HOMÉLIE XII

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DOUZIÈME HOMÉLIE. Sur des paroles : « Ceci est le livre de la création du ciel et de la verre, quand ils furent créés , au jour que Dieu fit le ciel et la terre. » (Gen, II , 4.)

 

ANALYSE.

 

1.- 2. Dans cette homélie saint Chrysostome reprend l'explication de la Genèse, et, de nouveau, développe sommairement l'histoire de la création. —  3. Il explique ensuite comment la terre demeure suspendue au-dessus des eaux, et il y reconnaît un acte de cette puissance divine , qui préserva de la flamme les trois jeunes Hébreux et qui dessécha la mer Rouge pour laisser passer les Hébreux. — 4. Il revient ensuite à son sujet, et traite de la formation de l'homme. — 5. Notre corps, dit-il, formé de limon et de poussière, nous doit inspirer une sincère humilité, et notre âme, créée à l'image de Dieu, mérite que nous lui conservions sa noblesse, en la maintenant toujours pure , et toujours sainte. — Nous pouvons y parvenir, si nous voulons imiter le zèle et les vertus de saint Jean-Baptiste et de saint Paul.

 

1. Je viens aujourd'hui remplir ma promesse, et reprendre la suite de nos précédents entretiens. Vous savez bien que telle avait toujours été mon intention, et que je me disposais à le faire, lorsque le soin de votre salut m'a obligé de traiter un sujet plus approprié à vos besoins. Et en effet, quelques-uns de nos frères prenaient occasion de leur faiblesse pour s'absenter de nos conférences spirituelles , et ils altéraient ainsi les joies de nos pieuses réunions. Je me suis donc efforcé de les ramener au bercail, par mes avis et mes exhortations, en sorte que désormais ils ne se séparent plus du troupeau de Jésus-Christ. Unis à nous par le nom et la qualité de chrétiens, ils étaient en réalité attachés aux Juifs, qui sont encore assis dans l'ombre et les ténèbres, quoique le Soleil de justice luise sur le monde. J'ai également engagé les catéchumènes qui assistent à nos réunions à se rendre dignes de la grâce du baptême , et je les conjure de secouer toute somnolence et toute paresse, afin que, par de vifs désirs et un grand empressement, ils se disposent à recevoir le don royal de la régénération. C'est ainsi qu'ils mériteront d'arriver jusqu'au Dieu qui nous accorde la rémission de nos péchés, et qui y ajoute libéralement les plus précieuses faveurs.

Je me suis encore appliqué avec un soin tout spécial à instruire ceux qui erraient touchant la célébration de la Pâque, et qui se font un grand tort en considérant ces erreurs comme peu importantes. J'ai donc placé l'appareil sur, la blessure, et j'ai prémuni nos catéchumènes contre cette fausse doctrine. Maintenant il ne me reste plus qu'à vous offrir le festin accoutumé de nos instructions. Certes je n'eusse pu, sans être vraiment répréhensible, négliger le salut de mes frères, et pour ne pas interrompre la suite de mes explications, mépriser leur faiblesse, et laisser passer le moment favorable de les reprendre. Mais aujourd'hui j'ai satisfait, selon la mesure de mes forces, à toute l'étendue de mon devoir : je leur ai distribué la parole de la doctrine; je leur ai fait connaître le trésor de la vérité, et j'ai ainsi jeté dans leurs coeurs la bonne semence. Il convient donc que j'aborde l'explication du passage de la Genèse que l'on vient de nous lire : cette explication ne pourra que vous être utile, et vous en rapporterez dans vos maisons quelques heureux fruits.

