Matthieu 17, 21 - 18,7

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HOMÉLIE LVIII

« OR, COMME ILS ÉTAIENT EN GALILÉE, JÉSUS LEUR DIT : LE FILS DE L’HOMME DOIT ÊTRE LIVRÉ ENTRE LES MAINS DES HOMMES. ET ILS LE FERONT MOURIR, ET ILS RESSUSCITERA LE TROISIÈME JOUR : CE QUI LES AFFLIGEA EXTRÊMEMENT ». (CHAP. XVII, 21, 22, JUSQU’AU VERSET 7, DU CHAP. XVIII.)  

ANALYSE 

1. Qu’était-ce que le didrachme.

2. Pierre était du nombre des premiers-nés. — Il faut que l’humilité précède celui qui veut entrer dans le royaume des cieux.

3. Jésus-Christ dans ses instructions, emprunte souvent des exemples à la nature; les manichéens ont donc tort de condamner la nature comme mauvaise en elle-même.

4 et 5. Qu’il ne faut pas tirer vanité de sa naissance. — Combien ce qu’on appelle noblesse dans le monde se réduit à peu de choses. — A combien de maux sont sujets les riches. — Que la vraie liberté ne se trouve point dans les personnes du monde, mais dans celles qui sont en Dieu. — Combien les favoris des rois sont esclaves. — Que les biens du monde sont des maux; et que les maux des justes sont des biens.


 

1. Jésus-Christ, mes frères, entretient ses apôtres de sa croix et de sa passion pour les empêcher de s’ennuyer en Gaulée et de dire : Que faisons-nous si longtemps en ce pays ? Le Sauveur savait que ce discours leur ôterait jusqu’à la pensée de revoir Jérusalem. Mais admirez comment, après les reproches que Jésus-Christ fit à saint Pierre, après les entretiens de Moïse et d’E1ie, qui appelaient la passion de Jésus-Christ son triomphe et « sa gloire», après la voix que le Père fit entendre sur le Thabor, après tant de différents miracles, enfin après l’assurance de sa résurrection qui ne devait être différée que de trois jours, les disciples néanmoins ne peuvent souffrir que Jésus-Christ leur parle de sa passion, et « qu’ils s’affligent aussitôt » qu’il leur en parle. C’est sans doute parce qu’ils ne comprenaient pas toute la force des paroles de Jésus-Christ, comme le marquent saint Luc (chap. IX) et saint Marc (chap. IX), qui disent clairement « qu’ils ignoraient cette parole, qu’elle leur était cachée, et qu’ils craignaient de l’interroger ». Mais ne peut-on pas demander, puisqu’ils ignoraient cet paroles, comment ils pouvaient, s’en affliger. Il est visible qu’ils ne les pouvaient ignorer entièrement et qu’ils comprenaient assez par de si fréquentes redites que leur Maître devait mourir. Mais ils ne comprenaient pas qu’il dût ressusciter, ensuite, ni quand ni comment il le ferait. Ils ne prévoyaient point les grands biens que sa mort devait apporter au monde, ni la gloire infinie qui la devait suivre. C’était cette ignorance qui causait leur douleur, parce qu’ils étaient fort attachés à leur Maître.

« Mais lorsqu’ils furent venus à Capharnaüm, ceux qui recevaient le tribut des deux drachmes vinrent dire à Pierre: Votre Maître ne paye-t-il pas le tribut (23) » ? Quel était, mes frères, ce tribut des deux drachmes? Voici en un mot ce qui, y avait donné lieu. Quand Dieu frappa l’Egypte de la plaie épouvantable par laquelle il fit mourir, ses premiers-nés, il voulut, en souvenir de ce miracle, se réserver la tribu entière de Lévi, au lieu des premiers-nés de toutes les autres tribus. Mais comme dans la suite le nombre des premiers- nés de toutes les tribus surpassait celui des hommes de la tribu de Lévi, Dieu commanda que pour y suppléer le premier-né de chaque maison lui offrît deux drachmes. Ce qui se fit dans la suite et se pratiqua très-exactement. Comme donc Jésus-Christ était du nombre des premiers-nés et que Pierre paraissait le premier de tous les apôtres, les juifs s’adressent à celui-ci pour exiger ce tribut. Je soupçonne que chacun payait cet impôt dans (455) sa ville ; c’est pourquoi les Juifs saisissent l’occasion de ce que Jésus-Christ était à Capharnaüm, qui passait pour sa patrie, pour le lui demander. Ils n’osent pas s’adresser à Jésus-Christ même. Ils s’adressent seulement à saint Pierre, et même sans violence, mais avec douceur, Car ils ne parlent pas sur le ton de la récrimination; ils interrogent simplement: « Votre Maître », dirent-ils, « ne paye-t-il pas « le tribut? » Quoique ces gens n’eussent pas encore du Sauveur toute l’estime qu’ils en devaient avoir, et qu’ils ne le regardassent que comme un simple homme, les miracles néanmoins qu’ils lui voyaient faire ne laissaient pas de leur imprimer du respect pour sa personne.

