HOMÉLIE XXIII

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HOMÉLIE XXIII. PLUT A DIEU QUE VOUS VOULUSSIEZ UN PEU SUPPORTER MON IMPRUDENCE ! ET SUPPORTEZ-LA, JE VOUS PRIE. (XI, 1, JUSQU'A 12.)

 

Analyse.

 

1. Dans ce monde on est vierge jusqu'au mariage; il n'en est plus de môme après; dans l'Eglise, c'est tout le contraire : ceux mômes qui n'étaient pas vierges avant leur mariage avec Jésus-Christ, après ce mariage, deviennent des vierges.

2 et 3. Contre les orgueilleux qui, tout en prêchant la môme doctrine que les apôtres , se croient supérieurs à eux, parce qu'ils disent tout autant en plus de mots.

4. Du peu d'instruction de Paul en ce qui concerne les beaux discours ; mais la vérité de Jésus-Christ était en lui.— De son abaissement pour élever les autres.— De son mépris de l'argent et de sa fierté dans sa pauvreté.— Infatuation des orgueilleux qui se glorifient de ne rien recevoir de personne.

5 et 6. Du vrai mépris de, la richesse, fondé sur la vanité des choses humaines; non sur l'orgueil , mais sur la vertu.— L'avarice, cause de tous les maux.

 

1. Au moment de se mettre à faire son propre éloge, il prend une foule de précautions. Ce n'est pas une fois ou deux seulement qu'il montre cette réserve; cependant la nécessité du sujet devait être pour lui une excuse suffisante, outre tant de preuves d'humilité déjà données par lui. Celui qui gardait le souvenir des péchés que Dieu avait oubliés, celui qui, en rappelant sa vie première, se déclarait indigne du titre d'apôtre, celui-là, même aux yeux des hommes les plus dépourvus de sens, ne peut pas paraître un glorieux, débitant, pour se vanter, les paroles qu'il va maintenant faire entendre. En effet, pour dire quelque chose d'étrange, sa gloire même était fort compromise en ce qu'il parlait de ses actions, car se louer, c'est se rendre à charge au grand nombre. Toutefois il ne s'arrête à aucune des considérations de ce genre, il ne voulut voir qu'une chose, le salut de ses auditeurs. Donc, pour ne (138) blesser en rien les insensés par l'éloge qu'il allait faire de lui-même, il s'entoure d'une foule de précautions, il dit : « Plût à Dieu que «vous voulussiez un peu supporter mon imprudence ! et supportez-la, je vous prie ». Quelle prudence dans ces paroles ! Leur dire : « Plût à Dieu que vous voulussiez », c'est leur dire que tout dépend d'eux ; or cette affirmation montre toute la hardiesse que lui inspire leur affection, qu'il les aime, qu'il en est aimé; disons mieux: ce n'est pas en vue d'une affection mesquine, c'est sous l'influence d'un amour ardent, violent, qu'ils doivent, selon lui, supporter son imprudence. Ce qui fait qu'il ajoute: « Car j'ai pour vous un amour de jalousie, et d'une jalousie de Dieu (2) ».

Il ne dit pas : je vous aime, il se sert d'une expression beaucoup plus vive. La jalousie est le propre des âmes qu'embrase un amour violent, la jalousie n'a d'autre source qu'une ardente et violente affection. Ensuite, pour prévenir cette pensée, que s'il recherche leur amour c'est par un désir d'honneur, ou d'argent, ou de quelque autre chose, il ajoute : « D'une jalousie de Dieu ». Si l'on dit la jalousie de Dieu, ce n'est pas que cette passion puisse être soupçonnée en lui; Dieu est au-dessus des passions humaines; l'apôtre veut faire comprendre à tous qu'il n'est jaloux que du bonheur de ceux pour qui il fait toutes choses; ce n'est pas afin d'y trouver quelque profit pour lui-même, c'est afin de les sauver. Chez les hommes, le jaloux ne cherche que son repos à lui; il ne songe pas aux outrages faits à l'objet aimé, mais à ceux qui lui sont faits, à lui qui aime, et qui n'est pas considéré, aimé comme il aime, par l'objet de son affection. Or, la jalousie de Paul n'a nullement ce caractère. Je ne m'inquiète pas, dit-il, de ne pas trouver en vous, pour moi, les sentiments que j'ai pour vous ; ce qui m'occupe, c'est, que vous ne vous corrompiez pas. Telle est la jalousie de Dieu, telle est la mienne, à la fois vive et pure. Ajoutez à cela, que la cause de cette affection la rend nécessaire: « Parce que ec je vous ai fiancés à cet unique époux, pour « vous présenter à lui comme une vierge toute « pure ».

Ce n'est donc pas pour moi que je suis jaloux, mais pour celui à qui je vous ai fiancés. Le temps présent est le temps des fiançailles; le temps des noces ne viendra qu'après, quand on dira: voici l'époux ! O merveille ! Dans le monde on reste vierge jusqu'au mariage; après le mariage il n'en est plus de même. Ici, c'est le contraire; quand on ne serait pas vierge avant le mariage, on le devient après; c'est ainsi que l'Eglise tout entière est. vierge. Car ce que dit l'apôtre s'adresse à tous les hommes, à toutes les femmes qu'unit le mariage. Mais maintenant voyons ce qu'il apporte en nous fiançant, quelle est la dot : ni or ni argent; le royaume des cieux. Voilà pourquoi il a dit : « Nous faisons donc, pour le Christ, les fonctions d'ambassadeurs » (II Cor. V, 20) ; et il a recours aux prières pour prendre sa fiancée. On vit une figure de ceci au temps d'Abraham. Ce patriarche envoya son fidèle serviteur pour fiancer son fils à une jeune fille étrangère; notre Dieu aussi a envoyé ses serviteurs pour fiancer l'Eglise à son fils, il a envoyé les prophètes qui faisaient autrefois entendre ces paroles : « Ecoutez, ma fille, et voyez et oubliez votre peuple et la maison de votre père, et le roi désirera de voir votre beauté ». (Ps. XLIV, 10, 11.) Voyez-vous le prophète faisant lui-même des fiançailles? Voyez-vous, l'apôtre de son côté, prononçant avec une entière confiance des paroles du même genre, quand il dit : « Je vous ai fiancés à cet unique époux, pour vous présenter comme une vierge toute pure à Jésus-Christ? » Voyez-vous encore tout ce qu'il montre de sagesse? En disant, plût à Dieu que vous voulussiez me supporter, il ne dit pas, car je suis votre docteur, ni, car c'est moi qui vous parle, il leur dit ce qui devait avoir pour eux la plus grande valeur, il se représente, lui, comme l'agent du mariage, il les représente, eux, comme l'épousée.

