SERMON CCCXV
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SERMON CCCXV. FÊTE DE SAINT ÉTIENNE, MARTYR. II. ANALOGIES AVEC LA PASSION.

 

sANALYSE. — 1° Saint Etienne fut accusé, comme le Sauveur, par de faux témoins d'autant plus redoutables qu'ils se contentaient de dénaturer ses paroles. 2° Si, comme le Sauveur, il ne se tut pas, ce fut pour obéir au Sauveur même; et; s'il leur parla avec dureté, ce n'en fut pas moins avec charité. 3° En priant pour lui-même il se tint debout, parce qu'il ne demandait que ce qui lui était dû ; il s'agenouilla en priant pour ses ennemis, parce qu'ils n'avaient aucun droit à la grâce divine, et il obtint la conversion de saint Paul. Pouvait-il imiter avec plus de perfection Jésus-Christ priant pour ses bourreaux? Exhortation à réprimer la colère.

 

1. Vous venez d'entendre, pendant qu'on faisait la lecture, comment le bienheureux Etienne fut ordonné, comme septième, avec les six autres diacres, et comment il parvint à la suprême couronne. Le premier mérite de ce premier martyr mis en relief devant vôtre charité, c'est que son supplice est consigné dans un livre canonique, au lieu que nous découvrons à peine les actes des autres martyrs pour les lire quand nous célébrons leur fête. Les Actes des Apôtres sont effectivement un livre canonique de l'Ecriture. La coutume de l'Eglise est d'en commencer la lecture au Dimanche de Pâques. Ainsi donc, c'est dans le livre intitulé Les Actes des Apôtres que vous avez appris comment les Apôtres élurent et ordonnèrent sept diacres, au nombre desquels était saint Etienne. Les Apôtres sont les premiers en dignité, les diacres viennent ensuite pourtant le premier martyr fut un diacre, et non pas un Apôtre ; la première victime fut un agneau, et non un bélier.

2. Quelle ressemblance présente son martyre avec la passion de son Seigneur et Sauveur ! De faux témoins s'élevèrent contre l'un comme contre l'autre, et sur le même sujet. Vous savez, vous vous rappelez ce qui fut dit par les faux témoins contre le Christ Notre-Seigneur: « Nous lui avons entendu dire: Je détruis ce temple et dans trois jours j'en bâtis un autre tout neuf (1) » . Il est vrai, le Seigneur n'avait point parlé ainsi; mais le mensonge

 

1. Marc, XIV, 58.

 

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voulut se rapprocher de la vérité. En quoi consiste la fausseté de ce témoignage? Les témoins avaient ouï ces mots: « Détruisez ce temple, et en trois jours je le rebâtirai. Or, observe l'Evangéliste, il disait cela du temple de son corps (1) ». Mais au lieu de : « Détruisez », les faux témoins disaient : « Je détruis ». Sans doute le changement n'était que dans quelques syllabes; mais ces menteurs étaient d'autant plus perfides que pour mieux tromper ils se rapprochaient davantage de la vérité. Pour saint Etienne, que lui reprocha-t-on? : « Nous lui avons entendu dire que Jésus de Nazareth détruira ce temple et changera les coutumes légales (2) ». C'était à la fois une fausse déposition et une prédiction véridique. C'est ainsi que Caïphe, l'un, de leurs docteurs et des princes des prêtres, avait dit, en conseillant aux Juifs de mettre le Christ à mort : « Mieux vaut la mort d'un homme que la ruine de toute la nation. Or, observe l'Evangéliste, il ne dit pas cela de lui-même; mais, étant le pontife de cette année-là, il prédit que le Christ devait mourir pour le peuple (3) ». Pourquoi cela, mes frères? C'est qu'il y a dans la vérité une grande puissance ; tout en la haïssant, les hommes la prédisent à leur insu, et ils n'en sont que les instruments. Ainsi donc, il s'éleva contre Etienne de faux témoins semblables aux faux témoins pour qui le Christ fut mis à mort.

