Apocalypse XX
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Explication

SUITE DE LA PRÉDICTION DE SAINT JEAN.

CHAPITRE XX.

 

Le dragon lié et délié : les mille ans : la première et la seconde résurrection. le dragon jeté dans l'étang de feu : le Juge sur son trône : le jugement des morts : le livre de vie.

 

1. Je vis descendre du ciel un ange qui avait la clef de l'abîme, et une grande chaîne en sa main.

2. Il prit le dragon, l'ancien serpent, qui est le diable et Satan; et il le lia pour mille ans.

3.  Il le précipita dans l'abîme, l'y enferma et mit un sceau sur lui, afin qu'il ne séduisît plus les nations, jusqu'à ce que les mille ans fussent accomplis, après lesquels il doit être délié pour un peu de temps.

4. Je vis aussi des trônes et ceux qui s'assirent dessus, et la puissance de juger leur fut donnée : et les âmes de ceux qui ont eu la tête coupée pour avoir rendu témoignage à Jésus et pour la parole de Dieu, et qui n'ont point adoré la bête ni son image, ni reçu son caractère sur leur front ou dans leurs mains ; et ils ont vécu et régné mille ans avec Jésus-Christ.

5.  Les autres morts ne sont pas revenus en vie jusqu'à ce que mille ans soient accomplis. C'est ici la première résurrection.

6.  Heureux et saint est celui qui a part à la première résurrection : la seconde mort n'aura point de pouvoir sur eux ; mais ils seront sacrificateurs de Dieu et de Jésus-Christ, et ils régneront avec lui pendant mille ans.

7.  Et après que mille ans seront accomplis, Satan sera délié; il sortira de sa prison, et il séduira les nations qui sont aux quatre coins du monde, Gog et Magog; et il les assemblera au combat et leur nombre égalera celui du sable de la mer.

8.  lisse répandirent sur la face de la terre, et ils environnèrent le camp des Saints et la ville bien-aimée.

9.  Mais Dieu fit descendre du ciel un feu qui les dévora; et le diable qui les séduisait, fut précipité dans l'étang de feu et de soufre où la bête (a)

 

(a) Grec : Où est la bête et le faux prophète.

 

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10.  Et le faux prophète (a) seront tourmentés jour et nuit dans les siècles des siècles.

11. Je vis aussi un grand trône blanc, et quelqu'un assis dessus, devant la face duquel la terre et le ciel s'enfuirent ; et leur place même ne se trouva plus.

12.   Et je vis les morts, grands et petits, debout devant le trône (b) : les livres furent ouverts, et un autre livre, qui est le livre de vie, fut encore ouvert; et les morts furent jugés, sur ce qui était écrit dans ces livres, selon leurs œuvres.

13.  La mer rendit ceux qui étaient morts dans ses eaux : la mort et l'enfer rendirent aussi les morts qu'ils avaient ; et chacun fut jugé selon ses œuvres.

14.  L'enfer et la mort furent précipités dans l'étang de feu : celle-ci est la seconde mort.

15.  Et quiconque ne se trouva pas écrit dans le livre de vie, fut jeté dans l'étang de feu.

 

EXPLICATION DU CHAPITRE XX.

 

Déchaînement de Satan à la fin des siècles : diverses figures de ce grand déchaînement, après l'an mil de Notre-Seigneur.

 

1. Je vis descendre... Cette dernière vision est la plus obscure de toutes celles de saint Jean. Il semble que l'ange, après lui avoir représenté par des images plus vives et plus expresses ce qui était plus près de son temps, et ce qui devait commencer incontinent après la révélation, lui montre de loin et comme en confusion les choses plus éloignées, à la manière d'un peintre qui, après avoir peint avec de vives couleurs ce qui fait le principal sujet de son tableau, trace encore dans un lointain obscur et confus d'autres choses plus éloignées de cet objet.

Qui avait la clef de l’abîme : l'abîme, c'est l'enfer, ainsi qu'il a paru ch. IX, 1. Les saints anges, comme ministres de la justice divine, ont la clef de l'abîme, pour renfermer ou lâcher les mauvais esprits selon les ordres d'en haut.

Et une grande chaîne en sa main : voilà une peinture aussi

 

(a) Grec : Et ils seront. — (b) Devant Dieu.

 

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grande et aussi magnifique qu'elle est simple; elle promet quelque

chose de grand.

2. L'ancien serpent, dont il est parlé, XII, 9, le chef des anges rebelles. Le prince enchaîné marque la puissance restreinte dans tout le royaume de Satan.

Le lia. Ainsi dans le livre de Tobie, un démon « est saisi par l'ange et enchaîné, » Tob., VIII, 3. Mais ce démon de Tobie est lié dans les déserts de l'Egypte, et Satan dans l'enfer même ; ce qui marque les différentes manières de restreindre sa puissance. Il n'y a rien de plus affreux que cette peinture : le diable qui triomphait des nations est enchaîné d'une grande chaîne, afin qu'on en puisse faire sur lui plusieurs tours. En cet état, comme on voit au verset suivant, il est jeté au fond de l'abîme ; une porte impénétrable fermée sur lui, et encore le sceau mis dessus : sceau que nul ni ne peut, ni n'ose rompre, puisque ce n'est autre chose que les ordres inviolables de Dieu, dont l'ange était le porteur, et la marque de son éternelle volonté : tel est le sceau sous lequel Satan est enfermé, et telle est encore la chaîne de fer qui le lie. Il semble que les démons sentaient approcher le temps où ils devaient être renfermés avec leur prince, quand ils demandaient à Jésus-Christ « qu'il ne leur commandât pas d'aller dans l'abîme, » Luc, VIII, 31. Ce qui confirme que la volonté suprême de Dieu est après tout la force invincible qui les y renferme.

Pour mille ans : durant lesquels il est dit, verset 4, que Jésus-Christ doit régner avec ses Saints. C'est ce qui a donné lieu à l'opinion de quelques anciens, qui prenant trop à la lettre cet endroit de l’Apocalypse , mettaient avant la dernière et universelle résurrection une résurrection anticipée pour les martyrs, et un règne visible de Jésus-Christ avec eux durant mille ans sur la terre, dans une Jérusalem rebâtie avec un nouvel éclat, qu'ils croyaient être la Jérusalem dont il est parlé dans le chapitre suivant. Nous verrons en expliquant le texte de saint Jean, que cette opinion est insoutenable selon les termes de cet apôtre; et pour ce qui regarde l'autorité des anciens docteurs, nous en parlerons à la fin de ce chapitre.

