SIXIÈME DISCOURS. De l'arbre du paradis. Est-ce de cet arbre
qu'Adam a tiré la connaissance du bien et du mal, ou, même avant de manger du fruit,
était-il doué de la faculté de faire ce discernement ? Réflexions sur le jeûne;
il faut méditer à la maison, sur les paroles entendues dans l'église. (Gen. II, 17 et suiv.)
ANALYSE.
1. Combien il est plus utile d'assister aux assemblées de l'Église,
qu'aux assemblées profanes. Nous avons promis de parler de l'arbre, dit de la science du
bien et du mal; nous dirons hardiment que le premier homme connaissait le bien et le mal
avant de manger du fruit défendu. 2. Epilogue moral.
1. J'aime la quarantaine du jeûne, parce
que c'est la mère de la tempérance, la source de toute sagesse; je l'aime encore à
cause de vous, à cause de votre affection; parce qu'elle me ramène votre sainte et
vénérable réunion,; parce qu'elle me donne de revoir vos
visages bien-aimés; parce qu'elle me permet de jouir, dans l'abondance de la joie, de
cette belle et brillante assemblée , de cette heureuse fêté. Oui, brillante assemblée,
heureuse fête, tous les noms les plus beaux et les plus doux conviennent à cette
réunion qui vous ramène auprès de nous. Si un homme, sur la place publique, rencontrant
un ami, un seul, oublie souvent tous ses chagrins, nous, qui ne vous rencontrons pas sur
la place publique; mais dans l'église, qui ne voyons pas ici, par hasard seulement, un
ami, mais tant de frères et de pères, et quels pères, quels frères ! comment n'oublierions-nous pas tous nos chagrins? comment
ne goûterions-nous pas toutes les délices d'une vraie joie? Ce n'est pas le grand nombre
seulement qui rend cette assemblée meilleure que les réunions dans les places publiques,
c'est aussi la nature de nos entretiens. En effet, dans les places publiques
, on se trouve ensemble, on s'assied en cercle, et souvent la conversation s'engage
sur des sujets frivoles, ce sont de froids entretiens, et le bruit des mots sur des
affaires qui n'ont aucun intérêt ; car c'est assez souvent la coutume de s'occuper
inutilement, de prendre un soin très-curieux, très-passionné, des affaires d'autrui. La pente est glissante, il
est dangereux dé débiter , d'écouter des paroles de ce
genre; souvent il en est résulté des tempêtes dans les familles; je n'insiste pas.
Assurément, que ces conversations du monde soient inutiles et froides, qu'elles laissent
peu de place à des entretiens spirituels, c'est ce que personne ne contestera. Il n'en
est pas de même ici, c'est tout le contraire: tout entretien inutile est banni; la
doctrine, l'enseignement spirituel se montre seul au milieu de nous; nous parlons ensemble
de notre âme, des biens qui conviennent à notre âme, des couronnes mises en réserve
dans le ciel, des hommes dont la vie a été, glorieuse, de la bonté de Dieu, de sa
providence, qui s'étend sur toutes choses, enfin de tous les sujets qui nous intéressent
le plus; pourquoi sommes-nous venus en ce monde, et quelle sera, quand nous partirons
d'ici-bas, notre condition; en quel état serons-nous à ce moment? Et cette réunion ne
se compose pas de nous seulement, mais prophètes et apôtres y ont leurs places au (463)
milieu de nous; et, ce qui dépasse tout ce qu'il y a de plus grand, le Seigneur même, le
Maître du monde, se tient au milieu de nous, Jésus ! Il le dit lui-même : En
quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je m'y trouve
au milieu delles. (Matth. XVIII, 20.) S'il est vrai
que, par, tout où deux ou trois personnes sont réunies, Jésus se trouve au milieu
d'elles, à bien plus forte raison se trouve-t-il où sont rassemblés tant d'hommes, tant
de femmes, tant de pères, et d'apôtres et de prophètes.
C'est ce qui augmente notre zèle à vous
parler; voilà notre force, et, maintenant, il faut que nous vous payions notre dette.
