Matthieu 9,9-19

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Matthieu 7,21-28
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Matthieu 11, 7-25
Matthieu 11,1-9
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Matthieu 13,10-24
Matthieu 13,24-34
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Matthieu 14, 13-23
Matthieu 14,13-23
Matthieu 14,23 - 36
Matthieu 15,1 -21
Matthieu 15,21-32
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Matthieu 16,13-24
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Matthieu 25,1-31
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Matthieu 26,17-26
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Matthieu 26,51-67
Matthieu 26,67- 27,10
Matthieu 27,11-27
Matthieu 27,27-45
Matthieu 27,45-62
Matthieu 27,62- 28,11
Matthieu 28, 11-20

HOMÉLIE XXX

« ET JÉSUS SORTANT DE LÀ, VIT EN PASSANT UN HOMME QUI ETAIT ASSIS AU BUREAU DES IMPOTS, NOMME MATTHIEU, AUQUEL IL DIT : SUIVEZ-MOI, ET LUI SE LEVANT, LE SUIVIT. » (CHAP. IX, 9, JUSQU’AU VERSET 19.)

ANALYSE

1.Vocation de saint Matthieu; éloge de sa vertu.

2. Contre ceux qui recherchent l’estime des hommes en jeûnant.

3. Les disciples de Jean jaloux de Jésus-Christ.

4. Qu’il ne faut prescrire les choses difficiles qu’à ceux qui en sont capables.

5. et 6. Exhortation. Cette règle s’applique à tout. Par exemple qu’un mari veuille corriger sa femme de son goût pour la vanité, il devra procéder doucement et avancer par degrés.


 

1. Jésus-Christ ayant fait ce miracle, sort de ce lieu aussitôt, de peur que sa présence n’irritât encore davantage l’envie. Il se retire donc pour adoucir l’aigreur de ses ennemis, et il nous montre en cela l’exemple que nous devons imiter. Il nous apprend à ne point irriter encore davantage nos envieux en les bravant mais à tâcher de guérir leurs plaies, et de le apaiser par notre douceur.

Mais d’où vient que Jésus-Christ n’a point appelé l’apôtre dont nous venons de lire la vocation, avec saint. Pierre, saint Jean et le autres? Il avait choisi pour appeler ceux-ci le temps où il savait que ces hommes répondraient à leur vocation. De même il appela saint Matthieu lorsqu’il eut la certitude que ce publicain se rendrait à sa parole. C’est ainsi encore qu’il pêcha saint Paul, après sa résurrection. Car celui qui sonde les cœurs et qui voit à nu les pensées des hommes, n’ignorait pas le moment le plus propre pour se faire suivre de chacun de ses apôtres. Il n’appela point d’abord saint Matthieu, parce que son coeur était encore trop endurci ; mais après tant de miracles, et cette grande réputation qu’il s’était acquise, il l’appela enfin, parce qu’il savait qu’il ne lui résisterait pas.

Mais nous devons admirer ici la grande humilité de cet évangéliste, qui ne dissimule point sa vie passée, et qui marque expressément son nom de « Matthieu,» lorsque tous les autres le cachent et l’appellent Lévi.

Pourquoi marque-t-il qu’il était « assis au bureau des impôts? » C’est pour faire voir la force toute-puissante de Celui qui l’appela, et qui le choisit pour son disciple, avant qu’il eût renoncé à une profession si déshonorante, avant qu’il eût cessé ses coupables exactions (243) et lorsqu’il y était actuellement occupé. C’est ainsi qu’il appela ensuite le bienheureux apôtre saint Paul, lorsqu’il était plein de rage et de furie contre les disciples. Ce saint apôtre exprime lui-même quelle était la toute-puissance de Celui qui l’appelait, lorsqu’il dit aux Galates : « Vous savez, mes frères, de quelle manière j’ai vécu autrefois dans le judaïsme, avec quelle fureur je persécutais l’Eglise de Dieu.» (Gal. I, 13.)

Il appela encore les pêcheurs, lorsqu’ils étaient à leurs filets. Mais cette occupation, qui était celle de bons paysans, d’hommes rustiques et simples, n’avait cependant rien d’infamant: au lieu que le métier de publicain était rempli d’injustice, de cruauté et d’infamie, et passait pour un trafic honteux, pour un gain illicite, et pour un vol qui s’exerçait sous le couvert des lois. Cependant Jésus-Christ ne rougit point d’avoir pour disciples des hommes de cette sorte.

Mais devons-nous nous étonner que le Sauveur n’ait point rougi d’appeler un publicain, lui qui n’a pas rougi d’appeler à lui une femme impudique, qui lui a permis de baiser ses pieds, et de les arroser de ses larmes? C’est pour cela qu’il était venu. Ce n’est pas tant le corps qu’il a voulu affranchir de ses maladies que l’âme qu’il a désiré guérir de sa malice. Il le fit bien voir à propos du paralytique. Avant d’appeler à lui un publicain, et de l’admettre au nombre de ses disciples, ce qui aurait pu scandaliser, il prit la précaution de faire voir qu’il lui appartenait de remettre les péchés.

Car qui peut trouver étrange que Celui qui est assez puissant., pour guérir les péchés des hommes, appelle un pécheur et en fasse un apôtre?

