HOMÉLIE XLIV

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QUARANTE-QUATRIÈME HOMÉLIE. Or, Abraham s'étant donc levé le matin vint au lieu où il avait été auparavant avec le Seigneur. (Gen. XIX, 27,1)

 

ANALYSE.

 

1-3. De l'invocation et de l'intercession des saints. — 4. Les prières que d'autres font pour nous sont moins efficaces que celles que nous faisons nous-mêmes. — 5. Loth ni ses filles ne sont point à condamner. — 6. Exhortation morale. Comparaison de l’épreuve de Joseph tenté par l’Egyptienne avec la fournaise de Babylone.

 

1. Hier, l'histoire de la Samaritaine nous a fait voir assez l'ineffable patience du Seigneur, l'excès de sa sollicitude pour elle, la reconnaissance de cette femme; vous l'avez vue, elle venait puiser l'eau qui tombe sous nos sens, et c'est à la source spirituelle, c'est à la divine fontaine qu'elle a puisé, et elle s'en est retournée chez elle, accomplissant la parole du Seigneur: L'eau que je lui donnerai, deviendra en son âme une fontaine d'eau qui rejaillira jusque dans la vie éternelle. (Jean, IV, 14.) Elle s'est remplie de cette eau divine et spirituelle. Elle n'a pu en retenir les courants, qui ont débordé, pour ainsi dire, sur la ville, et elle a inondé les habitants de la grâce qui lui était accordée; elle est devenue tout à coup le héraut du Seigneur, cette samaritaine, cette étrangère. Quel trésor, voyez-vous, que la reconnaissance ! Vous voyez comment la bonté de Dieu ne dédaigne personne; comment, au contraire, si, même dans une femme, même dans un être absolument pauvre, en qui que, ce soit, si le Seigneur trouve la vigilance et la ferveur, aussitôt il communique les largesses de sa grâce. Imitons donc, je vous en conjure, imitons, nous aussi, cette femme, 'et recevons avec une grande attention les enseignements de l'Esprit; car les paroles que nous prononçons ne sont pas nos paroles. Ce n'est pas, à vrai dire, notre langue qui parle quand nous parlons; mais, conduits par la bonté du Seigneur, nous vous disons ce ,qu'il nous inspire, pour notre salut et l'édification de l'Eglise de Dieu. Ne fixez donc pas les yeux sur moi, mes bien-aimés ; ne considérez pas mon infirmité; mais, parce que je vous apporte ce que le Seigneur me donne, tenez vos pensées fixées sur celui qui m'envoie. Soyez attentifs ; soyez vigilants ; écoutez. Voyez ce qui se passe sur la terre; lorsque celui dont le front est ceint du diadème, l'empereur envoie un message , celui qui l'apporte n'a par lui-même aucune valeur; c'est un homme du commun, qui souvent ne pourrait dire quelle est sa famille; un homme obscur et de parents obscurs; mais ceuxà qui est destiné l'écrit impérial, ne s'arrêtent pas à considérer ce qu'est cet homme; attendu qu'il apporte un écrit de l'empereur, on lui fait un grand honneur, à lui aussi, et, quant au message, on l'écoute avec un respect plein de crainte; on l'écoute en silence. Eh bien ! si cet homme qui n'apporte que l'écrit d'un autre homme, qui n'apporte qu'un papier, est reçu avec honneur par tous, à plus forte raison devez-vous accueillir, avec l'extrême attention que le respect commande, ce que l'Esprit vous envoie, par notre entremise, afin que vous recueilliez une grande récompense de votre sagesse. Car, si le Seigneur de toutes les créatures voit une généreuse,ardeur échauffer vos âmes, il nous fera à (300) nous-même, pour votre édification, de plus riches présents, et il accroîtra en vous l'intelligence, pour comprendre la parole; car la grâce de l'Esprit est magnifique; elle se répand sur tous; elle ne décroît pas en se partageant; au contraire, en même temps qu'elle se distribue, elle grandit, et plus est considérable le nombre de ceux qui y participent, d'autant plus considérable est le bienfait communiqué à tous. Eh bien ! donc, si vous voulez, reprenons la suite de nos entretiens; voyons où nous nous sommes arrêtés, où il convient de recommencer aujourd'hui. Où avons-nous hier amarré notre barque ? Où avons-nous arrêté le cours de