Nous vous avons promis de vous parler d'abord de l'arbre du paradis, si c'est de cet arbre
qu'Adam a tiré la connaissance du bien et du mal, ou si, même avant de manger du fruit,
il était doué de la faculté de faire ce discernement. Ayons confiance et disons, dès
maintenant, sans hésiter, que , même avant de manger du
fruit, Adam savait discerner le bien du mal. En effet, s'il n'avait pas su ce qui est
bien, ce qui est mal, il aurait été plus dépourvu de raison que -les êtres sans
raison; le maître aurait eu moins d'intelligence que les
esclaves. Voyez donc l'absurdité : des chèvres, des brebis savent quelle plante leur est
utile, quelle autre leur est nuisible; elles ne s'attachent pas indifféremment à toutes
celles qu'elles voient, elles discernent, elles connaissent très-bien
ce qui, d'une part, leur est nuisible, ce qui, d'autre part, leur est utile, et l'homme
aurait été privé d'une faculté nécessaire à sa sûreté? S'il n'en eût pas été
doué, il n'aurait eu aucune valeur, il aurait été au-dessous de tous les animaux; il
aurait cent fois mieux valu pour lui vivre dans les ténèbres, aveugle, privé de la
lumière, que de ne pas connaître ce qui est bien, ce qui est mal. Supprimez de notre
vie, cette faculté, vous ruinez notre vie tout entière, ce n'est plus que bouleversement
et confusion partout; c'est là en effet ce qui nous distingue des animaux sans raison,
c'est là ce qui nous rend supérieurs aux bêtes : connaître ce que c'est que le
vice, ce que c'est que la vertu, reconnaître ce qui est mal, ne pas ignorer ce qui est
bien. Si nous avons cette connaissance aujourd'hui, non pas nous seulement, mais et les
Scythes et les barbares, certes, à plus forte raison, le premier homme la possédait
avant le péché; quand il était comblé de tous les honneurs qui conviennent à l'image
et à la ressemblance de Dieu, quand il avait été enrichi de tant de bienfaits, il
n'était pas privé du premier de tous les biens. La connaissance du bien et du mal n'a
été refusée qu'à ceux à qui la nature n'a pas donné l'intelligence et la raison.
Adam, au contraire, possédait l'abondance de la sagesse, et pouvait discerner
l'opposition du bien et du mal; ce qui prouve qu'il possédait l'abondance de la sagesse
spirituelle, c'est l'Ecriture; écoutez la démonstration : Dieu amena, dit le
texte, les animaux devant Adam afin qu'il vît comment il les appellerait, et le nom
qu'Adam donna à chacun des animaux est son nom véritable. (Gen.
II, 19.) Considérez de quelle sagesse était rempli celui qui, à tant d'espèces si
variées, à tant de genres si divers, bêtes de somme, reptiles, oiseaux, a pu donner
tous les noms, et les noms propres. Dieu approuva ces noms, sans réserve, au point qu'il
ne les changea pas, même après le péché. Et le nom qu'Adam donna, dit le texte,
à chacun des animaux, est son nom véritable.
2. Eh bien ! donc,
ignorait-il ce que c'est que le bien, ce que c'est que le mal? Qui pourrait le prétendre?
Autre preuve : Dieu conduisit la femme auprès de lui, et, tout de suite, à son aspect,
il reconnut sa compagne, et que dit-il? Voilà maintenant l'os de mes os et la chair de
ma chair. (Ibid. 23. ) Peu d'instants auparavant, Dieu lui
avait amené tous les animaux; Adam veut montrer que la femme ne doit pas être confondue
avec les autres êtres animés, il dit : Voilà maintenant l'os de mes os et la chair
de ma chair. Il est vrai que quelques interprètes prétendent qu'Adam ne se borne pas
ici à indiquer cette pensée , qu'il exprime , en outre, de quelle manière la femme a
été créée; qu'il veut faire entendre que la femme ne naîtra pas une seconde fois de
la même manière; que c'est pour cette raison qu'il dit : Voilà maintenant,
parole qu'un autre interprète explique ainsi: Voilà pour cette fois, comme si
Adam disait : Voilà maintenant, pour cette fois seulement, que la femme a été tirée de
l'homme seul, mais dans la suite, il n'en sera pas de même, elle naîtra des deux. L'os
de mes os et la chair de ma chair. En effet, Dieu ayant pris, de l'homme tout entier,
un fragment, a formé la femme de cette manière , afin
d'établir sa parfaite communauté avec son mari; celle-ci s'appellera (464) d'un
nom qui marque l'homme, dit-il, parce qu'elle a été prise de l'homme.