3. Pour donner à sa condamnation plus d'autorité, ces faux témoins l'amenèrent devant le sanhédrin. Là, cet ami du Christ, après avoir exposé sa cause, proclama la divine vérité de son Maître. Il allait mourir : pourquoi ses lèvres pieuses ne se seraient-elles point ouvertes devant ces impies? Pourquoi ne serait-il pas mort pour la défense de la vérité? Entre son Seigneur et lui il y eut cependant une différence dans le cours même des souffrances; c'était pour indiquer un incontestable mystère, le mystère de la majesté et de la grandeur divines dans la personne de Jésus. Lorsque le Seigneur. fut conduit devant ses juges, il préféra garder le silence, quoique interrogé par eux ; au lieu qu'Etienne ne le garda pas. Pourquoi le Seigneur le garda-t-il ? Parce qu'il avait été prédit de lui : « Il a été conduit comme une brebis à l'immolation, et comme « l'agneau muet sous le ciseau qui le tond, il

 

1. Jean, II, 19-21. — 2. Act. VI, 14. — 3. Jean, XI, 50, 51.

 

n'a pas ouvert la bouche (1) ». Pourquoi Etienne ne le garda-t-il pas ? Parce que son Seigneur même avait dit : « Ce que je vous enseigne dans les ténèbres, publiez-le au grand jour; et ce qui vous est dit à l'oreille, prêchez-le sur les toits (2) ». Comment saint Etienne prêcha-t-il sur les toits? Parce qu'il foula aux pieds sa chair, une maison de boue. N'est-ce pas fouler la chair aux pieds que de ne craindre pas la mort ?

Etienne commença par remonter devant eux jusqu'à l'origine de la loi de Dieu ; il alla d'Abraham à Moïse, à la publication de la loi, à l'entrée dans la terre promise : c'était pour leur démontrer qu'on avait tort de déposer contre lui ce qu'on lui imputait. Il fit ensuite, en parlant de Moïse, une frappante allusion au Christ. Quoique rejeté par eux, Moïse délivra les Juifs ; il les délivra après avoir' été rejeté ; loin de rendre le mal pour le mal, pour le mal il rendit le bien. C'est ainsi qu'après avoir été réprouvé par les Juifs, le Christ Notre-Seigneur doit les délivrer un jour.

4. Il est vrai, ceux qui meurent maintenant n'en sont pas moins morts. Mais viendra l'époque où ce peuple juif que tu vois aujourd'hui sera délivré par Celui-là même qu'il a rejeté, quoique maintenant il ne le sache pas. Ceux d'entre eux qui maintenant le blasphèment, périssent sans doute; d'autres leur succèderont, et ce sera ce peuple, le même peuple qui obtiendra le salut dont nous parlons à l'heure qu'il est. La nation donc sera délivrée, quoique ceux-ci ne le soient pas. Ecoutez et comprenez cette comparaison. Dieu ne délivre-t-il pas aujourd'hui les gentils ? Tous les peuples gentils croient au Christ, et de fils du diable ils deviennent enfants de Dieu. Il n'en est pas moins vrai: que nos pères, que les idolâtres dont nous sommes issus, se sont perdus avec leurs idoles.

5. En prêtant l'oreille, vous avez joui d'un spectacle intérieur ; le bruit frappait vos oreilles, vos âmes voyaient ; elles voyaient cette grande lutte d'Etienne accablé sous une grêle de pierres. Et qu'était-il ? Un homme qui depuis longtemps rappelait la loi. Quelle loi ? La loi reçue par les Juifs sur des tables de pierre. Devenus pierres, eux-mêmes, doit-on s'étonner qu'ils aient lapidé l'ami du Christ?

« Têtes dures », car après leur avoir rappelé

 

1. Isaïe, LIII, 7. — 2. Matt. X, 27.

 

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la loi, il les réprimande. « Coeurs et oreilles incirconcis, quel prophète n'a pas été mis à mort par vos pères ? » Rigueur apparente ; ce langage est sévère, le coeur est plein de douceur. Etienne crie,. et il aime ; il est rigide, et il veut les sauver. Qui ne le croirait irrité, qui ne l'estimerait enflammé de haine quand il crie: « Têtes dures, coeurs et oreilles incirconcis ? »