Mais après avoir vu la puissance du Maître qui appelle, admirez la soumission du disciple qui obéit. Il ne résiste point; il ne témoigne point de défiance en disant en lui-même : Que veut dire cet homme? N’est-il pas visible qu’il me trompe en m’appelant à lui, moi qui suis un publicain et un pécheur? Il ne s’arrête point à des pensées que lui auraient pu inspirer une humilité fausse et indiscrète; mais il suit Jésus-Christ avec tant de promptitude, qu’il ne prend pas même le temps d’en aller demander avis à ses proches.

Le publicain obéit avec la même docilité que les pêcheurs. Ils avaient à l’instant quitté leurs filets, leur barque et leur père, celui-ci renonce de même à cette banque et au gain qu’il en retirait. Il témoigne combien il était disposé et préparé à tout. Il rompt tout d’un coup tous les liens et tous les engagements du siècle; et cette prompte obéissance rend témoignage à la sagesse et à la grâce pleine d’à-propos de Celui qui l’appelait.

Mais pourquoi , me direz-vous , Dieu a-t-il voulu faire marquer dans l’Evangile la manière dont quelques apôtres, comme Pierre, Jacques, Jean et Philippe ont été appelés et qu’il n’a rien fait dire touchant la vocation des autres? — Il a fait une mention expresse et particulière de ceux-ci, parce qu’ils étaient dans les occupations ou les plus viles, ou les plus opposées à la vocation de Jésus-Christ. Rien en effet de pire que la profession de publicain, ni de plus bas que celle de pêcheur. On peut juger aussi que Philippe était fort pauvre par le pays d’où il sortait. En parlant plus spécialement de ces apôtres et de leurs occupations qui sont si humbles, les évangélistes montrent combien on doit ajouter foi à leurs récits lorsqu’ils contiennent des choses merveilleuses. En effet, puisqu’ils craignent si peu de raconter des choses qui semblent faites pour rabaisser dans l’opinion des hommes soit les disciples; soit le Maître lui-même, qu’ils paraissent s’y attacher de préférence et les mettre en relief avec un soin particulier; comment pourrait-on raisonnablement suspecter leur véracité lorsqu’ils rapportent des actions éclatantes et sublimes? et cela surtout lorsque l’on voit qu’ils ne touchent que comme en passant une multitude infinie des miracles de Jésus-Christ, et qu’ils publient au contraire très-haut et très en détail les apparentes ignominies de la croix; qu’ils parlent sans rien déguiser de la profession des disciples quoique si humble et si vile aux yeux du monde; et qu’en retraçant la généalogie de leur Maître, ils nomment à haute voix ses ancêtres les plus décriés par leurs péchés comme les moins élevés par leur condition. Tout cela nous fait assez voir quel zèle ils avaient de dire la vérité eu toutes choses et qu’ils n’écrivaient rien ni par vanité ni par flatterie.

2. « Et Jésus étant assis à table dans la maison de cet homme, il y vint aussi beaucoup de publicains et de gens de mauvaise vie qui étaient assis avec Jésus et ses disciples (10). » Jésus-Christ ayant appelé saint Matthieu, l’honora aussitôt d’une visite, et il ne (244) dédaigna pas de manger à sa table. Il voulait par cette conduite si obligeante lui faire concevoir de grandes espérances pour l’avenir lui donner plus de confiance. Car Jésus n’attendit pas longtemps pour refermer les plaies de l’âme de son nouveau disciple, il le guérit en un moment de tous ses péchés.

Il veut bien même manger non avec lui seul, mais avec beaucoup d’autres de la même profession , quoique ce fût un crime aux yeux des Juifs que cette condescendance qu’il montrait pour les pécheurs en les laissant approcher de sa personne. Les évangélistes n’oublient pas encore de marquer cette circonstance et de rapporter combien ces envieux condamnèrent cette action. Il était tout simple que les publicains vinssent s’asseoir à la table d’un homme de la même profession qu’eux. Saint Matthieu, ravi de joie de l’honneur que lui faisait Jésus-Christ, convia tous ses amis. La bonté du Sauveur tentait toutes sortes de voies pour sauver les hommes: les uns en leur parlant, les autres en guérissant leurs maladies, les autres en les reprenant, et les autres en mangeant avec eux. Il voulait nous apprendre qu’il n’y avait point ou de temps, ou de condition où nous ne puissions nous convertir.

Quoique tout ce qu’on lui servait à table vînt de rapine, d’injustice et d’avarice, il rie refusa pas néanmoins d’en manger, parce qu’il voyait l’avantage qu’il en devait retirer, et il ne craint pas de se trouver avec de si grands pécheurs dans la même maison et à la même table. C’est ainsi qu’un médecin se doit conduire. S’il ne souffre la pourriture et la puanteur de ses malades, il ne les délivrera point de leurs maux. Ainsi Jésus-Christ n’appréhende point le mal qu’on peut dire ou penser de lui, de ce qu’il mange avec un publicain dans la maison d’un publicain, et avec d’autres publicains. Vous savez aussi combien les Juifs lui en ont fait de reproches: «Voilà, »disent-ils, « un homme de bonne chère et qui aime à boire : c’est un ami des publicains et des gens de mauvaise vie. » (Matt. XI,13.)