« Il leur répondit: Oui, il le paye (24) ». L’apôtre répond à ces gens que son Maître payait le tribut; cependant il n’en parle pas à son Maître, peut-être parce qu’il rougissait de le faire; mais Celui qui est la douceur même et qui voit tout le prévient ainsi lui-même « Et étant entrés dans la maison, Jésus le prévint et lui dit: Que vous en semble, Simon? De qui les rois de la terre reçoivent-ils les tributs et les impôts? Est-ce de leurs propres enfants ou des étrangers? — Des étrangers, répondit Pierre. Jésus lui dit : Les enfants en sont donc exempts (25) »? Jésus-Christ parle d’abord à saint Pierre afin qu’il ne crût pas qu’il eût ouï parler de ce tribut à ceux qui avaient charge de l’exiger. Il semble vouloir donner à son disciple une ouverture pour lui parler librement d’une chose dont celui-ci craignait de l’importuner. Voici le sens de ce que dit le Sauveur: Je suis libre et je ne dois point payer le tribut. Car si les rois de la terre n’exigent rien de leurs enfants, mais seulement des étrangers, il est bien plus raisonnable que je sois exempt de tout tribut, puisque je ne suis pas seulement le fils d’un roi de la terre, mais le fils du roi et le roi même du ciel.

Remarquez, mes frères, comme il distingue ceux qui sont fils de ceux qui ne le sont pas. S’il n’eût pas été véritablement Fils de Dieu, c’eût été en vain qu’il eût rapporté l’exemple des enfants des rois de la terre. Que nul impie ne vienne dire: Je reconnais que Jésus est le Fils de Dieu, mais il n’est pas son véritable fils. Car alors il est étranger, et s’il est étranger, cet exemple n’a plus de force. Car Jésus-Christ ne parle pas simplement des enfants, mais des enfants véritables, des enfants légitimes qui ont part à l’héritage et au royaume de leur père. C’est pourquoi il marque cette différence en appelant « étrangers » ceux qui ne sont pas nés de ces rois, et « enfants » ceux qui sont sortis de leur sang. Et remarquez, mes frères, lue Jésus-Christ confirme encore la révélation que Dieu avait faite à saint Pierre, en lui découvrant que Jésus-Christ était véritablement son Fils. Cependant le Sauveur ne s’arrête pas à cela. Et par une condescendance merveilleuse il consent à payer, mais d’une manière qui montre une fois de plus qui il était. Car il ajoute aussitôt : « Mais afin que nous ne les scandalisions point, allez-vous-en à la mer, et jetant votre ligue, prenez le premier poisson qui se présentera, et dans sa bouche vous trouverez une pièce d’argent de quatre drachmes, que vous prendrez, et la leur donnerez pour moi et pour vous (26) ». Admirez, mes frères, comment Jésus-Christ allie ensemble deux choses si différentes, et comment il trouve le moyen de ne point refuser le tribut, et de ne le point donner non plus en esclave et en tributaire. Il évite également de scandaliser d’un côté ses disciples, et de l’autre ceux qui reçoivent ces tributs. Car il ne le donne pas comme étant sujet à cette loi, mais seulement pour épargner la faiblesse de ces hommes. Nous avons vu ailleurs qu’il ne tient pas compte des scandales, comme lorsqu’il parlait du discernement des viandes, et nous voyons ici qu’il les évite, pour nous apprendre les temps et les rencontres où nous devons négliger ou apaiser ceux qui se scandalisent de notre conduite.