l'instruction ? Nous vous parlions de Loth , de l'incendie de Gomorrhe, et nous avons terminé notre discours au moment où le juste fut sauvé dans Ségor. Le soleil se levait sur la terre au même temps que Loth entra dans Ségor. Et alors la colère envoyée de Dieu saisit les habitants de Sodome, opéra la destruction de cette terre, et nous avons vu que la femme de l'homme juste, oubliant les paroles que les anges avaient dites, regarda derrière elle, et- fut changée en statue de sel, laissant aux générations à venir un monument éternel de sa coupable négligence. Il faut aujourd'hui, reprenant la suite de ces événements, vous montrer, en peu de mots, mes bien-aimés, vous montrer encore la charité, la compassion qui animait le patriarche, et la bienveillance de Dieu pour lui. En effet, au lever du soleil, le juste Loth fut sauvé dans Ségor ; ceux de Sodome, au contraire, subirent l'expiation. En même temps le patriarche était saisi de pitié, à la pensée de cette destruction que leur péché leur avait attirée, et il était troublé d'inquiétude pour le sort de l'homme juste; et le matin, il vint et il regardait ce qui était arrivé. Or, Abraham s'étant levé le matin, vint au lieu où il avait été auparavant avec le Seigneur, et regardant Sodome et Gomorrhe, et tout le pays d'alentour, il vit des cendres enflammées, qui s'élevaient de la terre comme la fumée d'une fournaise. (Ibid. 27 , 28.) Le texte marque le lieu où il s'était entretenu avec le Seigneur, où il l'avait imploré pour ceux de Sodome;. c'était là qu'il voyait les traces de cet épouvantable châtiment. Et il voulait savoir des nouvelles de l'homme juste. C'est là le caractère des saints; ils éprouvent vivement l'affection, ils savent compatir. L'Ecriture, pour nous apprendre que la grâce de l'Esprit fit aussitôt connaître au patriarche ce qu'il tenait tant à savoir, et le délivra de l'inquiétude que Loth lui causait : Lorsque Dieu, dit le texte, détruisait les villes de ce pays-là, il se souvint d'Abraham, et sauva Loua du milieu de cette destruction. (Ibid. 29.) Que signifient ces mots : Dieu se souvint d'Abraham? c'est-à-dire, de la prière qu'Abraham lui avait faite, en lui disant: Perdrez-vous le juste avec l'impie? (Gen. XVIII, 22.) Mais pourquoi donc, objectera-t-on,le juste a-t-il été sauvé à cause de la prière du patriarche, et non à cause de sa justice ? Assurément il a été sauvé pour sa justice; et, de plus, pour la prière du patriarche. En effet, quand nous apportons ce qui dépend de nous, l'intercession des saints, s'ajoutant à nos oeuvres, est encore pour nous la source des plus grands biens. Si nous nous négligeons nous-mêmes, si nous mettons en eux seuls toutes nos espérances de salut, nous n'en retirons aucune utilité. Ce n'est pas que les justes soient sans puissance, mais c'est que, par notre propre négligence, nous nous trahissons nous-mêmes.

2. Et voulez-vous avoir la preuve que, quand nous nous négligeons nous-mêmes, c'est en vain que les justes, si justes qu'ils soient, c'est en vain que les prophètes, si inspirés qu'ils soient, prient pour nous, qu'il n'en résulte pour nous aucune utilité ? (Ils montrent leur vertu par leurs prières, la vertu qui est en eux; mais cette vertu ne nous est d'aucun profit, à cause des moeurs que nous faisons paraître.) Ecoutez les paroles que le Dieu de toutes les créatures adresse à son prophète, sanctifié dès le ventre de sa mère, à Jérémie : Ne prie pas pour ce peuple , parce que je ne t'exaucerai point. (Jérém. XVI, 7.) Voyez la bonté du Seigneur; il avertit son prophète, parce qu'il ne veut pas, la prière ne devant pas être exaucée, que le saint attribue la rigueur de Dieu à ses propres fautes. Voilà pourquoi il lui dénonce , par avance, la corruption du peuple, et lui défend de prier. Il veut leur faire savoir, à tous en même temps, à lui, combien est grande la perversité des Juifs; à eux, que les prières du prophète ne leur servent de rien, s'ils ne sont pas les premiers à faire tout ce qui dépend d'eux.

