DISCOURS III

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TROISIÈME DISCOURS. Sur ces mots : « A notre ressemblance (Gen. I, 26) ; » et pourquoi malgré ce que Dieu nous a dit d'exercer notre empire sur les animaux, nous n'avons pas cet empire, et qu'il y a là une preuve de la grande sollicitude de Dieu à notre égard.

 

ANALYSE.

 

1. Ceux qui cherchent des perles descendent jusqu'au fond de la mer; que les amateurs des perles spirituelles descendent donc aussi dans les profondeurs des saintes Ecritures. — 2. Les Gentils nous objectent qu'il n'est pas vrai que l'homme domine sur les animaux. Mais nous répondons que l'homme exerce encore cette domination, et que d'ailleurs les choses ne sont plus aujourd'hui dans l'état où Dieu les avait mises au commencement.

 

1. De même que le semeur ne fait rien d'utile, s'il jette les semences à travers le chemin, de même celui qui parle, ne produira aucun fruit, si son discours n'arrive pas jusqu'à la pensée de l'auditeur; le bruit de sa voix perdu dans l'air, ne sera, pour lui, d'aucune utilité. J'aimes raisons de vous parler ainsi : je ne veux pas qu'il vous suffise de laisser vos oreilles ouvertes aux pensées faciles, mais je veux que vous attaquiez d'une manière active les pensées plus profondes. En effet, si nous ne nous empressons pas de descendre dans les profondeurs des Ecritures, quand nos membres sont encore agiles pour la natation, quand notre vue est encore perçante, quand nous n'avons pas encore le vertige que cause le tourbillon des voluptés, quand le souffle de notre poitrine est assez puissant pour ne pas craindre de suffocation, quand donc y descendrons-nous? est-ce quand nous serons alourdis par les plaisirs, la bonne chair, l'ivresse; gorgés de nourriture? mais alors, c'est tout au plus si nous pouvons nous mouvoir, tant le poids des voluptés est pour l'âme un pesant , fardeau. Ne voyez-vous pas que ceux qui sont jaloux de découvrir des pierres précieuses, ne s'amusent pas à rester assis sur le rivage, à compter les flots qui passent? ils plongent dans les abîmes profonds, quelle que soit la fatigue d'une pareille recherche, quels qu'en soient les périls, et, quand on a trouvé ce qu'on voulait trouver, si mince que soit le profit. En effet, quelle grande utilité peut avoir, pour nous, cette découverte de pierres précieuses? si encore ce n'était pas la cause de calamités sans nombre ! Rien, en effet, n'excite plus de bouleversement, plus de confusion, que la soif délirante des richesses ; mais enfin, ceux dont je parle, s'exposent, corps et âme, pour gagner leur vie de chaque jour, et se livrent courageusement aux flots. Ici, chez nous, il n'y a ni dangers ni grandes fatigues; la fatigue est peu de chose, et on s'y soumet pour conserver précieusement ce qu'on a trouvé ; car ce qu'on trouve sans peine, semble au vulgaire avoir peu de valeur. Dans la mer de l'Ecriture il n'y a pas de tempête; il n'est pas de port qui soit plus calme que cette mer, et il n'est pas nécessaire de se précipiter dans les replis des abîmes obscurs, ni d'abandonner son salut à la violence des flots aveugles. Ici, au contraire, resplendit la pleine lumière, plus brillante, de beaucoup, que les rayons du soleil, la sérénité parfaite; aucun orage à craindre, et tel est le prix de ce qu'on découvre, qu'aucune parole ne saurait l'exprimer. Donc, ne nous laissons pas (450) abattre par la fatigue, et mettons-nous à notre recherche. Vous avez entendu que Dieu a créé l'homme à son image et nous vous avons dit que ces mots, à son image et ressemblance, n'exprimaient pas une comparaison de substances, mais la ressemblance de la domination. Allons plus loin maintenant: A notre ressemblance, cela veut dire : qu'il faut que l'homme ait la douceur et la mansuétude, qu'il se rende, par la vertu, dans la mesure de ses forces, semblable à Dieu, selon ce que dit le Christ : Soyez semblables à mon Père qui est dans les cieux. (Matth. V, 45.) En effet, de même que, sur la vaste étendue de notre terre, il y a. des animaux, les uns plus dépourvus d'intelligence, les autres plus féroces; ainsi, dans les plaines de notre âme, se trouvent certaines pensées, les unes plus dépourvues de raison, les autres plus féroces et plus cruelles ; donc, il faut les soumettre, les dompter, donner à la raison la mission de les dominer. Mais, me dira-t-on, soumettre une pensée sauvage et féroce, est-ce possible? Que demandez-vous, ô homme? Nous soumettons des lions, nous apprivoisons leurs âmes, et vous ne savez pas s'il est possible d'adoucir la férocité de vos pensées ? Voyez donc : la férocité est naturelle au lion, la douceur est une exception contraire à sa nature; tandis que, chez vous, la bonté est naturelle, c'est la férocité qui est contraire à votre nature. Eh bien ! vous qui chassez, de l'âme d'une bête, ce qui lui est naturel, pour y insérer ce qui est contraire à votre nature, vous ne pourrez pas dans votre âme, à vous, conserver ce qui est conforme à votre nature? Comment ne pas voir là une honteuse indifférence ? Car, en ce qui concerne l'âme du lion, outre la difficulté que je viens de dire, il en est une autre. En effet l'âme de la bête n'est pas capable de raisonnement, et cependant vous avez vu souvent des lions, plus doux que des brebis; conduits sur les places publiques; on en voit un grand nombre dans les boutiques , compter de l'argent à leur   gardien comme pour le payer de l'adresse, de l'habileté avec laquelle il a su apprivoiser un être dépourvu de raison. Mais, dans votre âme, il y a, et la raison, et la crainte de Dieu, et mille ressources d'un grand secours. Cessez donc d'opposer des prétextes et des excuses; vous pouvez, si vous voulez, devenir doux et bons. Faisons l'homme à notre image et ressemblance et qu'il domine sur les animaux.