2. Mais il fait encore mieux voir ce qu’il est par la manière dont il s’acquitte de ce tribut. Car pourquoi affecte-t-il de le payer non de l’argent que ses disciples pouvaient avoir, mais de celui qui leur fait trouver d’une manière si surprenante, sinon pour faire voir qu’il était Dieu et le souverain maître de toutes choses, et que toute l’étendue des mers était assujétie à sa puissance? Il avait déjà fait sentir son empire à cet élément, en lui commandant si souverainement de se calmer, en foulant aux pieds ses flots, et les faisant fouler à son disciple; mais il montre encore ici qu’il en est le maître d’une manière qui nous étonne davantage. Car quel prodige, mes frères, de prédire que le premier poisson que le disciple pêchera dans, ces vastes abîmes d’eaux, aurait dans sa bouche l’argent qu’il (456) fallait payer, et de témoigner ainsi que ses commandements secrets, et ses ordres invisibles étaient comme un filet qui tirerait de la mer le poisson dont il avait besoin et qui lui apporterait cette pièce de quatre drachmes? Il n’y avait qu’un Dieu qui pût ainsi commander à la mer de payer tribut, qui pût se faire obéir d’elle. jusqu’à la forcer, par sa seule parole, de se taire et de se calmer, et de s’affermir sous les pieds d’un homme qui était comme elle la créature du même maître. «Donnez-le n, dit Jésus-Christ, « pour moi et pour vous ». Vous venez de voir la gloire de Jésus-Christ dans cette rencontre. Voyez maintenant la grande vertu de Saint Pierre. Il semble que saint Marc son disciple ait évité de parler de cette action, parce qu’elle était trop glorieuse pour son maître. Il rapporte avec soin son renoncement, et il passe sous silence ce qui le pouvait relever. Peut-être que saint Pierre lui-même l’avait prié de ne rien dire de lui, qui lui fût trop avantageux. Jésus-Christ dit à saint Pierre « Pour moi et pour vous », parce que cet apôtre était aussi du nombre des premiers-nés. Admirez donc la puissance de Jésus-Christ en cette rencontre, mais admirez en même temps la grande foi de ce disciple, qui obéit si promptement à un commandement si extraordinaire. Aussi, pour récompense de sa foi Jésus-Christ lui fait l’honneur de le joindre à lui dans le paiement du tribut.

« En ce même temps les disciples s’approchèrent de Jésus, et lui dirent : Quel est le plus grand dans le royaume des cieux (XVIII, 1)»? Apparemment les disciples avaient ressenti contre saint Pierre quelque atteinte de cette jalousie si naturelle aux hommes. L’évangéliste semble le marquer en disant : « En ce même temps », c’est-à-dire, lorsque Jésus-Christ préférait saint Pierre aux autres disciples, et même à ces deux frères, saint Jacques et saint Jean qu’il favorisait si fort. Car quoiqu’il y en eût un des deux qui fût premier-né, aussi bien que saint Pierre, Jésus-Christ néanmoins ne se met point en peine de lui. C’est ce qui leur donne occasion de faire à Jésus-Christ cette question. Mais comme ils rougissaient de découvrir ce qu’ils ressentaient en eux-mêmes, ils n’osent lui dire clairement : Pourquoi honorez-vous plus Pierre que nous? Est-il le plus grand de nous tous.? Ils cachent leur secrète jalousie. Ils disent seulement en général : « Qui est le plus grand dans le royaume des cieux »? Quand ils ont vu trois d’entre eux plus favorisés que les autres, ils n’en ont point témoigné d’aigreur; mais quand ils voient qu’un seul reçoit toutes ces préférences, c’est alors qu’ils en conçoivent de l’envie. Mais outre cette raison particulière, ils en rassemblaient encore plusieurs autres qui étaient passées, dont leur envie s’envenimait davantage. Ils se souvenaient que Jésus-Christ lui avait dit, il y avait fort peu de temps:

« Je vous donnerai les clefs du royaume des cieux. Vous êtes bienheureux, Simon, fils de Jean » et ils venaient de lui entendre dire en cette dernière rencontre : « Donnez cet argent pour moi et pour vous ». Enfin ils voyaient qu’il parlait toujours à Jésus-Christ avec une liberté et une confiance particulière.

Que si saint Marc ne dit pas que les apôtres interrogèrent Jésus-Christ, mais seulement «qu’ils pensaient en eux-mêmes, quel était le plus grand d’entre eux, » cela ne le met point en contradiction avec saint Matthieu. Et il est vraisemblable que d’abord les disciples ressentirent en eux-mêmes ces mouvements de jalousie, et qu’enfin ils en parlèrent à Jésus-Christ. Mais il serait injuste de s’arrêter à considérer cette légère faute des disciples, et de ne pas admirer la grande vertu qu’ils font paraître. D’abord ils ne demandent rien de terrestre. Nous les voyons ensuite se défaire plus tard de ce sentiment de jalousie, et se céder volontiers entre eux le premier rang. Pour nous autres, nous ne pouvons même arriver à l’état de leur imperfection. Nous ne demandons point comme eux : « Quel est 1e plus grand dans le royaume des cieux ? » Mais quel est le plus grand dans le royaume de la terre? quel est le plus riche? quel est le plus puissant? Voyons maintenant comment Jésus-Christ répond à cette demande. Il découvre ce qu’ils avaient de plus caché dans le coeur, et il répond plutôt à leurs pensées qu’à leurs paroles.