Et ensuite il ajoute : « Mais j'appréhende qu'ainsi que le serpent séduisit Eve par ses artifices, vos esprits aussi ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité en Jésus-Christ (3) ». Car quoique la perdition fût pour vous seuls, la douleur m'en serait néanmoins commune avec vous. Et considérez la sagesse de l'apôtre : il ne parle pas ouvertement de leur corruption, bien qu'elle ne fût que trop vraie, comme le prouvent ces paroles : « Lorsque vous aurez satisfait à tout ce que l'obéissance demande de vous, et que je ne sois « obligé d'en pleurer plusieurs qui ont péché» (II Cor. X, 6, et XII, 21), toutefois, il les force à rougir ; voilà pourquoi il dit : « J'appréhende que » ; il ne condamne pas, il ne garde pas non plus le silence; ni l'un ni l'autre de ces (139) deux partis n'était sûr, il ne fallait ni parler ouvertement, ni garder le tout caché jusqu'au bout. Voilà pourquoi il prend une expression intermédiaire, « j'appréhende que », qui ne marque ni une condamnation, ni une grande confiance, qui est à égale distance des deux jugements contraires. Voilà comment il les avertit; l'histoire qu'il leur rappelle était faite pour les frapper de terreur , pour leur montrer qu'ils étaient inexcusables. En effet, quoique le serpent fût rusé, la femme insensée, aucune de ces considérations n'a sauvé la femme.

2. Prenez donc garde, dit-il, de ne pas courir le même sort, et de ne trouver aucun secours dans votre malheur. C'est par ses magnifiques promesses que le démon séduisit la femme, c'est de la même manière, par leur langage superbe, que ces orgueilleux égaraient les fidèles. Et c'est ce qui résulte, non-seulement des paroles précédentes, mais de celles que l'apôtre ajoute ensuite : « Car si celui qui vient vous prêcher vous annonçait un autre Christ que celui que nous vous avons annoncé, ou s'il vous faisait recevoir un autre esprit que celui que vous avez reçu, ou s'il vous prêchait un autre Evangile que celui que vous avez embrassé, vous auriez raison de le souffrir». Et il ne dit pas : J'appréhende que, comme Adam a été trompé, il montre que ce sont des femmes qui se laissent tromper; car le propre des femmes, c'est d'être des dupes. Et il ne dit pas : J'appréhende que, de la même manière, vous ne soyez trompés; il continue la comparaison, il dit : « Que vos esprits aussi ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité en Jésus-Christ » ; je dis simplicité et non pas malice ; ce ne serait ni de la malice, ni du manque de foi que viendrait votre mal , mais de votre simplicité. Toutefois, on n'est pas excusable parce que l'on se laisse tromper même par trop de simplicité ; c'est ce que l'exemple d'Eve sert à montrer. Si la simplicité n'excuse pas en pareil cas, que sera-ce de la vanité ?

« Car si celui qui vient vous prêcher vous annonçait un autre Christ que celui que nous vous avons annoncé ». Ces paroles montrent que si les Corinthiens se corrompent, ce n'est pas d'eux-mêmes, mais qu'il leur vient du dehors des gens qui les trompent ; de là cette expression : « Celui qui vient. Ou s'il vous faisait recevoir un autre esprit que celui que vous avez reçu, ou s'il vous prêchait un autre Evangile que celui que vous avez embrassé, vous auriez raison de le souffrir (4) ». Que dites-vous? C'est vous-même qui disiez aux Galates : « Si quelqu'un vous annonce un Evangile différent de celui que vous avez reçu; qu'il soit anathème (Gal. I, 9), et c'est vous qui dites maintenant, vous auriez raison « de le souffrir?» Comment ! Bien loin de le souffrir, il faudrait se reculer avec horreur; si l'on prêche le même Evangile, voilà la seule prédication qui se doive souffrir. Comment donc prétendez-vous que si l'on ne prêche que le même Evangile, on ne doit pas le souffrir? Si l'on en prêchait un autre, dites-vous, on devrait le souffrir? Appliquons ici notre attention; le danger est grand, nous sommes auprès d'un affreux précipice, n'allons pas devant nous sans attention, ce passage mal interprété ouvrirait la voie à toutes les hérésies. Quel est donc le sens de ces paroles?