 

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Saint Augustin nous apprend (1) que les mille ans de saint Jean ne sont pas un nombre préfix, mais un nombre où il faut entendre tout le temps qui s'écoulera jusqu'à la fin des siècles, conformément à cette parole du Psalmiste : « La parole qu'il a commandée jusqu'à mille générations (2) ; » ce qui ne veut dire autre chose que toutes les générations qui seront jamais. A quoi il faut ajouter la perfection du nombre de mille, très-propre à nous faire entendre tout ce long temps que Dieu emploiera à former le corps entier de ses élus jusqu'au dernier jour, à commencer depuis le temps de la prédication et de la passion de Notre-Seigneur ; car ce fut alors que « le fort armé, » qui est le diable, « fut lié et désarmé par un plus fort, » qui est Jésus-Christ, Matth., XII, 29 ; Luc, XI, 21 , « et que les puissances de l'enfer furent désarmées et menées en triomphe, » Coloss., II, 15.

C'est donc alors que saint Jean voit le démon enchaîné : c'est de là qu'il faut compter les mille ans mystiques de la prison de Satan, jusqu'à ce qu'aux approches du dernier jour, sa puissance, qui est restreinte en tant de manières par la prédication de l'Evangile, se déchaînera de nouveau pour un peu de temps, et que l'Eglise souffrira sous la redoutable, mais courte tyrannie de l'Antéchrist, la plus terrible tentation où elle ait jamais été exposée. C'est là sans doute le sens véritable, comme on verra par la suite : de sorte qu'il ne faut pas croire que l'enchaînement de Satan soit quelque chose qui doive arriver après le temps de saint Jean, mais plutôt que ce grand apôtre retourne les yeux vers ce qui était déjà accompli par Jésus-Christ, parce que c'est le fondement de ce qui devait arriver dans la suite et dont ce saint apôtre allait nous donner une image.

Quelques interprètes modernes , même catholiques, mettent avant la fin des siècles le déchaînement de Satan et les mille ans accomplis : à quoi je ne veux pas m'opposer, pourvu qu'on regarde cette sorte d'accomplissement et le déchaînement de Satan qu'on lui attribue, comme une espèce de figure du grand et final déchaînement dont nous venons de parler.

3. Afin qu'il ne séduisit plus les nations : il ne faut pas

 

1 Aug. De Civ., XX, VII et seq. — 2 Psal. CIV, 8.

 

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entendre qu'il n'y ait plus du tout de séduction ni de tentation, puisque tant que le siècle subsistera, les hommes auront toujours à combattre Satan et ses anges; et c'est ce qui paraîtra clairement sur les versets 7 et 8 ; mais il faut entendre que la séduction ne sera pas si puissante, si dangereuse , si universelle, comme l'explique saint Augustin de Civit., XX, VII, VIII (éd. Ben., tom. VII.)

Il doit être délié pour un peu de temps : parce qu'ainsi qu'il a été dit, la grande persécution de l'Antéchrist sera courte, comme celle d'Antiochus, qui en a été la figure.

4. Je vis... des trônes... La suite va faire paraître que ces trônes sont préparés pour les âmes des martyrs. Et les âmes de ceux qui avaient eu la tête coupée : voilà donc ceux à qui étaient préparés les trônes. Il exprime les martyrs par le plus grand nombre, qui sont les décapités. Le grec dit pepeleksmenon, qui avaient eu la tête coupée avec une hache, qui avaient été frappés de la hache, comme on parlait, securi percussi; c'était un supplice des Romains. Par où l'on voit que les martyrs dont il veut représenter la gloire et la puissance, sont ceux qui avaient souffert durant la persécution de cet empire. Saint Jean ne leur donne pas en vain ce caractère; et pour confirmer qu'il veut parler des saints martyrisés dans la persécution romaine, qui est celle qu'il a prophétisée dans les chapitres précédents , il ajoute dans ce même verset 4 que ces décapités par un coup de hache, n'avaient point adoré la bête ni son image, et n'en avaient point reçu le caractère; toutes choses que nous avons vues être des marques de l'idolâtrie romaine, XIII, 14, 10, 17. Il paraît donc par toutes ces raisons que ces martyrs assis sur le trône, sont ceux qui ont souffert durant les persécutions de l'Empire romain ; et le verset 9 le fera encore mieux connaître. Il faut aussi remarquer dans ce passage que la persécution de la bête est distinguée de celle de Gog et de Magog, qu'on verra au verset 7, puisque l'une est avant les mille ans, et l'autre après.

Les âmes de ceux.... Que le lecteur attentif remarque qu'on ne voit ici sur le trône pour vivre et pour juger avec Jésus-Christ, que des âmes seulement ; ce qui paraîtra plus clairement dans la suite, contre ceux qui reconnaissaient pour les martyrs une résurrection anticipée avant la résurrection générale.

 

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Et ils ont vécu et régné avec Jésus-Christ. C'est pour cela qu'on leur avait préparé des trônes. Il y a eu des martyrs incontinent après la résurrection de Jésus-Christ ; et dès lors nous les avons vus assis dans son trône et associés à son règne, Apoc., II, 26; III, 21, avant la résurrection de leurs corps et en état d'âmes bienheureuses, comme on vient de dire ; ce qui a aussi été expliqué, Refl. après la Préf., n. 29.

Ce règne des martyrs avec Jésus-Christ consiste en deux choses : premièrement, dans la gloire qu'ils ont au ciel avec Jésus-Christ, qui les y fait ses assesseurs ; et secondement, dans la manifestation de cette gloire sur la terre par les grands et justes honneurs qu'on leur a rendus dans l'Eglise, et par les miracles infinis dont Dieu les a honorés, même à la vue de leurs ennemis, c'est-à-dire des infidèles qui les avaient méprisés.

Quant à ce que quelques anciens concluaient de ce passage, qu'incontinent après les persécutions et la chute de l'Empire romain arrivée pour en punir les auteurs, Jésus-Christ ressusciterait ses martyrs et viendrait régner avec eux sur la terre, outre les autres raisons qu'on a vues et qu'on verra dans la suite, on voit encore cette opinion réfutée par l'expérience , puisque ce qui était prédit par saint Jean sur la destinée de l'ancien Empire romain, a eu sa fin, comme on a vu, il y a plus de treize cents ans, sans que ce règne de Jésus-Christ ait paru.