« Et Jésus ayant appelé un petit enfant, le mit au milieu d’eux et leur dit (2) : Je vous dis en vérité que si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez semblables à des petits enfants, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux (3). C’est pourquoi quiconque s’humiliera soi-même et se rendra petit comme, cet enfant, sera le plus grand dans le royaume des cieux (4) ». Je vois, mes disciples, que vous êtes fort en peine de savoir (457) quel est le plus grand dans le ciel et vous disputez pour savoir qui de vous sera le premier, et moi je vous dis au contraire que celui qui ne se rend pas le dernier de tous, n’est pas digne d’y entrer. Il met au milieu d’eux tous, un modèle de l’humilité qu’il exige, pour les instruire par les yeux, et pour leur donner un exemple sensible de la simplicité et de la douceur à laquelle il les exhortait. Car un enfant est exempt d’envie et de vaine gloire il ne désire point l’honneur ni la préférence ; mais il possède souverainement la simplicité qui est comme la reine des vertus. Il faut donc que nous soyons non-seulement sages et courageux comme des hommes parfaits, mais encore simples et humbles comme des enfants. Notre salut est en danger sans cette vertu, et tout nous manque quand nous manquons d’humilité. Qu’on offense et qu’on injurie un enfant, qu’on le frappe et qu’on le punisse, il n’en ressent point d’aigreur ni d’aversion. Il ne s’enorgueillit point non plus lorsqu’on le loue ou qu’on le caresse.

3. Ainsi Jésus-Christ nous instruit par la considération des ouvrages de la nature, et il nous montre que nous pouvons revenir par la vertu à l’état des petits enfants. Jésus-Christ confondait par cette conduite l’impiété détestable des manichéens qui accusent la nature en elle-même. Car si la nature était mauvaise, comme ils osent le soutenir, comment Jésus-Christ en tirerait-il des exemples pour nous porter à la vertu? On doit croire que l’enfant qu’il leur proposait était fort petit et incapable de passion. Car les plus petits enfants ne sentent aucun mouvement d’orgueil ni d’envie, ni des autres passions semblables; et quoiqu’ils possèdent les plus grandes des vertus, l’humilité ,la simplicité et l’innocence, ils ne peuvent en concevoir d’orgueil. C’est le double. avantage de ces petits enfants de posséder de si grands biens et de n’en point avoir de vanité. C’est pourquoi Jésus-Christ met cet enfant au milieu de ses disciples, et ne se contentant pas de ce qu’il a dit, il ajoute:

« Et quiconque reçoit en mon nom un petit enfant tel que je viens de dire, me reçoit moi-même (5)». Comme s’il leur disait : Vous devez attendre de moi une grande récompense, non-seulement si vous devenez semblables à cet enfant, mais si à cause de moi vous honorez ceux qui leur ressernb1ent ; et je récompenserai d’un royaume l’honneur que vous leur rendrez. Il en va même plus loin, en disant:

« Il me reçoit moi-même ». Il ne pouvait mieux témoigner combien l’humilité lui plaît qu’en parlant ainsi. Car il marque ici par ces enfants, les personnes humbles, simples et méprisées de tout le monde; mais pour imprimer davantage ces paroles dans l’esprit des hommes, après qu’il les a portés à respecter ces petits enfants par la promesse de ses récompenses, il les y porte encore par la terreur de ses menaces.

« Que si quelqu’un est un sujet de chute et de scandale à un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui, que l’on pendît à son cou une de ces meules qu’un âne tourne et qu’on le jetât au fond de la mer (6) ». Si ceux qui honoreront ces petits à cause de moi posséderont le ciel e la gloire infinie que je leur prépare; ceux au contraire qui les mépriseront, en seront cruellement punis. Car par ce mot de «scandaliser », il entend ceux qui les méprisent. Que si Jésus-Christ donne à ce mépris le nom de « scandale », il ne s’en faut pas étonner, puisque plusieurs sont scandalisés en effet, lorsqu’ils se voient méprisés à cause de leur simplicité. Il montre donc toute la grièveté de cette faute par la peine dont il nous menace de la punir. Et pour exprimer la grandeur du supplice qui devait la venger, il se sert d’une comparaison qui nous est connue et que nous voyons de nos yeux. C’est ainsi que lorsque Jésus-Christ veut exciter les personnes les plus incultes, il se sert toujours de comparaisons sensibles: ainsi, pour nous tracer ici l’image de la peine dont il châtierait ceux qui mépriseraient ces petits, il se sert de l’exemple de quelqu’un qui se noie une meule au cou.

La suite de son discours le porta naturellement à. dire: « Celui qui ne reçoit point un de ces petits, ne me reçoit point moi-même », ce qui était plus terrible que tout ce qu’il eût pu dire; mais parce que les esprits grossiers n’en auraient pas été touchés, il aime mieux les menacer de cette « meule » et du péril d’être précipités au fond de la mer. Il ne dit pas formellement qu’on leur attacherait en effet celte meule au cou et qu’on les jetterait dans la mer; mais «qu’il vaudrait mieux pour eux » qu’on le fit, montrant assez par ces paroles qu’ils devaient s’attendre à souffrir un terrible tourment. Que si ce seul supplice qu’il rapporte pour exemple, est déjà si (458) épouvantable, combien le doit être davantage l’autre dont celui-là n’est que comme l’ombre et la peinture? Il rend donc cette menace doublement terrible; premièrement par le supplice qu’il rapporte seulement pour exemple, et ensuite par la grandeur de l’autre auquel il nous fait songer.