Que ces hypocrites qui désirent tant de se faire estimer par leurs jeûnes écoutent ces paroles. Qu’ils considèrent que Jésus-Christ n’a pas rougi de passer pour un homme qui aimait le vin et la bonne chère, et qu’il a méprisé tous ces propos pour arriver à la fin qu’il se proposait, la conversion des âmes. Et nous voyons comment il convertit en effet saint Matthieu, et comment d’un pécheur il fit un apôtre.

Pour mieux juger de l’avantage que saint Matthieu reçut de cette condescendance du Fils de Dieu, il ne faut que considérer ce que dit Zachée, un autre publicain. Aussitôt que Jésus-Christ lui dit: « Zachée, il faut que je loge chez vous (Luc, XIX, 5),» il fut transporté de joie; et, dans cette ferveur, il dit à Jésus-Christ : «Je suis résolu, Seigneur, de donner moitié de mon bien aux pauvres; et si j’ai trompé quelqu’un je lui rendrai quatre fois autant, » ce qui porta Jésus-Christ à lui répondre : « Aujourd’hui le salut a été donné à cette maison. » Tant ce que nous venons de dire est véritable, qu’il n’y a point d’état où l’on, ne puisse se convertir! Mais pourquoi donc, me direz-vous, saint Paul ordonne-t-il « de n’avoir point de commerce et de ne point manger avec celui de nos frères qui est fornicateur; ou avare, ou idolâtre, ou médisant, ou ivrogne, ou ravisseur du bien d’autrui ? » (I Cor, V,11.) D’abord on ne voit pas très-bien si c’est aux pasteurs qu’il parle en cet endroit, ou seulement aux fidèles.

Ensuite ces publicains n’étaient pas encore du nombre des vrais fidèles, ils n’étaient pas encore frères. De plus saint Paul ne commande d’éviter nos frères que lorsqu’ils demeurent toujours dans le mal. Ces publicains au contraire étaient déjà convertis dans le coeur et avaient renoncé à leur vie passée. Mais comme rien ne pouvait ni servir aux pharisiens, ni les toucher, ils s’adressent ici aux disciples de Jésus-Christ et leur disent : «. Pourquoi notre Maître mange-t-il avec des publicains et des gens de mauvaise vie (11)? » On voit ailleurs que lorsqu’ils croyaient avoir surpris les apôtres en quelque faute, ils viennent dire à Jésus-Christ: « Pourquoi vos disciples font-ils ce qu’il ne leur est pas permis de faire le jour du sabbat? » au contraire ils blâment le Maître devant ses disciples. Ils montrent partout leur malice et ils s’efforcent de séparer les disciples d’avec leur Maître. Mais que leur répond cette sagesse infinie? « Jésus les ayant entendus, leur dit : Ce ne sont pas les sains, mais les malades qui ont besoin de médecin (12). » Qui n’admirera comment il retourne leurs paroles, et s’en sert contre eux-mêmes? Ils lui font un crime d’aller avec cette sorte de gens, (245) et il leur montre au contraire qu’il serait indigne de lui et de sa parfaite charité, d’avoir de la répugnance à converser avec les pécheurs et qu’essayer de les convertir est une chose non-seulement irrépréhensible, mais de première importance, nécessaire et digne de toutes les louanges.

Ensuite, pour que cette parole: « ceux qui « sont malades, » par laquelle il désignait ceux qui étaient assis à table avec lui, ne leur causât trop de honte, il la corrige et l’adoucit en y joignant une réprimande à l’adresse de ses censeurs : « C’est pourquoi, » dit-il, « allez et apprenez ce que veut dire cette parole : « J’aime mieux la miséricorde que le sacrifice. » (Osée, 6.) Il leur cite ce passage du Prophète, pour leur faire voir dans quelle ignorance ils étaient des paroles de l’Ecriture. Il anime même ici son discours un peu plus qu’à l’ordinaire, non par émotion ou par colère, Dieu nous garde de cette pensée! mais pour tâcher de les émouvoir et de les instruire. Quoiqu’il eût pu leur dire: N’avez-vous pas vu de quelle manière j’ai guéri le paralytique, et comment j’ai affermi tout son corps? il ne leur dit rien de semblable. Il leur répond d’abord par un raisonnement tout ordinaire et il s’appuie ensuite sur l’autorité de l’Ecriture. Après avoir dit que le médecin n’était pas pour les sains, mais pour ceux qui se portaient mal, et insinué, par ces paroles, qu’il était l’unique et le véritable Médecin, il ajoute ensuite : « C’est pourquoi allez et apprenez ce que veut dire cette parole : J’aime mieux la miséricorde que le sacrifice.

Saint Paul agit de même : car après avoir débuté en disant : « Qui est celui qui paît un troupeau, et qui ne mange point du lait du troupeau? (I Cor. IX, 7), » il rapporte ensuite le témoignage de l’Ecriture et dit : Il est écrit dans la loi de Moïse: Vous ne tiendrez point la bouche liée au boeuf qui foule le grain » (Ibid. 9.) Et un peu après: « Le Seigneur a ordonné à ceux qui annoncent l’Evangile de vivre de 1’Evangile. » (Ibid. 14.)