2. Ici, les Gentils nous attaquent, et prétendent que nous sommes dans l'erreur; que nous ne commandons pas aux animaux, que ce sont eux qui nous commandent par l'épouvante' qu'il nous inspirent; rien n'est plus contraire à la vérité. Il suffit à l'homme de montrer sa face aux animaux, pour leur faire prendre la fuite, tant est grande la terreur que nous leur inspirons. S'il arrive que, pour se venger, ou encore parce que la faim les presse, ou encore parce que nous les réduisons à quelque extrémité , parce que nous leur faisons violenté, ils se jettent sur nous, on ne peut pas dire, en vérité, pour ces raisons, qu'ils nous dominent. Supposez un homme qui s'arme à la vue des brigands fondant sur lui, un homme qui s'apprête à se défendre, on n'appellera pas cela de la domination, mais le soin de sa propre défense. Cependant je ne tiens pas à cette observation, j'en veux une autre qu'il vous sera utile d'entendre. Nous craignons les animaux, ils nous épouvantent, et nous sommes déchus de notre domination; je n'en disconviens pas; je m'empresse, au contraire, de le reconnaître, Ce fait pourtant ne prouve pas que la loi de Dieu soit trompeuse. Les choses, en effet, ne se passaient pas, ainsi, dans le principe. Alors les animaux craignaient l'homme; et tremblaient devant lui, et se soumettaient à lui, comme à leur maître; mais, parce que nous avons perdu la confiance que l'innocence nous donnait, parce que nous sommes déchus, il nous est arrivé qu'aujourd'hui, nous redoutons les animaux. La preuve ? Dieu amena les animaux devant Adam, pour voir comment il les appellerait. (Gen. II, 19) Et Adam ne sauta pas en arrière comme effrayé, mais il donna, à tous les animaux, leur, nom, comme à des serviteurs rangés sous sa loi; voilà la marque de la domination. C'est pourquoi Dieu, voulant manifester la dignité de l'homme, par cette prérogative, lui permit d'imposer les noms qu'il voudrait, et les noms imposés par Adam, leur sont restés depuis ces temps anciens. Et le nom qu'Adam donna à chacun des animaux est son nom véritable. Voilà donc une première preuve, qui montre qu'au commencement, l'homme ne craignait pas les animaux. En voici une seconde, plus claire encore que la première, l'entretien de la femme avec le serpent. Si les animaux eussent paru redoutables au premier homme, la femme, à la vue du serpent, ne serait pas restée près de lui; elle (451) aurait pris la fuite; elle n'aurait pas écouté son conseil; elle n'aurait pas conversé si tranquillement avec lui; tout de suite, épouvantée à son aspect, elle aurait pris la fuite. Au contraire, elle converse avec lui, et elle ne le craint pas, parce qu'il n'inspirait pas encore l'épouvante. Mais, quand le péché fut entré dans le monde, notre privilège nous fut enlevé; de même que, parmi les serviteurs, les plus honnêtes, les plus distingués, sont redoutés de leurs compagnons, tandis que ceux qui ont offensé leur maître, craignent ces compagnons de leur domesticité; de même, tant que l'homme conserva intacte la vertu qui faisait sa confiance auprès de Dieu, il fut terrible aux animaux; mais dès qu'il eut offensé Dieu, il commença à redouter même le dernier de ses compagnons d'esclavage. S'il n'en est pas ainsi, montrez-moi donc, avant le péché, les animaux redoutés par l'homme; impossible à vous.

