Apocalypse XI
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Explication

CHAPITRE   XI.

 

Le temple mesuré : le parvis abandonne aux Gentils : les deux témoins : leur mort : leur résurrection et leur gloire : la septième trompette : le règne de Jésus-Christ et ses jugements.

 

1.  On me donna une canne semblable à une perche et il me fut dit (a) : Lève-toi, et mesure le temple de Dieu, et l'autel, et ceux qui y adorent.

2.  Mais laisse le parvis qui est hors du temple, et ne le mesure point, parce qu'il a été abandonné aux gentils, et ils fouleront aux pieds la sainte Cité pendant quarante-deux mois :

3. Et je donnerai à mes deux témoins, et ils prophétiseront mille deux cent soixante jours revêtus de sacs.

4. Ceux-ci sont deux oliviers et deux chandeliers qui sont dressés en présence du Seigneur de la terre (b).

5. Que si quelqu'un veut leur nuire, le feu sortira de leur bouche, qui dévorera leurs ennemis : et celui qui les voudra offenser, il faut qu'il soit tué de cette sorte.

6. Ils ont la puissance de fermer le ciel, pour empêcher la pluie de tomber durant le temps qu'ils prophétiseront : et ils ont le pouvoir de changer l'eau en sang et de frapper la terre de toutes sortes de plaies, toutes les fois qu'ils le voudront.

7.  Quand ils auront achevé leur témoignage, la bêle qui s'élève de l'abîme leur fera la guerre, les vaincra et les tuera.

8.  Et leurs corps seront étendus dans les places (c) de la grande ville, qui est appelée spirituellement Sodome, et l’ Egypte, où même leur (d) Seigneur a été crucifié.

9.  Et les tribus, les peuples, les langues et les nations verront leurs corps étendus trois jours et demi; et ils ne permettront pas qu'on les mette dans le tombeau.

10. Les habitants de la terre se réjouiront de leur mort : ils en feront des fêtes, et s'enverront des présents les uns aux autres parce que ces deux prophètes tourmentaient ceux qui habitaient sur la terre.

 

(a) Grec : Et l’ange se tint debout, disant : — (b) Du Dieu de la terre. — (c) La place  — (d) Notre.

 

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11.  Mais après trois jours et demi, l'esprit de vie entra en eux de la part de Dieu. Ils se relevèrent sur leurs pieds, et ceux qui les virent furent saisis d'une grande crainte.

12.  Alors ils entendirent une voix forte, qui leur dit du ciel : Montez ici. Et ils montèrent au ciel dans une nuée, à la vue de leurs ennemis.

13.  A cette même heure il se fit un grand tremblement de terre : la dixième partie de la ville tomba, et sept mille hommes périrent dans le tremblement de terre : le reste fut saisi de crainte et donna gloire à Dieu.

14. Le second malheur est passé, et voilà le troisième qui le suit

de près.

15. Le septième ange sonna de la trompette , et le ciel retentit

de grandes voix, qui disaient : Le royaume de ce monde est devenu le royaume (a) de Notre-Seigneur et de son Christ, et il régnera aux siècles des siècles, amen (b).

16.  Alors les vingt-quatre vieillards qui sont assis sur leurs sièges devant la face de Dieu, se prosternèrent sur le visage, et ils adorèrent Dieu, en disant :

17.  Nous vous rendons grâces, Seigneur Dieu tout-puissant, qui êtes , qui étiez, et qui devez venir, parce que vous vous êtes revêtu de votre grande puissance et que vous régnez.

18.  Les nations se sont irritées , et le temps de votre colère est arrivé, et le temps des morts pour être jugés, et pour donner la récompense aux prophètes vos serviteurs, et aux saints, et à ceux qui craignent votre nom, aux petits et aux grands, et pour exterminer ceux qui ont corrompu la terre.

19. Alors le temple de Dieu fut ouvert dans le ciel, et l'arche de son alliance y parut ; et il se fit des éclairs, des voix, un tremblement de terre et une grosse grêle.

 

(a) Grec : Les royaumes sont devenus les royaumes. — (b) Amen n'y est pas.

 

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EXPLICATION  DU CHAPITRE XI.

 

Les caractères des persécution en général : ils sont appliqués en particulier à celle de Dioclétien : saint Jean nous en donne un premier crayon, qui sera perfectionné dans le chapitre suivant.

