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HOMÉLIE XXVII. J'AI ÉTÉ IMPRUDENT EN ME GLORIFIANT; C'EST VOUS QUI M'Y AVEZ CONTRAINT, CAR C'ÉTAIT A VOUS DE PARLER AVANTAGEUSEMENT DE MOI. (XII, 11, JUSQU'A 16.)163 Analyse. 1. Des raisons qui portent saint Paul à se glorifier. Des
meilleures preuves du véritable apostolat. De la patience. Grandeur des
oeuvres de saint Paul; sa modestie se borne à les indiquer en très-peu de mots. 2. Reproche à la fois sévère, doux et délicat, à l'adresse
des fidèles dont il ne veut rien recevoir. Belle pensée, que ce n'est pas aux
enfants à thésauriser pour leurs pères, mais aux pères pour leurs enfants.
Dévouement paternel de saint Paul, son désintéressement porté jusqu'au plus grand
sacrifice. Exemple qu'il nous donne. 3. Il est odieux, il est monstrueux de ne pas aimer. qui, nous
aime. Autre pensée : rien n'est plus inutile au public, aux particuliers, qu'un
homme incapable d'affection. Contre la haine jalouse. Image énergique :
mieux vaut un serpent dans les entrailles, que l'envie dans l'âme. Texte des plus
éloquents. 4. L'Eglise, actuellement divisée, comparée à un corps qui
vient de mourir. 1. Après avoir terminé son éloge personnel, il ne s'en tient pas là, il s'excuse encore, il demande qu'on lui pardonne le langage qu'il a tenu, qu'il attribue à la nécessité , non à sa libre détermination. Quelle qu'ait été cependant la nécessité, il se traite d'imprudent. Il a commencé par dire: « Souffrez-moi comme imprudent », et: « Je fais paraître de l'imprudence»; maintenant il supprime le «Comme », le « Je fais paraître », il se traite purement et simplement d'imprudent. Après avoir produit, par ses paroles , le fruit qu'il se proposait, il ne se gêne plus, il ne garde plus de ménagement pour flétrir les fautes de ce genre; il tient à bien démontrer à tous qu'on ne doit. jamais, sans nécessité, se louer soi-même , puisque lui, Paul , nonobstant une nécessité réelle , se traite d'imprudent. Il fait ensuite retomber la responsabilité de ce qu'il a dit, non sur les faux apôtres , mais uniquement sur les disciples. « C'est vous », dit-il, « qui m'y avez contraint ». Car si ces faux apôtres ne faisaient que se glorifier, mais sans vous jeter dans l'erreur, sans vous perdre , je ne me serais pas risqué jusqu'au point de m'abaisser à de pareils discours ; mais ils corrompaient toute l'Eglise, et moi , ne considérant que votre intérêt, j'ai été contraint d'être un imprudent. Et il ne dit pas : j'ai craint qu'après avoir usurpé la primauté auprès de vous, ils n'en vinssent à répandre leurs doctrines ; quant à cette pensée, il l'a exprimée plus haut par ces paroles : « J'appréhende qu'ainsi que le serpent a séduit Eve, vos esprits aussi ne se corrompent »; dans le passage qui nous occupe en ce moment, l'apôtre parle d'une autre manière, avec plus d'autorité et de puissance; ce qu'il vient de dire lui donne plus de liberté : « Car c'était à vous de parler avantageusement de moi ». Il en dit ensuite la raison et il ne reparle plus de ses révélations; il ne raconte pas seulement les miracles qu'il a opérés , il parle aussi de ses épreuves. «Puisque je n'ai été en rien inférieur aux plus éminents d'entre les apôtres ». Voyez encore ici , comme il parle avec plus d'autorité. Auparavant, il disait : « Je ne pense pas avoir été inférieur en rien »; ici, affirmation absolue, avec la confiance, comme je l'ai déjà dit, que lui donnent les preuves qu'il vient d'énumérer; toutefois, même dans cette circonstance , il ne se départ pas de la modestie qui le caractérise. En effet, on l'entend, comme s'il avait parlé avec orgueil , comme s'il avait exagéré le jugement en sa faveur pour s'être mis au nombre des apôtres, reprendre de nouveau un ton d'humilité : « Encore que je (164) ne sois rien, les marques de mon apostolat ont paru parmi vous (12) ». Ne regardez pas, dit-il, si