PÉLAGE
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SAINT PÉLAGE, PAPE

 

Pélage, pape, s'éleva à une haute sainteté : après avoir acquis l’estime générale dans le pontificat, il reposa en paix, les mains pleines de bonnes oeuvres. Ce Pélage ne fut point le prédécesseur de saint Grégoire, mais le troisième avant lui. Le Pélage dont nous parlons eut pour successeur Jean III; à Jean (437) succéda Benoît, à Benoît Pélage et à Pélage Grégoire. Du temps du premier Pélage, les Lombards vinrent en Italie, et comme il est probable que beaucoup de gens ignorent leur histoire, je me suis décidé à l’insérer ici d'après les Gestes de ce peuple compilés par Paul, leur historien, et d'après différentes chroniques. Il y avait dans la Germanie un peuple fort nombreux qui, sorti des rivages de l’Océan septentrional, vint de l’île de Scandinave à la suite de grandes batailles et de courses en différents pays, dans la Pannonie, et n'osant s'avancer plus loin, il choisit cette province pour s'y fixer à toujours. D'abord on les appela Winules et ensuite Lombards. Or, tandis qu'ils résidaient dans la Germanie, Agilmud, leur roi, trouva dans un abreuvoir sept enfants qu'une femme de mauvaise vie avait eus d'une seule couche ; elle les y avait jetés pour les faire périr. Le roi qui était venu là par hasard fut frappé de surprise et les retournait avec sa lance, quand l’un de ces enfants saisit l’arme du roi avec sa main. A cette vue, le roi, stupéfait, le fit nourrir et le nomma Lamission, en annonçant que ce serait un grand homme: Sa probité fut telle, qu'après la mort d'Agilmud, les Lombards le choisirent pour leur roi *. Environ à la même époque, c'est-à-dire l’an de l’incarnation du Seigneur 480, au rapport d'Eutrope, un évêque arien voulant baptiser un nommé Barba, dit « Barba, je te baptise, au nom du Père, par le Fils dans le Saint-Esprit » (il voulait montrer par là que le Fils et le Saint-Esprit étaient inférieurs au Père), mais

 

* Sigebert, Chronique, an 479.

 

438

 

tout-à-coup l’eau disparut, et Barba se réfugia dans l’église. — A peu près dans le même temps, florissaient saint,Médard et saint Gildard, frères utérins, qui naquirent le même jour, furent consacrés évêques le même jour et moururent en J.-C. le même jour. — Or, quelque temps auparavant, c'est-à-dire vers l’an du Seigneur 450, Sigebert raconte dans sa chronique que l’hérésie d'Arius était répandue dans les Gaules, mais que l’unité de substance des trois personnes fut démontrée par un miracle remarquable. Un évêque, célébrant la messe dans la ville de'Bazas, vit tomber sur l’autel trois gouttes très limpides, d'une égale grandeur, qui, se réunissant ensemble, formèrent une perle d'une rare beauté. L'évêque l’ayant mise au milieu d'une croix d'or, les autres perles qui s'y trouvaient en tombèrent aussitôt. Sigebert (453) ajoute encore que cette perle paraît terne aux impies et limpide à ceux qui sont purs: qu'elle donne la santé aux infirmes et qu'elle augmente la dévotion de ceux qui adorent la croix.