Si la crainte est venue après le péché, c'est encore là une preuve de la sollicitude de Dieu pour nous; car, si, après l'infraction à la loi de Dieu, l'homme eût conservé intact l'honneur que Dieu lui avait conféré, il ne lui aurait pas été facile de se relever de sa chute. Quand on voit la désobéissance et l'obéissance jouir des mêmes honneurs, la perversité s'accroît et l'on ne se corrige pas facilement de ses vices. Si les méchants, malgré leur terreur, les châtiments et les supplices imminents; ne viennent pas à résipiscence, que serait-il, qu'arriverait-il s'ils n'avaient rien à souffrir pour leurs méfaits ? Ainsi, en nous enlevant notre domination , Dieu nous a montré, d'une manière particulière, sa sollicitude pour nous. Ce n'est pas tout. Voyez encore éclater ici son ineffable bonté; Adam a violé tout à fait la défense, transgressé tout à fait la loi; mais Dieu ne lui a pas enlevé tout à fait son privilège ; il ne lui a pas repris tout à fait son pouvoir; il s'est contenté de supprimer son empire sur les animaux qui ne lui sont pas d'un grand secours pour les besoins de la vie. Quant à ceux qui nous sont nécessaires, utiles, qui nous rendent de grands services, Dieu a permis qu'ils nous fussent assujettis. Il nous a laissé les troupeaux de boeufs, pour tirer la charrue, pour creuser nos sillons, pour ensemencer la terre; il nous a laissé ceux qu'on met sous le joug, pour porter avec nous nos fardeaux, et partager nos fatigues ; il nous a laissé les troupeaux de brebis, pour nous fournir nos vêtements à suffisance; il nous a laissé d'autres espèces d'animaux, qui nous sont d'une grande utilité, pour différents besoins. Sans doute en punissant l'homme, Dieu avait dit : Vous mangerez votre pain à la sueur de votre front (Gen. III, 19), mais Dieu n'a pas voulu que cette sueur, que la fatigue, que la peine fût insupportable; et cette sueur importune, ce labeur pesant, il en adoucit le poids par la multitude des bêtes de somme qui travaillent avec nous, et partagent nos fatigues.

Comme un maître clément et sage, après avoir flagellé son serviteur, prend soin d'adoucir la souffrance causée par les verges, ainsi, après que Dieu eut infligé à l'homme coupable son châtiment, il a voulu, par tous les moyens, rendre ce châtiment plus léger; en nous condamnant pour toujours, à la sueur et au travail, il a pourvu à ce que notre travail fût soulagé par un grand nombre d'animaux. Pour toutes ces choses, bénissons le Seigneur. L'honneur qu'il nous a conféré, qu'il nous a enlevé plus tard, sans nous l'enlever tout entier, la frayeur qu'il nous a inspirée à l'égard des animaux, tout ce que Dieu a fait, révèle, à un esprit attentif, la grandeur de sa sagesse, la grandeur de sa sollicitude, la grandeur de sa clémente. Puissions-nous tous jouir éternellement, de cette clémence, pour la gloire du Dieu quia si bien fait toutes ces choses ! A lui la gloire, dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

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