MARIE-MADELEINE

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LE XXII JUILLET. SAINTE MARIE MADELEINE.

 

« Trois Saints, dit à Brigitte de Suède le Fils de Dieu, m'ont agréé pardessus tous les autres : Marie ma mère, Jean-Baptiste, et Marie Madeleine (1). » Figure, nous disent les Pères (2), de l'Eglise des Gentils appelée des abîmes du péché à la justice parfaite, Marie Madeleine plus qu'aucune autre, en effet, personnifia les égarements et l'amour de cette humanité que le Verbe avait épousée. Comme les plus illustres personnages de la loi de grâce, elle se préexista dans les siècles. Suivons dans l'histoire de la grande pénitente la marche tracée par la voix unanimement concordante de la tradition : Madeleine, on le verra, n'en sera point diminuée.

Lorsqu'avant tous les temps Dieu décréta de manifester sa gloire, il voulut régner sur un monde tiré du néant ; et la bonté en lui égalant la puissance, il fit du triomphe de l'amour souverain la loi de ce royaume que l'Evangile nous montre semblable à un roi qui fait les noces de son fils (3).

C'était jusqu'aux limites extrêmes de la création, que l'immortel Fils du Roi des siècles arrêta

 

1. Revelationes S. Birgittae, Lib. IV, cap. 108.  2. Hilar. in Matth. XXIX ; Paulin. Nol. Ep. XXIII, al. III et IV, 32 ; Cyrill. Al. in cap. XII Johannis ; Gregor. in Ev. nom. XXXIII, 5-7; Beda in Luc. III; Rupert. in Johan. XIV ; etc. — 3. Matth. XXII, 2.

 

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de venir contracter l'alliance résolue au sommet des collines éternelles. Bien au-dessous de l'ineffable simplicité du premier Etre, plus loin que les pures intelligences dont la divine lumière parcourt en se jouant les neuf chœurs, l'humaine nature apparaissait, esprit et corps, faite elle aussi pour connaître Dieu, mais le cherchant avec labeur, nourrissant d'incomplets échos sa soif d'harmonies, glanant les derniers reflets de l'infinie beauté sur l'inerte matière. Elle pouvait mieux, dans son infirmité, manifester la condescendance suprême ; elle fixa le choix de Celui qui s'annonçait comme l'Epoux.

Parce que l'homme est chair et sang, lui donc aussi se ferait chair (1) ; il n'aurait point les Anges pour frères (2), et serait fils d'Adam. Splendeur du Père dans les deux (3), le plus beau de sa race ici-bas (4), il captiverait l'humanité dans les liens qui l'attirent (5). Au premier jour du monde, en élevant par la grâce l'être humain jusqu'à Dieu, en le plaçant au paradis de l'attente, l'acte même de création scella les fiançailles.

Hélas ! sous les ombrages de l'Eden, l'humanité ne sut attendre l'Epoux. Chassée du jardin de délices, elle se jeta dans tous les bois sacrés des nations et prostitua aux idoles vaines ce qui lui restait de sa gloire (6). Car grands encore étaient ses attraits ; mais ces dons de nature, quoiqu'elle l'eût oublié (7), restaient les présents profanés de l'Epoux : « Cette beauté qui te rendait parfaite aux yeux, c'était la mienne que j'avais mise en toi, dit le Seigneur Dieu (8). »

 

1. Heb. II, 14. — 2. Ibid. 16. — 3. Ibid. 13. — 4. Psalm. XLIV, 3.— 5. OSE. XI, 4. — 6. Jerem. II, 20. — 7. Ose. II, 8. — 8. Ezech. XVI, 14.

