblement, et nous serons au-dessus du ciel, puisque nous n'aurons plus seulement l'impression glu soleil et de la lune sur notre corps, mais que le maître du soleil, de la lune et des anges habitera et agira en nous.

.Je dis cela, non pour que nous ressuscitions. les morts, ni que nous guérissions les lépreux; mais pour que nous montrions un signe bien au-dessus de tous les autres, la charité. Car partout où -est ce bien, le Fils vient immédiatement avec le Père et la grâce de l'Esprit descend, En effet il est écrit : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux ». (Matth. XVIII, 22.) C'est une preuve de grande affection et d'un vif. amour, quand des deux côtés les amants sont ensemble. Mais, direz-vous, qui est' assez malheureux pour ne pas désirer d'avoir le Christ au milieu de soi? Nous-mêmes, qui sommes en guerre les uns, avec les autres. Peut-être quelqu'un rira-t-il de moi, et dira-t-il : Que dites-vous là? Vous nous voyez tous réunis dans le même lieu, dans l'enceinte de la même église, formant en parfait accord le même bercail, sans aucune contradiction, acclamant ensemble le. même pasteur, écoutant ensemble ce qui se dit, priant ensemble : et vous venez parler de guerre et de discorde? Oui, et je ne suis pas foi, et je ne déraisonne pas. Je vois en effet ce que je vois, et je sais que nous sommes dans le même bercail et sous le même pasteur. Et c'est ce qui fait surtout couler mes larmes: qu'ayant tant de raisons de nous unir, nous soyons cependant divisés. Quelle division voyez-vous donc ici, me direz-vous? Ici, aucune; mais dès que le sermon sera fini, un tel accusera un tel; l'un insultera publiquement, l'autre sera jaloux, ou avare, ou voleur, un autre usera de violence, un autre se livrera à de coupables amours, un autre combinera mille fraudes. Et si toutes nos âmes pouvaient être mises à nu, vous verriez tout cela en détail et vous reconnaîtriez que je ne suis pas fou.

8. Ne voyez-vous pas dans les armées, en temps de paix, les soldats déposer les armes , et passer ainsi sans défense et sans précaution, dans le camp ennemi ? Mais dès qu'ils se sont munis de leurs armes, ce sont des gardes, des postes avancés, des nuits sans sommeil, des feux continuels : toutes choses qui n'indiquent plus la paix; mais la guerre. Voilà précisément ce qu'on peut voir chez nous, nous nous observons et nous nous craignons les uns les autres, nous parlons à l'oreille du voisin, puis, si un tiers survient, nous nous taisons, nous supprimons le sujet de la conversation : ce qui n'est pas une preuve de confiance, mais bien d'une extrême défiance. Mais, direz-vous, nous cherchons seulement à nous garantir, et non à faire tort. Voilà encore ce qui me fait gémir : que, vivant parmi des frères, nous ayons besoin de nous tenir en garde pour ne point éprouver d'injustice, d'allumer tant de feux, d'avoir tant de sentinelles et de postes «dansés. Et la cause de tout cela c'est l'habitude du mensonge et de la fraude, le défaut de charité, une guerre implacable. Aussi trouve-t-on une foule de personnes qui ont plus de confiance dans les païens que dans les chrétiens. Pourtant quel sujet de honte, de larmes, de gémissements ! Eh ! comment faire, direz-vous? un tel est d'un mauvais caractère et de relation difficile. Mais où est votre sagesse? Où sont lés lois apostoliques, qui nous ordonnent de porter les fardeaux les uns des autres ? Si vous ne pouvez vivre en paix avec votre frère, comment vivrez-vous avec un étranger? Si vous ne savez pas manier votre propre (248) membre , comment pourrez-vous en attirer d'autres et vous les adapter ?

Que faire, dites-vous? Oh ! en voyant dans notre camp tant de guerres plus désastreuses que des guerres étrangères, j'ai bien de la peine à empêcher mes yeux de verser des torrents de larmes, à l'exemple de ce prophète, qui s'écriait, en présence d'une irruption d'étrangers : « Je souffre des entrailles ». (Jér. IV, 19.) Et moi à l'aspect de ces soldats rangés sous le même général, puis se tournant les uns contre les autres, se mordant, se déchirant les membres, les uns pour de l'argent, les autres pour de la gloire, ceux-là se raillant et se tournant en ridicule sans motif et sans but, se portant mille blessures; en voyant ces morts plus maltraités que ceux qui tombent sur les champs de bataille, en voyant le titre de chrétiens réduit à une pure dénomination, je ne saurais trouver de lamentations en proportion du sujet.