Ces orgueilleux se vantaient de ce que l'enseignement des apôtres étant défectueux, ils étaient eux-mêmes en mesure de le compléter. On peut croire que ces gens gonflés de vanité introduisaient dans les dogmes des extravagances de leur propre fonds. Voilà pourquoi l'apôtre rappelle, et le serpent, et la malheureuse Eve, trompée par un excès de prétention. C'est ce qu'il disait à mots couverts dans la première épître : « Vous êtes déjà riches, vous régnez sans nous » ; et encore: « Nous sommes fous pour l'amour de Jésus-Christ, mais vous autres , vous êtes sages en Jésus-Christ ». (I Cor. IV, 8, 10.) Il est probable que si l'apôtre leur adresse ces paroles, c'est qu'enflés de leur sagesse profane, ils débitaient beaucoup de frivolités; voilà pourquoi il leur dit : Si ces hommes disaient du nouveau, s'ils prêchaient un autre Christ qu'il ne fallait pas prêcher, que nous aurions oublié, nous, vous auriez raison de le souffrir; c'est ce qui fait qu'il ajoute : « Que celui que nous vous avons annonce ». Mais maintenant , si les articles principaux de la foi sont les mêmes, quel avantage ont-ils sur nous? Quoi qu'ils puissent dire, ils ne diront rien de plus que ce que nous avons dit. Admirez la précision du langage ; il ne dit pas: si celui qui vient, vous dit quelque chose de plus; car ces gens-là disaient quelque chose de plus, leurs harangues avaient plus d'abondance et aussi plus de beauté dans les expressions. Voilà pourquoi l'apôtre ne s'exprime pas comme je viens de le supposer, (140) mais que dit-il : « Si celui qui vient, vous annonçait un autre Christ », ce en quoi l'art des paroles est parfaitement inutile; « ou s'il vous faisait recevoir un autre esprit » ; ici encore, les phrases n'ont rien à faire, c'est-à-dire, s'il vous rendait plus riches, quant à la grâce; « ou s'il vous prêchait un autre Evangile que celui que vous avez reçu » ; ici encore les phrases ne servent à rien : « vous auriez raison de le souffrir». Considérez donc, je vous en prie, comment toutes les expressions de l'apôtre montrent distinctement que ces hommes n'ont rien dit de plus, qu'ils n'ont rien ajouté. En s'exprimant ainsi : « Si celui qui vient, vous annonçait un autre Christ », il a soin d'ajouter que « celui que nous vous avons annoncé » ; après, « s'il vous faisait recevoir un autre esprit », il met tout de suite, « que celui que vous avez reçu »; et après, « ou s'il vous prêchait un autre Evangile », il ajoute aussitôt, « que celui que vous avez embrassé » ; et toutes les paroles de l'apôtre démontrent qu'il ne faut pas accueillir simplement ce qu'ils peuvent dire de plus, mais ce qu'ils disent de plus, quant aux vérités qu'il fallait dire, et que nous aurions oubliées. Si nous n'avons négligé de dire que ce qu'il ne fallait pas dire, pourquoi leur accordez-vous votre admiration?

3. Mais, dira-t-on, si leur langage est le même, pourquoi les empêcher de parler ? C'est parce que, d'une manière hypocrite, ils introduisent des dogmes étrangers. Toutefois l'apôtre ne le dit pas encore, il ne donnera cette raison que plus tard; en s'exprimant ainsi, ils se déguisent en apôtres du Christ; en attendant, il prend les moyens les plus doux pour soustraire les disciples à leur autorité, non qu'il fut jaloux de leur puissance, mais par intérêt pour les fidèles. En effet, pourquoi n'empêche-t-il pas Apollon, personnage éloquent, versé dans la connaissance des Ecritures, d'enseigner la doctrine, pourquoi va-t-il jusqu'à promettre de l'envoyer? C'est qu'Apollon faisait servir sa science à défendre l'intégrité de la doctrine; les autres faisaient le contraire. Voilà pourquoi l'apôtre leur fait la guerre, et blâme les disciples épris d'admiration pour eux, pourquoi il leur dit: si nous avons oublié quelqu'une des vérités qui devaient être dites, si ces gens-là ont complété ce que nous avions laissé défectueux, nous ne vous empêchons pas de vous appliquer à leur enseignement; mais si tout l'édifice a été construit par nous, si nous n'avons rien omis, d'où vient que ceux-là se sont emparés de vos esprits? De là, ce qu'il ajoute : « Mais je ne pense pas avoir été inférieur en rien aux plus grands d'entre les apôtres (5) ».

Ici ce n'est plus avec les faux apôtres qu'il se compare, mais avec Pierre, avec les autres apôtres. Si ces gens-là savent quelque chose de plus que moi, ils savent aussi quelque chose de plus que ces grands apôtres. Et voyez encore ici avec quelle mesure Paul s'exprime. Il ne dit pas : les apôtres n'ont rien dit de plus que moi ; comment s'énonce-t-il : « Je ne pense « pas », c'est mon sentiment que je ne suis en rien dépassé par les plus grands apôtres. Il pouvait paraître au-dessous des autres apôtres, parce que ceux-ci, l'ayant précédé dans la prédication, avaient un plus grand nom, s'étaient acquis plus de gloire ; les adversaires de Paul voulaient s'introduire dans leurs rangs; de là ce que dit l'apôtre en se comparant aux anciens avec une parfaite convenance. C'est pourquoi il les cite avec les éloges qui leur sont dus, et il ne se contente pas de dire : je ne suis pas inférieur aux apôtres; mais « aux plus grands d'entre les apôtres », montrant par là Pierre et Jacques, et Jean.