C'est dans de telles pensées, mes bien-aimés, que nous devons recourir aux prières des saints, pour leur demander d'intercéder pour nous. Gardons-nous de mettre toute notre confiance dans leurs prières, faisons, de notre côté, les (301) oeuvres qui dépendent de nous; faisons-les comme il convient; efforçons-nous toujours de prendre la voie la meilleure, afin d'autoriser la prière qui s'épanche pour nous. C'est ce que dit, à un autre prophète, le Seigneur de toutes les créatures: Ne voyez-vous pas ce qu'ils font ? ils font brûler la graisse, pour faire des gâteaux d une armée du ciel. (Jérém. VII, 17, 18.) Ce qui revient à dire : Vous me priez pour ceux qui ne renoncent pas à leurs péchés, qui ne sentent pas le mal dont ils sont travaillés, qui n'ont plus de sentiment. Ne voyez-vous pas leur parfait dédain ? Ne voyez-vous pas l'excès de leur délire ? Comme, insatiables d'impiété, ils ressemblent à la truie dans la fange, se vautrant dans leurs iniquités. S'ils voulaient se convertir, n'écouteraient-ils pas les exhortations ? N'est-ce pas moi, par la voix des prophètes, qui leur crie : Et après qu'elle a fait tous ses crimes, je lui ai dit : après tous vos crimes revenez à moi, et elle n'est point revenue? (Jérém. III, 7.) Leur demandai-je autre chose que de s'arrêter, de ne plus pécher, de ne pas pousser plus loin leurs crimes? leur demanderais-je compte du passé, si je les voyais seulement manifester l'intention de se corriger? Ne leur criai-je pas chaque jour : Est-ce que je veux la mort du pécheur, comme je veux qu'il se convertisse et qu'il vive ? (Ezéch. XVIII, 23.) Est-ce que je ne fais pas toutes choses, pour les arracher à la mort, quand je les vois égarés? Quand je les vois convertis, est-ce que je me fais attendre ? Ne suis-je pas celui qui dit : Tu parles encore, me voici? (Isale, LVIII, 9.) Tiennent-ils à leur propre salut, autant que j'ai le désir de voir tous les hommes sauvés, de les voir arrivés tous à la connaissance de la vérité? (I Tim. II, 4.) Vous ai-je tirés du néant pour vous perdre ? Vous ai-je, sans aucun but, préparé le royaume à venir, et des biens innombrables ? Si j'ai menacé de la gêne, n'est-ce pas parce que cette crainte me sert pour introduire les hommes dans le royaume des cieux? Garde-toi donc, ô bienheureux prophète, de les abandonner pour m'apporter ta prière; ne prends plus qu'un seul souci, celui de les guérir, de leur faire sentir leur infirmité, de les ramener à la santé, et tous mes biens viendront d'eux-mêmes. Et je ne me fais pas attendre et je ne suis jamais en retard, quand je vois une âme bien disposée; je ne leur demande qu'une chose : la confession des péchés, et, c'en est fait, je    ne punis pas les péchés. Est-ce donc bien lourd à porter , bien embarrassant , ce que je propose? Si je ne savais pas qu'ils deviennent plus mauvais , quand ils ne confessent pas leurs premières fautes, je ne leur demanderais pas même cette confession ; mais, parce que je sais que l'homme s'enfonce de plus en plus dans le péché, voilà pourquoi je veux qu'ils confessent leurs premières fautes, afin que cette confession les empêche d'y retomber.