 

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L'amour n'avouait pas sa défaite (1) ; la Sagesse, suave et forte (2), entreprenait de redresser les sentiers des humains (3). Dans l'universelle conspiration (4), laissant les nations mener jusqu'au bout leur folle expérience (5), elle se choisit un peuple issu de souche sainte, en qui la promesse faite à tous serait gardée (6). Quand Israël sortit d'Egypte, et la maison de Jacob du milieu d'un peuple barbare, la nation juive fut consacrée à Dieu, Israël devint son domaine (7). En la personne du fils de Béor, la gentilité vit passer au désert ce peuple nouveau, et elle le bénit dans l'admiration des magnificences du Seigneur habitant avec lui sous la tente, et cette vue fit battre en elle un instant le cœur de l'Epouse. « Je le verrai, s'écria-t-elle en son transport, mais non maintenant ; je le contemplerai, mais plus tard (8) ! » Du sommet des collines sauvages (9) d'où l'Epoux l'appellera un jour (10), elle salua l'étoile qui devait se lever de Jacob, et redescendit prédisant la ruine à ces Hébreux qui l'avaient pour un temps supplantée (11).

Extase sublime, suivie bientôt de plus coupables égarements ! Jusques à quand, fille vagabonde, t'épuiseras-tu dans ces délices fausses (12)? Comprends qu'il t'a été mauvais d'abandonner ton Dieu (13). Les siècles ont passé ; la nuit tombe (14) ; l'étoile a paru, signe de l'Epoux conviant les nations (15). Laisse-toi ramener au désert ; écoute Celui qui parle à ton cœur (16). Ta rivale d'autrefois

 

1. Sap. VII, .10. — 2. Ibid. VIII, 1. — 3. Ibid. IX, 18. — 4. Ibid. X, 5. — 5. Ose. II, 5-7. — 6. Gen. XXII, 18. —  7. Psalm. CXIII, 1-2. — 8. Num. XXIII-XXIV. — 9. Ibid. XXIII, 9. — 10. Cant. IV, 8. — 11. Num. XXIV, 24. — 12. JEREM. XXXI, 22. — 13. Ibid. II, 19. — 14. Rom. XIII, 12. — 15. Epiphan. Ant. ad Benedictus. — 16. Ose. II, 14.

 

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n'a point su rester reine; l'alliance du Sinaï n'a produit qu'une esclave (1). L'Epoux attend toujours l'Epouse.

Quelle attente, ô Dieu, que celle qui vous fait franchir au-devant de l'infidèle humanité les collines et les monts (2) ! A quel point donc peuvent s'abaisser les cieux (3), que devenu péché pour l'homme pécheur (4), vous portiez vos conquêtes au delà du néant (5), et triomphiez de préférence au fond des abîmes (6) ? Quelle est cette table où votre Evangéliste nous montre le Fils de l'Eternel, inconnu sous la servile livrée des hommes mortels, assis sans gloire dans la maison du pharisien superbe (7)? L'heure a sonné où Laitière synagogue qui n'a su ni jeûner avec Jean, ni se réjouir avec Celui dont il préparait les sentiers, va voir enfin Dieu justifier les délais de son miséricordieux amour (8). « Ne méprisons pas comme des pharisiens les conseils de Dieu, s'écrie saint Ambroise à cet endroit du livre sacré (9). Voici que chantent les fils de la Sagesse ; écoute leurs voix, entends leurs danses : c'est l'heure des noces. Ainsi chantait le Prophète, quand il disait : Viens ici du Liban, mon Epouse, viens ici du Liban (10). »

Et voici qu'une femme, qui était pécheresse dans la ville, quand elle apprit qu'il était assis à table dans la maison du pharisien, apporta un vase d'albâtre plein de parfum ; et se tenant derrière lui à ses pieds, elle commença à les arroser de ses larmes, et les essuyant avec ses cheveux, elle les baisait, et y répandait le parfum (11).

« Quelle est cette femme ? L'Eglise sans nul

 

1. Gal. IV, 24. — 2. Cant. II, 8. — 3. Psalm. XVII, 10. — 4. II Cor. V, 21.— 5. Philip. II, 7-8. — 6. Eccli. XXIV, 8.— 7. Luc. VII, 36-5o. — 8. Ibid. 27-35. — 9. AMBR. in Luc. VI, 1-11. — 10. Cant. IV, 8. — 11. Luc. VII, 37, 38.