je suis misérable et petit, mais seulement si vous n'avez pas trouvé en moi tout ce que vous deviez attendre d'un apôtre. Et il ne dit pas: encore que je sois misérable, mais, ce qui exprime plus d'abaissement encore : « quoique je ne sois rien ». En effet, qu'importé que vous soyez grand, si vous n'êtes utile à personne ? Il ne sert absolument de rien qu'un médecin, par exemple, ait de l'habileté, s'il ne guérit jamais ses malades. Ne recherchez donc pas, dit-il, s'il est vrai que je ne suis rien; mais considérez donc, en ce . qui concerne le bien à vous faire, que je n'ai été inférieur en rien à personne, mais que je vous ai donné la preuve de mon apostolat. Je n'aurais donc pas dû être obligé de parler de moi. Ce n'est pas qu'il sentît le besoin d'être recommandé auprès des hommes; comment aurait-il pu tenir à de pareils titres, lui qui ne comptait pour rien le ciel même pour l'amour de Jésus-Christ ? Mais c'est qu'il était possédé du désir de les sauver. Ensuite, comme on aurait pu lui dire : Et que nous fait à nous que vous n'ayez en rien été inférieur aux plus éminents d'entre les apôtres, il ajoute: « Les marques de mon apostolat ont paru parmi vous, dans toute sorte de patience, et dans les miracles et dans les prodiges ». Ah ! quelle mer d'oeuvres magnifiques franchie d'un bond par lui en ces courtes paroles? Or, voyez ce qu'il met en premier lieu: la patience. Voilà, en effet, la marque de l'apôtre: tout souffrir avec un noble courage. Voilà ce qu'indique une expression si courte; quant aux miracles; qui n'étaient pas des fruits de sa vertu propre, il en parle en plus de mots. Considérez combien de prisons, combien de coups, combien de dangers, combien de piéges perfides, combien d'épreuves il fait entendre ici, combien de guerres intestines, combien de guerres avec les étrangers, combien de douleurs , combien d'assauts renferme ce simple mot de patience ! Et maintenant, par ce mot de miracle, comprenez combien de morts ressuscités, combien d'aveugles guéris, combien de lépreux purifiés , combien de démons chassés! En entendant ces paroles, apprenons, nous aussi, quand la nécessité nous contraint à parler de nous à notre avantage , à couper court le chapitre de nos perfections, à imiter l'apôtre. 2. Ensuite, comme on aurait pu lui dire: si vous êtes grand , si vous avez beaucoup fait, toutefois vous n'avez pas tant fait que les apôtres des autres Eglises, il ajoute : « Car en quoi avez-vous été inférieurs aux autres Eglises (13)? » Vous n'avez pas eu, en fait de grâces , une moindre part que les autres. Mais, dira-t-on peut-être, pourquoi se tourne-t-il maintenant vers les apôtres; après avoir engagé le combat contre les faux apôtres, pourquoi le cesse-t-il ? C'est pour relever tout à fait les courages, c'est pour montrer, non-seulement qu'il vaut mieux que ces faux docteurs , mais qu'il ne le cède en rien aux grands apôtres. Voilà pourquoi, quand il parle des prétendus ministres de Jésus-Christ, il dit : « Je le suis plus qu'eux »; mais quand c'est aux apôtres qu'il se compare, il se contente de ne leur être pas inférieur, quoiqu'il ait travaillé plus qu'eux. Et par là il montre aux fidèles qu'ils outragent les apôtres, en le mettant, lui leur égal, au-dessous des faux docteurs. « Si ce n'est en ce que je n'ai point voulu vous être à charge». Ici le reproche est sévère; il y a plus de sévérité encore dans ce qui suit : « Pardonnez-moi ce tort que je vous ai fait ». Toutefois cette sévérité n'exclut ni l'affection ni l'éloge, puisque Paul suppose que les Corinthiens tenaient pour une injure son refus de rien accepter d'eux, ainsi que le manque de confiance qu'il leur témoignait en ne voulant pas qu'ils le nourrissent. Si vous m'accusez, (il ne dit pas: vous faites mal de m'accuser; son expression est pleine de douceur), je demande mon pardon, accordez-moi ma