Or, voici ce passage : Ceci est le livre de la création du ciel et de la terre, quand ils furent créés, au jour que Dieu fit le ciel et la terre, et, toutes les plantes des champs, quand il n'y  (66) en avait point sur la terre, et toutes les herbes de la campagne, quand la terre n'en produisait point; car Dieu n'avait point encore répandu la pluie sur la terre, et il n'y avait point d'homme pour la cultiver. Mais il s'élevait de la terre une source qui en arrosait la surface. (Gen. II, 4, 5, 6.) Considérez ici, je vous le demande la sagesse admirable de l'écrivain sacré, ou plutôt celle de l'Esprit-Saint qui l'inspirait; car d'abord, il nous a raconté séparément chaque partie de la création, il nous a décrit les oeuvres des six jours, la formation de l'homme et le pouvoir que Dieu lui donna sur toutes les créatures, et maintenant il résume tout son récit en ces mots : Ceci est le livre de la création du ciel et de la terre, quand ils furent créés.

Peut-être ne sera-t-il pas sans intérêt d'examiner pourquoi l'Écriture appelle la Genèse le livre de la création du ciel et de la terre, quoiqu'il comprenne tant d'autres choses. Et en effet ce livre qui raconte les vertus des anciens justes, nous instruit aussi de plusieurs points de doctrine, et en particulier de la bonté de Dieu, et de son indulgence envers le premier homme et tous ses descendants. Il traite également d'un grand nombre d'autres sujets qu'il est inutile de spécifier ici. Mais ne vous en étonnez pas, mon cher frère; car habituellement l'Écriture sainte n'entre point dans de minutieux détails. Elle se contente d'exposer sommairement les principaux faits, et abandonne le reste au zèle et aux recherches de ses lecteurs. Le passage qu'on vient de lire, en est une preuve frappante. Car après nous avoir précédemment raconté en détail toutes les oeuvres des six jours, elle n'en parle plus que pour dire en général: ceci est le livre de la création du ciel et de la terre, quand ils furent créés, au jour que Dieu fit le ciel et la terre.

2. Vous voyez donc que Moïse, en ne nommant ici que le ciel et la terre, nous engage à y contempler tout l'ensemble des créatures. Et en effet il les comprend toutes sous cette désignation, tant celles qui sont dans le ciel, que celles qui sont sur la terre. Désormais il ne reprendra plus le détail de la création, et se bornera à la rappeler sommairement. C'est ainsi qu'il nomme la Genèse entière le livre de la création du ciel et de la terre, quoiqu'elle contienne beaucoup d'autres choses. Il veut donc nous apprendre à les découvrir sous ce

titre général, puisqu'en effet toutes les créatures qui existent soit dans le ciel, soit sur la terre, sont nécessairement comprises dans ce livre. Au jour, dit l'Écriture, que Dieu fit le ciel et la terre, et toutes les plantes des champs, quand il n'y en avait point sur la terre, et toutes les herbes de la campagne, quand la terre n'en produisait point. Car Dieu n'avait point encore répandu-la pluie sur la terre, et il n'y avait point d'homme pour la cultiver. Mais il s'élevait de la terre une source qui en arrosait la surface. Ces quelques paroles contiennent un trésor précieux, et je dois vous les expliquer avec beaucoup de circonspection, afin que par le secours de la grâce divine, je puisse vous faire profiter de ces richesses spirituelles.

L'Esprit-Saint qui prévoit toute la suite des siècles, a voulu dès le principe empêcher que la raison humaine ne contredît les dogmes de l'Église, et ne pervertît le véritable sens de l'Écriture. C'est pourquoi il reprend ici tout l'ordre de la création, et nous rappelle d'abord les oeuvres du premier et du second jour; et puis il nous dit comment au troisième la terre, par l'ordre du Seigneur, fit éclore ses diverses productions sans le concours du soleil qui n'existait pas, et sans l'influence de la pluie, ni le travail de l'homme. Car celui-ci n'avait pas encore été formé. Ainsi la répétition de ces détails a pour but de réprimer l'audace de nos imprudents critiques. Relisons donc ce passage : Au jour que Dieu fit le ciel et la terre, et toutes les plantes des champs, quand il n'y en avait point sur la terre, et toutes les herbes de la campagne, quand la terre n'en produisait point. Car Dieu n'avait point encore répandu la pluie. sur la terre, et il n'y avait point d'homme pour la cultiver: Mais il s'élevait de la terre une source qui en arrosait la surface.

