Matthieu 14, 13-23

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HOMÉLIE XLVIII

JÉSUS AYANT ACHEVÉ CES PARABOLES PARTIT DE LA, ET ÉTANT VENU DANS SON PAYS IL LES INTRUISAIT DANS LEUR SYNAGOGUE, » (CHAP. XIIII, VERSET 53, JUSQU’AU VERSET 13 DU CHAP. XIV.)

ANALYSE

1. L’envie se combat souvent elle-même.

2. Puissance de la vertu qui fait que saint Jean après sa mort est encore redouté d’Hérode.

3. Pourquoi il n’était pas permis à Hérode d’avoir la femme de son frère, supposé même que ce frère soit déjà mort.

4.Combien il est dangereux de jurer; l’exemple d’Hérode le prouve bien.

5-7. Que la méchanceté ne regarde que le moment présent. Que nous ne devons point insulter aux pécheurs. Que l’Ecriture nous apprend à user de retenue et de modération en parlant des péchés des autres. Combien les danses sont dangereuses . Qu’il faut fuir les festins.


 

1.Pourquoi l’évangéliste a-t-il mis « ces paraboles ? » — Parce que Jésus-Christ en devait prononcer d’autres encore. Pourquoi le Sauveur s’en alla-t-il de là ? — Pour répandre de (371) toutes parts la semence de sa parole. « Et étant venu en son pays il les instruisait dans leur synagogue(54).» Je crois que ce «pays»dont l’évangile parle, est Nazareth, parce que nous allons voir dans la suite, « Que Jésus-Christ ne fit pas là beaucoup de miracles: » ce qu’on ne peut dire de Capharnaüm dont il est écrit: « Et vous, Capharnaüm qui avez été élevée jusqu’au ciel, vous serez abaissée jusques au fond des enfers, parce que si les miracles qui ont été faits au milieu de vous avaient été faits dans Sodome, elle se serait conservée peut-être jusques aujourd’hui. »(Sup. XI, 23; Luc, X, 16.) Etant venu en son pays il n’y fait que peu de miracles, pour ne pas irriter davantage l’envie de ses concitoyens contre sa personne, et pour ne pas attirer une plus grande condamnation sur leur incrédulité si opiniâtre.

Mais il leur propose sa doctrine sainte qui ne méritait pas moins d’être admirée que les miracles. Et cependant ces insensés, bien loin d’être frappés d’étonnement et d’admirer un homme qui leur parlait de la sorte, le méprisent au contraire à cause de Joseph qui passait pour son père ; quoiqu’ils eussent tant d’exemples, dans les siècles précédents,. d’hommes, qui, sortis d’une race obscure, s’étaient par eux-mêmes rendus très-illustres. David était fils d’un laboureur; Amos, d’un gardeur de chèvres, et gardeur de chèvres lui-même; et Moïse, ce grand législateur, était né d’un père beaucoup au-dessous de lui. Plus Jésus-Christ leur paraissait un homme simple, plus ils devaient être frappés des grandes choses qu’il leur disait, puisque c’était une preuve que sa sagesse n’était point l’effet d’une étude humaine, mais de la seule grâce de Dieu. Et cependant ce qui leur devait donner de l’admiration, ne leur donne que du mépris.

Jésus-Christ fréquentait les synagogues, de peur qu’en demeurant toujours dans le désert, on ne le regardât comme un schismatique, et comme un ennemi de l’Etat: « Etant donc saisis d’étonnement, ils disaient : D’où est venue à celui-ci cette sagesse et cette puissance (54)? » Ils appelaient ses miracles du nom de puissance, ou bien ils marquaient par ce terme la prédication de son Evangile. « N’est-ce pas là le fils de ce charpentier (55)? »Mais c’est précisément ce qui augmente le miracle et le prodige. « Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie? et ses frères, Jacques, Joseph, Simon et Jude? Et ses soeurs ne sont-t-elles pas toutes parmi nous ? D’où lui viennent donc toutes ces choses (56)? Et ils se scandalisaient à son sujet (57).» Quoi donc! n’était-ce pas cela même qui devait surtout vous porter à le croire? Mais l’envie est une étrange passion, et elle se combat souvent elle-même. Ce qu’il y avait de plus surprenant, de plus merveilleux, de plus capable d’attirer ces hommes à Jésus-Christ, c’était là ce qui les en éloignait Je plus. Que leur dit donc le Fils de Dieu?

« Un prophète n’est sans honneur que dans son pays et dans sa maison (57). Et il ne fit pas là beaucoup de miracles à cause de leur incrédulité (58). » Saint Luc dit la même chose. Mais, dira quelqu’un, n’était-ce pas au contraire une raison d’en faire davantage?

Car puisque l’Evangile marque qu’il était admiré à cause de ces miracles, pourquoi n’en faisait-il pas un grand nombre dans un pays où il n’était pas considéré comme il méritait?

C’est parce qu’il ne cherchait jamais sa gloire dans ses oeuvres miraculeuses, mais le seul avantage des hommes. Comme donc les miracles ne gagnaient rien sur ceux-ci, Jésus-Christ méprisa la gloire qui lui en serait revenue, et il ne voulut pas qu’un plus grand abus de ses grâces rendît ces hommes plus punissables.

Cependant remarquez combien il avait laissé passer de temps, et combien il avait fait de miracles avant que de revenir à Nazareth. Et néanmoins ils ne le peuvent encore souffrir, et leur envie en devient plus furieuse.