 

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doute, répond saint Pierre Chrysologue : l'Eglise sous le poids des souillures de ses péchés passés dans la cité de ce monde. A la nouvelle que le Christ a paru dans la Judée, qu'il s'est montré au banquet de la Pâque, où il livre ses mystères, où il révèle le Sacrement divin, où il manifeste le secret du salut : soudain, se précipitant, elle dédaigne les contradictions des scribes qui lui ferment l'entrée, elle brave les princes de la synagogue; et ardente, toute de désirs, elle pénètre au sanctuaire, où elle trouve Celui qu'elle cherche trahi par la fourberie judaïque au banquet de l'amour, sans que la passion, la croix, le sépulcre, arrêtent sa foi et l'empêchent de porter au Christ ses parfums (1) »

Et quelle autre que l'Eglise, disent à leur tour ensemble Paulin de Noie et Ambroise de Milan, aie secret de ce parfum ? elle dont les fleurs sans nombre ont tous les arômes (2), qui, odorante des sucs variés de la céleste grâce, exhale suavement à Dieu les multiples senteurs des vertus provenant de nations diverses et les prières des saints, comme autant d'essences s'élevant sous l'action de l'Esprit de coupes embrasées (3). De ce parfum de sa conversion, qu'elle mêle aux pleurs de son repentir, elle arrose les pieds du Seigneur, honorant en eux son humanité (4). Sa foi qui l'a justifiée (5) croit de pair avec son amour; bientôt (6) la tête même de l'Epoux, sa divinité (7), reçoit d'elle l'hommage de la pleine mesure de nard précieux et sans mélange signifiant la justice consommée (8), dont l'héroïsme va jusqu'à briser le vase de  la

 

1. PETR. Chrysol. Sermo XCV.— 2. AMBR. In Luc. VI, 21. — 3. Paulin. Ep. XXIII, 33. — 4. Greg. in Ev. hom. XXXIII.   5. Luc. VII, 3o. —6. Marc, XIV, 3. — 7. I Cor. XI, 3. — 8. Cyr. Al. et Beda in XII Johannis.

 

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chair mortelle qui le contenait dans le martyre de l'amour ou des tourments (1).

Mais alors même qu'elle est parvenue au sommet du mystère, elle n'oublie pas les pieds sacrés dont le contact l'a délivrée des sept démons (2) représentant tous les vices (3) ; car à jamais pour le cœur de l'Epouse, comme désormais au sein du Père, l'Homme-Dieu reste inséparable en sa double nature. A la différence donc du Juif qui, ne voulant du Christ ni pour fondement ni pour chef (4), n'a trouvé, comme Jésus l'observe (5) ni pour sa tête l'huile odorante, ni l'eau même pour ses pieds, elle verse sur les deux son parfum de grand prix (6) ; et tandis que l'odeur suave de sa foi si complète remplit la terre (7) devenue par la victoire de cette foi (8) la maison du Seigneur (9), elle continue, comme au temps où elle y répandait ses larmes, d'essuyer de ses longs cheveux les pieds du Maître. Mystique chevelure, gloire de l'Epouse (10) : où les saints voient ses œuvres innombrables et ses prières sans fin (11) ; dont la croissance réclame tous ses soins d'ici-bas (12) ; dont l'abondance et la beauté seront divinement exaltées dans les cieux (13) par Celui qui comptera jalousement (14), sans négliger aucune (15), sans laisser perdre une seule (16), toutes les œuvres de l'Eglise. C'est alors que de sa tête, comme de celle de l'Epoux, le divin parfum qui est l’Esprit-Saint se répandra éternellement, comme une

 

1. Paschas. Radd. in Matth. XII. — 2. Luc. VIII, 2. — 3. Beda in VIII Luc; RUPERT. in XX Johannis. — 4.Paulin. Ep. XXXIII, 33. — 5. Luc. VII, 44-46. — 6. Matth. XXVI, 7; Johan. XII, 3. — 7. Cyrill. Al. in XII Joh. — 8. I Johan. V, 4 — 9. Psalm. XXIII, 1. — 10. I Cor. XI, 15. — 11. Paulin. Ep. XXIII, 19, 20, 24-20. — 12. Ibid. 36. — 13. Ibid. 31. — 14. Matth. X, 30. — 15. Cant. IV, 9. — 16. Luc. XXI, 18.