« Si je suis peu instruit pour la parole, il n'en est pas de même pour la science (6) ». La supériorité de ceux qui corrompaient les Corinthiens consistait en leur science de la parole, et l'apôtre tient à montrer que, loin de rougir de son peu d'instruction sur ce point, il s'en glorifie au contraire. Il ne dit pas : si je suis peu instruit pour la parole, il en est de même aussi de ces grands apôtres ; on eût pu voir dans cette manière de parler, un outrage aux apôtres, un éloge pour les beaux diseurs; Paul rabaisse leur mérite, leur sagesse extérieure. Dans sa première lettre, il s'attache fortement à montrer que cette science de parole, non-seulement ne sert en rien à la prédication, mais obscurcit la gloire de la croix. « En effet », dit-il, « je suis venu vers vous sans les discours élevés de l'éloquence et de la sagesse humaine, pour ne pas rendre vaine la croix de Jésus-Christ» (I Cor. XI, 1, et I, 17); et bien d'autres protestations du même genre prouvent la plus grande grossièreté en fait de connaissances humaines ; ce qui est pour les hommes le comble de la grossièreté.

Donc quand il. fallait se comparer avec quelqu'un relativement aux grandes choses, il se (141) comparait aux apôtres; quand il ne fallait que s'expliquer sur une prétendue infériorité, il ne procédait plus de même; on le voit alors s'attacher à ce qu'on attaque, et prouver que ce que l'on prend pour un désavantage est au contraire un avantage réel. Quand aucune nécessité ne le presse, il se nomme le dernier des apôtres, il se déclare indigne de porter ce titre; mais aussi, dans d'autres circonstances, il affirme qu'il n'a été inférieur en rien aux plus grands des apôtres. C'est qu'il savait bien que ces paroles seraient de la plus grande utilité pour les disciples. Aussi ajoute-t-il : « Mais nous nous sommes montrés à découvert parmi vous, en toutes choses ». Il faut voir ici une nouvelle accusation contre les faux apôtres qui usaient de dissimulation. Il avait déjà déclaré en parlant de lui-même qu'il ne prenait pas de masque, qu'il n'y avait ni esprit de fraude, ni amour du gain dans sa prédication. Au contraire, les personnages dont il parle, étaient autres en réalité qu'en apparence; mais l'apôtre ne leur ressemblait pas. Aussi le voit-on partout se féliciter de ne rien faire pour une gloire humaine, de ne rien cacher de ses actions. Il disait aussi auparavant : « C'est par la manifestation de la vérité que nous nous recommandons à toute conscience d'homme » (II Cor. IV, 2) ; et maintenant c'est la même pensée qu'il exprime : « Nous « nous sommes montrés à découvert parmi « vous, en toutes choses ». Or qu'est-ce que cela veut dire? Nous avons peu d'instruction, dit-il, et nous ne nous en cachons pas; nous recevons de quelques-uns, et nous ne gardons pas le silence. Donc, nous recevons de vous, et nous n'affectons pas de ne rien recevoir, comme font ceux-ci qui reçoivent; nous rendons tout manifeste à vos yeux. Langage d'un homme rempli de confiance pour ceux à qui il s'adresse, et qui ne dit rien que de vrai. Ce qui fait qu'il les prend eux-mêmes à témoin, et maintenant en leur disant, « parmi vous », et auparavant quand il leur écrivait : « Je ne vous écris que des choses dont vous reconnaissez la vérité, ou après les avoir lues ». (II Cor. I, 13.)

Ensuite, après s'être justifié, il ajoute sévèrement : « Est-ce que j'ai fait une faute, en m'abaissant moi-même, afin de vous élever (7) ? » Pensée qu'il explique ainsi . « J'ai dépouillé les autres églises, en recevant d'elles l'assistance, pour vous servir (8) ». C'est-à-dire, je me suis trouvé dans la gêne; car c'est là le sens de « m'abaissant moi« même ». Est-ce donc là ce que vous avez à me reprocher? et vous vous élevez contre moi, parce que je me suis abaissé moi-même, parce que j'ai mendié, j'ai été pauvre, j'ai souffert de la faim pour vous élever ? Mais comment ceux-ci étaient-ils élevés, pendant que Paul était dans la pauvreté? Ils n'en étaient que plus édifiés, ils n'y trouvaient aucun sujet de scandale. C'était par où ils méritaient le plus d'être accusés, c'était la marque la plus honteuse de leur faiblesse, que l'impossibilité où se trouvait l'apôtre de les relever, s'il ne commençait pas par se rabaisser lui-même. Est-ce donc là ce que vous me reprochez, que je me suis soumis à l'abaissement? Mais c'est de cette manière que vous avez été élevés. Il a dit d'abord que ses adversaires lui reprochaient de paraître méprisable vu de près, de n'avoir de fierté qu'à distance ; il se justifie donc, et en même temps il fustige ses détracteurs: c'est pour vous, leur dit-il, que «j'ai dépouillé les autres églises ». Dès ce moment, il prend le ton du reproche, mais ce qui précède rend ce reproche plus facile à supporter. Il a dit en effet : supportez un peu mon imprudence, et, avant toutes ses autres bonnes oeuvres, c'est de son désintéressement qu'il se glorifie. C'est en effet ce que le monde aime surtout, et c'est aussi de quoi se vantaient ses adversaires. Aussi l'apôtre ne parle-t-il pas d'abord des périls qu'il a bravés, des signes miraculeux qu'il a fait paraître; il parle d'abord de son mépris pour l'argent, puisqu'ils s'enorgueillissaient au même titre : en même temps l'apôtre fait entendre qu'ils sont riches.