Mais d’où vient, me direz-vous, qu’il a voulu faire parmi eux quelques miracles? C’était pour ne pas donner sujet à ce peuple de lui dire : « Médecin, guérissez-vous vous-même.» C’était pour l’empêcher de se plaindre de lui et de dire qu’il les haïssait, qu’il était leur ennemi, et qu’il méprisait ses concitoyens. C’était encore pour les empêcher de s’excuser et de dire : s’il avait fait des miracles parmi nous nous aurions cru en lui. C’est pourquoi il en fait quelques-uns et s’abstient d’en faire davantage, pour accomplir d’un côté ce qui était de son devoir, et pour éviter de l’autre d’attirer sur eux une plus grande condamnation.

Considérez, mes frères, qu’elle était la force (372) des paroles de Jésus-Christ, puisque malgré leur envie, ces hommes ne laissaient pas d’être frappés d’admiration. Mais comme, dans les miracles de Jésus-Christ, ils n’accusaient pas l’action qui paraissait au dehors, mais se formaient seulement-de vaines chimères qui n’avaient point de fondement, en disant : « Il chasse les démons au nom de Béelzébub « (Matth. XII, 24; Luc, XI, 14 ; »de même lorsqu’il s’agit de sa doctrine, ils ne la blâment point en elle-même, mais ils se rejettent sur sa personne pour le décrier par la bassesse de sa naissance.

Considérez, mes frères, la modestie du Fils de Dieu : il ne les méprise point, il nie les traite point avec aigreur, mais il leur dit avec une douceur extrême : « Un prophète n’est sans honneur que dans son pays; » et il ne s’arrête pas là, mais il ajoute « et dans sa maison, » pour marquer, je crois, ses propres frères.

2. Jésus-Christ dans saint Luc (Luc, IV, 25) rapporte quelques exemples semblables. Il fait voir qu’Elie ne se réfugia pas chez ses concitoyens, mais chez une veuve étrangère, et qu’Elisée ne guérit point de lépreux parmi les Juifs, mais le seul Naaman qui était un étranger, et qu’il ne fit aucun miracle sur ses concitoyens. Jésus-Christ leur parlait de la sorte pour leur faire voir que leurs pères avaient été méchants comme eux, et que si leur conduite était coupable, elle n’était pas quelque chose de nouveau.

« En ce temps-là Hérode le Tétrarque entendit parler des actions de Jésus ( XIV, 1).» Le roi Hérode, le père de celui dont parle ici l’Evangile, celui enfin qui avait fait mourir les innocents, était mort. Si l’écrivain sacré marque si expressément le temps, ce n’est pas sans raison; il veut nous faire voir l’orgueil et l’indifférence de ce potentat qui n’entend parler des merveilles qu’opérait Jésus-Christ que longtemps après qu’elles ont commencé d’éclater. C’est ce qui arrive tous les jours aux grands du monde. Comme ils sont pleins du faste de leur grandeur, ils ne connaissent que tard ces choses si extraordinaires, parce qu’ils s’en mettent fort peu en peine.

Mais considérez ici, mes frères, quelle est la force de la vertu! ce tyran craint tellement saint Jean tout mort qu’il est, que cette frayeur lui fait reconnaître la résurrection.

« Il dit à ceux de sa cour: C’est sans doute  Jean-Baptiste que j’ai tué, qui est ressuscité d’entre les morts, et c’est pour cela qu’il se fait par lui tant de miracles (2).» Admirez jusqu’où va la crainte de ce tyran. Il n’ose pas dire ces paroles à des étrangers. Il ne se découvre qu’à ceux de sa maison. Mais sa pensée était bien absurde, et d’une grossièreté toute militaire. Soit, on avait vu des morts ressusciter, mais en avait-on jamais vus qui eussent opéré les mêmes oeuvres que Jésus-Christ opérait alors? Il me semble que l’ambition se mêle aussi avec la crainte dans ces paroles,

Car c’est le propre des âmes déréglées de s’abandonner ainsi en même temps à des passions toutes contraires. Saint Luc rapporte que le peuple, en parlant de Jésus-Christ, disait que « c’était Elie ou Jérémie, ou quelque autre des anciens prophètes (Luc, IX, 7); »mais ce prince voulant parler plus sagement que le peuple, dit cette impertinence de la résurrection de saint Jean. Peut-être aussi qu’Hérode, entendant dire que Jésus-Christ était Jean-Baptiste (quelques-uns en effet le disaient), répondit d’abord; non; car j’ai tué Jean à cause de son insolence (Saint Marc et saint Luc rapportent en effet que ce prince se vantait d’avoir décapité Jean); et que voyant ensuite la persistance de ce bruit, de cette croyance, il finit, lui aussi, par dire comme tout le monde. L’évangéliste prend de là occasion de raconter assez au long la mort de saint Jean. Pourquoi ne la rapporte-t-il que comme un fait accessoire, et seulement en passant? Parce que, son unique objet, c’était de parler de Jésus-Christ. Saint Matthieu, non plus que les autres évangélistes, ne font jamais de digression, à moins qu’elle ne puisse servir à leur but principal. C’est pourquoi ils n’auraient pas même mentionné cette histoire, si elle n’eût été liée à celle de Jésus-Christ, si Hérode n’eût dit que Jésus-Christ n’était autre que saint Jean ressuscité. Saint Marc dit qu’Hérode estimait beaucoup saint Jean, quoiqu’il le reprît avec une grande liberté. Car la vertu a tant de force, qu’elle se fait respecter même de ses plus grands ennemis. L’évangile donc rapporte ainsi cette histoire : « Hérode ayant « fait prendre Jean l’avait fait lier et mettre en « prison à cause d’Hérodiade, la femme de «son frère (3). Parce que Jean lui disait : il ne « vous est point permis d’avoir cette femme (4). (373)

« Et ayant envie de le faire mourir il avait eu peur du peuple, parce que Jean était regardé comme un prophète (5). » Saint Jean ne reprenait point cette femme, mais seulement Hérode, parce qu’il avait plus de part au crime, et plus de pouvoir pour le faire cesser. Considérez aussi combien l’évangéliste se modère, et comme il rapporte cet événement, en le racontant plutôt comme une histoire, qu’en l’exagérant comme un grand crime.