De s'imaginer maintenant ici avec les protestants d'autres martyrs que ceux qui ont souffert sous Rome païenne, c'est leur donner un autre caractère que celui que leur a donné saint Jean, comme on a vu : de sorte que ces faux martyrs dont on nous raconte les souffrances sous la prétendue tyrannie de la papauté, ne trouvent point ici de place, et nous verrons ailleurs que les ministres qui nous les vantent, les ont eux-mêmes à la fin ôtés de ce rang.

Je reconnais donc dans saint Jean les vrais martyrs que Rome païenne a persécutés, que Jésus-Christ a reçus incontinent après dans le ciel pour les y faire régner avec lui, et dont il nous a manifesté la gloire avec tant d'éclat sur la terre, afin d'honorer la cause pour laquelle ils avaient donné leur vie.

 

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Ils ont vécu et régné mille ans; durant toute l'étendue des siècles jusqu'au jour du jugement, ce qui se doit entendre de leur glorification sur la terre et dans l'Eglise ; car pour ce qui est du règne de Jésus-Christ et de ses Saints dans le ciel, on sait qu'il n'a point de fin.

5. Les autres morts ne sont pas revenus envie.... C'est ici la première résurrection. 6. Heureux et saint est celui qui a part à la première résurrection. Cette première résurrection se commence à la justification, conformément à cette sentence : « Celui qui écoute ma parole , est déjà passé de la mort à la vie, » Joan., V, 24 ; et à cette autre : « Levez-vous, vous qui dormez » dans vos péchés, « et ressuscitez d'entre les morts, et Jésus-Christ vous éclairera, » Ephes., V, 14. C'est donc alors que l’âme commence à ressusciter ; et cette résurrection se consomme, lorsque sortie de cette vie qui n'est qu'une mort, elle vit de la vraie vie avec Jésus-Christ : c'est la première résurrection qui convient aux âmes bienheureuses, comme on a vu ; car pour ce qui est de celle des corps, il n'en sera parlé qu'aux versets 12 et d3, et jusqu'ici on n'en a vu nulle mention. Cette première résurrection est manifestée par les miracles des Saints ; car on voit qu'ils sont vi-vans par la vertu que Dieu fait sortir de leur tombeau, ainsi que tous les Pères l'ont observé et que Grotius l'a reconnu ; et tout cela est attribué particulièrement aux martyrs, qui sont les seuls des adultes dont on est certain qu'ils entrent d'abord dans la gloire ; les seuls pour lesquels on ne fait aucunes prières, et qu'au contraire on range d'abord parmi les intercesseurs, Aug., serm. XVII, de Verb. Apost. Il n'y avait d'ordinaire que les martyrs dont on fit la fête dans les églises et qui fussent nommés dans le canon ; c'était principalement aux tombeaux des martyrs que se faisaient les miracles. Tertullien (1) a remarqué dans les Actes de sainte Perpétue, « qu'elle ne vit dans le paradis que les saints martyrs, ses compagnons (2) ; » et c'est en effet ce qu'on voit encore dans les mêmes Actes ; mais c'est que dans ces célestes visions, l'universalité des Saints est désignée par la partie la plus excellente et la plus reconnue, qui est celle des martyrs. Saint Jean a suivi la

 

1 De Anima, cap. LV. — 2 Act. S. Perp.

 

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même idée dans les chapitres vu, XIV, et encore dans celui-ci, comme on a vu.

Les autres morts. Saint Jean marque que les âmes justes n'entrent pas toutes d'abord dans cette vie bienheureuse, mais seulement celles qui sont parvenues à un certain degré de perfection, et que saint Paul appelle pour cette raison, « les esprits des justes parfaits (1) ; » ce que les saints Pères et toute la tradition nous apprend aussi.

La seconde mort n'aura point de pouvoir sur eux. La première mort est celle où les âmes sont ensevelies dans l'enfer avec le mauvais riche. La seconde mort est celle qui suit la résurrection, comme on verra au verset 13, et où l'homme entier est précipité en corps et en âme dans l'étang de feu et de soufre : « Celle-ci, dit-il, est la seconde mort, » verset 14. Ainsi « la première résurrection, » 5, 6, est celle, comme on a vu, où les Saints mourants sur la terre revivent en quelque façon et vont commencer une nouvelle vie dans le ciel ; et la seconde résurrection est celle où ils seront glorifiés dans le corps comme dans l’âme.

Ils régneront avec lui pendant mille ans : ils seront glorifiés sur la terre pendant toute l'étendue du siècle présent ; mais les années ne suffiront pas pour mesurer leur règne au siècle futur.

7. Après que mille ans seront accomplis, Satan sera délié; il séduira les nations qui sont aux quatre coins de la terre, Gog et Magog, dont le nombre est comme le sable de la mer. 8. Ils se répandront sur la surface de la terre. Il ne faut pas s'imaginer que Satan séduise tout d'un coup ces vastes nations et ces troupes dont toute la terre est couverte ; il y travaillait depuis longtemps, puisqu'il les trouve toutes disposées à servir à ses desseins : ce qui fait voir que la séduction n'était pas tout à fait éteinte, mais seulement liée et bridée , principalement par rapport à l'Eglise, selon la remarque de saint Augustin (2), et la doctrine exposée sur le verset (3). Ce frein imposé à la malice de Satan doit durer jusqu'au temps de l'Antéchrist, vers la fin des siècles ; et alors plus déchaîné que jamais, il exercera sans bornes sa séduction par des moyens inouïs jusqu'alors.

 

1 Hebr., XII, 23. — 2 Aug., De Civ., XX, VIII.

 

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Gog et Magog, dans Ezéchiel, sont des nations ennemies du peuple de Dieu qui « couvriront la terre, sur lesquelles Dieu fera pleuvoir du feu et du soufre, et les consumera par ce feu dévorant, » Ezéchiel, XXXVIII, li, et XXXIX, 1, 6. Ces noms déjà fameux par cette prophétie sont ici rappelés par saint Jean, pour représenter ces nations séduites et séductrices dont Satan se servira contre l'Eglise à la fin des siècles. On croit que sous le nom de Gog et de Magog (1), Ezéchiel a décrit la persécution d'Antiochus, dont nous avons vu que le Saint-Esprit a choisi le temps pour être l'image des souffrances de l'Eglise, parce que ce prince fut le premier qui employa non-seulement la force, mais encore la séduction et l'artifice pour obliger les fidèles à renoncer à la loi de Dieu, I Machab., I, 14, 15, 16, 31, 41, 45, etc.; II Machab., III, IV. C'est aussi pour cette raison que ce tyran est regardé par tous les Pères comme la figure la plus expresse de l'Antéchrist.