 

1.  Lève-toi, et mesure le temple... Le commencement de la persécution de Dioclétien est marqué dans tous les auteurs par le renversement des églises que les chrétiens avaient bâties dans une longue paix (1). Afin qu'on ne s'en étonne pas, saint Jean nous montre un temple et un autel que les hommes ne peuvent abattre.

Et ceux qui y adorent. Dans cette même persécution de Dioclétien, il devait arriver aussi beaucoup de chutes et d'apostasies : mais saint Jean fait voir que tout ce qui est parfaitement au dedans selon l'élection éternelle, ne périt point.

Mesure le temple de Dieu, et l’autel, et ceux qui y adorent. Ceci représente la société des élus, où tout est mesuré et compté, parce que Dieu ne veut pas que rien y périsse.

2.  Mais laisse le parvis qui est hors du temple... Il n'y a point de mesure prise pour ce qui est hors de cette société.

Il a été abandonné aux gentils. La sainte société des élus est inaccessible aux gentils, qui ne peuvent la diminuer : mais l'extérieur de l'Eglise leur est en quelque sorte abandonné, et ils y feront d'étranges ravages. Ne croyez donc pas que tout soit perdu quand vous en verrez la profanation. On renversera les églises matérielles; mais il y a un sanctuaire qui n'est pas bâti de main d'homme, et sur lequel aussi la main des hommes ne peut rien.

Les tourments feront tomber plusieurs chrétiens : mais le fondement de Dieu demeurera ferme. « Et voici le sceau qu'il a : Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui, et bienheureux celui qui invoque le nom du Seigneur ! » II Tim., II, 19.

Ils fouleront aux pieds la sainte Cité. Les chrétiens seront sous

la tyrannie des infidèles : mais si les infirmes tombent, l'Eglise

subsistera dans les forts. C'est la première chose que saint Jean

remarque dans les persécutions : l'Eglise toujours subsistante.

Quarante-deux mois. Voici la seconde chose qu'il faut remarquer :

 

1 V. sup., Réflex., n. 6.

 

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les persécutions de l'Eglise, et même celle de Dioclétien, quoique la plus longue de toutes, auront un ternie préfix et marqué de la main de Dieu.

Pourquoi quarante-deux mois ? Ne retombons pas ici dans la petitesse de vouloir toujours trouver des nombres précis : c'est ici un nombre mystique; et pour nous en faire connaître l'importance, saint Jean le répète souvent, comme on va voir.

Et je donnerai à mes deux témoins, et ils prophétiseront. C'est moi qui leur donnerai de prophétiser, c'est-à-dire je leur en donnerai l'ordre et la grâce. Mille deux cent soixante jours : c'est les quarante-deux mois dont il vient de parler, à composer les mois de trente jours selon l'ancienne supputation. Ce nombre mystérieux se trouve encore dans le temps où la femme, c'est-à-dire l'Eglise sera nourrie dans le désert, c'est-à-dire dans la persécution. «Elle y sera, dit saint Jean, mille deux cent soixante jours, » XII, 6. Et un peu après : « Elle y sera un temps, des temps, et la moitié d'un temps, » ibid., 14. C'est au style de l'Ecriture, une année, deux années, et une demi-année, en tout trois ans et demi. Et encore au chapitre XIII, verset 5, la guerre qu'on fera aux saints doit durer quarante-deux mois. Tout cela sous de différentes expressions, fait le même nombre d'années, de mois et de jours : car les quarante-deux mois et les mille deux cent soixante jours composent trois ans et demi, et le tout ensemble se réduit au nombre rond de douze fois trente jours. Saint Jean retourne ce nombre en tant de façons par années, par mois et par jours,' afin que le lecteur attentif en faisant sa supputation et trouvant toujours le même nombre, sente enfin que c'est un nombre mystique consacré aux persécutions de l'Eglise, à cause que c'est celui où fut renfermée celle d'Antiochus, qui les figurait. Et en effet tout ceci est visiblement tiré de la prophétie de Daniel, où l'ange détermine la persécution d'Antiochus à un temps, deux temps, et un demi-temps, Dan., VII, 25, c'est-à-dire, comme tout le monde en convient, un an, deux ans, et un demi-an, conformément à ce qui est dit de Nabuchodonosor dans le même Daniel : «Sept temps passeront sur lui,» c'est-à-dire il passera sept années, Dan., IV, 13, 22. Selon cette explication du

 

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mot de temps, familière à l'Ecriture et à Daniel, ce prophète détermine le temps donné à Antiochus pour persécuter les enfants de Dieu à trois ans et demi en tout : ce qui fut en effet le temps précis de cette persécution, ainsi qu'il a été dit, Réflex. sur les perséc., n. 3.