« Comme Hérode célébrait le jour de sa naissance, la fille d’Hérodiade dansa publiquement devant lui et elle lui plut (6). » O festin diabolique! ô assemblée de démons ! ô danse cruelle !, ô récompense encore plus cruelle! On y décide en un moment la mort la plus injuste. On y fait mourir un homme qui ne méritait que des louanges et des couronnes. On apporte à ce festin cette tête qui était le trophée des démons, et le moyen dont on se servit pour gagner cette victoire était digne d’un si détestable succès: « Car la fille d’Hérodiade dansa, et plut à Hérode. De sorte qu’il lui promit avec serment de lui donner tout ce qu’elle lui demanderait (7). Mais cette fille ayant été instruite auparavant par sa mère, lui dit: Donnez-moi présentement dans ce plat la tête de Jean-Baptiste (8). » Cette fille est doublement criminelle: premièrement en ce qu’elle danse; secondement en ce qu’elle plaît à Hérode, et lui plaît de telle sorte , qu’elle reçoit un homicide comme le prix de sa danse.

Considérez aussi la cruauté de ce prince, et son insensibilité pleine de folie. Il s’engage par min serment, et il permet à cette fille de lui demander tout ce qu’elle veut. Mais lorsqu’il reconnut dans quel excès il s’était engagé, il en fut fâché, » dit 1’Ecriture. Pourquoi fut-il fâché de la mort d’un homme qu’il avait osé faire emprisonner? C’est parce que la vertu est si puissante, qu’elle se fait admirer même des impies. Mais que dirons-nous de cette femme furieuse? Au lieu d’admirer saint Jean, de l’honorer, de le respecter, et de l’aimer comme celui qui faisait tous ses efforts pour la délivrer de l’oppression honteuse de ce tyran, elle ne lui dresse que des piéges, elle ne désire que sa mort, et elle la demande comme une grâce qui n’était digne que d’un démon. « Néanmoins il craignit à cause du serment qu’il avait fait, et de ceux qui étaient à table avec lui, et il commanda qu’on la lui donnât (9). » Malheureux prince! que ne craigniez-vous plutôt ce qui était plus à craindre? Si vous craigniez d’avoir ces personnes pour témoins de votre parjure, que ne craigniez-vous davantage d’avoir tous les siècles pour témoins d’un meurtre si exécrable?

3. Mais comme je crois que plusieurs de ceux qui m’écoutent, ignorent quel était le crime que saint Jean reprenait en ce prince, et qui donna lieu à sa mort, je pense qu’il est nécessaire d’en dire un mot. Et ceci vous servira pour admirer encore davantage la sagesse des lois de Moïse. Car Hérode avait violé l’une de ces anciennes lois, et saint Jean la soutenait contre lui : « Si quelqu’un , » dit Moïse, « meurt sans enfants, qu’on donne à son « frère la femme qu’il laisse veuve. » (Deut. XXV,5.)

Comme la mort alors paraissait un mal dont on ne pouvait se consoler, et qu’en ces temps-là on ne s’attachait qu’à la vie présente, Moïse ordonne par une loi, que le frère qui restait épouserait la femme de son frère mort, et donnerait le nom de celui-ci à l’enfant qu’il en aurait, afin que sa maison ne fût point détruite. Comme les enfants font la plus grande consolation de ceux qui meurent, si celui qui mourait n’en avait point laissé après lui, il semblait qu’il aurait été inconsolable dans sa mort. Moïse voulant donc adoucir les regrets de ceux à qui la nature n’aurait point donné d’enfants, commanda que leur frère épousant leur veuve, les enfants qui naîtraient de ce mariage portassent le nom du frère mort. Mais lorsque celui qui mourait avait des enfants, ce mariage n’était plus permis.

Vous me direz, peut-être: Pourquoi n’était-il pas aussi bien permis au fière du mort d’épouser sa veuve qu’à un étranger? C’est parce que Dieu a voulu étendre ainsi davantage les alliances, et donner aux hommes plus de moyens de s’unir les uns avec les autres.

D’où vient donc, me direz-vous, que lorsqu’un homme mourait sans enfants, sa veuve n’épousait pas un étranger? C’est parce que l’enfant sorti de ce second mariage n’eût point été censé du premier mari; au lieu que le frère même donnant des enfants à son frère mort, ces enfants pouvaient plus aisément passer pour être de lui. On n’obligeait donc le frère du mort à soutenir la maison de son frère, que dans le cas où ce frère n’aurait point (374) laissé d’enfants. Et lorsqu’il y était obligé, cette raison que je viens de dire justifiait son mariage avec la femme de son frère mort.

Comme donc Hérode avait épousé la femme de son frère quoique celui-ci en mourant eût laissé des enfants, saint Jean avait raison de blâmer cette alliance criminelle. Il le fait avec une sagesse admirable, et avec un zèle qui était tempéré d’une grande retenue.

Mais considérez, je vous prie, tout l’ensemble de ce festin, et vous verrez que c’était le diable qui y présidait. Premièrement tout s’y passe dans les délices, dans la fumée du vin et des viandes, ce qui ne peut avoir que de malheureuses suites. Tous les conviés sont des méchants, et celui qui les convie est le plus méchant de tous. De plus la licence et le libertinage y règnent souverainement. Enfin on y voit une jeune fille qui, étant née du frère mort, rendait ce mariage illégitime, et que sa mère devait cacher comme un témoignage public de son impudicité, qui entre au contraire avec pompe et avec magnificence au milieu de ce festin, et au lieu de se maintenir dans l’honnêteté propre à son sexe, s’expose aux yeux de tous, avec une impudence que n’auraient pas les femmes les plus débauchées.