grâce. Voyez sa sagesse : aussitôt qu'il leur a adressé ce reproche, aussitôt il les en veut consoler. Plus haut, après leur avoir dit : « La vérité de Jésus-Christ est en moi, on n'arrêtera point le cours de ma gloire », il ajoutait : « Est-ce que je ne vous aime pas? Dieu le sait; mais je veux retrancher une occasion de se glorifier, à ceux qui veulent trouver cette occasion en paraissant semblables à nous ». (Il Cor. XI, 10-12.) Et, dans la première épître : « En quoi trouverai-je donc ma récompense? En prêchant gratuitement l'Evangile que je prêche ». (I Cor. IX , 18.) Ici , même précaution : « Pardonnez-moi ce tort que je vous ai fait». Car il tient toujours à dissimuler que c'est leur faiblesse qui est cause qu'il ne veut rien recevoir d'eux; voilà pourquoi, ici (165) encore, il tient ce langage : Si j'ai fait une faute, selon vous, pardonnez-la-moi. Ce qu'il disait, c'était à la fois pour les exciter et les adoucir. Et qu'on n'objecte pas. Si vous voulez réprimander, pourquoi vous défendre ? Si vous voulez adoucir, pourquoi réprimander? Voilà précisément la marque de l'habileté faire une incision et refermer la plaie. Ensuite, je l'ai déjà dit, aussi souvent qu'il leur fait ce reproche, il l'adoucit, afin qu'on ne s'imagine pas qu'il espère recevoir d'eux quelque chose. Dans la première épître, il leur disait : « Je ne vous écris point ceci, afin qu'on me traite de même; car mieux vaudrait pour moi mourir, que de souffrir qu'on me fît perdre cette gloire ». (I Cor. IX, 15.) Ici, ses paroles sont plus douces et plus caressantes. Comment s'y prend-il ? « Voici la troisième fois que je me prépare pour vous aller voir, et je ne vous serai pas à charge ; car ce ne sont pas vos biens que je cherche, mais vous; car ce n'est pas aux enfants à thésauriser pour leurs pères, mais aux pères pour leurs enfants (14) ». Voici ce qu'il veut dire : Ce n'est pas parce que je ne reçois rien de vous que je ne vais pas vous trouver; j'ai été vous voir deux fois, et je me prépare à vous aller voir une troisième, et je ne vous -serai pas à charge. Son explication sur ce point est grave. Il ne dit pas : parce que vous êtes mesquins, parce que vous vous blessez vite, parce que vous êtes faibles; mais que dit-il? « Car ce ne sont pas vos biens que je cherche, mais vous ». Je cherche plus que de l'argent, je cherche des âmes et non des fortunes, votre salut et non votre bourse. Ensuite, comme on pouvait encore le soupçonner de parler ainsi par dépit, il ajoute encore une réflexion. Il pouvait croire qu'on lui dirait : Ne sommes-nous pas libres de conserver ce qui est à nous? Par ce motif il a l'air de prendre leur défense, et il dit avec beaucoup de suavité: « Car ce n'est pas aux enfants à thésauriser pour leurs pères, mais aux pères pour leurs enfants » ; au lieu de maîtres et de disciples, il met parents et enfants; il présente comme étant simplement l'accomplissement d'un devoir une conduite d'une perfection plus haute, car Jésus-Christ n'a point commandé à ses apôtres de ne rien accepter de leurs disciples; c'est par ménagement pour eux que l'apôtre s'exprime ainsi, et voilà pourquoi il ne recule pas devant une certaine exagération. En effet, il ne se contente pas de dire : Ce n'est pas aux enfants à thésauriser pour leurs pères; mais il ajoute que c'est pour les pères un devoir d'agir ainsi. Eh bien ! donc, puisque c'est un devoir : « Je donnerai très-volontiers tout ce que j'ai , et je me donnerai encore moi-même, pour le salut de vos âmes (15) ». C'est la loi de la nature qui ordonne aux pères de thésauriser pour leurs enfants, mais moi je fais plus, je m'ajoute moi-même à ce que je donne; l'excès de sa générosité se manifeste non-seulement en ce qu'il ne reçoit rien, mais en ce qu'il fait plus, il donne; et il ne donne pas simplement, mais il donne avec une générosité sans borne, il donne ce qui lui