4. Ce que Paul a d'admirable, ici, c'est qu'au lieu de dire, comme il pouvait le faire, que ses mains le nourrissaient, il ne le dit pas; il tourne sa phrase de manière à les faire rougir sans chanter ses louanges : j'ai reçu des autres, voilà ce qu'il exprime. Et il ne dit pas j'ai reçu, mais : « J'ai dépouillé », c'est-à-dire, j'ai mis à nu, je les appauvris. Et, ce qui est plus fort, ce n'est pas pour se procurer l'abondance, mais pour s'assurer du nécessaire; l'assistance dont il parle, marque la nourriture nécessaire. Et, ce qui est plus grave : « Pour vous servir ». C'est à vous que nous prêchons, c'est de vous que je devais recevoir ma nourriture, c'est des autres que je l'ai reçue. Double faute, triple faute plutôt : il était (142) auprès d'eux, c'était pour eux qu'il travaillait, il manquait de la nourriture qui lui était nécessaire, et ce sont les autres qui la lui ont fournie. Assurément ceux qui le nourrissaient étaient de beaucoup supérieurs à ceux qui le laissaient sans aliments. Lâche indolence d'un côté ; zèle de l'autre; tandis qu'on envoyait de bien loin de quoi suffire aux besoins de l'apôtre, ceux qui l'avaient auprès d'eux ne le nourrissaient pas.

Ensuite, après les avoir vivement réprimandés, il adoucit ce que le reproche a de trop vif, il dit : « Et lorsque je demeurais parmi vous, et que j'étais dans la nécessité, je n'ai été à charge à personne (9) ». Il ne dit pas en effet : Vous ne m'avez rien donné, mais, je n'ai rien reçu. Il les ménage encore; toutefois, même dans la réserve de son langage, il les frappe à la dérobée. Car ces paroles : « Lorsque je demeurais parmi vous » sont fort expressives, de même que : « et que j'étais dans la nécessité » ; et pour qu'on ne lui réponde pas, eh bien ! après, si vous aviez de quoi vous suffire? il dit : « Et que j'étais dans la nécessité, je n'ai été à charge à personne ». Maintenant il y a encore ici un petit coup donné à ceux qui se refusaient à une contribution de ce genre, qui la regardaient comme une charge. Vient ensuite ce qui explique comment il n'a pas été à leur charge, et l'explication est un grave reproche et bien fait pour exciter leur amour-propre jaloux. Aussi ne fait-il pas, de cette explication, son objet principal ; c'est un accessoire pour montrer comment et par qui il a été nourri, et il pourra ainsi , sans qu'on s'en doute, provoquer l'ardeur pour l'aumône. « Mes besoins », dit-il, « ont été «satisfaits par nos frères venus de Macédoine ». Voyez-vous cette manière de les piquer au vif, en parlant de ceux qui l'ont assisté? Il a commencé par leur inspirer le désir de savoir quelles personnes l'avaient secouru, quand il a dit : « J'ai dépouillé les autres églises », et maintenant il dit leurs noms; ce qui était fait pour exciter à l'aumône ceux qui l'écoutaient. Ils s'étaient laissé vaincre en ne pensant pas à nourrir l'apôtre, et il leur fait sentir qu'on ne doit pas se laisser vaincre quand il s'agit de secourir les pauvres. Il écrit à ces mêmes Macédoniens: « Vous m'avez envoyé deux fois de quoi satisfaire à mes besoins, quand j'ai commencé la prédication de l'Evangile » ; (Philipp. IV, 16 et 15) c'était une gloire insigne pour eux d'avoir ainsi fait, dès les premiers jours, briller leur vertu. Maintenant remarquez bien, partout il n'est question que des nécessités, nulle part de richesses superflues. Donc en disant : « Lorsque, je demeurais parmi vous, et que j'étais dans la nécessité », il montre assez que les Corinthiens auraient dû le nourrir; en disant : « Mes besoins ont été satisfaits », il montre qu'il n'a rien demandé. Il évite ici de donner la vraie raison. Quelle raison donne-t-il ? à savoir que d'autres l'avaient assisté. « Mes besoins », dit-il, « ont été satisfaits par nos frères venus ». Voilà pourquoi, dit-il, « je n'ai été à charge à personne » parmi vous; ce n'est pas que je n'eusse point de confiance en vous. Par cette manière de parler, il n'en dit pas moins ce qu'il veut dire; la suite rend sa pensée manifeste; il ne l'exprime pas à découvert, il la recouvre d'une ombre, l'abandonnant à la conscience de ceux qui l'écoutent. Il parle encore à mots couverts dans ce qu'il ajoute aussitôt après : « Et j'ai pris garde à ne vous être à charge en quoi que ce soit, comme je ferai encore à l'avenir ». N'allez pas vous imaginer, leur dit-il, que ce que j'en dis , c'est pour recevoir quelque chose. Le « comme je ferai encore à l'avenir » est mordant, s'il entend par là qu'il n'a pas encore de confiance en eux, qu'il a désespéré une fois pour toutes de rien recevoir d'eux. Il leur montre qu'ils le considéraient comme une charge; voilà pourquoi il leur dit : « J'ai pris garde à ne vous être à charge en quoi que ce soit, comme je ferai encore à l'avenir». Il exprimait la même pensée dans la première épître : « Je ne vous écris point ceci, afin qu'on en use ainsi envers moi, car j'aimerais mieux mourir que de voir quelqu'un me faire perdre cette gloire ». (I Cor. IX, 15.) Et ici de même : « J'ai pris garde à ne vous être à charge en quoi que ce soit, comme je ferai encore à l'avenir».