La circonstance du- temps et du jour augmente encore le crime d’Hérode. Lorsqu’il devait rendre grâces à Dieu de ce qu’il lui avait donné la vie, il signale le jour de sa naissance par l’action la plus barbare, et au lieu que dans cette joie publique, il aurait dû tirer saint Jean de prison, il couronne sa captivité si inhumaine par u rie mort cruelle et sanglante.

Ecoutez ceci, vous jeunes filles, ou plutôt vous, jeunes femmes, qui osez dans les noces des autres vous signaler par votre licence, par vos danses peu modestes, par votre joie trop libre et par une dissolution qui déshonore votre sexe. Ecoutez ceci, vous tous qui aimez la bonne chère, et qui recherchez les festins pleins de luxe et de désordre. Craignez cet abîme et ce piége par lequel le démon fit tomber ce malheureux prince dans ce grand crime. Car il l’enveloppa de telle sorte dans se-s filets, comme il est rapporté dans saint Marc, qu’il lui fit jurer « de donner » à cette danseuse tout ce « qu’elle lui demanderait, quand ce serait la moitié de son royaume. »Dans la frénésie de la passion, qui le possédait, il estimait si peu la principauté, qu’il était prêt d’en donner la moitié pour une danse.

Mais, faut-il s’étonner qu’on ait vu alors un si grand excès, lorsque nous voyons, en ce temps où la lumière et la piété du christianisme se sont tellement répandues dans tout le monde, des jeunes gens s’abandonner de telle sorte au luxe et à la mollesse, qu’ils donnent pour se satisfaire et sans même y être engagés par serment, non pas un royaume, mais leur âme. Devenus les esclaves de la volupté, ils vont comme des brebis partout où le loup les entraîne.

N’est-ce pas ce qui arrive ici à Hérode? La passion a tellement égaré sa raison, qu’il commet à la fois deux actes de la dernière folie: d’abord, de rendre maîtresse de ses actions une fille furieuse, enivrée de passion, et capable des plus grands emportements; et ensuite de confirmer par serment une promesse si extravagante.

Mais quel qu’ait été le crime du tyran, la femme néanmoins qui inspire une si horrible demande à sa fille est sans comparaison plus criminelle que cette jeune fille qui la fait, et qu’Hérode même qui l’accorde. Car ce fut elle qui conduisit toute cette intrigue , et qui trama cette funeste tragédie. Au lieu de se montrer reconnaissante envers le prophète qui voulait faire cesser son déshonneur, elle affiche elle-même son ignominie; en faisant danser sa fille en public, elle demande la tête du saint, et elle tend un piége où Hérode vient se prendre.

Ainsi la parole de Jésus-Christ a été vérifiée:

« Celui qui aime son père et sa mère plus que moi n’est pas digne de moi.» (Marc, VI, 23.) Si la fille d’Hérodiade avait suivi cette loi, elle n’en aurait pas violé tant d’autres, et elle n’aurait pas été la cause d’un crime effroyable. Vit-on jamais une si brutale cruauté? Une fille pour grâce demande un meurtre. Elle demande une mort injuste, la mort d’un saint, et elle fait cette cruelle demande au milieu d’un festin, devant tout le monde, et sans rougir. Elle ne prend point Hérode en particulier pour lui faire cette demande. Elle la fait devant toute la cour, avec un front d’airain, avec un visage de prostituée, et le démon, qui lui avait inspiré ce qu’elle devait demander, lui fait accorder ce qu’elle demande. C’est lui qui la fit danser avec tant de grâce, qui fit qu’Hérode fut ravi de la voir, et qu’ensuite il s’abandonna aveuglément à sa passion.

Car le démon se trouve partout où il y a de (375) la danse. Dieu ne nous a point donné des pieds pour un usage si honteux, mais pour marcher avec modestie. Il ne nous les a pas donnés pour sauter comme font les chameaux (car les chameaux ne sont pas beaux à voir lorsqu’ils dansent, et les femmes encore moins), mais pour avoir place dans le choeur des anges. Que si le corps est déshonoré par ces mouvements indécents, combien l’âme l’est-elle encore davantage? Les danses sont les jeux des démons. Ses ministres et ses esclaves en font leurs divertissements et leurs plaisirs.

4. Mais je vous prie de considérer avec plus d’attention quelle est la demande de cette fille. «Donnez-moi, » dit-elle, « dans ce plat la tête de « Jean-Baptiste. » Voyez-vous l’effronterie? Entendez-vous l’organe du diable? Elle sait bien quel est celui dont elle demande la tête, puisqu’elle l’appelle « Jean-Baptiste, » et elle la demande néanmoins. Elle veut qu’on lui apporte dans un plat cette tête sacrée et bienheureuse, et elle en parle comme s’il ne s’agissait que d’un mets qu’on servirait sur une table. Elle ne donne aucune raison de cette demande barbare, parce qu’elle n’en avait point. Elle met seulement sa gloire à se faire donner une satisfaction si cruelle et si malheureuse.