Il les assemblera au combat. — 8. Ils environneront le camp des Saints et la ville bien-aimée. S'il fallait prendre ici au pied de la lettre une ville où Jésus-Christ viendrait régner avec ses martyrs ressuscites et glorieux en corps et en âme, on ne saurait plus ce que voudraient dire ces nations qui viendraient assiéger la ville où il y aurait un peuple immortel, et un Dieu qui régnerait visiblement au milieu d'eux. Il faut donc entendre ici une ville spirituelle, telle qu'est l'Eglise; un camp spirituel, qui est la société des enfants de Dieu encore revêtus d'une chair mortelle et dans le lieu de tentation ; par conséquent aussi une guerre et un combat spirituel, tel qu'est celui que les hérétiques ne cessent de nous livrer, et qui se redoublera à la fin des siècles avec un nouvel acharnement. Je ne veux pas assurer qu'il n'y aura point de combats des rois chrétiens contre l'Antéchrist : ce que je veux remarquer, c'est que saint Jean rapporte tout à la séduction, versets 3, 7, 9, et pour le surplus c'est un secret de l'avenir, où j'avoue que je ne vois rien.

Ils se répandirent sur la face de la terre. Ce mot signifie toute la terre habitable, comme le remarque saint Augustin de Civit., XX, II. Et ils environnèrent le camp des Saints et la ville bien-aimée ;

 

1 Ezech., XXXIX, 1, 6, etc.

 

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c'est l'Eglise chérie de Dieu. Il ne faut pas ici s'imaginer, dit saint Augustin, que l'Eglise, comme une ville, soit réduite à un seul lieu où elle soit assiégée : « Elle sera, poursuit-il, toujours répandue par toute la terre : ses ennemis se trouveront aussi partout; mais partout où seront les ennemis, là sera aussi le camp des Saints et la ville chérie de Dieu, » De Civ. XX, II.

9. Dieu fit descendre du ciel un feu qui les dévora, comme nous l'avons remarqué de Gog et de Magog sur le verset 7, conformément à  Ezéchiel:, XXXVIII, 22 et XXXIX, 6. Ici je l'entends à la lettre du feu du dernier jour : car « les cieux et la terre sont réservés pour être brûlés par le feu au jour du jugement, lorsque les impies périront, » II Petr., III, 7 ; ce qui semble fait pour expliquer ce passage de saint Jean, et revient parfaitement à ce que dit saint Paul de la perdition soudaine « du méchant que Jésus-Christ détruira,» II Thess., II, 8, comme nous verrons dans le discours qui sera mis à la fin de ce commentaire.

Le diable qui les séduisait. Il n'est plus dit qu'ils fussent séduits par la bête ni par le faux prophète : l'idolâtrie de Rome païenne était éteinte, et on ne voit plus ici aucun des caractères qu'on a vus dans les chapitres précédents. C'est donc une tentation différente de celle de la bête ; c'est une autre sorte de séduction ; et le diable qui en est l'auteur, à la fin est jeté dans le même étang de feu et de soufre où étaient déjà la bête et le faux prophète, ici, versets 9, 10, et ci-dessus, XIX, 19, 20.

Dans l'étang de feu et de soufre. C'est ici la dernière marque de l'éternel emprisonnement de Satan : auparavant il est jeté dans l'abîme pour en être lâché après mille ans, sup., versets 2, 3. Ici il n'y a plus pour lui qu'un éternel tourment dans l’étang de feu et de soufre, d'où il ne sortira jamais, parce qu'il n'y aura plus de séduction, l'ouvrage de la justice, aussi bien que celui de la miséricorde de Dieu, étant entièrement consommé avec le recueillement de tous ses élus. Par ces divers lieux où Satan est mis, saint Jean nous désigne les divers états de ce malin et de ses anges, tantôt resserrés, tantôt relâchés, selon les ordres de Dieu, et à la fin plongés dans un état où il ne leur restera plus que leur supplice. Cet état, le plus funeste de tous, sera l'effet de la dernière

 

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condamnation qui sera prononcée contre eux au dernier jour, où la liberté de tenter et la triste consolation de perdre les hommes leur étant ôtée, ils ne seront occupés que de leur tourment et de celui des malheureux qui les auront suivis; ce que saint Jean explique par ces paroles : Et ils seront tourmentes nuit et jour aux siècles des siècles ; non qu'ils ne le soient auparavant, mais parce qu'alors il ne leur restera que cela.

11.  Je vis aussi un grand trône... Voici donc enfin, après tant de visions mémorables, celle du grand et dernier jugement, comme la suite le fera paraître. Un grand trône blanc, semblable à la nuée blanche qui paraît, Apoc., XIV, 14. La blancheur signifie l'éclat et la majesté.

12.   Et je vis les morts, grands et petits, debout devant le trône :... comparaissant, les uns avec grande crainte, et les autres avec confiance, devant le Juge.

13. La mer rendit ceux..... On exprime ici distinctement la

résurrection des corps, preuve nouvelle que la première résurrection dont il est parlé au verset 5, ne regardait que les âmes. La mort et Venter, c'est-à-dire la mort et le sépulcre rendirent aussi les morts qu'ils avaient. Si la résurrection des martyrs, dont il est parlé versets 4 et 5, se devait entendre des corps comme des âmes, il y aurait déjà eu longtemps que les eaux et les sépulcres auraient rendu une grande partie de leurs morts, puisque tant de martyrs avaient été noyés, et les autres presque tous ensevelis par la piété des fidèles.

14. L'enfer et la mort furent précipités dans l'étang de feu. « Lorsque la mort, qui était la dernière ennemie, sera détruite, » I Cor., XV, 26, 54 ; et qu'afin qu'elle ne paroisse jamais, elle sera précipitée dans l'abîme avec les démons et les damnés, selon qu'Isaïe l'avait prédit : « Il précipitera la mort pour jamais, » XXV, 8. Celle-ci est la seconde mort : la mort en corps et en âme, qui doit suivre la dernière résurrection, comme ci-dessus, versets 5, 6.