Ensuite il ne veut pas que ces paroles puissent être considérées comme un moyen pour lui, de se concilier leur faveur ; il leur dit « J'ai la vérité de Jésus-Christ en moi». Cardez-vous de croire que ce que je vous dis, c'est pour recevoir quelque chose, pour vous attirer à moi davantage. « J'ai la vérité de Jésus-Christ en moi, et je vous assure qu'on n'arrêtera point le cours de ma gloire dans les terres de l'Achaïe (10) ». Il ne vent pas non plus qu'on s'imagine que c'est pour (143) lui un sujet de chagrin, que c'est la colère qui le fait parler; et ce qui lui arrive, il le montre comme un titre de gloire. Dans la première épître, même affirmation. Là, pour ne pas les blesser, il dit : « Quel est donc mon salaire? de prêcher gratuitement l'Evangile de Jésus-Christ». (I Cor. IX, 18.) Ce qu'il appelle salaire dans cette épître, il l'appelle maintenant ici un titre de gloire, afin que ceux qui l'écoutent n'aient pas trop à rougir de ne rien accorder à ses demandes. Car si vous me donniez, que s'ensuivrait-il ? Je ne veux rien recevoir. Quant à l'expression : « On n'arrêtera point le cours de ma gloire », c'est une image prise des cours d'eau ; sa gloire se répandait partout, parce qu'il ne recevait rien. Vous ne mettrez pas par vos dons une digue à ma liberté. Mais il ne dit pas : Vous n'arrêterez pas..., l'expression eût été choquante ; il dit : « On n'arrêtera point « le cours de ma gloire dans tes terres de « l'Achaïe ». Mais c'était encore leur porter un coup bien sensible, que de parler de la sorte; c'était les remplir de confusion et de chagrin ; ils étaient donc les seuls auxquels il répondît par des refus. Si c'était pour lui un titre de gloire, ce devait être partout un titre de gloire; si je ne me glorifie de mes refus qu'en ce qui vous concerne vous seuls, c'est probablement à cause de votre faiblesse.

Ces considérations auraient pu les attrister, l'apôtre prévient cette tristesse : voyez comment il adoucit son langage. « Et pourquoi ? Est-ce que je ne vous aime pas? Dieu le sait (11) ». Il se hâte d'arriver à la solution, dé les délivrer de toute peine. Toutefois , même de cette manière, il ne les met pas hors de cause. Il ne leur dit pas, c'est que vous êtes faibles, ni, c'est que vous êtes forts; mais, c'est que je vous aime, et c'était là ce qui chargeait le plus l'accusation. Il donnait une grande marque de son amour pour eux, en ne recevant rien d'eux, après les avoir vivement réprimandés.

5. L'amour donc lui faisait tenir deux conduites opposées : il recevait et il ne recevait pas; or, cette opposition provenait des dispositions contraires de ceux qui donnaient. Et il ne leur dit pas : Ce qui tait que je ne reçois rien de vous, c'est que j'ai une vive affection pour vous; comme il vient d'accuser leur faiblesse, et de les confondre, il donne de sa conduite une autre explication. Quelle est elle? « C'est afin de retrancher une occasion à ceux qui veulent une occasion de se glorifier, en faisant comme nous (12) » . Ils cherchaient un prétexte qui devait leur être enlevé. C'était là, en effet, pour eux, le seul motif de se glorifier. Il fallait donc leur enlever cet avantage, les corriger sur ce point, car, pour le reste, leur infériorité était notoire. Rien, comme je l'ai déjà dit, n'édifie tant les mondains que la position d'un homme qui ne reçoit rien. Aussi le démon n'écoutant que sa perversité, leur avait surtout jeté cette amorce, afin de leur nuire par d'autres moyens. Je ne vois là que de l'hypocrisie. Aussi l'apôtre ne dit pas: une occasion de pratiquer la perfection de la vertu, mais que dit-il? « De se glorifier ». Par ces paroles, l'apôtre se raillait de leur arrogance; car ils se glorifiaient même des vertus qu'ils n'avaient pas. L'homme bien doué non-seulement ne se glorifie pas de ce qu'il ne possède pas, mais il ne se reconnaît même pas celles qu'il possède. Telle était la conduite de notre bienheureux Paul, telle était celle du patriarche Abraham, disant : « Je ne suis que terre et que cendre.». (Gen. XVIII, 27.) Ce saint homme ne trouvant en lui aucun péché, brillant de toutes les vertus, avait beau s'examiner, impossible à lui de découvrir un titre pour s'accuser lui-même, et il était obligé de se rabattre sur sa nature; et trouvant le mot de terre encore trop respectable, il y joignait le mot cendre. D'où vient qu'un autre disait aussi : « Qui donne de l'orgueil à la terre et à la cendre ? » (Eccli. 9, X.)

Ne me vantez plus l'éclat de ce teint vermeil, ni cette tête si fièrement levée, ni la distinction des vêtements, ni les coursiers, ni les cortéges : quelle est la fin où tendent tous ces avantages, au bout de toute chose mettez cette fin. Si vous me parlez des choses visibles, je vous objecterai les peintures qui les surpassent de beaucoup en éclat; et comme nous n'admirons pas les peintures, parce que nous voyons que toute leur essence n'est que de la boue, de même n'admirons pas les splendeurs de la vie, car il n'y a là encore que de la boue. Avant même la décomposition, la réduction en poussière, montrez-la moi, cette noble tête, montrez-moi ce fiévreux qui râle; et alors causons ensemble, et je vous demande ce qu'est devenu toute cette pompe. Où est-elle passée toute cette année de flatteurs, de (144) serviteurs, d'esclaves, et cette abondance, et cette opulence, et tant de possessions? Quel coup de vent a tout emporté? Mais, dira-t-on , même sur le lit où il est étendu, ce riche porte les marques de son luxe, de magnifiques étoffes le recouvrent, pauvres et riches escortent ses funérailles, où se mêlent les bénédictions des peuples. Voilà surtout en quoi consiste la dérision; quoi qu'il en soit, tout cela c'est la fleur qui passe. Une fois que nous aurons de nouveau franchi le seuil des portes de la ville, après avoir livré le corps aux vers, et que nous serons de retour, je veux vous demander encore où s'en est allée cette grande multitude , ce qu'est devenu ce concert de clameurs, ce tumulte; et ces torches, qu'en a-t-on fait? Où sont ces choeurs de femmes? Est-ce que tout cela n'est qu'un songe? Et ces cris, où sont-ils? Et que font-elles maintenant toutes ces bouches vociférant avec un grand bruit, et conseillant la confiance, parce que la mort n'est rien? Certes, ce n'est pas lorsqu'un homme ne les entend plus, qu'il faut lui dire ces choses; mais quand il se livrait aux rapines, à la passion d'amasser, c'était alors qu'il fallait , en modifiant un peu les paroles, lui dire : pas de confiance, parce que rien n'échappe à la mort; réprime ta fureur insensée, éteins ta cupidité. Ce mot, confiance, il faut le dire à celui qui souffre l'injustice.