Elle ne demande point qu’on fasse venir saint Jean et qu’on le tue devant tout le monde. Elle appréhendait trop sa force et sa liberté. La moindre de ses paroles l’aurait fait trembler, et la vue du glaive qui allait lui trancher la tête n’eût point empêché ce courageux prophète de parler. C’est pourquoi elle dit: « Donnez-moi ici dans ce plat la tête de Jean-Baptiste. » Elle veut voir sa tête, mais lorsque sa bouche sera muette. Elle la veut voir toute sanglante, non-seulement pour s’assurer qu’elle ne lui fera plus de reproches, mais encore pour satisfaire sa vengeance en lui insultant.

Dieu voit cela, mes frères, et il le souffre. Il ne lance point ses foudres sur cette malheureuse. Il ne réduit point en cendres ce front insolent et cette langue homicide. Il ne commande point à la terre de s’ouvrir pour abîmer ce prince et tous ses conviés avec lui. Il retint sa justice en cette rencontre pour préparer à son serviteur une couronne plus illustre, et pour laisser à tous ceux qui le suivraient une plus grande consolation dans leurs maux.

Ecoutons ceci, nous que la pratique de la vertu expose aux mauvais traitements des méchants. Un homme si admirable, un saint qui avait passé sa vie dans un désert, sous un habit si austère, sous un cilice; un prophète et le plus grand des prophètes, à qui le Fils de Dieu avait rendu ce témoignage qu’entre tous ceux qui étaient nés des femmes, il n’y en avait point de plus grand que lui : ce saint, dis-je, est sacrifié à la rage d’une femme impudique; sa tête est le prix de la danse d’une fille effrontée, et il est abandonné à ces furieuses, parce qu’il a soutenu avec vigueur la loi de Dieu.

Pensons à ce grand exemple, et souffrons généreusement tout ce qui nous pourra arriver. Cette malheureuse femme était altérée du sang de l’innocent, et elle a le plaisir de le répandre. Elle voulait se venger de l’injure qu’elle croyait que saint Jean lui avait faite, et Dieu permet qu’elle se satisfasse comme elle l’avait désiré, et qu’elle se rassasie de sa vengeance.

Qu’avait-elle à reprocher à ce saint homme? Il ne lui avait jamais fait la moindre réprimande, et il s’était toujours adressé à Hérode. Mais sa conscience criminelle lui fait sentir l’aiguillon du remords. C’est le bourreau qui la tourmente et qui la déchire. Ce qu’elle endure au dedans la rend comme furieuse au dehors. Elle remplit sa maison de confusion et d’infamie. Elle déshonore tout ensemble en elle-même sa fille et son mari mort, et découvre son adultère vivant; elle veut surpasser ses premiers excès par d’autres encore plus horribles. Il semble qu’elle dise à saint Jean : Si vous ne pouvez souffrir de voir Hérode adultère, je le rendrai même homicide; et pour faire cesser vos reproches, je le forcerai de vous-ôter la vie.

Je vous appelle ici, vous tous qui donnez aux femmes un si grand pouvoir sur votre esprit. Vous qui faites des serments indiscrets sur des choses douteuses et incertaines, et qui creusez ainsi la fosse où vous devez être précipités, en rendant les autres les maîtres de votre perte. Car n’est-ce pas ainsi que périt Hérode? Il crut que dans une fête et dans un jour de joie, cette fille lui demanderait quelque chose qui fût proportionné à elle, au lieu où elle était, et au temps de cette réjouissance publique; bien loin de s’imaginer qu’elle dût demander une tête. Et cependant il fut trompé malheureusement, et sa surprise ne l’excuse point. (376)

Car si cette fille instruite par sa mère osa lui faire une demande plus digne d’une tigresse que d’une femme, c’était à lui à s’opposer à cette furieuse, et non pas à se rendre le ministre d’une cruauté si odieuse et si inouïe.

Qui n’aurait été frappé d’horreur de voir au milieu d’un festin paraître dans un plat cette tête sacrée toute dégouttante de son sang? Hérode néanmoins n’en est point touché, et encore moins cette femme barbare. C’est là l’esprit de ces malheureuses prostituées. Elles perdent la compassion avec l’honneur, et elles sont aussi hardies et aussi inhumaines qu’impudiques. Car si le seul récit d’un événement si barbare nous fait frémir d’horreur, combien en devait faire l’action même? Quel devait être le sentiment de ces convives voyant au milieu du festin une tête qui venait d’être coupée, et qui nageait dans son propre sang? Cependant cette femme, plus cruelle que les furies, ne trouve que du plaisir dans ce spectacle. Elle triomphe de joie d’être enfin venue à bout de tous ses désirs; au moins aurait-elle dû se contenter de voir une fois cette tête coupée; mais non, il faut qu’elle se repaisse de cette vue, qu’elle s’enivre en quelque sorte de ce sang d’un prophète, dont elle avait été si altérée.

Voilà ce que produit cette infâme passion. Après avoir fait des impudiques, elle fait encore des meurtriers. C’est pourquoi je ne doute point qu’une femme qui a l’adultère dans le coeur, ne soit prête à ôter la vie à son mari aussi bien que l’honneur, et qu’elle ne soit assez hardie polir commettre, je ne dis pas seulement un ou deux , mais mille homicides. Et on nu voit que trop d’exemples de ce que je dis. C’est par cet esprit de sang et de meurtre que se conduisit alors cette femme, croyant qu’après qu’elle aurait fait mourir saint Jean, son crime serait enseveli avec lui. Mais il arriva tout le contraire, parce qu’après sa mort même, le prophète parla plus haut que jamais.