Nous voilà donc très-distinctement renvoyés par saint Jean à la prophétie de Daniel et à la persécution d'Antiochus, pour y trouver le vrai caractère des persécutions de l'Eglise, c'est-à-dire pour y entendre un terme arrêté de Dieu, un terme abrégé exprès pour le salut des élus, un terme qui finisse ordinairement par le châtiment éclatant des persécuteurs, et souvent même par un aveu public de leur faute avant leur supplice, comme en effet il est arrivé presque toujours, et constamment de la dernière persécution que saint Jean avait principalement en vue (1).

Il ne faut pas ici s'émouvoir de ce que trois ans et demi excèdent de quelques jours le nombre de mille deux cent soixante jours. On sait assez que l'Ecriture arrondit les nombres. On a vu que saint Jean règle celui-ci, dont il fait le caractère de la persécution, sur le pied de douze fois trente jours; et au surplus la justesse des prophéties se doit trouver dans les grands caractères, et non pas dans les minuties.

Dieu a voulu que quelques-unes des persécutions, par exemple celle de Valérien, eût précisément le nombre de trois ans et demi, comme on a dit (2). Les autres, qui durèrent ou un peu plus ou un peu moins, n'eurent pas moins un terme abrégé et fixé par le doigt de Dieu, et n'en finirent pas moins par une conclusion pareille.

Ce temps de trois ans et demi est encore celui de la mémorable sécheresse qui arriva sous Elie, III Reg., XVII, XVIII ; Luc, IV, 25; Jac., V, 17; sécheresse qui revient assez à la persécution, comme il sera remarqué sur le verset 6

C'est donc à dire, en un mot, que l'Eglise sera réduite au même état où fut autrefois le peuple de Dieu trois ans et demi, et durant cette effroyable famine, et depuis encore sous la tyrannie d'Antiochus; et s'il faut aller plus avant, comme on voit dans toute

 

1 Réflex., n. 3 et suiv. — 2 Réflex., n. 5.

 

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cette prophétie le nombre de sept consacré pour signifier quelque chose de complet, ainsi qu'on l'a remarqué chapitre V, verset 1, le temps de trois ans et demi, qui fait justement la moitié de sept ans, et partage par le milieu une semaine d'années, doit marquer un temps imparfait qui n'arrive pas à son terme : de cette sorte on le prend pour le temps mystique auquel les persécutions sont fixées, pour marquer qu'étant resserrées par la main de Dieu, elles ne parviendront jamais au terme complet que se proposaient les persécuteurs, comme il paraîtra encore mieux par les remarques sur les versets 9 et 11.

Et ils prophétiseront revêtus de sacs, dans l'affliction, dans la pénitence. Ceci marque la persécution; et remarquez que les deux témoins ne cesseront de prophétiser durant tout le temps de la persécution : car la persécution dure quarante-deux mois, verset 2, et la prophétie dure douze cent soixante jours, verset 3, afin qu'on ne pense pas que l'Eglise soit réduite à un état invisible, ou que les persécuteurs viennent à bout, comme ils le prétendaient, « de fermer la bouche de  ceux qui louent Dieu (1). »

Ils prophétiseront. Le ministère prophétique ne consiste pas seulement dans la prédiction de l'avenir, mais encore dans l'exhortation et dans la consolation ; et qui veut voir que toutes ces grâces et les dons tant ordinaires qu'extraordinaires, même celui de la prophétie dans sa partie la plus éminente, qui est la prédiction de l'avenir, ne manquaient pas à l'Eglise durant la persécution, n'a qu'à lire les lettres de saint Cyprien, où l'on voit les merveilleux avertissements par lesquels Dieu préparait son Eglise aux maux qu'il lui envoyait, et l'esprit de force qu'il y conservait pour la soutenir : c'est aussi ce qu'on peut voir dans toute l'histoire ecclésiastique.

Mes deux témoins. Témoin, c'est martyr, comme on sait. Saint Jean marque ici le vrai caractère de ces temps où l'Eglise éclatait principalement dans ses martyrs, pendant qu'elle était contrainte de cacher son culte et ses assemblées dans des lieux obscurs et souterrains.