3. Donc, dans ces pensées, mes bien-aimés, réfléchissant sur la bonté du Seigneur, secouons notre engourdissement ; soyons bien attentifs à nous-mêmes; lavons les taches de nos péchés, et hâtons-nous, ensuite, de demander l'intercession des saints. Si nous voulons être sages et vigilants, nous pourrons même par la seule vertu de nos propres prières, nous servir nous-mêmes, de la manière la plus efficace; car notre Dieu, qui, est un Dieu de clémence, accorde moins aux autres, le priant pour nous, qu'il ne nous accorde à nous-mêmes, quand c'est nous qui le prions. Voyez l'excès de bonté ; pour peu qu'il s'aperçoive que nous, qui l'avons. offensé, qui nous sommes rendus méprisables, qui n'avons plus aucun droit d'espérer en lui, nous nous réveillons un peu, nous avons, en nous, la pensée de recourir à son inépuisable clémence; aussitôt il agrée nos prières, il nous tend la main. Nous étions étendus et gisants, il nous relève, il nous crie : Est-ce que celui qui est tombé, ne se relèvera pas ? (Jérém. VIII, 4.) Mais la réalité même des choses vous montre quel grand nombre d'hommes, priant eux-mêmes pour eux-mêmes, ont mieux obtenu ce qu'ils désiraient, que par les prières des autres. Ceci vaut la peine que nous vous montrions les personnes qui ont eu ce bonheur, afin que nous les imitions, afin que nous nous animions d'un beau zèle. Apprenons donc comment cette Chananéenne, à l'âme si cruellement tourmentée, comment cette femme, cette étrangère, à la vue du médecin des âmes, du soleil de justice, levé pour ceux qui demeurent dans les ténèbres, s'approcha de lui, pleine de ferveur, animée d'un généreux zèle; et ce zèle ne se ralentit pas, quoique ce ne fût qu'une femme; quoique ce fût une étrangère. Repoussant tous les obstacles, elle s'approcha, et dit : Seigneur, ayez pitié de moi! ma fille est misérablement tourmentée par le démon. (Matth. XV, 22.) Celui (302) qui connaît les secrets des coeurs, garde le silence, ne lui répond pas, ne daigne pas s'entretenir avec elle , il n'a pas de pitié pour cette femme, qu'il voit si misérable, dont il entend les cris de douleur. Il diffère, parce qu'il veut rendre manifeste, aux yeux de tous, le trésor caché dans cette femme. Il savait bien qu'il y avait là une perle qu'on ne voyait pas, qu'il voulait montrer à nos regards. Voilà pourquoi il différait, ne daignant pas lui répondre ; c'était pour que le zèle de cette femme fût, pour toutes les générations à venir, un grand enseignement. Et voyez l'ineffable bonté de Dieu ; lui-même, dit le texte, ne lui répondait pas; quant aux disciples, pleins de compassion et de bonté, ils n'osent pas dire hier! haut donnez-lui ce qu'elle demande, ayez pitié d'elle, soyez clément pour elle; mais que disent-ils ? Accordez-lui ce qu'elle demande parce qu'elle crie derrière nous (Ibid. 23.) Comme s'ils disaient : délivrez-nous de cette importune ; délivrez-nous de ses cris. Que fait donc le Seigneur ? Pensez-vous, leur dit-il , que ce soit sans raison que j'ai gardé le silence, que je n'ai pas daigné lui adresser une réponse ? Ecoutez : Je n'ai été envoyé qu'aux brebis de la maison d'Israël qui se sont perdues (Ibid. 24.) Ignorez-vous, leur dit-il, que c'est une femme étrangère? Ignorez-vous, que je vous ai interdit tout commerce avec les étrangers ? Pourquoi donc, sans examen, montrer votre compassion pour elle ? Considérez l'industrieuse sagesse de Dieu; voyez comme en paraissant répondre à cette femme, il l'accablait plus que par son silence; comme il la frappait, pour ainsi dire, d'un coup mortel, voulant ensuite la ranimer peu à peu, afin que les disciples, qui ne se doutaient de rien, comprissent la grandeur de la foi qu'elle recelait dans son âme. Eh bien ! elle ne se ralentit pas, elle ne se découragea pas, en voyant. que les disciples n'avançaient