 

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huile d'allégresse (1), jusqu'aux extrémités de la cité sainte (2).

En attendant, ô pharisien qui méprises la pauvresse dont l'amour pleure aux pieds de ton hôte divin méconnu, j'aime mieux, s'écrie le solitaire de Noie, me trouver lié dans ses cheveux aux pieds du Christ, que d'être assis près du Christ avec toi sans le Christ (3). Heureuse pécheresse que celle qui mérita de figurer l'Eglise (4), au point d'avoir été directement prévue et annoncée par les Prophètes, comme le fut l'Eglise même ! C'est ce qu'enseignent saint Jérôme (5) et saint Cyrille d'Alexandrie (6), pour sa vie de grâce comme pour son existence dépêché. Et résumant à son ordinaire la tradition qui l'a précédé, Bède le Vénérable ne craint pas d'affirmer qu'en effet « ce que Madeleine a fait une fois, reste le type de ce que fait toute l'Eglise, de ce que chaque âme parfaite doit toujours faire (7). »

Qui ne comprendrait la prédilection de l'Homme-Dieu pour cette âme dont le retour, en raison même de la misère plus profonde où elle était tombée, manifesta dès l'abord et si pleinement le succès de sa venue, la défaite de Satan, le triomphe de cet amour souverain posé à l'origine comme l'unique loi de ce monde! Lorsque Israël n'attendait du Messie que des biens périssables (8), quand les Apôtres eux-mêmes (9) et jusqu'à Jean le bien-aimé (10) ne rêvaient près de lui que préséances et honneurs, la première elle vient à Jésus pour lui seul et non pour ses dons. Avide uniquement de purification et d'amour, elle ne veut pour partage que les pieds augustes fatigués à la recherche

 

1. Psalm. XLIV, 8. — 2 Psalm. CXXXII. — 3. Paulin. Ep. XXIII, 42. — 4. Ibid. 32. — 5. Hieron. in Osee proœmium. — 6. Cyrill. Al. in XX Joh. — 7. Beda in XII Joh. — 8. Act. I, 9. — 9. Luc. XXII, 24. — 10. Matth. XX, 20-24.

 

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de la brebis égarée : autel béni (1), où elle trouve le moyen d'offrir à son libérateur autant d'holocaustes d'elle-même, dit saint Grégoire, qu'elle avait eu de vains objets de complaisance (2). Désormais ses biens comme sa personne sont à Jésus, dont elle n'aura plus d'occupation que de contempler les mystères et la vie, dont elle recueillera chaque parole, dont elle suivra tous les pas dans la prédication du royaume de Dieu (3). S'asseoir à ses pieds est pour elle l'unique bien, le voir l'unique joie, l'entendre le seul intérêt de ce monde (4). Combien vite, dans la lumière de son humble confiance, elle a dépassé la synagogue et les justes eux-mêmes ! Le pharisien s'indigne, sa sœur se plaint, les disciples murmurent (5) : partout Marie se tait, mais Jésus parle pour elle (6); on sent que son Cœur sacré est atteint de la moindre appréciation défavorable à rencontre. A la mort de Lazare, le Maître doit l'appeler du repos mystérieux où même alors, remarque saint Jean, elle restait assise (7) ; sa présence au tombeau fait plus que celle du collège entier des Apôtres et de la tourbe des Juifs ; un seul mot d'elle, déjà dit par Marthe accourue la première (8), est plus puissant que tous les discours de celle-ci ; ses pleurs enfin font pleurer l'Homme-Dieu (9), et suscitent en lui le frémissement sacré , précurseur du rappel à la vie de ce mort de quatre jours, le trouble divin qui montre Dieu conquis à sa créature. Bien véritablement donc, pour les siens comme pour elle-même,  pour le monde

 

1. Paulin. Ep. XXIII, 31. —2. Greg. in Ev. hom. XXXIII, 2.   3. Luc. VIII, i-3. — 4. Ibid. X, 39. — 5. Ibid. VII,  X; Matth. XXVI. — 6. Bernard, in Assumpt. B. M. sermo  III. — 7. Johan. XI, 20, 28. — 8. Ibid. 21, 32. — 9. Ibid. 33.