3. Jésus-Christ traitait ses disciples d’une autre manière, et il leur rappelait à la mémoire les miracles qu’ils lui avaient vu faire, en leur disant: « Avez-vous oublié qu’avec cinq pains j’ai nourri cinq mille hommes, et combien de corbeilles vous remplîtes de ce qui restait?» (Marc, 8.) Mais il n’agit pas ici avec les Juifs de la même manière. Il se contente de les faire souvenir de la faiblesse commune ,de tous les hommes, et de leur faire comprendre qu’étant hommes eux-mêmes, ils sont aussi du nombre des faibles, puisqu’ils n’avaient aucune connaissance des Ecritures, ni aucun amour pour la vertu; mais qu’ils réduisaient toute la piété à leurs oblations et leurs sacrifices. C’est cet abus que Jésus-Christ condamne hautement, en rapportant en peu de paroles ce que tous les Prophètes ont dit: « Apprenez ce que veut dire cette parole : « j’aime mieux la miséricorde que le sacrifice. » Il leur fait voir que ce sont eux qui violent la loi, et non pas lui. Il semble qu’il leur dise : pourquoi m’accusez-vous de ce que je fais rentrer les pécheurs dans la justice? Si je suis coupable en cela, vous devez donc accuser aussi mon Père. Il se sert ici du même raisonnement dont il se servit ailleurs, lorsqu’il disait : « Mon Père, depuis le commencement du monde jusqu’aujourd’hui, ne cesse point d’agir; et moi j’agis aussi avec lui. » (Jean, V, 47.) Il fait ici la même chose, en disant : «Allez et apprenez ce que veut dire cette parole : j’aime mieux la miséricorde que le sacrifice.» Comme mon Père aime mieux l’un que l’autre, je l’aime mieux aussi moi-même.

Il déclare donc que leur sacrifice était superflu, et que la miséricorde est entièrement nécessaire. Car il ne dit pas : je veux la miséricorde et le sacrifice; mais « je veux la miséricorde et non pas le sacrifice. » Il approuve l’un et rejette l’autre. Il montre que ce qu’ils blâmaient, non seulement était permis, mais même commandé, et bien plus formellement que le sacrifice; ce qu’il confirme par un passage bien clair de l’Ancien Testament. Après donc les avoir convaincus et par des raisons communes, et par l’autorité de l’Ecriture, il ajoute : « Car je ne suis pas venu appeler les justes à la pénitence, mais les pécheurs (13).» Lorsqu’il les appelle « justes » c’est par ironie, et comme il dit autrefois d’Adam : « Voilà qu’Adam est devenu comme l’un de nous.» .(Gen. III, 22.) Et ailleurs: « Si j’ai faim je ne vous le dirai pas. » (Ps. XLIX, 13) Saint Paul dit clairement que Dieu n’a trouvé personne qui fût juste sur la terre: « Tous ont péché, » dit-il, « et ont besoin de la gloire de Dieu. » (Rom. III, 23.) Jésus-Christ parlait donc de la sorte pour la consolation de ceux qui étaient à ce festin avec lui. (246)

Je suis si éloigné, dit-il, d’avoir de l’aversion pour les pécheurs, que c’est pour eux seuls que je suis venu. Mais afin de ne les point rendre lâches et paresseux par des paroles pleines d’une si grande confiance, après avoir dit: « qu’il était venu appeler les pécheurs, » il ajoute aussitôt, « à la pénitence. » Car je ne suis pas venu, dit-il, afin que les pécheurs demeurent dans leurs péchés; mais afin qu’ils en sortent et deviennent justes.

Enfin les Juifs confondus de toutes manières et ne pouvant répondre ni aux raisons de Jésus-Christ, ni aux passages de l’Ecriture, voyant qu’ils n’avaient plus rien à dire, qu’ils étaient coupables eux seuls des péchés dont ils accusaient Jésus-Christ, qu’ils étaient opposés à la loi même ancienne, les Juifs quittent la personne de Jésus-Christ et tournent leurs accusations contre ses disciples. Saint Luc attribue les paroles qui suivent aux pharisiens, et saint Matthieu aux disciples de saint Jean. Mais il est vraisemblable qu’ils s’étaient joints ensemble, parce que les pharisiens se voyant trop faibles, eurent recours aux disciples de saint Jean, comme ils eurent recours ensuite aux Hérodiens. Car les disciples de saint Jean avaient une jalousie continuelle contre Jésus-Christ. Ils témoignaient partout combien ils lui étaient opposés, et ils ne purent être humiliés que lorsque leur maître fut en prison. Ils parurent un peu plus doux alors, et ils vinrent trouver Jésus-Christ pour lui en donner avis, Mais on voit que dans la suite ils retournèrent à leur première jalousie. Que disent-ils donc ici à Jésus-Christ?