Cependant le Seigneur regarda du haut du ciel ; Etienne le vit. Le ciel s'ouvrit, et Jésus apparut comme pour encourager son athlète. Le martyr ne s'abstint pas de dire ce qu'il voyait. « Voici, je vois, dit-il, le ciel ouvert et le Fils de l'homme debout à la droite de la Majesté ». En l'entendant parler ainsi, et comme s'il eût proféré un blasphème, les Juifs se bouchèrent les oreilles et coururent aux pierres. Il était dit dans un psaume: « C'est comme l'aspic sourd qui se ferme les oreilles (1) ». Ici donc ils accomplirent ce qui était prédit d'eux. On commence à lapider Etienne. Rappelez-vous maintenant sa rigueur, ses austères paroles : « Durs de tête, incirconcis de coeur et d'oreilles ». C'est l'accent d'un ennemi : ne dirait-on pas qu'il va les égorger tous,, s'il le peut ? Mais pour le croire, il faudrait ne voir pas son coeur. Sans doute ce coeur est caché ; mais les secrets s'en révèlent dans les dernières paroles que fit entendre le martyr au moment où on le lapidait. «Seigneur Jésus, s'écria-t-il, recevez mon esprit ». C'est à vous que je m'adresse, c'est pour vous que je meurs. « Seigneur Jésus, recevez mon esprit ». Parce que vous l'avez soutenu, votre protégé est vainqueur. « Recevez mon esprit », des mains de, ceux qui haïssent le vôtre. Ainsi parla saint Etienne encore debout. Il fléchit ensuite le genou et s'écria : «Seigneur, ne leur imputez pas ce péché ». Eh ! où sont les têtes dures? Voilà à quoi se bornent tes reproches, à quoi aboutissent toutes tes rigueurs ? Ah ! ta bouche réprimandait, mais ton coeur priait.

6. « Seigneur Jésus, recevez mon esprit » il parlait ainsi en restant debout. Il, exigeait effectivement ce qui lui était dû quand il disait : « Seigneur Jésus, recevez mon esprit ». Il exigeait ce qui était dû, ce qui avait été promis aux martyrs, ce que réclamait l'Apôtre par ces paroles : « Déjà on m'immole, et le

 

1. Ps. LVII, 5.

 

temps de ma décomposition est proche. J'ai  combattu le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé ma foi. Reste la couronne de justice qui m'est réservée, et que le Seigneur, juste Juge, me rendra en ce jour (1)». Il rendra, il rendra ce qu'il me doit. A l'Apôtre ci-devant étaient dus des supplices; Dieu maintenant lui est redevable de grandes récompenses. Comment à l'Apôtre Paul était-il dû des supplices ? Parce qu'il était alors ennemi et persécuteur de l'Eglise. Ecoutez-le : « Je ne mérite pas le nom d'Apôtre, parce que j'ai persécuté l'Eglise de Dieu ». Il le mérite quand il dit : Je ne le mérite pas. Pourquoi ne le mérites-tu pas ? — Je méritais bien d'être en proie aux tourments, d'être précipité dans les enfers, d'être torturé en proportion de mes crimes ; mais je ne méritais pas d'être Apôtre. — Comment donc es-tu parvenu à ce que tu ne méritais pas ? — Il poursuit: « C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis (2) ». C'est par ma faute que j'étais ce que j'étais; c'est par la faveur de Dieu que je suis ce que je suis. —Ainsi, pour pouvoir réclamer ce qui lui était dû, il a reçu d'abord ce qui ne lui était dû nullement. Que lui est-il dû ensuite? « Il ne me reste que la couronne.de justice, celle que le Seigneur, juste Juge, me rendra en ce jour ». Il me la rendra, elle m'est due, elle ne me l'était pas d'abord. Que m'était-il dû d'abord ? « Je ne suis pas digne du nom d'Apôtre ; c'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis ». C'est dans ce sens aussi qu'en disant : « Seigneur Jésus », saint Etienne se tenait debout afin d'exprimer la confiance qu'il ressentait en lui-même pour avoir bien lutté, bien combattu, pour n'avoir,pas fléchi devant l'ennemi, pour avoir méprisé la peur, dédaigné la chair , vaincu, le mande et le démon ; oui, c'est pour ce motif qu'il se tenait debout en disant « Seigneur Jésus, recevez mon esprit ».

7. Au moment même où il réclamait cette dette, l'apôtre Paul mettait le comble à des dettes d'autre sorte. Etienne réclamait ce qui lui était dû pour son bonheur ; Paul ajoutait à ce qui lui était dû pour son malheur. Quelle idée vous faites-vous de ce que je dis, mes frères? Vous l'avez entendu, mais peut-être n'y avez-vous pas pris garde : lorsqu'il fut question de lapider saint Etienne, ses faux

 

1. II Tim. IV, 6-8. — 2. I Cor. XV, 9, 10

 

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témoins, pour lui jeter la pierre, déposèrent leurs vêtements aux pieds d'un jeune homme nommé Saul.