De telles paroles, en ce moment, pour ce mort, c'est un ménagement plein d'ironie; il n'a plus de sujet maintenant d'éprouver de la confiance, il n'a plus qu'à craindre, qu'à trembler. Mais s'il est désormais inutile de dire ces choses à ce malheureux sorti du stade de la vie, que ceux qui sont malades comme il l'était, que les riches qui l'accompagnent à sa sépulture, entendent la vérité. Si, jusqu'à ce moment, l'enivrement des richesses les a empêchés de concevoir des pensées sérieuses, qu'à cette heure au moins, quand la vue de ce mort confirme nos paroles, ils reviennent à la sagesse, qu'ils s'instruisent, qu'ils considèrent qu'on viendra bientôt les chercher, eux aussi, pour les conduire au tribunal où se rendent les comptes redoutables, où il leur faudra expier leurs rapines , leur cupidité que rien ne rassasiait. Et à quoi bon ces réflexions pour les pauvres? me répondra-t-on. C'est un très-grand plaisir pour la foule de voir le châtiaient de celui qui commet l'injustice; ruais, pour nous, ce n'est pas un plaisir : notre plaisir à nous, c'est d'être hors des atteintes du mal. Je vous loue vivement, et je vous félicite de ces dispositions, vous faites bien de ne pas vous réjouir des malheurs d'autrui,.de ne regarder comme un bonheur que votre propre sécurité. Eh bien ! cette sécurité, je vous la promets. Quand les hommes nous font du mal, nous nous libérons d'une partie considérable de notre dette, en supportant courageusement ce qui nous arrive. Nous n'éprouvons, à coup sûr, aucun dommage : Dieu nous tient compte de la vexation qui nous est faite, c'est autant de payé sur ce que nous lui devons, et ce n'est pas sa justice qui fait le calcul, mais son amour pour nous. Voilà pourquoi il n'est pas descendu au secours de celui à qui l'on fait du mal. Où est votre preuve ? me dit-on. Les Babyloniens ont fait du mal aux Juifs, Dieu ne s'y est point opposé, et l'on a emmené en servitude les enfants et les femmes. Eh bien ! après cette captivité, qui leur a été comptée comme une expiation de leurs fautes, ce peuple a été consolé. De là ces paroles inspirées par Dieu à Isaïe : « Consolez, consolez mon peuple, ô prêtres; parlez au coeur de Jérusalem , elle a reçu de la main du Seigneur des peines doubles de ses péchés » (Isaïe, XL, 1, 2); et encore : « Donnez-nous la paix, car vous nous avez tout rendu ». (Ibid. XXVI, 12.) Et David dit : « Voyez mes ennemis qui se sont multipliés, et remettez-moi tous mes péchés ». (Ps. XXIV, 19, 18.) Et quand Seméï l'outrageait , David résigné disait : « Laissez-le faire, afin que le Seigneur voie mon humiliation , et me donne la rémunération en échange de ce jour ». (II Rois, XVI, 11, 12.) Car lorsque Dieu ne venge pas les injures qu'on nous fait, c'est alors que nous faisons le plus de profits; il nous compte pour vertu notre résignation qui le bénit.

6. Donc, lorsque vous voyez un riche ravissant le bien d'un pauvre, ne vous occupez pas de celui à qui l'on fait du tort, pleurez sur le ravisseur. Le pauvre se purifie de ses souillures, le riche se souille. C'est ce qui arriva au serviteur d'Elisée avec Naaman. (IV Rois, V.) Car si ce serviteur ne ravit point, il consentit à recevoir frauduleusement; en cela consistait sa faute. Qu'y a-t-il gagné ? une faute de plus, et avec cette faute, la lèpre ; celui à qui on faisait du tort, y trouvait son profit; et celui qui faisait du tort, éprouvait les plus grands maux. C'est aujourd'hui l'histoire de (145) l'âme; et cela s'étend si loin que souvent le mal éprouvé suffit seul pour rendre Dieu propice: celui à qui l'on fait du mal a beau être indigne d'assistance, l'excès de. son malheur suffit pour lui attirer le pardon de Dieu, pour décider Dieu à se porter son vengeur. De là, ces paroles adressées autrefois par Dieu à des barbares à qui il avait confié sa vengeance : « Je ne les avais envoyés que pour un léger châtiment, et ils ont ajouté beaucoup de maux de leur, chef.». (Zach. I, 15.) Et voilà pourquoi ils souffriront des maux sans remèdes. Non, non, il, n'est rien qui excite autant la colère de Dieu que la rapine, la violence, l’insatiable cupidité. Pourquoi ? parce que rien n'est plus facile que de s'abstenir de ce péché. Il n'y a pas là un désir naturel; ce désordre n'est que le fruit de notre indolence. Pourquoi donc l'apôtre l'appelle-t-il la racine de tous les maux? Je dis comme lui, mais ne l'imputons qu'à nous mêmes, cette racine; et non à la nature. Si vous le voulez, établissons la comparaison : voyons quelle est la plus tyrannique, de la cupidité ou de la concupiscence ; la passion qui sera convaincue d'avoir abattu les grands hommes, c'est la plus funeste. Voyons donc quel grand homme a été la proie de la cupidité ! Il n'en est aucun; nous ne trouvons que des êtres misérables, abjects, un Giézi, un Achab de Juda, les prêtres des Juifs. Mais la concupiscence, elle a triomphé du grand prophète David. Ces paroles q ne je prononce ne tendent. pas a excuse ceux qui se laissent prendre par cette passion, mais bien plutôt à les rendre vigilants. Quand je montre la. grandeur de ce mal, je montre combien l'indolence ne mérite aucune excuse. En effet, si vous ignoriez ce que c’est que cette bête féroce , vous pourriez chercher auprès d'elle votre refuge ; mais si, quand vous la connaissez, vous allez tomber sous ses coups, vous ne sauriez rien dire pour vous, justifier: Après David,.son. fils y succomba. plus encore. Certes, pourtant nul ne le surpassa jamais en sagesse; il fut, orné en outre de toutes les vertus; cependant il fut tellement la proie de cette passion, qu'elle lui fit de mortelles blessure. Le père se releva de la chute, renouvela ses combats, reconquit sa couronne ; le fils ne nous montre pas le même spectacle. Aussi Paul disait : « Mieux vaut se marier, que de brûler »  ( I Cor. VII, 9) ; et le Christ : « Qui peut comprendre ceci, le comprenne. » (Matth. XIX, 12.) Pour les richesses , il n'en est pas de même ; mais : « Quiconque aura quitté ses biens, recevra le centuple ». (Ibid. 29.)