manque à lui-même; car c'est là ce qu'indique cette parole : « Je me donnerai encore moi-même ». S'il vous fallait ma chair même, je ne la ménagerais pas pour votre salut. Il y a, dans ce qui suit, un reproche et en même temps une, parole d'affection « Quoique moi qui vous aime tant, je me voie si peu aimé de vous ». Ce que je fais, dit-il, pour ceux que j'aime, et qui ne m'aiment pas autant. Considérez maintenant la gradation dans tous ces mérites de l'apôtre. Il était autorisé à recevoir,-mais il ne recevait rien premier mérite. Cependant il avait besoin second mérite ; cependant il leur prêchait l'Evangile : troisième mérite; et il fait plus, il donne: quatrième mérite; et non-seulement il donne, mais son présent est considérable cinquième mérite; et il ne donne pas seulement de l'argent, il se donne lui-même sixième mérite; et à des gens qui n'ont pas pour lui un vif amour: septième mérite; et pour qui il éprouve, lui, un vif amour: huitième mérite. 3. Sachons donc, nous aussi, suivre cet exemple. C'est une faute grave que de ne pas aimer son prochain; c'en est une plus grave de ne pas répondre à l'amour qu'on nous porte. Si, en aimant celui qui nous aime, nous ne faisons rien de plus que les publicains, ne l'aimer pas, c'est être inférieur aux bêtes sauvages. Que dis-tu, ô homme? Tu n'aimes pas celui qui t'aime ? alors pourquoi vis-tu ? à quoi pourras-tu jamais être utile? dans quelles affaires? dans celles qui intéressent l'Etat? dans celles qui intéressent les particuliers ? Nullement, en aucune manière : rien de plus inutile qu'un homme qui ne sait pas (166) aimer. La loi d'amour souvent a touché même des brigands, des assassins, des violateurs de sépulture; pour avoir seulement mangé le sel ensemble, ils ont changé de moeurs, la table les a convertis; et vous qui n'avez pas seulement même table, mais mêmes conversations, mêmes occupations, mêmes entrées, mêmes sorties avec d'autres hommes, vous ne les aimez pas? Ceux qui se livrent à de coupables amours, dépensent leurs fortunes entières pour des femmes perdues, et vous qui avez au coeur un amour honnête, vous êtes froid, vous êtes lâche, vous êtes dépourvu de coeur au point de ne pouvoir aimer même quand il ne vous en coûte rien? Mais qui donc, dira-t-on, peut être assez malheureux, assez semblable aux bêtes sauvages pour se détourner de celui qui l'aime, et pour le haïr? Vous avez raison de regarder comme incroyable une. telle dépravation ; mais si je vous montre une foule de dépravés de ce genre, comment pourrons-nous supporter cette honte? Tenir des discours méchants sur celui qu'on aime, entendre les discours méchants d'un autre sur lui, et ne pas le défendre, le voir honoré et lui porter une haine jalouse, que faut-il penser d'un tel amour? Certes ce serait pourtant une bien faible preuve d'amitié que de ne pas être jaloux, de ne pas haïr, de ne pas susciter de combats contre celui qu'on aime; il faudrait encore applaudir à sa prospérité, travailler à l'accroître; mais quand toutes vos actions, toutes vos paroles tendent à sa ruine, quelle âme pourrait être plus misérable que la vôtre? Hier, avant-hier, vous étiez son ami, vous partagiez ses entretiens et sa table; puis, tout à coup, à la vue de la prospérité de celui qui est votre membre, jetant le masque de l'amitié, vous ne respirez plus que la haine, ou plutôt une fureur insensée. Cette fureur insensée se manifeste par le chagrin que vous cause la prospérité du prochain; cette démente est le propre des furieux, des chiens possédés de la rage. Semblables à ces animaux, les envieux qu'irrite l'aiguillon sinistre, se jettent aussi sur. tous. Mieux vaut un serpent replié dans les entrailles que l'envie qui rampe dans l'âme. Le reptile, souvent il suffit d'un remède pour le vomir; la nourriture en adoucit l'effet; ce n'est pas dans les entrailles que l'envie se