 

1 Esth., XIV, 9.

 

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Pour ce qui regarde le nombre de deux, les Pères et les interprètes sont féconds à nous en représenter le mystère. Il y a les deux Testamens, les deux Tables de la loi, les deux préceptes de la charité, le témoignage de deux suffisant pour établir la vérité conformément à cette parole : «Toute affaire sera décidée parle témoignage de deux ou de trois témoins, » Deut., XIX, 15. Primase rapporte ici un bel endroit de saint Cyprien, où il reconnaît deux sortes de témoins ou de martyrs : les uns en sacrifiant leur vie les autres en abandonnant leurs biens, Prim., lib. III; Cypr., de Laps. Plus simplement, il faut entendre par les deux témoins les consolateurs du peuple de Dieu, tirés des deux ordres de l'Eglise, et tant du clergé que du peuple : les premiers représentés par Jésus, fils de Josédec, souverain pontife ; et les autres par Zorobabel, capitaine du peuple de Dieu, comme on verra au verset suivant.

4. Ceux-ci sont deux oliviers et deux chandeliers : ceci est manifestement tiré de Zacharie, IV, 3, 14, où Jésus, fils de Josédec, souverain pontife, et Zorobabel, qui soutinrent le peuple pauvre et affligé au retour de la captivité de Babylone, sont désignés par deux oliviers, à cause des consolations que le peuple reçut par leur ministère, durant que tous leurs voisins s'unissaient pour achever de les opprimer. Alors Dieu leur envoya ces deux grands consolateurs; et le Saint-Esprit qui montre partout à saint Jean l'Eglise figurée dans la synagogue, a encore tiré cet exemple de l'ancien peuple, pour signifier dans ces deux oliviers mystiques la céleste onction dont l'Eglise serait pleine durant les persécutions.

Et deux chandeliers. Cette figure est encore tirée du même endroit de Zacharie, IV, 11,12. Elle signifie que les lumières de l'Eglise ne seront pas moins vives que ses consolations seront abondantes : ainsi le nombre de deux est encore ici un nombre mystique, comme les trois ans et demi. Les consolateurs des fidèles par les grâces tant ordinaires qu'extraordinaires, étant tirés de deux ordres, c'est-à-dire du clergé et du peuple, et d'ailleurs étant figurés par ces deux hommes de Zacharie, par Jésus fils de Josédec, et par Zorobabel, sont aussi pour cette raison représentés

 

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au nombre de deux : ce qui signifie que l'Eglise aura en effet les

grâces qui sont figurées par ces deux hommes.

En présence du Seigneur de la terre. Ce sont les propres paroles de Zacharie, IV, 11, qui continuent à nous faire voir qu'il faut chercher dans ce prophète le dénouement de cet endroit de l'Apocalypse.

5. Le feu sortira de leur bouche. Imité d'Elie qui fit tomber le feu du ciel par son commandement, III Reg., XVIII, 38; IV Reg., I, 10 et suiv. Ce feu sorti de la bouche des deux témoins de l'Eglise, c'est l'efficace de sa parole, qui confond ses adversaires et finalement les détruit. Et celui qui les voudra offenser, il faut qu'il soit tué de cette sorte : il faut que les persécuteurs périssent, et qu'après une mort cruelle ils soient encore envoyés au feu éternel.

6.  Ils ont la puissance de fermer le ciel pour empêcher la pluie de tomber. A la lettre fermer le ciel, c'est envoyer la stérilité, et ce pouvoir fut donné à Elie, III Reg., XVII, 1. Dieu aussi a souvent puni l'empire persécuteur en lui envoyant la stérilité, comme on le verra au chapitre XVi, verset 8. Mais pour s'élever à un sens plus haut et plus convenable à ce lieu, par la pluie il faut entendre la parole de Dieu, selon ce que dit Moïse dans son cantique, « que ma parole coule comme une rosée, Deut., XXXII, 2. Durant la persécution la prédication n'avait pas un cours si libre, et elle était justement soustraite aux infidèles, qui non-seulement ne l'écou-toient pas, mais encore en persécutaient les ministres. C'était donc avec justice que Dieu accomplissait alors cette menace autrefois prononcée dans Isaïe : « Je défendrai à mes nuées de pleuvoir, » V, 6. J'empêcherai mes prédicateurs de prêcher si librement.

Changer l'eau en sang : comme fit Moïse en Egypte sous la persécution de Pharaon, Exod., VII, 19, 20; c'est envoyer la guerre aux ennemis de l'Eglise, comme on verra au chapitre XVI, versets 3, 4, 5, 6.