C’est donc ainsi, mes frères, que Jésus-Christ s’efforce de déraciner en nous l’orgueil et la vaine gloire, et qu’il tâche de guérir une plaie qui est si profonde dans nos coeurs. C’est ainsi qu’il nous exhorte à n’aimer jamais les premières places, et qu’il apprend aux personnes ambitieuses à se faire violence, et à ne chercher jamais que le dernier rang. Car il n’y a rien de si pernicieux que l’orgueil. Ce vice éteint de telle sorte toutes les lumières de la nature, qu’il semble que ceux qu’il domine aient perdu le sens et la raison. Nous regarderions comme un fou celui qui n’étant haut que de trois coudées, se croirait aussi grand qu’une montagne; qui en serait très-persuadé, et qui lèverait même sa tête en haut, s’imaginant que les plus hautes montagnes seraient au-dessous de lui. Après cette extravagante pensée, nous ne demanderions point d’autre preuve de sa folie. Ainsi, lorsque vous voyez un homme qui s’estime plus que tous les autres, et qui se croit offensé d’être obligé de vivre avec le commun des hommes, ne cherchez point d’autre marque de sa folie. Il est plus ridicule que ceux qui ont perdu l’usage de la raison, d’autant plus qu’il se réduit volontairement lui-même à cette folie et à cette. extravagance, et qu’étant infiniment misérable, il n’a aucun sentiment de la misère où il se plonge. Car quel est le superbe qui ait de ses péchés le regret qu’il eu doit avoir? Quel est celui qui les puisse même connaître? Le démon ne le traite-t-il pas comme un esclave qu’il tourne et qu’il manie comme il lui plaît, de qui il fait tout ce qu’il veut, et dont il dispose souverainement? Il le traite avec insultes et avec outrages. Il en jette quelquefois dans un tel aveuglement de folie qu’il leur persuade de s’élever insolemment au-dessus de leurs ancêtres, et de mépriser leurs propres femmes et leurs enfants. Il en porte au contraire d’autres à tirer de ces mêmes personnes des sujets de vanité. Et peut-il y avoir rien de moins raisonnable que de tirer un même sujet de gloire de deux choses si opposées: les uns d’avoir des aïeux inconnus et méprisables, les autres d’en avoir d’illustres et de glorieux?

4. Par quel moyen, mes frères, réprimerons- nous la vanité de ces deux sortes de gens? Il faut que nous disions à ceux qui s’élèvent de la grandeur de leurs aïeux, que souvent si, sans trop approfondir leur généalogie, ils passaient seulement au delà de leur grand-père, ils trouveraient peut-être que ceux qui l’auraient précédé étaient des personnes de basse condition, des cuisiniers, des meuniers, des cabaretiers. Il faut au contraire que nous disions aux autres qui s’élèvent au-dessus de leurs pères, que s’ils examinaient leur race qui paraît déchues et que s’ils remontaient jusqu’à la troisième ou à la quatrième génération, ils y trouveraient des personnes qui leur sont préférables en toutes manières. Il est aisé de prouver par l’Ecriture combien ce que je dis a été ordinaire dans les familles. Salomon était fils de David, un roi très-illustre comme tout le monde le sait, mais qui était né d’un père fort inconnu. Il avait aussi un grand-père maternel si peu considéré dans le monde, qu’il ne pouvait pas donner sa fille en mariage à un des derniers soldats; mais si l’on remontait plus haut, on trouverait peut-être que ces aïeux si peu considérables, descendaient eux-mêmes d’une très-noble famille. On peut dire la même chose de Saül et de beaucoup d’autres.

Ne nous élevons donc jamais, mes frères, pour des sujets qui le méritent si peu.. Qu’est-ce donc en réalité que la noblesse? rien, rien, qu’un mot vide de chose. Vous comprendrez combien ce que nous vous disons est véritable, lorsque le dernier jour arrivera, où chaque chose paraîtra à nu, et selon ce qu’elle est aux veux de Dieu. Je souhaiterais, mes frères, de prévenir par mes raisons, ce que ce jour nous découvrira trop tard, et je voudrais de tout mon coeur vous, persuader aujourd’hui que ce que vous appeler noblesse n’est qu’un vain fantôme. Car sans m’arrêter aux autres raisons, représentez-vous seulement, lorsqu’il arrive une guerre, ou une famine, ou une peste, ou quelque autre affliction publique, combien tous ces titres de noblesse disparaissent, combien le pauvre et lé riche, le noble, et le roturier, le souverain et le sujet, sont alors confondus ensemble. Enfin la maladie et la mort les égalent tous, et ces différentes classes souffrent alors les mêmes maux. On peut dire même que les grands sont plus tourmentés que les autres. Comme ils sont moins accoutumés à (459) ces événements fâcheux, et qu’ils y pensent moins durant la vie, ils en sont beaucoup plus surpris à la mort.