L'Écriture nous révèle donc que soudain, à la parole et à l'ordre du Seigneur, toutes les créatures sortirent du néant, et reçurent l'existence. Alors la terre enfanta les plantes des champs, et sous ce nom sont comprises toutes ses diverses productions; mais au sujet de la pluie, la même Écriture observe que Dieu ne l'avait pas encore répandue sur la terre, c'est-à-dire qu'il ne l'avait pas encore fait tomber du haut du ciel. Enfin elle nous prouve que la terre ne devait point sa fécondité au travail de l'homme, puisqu'il n'y avait point d'homme pour la cultiver. Apprenez, nous dit-elle, et n'oubliez point quelle est l'origine de toutes (67) les productions de la terre, et ne croyez pas qu'elles soient le résultat des soins de l'homme, ni le fruit de ses travaux. La terre les a enfantées à la parole et à l'ordre du Créateur. Concluons donc que pour faire germer les herbes et les plantes, la terre n'a nul besoin du concours des autres éléments, et que le commandement du Créateur lui suffit.

Mais voici un nouveau prodige plus étonnant encore. Le même Dieu dont la parole a communiqué à la terre une si merveilleuse fécondité, et dont la puissance surpasse toute intelligence humaine, a établi au-dessus des eaux la masse immense et le poids énorme du monde. C'est ce que nous apprend le Psalmiste par ces mots : Il a étendu la terre sur les eaux. (Ps. CLXXV, 6.) L'homme peut-il percer ce mystère? Car dans la construction d'un édifice, on creuse d'abord les fondements, et si l'on rencontre quelques veines d'eaux, on les épuise avant que d'asseoir les premières assises du bâtiment. Mais le Créateur agit tout différemment pour montrer son ineffable puissance, et nous prouver qu'à son ordre les éléments produisent des effets contraires à leurs phénomènes habituels.

3. Je m explique par un exemple, afin que vous compreniez mieux ma pensée, et puis jè reprendrai la suite de mon sujet. Sans doute il est contre la nature des eaux de porter un poids aussi pesant que celui de la terre; et il est contre la nature de-la terre de reposer solidement sur un corps fluide. Mais pourquoi nous en étonner? quelle que soit en effet la créature que vous étudiez avec soin, vous y découvrirez l'action de la puissance immense du Créateur, et vous vous convaincrez qu'il gouverne toutes choses par sa volonté. Voyez le feu : cet élément dévore tout, et il consume aisément les corps les plus durs : le bois, les pierres et le fer. Mais quand Dieu l'ordonne, il ne blesse même pas les corps les plus tendres : et c'est ainsi qu'il respecta les trois jeunes hébreux dans la fournaise ardente. .(Dan. III.) Mais le prodige s'étendit encore, car cet élément privé de raison se montra envers eux plus obséquieux qu'on ne saurait le dire. Non-seulement il ne toucha pas à leur chevelure, mais il semblait encore les entourer et les presser amicalement; il retint donc son activité naturelle pour ne déployer que sa pleine et entière obéissance aux ordres du Seigneur, et il conserva sains et saufs ces admirables enfants qui marchaient au milieu des flammes avec autant de sécurité que dans une prairie émaillée de fleurs.

Au reste, afin que l'on ne crût pas que ce feu matériel fût dénué de toute action, le Seigneur voulut bien lui conserver son activité. Seulement il la suspendit à l'égard de ses serviteurs qui en triomphèrent, et qui n'en furent nullement atteints. Quant aux soldats qui avaient jeté les jeunes hébreux dans la fournaise, ils connurent combien est grande la puissance du Seigneur, car le feu exerça à leur égard toute sa violence; et le même élément, qui, au dedans de la fournaise, se courbait doucement au-dessus des trois enfants, sévit au dehors et consuma les satellites du tyran. Vous voyez donc comment Dieu change à son gré les propriétés des éléments. C'est qu'il les a créés, et qu'il en dispose selon sa volonté. Voulez-vous encore que je vous montre le même prodige par rapport aux eaux ? Le feu, je l'ai dit, respecta les trois enfants de la fournaise, et ne leur fit aucun mal. oubliant ainsi à leur égard toute sa violence, Mais il dévora leurs bourreaux, et déploya contre eux son inflexible activité; et de même les eaux de la mer submergent les uns , et se retirent devant les autres pour leur laisse: un libre passage. Je fais ici allusion d'un côté à Pharaon et aux Egyptiens, et de l'autre aux Israélites. Ceux-ci, selon l'ordre du Seigneur, et sous la conduite de Moïse, traversèrent la mer Rouge à pied sec; et ceux-là, qui voulurent avec Pharaon s'engager dans la même voie, furent engloutis sous les flots. C'est ainsi que les éléments respectent les serviteurs de Dieu, et que pour eux ils suspendent leur activité naturelle.