 

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comme pour Dieu, Marie a choisi la  meilleure part, qui ne lui sera point enlevée (1).

En ce qui précède, nous n'avons fait, pour ainsi dire, que coudre l'un à l'autre les  témoignages bien incomplets d'une vénération qui se retrouve la même, toujours  et partout, chez les dépositaires de la doctrine et les maîtres de la science. Cependant les hommages  réunis  des  Docteurs n'équivalent point,  pour l'humble Madeleine,  à celui que lui rend  l'Eglise même, lorsqu'au jour de la glorieuse Assomption de Notre-Dame, elle n'hésite pas à rapprocher l'incomparable souveraine du  monde  et la pécheresse  justifiée, au point d'appliquer à la première en son triomphe l'éloge évangélique qui regarde celle-ci (2). Ne devançons point les lumières que le Cycle nous réserve en  ses  développements ; mais entendons Albert le Grand (3) nous attester pour sûr que, dans le monde delà grâce aussi bien que dans celui de la création matérielle (4), Dieu a fait  deux  grands astres, à savoir deux Maries, la Mère du Seigneur et la sœur de Lazare : le  plus grand, qui est la Vierge bienheureuse, pour présider  au jour de l'innocence ; le plus petit, qui est Marie la pénitente sous les pieds de cette bienheureuse Vierge (5), pour  présider à la nuit en éclairant les pécheurs qui  viennent  comme elle à repentir. Comme la lune par ses phases marque les jours de fête à la terre (6), ainsi sans doute Madeleine, au ciel, donne le signal de la joie qui éclate parmi les Anges de Dieu sur tout pécheur faisant pénitence (7). N'est-elle donc pas également, par son nom de Marie et en participation de l'Immaculée, l’Etoile de la mer,

 

1. Luc. X, 42. — 2. Evangelium Assumpt. — 3. Albert. Magn. in VII Luc. — 4. Gen. I, 16. — 5. Apoc. XII, 1. — 6. Eccli. XLIII, 7. — 7. Luc. XV, III.

 

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ainsi que le chantaient autrefois nos Eglises des Gaules, lorsqu'elles rappelaient qu'en pleine subordination servante et reine avaient été toutes deux principe d'allégresse en l'Eglise : l'une engendrant le salut, l'autre annonçant la  Pâque (1) !

Nous ne reviendrons point sur les inoubliables récits de ce jour, le plus grand des jours, où Madeleine, comme l'étoile du matin, marcha en avant de l'astre vainqueur inaugurant l'éternité sans couchant. Glorieuse aurore, où la divine rosée, s'élevant de la terre, effaça du fatal décret (2) la déchéance prononcée contre Eve ! Femme, pourquoi pleures-tu (3) ? Tu ne te trompes pas : c'est bien le divin jardinier qui te parle (4), celui qui, hélas ! au commencement avait planté le paradis (5). Mais trêve aux pleurs; dans cet autre jardin, dont le centre est un tombeau vide (6), le paradis t'est rendu : vois les Anges, qui n'en ferment plus l'entrée (7) ; vois l'arbre de vie qui, depuis trois jours, a donné son fruit. Ce fruit que tu réclames pour t'en saisir encore et l'emporter (8) comme aux premiers jours (9), il t'appartient en effet pour jamais; car ton nom maintenant n'est plus Eve, mais Marie (10). S'il se refuse à tes empressements, situ ne peux le toucher encore (11), c'est que de même qu'autrefois tu ne voulus point goûter seule le fruit de la mort, tu ne dois pas non plus jouir de l'autre aujourd'hui, sans ramener préalablement l'homme qui par toi fut perdu.