replie, elle se roule au sein de l'âme, il est difficile de l'en faire sortir. Le reptile, dans l'intérieur du corps, n'en attaque pas les organes, si on lui donne sa nourriture; mais l'envie, quelque abondante que pussent être les aliments que vous lui serviriez, s'en prend à l'âme même, qu'elle mord de toutes parts, qu'elle ronge, qu'elle déchire; et rien ne saurait l'adoucir, rien ne saurait mettre un terme à sa fureur, rien qu'une chose, une seule: le malheur fondant sur celui qui prospérait; voilà le seul remède qui la puisse guérir, ou plutôt ce remède ne fait rien. Car si tel subit l'adversité, elle en voit un autre qui est heureux, et les mêmes tortures la reprennent, et partout elle reçoit des blessures, et partout elle se sent frappée de nouveaux coups. Car il est impossible de se retourner sur la terre sans y voir des heureux. Et tel est l'excès de ce mal, que, même renfermé dans sa maison, l'envieux éprouve de la haine pour les hommes d'autrefois qui ont cessé de vivre. Or, que ceux qui vivent dans la société, au milieu de la foule, souffrent de cette maladie, c'est triste, mais ce n'est pas ce qu'il y a de plus affligeant;-mais que ceux mêmes qui sont affranchis de tous les troubles de la vie publique, soient possédés du même mal, voilà ce qui est affreux, au-delà de tout ce qui se pourrait penser. Je voudrais garder le silence sur ce que j'ai à dire; mais il faudrait que mon silence suffît pour effacer la honte de la réalité; il y aurait alors de l'utilité dans le silence; mais quand je pourrais me taire, les choses crieraient plus haut que ma langue, et mes paroles ne sauraient produire autant de mpl que la notoriété de nos malheurs qui s'étalent à tous les yeux, et mon discours, sans danger, ne sera peut-être pas sans profit et sans utilité. Ce mal s'est attaqué à l'Eglise, et voilà ce qui a tout bouleversé, ce qui a détruit l'harmonie des membres; voilà pourquoi nous nous élevons les uns contre les autres; l'envie nous donne nos armes. De là l'excès de la dépravation. Lorsque tous conspirent à édifier, il faudrait encore s'estimer heureux que tous les fidèles demeurassent; si, au contraire, nous conspirons tous à détruire, à quel terme aboutirons-nous ? 4. Que fais-tu, ô homme? Tu penses qu'il t'est avantageux de ruiner ton prochain, et tu commences parte ruiner toi-même. Tu ne vois pas les jardiniers, les agriculteurs conspirant tous à un seul et même but? L'un creuse, l'autre sème, un autre recouvre la racine, un autre arrose ce qui a été planté, un autre élève (167) une baie, un mur, un autre encore écarte les bêtes nuisibles; tous n'ont qu'un seul et même but: le salut de la plante. Ici, il n'en est pas de même; moi, de mon côté, je plante, mais un autre remue et bouleverse tout. Laisse donc au moins à la plante le temps de pousser des racines, de se fortifier contre toute atteinte. Ce n'est pas mon ouvrage que tu détruis, c'est le tien que tu réduis à néant; moi, j'ai planté; toi, tu devais arroser. Donc si tu viens tout remuer, tu arraches la racine, et tu ne pourras plus prouver que tu as bien arrosé. Mais c'est la gloire de celui qui plante que vous ne pouvez souffrir? Rassurez-vous, je ne suis rien, ni vous non plus. « Ni celui qui plante, ni celui qui arrose, n'est rien » (I Cor. III. 7) ; c'est Dieu seul qui fait tout. De sorte que c'est lui que vous combattez, que, c'est a lui que vous faites la guerre en arrachant les plantations. Revenons donc enfin à la sagesse et à la vigilance. Je ne crains pas tant la guerre du dehors que le combat du dedans; car une fois la racine bien enfoncée dans la terre, elle peut défier les vents ; mais si on l'ébranle, si, à l'intérieur, un ver la ronge, sans même qu'on attaque extérieurement la plante, tout s'en va. Jusques à quand rongerons-nous la racine de l'Église comme des vers ? C'est de la terre que s'engendrent de