« Pourquoi les pharisiens et nous jeûnons-nous souvent, et que vos disciples ne jeûnent point (14)?» C’était là proprement la maladie mortelle que Jésus-Christ tâchait de guérir lorsqu’il disait: «Quand vous jeûnerez, parfumez-vous la tête, et lavez-vous le visage (Matth. V,20), » prévoyant combien de maux devaient naître de cette source. Cependant Jésus-Christ ne leur fait point de reproche. Il ne les appelle point vains et frivoles; mais demeurant dans sa douceur ordinaire, il leur répond paisiblement: « Ceux qui accompagnent l’époux peuvent-ils jeûner pendant que l’époux est avec eux (15) ? » Quand Jésus-Christ parlait pour des personnes qui ne lui appartenaient pas, comme pour les publicains , il ne craignait pas, pour mieux consoler et adoucir leur âme blessée, de s’élever avec vigueur contre ceux qui les outrageaient; mais quand c’est à lui ou à ses disciples que les Juifs s’en prennent, il leur répond avec la plus grande douceur du monde. Le reproche qu’ils faisaient à Jésus-Christ revient à ceci : Soit, vous êtes médecin, et en cette qualité vous êtes obligé d’user de cette condescendance envers vos malades; mais quel prétexte peuvent avoir vos disciples de mépriser le jeûne pour se trouver à ces festins? Et pour donner encore plus de poids à leur accusation, ils se nomment les premiers et les pharisiens ensuite, afin que ces comparaisons rendissent la conduite des apôtres encore plus odieuse. « Nous autres, »disent-ils, « et les pharisiens jeûnons beaucoup. » Ils jeûnaient tous, en effet, les uns, parce qu’ils l’avaient appris de saint Jean, et les autres de la loi. C’est ce qu’on voit par ce pharisien qui disait: « Je jeûne deux fois la semaine. » (Luc, XV, 12.)

Que répond donc Jésus à cette accusation? Ceux qui accompagnent l’époux peuvent-ils «jeûner pendant que l’époux est avec eux? » Il vient de faire voir qu’il était le médecin des âmes, et il montre maintenant qu’il en est l’époux, découvrant des mystères ineffables dans ces différents noms qu’il se donne. Il pouvait répondre à ces calomniateurs d’une manière qui les confondît davantage. Il pouvait leur dire : Vous n’avez pas autorité pour établir par vous-même cette loi de jeûne et l’imposer aux hommes. Quelle utilité prétendez-vous tirer de vos jeûnes, lorsque votre âme est remplie de corruption et de malice? lorsque vous accusez les autres, lorsque vous les condamnez pour une paille que vous voyez dans leur oeil, sans vous apercevoir qu’il y a des poutres dans le vôtre, enfin lorsque vous faites tout par ostentation et par vanité? Il faudrait commencer par renoncer à ce vain désir de gloire, travailler à acquérir les véritables vertus, et à vous établir dans la charité, dans la douceur et dans l’amour de vos frères. Il ne leur dit rien de semblable. Il leur répond seulement avec une humble modestie:

« Ceux qui accompagnent l’époux ne peuvent pas jeûner pendant que l’époux est avec eux, » les faisant souvenir de ces paroles de saint Jean: « L’époux est celui à qui est l’épouse; mais l’ami de l’époux qui se tient debout et l’écoute, est ravi de joie parce qu’il entend la voix de l’époux. » (Jean, III, 29.) Comme s’il leur disait : Ce temps est pour (247) mes disciples un temps de joie, durant lequel il ne leur faut parler de rien qui soit triste; non que le jeûne le soit de soi-même, mais il l’est pour ceux qui sont encore faibles. Car lorsqu’un homme veut résolument s’avancer dans la vertu, le jeûne lui est doux et agréable, bien loin d’avoir quelque chose de pénible. Comme le corps est dans la joie, lorsqu’il est parfaitement sain; l’âme de même en ressent beaucoup plus, lorsqu’elle est saine et pure au dedans. Mais. Jésus-Christ parle ici selon la pensée des Juifs. C’est ainsi qu’Isaïe parlant du jeûne l’appelle aussi «l’abaissement et l’humiliation de l’esprit. » (Isaïe, XXXV.) Et Moïse en parle de la même manière.

4. Non content de les avoir réfutés par ce qu’il vient de dire, Jésus-Christ ajoute encore: « Mais il viendra un temps que l’époux leur «sera ôté, et alors ils jeûneront (15). » Il leur fait voir par ces paroles que ce n’était point par intempérance que ses disciples ne jeûnaient point, mais par un ordre admirable de sa sagesse. Il mêle aussi en répondant aux Juifs quelques paroles qui font allusion à sa passion et à sa croix, afin que ses disciples s’accoutument insensiblement à entendre ces choses fâcheuses du moins en apparence, et qu’ils se préparent aux. afflictions. Ils étaient encore trop faibles pour porter les discours clairs que Jésus-Christ leur aurait directement adressés sur ce sujet, puisqu’on voit dans la suite qu’ils en furent troublés quand ils les entendirent; mais dites à d’autres en leur présence, ces choses leur causaient une moins pénible impression. Ensuite comme vraisemblablement les disciples de Jean tiraient vanité de la passion de leur maître, Jésus-Christ rabat leur orgueil en laissant entrevoir sa propre passion dans l’avenir. Il n’avance encore rien touchant sa résurrection; il n’était pas encore temps. C’était une chose naturelle que celui qu’ils regardaient comme un pur homme, mourût, mais il était au-dessus de la nature qu’étant mort il ressuscitât.