Ne voit-on pas aussi que la crainte déchire davantage ceux qui sont riches que les pauvres? Ne craignent-ils pas leurs souverains, et n’appréhendent-ils pas encore le peuple, plus même qu’ils ne font les rois ? Car on a vu souvent les maisons des riches renversées, tantôt par la fureur d’une populace mutinée, et tantôt par la colère d’un souverain irrité: le pauvre est à couvert également de ces deux fléaux. Ne me parlez donc plus de cette noblesse, et si vous me voulez prouver que vous êtes noble, faites-moi voir que vous êtes libre. J’entends cette liberté chrétienne et héroïque que le bien heureux Précurseur alliait avec une extrême pauvreté, et qui lui faisait dire hardiment à Hérode : « Il ne vous est pas permis d’avoir la femme de votre frère Philippe ». (Matth. III.) Cette liberté, dis-je, que possédait le prophète Elie, à qui le saint dont nous parions était si semblable, et qui disait si généreusement au roi Achab : « Ce n’est pas moi qui trouble Israël, mais vous et la maison de votre père». (III Rois, XVIII, 18.) Enfin, cette liberté dont ont usé tous les prophètes, et ensuite tous les apôtres.

Les âmes timides des riches et des avares sont bien éloignées de cette fermeté. Ceux-là tremblent toujours, et sont aussi saisis de peur que des enfants environnés de maîtres fâcheux et sévères, ils n’osent pas même élever leur pensée, ni leurs yeux pour entreprendre quelque action de vertu. L’amour des richesses, de la gloire et des autres passions, les tient dans une servitude honteuse, et l’es rend également lâches et flatteurs. Rien n’ôte tant à l’âme sa liberté et sa générosité naturelle, que l’embarras des choses du monde, et l’amour de ce qui y paraît de plus éclatant. Ceux qui sont possédés de ces passions, ne sont pas seulement assujétis à un ou deux maîtres, mais ils sont les esclaves d’une infinité de tyrans.

Pour en juger, mes frères, il ne faut que voir un d’entre les favoris du souverain, qui ait des richesses infinies, une puissance absolue, une noblesse éclatante, et qui s’attire par tant de qualités les yeux et l’admiration de tout le monde. Croyez-vous qu’il nous soit impossible de vous montrer qu’un homme en cet état, soit le dernier des esclaves? Pour le faire avec plus d’ordre, comparons-le, non simplement avec un serviteur, mais avec l’esclave de quelque autre serviteur. Cela arrive tous les jours dans les maisons des grands, ils ont leurs officiers, et ces officiers ont d’autres personnes sous eux. Ce sont ces derniers que je considère. Je regarde un homme dans cet état le plus rabaissé de tous. Il a au moins cet avantage, qu’il n’a qu’un maître, et il lui est fort indifférent, si ce maître est libre ou s’il ne l’est pas. Il n’a que lui à contenter, et c’est le seul à qui il doive tâcher de plaire. Et s’il peut être assez heureux pour gagner son amitié, il est comme assuré de passer toute sa vie dans le plus grand repos du monde.

Ce favori, au contraire, dont vous admirez le bonheur, n’est pas assujéti seulement à un ou deux maîtres. Il en a une infinité, et qui sont tous très-pénibles et très-fâcheux. Son prince est celui de tous qui l’inquiète le plus. Car, qui ne sait quelle différence il y a entre servir un maître particulier, ou servir un souverain qui écoute toutes sortes de personnes, et qui se déclare l’ami, tantôt d’un de ses sujets, et tantôt de l’autre. C’est pourquoi, bien que ce favori ne se sente coupable de rien, il ne laisse pas de craindre tout. Il a tout le monde pour suspect, ses égaux et ses inférieurs, ses amis et ses ennemis.