Remarquez que saint Jean remplit ici ces deux témoins de ce qu'il y a tout ensemble de plus doux et de plus efficace dans les anciens prophètes, pour consoler le peuple de Dieu et pour en châtier les ennemis. La douceur est marquée dans les deux oliviers

 

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et dans les deux chandeliers, dont la lumière consolera les enfants de Dieu, et l'efficace de la vengeance paraît dans toute la suite. Au reste pour peu qu'on entende le style de l'Ecriture, on ne s'étonnera pas que ces grands effets de la justice divine soient attribués aux deux témoins, puisque c'est pour l'amour d'eux que Dieu les envoie.

7. Quand ils auront achevé leur témoignage : après qu'ils auront beaucoup souffert et qu'ils auront accompli le temps de ce témoignage laborieux, qu'ils devaient rendre dans l'affliction et dans la peine : remarquez ce terme achevé, qui désigne la fin des persécutions.

La bête qui s'élève de l'abîme : il n'en a point encore été parlé, et elle ne paraîtra que dans les chapitres XIII et XVII. Mais saint Jean nous y renvoie dès ici pour montrer la liaison de ce chapitre avec les suivants, où nous trouverons l'explication de tout le mystère.

Les vaincra et les tuera : en apparence et selon le corps. Les choses viendront à un point, qu'à force de faire la guerre aux chrétiens, les gentils croiront en avoir aboli le nom. C'est ici un des caractères de la persécution de Dioclétien. On avait vu jusqu'alors les persécutions se ralentir de temps en temps, et on attribuait à ce relâchement la subsistance de l'Eglise. On résolut donc sous Dioclétien de faire un dernier effort, et de s'acharner contre les chrétiens jusqu'à ce qu'on en eût éteint toute la race. On flatta même les empereurs de la gloire d'avoir accompli ce grand ouvrage vainement tenté par leurs prédécesseurs. Il faut ici se ressouvenir des colonnes trouvées en Espagne avec ces inscriptions dont voici l'abrégé :

Aux empereurs Dioclétien et Maximien : pour avoir étendu l'Empire romain, éteint le nom des chrétiens qui détruisaient l'Etat, aboli leur superstition par toute la terre, et augmenté le culte des dieux. Ces inscriptions trouvées en Espagne, étaient sans doute répandues de même dans tout l'Empire. On n'avait point encore flatté les empereurs de la gloire d'avoir tout à fait éteint le nom odieux des chrétiens. C'est ce que saint Jean appelle ici avoir fait mourir les deux prophètes : et il ne pouvait représenter

 

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la persécution de Dioclétien par un caractère qui lui fut plus propre.

8. Leurs corps seront étendus dans les places de la grande ville. Le grec : Dans la place, au singulier. Saint Jean représente ici les martyrs comme privés par les lois de tous les honneurs, et même de ceux qu'on rend aux morts. On voit partout dans les actes des martyrs, et en particulier dans ceux de saint Taraque, le grand péril où il fallait se mettre pour donner la sépulture aux Saints, dont même on laissait souvent les corps mêlés avec ceux des scélérats, afin qu'on ne les put distinguer : ce qui paraît principalement durant la persécution de Dioclétien.

Dans les places de la grande ville, qui est appelée spirituellement Sodome et l'Egypte. C'est Rome et l'Empire romain : Sodome, par son impureté; Egypte, par sa tyrannie et ses abominables superstitions, où le peuple de Dieu était captif comme autrefois en Egypte, où les chrétiens et les chrétiennes avaient souvent plus à souffrir pour la chasteté que pour leur foi, comme « l’âme juste de Lot était tourmentée à Sodome par les actions détestables de ses habitants, » II Petr., II, 8.

Où même leur Seigneur a été crucifié : en prenant la grande cité pour Rome avec son empire, il est vrai au pied de la lettre que Jésus-Christ y a été crucifié, même par la puissance romaine : et il est vrai encore que cette même Rome qui avait crucifié Jésus-Christ en sa personne, le crucifiait tous les jours dans ses membres, comme dans le chapitre suivant nous le verrons enfanté dans ses membres par son Eglise, Apoc. XII, 5.

9. Leurs corps étendus trois jours et demi. Ce même nombre de jours est encore répété verset 11. On voit donc ici clairement, et pour les jours comme pour les années, un nombre mystique et justement la moitié d'une semaine. Mais ici trois jours et demi, c'est-à-dire la moitié de la semaine de jours signifie un temps très-court, et beaucoup plus court encore que celui de la persécution. Car si la persécution ne parvient pas jusqu'à la semaine d'années et n'en passe pas la moitié, le temps où les gentils se persuadèrent que le christianisme était éteint, n'arrive qu'à la moitié de la semaine de jours ; et ni dans l'un ni dans l'autre cas,

 

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on ne vient point à un temps complet, ni au but que les persécuteurs avaient espéré, comme il a été dit verset 3.