Après s’être justifié de la sorte contre l’accusation des Juifs, il fait encore ici ce qu’il vient de faire auparavant. Car comme lorsque ses envieux tâchaient de le couvrir de confusion parce qu’il mangeait avec des pécheurs, il leur fit voir que bien loin d’être coupable, cette conduite était au contraire sage et méritoire; de même ici, lorsqu’ils veulent le convaincre de ne pas savoir diriger ses disciples, il leur prouve au contraire qu’ils n’entendaient rien eux-mêmes à gouverner les autres, et que ce n’était que la passion qu’ils avaient de l’accuser qui les faisait parler de la sorte.

« Personne ne met une pièce de drap neuf à un vieux vêtement, parce que le neuf emporte encore une partie du vieux, et qu’ainsi « la rupture en devient plus grande (16). » Il leur rapporte encore une comparaison familière pour leur prouver mieux ce qu’il leur dit. Voici le sens de ces paroles: Mes disciples ne sont pas encore très-forts. Ils ont besoin qu’on ait pour eux beaucoup de condescendance. Le Saint-Esprit ne les a pas encore renouvelés. Il ne faut pas. accabler leur faiblesse par trop de préceptes. Jésus-Christ traçait ici une règle importante à ses apôtres, afin que lorsqu’ils auraient eux-mêmes ensuite des disciples qui viendraient à eux de tous les endroits de la terre, ils les traitassent avec une douceur et une patience qui eût du rapport avec celle que Jésus-Christ leur témoignait à eux-mêmes. «Et l’on ne met point non plus de vin nouveau dans de vieux vaisseaux ; parce que si on le fait, les vaisseaux se rompent, le vin se répand, et les vaisseaux sont perdus; mais on met le vin nouveau dans des vaisseaux neufs, et ainsi le vin et les vaisseaux se conservent (17). » Jésus-Christ se sert ici d’exemples semblables à ceux dont se sont servis les prophètes. Car Jérémie. compare le peuple à une ceinture comme Jésus-Christ compare ici ses disciples à un vêtement; et ce même prophète parle de vin et de vaisseaux comme Jésus-Christ fait ici. (Jérém. XIII.) Il choisit à dessein ces comparaisons parce qu’il s’agissait d’intempérance et d’excès de bouche. Saint Luc dit quelque chose de plus, savoir, que « le neuf déchire le vieux « auquel on le coud. » (Luc, V.) Vous voyez donc que bien loin d’en recevoir quelque utilité on n’en retira qu’un plus grand mal. Ainsi par une même parole il leur apprend leur état présent et leur prédit leur état futur; c’est-à-dire qu’ils seraient entièrement renouvelés. Mais avant ce temps il ne leur veut rien commander de trop fort et de trop austère.

Celui qui veut imposer aux hommes des lois pénibles, avant qu’ils soient capables de les porter, ne les trouvera plus disposés à les recevoir lorsque le temps sera venu, parce, qu’il les en aura rendus incapables par sa précipitation. Ce malheur ne vient plus ni des vaisseaux, ni (248) du vin, mais de l’imprudence et de l’indiscrétion de ceux qui le versent.

Jésus-Christ nous apprend ici la raison pour laquelle il s’abaisse si souvent dans ses discours; c’est que son langage s’accommodait à la faiblesse de ceux qui l’écoutaient, plus qu’il n’était en rapport avec sa propre grandeur. Il s’en explique lui-même très-clairement lorsqu’il dit à ses apôtres : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne les pouvez porter maintenant. » Il ne veut pas qu’ils croient qu’il n’avait plus rien à leur dire, mais que ce n’était que leur faiblesse qui l’empêchait de leur déclarer des vérités plus importantes, qu’il promet de leur découvrir, lorsqu’ils seraient devenus plus forts. Il fait la même chose ici : « Le temps viendra, dit-il, que l’époux leur sera ôté, et alors ils jeûneront. »(Jean, XVI,12.)

Imitons cette conduite, mes frères. N’exigeons pas tout, dès le principe, de toutes sortes de personnes. Contentons-nous dans les commencements de ce que chacun peut faire, et notre modération les rendra capables de tout. Si vous avez un grand zèle de voir les âmes s’avancer bien vite, c’est ce zèle même qui doit vous porter à ne les presser pas trop, afin que vous les voyiez bientôt dans l’état que vous souhaitez. Si ceci vous paraît être une énigme, jetez les yeux sur toute la nature, et vous reconnaîtrez cette vérité. Ne vous laissez point ébranler par les reproches de ceux qui vous accuseront injustement.

Quoiqu’ici les accusateurs soient des pharisiens, et les accusés des disciples, cependant Jésus-Christ ne modifie en rien sa conduite ; il ne dit point : C’est une chose honteuse que ceux-là jeûnent et que mes disciples ne jeûnent pas. Il fait comme un sage pilote qui ne s’arrête pas à considérer la violence des flots agités, mais qui ne pense qu’à conduire son vaisseau, et à suivre toutes les règles de son art. C’est ainsi que Jésus-Christ fait. Il voyait que c’était une chose honteuse, non que ses disciples ne jeûnassent pas, mais qu’ils reçussent une plaie mortelle du jeûne, et qu’ils en devinssent comme un vêtement qui se déchire, ou comme un vaisseau qui se rompt.