5. Les méchants se conduisent dans leurs desseins comme les malades, qui mourant de soif ne pensent qu’à boire pour se rafraîchir, sans considérer qu’ils se trouveront ensuite beaucoup plus mal. Si cette femme n’eût point fait mourir saint Jean, pour l’empêcher de lui reprocher son impudicité, on aurait beaucoup moins parlé contre elle. Car lorsque saint Jean fut mis en prison, ses disciples d’abord demeurèrent dans le silence. Mais lorsqu’ils le virent tué si cruellement, ils furent contraints enfin de dire qu’elle avait été la cause de sa mort. Ils voulaient d’abord épargner la réputation de cette femme adultère, en ne publiant point ce qui aurait pu la déshonorer. Mais ils sont forcés enfin de découvrir toute cette intrigue, de peur qu’on ne crût que leur maître eût été un séditieux comme Theudas et Judas, et qu’il eût été exécuté comme eux, pour avoir fait quelque entreprise contre l’Etat.

On voit par là, que plus on s’efforce de cacher son péché plus on le publie; et que le moyen de couvrir un crime n’est pas d’y en ajouter un autre, mais de l’expier par une sincère pénitence.

Considérez, je vous prie, avec quelle modération l’Evangile parle de cet attentat d’Hérode; comme il ne l’exagère point, et qu’il semble même l’excuser en quelque sorte. Car i! rapporte de ce prince « qu’il s’affligea de cette demande, mais que néanmoins, à cause de son serment et de ceux qui étaient à table avec lui, » il consentit à cette mort. Il dit de même de cette jeune fille, qu’elle fut poussée à cela par sa mère, et qu’elle lui porta cette tête, comme s’il disait qu’elle ne fit que lui obéir. Car les véritables justes plaignent davantage celui qui fait le mal que celui qui le souffre, parce qu’ils savent que le mal retombe sur celui qui le fait. Ainsi ce n’est point saint Jean qui est à plaindre dans sa mort, puisqu’il n’en reçut aucun mal, mais ceux qui l’ont traité si cruellement.

Imitons cette modération, mes frères, plaignons les pécheurs et n’insultons point au malheur des autres. Couvrons leurs excès autant que nous le pourrons, et entrons dans des sentiments vraiment chrétiens. Considérons que l’évangéliste, contraint de parler de cette femme impudique et meurtrière, le fait sans exagération et fort simplement. il ne dit point que cette jeune fille fut instruite par cette cruelle, par cette furieuse, mais « par « sa mère. » Il trouve un terme honorable en parlant de cette femme; et vous n’avez quo des injures en parlant de votre prochain.

Vous n’avez pas la même retenue en parlant de votre frère, lorsqu’il vous a un peu fâché, que l’évangéliste lorsqu’il parle d’une femme si criminelle. Vous vous emportez alors à des injures atroces, vous l’appelez un méchant, un détestable, un trompeur, un insensé , et mille (377) autres choses encore plus horribles. Vous oubliez que vous êtes homme; vous le traitez comme un étranger et comme un barbare, et voué le chargez d’outrages et d’injures.

Ce n’est pas ainsi qu’agissent les saints. Ils ne font pas des imprécations contre les méchants; mais ils pleurent et ils soupirent pour eux. Faisons la même chose. Pleurons Hérodiade et celles qui lui ressemblent. Il y a bien aujourd’hui de ces festins homicides. On n’y tue pas le saint précurseur, mais les membres mêmes de Jésus-Christ, et d’une manière encore plus cruelle. On n’y présente pas une tète dans un plat pour le prix d’une danse, mais on y tue les âmes des convives. Car lorsqu’on rend ces personnes esclaves des plaisirs brutaux, et qu’on les engage dans les passions les plus infâmes, n’est-il pas vrai qu’on les tue, non en retranchant leur tête de leur corps, mais en séparant leur âme d’avec Jésus-Christ?

Car oserez-vous me dire que lorsque votas êtes plongé dans le vin et dans l’excès de la bonne chère, cette danse et ces gestes d’une femme prostituée ne font aucune impression sur votre esprit; que l’impureté ne se saisit point de votre coeur, et que vous ne tombez point alors dans ce malheur horrible dont parle saint Paul: « Faisant des membres de «Jésus-Christ les membres d’une femme prostituée? »

Si la fille d’Hérodiade ne se trouve pas là, le diable s’y trouve. Et comme il était l’auteur de la danse d’Hérodiade, il l’est encore de celle qu’on danse devant vous, et il remporte pour prix de sa danse les âmes de ceux qui la regardent.

Quand vous pourriez vous défendre de l’intempérance et de tous ces excès de vin, ne tomberiez-vous pas dans un autre plus grand malheur, en participant aux péchés de ceux qui vous traitent? Car combien ces festins si magnifiques supposent-ils de rapines et de sols? Combien a-t-il fallu appauvrir de monde pour couvrir si richement une table? Ne considérez pas ces viandes si délicieuses qu’on y sert. Pensez aux moyens dont on fournit à ces prodigieuses dépenses, et vous verrez que c’est l’avarice, l’usure, les rapines et la violence, qui-font subsister ces grandes tables.

Mais ce n’est point du bien d’autrui , dites-vous, que j’entretiens ces dépenses. Je le veux. Mais quand ce serait du bien le mieux acquis, Pouvez-vous justifier un si grand luxe? Voyez ce que dit le Prophète; et comme sans marquer aucune rapine, il condamne seulement la délicatesse et la magnificence de vos tables: « Malheur à vous, » dit-il, « qui buvez des vins délicieux, et qui vous parfumez des « plus excellents parfums ! » (Amos, VII, 7.) Vous voyez qu’il n’accuse que la bonne chère, et non les concussions ou l’avarice. Et considérez, je vous prie, ce que vous faites dans vos festins. Vous mangez avec excès pendant que Jésus-Christ n’a pas de quoi soulager sa faim. Vous chargez vos tables de mets délicieux, et il n’a pas un morceau de pain sec. Vous buvez du vin de Thasos, et vous ne lui donnez pas un verre d’eau froide pour apaiser la soif qui le brûle. Vous couchez dans des lits magnifiques, et il couche à l’air, et meurt de froid, Quand donc vos festins ne seraient pas abominables, comme étant le fruit de votre avarice, ils le seraient néanmoins par ces dépenses excessives et superflues que vous y faites, lorsque vous refusez le nécessaire aux membres de Jésus-Christ, quoique ce soit lui qui vous ait donné tout ce que vous avez.