Voilà ce que j'avais à dire sur le déchaînement de Satan et sur le règne de mille ans que saint Jean attribue ici à Jésus-Christ avec ses martyrs. Quant à l'Antéchrist et à la dernière persécution,

 

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je n'en dirai rien davantage ; et s'il reste quelque chose de plus à en expliquer, je le laisse à ceux qui en savent plus que moi ; car je tremble en mettant les mains sur l'avenir. Tout ce que je crois pouvoir dire avec certitude, c'est que cette dernière persécution, quelle qu'en soit la violence, aura encore plus de séduction; car c'est aussi ce que saint Paul y remarque, II Thess., n, 9, 40, «des prodiges, des signes trompeurs, des illusions, » sans y parler d'autre chose. Saint Jean y remarque aussi la séduction, comme devant prévaloir, versets 3,7,9, sans parler de sang répandu, ainsi qu'il a fait dans tout le reste du livre ; et Jésus-Christ même : « Il y aura de grands prodiges et des miracles trompeurs, en sorte, s'il est possible, que les élus mêmes soient trompés.» Matth., XXIV, 24.

Je regarde donc dans l'Eglise deux sortes de persécutions, la première en son commencement et sous l'Empire romain, où la violence devait prévaloir; la seconde, à la fin des siècles, où sera le règne de la séduction (1) ; non pas que je veuille dire qu'elle soit sans violence, non plus que celle de Rome païenne, où la violence dominait, n'a pas été sans séduction : mais l'une et l'autre doit être définie par ce qui y doit prédominer: et on doit attendre sous l'Antéchrist les signes les plus trompeurs qu'on ait jamais vus, avec la malice la plus cachée, l'hypocrisie la plus fine et la peau de loup la mieux couverte de celle des brebis. Ceux qui se sont dits réformés, doivent prendre garde qu'avec la feinte douceur et les prétextes spécieux dont ils ont tâché au commencement de colorer leur violence et leur schisme, ils n'aient été les avant-coureurs de cette séduction.

Je crois encore savoir que cette dernière tentation de l'Eglise sera courte, et que Dieu y donnera des bornes, comme nous avons remarqué qu'il a fait à toutes les autres (2) : ce que saint Jean a voulu nous expliquer, en disant que Satan serait délié «pour un peu de temps, » verset 3 ; mais que cette persécution soit de trois ans et demi précisément, je n'ose ni le nier, puisque plusieurs Pères l'ont conjecturé ainsi, ni faire aussi un dogme certain de leurs conjectures. J'en reviens donc à laisser l'avenir entre les mains de Dieu

 

1 Apoc., XIII. — 2 Réflex. Sur les perséc., n. 2.

 

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et me contenter de ce que dit saint Jean, que cette tentation sera courte; et quand même il la faudrait réduire précisément aux termes de celle d'Antiochus, peut-être faudrait-il penser encore que les trois ans et demi destinés à la persécution de ce prince, n'en regardent que le grand effort durant la profanation du temple, étant certain par les Macchabées et par Josèphe, comme saint Jérôme le prouve (1) et plus encore par Daniel (2), qui le prophétise, que dans le fond il a tourmenté les Juifs bien plus longtemps. Peut-être donc en faudrait-il à peu près dire autant de l'Antéchrist : mais qu'il en soit ce que Dieu sait. Que si je distingue sa persécution de celle de la bête, et sa séduction de celle du faux prophète, je ne fais que suivre saint Jean (3), comme on a pu voir sur les versets 1 et 9 ; et attribuer à chacune des persécutions le caractère qui lui est propre, c'est-à-dire la violence à celle de la bête, comme il paraît dans tout le cours de l’Apocalypse (4), et la séduction à celle de l'Antéchrist.

Je n'en sais pas davantage ; et sans aussi pénétrer plus avant, j'avertis ceux qui veulent trouver la persécution de l'Antéchrist dans celle de la bête de l'Apocalypse, que pour parler conséquemment, ils sont obligés de dire que la persécution de l'Antéchrist ne sera pas la dernière, puisqu'elle devance de mille ans, en quelque sorte qu'on les entende, celle de Gog et de Magog, comme on a vu : ce qu'ils ont aussi à ajuster avec les autres parties de la doctrine de l'Antéchrist, et surtout avec ce que saint Paul nous a dit, que ce méchant serait détruit par l'avènement glorieux de Jésus-Christ.

Pour ne laisser au pieux lecteur, autant qu'il sera possible, aucune difficulté sur ce chapitre, je l'avertirai encore que le règne de Jésus-Christ dont il y est parlé, se prend en diverses manières dans ce divin livre : quelquefois en un sens moins étendu pour le temps du triomphe de l'Eglise après les persécutions de Rome lorsque les royaumes de la terre sont soumis à Jésus-Christ par les empereurs chrétiens, XI, 15; XII, 10; et quelquefois absolument , lorsque Jésus-Christ ressuscité entre en sa gloire, où il

 

1 Hier., VIII, XIV. — 2 Dan., VIII, 14. — 3 Apoc., XIII, 1, 11. — 4 Apoc.

XI, 2 ; XII, 4 et suiv.; XIII, etc.

 

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règne avec ses Saints, comme il est porté, Apoc., II, 26; III, 21 ; VII, 15, 16,17 ; XIV, 4, 5. Et c'est manifestement, comme on a vu, du règne pris en ce sens que se doit entendre le chapitre XX, en y joignant, comme il a aussi été remarqué, la manifestation de la gloire de Jésus-Christ et de ses Saints sur la terre, et la dernière consommation du règne de Dieu à la fin des siècles, lorsque tous ses ennemis seront à ses pieds et tous ses élus recueillis.

Quant à l'opinion de ceux qui veulent que les mille ans s'accomplissent longtemps avant la fin des siècles, et qu'ils soient même déjà accomplis, j'y ai consenti à condition que ce serait sans préjudicier au dernier et parfait accomplissement, qui est celui qu'on vient de voir : ce qui peut-être n'empêche pas qu'il n'y ait encore d'autres termes prévus par le Saint-Esprit, où cette prédiction recevra quelque sorte d'accomplissement.

Grotius et quelques autres font commencer les mille ans du règne de Jésus-Christ avec ses martyrs en l'an 313, lorsque Constantin fit cesser les persécutions et qu'il établit la paix de l'Eglise par cent glorieux édits. Ils remarquent que depuis ce temps le diable a eu moins de puissance pour tromper les hommes ; mais que mille ans après, le treizième siècle étant écoulé, la puissance Ottomane commença à se déclarer sous Orcam, fils d'Ottoman, et à peu près dans le même temps, les erreurs de Viclef suivies de celles de Jean Hus, des hussites et des luthériens, ravagèrent l'Eglise.