à rien; elle ne se dit pas à elle-même : s'ils n'ont pu fléchir le Seigneur, en le priant pour moi, pourquoi continuerai-je une tentative inutile, pourquoi insister ? Au contraire, embrasée du feu qui brûle, qui dévore ses entrailles, elle s'approche, elle adore, elle dit : Seigneur, assistez-moi ! (Ibid. 25.) Mais lui refuse encore son secours à cette femme, il fait entendre une réponse plus sévère que l'autre : Il n'est pas juste, dit-il, de prendre le pain des enfants, et de le donner aux chiens. (Ibid.26.) Considérez, mes bien-aimés, admirez ici la vivacité du désir dans cette femme et la rare distinction de sa foi. Quand elle entendit ce nom de chiens, elle ne s'indigna pas, elle ne se retira pas, mais, avec une affection pieuse et profonde, elle dit: Il est vrai. Seigneur, mais les petits chiens mangent au moins des miettes qui tombent de la table de leur maître (Matth. XV, 27.) Eh bien dît-elle, j'avoue que je mérite d'être traitée, comme on traite les chiens; accordez-moi donc comme aux chiens des miettes de votre table. Comprenez-vous la foi, la vertu de cette femme? Elle a supporté la parole, et aussitôt elle a obtenu ce qu'elle demandait avec instance, et elle l'a obtenu, en s'attirant de plus, un éloge insigne. En effet, que lui dit le Christ? O femme, votre foi est grande, qu'il vous soit fait comme vous voulez ! (Ibid. 28.) O femme! c'est un cri d'admiration et d'éloge. Vous avez montré, dit le Seigneur, une grande foi ; aussi, vous obtiendrez tout ce que vous voulez. Voyez jusqu'où s'étend la générosité ; admirez la sagesse du Seigneur. Ne pensions-nous pas d'abord, quand il la repoussait ainsi, qu'il était sans pitié ? D'abord il ne daignait pas lui répondre. Ensuite, il lui fit une première, une seconde réponse, comme pour la chasser loin de lui; il repoussait cette femme, qui était venue auprès de lui, avec un désir si vif et si brûlant. Mais, que la fin vous montre la bonté de Dieu. C'était parce qu'il voulait rendre plus éclatante la vertu de cette femme, qu'il se fit tant prier pour lui accorder sa demande. En effet, s'il la lui eût accordée aussitôt, nous n'aurions pas connu ce qu'il y avait dans cette femme de constance et de foi ; mais, grâce à ce, petit retard, nous avons pu reconnaître l'ineffable bonté que le Seigneur a pour nous, et la foi si rare, qui distingue cette femme au plus haut degré.

4. Toute cette histoire que nous nous sommes efforcé de vous exposer, c'est pour apprendre à tous que les prières des autres pour nous, sont moins efficaces que ne le sont nos propres prières, si nous prions avec ardeur, avec un esprit bien éveillé. Vous le voyez : cette femme avait les disciples qui priaient pour elle; elle n'y gagna rien; c'est elle, par ses propres efforts, par sa persévérance, qui se concilia la clémence du Seigneur. Et c'est encore ce qu'indique cette parabole de l'ami qui vient au moment où on ne l'attend pas, pendant la nuit, et demande trois pains: Si néanmoins l'autre persévérait à frapper, je vous  (303) assure que, quand il ne se lèverait pas pour lui en donner, parce qu'il est son ami, il se lèverait, du moins, à cause de son importunité, et il lui en donnerait. (Luc, XI, 8.) Eh bien ! puisque nous voyons l'ineffable clémence de Notre-Seigneur, allons à lui, déclarons-lui, mettons-lui, pour ainsi dire, sous les yeux, un à un séparément tous nos péchés; demandons-lui le pardon de nos fautes passées, afin de vivre dorénavant avec plus d'exactitude, et d'obtenir de lui une plus grande bienveillance. Mais revenons, s'il, vous plaît, à la suite de notre lecture. Loth, dit le texte, étant dans Ségor, monta et se retira sur la montagne, ainsi que ses deux filles avec lui, parce qu'ils avaient peur d'habiter dans Ségor, et Loth habita dans une caverne, et ses deux filles avec lui. (Gen. XIX, 