6. Si étant le tuteur d’un orphelin, vous consumiez tout le bien qu’il a, et le laissiez dans la dernière pauvreté, tous les hommes s’élèveraient contre vous, et toutes les lois s’armeraient pour punir une si grande injustice; et vous croyez que lorsque vous dissipez ainsi le patrimoine du Christ, vous demeurerez impuni? Je ne parle point ici de ceux qui entretiennent à leurs tables des femmes perdues. Je n’ai rien de commun avec ces hommes. Je les regarde, selon l’Evangile, comme « des chiens. » Je ne parle point non plus à ces avares qui pillent les uns pour traiter magnifiquement les autres; je n’ai rien à démêler avec eux et je les considère, selon l’Ecriture, comme « des pourceaux » et comme « des « loups. » Je ne m’adresse qu’à ceux qui se contentent de jouir paisiblement de leur bien sans en faire part aux pauvres, et dépensent seulement ce qu’ils ont reçu de leur père, sans faire tort à personne.

Je dis que ces personnes ne doivent point se croire innocentes. Comment prétendriez-vous n’être point coupable de nourrir tous les jours à votre table des comédiens, et des parasites, et de ne pas croire Jésus-Christ digne de la même grâce qu’eux? Un bouffon qui divertit trouve place à votre table, et Jésus-Christ qui vous offre le royaume même des cieux, n’y (378) en trouve pas? Un bon mot, une parole (lite avec esprit, vous rend libéral envers celui qui l’a dite, et lorsque Jésus-Christ vous enseigne des choses dont l’ignorance vous mettrait au rang des bêtes, vous le rejetez et le méprisez. Vous avez de l’horreur quand vous écoutez ceci : que n’en avez-vous aussi quand vous le faites? Bannissez de cette table toutes ces personnes infâmes, et invitez-y Jésus-Christ. Si vous lui faites part ici de votre bien, vous le trouverez favorable, lorsqu’il vous jugera un jour. Il sait reconnaître ceux qui l’auront reçu à leur table. Si les voleurs même ont du respect pour ceux qui les traitent, et qui les font manger avec eux, que devez-vous croire du Sauveur? Souvenez-vous de la douceur qu’il témoigna autrefois à table pour une femme pécheresse, et de ce reproche qu’il fit à Simon : « Vous ne m’avez pas donné le baiser? » Si lors même que vous ne faites rien de ceci, Jésus-Christ ne laisse pas de vous nourrir, que fera-t-il lorsque vous le nourrirez?

N’arrêtez pas vos yeux sur ce pauvre que vous voyez. Ne considérez point ces habits déchirés dont vous le voyez à demi-couvert. Croyez que c’est Jésus-Christ même qui, dans la personne de ce pauvre, entre chez vous. Quittez ces paroles outrageuses et cruelles, par lesquelles vous éloignez de vous ceux qui vous demandent l’aumône. Ne les appelez plus des fainéants, des paresseux et des lâches. Souvenez-vous seulement alors quelles sont les actions par lesquelles vos parasites vous plaisent; à quoi vous servent-ils? Que vous font-ils qui vous soit utile? Ce sont des fous, dites-vous. Ils servent à me divertir à table. Quoi! Des misérables qui ne disent que des sottises, et qui souffrent qu’on leur donne des soufflets, vous paraissent propres à vous divertir? Qu’y a-t-il au contraire de moins agréable que de frapper ainsi sur un visage fait à l’image de Dieu, et de trouver du plaisir dans la honte de celui qui est homme comme vous?

Ne rougissez-vous point de faire de votre logis un théâtre de comédiens et de bouffons, et appelez-vous vivre en homme d’honneur, que de vous rabaisser à ces infamies? Vous vous divertissez de ce qui vous devrait faire répandre des ruisseaux de larmes. Au lieu que vous devriez contribuer à convertir ces sortes de gens, et à leur faire changer de vie, vous êtes le premier à les y entretenir. Vous les excitez à dire des paroles déshonnêtes et. déréglées; vous appelez cela un divertissement, et vous faites vos délices de ce qui vous attirera les supplices de l’enfer. Ne faut-il pas-avoir perdu l’esprit pour être capable de ces pensées?

7. Je ne dis point ceci pour empêcher qu’on ne fasse quelque charité à ces personnes, mais. je ne veux pas qu’on le fasse pour une si mauvaise raison. L’aumône doit venir d’un sentiment de compassion et de miséricorde, et non point de ces vanités, ou plutôt de ces cruautés. Ayez pitié de ces gens, mais ne les perdez pas. Nourrissez-les parce qu’ils sont pauvres, parce que vous nourrissez Jésus-Christ en leur personne, et non parce qu’ils disent des paroles diaboliques, ou parce qu’ils font des actions qui vous déshonorent vous-mêmes. Ne regardez point cette bonne humeur qu’ils vous font paraître au dehors. Pénétrez dans le fond de leur conscience. Vous verrez ce qu’ils souffrent au dedans d’eux-mêmes, et qu’ils se tiennent très-malheureux d’être réduits à gagner ainsi leur vie. S’ils cachent cette douleur qui les ronge, c’est parce qu’ils ne veulent pas vous déplaire.