Ce Saul devint Paul ensuite : Saul, il était persécuteur; Paul, il fut prédicateur. Saul, en effet, vient de Saül, Saül, le persécuteur du roi David. Saül avait été contre David ce que fut Saul contre Etienne. Mais une fois appelé du haut du ciel, une fois appelé, renversé, changé; une fois que, devenu Apôtre, il eut commencé à prêcher la parole de Dieu, il changea de nom et s'appela Paul. Pourquoi choisit-il ce nom? Parce que Paul signifie médiocre, petit. Ne disons-nous pas fréquemment: Post paulum videbo te : Je te verrai dans peu de temps? Comment donc Paul était-il Paul? « Je suis le moindre des Apôtres (1) ». Chose merveilleuse et vraiment divine ! cet homme qui persécutait le Christ au moment du meurtre d'Etienne, est devenu ensuite le prédicateur du royaume des cieux. Voulez-vous savoir quelle était son ardeur cruelle au moment de ce meurtre? Afin de jeter en quelque sorte la pierre au martyr par les mains de tous, de tous il gardait les vêtements.

Sitôt donc que, debout, saint Etienne eut réclamé ce qui lui était dû, en disant: « Seigneur Jésus; recevez mon esprit », il jeta les yeux sur ses ennemis, qui en le lapidant contractaient pour leur malheur une dette nouvelle et ajoutaient à ce trésor dont parle ainsi l'apôtre saint Paul : « Mais toi, par ta dureté et l'impénitence de ton coeur, tu t'amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de  Dieu (2) » ; il regarda donc ses ennemis, et touché pour eux de compassion, il fléchit le genou en leur faveur. Priait-il pour lui? il demeurait debout; pour eux ? il fléchissait le genou. Ainsi distinguait-il le juste du pécheur. Si, en priant pour le juste, il se tenait debout, c'est qu'il réclamait sa récompense; et si, pour les pécheurs, il s'agenouillait, c'est qu'il savait combien il lui serait difficile d'être exaucé en faveur de ces grands coupables. Tout juste qu'il fût, quoique touchant déjà la couronne, il ne présuma point, il fléchit le genou; il rie considérait point ce qu'il méritait d'obtenir lui-même en priant, mais ce que méritaient ces malheureux qu'il voulait soustraire à d'affreux supplices. « Seigneur,

 

1. I Cor. XV, 9. — 2. Rom. II, 5.

 

dit-il, ne leur imputez pas ce péché ».

8. Ce que fit Etienne dans son humilité, Jésus le fit dans sa grandeur; ce que fit l’un en s'inclinant vers la terre, l'autre le fit du haut de l'arbre où il était suspendu. Rappelez-vous, en effet, que lui aussi dit à son Père: « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (1) ». Assis en quelque sorte sur la croix comme sur une chaire doctorale, il enseignait à Etienne un des devoirs de la charité. O bon Maître ! que vous avez bien parlé, que vous l'avez bien instruit ! Voyez votre disciple prie pour ses ennemis, prie pour ceux qui le lapident. Ainsi montre-t-il comment le petit doit imiter le grand, la créature son Créateur, la victime son Médiateur, l'homme enfin le Dieu-Homme, Celui qui est vraiment Dieu mais qui aussi. est homme sur la croix, le Christ qui est Dieu, mais qui sur la croix se montrait homme quand il disait à haute voix: « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ».

On se dit : Il a prié, lui, pour ses ennemis, parce qu'il est le Christ, parce qu'il est Dieu, parce qu'il est le Fils unique; qui suis-je, moi, pour en faire autant? Si ton Seigneur est trop élevé au-dessus de toi, ignores-tu que comme toi Etienne est son serviteur? Or Dieu, par Etienne, t'a donné une leçon que tu ne dois point dédaigner. Bien que vous voyiez ces exemples dans l'Evangile d'abord, que nul de vous, mes frères, ne dise en son coeur: Qui les imite ? Etienne ne les a-t-il pas imités? Or, est-ce par lui-même, est-ce par ses propres forces? Si c'est au contraire par la grâce de Dieu, a-t-il pénétré, pour t'en exclure, dans les trésors de cette grâce ? A-t-il détruit le pont après l'avoir franchi? Tu trouves le devoir bien difficile? Toi aussi, prie, la source coule, elle n'est point tarie.