30.) Le juste, sous le coup de la crainte que lui avait inspirée le désastre de Sodome, s'en va, et, dit le texte, il habitait sur une montagne avec ses filles. II vécut dans la solitude, dans un lieu tout à fait dévasté, avec ses filles, séjournant sur la montagne. Alors, suivant le texte, l'aînée dit à la cadette : Notre père est vieux, et il n'est personne sur la terre qui viendra vers nous, selon la coutume de tous les pays. Viens, donnons du vin à notre père et dormons avec lui, afin que nous puissions conserver de la race de notre père. (Ibid. 31, 32.) C'est avec un religieux respect , mêlé de tremblement et de crainte, mes bien-aimés , que nous devons écouter ces paroles de la divine Ecriture. Rien n'a été consigné à la légère et sans dessein dans nos saints Livres; tout ce qu'ils contiennent y a été mis pour notre utilité, et dans notre intérêt, même les choses que nous ne comprenons pas. En effet, nous ne pouvons pas savoir tout absolument, avec une parfaite exactitude; mais si nous essayons d'expliquer, selon la portée de notre esprit, les endroits difficiles, c'est qu'ils contiennent, même ainsi, un trésor caché, profondément caché, et difficile à découvrir. Considérez donc comme l'Ecriture, raconte tout , d'une manière parfaitement claire, et nous- montre le but que se proposent les filles de l'homme juste, d'une manière suffisante pour empêcher que qui que ce soit , considérant te fait , ne condamne , soit le juste, soit les filles du juste, comme si ce commerce était l'effet de l'incontinence. Comment donc l'Ecriture excuse-t-elle les filles glu juste? L'aînée, selon le texte, dit à la cadette : Notre père est vieux et il n'est personne sur la terre qui viendra vers nous selon la coutume de tous les pays. Considérez attentivement le but, et vous verrez qu'elles sont au-dessus de toute accusation. En effet, elles pensèrent qu'elles avaient assisté à une destruction générale du monde entier; qu'il n'y avait pas un seul survivant; elles virent ensuite la vieillesse de leur père. Donc, dit l'aînée, pour que notre race subsiste, pour que notre nom ne meure pas (c'était là en effet le plus grand souci des anciens hommes, d'étendre leur race par la succession de leurs enfants) ; donc, dit-elle, pour que notre race ne soit pas tout entière détruite, et cela surtout quand notre père. est déjà accablé de vieillesse, quand il n'y a pas un homme qui puisse s'unir à nous, de telle sorte qu'il nous soit possible d'étendre et de laisser, après nous, notre race : Viens, dit-elle, pour prévenir ce malheur, donnons du vin à notre père. C'est comme si elle disait : notre père ne supporterait pas nos paroles, trompons-le avec du vin. Elles donnèrent donc cette nuit-là du vin à leur père, et l'aînée dormit avec lui sans qu'il sentît, ni quand elle se coucha, ni quand elle se leva. (Ibid. 33.) Voyez-vous comment la divine Ecriture excuse le juste, non pas une fois seulement, mais deux fois. D'abord, en montrant que ses filles l’ont trompé par le vin, elle a déclaré qu'elles n'avaient pas d'autres moyens de décider leur père; et maintenant, je crois que c'est une disposition d'en-haut qui a permis qu'il fût assez appesanti par le vin pour ignorer absolument tout, de manière à demeurer innocent. En effet, les péchés qui nous condamnent, ce sont ceux que nous faisons sciemment et volontairement. Voyez le soin que prend l'Ecriture de rendre en faveur du juste le témoignage que lui, personnellement, ignora tout ce qui s'était passé. Mais ici une autre question s'élève, au sujet de l'ivresse. Il convient, en effet, de tout examiner, afin de ne laisser à la perversité impudente aucun prétexte de calomnie. Que dirons-nous donc de cette ivresse? elle ne résulta pas pour lui autant de l'intempérance, que de la tristesse et de l'abattement.