Alors le règne des Saints jusqu'alors si respecté par tous les fidèles, qui reconnaissaient les miracles que Dieu faisait pour les honorer, fut attaqué par ces hérétiques qui se moquèrent de ces miracles et de la vertu qu'on attribuait à l'intercession des Saints; et c'est là qu'ils mettent le déchaînement de Satan. Ils y rapportent aussi le grand schisme de l'Occident dans le quatorzième siècle, avec les malheurs dont il fut suivi : mais je trouve des événements plus marqués longtemps avant cette date. La puissance des successeurs de Mahomet est bien plus considérable en toutes manières que ne le fut alors celle des Turcs; et les hérésies des Albigeois et des Vaudois furent bien plus funestes à l'Eglise que celle de Viclef renfermée en Angleterre et en Bohême. Au surplus,

 

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quoiqu'il soit vrai que ses disciples aient attaqué le règne des Saints, au sens que Grotius remarque très-bien, nous avons vu ailleurs (1) que Viclef et Hus en conservèrent l'invocation et les reliques : mais les Albigeois les rejetèrent à l'exemple des manichéens, leurs prédécesseurs; et en cela ils furent imités par les Vaudois. Qu'il nous soit donc permis de reprendre de plus haut avec saint Jean le règne de Jésus-Christ, qui, à vrai dire, commence à sa mort et à sa résurrection. Dès lors Satan est lié, vaincu, désarmé , mené en triomphe, comme on vient de le marquer par l'Evangile et par saint Paul. Depuis ce temps la séduction de Satan est allée toujours en diminuant par la prédication de l'Evangile : ainsi Jésus-Christ régnoit et conquérait les nations. Les martyrs régnaient avec lui en triomphant du monde, en convertissant les peuples, en faisant des miracles inouïs jusqu'alors, et pendant leur vie et après leur mort. Mille ans durant l'Eglise n'a souffert aucune diminution sensible; le nom chrétien et la communion catholique subsistaient toujours partout où l'Evangile avait été prêché. L'Afrique avait encore des églises chrétiennes. L'Orient n'avait pas encore rompu avec l'Occident, et cependant les pays du Nord venaient en foule. La discipline se soutenait, quoiqu'elle souffrît quelque affaiblissement, et on travaillait perpétuellement à lui rendre toute sa vigueur par les canons. Les maximes du moins étaient en leur entier, comme on le pourrait montrer par les conciles qui se tenaient alors, où l'on trouve dans le gouvernement ecclésiastique cette ancienne sève et cette ancienne vigueur du christianisme; et les règles n'avaient point encore été affaiblies par tant de dispenses et par tant d'interprétations relâchées : témoin les collections de Réginon, d'Atton de Verceil, de Burchard et les autres. Sur la fin, et dans le dixième siècle, l'Eglise romaine souffrit un grand obscurcissement par la tyrannie des seigneurs romains, qui mettaient par force leurs enfants et leurs créatures dans la chaire de saint Pierre : mais tout cela était un effet de la violence plutôt que de la séduction ; et Dieu, pour montrer qu'il tenait encore Satan enchaîné, ne lui permit pas alors de séduire les peuples, ni de faire naître en ce siècle aucune hérésie.

 

1 Variations, liv. XI.

 

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Après l'an mil de Notre-Seigneur, tout alla manifestement en diminuant, et les scandales se multiplièrent : la discipline se relâchait visiblement : on en voyait l'affaiblissement dans celui de la pénitence canonique. Le refroidissement de la charité prédit par Notre-Seigneur, Matth., XXIV, 11, 12, parut dans le schisme des Grecs, qui rompirent ouvertement avec l'Eglise romaine en l'an 1080, sous le pape saint Léon IX et le patriarche Michel Cérularius; dans les guerres entre les Papes et les empereurs ; dans les jalousies des deux puissances, et les entreprises des uns sur les autres; dans les oppositions entre le clergé et les religieux ; dans les schismes fréquents de l'Eglise romaine; et enfin dans le grand schisme arrivé après Grégoire XI, qui acheva de ruiner la discipline et d'introduire la licence et la corruption dans le clergé : la foi même fut attaquée d'une manière plus couverte, et en cela plus pernicieuse que jamais, par les manichéens qui vinrent de Bulgarie. Nous en avons fait l'histoire dans le livre XI des Variations, où l'on peut voir la multitude effroyable, les artifices et la séduction de ces hérétiques, qui réprimés souvent par saint Augustin, par saint Léon, par saint Gélase et les autres Papes, se cantonnèrent dans quelques provinces d'Orient, d'où ils se répandirent en Occident après l'an mil : car on les voit paraître la première fois en 1017, sous le roi Robert et au concile d'Orléans, où ils furent condamnés au feu par ce prince, autant pour leurs maléfices et leurs sacrilèges que pour leurs erreurs. En même temps il s'en trouve une infinité en Italie, en France et en Allemagne. Le caractère particulier de ces hérétiques était d'inspirer la haine contre l'Eglise romaine. Cependant les manichéens, sous mille noms différents de Pétrobusiens, d’Henriciens, d’Albigeois, de Patariens, de Poplicains et de tant d'autres, gagnaient insensiblement. Le mariage était défendu; « les viandes que Dieu avait créées étaient déclarées immondes » par les maximes de ces hérétiques ; et on y voyait tous les caractères de cette hérésie des derniers temps, marquée si expressément dans saint Paul, I Tim., IV, I. Cette peste de manichéens était d'autant plus dangereuse, qu'elle était cachée ; ces hérétiques se mêlant parmi les fidèles et y répandant leur poison, non-seulement sous l'apparence du culte

 

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catholique, mais encore sous l'extérieur de la piété et sous le masque de la plus fine hypocrisie, comme on le peut voir amplement dans le lieu déjà allégué des Variations et par les sermons 65 et 66 de saint Bernard sur les Cantiques. Il n'est donc pas ici question de chercher des violences exercées par ces nouveaux persécuteurs; c'est une affaire de séduction et d'artifice. Ces nouveaux Gog et Magog, cette nation ennemie du peuple de Dieu couvrit toute la face de la terre. Pour mieux porter le caractère de Gog, ils étaient originaires de la Gogarenne, province d'Arménie où ils s'étaient cantonnés; et ils venaient des Bulgares, nation scythique, dont on sait que Magog a été la source. Partout les églises et le camp des Saints étaient assiégés et environnés par ces hérétiques ; et s'il faut de véritables combats, les guerres sanglantes des Albigeois nous en fourniront assez. C'a donc été un prodigieux déchaînement de Satan. Rien n'empêche qu'il n'en arrive beaucoup de semblables qui nous préparent au dernier. L'apostasie de Luther tient beaucoup de ce caractère, comme nous l'avons démontré ailleurs. Au reste nous avons aussi remarqué qu'un des caractères des hérésies est de n'avoir pas un temps complet (1), c'est-à-dire de durer peu à comparaison de l'Eglise, qui est éternelle et dont la perpétuelle stabilité est figurée par le nombre parfait de mille ans. Le feu du ciel sera ici, après les anathèmes de l'Eglise, la vengeance céleste sur ces hérétiques factieux : mais tout cela au fond n'est qu'une figure, dont le parfait et véritable accomplissement est réservé à la fin des siècles, où le feu du ciel paraîtra visiblement, et où le déchaînement en effet sera très-court, parce que Dieu, qui aura pitié de ses élus, abrégera pour l'amour d'eux le temps d'une tentation si dangereuse, Matth., XXIV, 22.