O profondeurs en notre Dieu de la sagesse et de la miséricorde (12) ! voici donc que, réhabilitée,

 

1. Sequentia Mane prima sabbati. Le Temps pascal, T. I, p. 334. — 2. Col. II, 14. — 3. Johan. XX, 15. — 4. Ibid. — 5. Gen. II, 8. — 6. Johan. XIX, 41. — 7. Gen. III, 24. — 8. Johan. XX, 15. — 9. Gen. III, 6. — 10. Johan. XX, 16. — 11. Ibid. 17. — 12. Rom. XI, 32, 33.

 

 

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la femme retrouve des honneurs plus grands qu'avant la chute même, n'étant plus seulement la compagne de l'homme, mais son guide à la lumière. Madeleine, à qui toute femme doit cette revanche glorieuse, conquiert en ce moment la place à part que lui assigne l'Eglise dans ses Litanies en tête des vierges elles-mêmes, comme Jean-Baptiste précède l'armée entière des Saints par le privilège qui fit de lui le premier témoin du salut (1). Le témoignage de la pécheresse complète celui du Précurseur : sur la foi de Jean, l'Eglise a reconnu l'Agneau qui efface les péchés du monde (2) ; sur la foi de Madeleine, elle acclame l'Epoux triomphateur de la mort (3) : et constatant que, par ce dernier témoignage, le cycle entier des mystères est désormais pleinement acquis à la croyance catholique, elle entonne aujourd'hui l'immortel Symbole dont les accents lui paraissaient prématurés encore en la solennité du fils de Zacharie.

O Marie, combien grande vous apparûtes aux regards des cieux dans l'instant solennel où, la terre ignorant encore le triomphe de la vie, il vous fut dit par l’Emmanuel vainqueur : «Va vers mes frères, et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu (4) ! » Vous étiez bien toujours alors notre représentante, à nous Gentils, qui ne devions entrer en possession du Seigneur par la foi qu'après son Ascension par delà les nues (5). Ces frères vers qui vous envoyait l'Homme-Dieu, c'étaient sans doute les privilégiés que lui-même durant sa vie mortelle

 

1. Johan. I, 7. — 2. Ibid. 29. — 3. Sequentia paschalis. — 4. Johan. XX, 17. — 5. Aug. Sermo CCXLIII, 2 ; Beda in XX Joh. ; Rupert. XIV in Joh. : etc.

 

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avait appelés à le connaître, et auxquels vous deviez, ô Apôtre des Apôtres, manifester ainsi le mystère complet de la Pâque; toutefois déjà la miséricordieuse bonté du Maître projetait de se montrer le jour même à plusieurs, et tous devaient être comme vous bientôt les témoins de son Ascension triomphante. Qu'est-ce à dire, sinon que, tout en s'adressant aux disciples immédiats du Sauveur, votre mission, ô Madeleine, s'étendait bien plus dans l'espace et les temps ?

Pour l'œil du vainqueur de la mort à cette heure de son entrée dans la vie sans fin, ils remplissaient en effet la terre et les siècles ces frères en Adam comme en Dieu qu'il amenait à la gloire, selon l'expression du Docteur futur de la gentilité (1). C'est d'eux qu'il avait dit dans le Psaume : « J'annoncerai votre Nom à mes frères; je vous louerai dans la grande assemblée des nations, au sein du peuple encore à naître qui doit appartenir au Seigneur (2). » C'est d'eux, c'est de nous tous composant cette génération à venir à laquelle le Seigneur devait être annoncé (3), qu'il vous disait alors : « Va vers mes frères, et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » Et au loin comme auprès vous êtes venue, vous venez sans cesse, remplir votre mission près des disciples et leur dire : « J'ai vu le Seigneur, et il m'a dit ces choses (4). »

Vous êtes venue, ô Marie, lorsque notre Occident vous vit sur ses montagnes (5) foulant de vos pieds apostoliques, dont Cyrille d'Alexandrie salue la beauté (6), les rochers de  Provence. Sept

 

1. Heb. II, 10. — 2 Psalm. XXI, 23-32. — 3. Ibid. — 4. Johan. XX, 18. — 5. Isai. LII, 7.— 6. Cyr. Al. in XX, 17, Joh.

 

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fois le jour, enlevée vers l'Epoux sur l'aile des Anges, vous montriez à l'Eglise, plus éloquemment que n'eût fait tout discours, la voie qu'il avait suivie, qu'elle devait suivre elle-même par ses aspirations, en attendant de le rejoindre enfin pour jamais.