5. Que personne donc ne se permette de condamner, soit l'homme juste, soit les filles de l'homme juste. Quelle ne serait pas notre démence, notre délire, quand nous voyons la divine Ecriture les absoudre pleinement, bien (304) plus, les justifier avec un soin si jaloux, d'aller les condamner, nous qui sommes chargés de péchés sans nombre ? Ecoutons la voix de Paul : C'est Dieu qui justifie, qui osera condamner? (Rom. VIII, 33, 34.) Et ce qui prouve que cette action ne fut pas l'effet irréfléchi d'une passion ordinaire; que l'excès de la tristesse et le vin ne lui laissèrent aucun sentiment, écoutez l’Ecriture : Le jour suivant, l'aînée dit à la cadette : Vous savez que je dormis hier avec mon père; donnons-lui encore du vin à boire, cette nuit, et vous dormirez aussi avec lui, afin que nous conservions de la race de notre père. Voyez en quelle sûreté de conscience elle faisait cette action. Puisque j'ai pu, dit l'aînée, accomplir ce que je voulais, il est nécessaire que vous aussi vous fassiez la même chose; peut-être obtiendrons-nous ce que nous désirons, et notre race ne périra pas éternellement. Elles donnèrent donc encore, cette nuit-là, du vin à leur père, et sa seconde fille dormit avec lui, sans qu'il sentît non plus, ni quand elle se coucha, ni quand elle se leva. Considérez, mes bien-aimés, que tout ce qui s'est passé là, est l'oeuvre d'une disposition divine, comme il est arrivé pour le premier homme. Il dormait, on lui prit une côte, et il ne sentit rien; celui qui avait fait cette côte, en tira l'épouse d'Adam. Le fait d'aujourd'hui est de même nature. Si la côte fut enlevée dans un moment où la pensée, par l'ordre de Dieu, ne s'en aperçut pas, en l'absence de tout sentiment pour l'homme, à bien plus forte raison en fut-il de même, pour le fait qui nous occupe. La divine Ecriture dit : Le Seigneur Dieu envoya à Adam un profond sommeil, et il dormit. (Gen. II, 21.) Elle exprime un fait du même genre par ces paroles : Sans qu'il sentît., ni quand elle se coucha, ni quand elle se leva. Ainsi, dit le texte, elles conçurent. de leur père; l'aînée enfanta un fils, et elle le nomma Moab, c'est-à-dire de mon père; c'est le père des Moabites; la seconde enfanta aussi un fils, et elle l'appela Ammon, c'est-à-dire le fils de ma race; c'est le père des Ammonites. (Gen. XIX, 36, 37, 38.) Vous voyez qu'il n'y a pas là une oeuvre de l'incontinence, puisque, tout de suite, elles donnent à leurs fils des noms qui expriment le fait; elles inscrivent dans les noms de leurs fils, comme sur des colonnes, le fait qu'elles ont accompli; elles marquent d'avance les nations qui doivent sortir de leurs enfants; elles indiquent la propagation de leur race qui formera des peuples. L'un, en effet, sera le père des Moabites, l'autre celui des Ammonites.