Vous me direz, peut-être, que l’esclave de cet autre serviteur tremble aussi devant son maître. Cela peut être, mais je vous ai déjà dit qu’il y a bien de la différence entre craindre un seul homme, ou en craindre un si grand nombre. Au contraire, si l’on examine les choses selon la vérité, on trouvera que ce dernier ne craint personne, parce que personne ne lui porte envie. Personne ne fait des intrigues et des cabales pour le chasser de sa place, et pour 1’occuper. Ce favori, dont nous parlons, est en butte à tout le monde, et tous ne s’appliquent qu’à le mettre mal auprès du prince. Ces appréhensions le forcent, malgré lui-même, à se rendre complaisant envers toutes sortes de gens. Il est contraint de ménager fous les esprits, de caresser et de flatter les grands et les petits, ses égaux et ses inférieurs. Je dis flatter, et non pas aimer. Car l’ambitieux n’aime personne, et le désir de la gloire, dont il est brûlé, ne peut subsister avec une amitié véritable. Deux hommes possédés de cette passion, ressemblent à ces artisans qui gagnent leur vie du’ même art. Tout le monde sait qu’ils ne peuvent être unis, ni (460) avoir entre eux un amour sincère. Il en est de même de ceux qui sont dans les mêmes honneurs et les mêmes ambitions. Comme ils désirent tous la même chose, il est impossible qu’ils s’entr’aiment, et qu’il n’y ait continuellement de la jalousie entre eux.

5. Mais, après avoir vu le grand nombre de maîtres importuns que ce favori est obligé de servir, voyons maintenant les autres peines qu’il souffre. Tous ceux qui sont au-dessous de lui tâchent de prendre le dessus, et ceux qui l’ont déjà pris, craignant qu’il ne les devance, se déclarent ses ennemis. Mais n’admirez-vous point, mes frères, qu’après vous avoir promis de vous faire voir de combien de maîtres ce favori était l’esclave, je trouve enfin que j’ai fait plus que je n’avais promis? Nous trouvons que cet homme a des ennemis au lieu de maîtres, ou plutôt, qu’il est environné de personnes qui sont en même temps ses maîtres et ses ennemis; puisqu’il est contraint de les honorer extérieurement comme ses maîtres, et de les craindre comme ses ennemis, évitant, ou leur fureur ouverte, ou leurs piéges secrets, selon les différents mouvements de la haine qu’ils ont contre lui.

Y a-t-il rien, mes frères, de plus déplorable que d’avoir les mêmes personnes tout ‘ensemble pour maîtres et pour ennemis? Lorsque les serviteurs ordinaires obéissent à leurs maîtres, ils sont aimés d’eux. Ceux-ci au contraire obéissent à cent maîtres divers, et ils sont haïs de tous. Après qu’ils les ont traités en esclaves, ils les traitent en ennemis, et ils payent la bassesse de leurs services d’une inimitié mortelle; inimitié qui est d’autant plus dangereuse qu’elle est pins cachée, et que, feignant d’être leurs amis lorsqu’ils les haïssent à mort, ils ne trouvent leur bonheur que dans leur malheur, et leur satisfaction que dans leur perte.

Ce n’est pas ainsi, mes frères, que les chrétiens vivent. Si l’un d’eux souffre, les autres compatissent et souffrent avec lui : si l’un est dans la joie, tous les autres y prennent part. Saint Paul le dit clairement : « Quand un membre souffre, tous les autres membres souffrent avec lui, et quand un membre «est dans la gloire, tous les autres membres « s’en réjouissent » (I Cor. XII, 26.) C’est pourquoi lorsqu’il recommande aux chrétiens d’entrer dans cette disposition, il dit de lui-même:

« Quelle est mon espérance ou quelle est ma joie? n’est-ce pas vous»? (I Thessal. II, 19.) Il dit aussi ailleurs : « Nous vivons si vous demeurez fermes dans le Seigneur ». (II Cor. II, 4.) Et ailleurs: « Je vous ai écrit dans une grande douleur et affliction de coeur ». Et ailleurs : « Qui est faible sans que je sois aussi faible? Qui est scandalisé sans que je sois brûlé moi-même » ? (II Cor. XI, 29.)

Pourquoi donc souffrons-nous volontairement tant d’agitations dans le monde ? Pourquoi ne courons-nous pas avec ardeur dans ce port heureux et tranquille, où nous pouvons vivre dans un parfait contentement? Que ne quittons-nous ces faux biens qui n’en ont que le nom et l’apparence, pour-embrasser les solides et les véritables? La gloire, la puissance, les richesses, la réputation, et les autres choses semblables, ne sont dans les gens du monde que des noms vides et stériles, mais ce sont des effets et des choses réelles parmi nous; comme au contraire, les maux, le mépris, la pauvreté et la mort ne sont que des noms parmi nous, mais des choses réelles et véritables dans le monde.