9. Or, j'y exhorte ardemment votre charité exercez-vous, mes frères, autant que vous le pouvez, à vous montrer bons envers vos ennemis eux-mêmes. Mettez un frein à la colère qui vous porte à vous venger. La colère est un scorpion. Tu crois faire merveille, quand elle t'excite par ses ardeurs, en te vengeant de ton ennemi. Eh bien ! veux-tu te venger réellement de ton ennemi ? Tourne-toi vers ta colère même, car elle est ton ennemi, puisqu'elle donne la mort à ton âme. Brave homme, car

 

1. Luc, XXIII, 34.

 

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je ne veux pas dire autrement, je préfère dire ce que je voudrais que tu fusses, plutôt que ce que tu es; brave homme, que peut contre toi ton ennemi? A quoi aboutit le plus haut effort de sa puissance? Qu'ambitionne-t-il, quand il veut que Dieu lui laisse toute liberté ? De répandre ton sang. Il n'y parviendra pas aisément, et les ennemis sont rares, qui poussent la cruauté jusqu'à donner la mort; souvent même, quand ils voient dans l'affliction ceux contre qui ils s'acharnent, les ennemis changent leur colère en compassion. Oui, il est difficile de rencontrer un ennemi qui pousse la haine jusqu'au meurtre. Suppose cependant qu'un ennemi la pousse jusque-là; mets-toi en présence d'un ennemi de cette sorte; que te fera-t-il? Il te procurera ce que les Juifs ont procuré à Etienne, une couronne, des tourments pour eux-mêmes. Cet ennemi te donnera la mort; mais dois-tu ne jamais mourir, vivre toujours? Ainsi, ton ennemi parviendra donc à faire ce que devait faire quelque jour une petite fièvre; il sera pour toi comme une fièvre en te mettant à mort. Crois-tu qu'il te nuira en t'ôtant la vie ? Non; au contraire, si tu meurs en bon état et en l'aimant, il ajoutera à ta céleste récompense. Ne sais-tu pas combien ces bourreaux ont augmenté la gloire de saint Etienne ? Se disaient-ils qu'à cause de sa vertu, lui recevrait une couronne, et eux des supplices en punition de leur méchanceté? De quoi ne sommes-nous pas redevables au diable? C'est à lui que nous devons tous nos martyrs. Croyez-vous qu'il doive nous épargner? Cependant il ne sera point récompensé du bien qu'il a fait sans le vouloir; Dieu lui imputera le mal qu'il cherchait et non le bien que Dieu en a tiré. Ainsi, quel que soit l'ennemi qui te poursuive à mort, cet ennemi ne te nuira point.

Vois au contraire combien est funeste la colère. Reconnais en elle ton ennemie, l'ennemie contre laquelle tu luttes dans l'arène de ton coeur. Ce théâtre est étroit, mais Dieu y est spectateur; domptes-y ton ennemi. Veux-tu savoir combien cette ennemie est acharnée ? Le voici.

Tu vas faire à Dieu ta prière; voici pour toi le moment de lui dire : « Notre Père qui êtes aux cieux »; et d'ajouter : « Pardonnez-nous nos péchés ». Mais ensuite? « Comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés (1) ». Eh bien ! c'est ici que ton ennemie se dresse contre toi; elle ferme le passage à ta prière; elle élève devant toi un rempart, tu ne saurais passer outre. Tu as dit sans obstacle tout ce qui précède; de tes lèvres coulaient ces mots : « Pardonnez-nous nos péchés ». Mais il faut ajouter : « Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Or, c'est ici que résiste ton ennemie; elle résiste, non point en dehors, mais au dedans, dans le sanctuaire même de ton coeur : c'est là qu'elle élève ses cris, ses cris de contradiction. Combien elle est acharnée contre nous, mes frères, en résistant ainsi !

« Comme nous pardonnons nous-mêmes ». Il ne t'est point permis de sévir contre ton ennemi; sévis contre ta colère. « Celui qui dompte sa colère, l'emporte sur celui qui prend une cité » , dit l'Écriture (2). Oui, c'est bien dans l'Écriture que se trouvent ces mots « Celui qui dompte sa colère, l'emporte sur celui qui prend une cité ». Quand un général d'armée attaque des ennemis et qu'il rencontre une ville fortifiée, munie de défenseurs et riche, qui lui résiste, n'est-il pas vrai que s'il s'en rend le maître et le vainqueur, que s'il parvient à la détruire, il réclame les honneurs du triomphe ? Eh bien ! comme s'exprime l'Ecriture : « Celui qui dompte sa colère l'emporte sur celui qui prend une cité ». La colère, est sous ta main. Tu ne saurais l'anéantir? Tu peux la réprimer. Si tu as de la force, dompte ta colère et épargne la cité.

            Je vous vois fort attentifs; je sais avec quel bon esprit vous m'avez entendu. Que Dieu vous assiste dans vos combats, afin qu'il vous profite d'avoir été spectateurs de la lutte de notre grand martyr ; puissiez-vous vous vaincre vous-mêmes intérieurement, comme sous vos yeux et à vos applaudissements s'est vaincu saint Etienne.

 

1. Matt. VI, 9, 12. — 2. Prov. XVI, 32.

 

 

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