6. Considérons maintenant qu'à cette époque, dans ces premiers temps, où commençaient les choses, on voulait conserver sa mémoire par la succession de sa race; de là la préoccupation si forte des filles de l'homme juste. Aujourd'hui, au contraire, par la grâce de Dieu, la religion a grandi, et, comme dit le bienheureux Paul : La figure de ce monde passe. (I Cor. VII, 31.) C'est par nos bonnes oeuvres que nous devons assurer notre mé. moire, afin qu'après notre départ d'ici-bas, l'examen attentif et minutieux de notre vie, soit un exemple, un enseignement, pour tous ceux qui tourneront sur nous leurs regards. C'est qu'en effet les hommes vertueux, les hommes chastes et purs, peuvent être utiles non-seulement dans cette vie, mais après leur départ de cette vie, à ceux qui les contemplent, Voyez-en la preuve, je vous en conjure, dans le grand nombre d'années qui se sont écoulées depuis Joseph jusqu'à nos jours; dans ce qui arrive toutes les fois que nous voulons porter les hommes à la continence. C'est Joseph que nous proposons, ce beau et gracieux jeune homme,.qui, dans ,la fleur de l'âge, montre une sagesse si virile, tant de chasteté, tant de pudeur. Voilà par quels moyens nous nous appliquons à provoquer, dans ceux qui nous écoutent, l'imitation des vertus que ce juste a montrées en lui. Qui n'admirerait pas en effet ce bienheureux? il est esclave; il est dans la fleur de la jeunesse; à l'âge où la concupiscence est une fournaise plus que jamais brillante ; il voit la femme de son maître, qui se lance sur lui dans le délire de la passion, et il montre un courage héroïque, et il s'est si bien exercé aux combats de la tempérance, qu'il s'échappe hors des étreintes de cette femme aux désirs effrénés. Il s'élance loin d'elle, dépouillé de ses vêtements, mais revêtu de sa chasteté qu'il conserve. Et, à cette heure, on pouvait voir, étrange, incroyable prodige, l'agneau au pouvoir du loup, disons mieux,. sous l'ongle de la lionne, et cependant l'agneau fut sauvé. Et, comme la colombe évite la serre de ,l'aigle, ainsi ce juste échappe aux mains de cette femme. Non, je n'admire pas autant la victoire des trois jeunes hommes, triomphant de la flamme au milieu de la fournaise de (305) Babylone; je n'admire pas leur chair restée intacte, autant que j'admire, que je suis frappé d'étonnement et de stupeur, en voyant ce juste dans cette fournaise, bien plus redoutable que la fournaise de Babylone, exposé à l'incontinence, je dis l'incontinence d'une Egyptienne, et demeurant intact jusqu'au bout, et conservant sans atteinte son manteau de chasteté. Mais ne soyez pas trop étonnés, mes bien-aimés; c'est parce qu'il contribua des ressources qui étaient en lui, qu'il obtint comme auxiliaire la grâce d'en-haut, pour éteindre cet incendie, pour faire pleuvoir au milieu de la fournaise la rosée de l'Esprit-Saint. Avez-vous bien compris comment les hommes doués de vertu sont pour nous, et pendant tout le temps qu'ils restent sur la terre au milieu de nous, et après leur départ de cette vie de la plus grande utilité? Et voilà pourquoi nous avons fait paraître ce juste au milieu de vous; c'est afin que nous suivions tous son exemple. Donc, imitons-le tous, et triomphons de notre concupiscence, instruits par ces paroles: Nous avons à combattre non contre la chair et le sang, mais contre les principautés,et les puissances, contre les princes du monde de ce siècle ténébreux (Ephés. VI, 12); et, dans la pensée que nous, revêtus de notre corps, nous sommes forcés de lutter contre des puissances incorporelles, fortifions-nous des armes de l'Esprit. Voilà pourquoi le Seigneur, parce qu'il est plein de bonté pour l'homme, et parce que nous sommes revêtus de chair, et parce qu'il nous faut soutenir un combat contre des puissances invisibles, nous a préparé à nous aussi des armes invisibles. Il veut que , par ce secours, nous triomphions de tous nos ennemis. Eh bien donc ! assurés de la vertu de nos armes, contribuons des ressources qui sont en nous, et il nous sera donné, grâce à ces armes spirituelles, de frapper le démon au visage, car il ne pourra pas supporter l'éclat de notre armure; quelques efforts qu'il fasse pour nous tenir tête, il sera bien vite aveuglé. Où se montre la continence, l'honnêteté, le concours de toutes les autres vertus, là se montre promptement aussi la grâce magnifique de l'Esprit-Saint. De là, ce que disait le bienheureux Paul : Tâchez d'avoir la paix avec tout le monde, et la sainteté. (Hébr. XII, 14.) Purifions donc, je vous en conjure, notre conscience; rendons à notre âme sa pureté, de telle sorte qu'affranchis de toute souillure, nous forcions l'Esprit à nous communiquer ses dons précieux , afin de triompher des perfidies du démon, et de mériter la jouissance des biens ineffables, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père et au Saint-Esprit, la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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