 

Réflexions sur l'opinion des millénaires : Passage de saint Justin falsifié par les protestants.

 

Papias, très-ancien auteur, mais « d'un très-petit esprit (2) , » ayant pris trop grossièrement certains discours des apôtres, que leurs disciples lui avaient rapportés, introduisit dans l'Eglise ce

 

1 Apoc., IX, 5, 10. — 2 Euseb., III, XXXIX; Hieron., in Pap.

 

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règne de Jésus-Christ, dont il a été parlé, durant mille ans dans une terrestre Jérusalem magnifiquement rebâtie, où la gloire de Dieu éclaterait d'une manière admirable, où Jésus-Christ régnerait visiblement avec ses martyrs ressuscites, où à la fin néanmoins les Saints seraient attaqués et leurs ennemis consumés par le feu du ciel, après quoi se ferait la résurrection générale et le jugement dernier. Cette opinion disparut dans la grande lumière du quatrième siècle, en sorte qu'on n'en voit presque plus aucun vestige : mais comme quelques protestants, qui tâchent de la relever, veulent persuader au monde qu'elle est établie par une tradition constante des trois premiers siècles, je crois devoir dire un mot sur un passage de saint Justin dont ils abusent. Joseph Mède, qui nous oppose ce passage (1), a fait deux grandes fautes : l'une de suivre, comme nous verrons, une version infidèle ; et l'autre, d'y ajouter une insigne falsification.

Le passage dont il s'agit est tiré du Dialogue avec Tryphon, et le voici traduit de mot à mot sur le grec. Tryphon demande à saint Justin s'il est vrai que les chrétiens reconnaissent que la ville de Jérusalem sera rebâtie, et que Jésus-Christ y régnera avec les patriarches et les prophètes, et avec les autres justes de la nation judaïque. Sur quoi saint Justin lui répond ainsi : « Je vous ai déjà déclaré que je croyais avec PLUSIEURS AUTRES que la chose arriverait en cette manière qui est connue parmi vous : mais qu'il y en avait PLUSIEURS DE LA PURE ET RELIGIEUSE DOCTRINE DES CHRÉTIENS, qui n'étaient pas de ce sentiment (2). » Voilà d'abord ce sentiment du règne de Jésus-Christ sur la terre rapporté, non pas comme un sentiment universel, mais comme le sentiment de saint Justin et de plusieurs autres. Non content de parler ainsi, il ajoute en termes formels, qu'il y a des chrétiens de pure et religieuse doctrine, c'est-à-dire de bonne et saine croyance qui n'étaient pas de cette opinion, et par conséquent on voit par lui-même que le sentiment qu'il suit avec plusieurs autres chrétiens, était tenu pour indifférent dans l'Eglise. Joseph Mède, qui a prétendu le contraire, n'a trouvé d'autre moyen d'éluder ce passage qu'en y ajoutant une négative; et au lieu que saint Justin a dit que plusieurs qui

 

1 Joseph. Med., Comm. in Apoc., p. 533. — 2 Dial. cum. Tryph., p. 306, n. 80

 

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sont de la pure et religieuse doctrine des chrétiens ne sont pas de ce sentiment, il a mis du sien plusieurs qui ne sont pas de cette pure et saine doctrine; ce qui, non-seulement n'est pas dans le texte, mais encore n'y peut pas être, comme ceux qui le liront dans l'original et qui le compareront au passage, comme il est cité par Joseph Mède, le reconnaitront aisément. L'autre faute qu'il a commise est d'avoir suivi une mauvaise version : mais voici la suite du texte fidèlement traduit sur le grec. Après que saint Justin a déclaré qu'il y avait des chrétiens purs et orthodoxes qui n'étaient pas de son sentiment sur le règne de mille ans, il continue son discours en cette sorte : « Je vous ai dit outre cela, qu'il y en a qu'on appelle chrétiens, mais qui en effet sont des hérétiques sans religion et sans piété, qui enseignent des choses pleines de blasphèmes. Or, afin que vous sachiez que je ne veux pas dire cela seul, je ramasserai, autant qu'il sera possible, tout ce qu'on dit parmi nous sur ces matières, et j'écrirai ce que je vous ai déclaré que je reconnais. Car encore que vous ayez rencontré des hommes, qui non-seulement ne confessent pas ces choses, mais encore qui blasphèment contre le Dieu d'Abraham, d'Israël ou de Jacob, et qui disent qu'il n'y a point de résurrection des morts, mais qu'incontinent après la mort les aines sont reçues dans le ciel (sans en sortir jamais pour venir reprendre leurs corps), ne les prenez pas pour des chrétiens, comme vous ne prenez pas pour Juifs les sadducéens et les autres sectes semblables. Pour moi et tous ceux qui ont des sentiments droits, et sont chrétiens en tout et partout (outre les choses que nous venons de dire du Dieu d'Abraham), nous croyons encore la résurrection de la chair; et les prophètes Ezéchiel, Isaïe et les autres reconnaissent qu'on doit passer ces mille ans dans Jérusalem, après qu'elle aura été rebâtie et augmentée. » On voit ici la différence qu'il y a entre ce que croyaient tous les véritables chrétiens, c'est-à-dire la divinité du Dieu d'Abraham et la résurrection, et ce que saint Justin et quelques autres croyaient devoir ajouter à cette foi selon les témoignages des prophètes, c'est-à-dire le règne de mille ans. Mais Joseph Mède pour confondre cette opinion dont saint Justin avait reconnu que tous les vrais chrétiens n'étaient pas d'accord avec

 

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ce qu'ils croient tous unanimement, a suivi l'interprète qui a mal traduit : Pour moi et tous les chrétiens, nous croyons et la résurrection générale, et le règne de mille ans, selon que les prophètes le reconnaissent ; ce qui fait tomber la foi également sur le règne de mille ans et sur la résurrection, contre la vérité de l'original. C'est donc en particulier le sentiment de saint Justin et de plusieurs autres, que les prophètes ont prédit ce règne de Jésus-Christ sur la terre : mais il paraît clairement que les autres orthodoxes n'en étaient pas d'accord. Et en effet outre que ce sentiment ne se trouve ni dans saint Clément d'Alexandrie, ni dans saint Cyprien, ni dans Origène, et qu'au contraire les principes que ces Pères posent sont contraires à ce système, on sait d'ailleurs qu'il a été expressément combattu par Caïus et par saint Denys d'Alexandrie, une des plus vives lumières du troisième siècle, comme il paraît par Eusèbe et par saint Jérôme (1).