10. Les habitants de la terre se réjouiront : en faisant entre eux des fêtes, comme il est porté dans le texte, et des festins, des réjouissances. Ces inscriptions qu'on vient de voir, ne permettent pas de douter que l'extinction du christianisme, dont les gentils se vantaient, ne fût un sujet de joie et de triomphe dans tout l'univers.

Et s'enverront des présents : ce signe de conjouissance mutuelle est marqué parmi les fêtes et les festins, Esth., IX. 18, 19, 22. Parce que les deux prophètes les tourmentaient. La prédication de l'Evangile tourmentait ceux qui voulaient mener une vie sensuelle; témoin le tremblement de Félix, gouverneur de Judée, pendant que saint Paul traitait devant lui de la justice, de la chasteté et du jugement futur, Act., XXIV, 25. D'ailleurs les gentils attribuaient aux chrétiens tous les malheurs de l'Empire, et ils étaient ravis d'en être défaits.

11.  Après trois jours et demi. Les gentils ne jouirent que très-peu de temps du plaisir de s'imaginer l'Eglise morte et son témoignage éteint; car on la vit se relever plus glorieusement que jamais.

L'esprit de vie entra en eux : le rétablissement d'un peuple abattu est figuré par une résurrection, Ezech., XXXVn.

12.  Alors ils entendirent une voix : Montez ici. Et ils montèrent dans le ciel... C'est la grande gloire de l'Eglise sous Constantin, incontinent après la grande persécution.

13.  A cette même heure il se fit un grand tremblement de terre... Dans le temps qu'il plaisait à Dieu de relever son Eglise, que les païens croyaient à bas, tout l'Empire fut ébranlé par les guerres des empereurs les uns contre les autres. Maxence, fils de Maximien, établi à Rome et soutenu par Maximin en Orient, est attaqué par Galère et bat Sévère, un autre empereur que Galère envoyait contre lui. Toute l'Italie est ravagée par les vainqueurs et par les vaincus. Galère court à la vengeance avec une armée immense. Maximien rappelé à l'empire, se brouille avec son fils et avec son gendre, qu'il arme l'un contre l'autre : son gendre,

 

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c’était Constantin, qui marche contre Maxence et le taille en pièces, ce qui le rend maître de Rome et tôt après de tout le monde. La dixième partie de la ville tomba. Cela signifie de grands ravages et de grandes ruines dans tout le corps de l'Empire par ces effroyables mouvements.

Et sept mille hommes y périrent : c'est dans le nombre parfait la victoire parfaite de Constantin sur Maxence.

Et le reste fut saisi de crainte : quand on vit Constantin victorieux par la croix, en ériger le trophée dans Rome et faire publiquement profession du christianisme.

Et ils donnèrent gloire au Dieu du ciel. Voilà les grandes conversions dont la victoire de l'Eglise fut suivie par tout l'univers. On voit souvent dans l'histoire1 durant la dernière persécution, et dans quelques actes des martyrs, ces acclamations du peuple étonné de leur constance : « Le Dieu des chrétiens est grand : » ces cris de joie s'augmentèrent quand on vit l'Eglise victorieuse par sa patience et par tant de miracles qui arrivoient tous les jours au tombeau des Saints.

14. Le second malheur est passé. C'est celui des persécutions, et surtout de la dernière, qui fut si sanglante; et ce sont en même temps tous les maux que Dieu envoyait au monde pour punir son impiété, à commencer depuis le temps de Valérien jusqu'à celui de Maxence, et de la paix de l'Eglise, comme il paraît, IX, 14; XI, 5, 6, 13. Mais ce qu'il faut le plus remarquer, c'est que les persécutions dont saint Jean parle tant ici, sont comprises parmi les malheurs publics de tout l'univers, n'y en ayant point de plus grand ni qui en attire tant d'autres que de ne pouvoir souffrir la vérité, comme on le verra encore plus expressément, XII, 12.