            Respectez donc, respectez cette table, à laquelle nous participons tous, le Christ-immolé pour nous, la victime que l'on. nous y sert. Des brigands assis au même banquet, cessent d'être brigands pour leurs convives; la table transforme leurs moeurs et rend plus doux que des brebis, des hommes plus féroces que les bêtes sauvages; et nous qui participons à un tel festin, qui prenons ensemble une telle nourriture, nous nous armons les uns contre les autres, quand nous devrions nous armer contre le démon, notre ennemi commun ! Voilà pourquoi nous nous affaiblissons, tandis . qu'il se fortifie tous les jours. Nous ne nous défendons point les uns les autres contre lui, mais nous combattons avec lui contre nos frères, et nous le prenons pour général dans ces expéditions, au lieu de tourner tous nos armes contre lui seul. Nous le laissons de côté, et nous dirigeons nos traits contre nos frères. Quels traits? Ceux de la langue et de la bouche. Ce ne sont pas seulement les  traits et les flèches qui font des blessures; la langue en fait de plus terribles. Mais, direz-vous, comment mettre fin à cette guerre? En pensant que quand vous parlez contre votre frère, vous jetez de la boue, par la bouche; en pensant que vous calomniez un membre du Christ; que vous dévorez votre propre chair; que vous vous rendez plus redoutable que l'effrayant, l'inflexible tribunal; que le trait ne tue pas celui qui le reçoit, mais celui qui le décoche. — Mais, dites-vous, on m'a fait tort, on m'a maltraité. — Gémissez et ne dites point de mal; déplorez, non le tort qu'on vous a fait, mais la perte de votre ennemi, comme votre Maître a pleuré Judas, non parce qu'il a été lui-même crucifié, mais parce que Judas l'avait trahi. On vous a accablé d'injures et d'outrages? Priez le Seigneur de faire éclater sans retard sa miséricorde sur le coupable. Il est votre frère, il a été enfanté comme vous; c'est votre membre, il a été convié à la même table. Mais, dites-vous, il redouble ses injures. Votre récompense en sera plus grande et plus abondante. Il est d'autant plus juste que vous lui pardonniez, qu'il a reçu un coup mortel, puisque le démon l'a blessé.

9. Ne vous blessez donc point vous-même, ne vous perdez pas avec lui. Tant que vous êtes debout, vous pouvez le sauver; mais si vous vous tuez avec lui en lui rendant injure pour injure, qui vous remettra sur pied tous les deux? Est-ce lui, qui est blessé ? Mais il ne le peut; il est à terre. Est-ce vous, qui êtes tombé avec lui? Eh ! comment? Vous qui ne pouvez vous tendre la main à vous-même, la tendrez-vous à un autre? Tenez-vous donc généreusement debout, présentez votre bouclier, et, par votre patience,retirez du combat votre frère mort. La colère l'a blessé? N'ajoutez pas blessure à blessure, mais arrachez plutôt le trait. Si nous noua traitons ainsi mutuellement, nous serons bientôt tous en bonne santé; mais si nous nous armons les uns contre les autres, il n'y aura plus besoin du démon pour nous perdre. Toute guerre est désastreuse, mais surtout la guerre civile. Et celle dont je parle l'emporte d'autant sur la guerre civile, que nos. liens de gouvernement, ou plutôt de parenté sont plus étroits.

           Jadis Caïn tua Abel, et versa le sang fraternel; mais le meurtre dont nous parlons l'emporte sur celui-là en injustice, et parce que la proximité est plus grande, et parce que le genre de mort est plus terrible.. Car Caïn ne perça qu'un corps, et vous aiguisez votre glaive contre une âme. Mais vous avez souffert le premier? Souffrir ce n'est pas recevoir le mal, mais le faire. Examinez un peu : Caïn a tué, Abel a été tué : où est le mort? Est-ce celui qui criait après sa mort, selon ce qui est écrit « La voix du sang de ton frère, crie vers moi» ; (Gen. IV, 20.) ou celui qui, vivant, tremblait et craignait? Celui-ci sans contredit était plus malheureux que quelque mort que ce soit. (249) Voyez-vous que le meilleur est encore de souffrir l'injustice, quand elle devrait aller jusqu'au meurtre ? Apprenez que le pire est de la commettre, quand même on serait assez fort pour donner la mort. Caïn a frappé et abattu son frère, mais Abel a été couronné et Caïn a été puni; Abel a été tué et immolé contre toute justice, mais, en mourant il accusait son frère,-il le tuait, il s'en emparait; et Caïn vivant gardait le silence, rougissait, était surpris en flagrant délit, et atteignait un résultat opposé à celui qu'il avait envié. En effet, il tuait son frère parce qu'il le voyait aimé ; et il se proposait de le priver de cet amour; et au contraire, il n'a fait que l'augmenter, puisque Dieu s'attachait davantage à la victime, jusqu'à dire : « Où est ton frère Abel ? » ( Ib. 9.) Bien loin d'avoir éteint l'amour par la jalousie , tu n'as fait que l'enflammer; loin de diminuer son honneur par le meurtre, tu n'as fait que l'augmenter. Dieu l'avait d'abord fait ton inférieur; mais puisque tu lui as donné la mort, du fond de son tombeau il se vengera contre toi : tant est grand l'amour que je lui porte. Quel est donc le condamné, de celui qui a puni, ou de celui qui a été puni? De celui que Dieu honore jusqu'à ce point, ou de celui qui est livré à un supplice nouveau? Tu ne l'as pas craint vivant, dis-tu; crains-le donc mort; tu n'as pas frémi en lui enfonçant le glaive, après avoir versé son sang, tu seras sous le poids d'une terreur continuelle; vivant, il était. ton serviteur et tu n'as pu le supporter : mort, il est devenu pour toi un maître redoutable. Pensons à cela, mes bien-aimés, et fuyons l'envie , éteignons la malice , aimons-nous mutuellement, afin de recueillir les fruits de la charité dans cette vie et dans l'autre, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et la force, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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