Au reste il est aisé de voir que le XXe chapitre de l'Apocalypse, quia donné lieu à l'erreur, doit être pris en un sens spirituel. Cette première résurrection que saint Jean y attribue aux martyrs, ne regarde visiblement que les âmes seules qui vont commencer avec Jésus-Christ une vie nouvelle incontinent après la mort corporelle , comme il résulte de nos remarques sur les versets 4, 5, 6, 12, 13. Et du reste les ministres mêmes, qui après tant d'éclaircissements de la doctrine de ce chapitre donnés par saint Augustin et les autres Pères , ne rougissent pas d'en revenir à ces restes du judaïsme, ont si bien senti l'absurdité de faire attaquer par des nations assemblées un peuple ressuscité, et une ville où Jésus-Christ régnerait avec une si claire manifestation de sa gloire, qu'ils ont été contraints d'abandonner en ce point la lettre qui les a trompés : car au lieu que s'il fallait entendre à la lettre ce règne de Jésus-Christ sur la terre avec ses martyrs, il faudrait dire que tous les martyrs, « du moins les anciens, » comme parle M. Jurieu (2), ressusciteront avant tous les autres morts : ce ministre, qui a rougi de faire attaquer par des mains mortelles tant de Saints ressuscites et glorieux, laisse en doute

 

1 Euseb., III, XXVIII, XXIX; VII, XXlV ; Hier., De Scrip. Ecc, in Dionys. Alex., et Praef. in lib. XVIII, in Esa.— 2 Jur. Acc. des Proph., p. II, chap. XXII et XXIII.

 

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s'il ne faut pas se réduire à ressusciter les apôtres, quoique saint Jean n'en parle pas plus que des autres, et qu'au contraire il fasse revivre en même temps tous les décollés, c'est-à-dire, comme on a vu, tous les martyrs : et au lieu qu'il faudrait aussi, pour suivre la lettre, faire demeurer Jésus-Christ avec ses martyrs, puisque c'était avec eux qu'il devait régner sur la terre.; ce ministre , qui n'a pas osé soutenir qu'on put attaquer Jésus-Christ dans sa majesté et dans sa gloire, trouve bon qu'après une apparition éclatante, il se retire dans les deux , après néanmoins en avoir ôté avec les apôtres un des plus beaux ornements et les chefs du troupeau racheté. Mais où prend-il ces distinctions ? Dans le sens spirituel qu'il rejette ou dans le sens littéral, où il n'y en a aucun vestige? Il n'y a que ces interprètes licencieux qui en nous vantant l'Ecriture, se donnent la liberté d'en prendre et d'en laisser ce qu'il leur plaît, et de tourner le reste à leur fantaisie. Mais où est-ce que ce ministre a trouvé qu'il y ait trois avènements de Jésus-Christ, et plus d'un avènement glorieux? Les anciens millénaires du moins n'en reconnaissaient qu'un seul avec l'Ecriture ; et après être descendu en sa gloire, Jésus-Christ demeurait mille ans sur la terre, d'où il ne retournait au ciel qu'après avoir jugé les vivants et les morts. Mais le ministre sans se soucier ni des Ecritures, ni des Pères, qu'il fait semblant de vouloir suivre, fait aller et venir Jésus-Christ comme il lui plaît : et que devient donc ce passage qui nous est tant objecté par les ministres, que « il faut que le ciel contienne Jésus-Christ, jusqu'à ce que toutes choses soient rétablies? » . Act., III , 21. Le ministre en a trouvé le dénouement : c'est qu'il n'y aura qu'une petite interruption qui ne méritait pas d'être comptée, quelque extraordinaire et quelque éclatante qu'on la figure d'ailleurs '. Mais après tout que gagne-t-on en se jouant ainsi de l'Ecriture? Il en faut toujours venir à la question : Si l'on peut trouver vraisemblable que des mortels viennent attaquer une ville que Jésus-Christ protégera si visiblement, où après avoir paru de la manière du monde la plus éclatante, il laissera pour la gouverner douze hommes ressuscites , immortels, invulnérables, et en un mot

 

1 Jur., Acc. des Proph., p. II, chap. XXIII.

 

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affranchis de toutes les infirmités humaines? Que dirai-je de la nouvelle doctrine de ce hardi théologien qui hasarde tout ; qui pour soutenir son système, ose dire que Jésus-Christ ne règne pas à présent (1) ; que l'Eglise n'est pas le royaume des cieux ; que nous-mêmes nous ne sommes pas le royaume de Jésus-Christ ; que Jésus-Christ ne régnera plus après le dernier jugement, et ses élus encore moins, malgré ce qu'il leur dira en les jugeant : « Venez posséder le royaume qui vous a été préparé, » Matth., XXV, 3-4, et en un mot, qu'il n'est roi que durant ces mille ans imaginaires ? Dans quelles erreurs faut-il être pour enseigner de tels prodiges à des chrétiens, et combien sont à plaindre ceux qui écoutent un tel homme comme un prophète ! Concluons donc que tout ce qu'on dit de ce règne de mille ans, prisa la lettre, engage en des absurdités inexplicables; que le Fils de l'homme ne viendra plus visiblement qu'une fois, lorsqu'il paraîtra en sa gloire sur une nuée, et que ceux qui l'auront percé le verront prêt à les juger; que lorsqu'il viendra en cette sorte , il ne sera pas mille ans à tenir ses saints sur la terre ; qu'il prononcera aussitôt son irrévocable jugement et ira régner avec eux éternellement dans le ciel. Croyons, dis-je, toutes ces choses, et laissons aux interprètes protestants ces restes des opinions judaïques, que la lumière de l'Eglise a entièrement dissipées depuis treize cents ans.

 

1 Jur., Acc. des Proph., p. II, chap. XXIII et suiv.

 

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