Et voilà le troisième qui le suit de près. C'est celui où sera comprise la ruine de Rome idolâtre, comme on verra dans la suite; mais saint Jean donnera encore quelques chapitres à décrire plus particulièrement les persécutions qui ont attiré à l'Empire un si terrible châtiment,

15. Le septième ange... Le ciel retentit de grandes voix qui disaient : le royaume de ce monde est devenu le royaume de notre

 

1 Euseb., IX, I, 8.

 

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Seigneur et de son Christ. Voilà la conversion universelle des peuples et la destruction de l'idolâtrie.

Et il régnera aux siècles des siècles : son règne est éternel dans le ciel, et il va commencer à éclater même sur la terre.

18. Les nations se sont irritées : Rome frémira encore, et tout le paganisme sera en fureur de voir le christianisme dans la gloire et les princes mêmes devenus chrétiens.

Et le temps de votre colère est arrivé : le temps où Rome périra : ce qu'on verra dans la suite exprimé plus clairement.

Et le temps des morts pour être jugés... Saint Jean joint le jugement dernier à celui qu'on allait voir exercé sur Rome, comme avait fait Jésus-Christ en prédisant la ruine de Jérusalem, Matth., XXIV. C'est la coutume de l'Ecriture de joindre les figures à la vérité.

19. Le temple de Dieu fut ouvert : c'est le grand éclat de l'Eglise ouverte à tous les gentils. Et l'Arche d'alliance y parut : à la différence de l'ancien peuple, où l'Arche était cachée : dans l'Eglise, tous les mystères sont découverts et la présence de Dieu est manifestement déclarée.

Et il se fit des éclairs... C'est la main de Dieu manifeste sur les ennemis de son Eglise. Au reste je ne parle point ici de l'application de ce chapitre à la venue d'Enoch et d'Elie, dont je me suis assez expliqué dans la Préface, n. 13 et suiv.

 

Abrégé des prédictions depuis le chapitre IV jusqu'au XIIe, et la liaison de ce qui précède avec ce qui suit, depuis le XIIe jusqu'au XIXe.

 

Les choses que nous avons vues méritent bien d'être repassées, afin qu'on en voie la suite comme d'un coup d'œil, depuis le chapitre IV jusqu'à celui qui va suivre.

On a vu d'abord le livre scellé, c'est-à-dire les décrets encore cachés du conseil de Dieu, chap. IV.

Ce livre est entre les mains de l'Agneau pour en rompre les sceaux et en révéler les secrets, chap. V.

A la rupture des sceaux, on a vu paraître le Juge avec ses trois fléaux, et la vengeance qui devait être appliquée par la prière des Saints est suspendue pour un peu de temps, mais ensuite représentée

 

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avec de terribles couleurs, quoiqu'encore en confusion, chapitre VI.

On entre dans l'explication du détail, où le premier secret qui se déclare, c'est que la vengeance dont on allait découvrir les effets , étant suspendue en faveur des Juifs, dans la suite devait commencer par cette nation selon le dessein de la prophétie : ce qui se déclare encore par les autres circonstances des chapitres VII et VIII.

Les sept trompettes commencent, et les quatre premières nous découvrent les deux coups frappés sur les Juifs sous Trajan et sous Adrien, tous deux terribles, mais le dernier le plus désolant , où l'on marque aussi l'horrible amertume où ils se virent plongés pour avoir suivi leur faux messie Cochébas ; et on voit en même temps les vains efforts qu'ils firent pour obscurcir les prophéties : c'est ce que contient le chapitre vin. Le dernier verset de ce chapitre marque les trois , dont l'effet devait regarder les trois dernières trompettes, VIII, 13, et dont la suite, comme on verra, fait la liaison de toute cette prophétie.

Entre la fin des prédictions qui regardent les Juifs et le commencement de celles qui regardent les gentils, le Saint-Esprit découvre à saint Jean cet affreux obscurcissement du soleil-et ces sauterelles mystiques ; c'est-à-dire, à l'occasion de la chute des Juifs, auteurs des persécutions de l'Eglise, un nouveau genre de persécuteurs dans les hérésies judaïques qui se glisseront dans son sein : là, au bruit de la cinquième trompette, on les voit sortir de l'enfer; et saint Jean se sert de cette occasion pour donner à tous les siècles une vive image du génie de l'hérésie, dont l'effet est si funeste à tout l'univers, mais dont la chute présage à l'Eglise une victoire certaine de tous ses autres ennemis. Le premier se termine à cet endroit, verset 42. Et comme il nous mène au temps de Valérien , où la chute de l'Empire devait commencer, saint Jean y entre incontinent : mais afin de distinguer cet événement de ceux qui avaient regardé plus particulièrement les Juifs, il marque ici expressément que cet endroit regardait en particulier les idolâtres, IX, 20. Et voilà tout ce qui paraît au chapitre IX, au son de la cinquième et de la sixième trompette.