Ineffable démonstration que l'apostolat lui-même, en son mérite le plus élevé, n'est point dépendant de la parole effective ! Au ciel, les Séraphins, les Chérubins, les Trônes fixent sans cesse l'éternelle Trinité, sans jamais abaisser leurs yeux vers ce monde de néant ; et cependant par eux passent la force, la lumière et l'amour dont les augustes messagers des hiérarchies subordonnées sont les distributeurs à la terre. Ainsi, ô Madeleine, vous ne quittez plus les pieds sacrés rendus maintenant à votre amour; et pourtant, de ce sanctuaire où votre vie reste absorbée sans nulle réserve avec le Christ en Dieu (1) qui mieux que vous nous redit à toute heure : « Si vous êtes ressuscites avec le Christ, cherchez ce qui est en haut, là où le Christ est assis à la droite de Dieu; goûtez ce qui est en haut, non ce qui est sur la terre (2) ! »

O vous, dont le choix si hautement approuvé du Seigneur a révélé au monde la meilleure part, faites qu'elle demeure toujours appréciée comme telle en l'Eglise, cette part de la divine contemplation qui prélude ici-bas à la vie du ciel, et reste en son repos fécond la source des grâces que le ministère actif répand par le monde. La mort même, qui la fait s'épanouir en la pleine et directe vision, ne l'enlève pas, mais la confirme à qui la possède. Puisse nul de ceux qui l'ont reçue

 

1. Col. III, 3. —  2. Ibid. 1-2.

 

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de la gratuite et souveraine bonté, ne travailler à s'en déposséder lui-même ! Fortunée maison, bienheureuse assemblée, dit le dévot saint Bernard, où Marthe se plaint de Marie ! mais l'indignité serait grande de voir Marie jalouser Marthe (1). Saint Jude nous l'apprend : malheur aux anges qui ne gardent point leur principauté (2), qui, familiers du Très-Haut, veulent abandonner sa cour ! Maintenez au cœur des familles religieuses établies par leurs pères sur les sommets avoisinant les cieux, le sentiment de leur noblesse native : elles ne sont point faites pour la poussière et le bruit de la plaine ; elles ne sauraient s'en rapprocher qu'au grand détriment de l'Eglise et d'elles-mêmes. Pas plus que vous, ô Madeleine, elles ne se désintéressent pour cela des brebis perdues, mais prennent en restant ce qu'elles sont le plus sûr moyen d'assainir la terre et d'élever les âmes.

Ainsi même vous fut-il donné un jour, à Vézelay, de soulever l'Occident dans ce grand mouvement des croisades dont le moindre mérite ne fut pas de surnaturaliser en l'âme des chevaliers chrétiens, armés pour la défense du saint tombeau qui avait vu vos pleurs et votre ravissement, les sentiments qui sont l'honneur de l'humanité.

Et n'était-ce pas encore une leçon de ce genre que le Dieu par qui seul règnent les rois (3), et qui se rit des projets de leur vanité (4), voulut donner dans les premières années de ce siècle au guerrier fameux dont l'orgueil dictait ses lois aux empires ? Dans l'ivresse de sa puissance, on le vit prétendre élever à lui-même et à son armée ce

 

1. Bern. Sermo. III in Ass. B. M. V. — 2. Jud. 6. — 3. Prov. VIII, 15. — 4. Psalm. II, 4.

 

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qu'il appelait le Temple de la gloire. Mais bientôt, emportant le guerrier, passait la tempête; et continué par d'autres constructeurs, le noble édifice s'achevait, portant comme dédicace à son fronton le nom de Madeleine.