Instruisons-nous donc, nous, hommes irascibles et violents, et nous aussi qui, lâchement assujettis à mille autres passions, compromettons le succès de notre salut. Nous avons la raison en partage, et nous ne saurions imiter l'obéissance de ces éléments irraisonnables. Car si le feu, le plus actif et le plus violent de tous, a bien pu respecter des corps tendres et délicats, quelle sera l'excuse de l'homme qui, dédaignant les préceptes divins , refuse de dompter sa colère, et d'étouffer à l'égard de ses frères les sentiments d'un coeur ulcéré. Mais ici, ce qui est vraiment étonnant, c'est que le feu, qui brûle avec tant de violence, suspende son activité, et que l'homme, être (68) raisonnable, doux et bienveillant, agisse contre sa nature, et par sa négligence, imite dans ses mœurs la férocité des bêtes farouches.

Aussi l'Écriture, pour désigner les diverses passions qui dominent en nous, donne-t-elle à l'homme doué de raison le nom de différents animaux. C'est ainsi que, dans son langage, le mot chien indique l'impudence et la violence. Ce sont des chiens muets, et qui ne savent pas aboyer. (Is. LVI, 10.) Le cheval représente l'effervescence de la volupté : Ils sont devenus comme des chevaux qui courent et qui hennissent après les cavales : chacun d'eux a poursuivi la femme de son prochain. (Jérém. V, 8.) Quelquefois l'âne marque la grossièreté et la stupidité du pécheur : L'homme est comparé aux animaux qui n'ont aucune raison, et il leur est devenu semblable. (Ps. XLVIII, 13.) Tantôt elle nomme les hommes lions et léopards par allusion à leurs appétits féroces et voraces, et tantôt aspics à cause de leur esprit fourbe et trompeur. Leurs lèvres, dit le Psalmiste, recèlent le venin de l'aspic. (Ps. CXXXIX, 4.) Enfin elle les assimile au serpent et à la vipère, en raison du poison caché de leur malignité. Aussi. 1e saint précurseur disait-il aux pharisiens : Serpents, et race de vipères, qui vous a montré à fuir la colère qui s'approche ? (Matth. III, 7.) L'Écriture donne encore aux hommes d'autres noms, afin de caractériser leurs différentes passions, et les rappeler par une honte salutaire au sentiment de leur noblesse. Ah! Puissent-ils ne pas dégénérer de leur origine, et préférer la loi du Seigneur à ces passions criminelles qui les ont entraînés dans le péché !

4. Mais je ne sais comment je me suis écarté de mon sujet. J'y rentre donc, et j'aborde les diverses instructions que renferme le récit de l'écrivain sacré. Après avoir dit : Ceci est le livre de la création du ciel et de la terre, il nous raconte en détail la formation de l'homme; sans doute, il nous avait déjà appris que Dieu avait fait l'homme, et qu'il l'avait fait à son image; mais ici il s'exprime plus explicitement : Dieu, dit-il, forma l'homme du limon de la terre, et il répandit sur son visage un souffle de vie, et l'homme eut une âme vivante. (Gen. II, 7.) Combien ces paroles sont grandes et admirables ! et combien elles surpassent notre intelligence ! et Dieu forma l'homme du limon de la terre. En parlant de toutes les créatures visibles, je vous disais que souvent le Créateur, pour montrer sa toute-puissance, agissait contrairement aux lois de la nature, et nous trouvons la même conduite dans la création de l'homme. C'est ainsi qu'il a établi la terre au-dessus des eaux, ce qu'en dehors de la foi notre raison ne saurait concevoir. C'est ainsi encore qu'à son ordre tous les éléments produisent des effets opposés à leur nature. L'Écriture nous apprend quelque chose de semblable dans la formation de l'homme, en nous disant que Dieu le forma du limon de la terre.