5. Apprenons donc par là, mes frères, les règles de la conduite que nous devons garder envers toutes les personnes de notre maison. Vous avez, je suppose, une femme qui aime le luxe, qui ne respire qu’après les parures de toutes sortes, telles que les couleurs appliquées sur le visage et autres de ce genre, qui se plonge dans les délices et, les voluptés, qui ne sait pas retenir sa .langue, qui est légère, sans esprit, sans jugement. Je sais qu’il est difficile qu’une seule femme réunisse tant de défauts; mais enfin supposons-en une dont ce soit là le portrait fidèle. Mais pourquoi, direz-vous, supposer une femme plutôt, qu’un homme?

Je n’ignore pas qu’il y a des hommes encore pires que cette femme telle que nous l’avons représentée. Mais puisque la supériorité a été départie à l’homme, c’est l’ordre même établi parDieu qui fait que je parle ici de la lemme, et ce n’est nullement que je croie de ce côté la malice plus grande. On voit même chez les hommes des crimes qui ne se commettent guère parmi les femmes, comme les meurtres, la violation des sépulcres et mille autres choses semblables. Ne croyez donc point que je vous propose ici les femmes par un mépris de ce sexe. Je vous déclare que je suis très-éloigné de cette pensée, et que je ne le fais que parce que je trouve cet exemple bien plus propre à mon sujet.

Supposons donc qu’une femme ait tous les défauts dont j’ai parlé, et que son mari fasse tous ses efforts pour la corriger. Quelle conduite doit-il garder dans ce dessein? Il faut que d’abord il ne lui ordonne pas trop de choses à la fois; qu’il commence par les plus aisées, et par celles où elle a le moins d’attache. Car si vous la voulez obliger à faire tout d’un coup tout ce que vous désirez d’elle, elle ne fera rien du tout. Ne commencez donc pas par vouloir la forcer à faire le sacrifice de ses parures d’or. Permettez-lui de s’en servir encore, puisqu’il y a moins de mal en cela qu’à se farder le visage par des couleurs empruntées.

Tâchez de retrancher cela d’abord, non point en usant de menaces ou de sévères réprimandes,.mais par des raisons douces et persuasives, en blâmant devant elle les autres personnes qui s’en servent, ou en témoignant dire simplement votre pensée et vos sentiments sur ce sujet. Qu’elle sache et qu’elle soit bien persuadée que ces visages fardés ne vous plaisent pas, et que vous n’avez que de l’aversion pour cette beauté peinte et contrefaite. Ne vous contentez pas de lui dire votre sentiment personnel; représentez-lui aussi la (249) pensée de ceux qui sont là-dessus d’accord avec vous. Dites-lui que ces poudres et que ces peintures gâtent le teint naturel, afin de la guérir de cette passion par l’amour même qu’elle a pour sa personne.

Ne lui parlez point encore de l’enfer ni du ciel, car ce serait un langage qu’elle n’entendrait pas. Dites-lui que vous prenez plus de plaisir à voir son visage tel que Dieu l’a fait, et qu’il n’y a point d’homme sage qui ne condamne et même qui ne trouve laides celles qui se déguisent ainsi le visage par des poudres et par des couleurs empruntées, pour forcer en quelque sorte la nature, et pour se donner ce qu’elles n’ont pas. Servez-vous de ces raisons communes et sensibles pour la guérir de cette maladie. Et après que vous lui aurez adouci l’esprit, et que vous la verrez plus susceptible des raisons spirituelles, vous pourrez aussi lui parler du péril où elle s’expose de se perdre pour jamais. Ne vous lassez point de lui redire ces choses. Si vous ne gagnez rien la première, la seconde ou la troisième fois, ne perdez pas courage. Continuez à lui faire les mêmes représentations sans aigreur, sans chaleur et sans aversion, mais avec amour et avec douceur, tantôt en lui parlant obligeamment, tantôt en lui témoignant quelque froideur, pourvu que ce soit pour revenir bientôt aux caresses et aux moyens agréables. Ne voyez-vous pas combien les peintres effacent de fois ce qu’ils ont fait, combien ils rappliquent de fois leurs couleurs pour former un beau visage ? Ne leur cédez pas en ce point. S’ils prennent tant de peine pour représenter une figure morte sur du bois ou sur de la toile, que ne devez-vous point faire pour retracer dans une âme l’image de Dieu ? Lorsqu’elle aura acquis cette beauté intérieure et spirituelle, vous ne la verrez plus farder et déshonorer son visage; elle ne rougira plus ses lèvres; elle n’ensanglantera plus sa bouche, comme un ours qui revient du carnage; elle ne noircira plus ses sourcils, et elle ne blanchira plus ses joues, se souvenant « de ces sépulcres blanchis » dont il est parlé dans l’Evangile. Car tous ces fards qui ne sont que du plâtre et de la poudre, nous représentent fort bien tout ce que nous ne voyons qu’avec horreur au fond des tombeaux.