O Marie, bénissez ce dernier hommage de notre France que vous avez tant aimée, et dont le peuple et les princes entourèrent toujours d'une vénération si profonde votre retraite bénie de la Sainte-Baume et votre église de Saint-Maximin, où reposent les restes mille fois précieux de celle qui sut rendre amour pour amour. En retour, apprenez-nous que la seule vraie et durable gloire est de suivre comme vous, dans ses ascensions, Celui qui vous envoya vers nous autrefois, disant : « Va vers mes frères, et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ! »

La sainte Eglise qui, dans les diverses saisons liturgiques, insère en leur lieu comme autant de perles de grand prix les divers passages de l'Evangile ayant rapport à sainte Marie Madeleine, renvoie également à la fête de sainte Marthe, que nous célébrerons dans huit jours, les particularités concernant la vie de son illustre sœur après l'Ascension. Aux pièces liturgiques déjà insérées dans cet ouvrage à sa louange, nous ajouterons cette antique Séquence, bien connue des Eglises de l'Allemagne, et que nous ferons suivre d'un Répons et de l'Oraison de la fête au Bréviaire Romain.

 

SÉQUENCE.

 

Louange  à  vous , Christ,  qui êtes créateur , et aussi rédempteur et sauveur

Du ciel, de la terre, de la mer, des anges et des hommes,

Vous qu'à la fois nous confessons homme et Dieu,

Vous qui êtes venu pour sauver les pécheurs,

Prenant sans le péché l'apparence du péché.

Dans cette troupe coupable vous visitâtes et la Chananée, et Marie Madeleine,

A la même table réconfortant l'une des miettes du Verbe, l'autre de son breuvage enivrant.

Dans la maison de Simon, vous prenez place au banquet mystique :

Le pharisien murmure, là où pleure celle que poursuit la conscience de ses fautes ;

Le pécheur méprise celle qui comme lui pécha ; vous qui ne connûtes point de fautes exaucez son repentir, purifiez ses souillures : vous l'aimez pour la rendre belle.

Elle embrasse les pieds de son Seigneur, les lave de ses larmes, les essuie de ses cheveux, et les lavant, les essuyant, les oint de parfum, les couvre de baisers.

Ce sont là les festins qui vous plaisent, ô Sagesse du Père !

Vous qui né de la Vierge ne repoussez point le contact de la pécheresse.

Le pharisien vous invite, et c'est Marie  qui vous nourrit.

Vous remettez beaucoup à celle qui beaucoup aime et ne retourne pas à ses fautes.

Vous la délivrez des sept démons par l'Esprit septiforme.

Ressuscitant des morts, vous lui donnez de vous voir la première.

Par elle, ô Christ, vous signifiez l'Eglise des Gentils, étrangère appelée par vous à la table des fils :

C'est elle qu'aux festins de la loi et de la grâce, méprise l'orgueil du pharisien, harcèle la lèpre hérétique ; Vous savez quelle elle est, elle vient à vous parce qu'elle a péché, parce qu'elle désire sa grâce.

Qu'aurait-elle si elle ne le recevait la malade infortunée, si le médecin ne se montrait propice ?

Roi des rois riche pour tous, sauvez-nous, effacez tous péchés, vous l'espérance des saints et leur gloire.

 

RÉPONS.

 

FÉLICITEZ-MOI , vous tous qui aimez le Seigneur ; car Celui que je cherchais m'est apparu : * Et tandis que je pleurais au tombeau, j’ai vu mon Seigneur, alléluia.

 

V/. Quand les disciples se retiraient, je ne me retirais pas, et brûlante du feu de son amour, je me consumais de désir. * Et tandis que.

 

ORAISON.

 

Nous vous en prions, Seigneur , accordez-nous d'être aidés des suffrages de la bienheureuse Madeleine, dont les prières ont obtenu que vous rappeliez vivant du tombeau son frère Lazare, mort depuis quatre jours. Vous qui vivez.

 

 

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