pareilles passions; ou plutôt elles ne naissent pas de la terre, mais- du fumier; leur mère, c'est la corruption. Soyons donc enfin des hommes fiers et forts, soyons donc des athlètes de la sagesse, chassons loin de nous toute cette hideuse portée de maux. Je vois tout le corps de l'Église étendu par terre en ce moment comme un corps mort. Comme dans un corps qui vient d'être privé de vie, je vois des yeux, des mains, des pieds, un cou, une tête, ruais ce que je ne vois pas, c'est un membre remplissant ses fonctions; de même ici, tous ceux qui sont présents, ont la foi en partage, mais ce n'est pas la foi agissante; nous avons éteint la chaleur vitale, nous avons fait, du corps de Jésus-Christ, un corps mort. Si cette parole est effrayante , bien plus effrayante encore est la réalité qui se montre par les couvres. Nous nous donnons les noms de frères, mais nos actions révèlent des ennemis; nous sommes tous, par le nom, membres les uns des autres; nous sommes de fait divisés comme des bêtes féroces. Je ne tiens pas à étaler nos fautes, mais ce que j'en dis, c'est pour vous faire honte, c'est pour vous ramener. Un tel est entré dans une maison; il a été reçu avec honneur : il fallait bénir Dieu en voyant traiter avec honneur celui qui est votre membre; car cette conduite glorifie Dieu; eh bien, c'est le contraire que vous faites; vous dites du mal de votre frère auprès de celui qui l'a honoré, de manière à nuire à tous les deux, et en outre, à vous déshonorer vous-même. Pourquoi, ô malheureux, ô infortuné Vous entendez faire l'éloge de votre frère, par des hommes ou par des femmes, et c'est pour vous un sujet d'affliction? Mais ajoutez donc plutôt à cet éloge, et c'est ainsi que vous ferez votre éloge à vous-même. Si, au contraire, vous ruinez l'éloge, d'abord vous dites du mal de vous-même, vous donnez de vous-même une mauvaise opinion, et vous ne faites que grandir celui que vous vouliez rabaisser. Quand vous entendez des louanges, associez-vous à ces louanges ; si ce n'est par la sainteté de votre vie, et par vos vertus, que ce soit au moins par la joie que, vous ressentez des belles actions. Une personne a fait entendre un éloge; admirez, de votre côté; c'est ainsi que cette personne vous louera, vous aussi, pour votre vertu, pour votre bonté. Ne craignez pas de rabaisser vos actions par l'éloge d'autrui ; car ce malheur n'arrive qu'à celui qui accuse. Car la, nature de l'homme c'est de tenir à ses opinions, et celui qui vous entend dire du mal d'une personne qu'il vient de louer s'obstine à rendre son éloge plus éclatant, afin de vous mortifier, afin de faire justice des détracteurs, et il les flétrit en lui-même, et il les accuse auprès des autres. Comprenez-vous quelle honte nous nous attirons par cette conduite, et comme nous dissipons, comme nous perdons le troupeau? Ne soyons donc enfin que les membres les uns des autres , ne formons donc enfin qu'un seul corps. Que celui qui s'entend louer, repousse loin de lui les éloges, et les fasse retomber sur son frère; que col ni qui entend louer son frère, se réjouisse de pareils discours. Si nous savons nous unir ainsi les uns aux autres, nous sentirons le bonheur de tenir à celui qui est la tête du corps entier; si, au contraire, nous nous divisons contre nous-mêmes, nous écarterons loin de nous, pour surcroît de malheur, le secours de Dieu; or, privés de cette assistance, nous verrons périr notre corps, que ne conservera plus la vertu d'en-haut. Prévenons ce danger, chassons loin de nous la haine jalouse, méprisons (168) la gloire qui vient des hommes, attachons-nous à l'amour et à la concorde. C'est ainsi que nous obtiendrons les biens présents et les biens à venir; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la honte de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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