Que dites-vous? quoi ! Dieu a pris un peu de terre, et en a formé l'homme l Oui, il en est ainsi; Moïse nous l'assure; et même il ne se contente pas de dire que Dieu prit de la terre, mais du limon, c'est-à-dire tout ce qu'il y a de plus vil et de plus méprisable. Véritablement, on serait tenté de taxer ce récit de fable et de paradoxe; mais dès qu'on se rappelle quel est l'auteur de ces merveilles, on les croit aisément, et l'on adore humblement la puissance du Créateur. Car si vous voulez mesurer les oeuvres divines à la faiblesse de vos pensées, et les scruter curieusement il vous paraîtra bien plus naturel qu'on forme du limon de la terre une brique ou un vase que le corps de l'homme. Vous le voyez donc, pour comprendre toute la sublimité du langage de Moïse, il nous faut le méditer attentivement, et réprimer l'infirmité de la raison. Car, l'oeil de la foi peut seul découvrir ces merveilles, quoique l'historien sacré ait proportionné sa parole à la faiblesse de notre intelligence. Et en effet, lorsqu'il nous dit que Dieu forma l'homme, et qu'il répandit sur lui un esprit de vie, ne semble-t-il pas descendre dans un détail indigne de la majesté divine? mais l'Écriture s'exprime ainsi par condescendance pour notre faiblesse, et elle s'abaisse jusqu'à la petitesse de notre esprit pour l'élever ensuite jusqu'à la sublimité de ses révélations.

Et Dieu , prenant du limon , en forma l'homme. Certes , si nous voulons la comprendre, voilà une grande leçon d'humilité. Car, si nous réfléchissons sur l'origine de l'homme l'orgueil le plus superbe s'abaisse soudain, et la pensée de notre néant nous enseigne la modestie et l'humilité. Aussi, est-ce par un effet de- sa providence à l'égard de notre salut que Dieu a inspiré à Moïse ce style et ce langage. Car déjà il avait dit que Dieu (69) avait formé l'homme à son image, et qu'il lui avait donné l'empire sur toutes les créatures visibles. Mais ici, craignant que ce même homme ne s'enflât d'orgueil, et qu'il ne transgressât les limites d'une humble dépendance, s'il ignorait entièrement son origine, l'Ecriture reprend le récit de sa création, et décrit en détail la manière dont il a été formé. Elle lui apprend donc qu'il a été formé de la terre, et de la même matière que les plantes et les animaux, au-dessus desquels il ne s'élevait que par l'âme, substance simple et immatérielle. Mais il tenait cette âme de la bonté divine, et elle était en lui le principe de la raison, et celui de son empire sur toutes les autres créatures. Malgré cette connaissance si explicite de son origine, le premier homme se laissa tromper par le serpent, et il s'imagina que lui, qui avait été formé du limon de la terre , pourrait devenir semblable à Dieu. Mais si Moïse n'eût ajouté à son premier récit des détails aussi précis, dans quelles extravagances ne serions-nous pas tombés !

5. C'est ainsi que l'histoire de notre origine est pour nous une grande leçon d'humilité. Et Dieu, dit l'Ecriture, forma l'homme du limon de la terre; et il répandit sur son visage un souffle de vie. Moïse parlait à des hommes qui n'eussent pu le comprendre, s'il ne se fût servi d'un langage aussi simple et aussi grossier. Il nous apprend donc que cet homme, formé du limon de la terre, reçut de la libéralité divine une âme essentiellement raisonnable, et qu'il devint ainsi un être parfait. Et Dieu, dit-il, répandit sur le visage de l'homme un souffle de vie. C'est ainsi qu'il désigne l'âme qui est dans l'homme, formé du limon de la terre, le principe de la vie, de l'action et du mouvement. Aussi, ajoute-t-il immédiatement: Et l'homme devint vivant et animé; cet homme, dit-il, formé du limon de la terre, reçut un esprit de vie, et devint vivant et animé. Qu'est-ce à dire, vivant et animé? C'est dire que l'homme était maître de ses actions, et qu'en lui les membres du corps étaient soumis à la volonté de l'âme.