Jugez de ce que je dis en exprimant quelle est la vanité de cette gloire qu’on estime dans le monde, et qu’on y désire avec tant de passion. Je ne m’arrête point à dire qu’elle ne dure qu’un moment, et qu’elle passe aussitôt. Voyons lors même qu’elle est dans son plus grand éclat, ce que c’est dans la vérité. Ne lui ôtons point le fard dont elle tâche de couvrir sa laideur, et cet ornement emprunté dont elle se pare. Faisons-la paraître dans toute sa magnificence, et voyons ensuite combien elle est laide et difforme. Parons-la donc d’abord de toute sa beauté, je veux dire de ce nombre d’officiers, de gardes, de flatteurs, de hérauts et de trompettes qui marchent devant elle, de ces honneurs, de ces soumissions, de ce silence, de cette admiration des hommes, de cette fierté avec laquelle on traite ceux qui ne font pas place, et qui ne se pressent pas pour laisser passer au large ces personnes sur qui tout le monde jette les yeux. Cela sans doute vous paraît fort magnifique : mais voyons-en la vanité, et considérez si ce n’est pas en effet la seule imagination des hommes qui donne à cette bassesse le nom de grandeur. Car quel avantage retire de ces honneurs le corps ou l’âme de celui qui les reçoit? En sera-t-il de plus grande taille? en deviendra-t-il plus robuste, plus sain ou plus (461) vigoureux ? En aura-t-il les sens plus pénétrants et plus vifs? Je ne crois pas qu’il y ait personne qui puisse avoir ces pensées.

Venons maintenant à l’âme. Cette déférence des hommes la rend-elle ou plus modeste, ou plus humble, ou plus sage qu’elle n’était? Ne produit-elle pas au contraire en elle des effets tout opposés? Car il n’arrive pas ici à l’âme seulement ce qui arrive dans le corps. Le corps n’a point d’autre mal que de ne tirer aucun bien de cette gloire imaginaire; l’âme au contraire non seulement n’en retire aucun avantage, mais elle en reçoit de grands maux. Elle en devient plus insolente, plus insensée, plus colère et plus esclave des passions.

Vous me répondez qu’on voit toujours ces grands du monde dans la joie et dans les plaisirs. Mais c’est là le comble de leurs maux. C’est ce qui rend, leurs maladies incurables; puisque lorsqu’ils s’en réjouissent, ils ne cherchent pas à s’en guérir, et que le plaisir qu’ils y trouvent, leur ferme l’accès aux remèdes. Ainsi, ce qui achève leur ruine c’est cette complaisance dont ils se flattent dans leurs maux. La joie n’est pas toujours, bonne et louable, puisque les voleurs se réjouissent tous les jours de leurs larcins; les adultères de leurs crimes, les meurtriers de leurs violences, et les avares de leurs usures.

Il ne faut pas considérer si celui dont nous parlons se réjouit, mais si le sujet pour lequel il se réjouit est raisonnable, si sa joie n’est pas aussi criminelle que celle des adultères, des homicides et des voleurs. Car je vous prie de me dire pour quel sujet il se réjouit. Est-ce parce qu’il est honoré de tout le monde? Y a-t-il rien de plus puéril que cette joie? Si cette passion n’est pas un mal, pourquoi tous les jours blâmons-nous ceux qui en sont frappés, pourquoi les couvrons-nous de confusion et d’infamie? Cessons donc à l’avenir de détester les orgueilleux, et d’avoir en horreur ceux qui n’ont que du mépris pour les autres hommes. Que si vous ne pouvez résister à une loi que la nature même a gravée en vous, n’avouerez-vous pas que ces hommes que vous estimez sont dignes de l’aversion commune de tout le monde, de quelque grand nombre de gardes qu’ils se fassent environner? Je ne parle ici que de ceux qui usent avec modération de leur dignité et de leur puissance : car je sais que ceux qui en abusent, commettent souvent plus d’excès que les plus détestables voleurs, que les adultères les plus infâmes, et que les plus grands meurtriers. Ils volent le bien d’autrui plus effrontément. Ils tuent les hommes avec plus de cruauté. lis tombent dans des impuretés plus sales. Ils ne volent pas une maison, mais plusieurs. Ils font servir leur puis,sance à leur malice, et changent leur autorité en tyrannie. Jamais ils ne sont plus esclaves que lorsqu’étant asservis à leurs passions, ils ne respectent et ne craignent plus personne.

Reconnaissons donc que les personnes véritablement nobles et libres, et qui méritent plus légitimement le titre de rois; sont celles qui sont libres de leurs passions. C’est cette liberté, mes frères, que je vous recommande d’acquérir, et c’est cette servitude que je vous exhorte à fuir. N’estimons point les grandeurs ni la puissance. Fuyons les richesses comme un fardeau insupportable. Ne croyons point qu’il y ait d’autre bonheur que celui qui se trouve dans la vertu, afin que nous puissions passer paisiblement notre vie dans ce monde, et jouir ensuite dans l’autre d’une plus heureuse paix, que je vous souhaite par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (462)

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