 

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Il ne restait plus après cela, pour nous marquer toute la suite de la vengeance de Dieu sur ses ennemis, qu'à nous représenter le dernier coup donné tout ensemble à l'idolâtrie et à Rome persécutrice : mais comme il devait être la punition de ses cruautés contre l'Eglise, saint Jean, après l'avoir annoncé en général au chapitre X, nous y est encore montré comme le prophète destiné de Dieu à nous en décrire les causes et toute la suite dans les chapitres suivants.

Il paraît par toutes ces choses que l'Apocalypse est comme une histoire suivie des jugements que Dieu exerce sur les ennemis de son Eglise, en commençant par les Juifs et finissant par les gentils, sans oublier entre deux les hérétiques, à cause des secrets rapports qu'ils ont avec les uns et avec les autres, aussi bien qu'avec l'Eglise elle-même, pour en exercer et éprouver les vrais fidèles ; et cette histoire est suivie, non-seulement par l'ordre des choses, mais encore en quelque façon par celui des temps.

Au chapitre XI commence l'histoire des persécutions romaines, dont nous voyons d'abord quatre caractères. Nous voyons aussi la raison pourquoi saint Jean s'arrête principalement à celle de Dioclétien, qui par la même suite des conseils de Dieu, devait tout ensemble et ravager l'Eglise avec le plus de fureur, et en même temps la porter au plus haut point de sa gloire.

On voit en même temps la grande cité qui persécutait les Saints, c'est-à-dire Rome, dans une commotion si violente, que tout son empire en est ébranlé. Les guerres contre Maxence nous sont ici figurées, et cette suite de choses nous mène au verset 14, où se voit aussi l'accomplissement du second .

On entend aussitôt après le son de la septième trompette, où autant qu'on est consolé par le règne de Jésus-Christ, autant est-on saisi de frayeur par les menaces qu'on y entend mêlées en confusion avec celles du jugement dernier. Mais des choses si importantes y sont dites encore tellement en général, qu'elles doivent des là nous faire attendre un plus grand éclaircissement dans les chapitres suivants, selon le génie des prophéties et en particulier de celle-ci, où Dieu nous mène comme par degrés dans une plus

 

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grande lumière et tout ensemble dans une considération plus profonde de ses jugements.

Tout ceci démontre donc que la prophétie de saint Jean, depuis le chapitre IV jusqu'au XVIIIe , où la chute de Rome est marquée avec des traits si perçans et si vifs, n'est qu'un seul et même tissu ; et saint Jean le marque très-expressément, lorsque dans ce chapitre XI, verset 7, il attribue le massacre des deux témoins à la bête qui s'élèvera de l'abîme. On n'en avait point encore ouï parler, et on ne la verra paraître qu'aux chapitres XIII et XVII. On ne peut donc pas douter que le chapitre XI n'ait sa relation avec les suivants, et que ce ne soit de là qu'il en faut attendre la parfaite explication. Les trois sont encore un signe certain pour faire comprendre à un lecteur attentif la liaison de tous ces chapitres, c'est-à-dire des précédents et des suivants. Car évidemment le premier finit au verset 19 du chapitre ix, où finit en même temps ce qui avait une relation plus particulière avec les Juifs ; et le second qui finit au chapitre XI, verset 14 , comprend ce qui devait arriver aux gentils, à commencer au verset 13 du chapitre IX , depuis les malheurs de Valérien jusqu'à ceux de Maxence, chapitre XI, verset 14. On nous avertit dans le même verset que le troisième viendra bientôt. Il faut donc l'attendre encore ; et nous n'en verrons nulle mention que vers la fin de la prophétie, où nous l'entendrons retentir avec un cri si terrible et si perçant, que les plus sourdes oreilles en seront émues.

Il paraît donc encore un coup par tout ceci que toute la prophétie est liée ensemble depuis le chapitre IV jusqu'aux chapitres XVIII et XIX. Les sceaux nous engagent dans les trompettes. A la quatrième trompette commencent les trois , dont les deux premiers achèvent dans la cinquième et dans la sixième trompette ; et le dernier est réservé à l'explication de l'effet de la septième , qui ne paraîtra tout entier qu'au chapitre XVIII, dont le XIXe est la suite, où aussi nous prendrons soin de le faire entendre.

 

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