Voyez-vous de quel nom Adam l'appelle, afin que ce nom nous enseigne la communauté de
nature, et que cet enseignement qui démontre la communauté de nature, et la manière
dont la femme a été créée, soit le fondement d'une affection durable et le lien de la
concorde? Ensuite que dit-il? C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et
s'attachera a sa femme. (Gen.
II, 24.) Il ne dit pas simplement s'unira, mais s'attachera, pour signifier l'union la
plus étroite. Et ils seront deux dans une seule chair. Eh bien ! comment celui qui savait tant de choses, pouvait-il ignorer,
répondez-moi , je vous en prie, ce qu'était le bien, ce qu'était le mal? Qui pourra le
prétendre avec une apparence de raison? Si Adam ne distinguait pas le bien du mal, avant
d'avoir mangé du fruit, si ce discernement ne lui est venu qu'après qu'il a eu mangé,
il faut dire alors, que le péché a enseigné la sagesse au premier homme; le serpent
cesse d'être un séducteur; il a été, pour lui un conseiller utile; Adam était un
animal dépourvu de raison , le serpent en a fait un homme.
Loin de nous cette pensée ! Il n'en est pas ainsi, non. Si Adam ne connaissait pas
ce que c'était que le bien, ce que c'était que le mal, comment a-t-il pu recevoir un
ordre? Jamais législateur ne fait de loi pour celui qui ne sait pas que c'est mal faire,
que de transgresser la loi. Or, Dieu a porté la loi, a puni le transgresseur, et, certes,
Dieu n'eût fait ni l'un ni l'autre, si, dès le principe, il ne lui eût attribué le
discernement de la vertu et du vice. Vous voyez qu'il devient manifeste pour nous,
parfaitement clair, que ce n'est pas seulement après avoir mangé, qu'Adam a connu et le bien et le mal, qu'il possédait auparavant cette
science.
Conservons en nous, mes bien-aimés,
toutes ces pensées, et, de retour dans nos maisons, dressons-nous deux tables, l'une des
mets du corps, l'autre des mets de la sainte Ecriture i que le mari répète ce qui a
été dit, que la femme s'instruise, que les enfants écoutent, et que les serviteurs ne
soient pas frustrés de nos lectures; faites, chacun de vous, de votre maison une église;
sachez qu'il vous faudra rendre compte du salut, et de vos enfants et de vos serviteurs.
De même qu'on réclamera, de nous, des comptes, pour ce que nous aurons fait de vous, de
même on réclamera, de chacun de vous, des comptes, pour ce qu'il aura fait de son
serviteur, de sa femme, de son fils. Après des conversations de ce genre, les songes les
plus agréables viendront nous charmer, sans aucune espèce de visions terribles; ce que
l'âme a coutume de méditer pendant le jour, ses songes le lui représentent pendant la
nuit, et lui en fournissent l'image. Si les paroles prononcées chaque jour, se conservent
dans vos mémoires, nous n'aurons pas besoin d'un grand travail; le discours suivant sera
pour vous plus clair, plus facile, et nous aurons moins d'efforts à faire pour vous
instruire. Afin donc que nous puissions, vous et nous, avec quelque profit, nous, d'une
part, vous donner l'enseignement, vous, d'autre part, écouter la parole, après la table
pour le corps, dressez, de plus, chez vous, la table spirituelle, Ces pieux discours
seront pour vous une sécurité, un ornement de votre vie. Dieu dirigera les affaires
mêmes de la vie présente, d'une manière conforme à vos intérêts; tout vous deviendra
facile. Cherchez, dit-il, premièrement le royaume des cieux, et toutes ces
choses vous seront données comme par surcroît. (Matth.
VI, 33.) Cherchons-le donc, mes bien-aimés, afin d'obtenir, et les biens d'ici-bas, et
ceux de là-haut, parla grâce et la bonté de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, par qui et avec qui, gloire au Père et à l'Esprit-Saint, maintenant et
toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi-soit-il.
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