Mais je ne sais comment nous avons renversé ce bel ordre. Hélas ! notre malice est si grande que nous forçons notre âme à obéir aux passions de la concupiscence. Cette âme née pour régner et pour commander est donc détrônée de nos propres mains, et nous la courbons sous l'esclavage des plaisirs de la chair, méconnaissant ainsi sa noblesse et son éminente dignité. Car, je vous en prie, reportez vos souvenirs sur la formation de l'homme, et demandez-vous ce qu'il était. avant que Dieu eût répandu sur lui un esprit de vie, et qu'il fût devenu vivant et animé. Il n'était qu'un corps inerte, pesant et inutile. C'est donc uniquement ce souffle de vie que Dieu répandit sur lui, qui l'éleva à l'honneur de devenir un être vivant et animé. Au reste, il est facile de le comprendre, et par ce récit de la Genèse, et par ce qui arrive chaque jour sous nos yeux. Dès que l'âme est séparée du corps, celui-ci devient un objet hideux et repoussant. Que dis-je, hideux et repoussant? il est effrayant, fétide et difforme. Et cependant, lorsque l'âme y réside, ce même corps est beau, agréable et aimable. De plus, il participe à la prudence de l'âme, et exécute ses ordres avec une rare dextérité.

Convaincus de ces vérités et pénétrés du sentiment de la dignité de notre âme, évitons tout ce qui pourrait la déshonorer. Craignons donc de la souiller par le péché, et ne la réduisons pas sous l'esclavage de la chair. Ah ! ce serait être trop cruel et trop inhumain envers une créature si élevée en noblesse et en honneur. C'est par notre âme que, malgré les entraves du corps, nous pouvons, avec une volonté ferme et le secours de la grâce, ressembler aux vertus célestes et immatérielles. Oui, quoique attachés à la terre, nous pouvons vivre en quelque sorte dans le ciel, égaler ces pures intelligences, et même les surpasser. Mais comment y parvenir? Le voici : lorsque dans un corps mortel nous réalisons une vie tout angélique, nous nous élevons devant Dieu à un degré de mérite supérieur à celui des anges, parce qu'au milieu des tristes nécessités du corps, nous conservons intacte la noblesse de notre âme.

Eh ! qui jamais, me direz-vous, est arrivé à cette perfection? je ne m'étonne pas que la chose nous paraisse impossible, tant notre vertu est faible ! mais voulez-vous vous convaincre du contraire, rappelez à votre souvenir les saints qui, depuis l'origine du monde jusqu'aux temps présents, se sont rendus agréables aux yeux du Seigneur. Faut-il nommer ici Jean-Baptiste, l'enfant de la stérilité et l'habitant du désert, ou Paul, le docteur des nations, et cette fouie innombrable d'élus qui étaient de même nature que nous, et sujets (70) aux mêmes infirmités du corps. Leurs exemples vous prouvent que cette haute vertu ne nous est pas impossible, et ils nous animent à profiter pour l'acquérir de toutes les occasions que le Seigneur nous ménage. Et en effet, il connaît notre faiblesse, et le penchant qui nous entraîne vers le mal. C'est pourquoi il nous a laissé dans les saintes Écritures des remèdes aussi efficaces qu'abondants, et il ne dépend que de nous de les appliquer sur nos blessures. De plus, il met sous nos yeux la vie des saints . comme une pressante exhortation à la vertu. Gardons-nous donc de négliger nos devoirs; mais fuyons le péché, et ne nous rendons point indignes des biens ineffables du ciel. Puissions-nous les obtenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'empire et l'honneur, maintenant, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

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