Mais comment donc, objecterez-vous, a-t-il pu dire. des riches, qu'ils obtiendront difficilement le royaume des cieux? (lbid. 23.) Ces paroles sont faites pour laisser soupçonner ce qu'il y a en eux de mollesse; les richesses n'exercent pas un empire tyrannique, mais les riches s'obstinent à y demeurer asservis. C'est ce que démontre le conseil de Paul. Pour détourner de la cupidité, il dit : «Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation ». (I Tim. VI, 9.) A propos de la concupiscence,.il ne tient pas le même langage; après une courte séparation du consentement mutuel du mari et de la femme, il les avertit de se rapprocher. Il. redoutait les flots d'une passion débordée, il redoutait un naufrage sinistre: Cette passion a plus de violence que la colère même : la colère est impossible en l'absence de tout objet qui l'excite ; mais la concupiscence s'éveille même en l'absence de la beauté qui provoqué les désirs. Voilà pourquoi l'apôtre ne condamne pas d'une manière absolue cette passion ; il ajoute qu'il ne faut pas y céder « sans cause » ; ce n'est pas le désir même qu'il supprimé, mais le désir quand il est coupable. « A cause de la concupiscence», dit-il, « que chaque homme possède sa femme à lui ». (I Cor, VII, 2.)

Mais, pour ce qui est de thésauriser, l'apôtre n'admet pas la distinction de cause et de sans cause. Les passions utiles ont été misés en nous par la nature; les désirs des sens répondent à la procréation des enfants; la colère est un secours pour ceux qui souffrent de l'injustice; le désir des richesses ne répond à aucune nécessité. Ce n'est donc pas une passion naturelle. C'est pourquoi s'il vous arrive d'être vaincus par ce mal, votre défaite sera d'autant plus honteuse. Voilà pourquoi Paul, qui permet jusqu'à un second mariage, est si rigoureux .en ce qui concerne les richesses «Pourquoi », dit-il , « ne souffrez-vous pas plutôt, qu'on vous fasse tort? pourquoi ne consentez-vous pas plutôt à perdre? » (I Cor. VI, 7.) Sur la virginité il dit : « Je n'ai point, reçu de commandement du Seigneur ; et je vous dis ceci pour votre utilité, non pour vous tendre un piège » ( I Cor. VII,  25, 35) ; mais c'est un autre langage, s'i1 vient à parler d'argent : « Ayant de quoi nous couvrir, et de (146) la nourriture, contentons-nous-en». (I Tim. VI, 8.) Comment donc se fait-il, dira-t-on, que le grand nombre succombe à cette passion ? C'est qu'on n'est pas préparé à la combattre , comme on l'est à repousser l'impudicité, la fornication; si la cupidité paraissait un mal aussi funeste , on ne s'y laisserait pas prendre si vite. Ces vierges malheureuses de l'Ecriture ont été bannies de la chambre de l'époux parce qu'après avoir terrassé leur plus redoutable ennemi , elles s'étaient laissé vaincre par le plus faible, par un ennemi sans force. On peut aussi ajouter à ces réflexions qu'un homme qui triomphe de la concupiscence, et dont triomphe la cupidité, cet homme bien souvent n'a pas même à triompher de la concupiscence; il doit à la nature de ne pas être troublé de ce côté-là, car nous n'y sommes pas tous également portés.

C'est pourquoi, instruits de ces vérités, ayant toujours devant les yeux l'exemple des vierges, fuyons l'avarice, cette redoutable bête féroce. Si leur virginité ne leur a servi de rien, si, après tant de fatigues, tant de sueurs, elles se sont perdues par leur amour pour l'argent, qui nous sauvera, nous, dans le cas où nous succomberions à cette passion? Aussi je vous conjure de tout faire afin que vous vous débattiez si vous vous êtes laissé prendre. Sachons rompre ces affreux liens. C'est ainsi que nous pourrons parvenir au ciel, et obtenir les biens infinis : puissions-nous tous entrer dans ce partage , par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au, Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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