6. Mais je ne sais comment je me suis laissé emporter insensiblement, et je m’aperçois que tout en vous portant à être doux, je ne le suis pas moi-même, et que je vous parle de la modération avec chaleur. Je reviens donc à ce que je vous disais, savoir, qu’on doit supporter d’abord les femmes dans leurs défauts pour les gagner peu à peu, et pour les faire entrer dans la disposition que l’on désire. Ne voyez-vous pas tous les jours avec quelle douceur les mères traitent leurs enfants lorsqu’elles les veulent sevrer? Ces enfants crient et pleurent sans cesse. Cependant elles font tout et elles souffrent tout pour gagner cette seule chose, qu’ils ne retournent plus à la mamelle. Imitez la douceur de cette conduite. Souffrez tout d’une femme, pourvu que vous obteniez d’elle qu’elle ne se serve plus de fard. Quand vous l’aurez gagnée sur ce point, vous passerez à un autre. Vous commencerez à lui parler doucement contre ces parures d’or qu’elle porte. En formant ainsi peu à peu votre femme dans la vertu, vous deviendrez devant Dieu un excellent peintre, un serviteur fidèle, et comme un jardinier habile qui a soin du champ qui lui a été confié.

Représentez-lui ces femmes illustres de l’Ancien Testament, Sara, Rébecca et les autres dont les unes, selon l’Ecriture, ont été très belles, et les autres ne l’étaient pas, mais qui ont toutes été également sages. Quoique Lia, l’une des femmes du patriarche Jacob, ne fût pas fort belle ni fort aimée de son mari, elle n’eut jamais recours au fard, ni à de semblables artifices, et sans jamais emprunter ces couleurs étrangères, elle voulut demeurer telle qu’elle était, sans altérer en rien l’ouvrage de Dieu et de la nature. Et cependant elle avait été élevée parmi des infidèles et des idolâtres. Mais vous qui avez été nourrie dans la foi et la connaissance du vrai Dieu, vous qui avez Jésus-Christ pour chef, oserez-vous bien chercher une beauté artificielle dans ces déguisements que le diable a inventés ? Ne vous souvenez-vous plus de cette eau divine du baptême, qui a lavé et consacré votre tête et votre visage; de cette chair du Sauveur qui a tant de fois sanctifié vos lèvres, et de ce sang adorable qui a rougi votre langue? Si vous n’aviez point oublié toutes ces grâces, il vous serait impossible de devenir ainsi idolâtre de votre visage, et toutes ces peintures de blanc et de rouge vous seraient insupportables. Considérez que Jésus-Christ est votre époux, que c’est pour lui que vous devez vous parer, et vous fuirez avec horreur ces embellissement (250) si honteux. Car Jésus-Christ n’aime point ces agréments faux et contrefaits. Il veut que ses épouses soient belles, mais d’une beauté véritable, je veux dire de la beauté spirituelle. C’est cette beauté que le Prophète vous avertit de conserver avec soin, lorsqu’il vous dit « Et le roi aimera votre beauté.» (Ps. XLIV,9.) Ne cherchons donc plus ces beautés étudiées aussi difformes qu’elles sont vaines. Les ouvrages de Dieu sont achevés. Il y a mis tout ce qui y doit être, et il n’a pas besoin de vous pour les réformer. Après qu’un excellent peintre a achevé le portrait de l’empereur, nul n’oserait y ajouter des couleurs étrangères, et cette audace ne serait pas impunie. Vous avez donc du respect pour l’ouvrage d’un homme, et vous osez altérer et corrompre l’ouvrage de Dieu? Vous ne vous souvenez plus qu’il y a un enfer? Vous ne tremblez point au souvenir de ses flammes? Vous oubliez même votre âme, et vous la traitez indignement sans en avoir aucun soin, parce que vous donnez tontes vos pensées et toutes vos affections à votre corps!

Mais j’ai tort de vous parler de votre âme, puisque vous ne traitez-pas mieux votre corps et qu’il lui arrive tout le contraire de ce que vous prétendez. Vous voulez paraître belle par ce fard, et il ne sert qu’à vous rendre laide. Vous voulez plaire à votre mari, et rien ne lui déplaît davantage; et non-seulement à lui, ruais à tout le monde. Vous voulez passer pour jeune, et vous en devenez plus vieille. Enfin vous voulez qu’on admire votre beauté, et tout le monde se moque de vous. Vous ne sauriez voir sans quelque honte, ni vos amies, et les personnes qui sont vos égales, ni même vos servantes et vos domestiques; et votre miroir même vous fait rougir.

Mais je ne veux point m’arrêter à ces raisons. Il y en a d’autres bien plus fortes et bien plus considérables. Car vous péchez contre Dieu ; vous perdez la pudeur qui est la gloire de votre sexe; vous allumez des flammes criminelles dans le coeur des hommes, et vous vous rendez semblable à ces victimes infâmes de l’impudicité publique. Pensez donc avec attention à tous ces avis que je vous donne, Méprisez à l’avenir ces ornements diaboliques. Renoncez à ces faux embellissements, ou plutôt à ces véritables laideurs, pour ne vous occuper plus que de cette beauté intérieure et invisible de l’âme, que les anges désirent; que Dieu aime, et qui sera précieuse et vénérable à ceux à qui vous êtes unie d’un lien sacré; afin qu’ayant passé cette vie dans une honnêteté vraiment chrétienne, vous passiez en l’autre dans la gloire qui vous est promise, dont je prie Dieu de nous faire jouir tous, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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