Recevez donc à l’avenir à votre table plutôt des hommes qui aient de l’honneur et de la vertu, quoiqu’ils soient pauvres, que des bouffons et des gens sans foi et sans conscience. Et si vous voulez tirer même quelque avantage de la grâce que vous leur faites, commandez-leur qu’aussitôt qu’ils vous verront faire ou dire quelque chose qui soit peu honnête, ils vous en avertissent et vous en reprennent; qu’ils aient soin de vos domestiques, et qu’ils veillent sur toute votre famille. Si vous avez des enfants, qu’ils en soient les pères aussi bien que vous, et qu’ils partagent avec vous l’autorité que Dieu vous donne sur eux.

Servez-vous d’eux pour vous enrichir selon Dieu, et pour entretenir par eux un trafic et un commerce tout spirituel. Si quelqu’un a besoin de secours, commandez à ces personnes de lui en porter, ordonnez-leur d’assister les malheureux. Envoyez-les chercher les hôtes et les étrangers, revêtez par eux ceux qui sont nus. Visitez par eux les prisonniers. Enfin employez-les pour remédier aux nécessités de tout le monde. C’est ainsi qu’ils reconnaîtront le bien que vous leur faites, d’une manière qui sera avantageuse, et pour vous et pour (379) eux-mêmes, et qui sera estimée de tout le monde.

C’est ainsi que vous pourrez lier avec eux une amitié plus étroite. Car bien que vous paraissiez leur ami, lorsque vous prenez soin de leur subsistance, ils ne laissent pas d’avoir toujours quelque pudeur, parce qu’ils croient qu’ils vous sont à charge; mais s’ils vous rendent quelques services, ils useront de votre bonne volonté avec moins de peine, comme ne vous étant pas tout à fait inutiles. Vous Leur donnerez des marques de votre bonté avec plus de satisfaction, et vous les obligerez encore par cette conduite à vivre auprès de vous avec une déférence accompagnée d’une honnête liberté. Ainsi votre maison qui était auparavant un théâtre, deviendra une église. Le démon en sera banni, et Jésus-Christ y entrera avec la troupe de ses saints anges. Car les anges sont toujours où est Jésus-Christ, et où est Jésus-Christ avec ses anges, là est une lumière plus éclatante que le soleil, ou plutôt là est le ciel et le paradis.

Si vous voulez encore retirer d’eux un service plus considérable, priez-les, lorsque vous avez quelque loisir, de vous lire l’Ecriture sainte. Ils vous serviront avec plus de joie en cela qu’en toute autre chose, puisque cette occupation contribuera également à leur édification et à la vôtre. Mais lorsque vous nourrissiez chez vous ces bouffons, vous vous déshonoriez aussi bien qu’eux; vous, comme un homme de désordre et de bonne chère, et eux comme des misérables qui étaient obligés, pour subsister de quelque manière, de vivre sans honneur et sans conscience. Celui qui ne nourrit ces gens que pour des usages honteux, les offense plus que s’il les tuait; et celui au contraire qui nourrit des hommes pour tirer d’eux ces services de charité, leur est plus utile que s’il les sauvait de la mort. Vous méprisiez alors ces hommes de divertissement plus que le dernier de vos serviteurs, et votre esclave aurait eu plus de liberté auprès de vous qu’ils n’en avaient: mais lorsque vous les employez à l’usage que je vous ai dit, vous les égalez aux anges.

Délivrez donc les autres de ces outrages en vous en délivrant aussi vous-mêmes. Qu’on ne parle plus de parasites à votre table, mais que ceux qui y seront invités soient vos véritables amis. Ne les traitez point comme des flatteurs et des complaisants, mais comme des personnes qui vous sont chères. Dieu a donné l’amitié aux hommes, non afin que les amis s’entre-perdent et s’entre-corrompent, mais afin qu’ils s’entr’aident à faire le bien. Lorsqu’on aime au contraire ces personnes infâmes, cette amitié est pire que les inimitiés les plus mortelles. Nous pouvons tirer beaucoup d’avantage de nos ennemis mêmes, si nous en savons bien user, mais nous ne pouvons attendre que du mal de ces faux amis.

Bannissez donc de votre maison ces amis, qui ne vous apprendront que ce qui vous peut perdre, et qui sont plutôt les amis de votre table que de votre personne. Il ne vous cherchent qu’à cause de votre luxe. Quittez-le et ils vous quitteront. Ceux au contraire qui sont liés avec vous par la vertu et la piété, demeureront fermes et vous aimeront, quelque malheur qui vous arrive.

Mais de plus ces hommes infâmes se vengent souvent de vous, et sont les premiers à semer contre vous des bruits désavantageux. Je sais que c’est de cette manière que plusieurs, très-honnêtes gens, ont été publiquement décriés et soupçonnés de crimes atroces, les uns de magie, les autres d’adultères, ou d’autres excès encore plus abominables. Comme on voit aussi que ces gens n’ont rien à faire chez vous, et qu’ils sont toujours à votre table sans qu’ils vous rendent aucun service, on se persuade aisément qu’ils sont les ministres de vos passions.

Si nous voulons donc, mes Frères, retrancher tous ces soupçons à l’égard des hommes, si nous voulons nous rendre plus agréables à Dieu, et nous préserver des supplices éternels dont il nous menace, fuyons cette coutume diabolique d’inviter des hommes si dangereux à notre table. Pratiquons cet excellent avis de saint Paul: « Soit que vous buviez, soit que vous mangiez, faites tout à la gloire de Dieu ( I Cor. X, 31), afin qu’ayant tout fait pour sa gloire, nous en jouissions un jour, par la grâce et par la miséricorde de Notre Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.» (380)

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