Ensuite les Lombards eurent pour roi Alboin, homme brave et intrépide, qui fit la guerre au roi des Gépides, dont il défit l’armée et qu'il tua dans la bataille. Alors le fils de ce roi, qui lui avait succédé, s'avança à main armée contre Alboin, pour venge r son père. Alboin fit marcher son armée contre lui, le défit et le tua; de plus, il fit captive Rosémonde, sa fille, et l’épousa. Il fit faire, avec le crâne de ce roi, une coupé qui fut entourée d'argent, et dans laquelle il buvait. En ce temps-là, Justin le jeune gouvernait l’empire ; or, il avait pour général un eunuque, nommé Narsès, (439) homme noble et courageux ; celui-ci marcha contre les Goths qui avaient fait invasion dans toute l’Italie, les battit, tua le roi des Goths et rendit la paix à tout le pays. Pour les services immenses qu'il avait rendus, il eut à souffrir de l’envie des Romains. Accusé à tort auprès de l’empereur, celui-ci le déposa. L'épouse de l’empereur, nommée Sophie, lui fit l’affront de l’obliger à filer avec ses servantes et de lui faire dévider de la laine. Narsès fit répondre à l’impératrice : « Eh bien ! j'aurai soin de te filer une toile tellement solide que, dans ta vie entière, tu ne pourras l’user. » Narsès se retira donc à Naples et manda aux Lombards d'abandonner les misérables champs de la Pannonie et de venir en foule s'emparer du sol fertile de l’Italie. Quand Alboin apprit cela, il quitta la Pannonie, en l’an de l’incarnation du Seigneur 568 ; il entra en Italie avec les Lombards. Or, c'était la coutume chez eux de porter la barbe longue; et une fois, dit-on, que des espions devaient venir chez eux, Alboin ordonna que toutes les femmes déliassent leurs cheveux pour ensuite les faire passer sous leur menton, afin que les espions les prissent pour des hommes à barbe; de là le nom de Lombards qui leur fut donné dans la suite pour leurs longues barbes ; car barda en leur langue signifie barbe. D'autres disent que les Winules étant sur le point de se battre avec les Vandales, allèrent trouver un personnage qui avait l’esprit de prophétie, afin qu'il priât pour qu'ils fussent vainqueurs et qu'il les bénît. D'après le conseil de sa femme, ils se placèrent vis-à-vis la fenêtre à laquelle il se mettait pour, prier tourné vers l’Orient, et ils commandèrent à leurs (440) femmes de se faire passer les cheveux autour du menton. Quand ce personnage ouvrit sa fenêtre, il s'écria en les voyant: « Qui sont ces Lombards?» Et sa femme ajouta que la victoire resterait à ceux auxquels son mari avait donné ce nom. Étant entrés en Italie, ils se rendirent maîtres de presque toutes les villes, dont ils massacrèrent les habitants. Ils restèrent trois ans autour de Pavie pour en faire le siège, enfin ils s'en rendirent les maîtres. Or, le roi Alboin avait juré de tuer tous les chrétiens. II allait entrer dans Pavie, quand son cheval tomba sur les genoux, malgré les coups d'éperon qu'il lui enfonçait dans les flancs, et l’animal ne put se relever qu'après que le roi eut rétracté son serment, selon l’avis d'un chrétien. Les Lombards étant entrés,dans Milan, toute l’Italie fut subjuguée en peu de temps, à l’exception de Rome et de Romanila, qui reçut ce nom parce que c'était comme une autre Rome et qu'elle était toujours restée unie à Rome.

Le roi Alboin, étant à Vérone, fit préparer un grand festin et, faisant apporter sa coupe qu'il avait fait faire avec le crâne du roi, il y but et y fit boire sa femme Rosemonde, en disant : « Bois avec ton père. » Rosemonde, ayant compris ce que cela voulait dire, conçut contre le roi une haine violente. Or, le roi avait un général qui vivait criminellement avec une des suivantes de la reine, et, une nuit que le roi était absent, Rosemonde entra dans la chambre de sa suivante et, se faisant passer pour cette dernière, elle dit au général de venir la trouver cette nuit-là. Il y vint, et la reine, qui avait pris la place de la suivante, dit (441) un instant après au général : « Sais-tu qui je suis ? » Il répondit qu'elle était une telle, son amie, et la reine ajouta : « Pas du tout, je suis Rosemonde ; il est certain que tu viens aujourd'hui de faire une action, après laquelle il faut que tu tues Alboin ou qu'Alboin te tue. Je veux donc que tu me venges de cet homme, qui est mon époux, qui a tué mon père et qui, de son crâne, s'étant fait une coupe,  m’y a présenté à boire. » Le général ne voulut point consentir, mais il promit d'en trouver un autre qui accomplirait son projet. Alors, la reine ôta toutes les armes du roi, à l’exception d'une épée placée à la tête du lit, qu'elle lia solidement pour qu'on ne pût ni l’enlever, ni la dégainer. Or, pendant que le roi dormait sur une litière, le meurtrier fit quelques efforts pour entrer dans sa chambre. Le roi, qui s'en aperçut, sauta de sa litière et se jeta sur son épée; mais, ne pouvant la tirer, il se défendit vigoureusement avec une escabelle. Toutefois, le meurtrier, qui était très bien armé, se précipita sur le roi et le tua. S'emparant alors de tous les trésors du palais, il s'enfuit, dit-on, à Ravenne, avec Rosemonde. Mais celle-ci distingua, en cette ville, le préfet, jeune homme d'une grande beauté, et voulut l’épouser; elle donna un poison dans une coupe à son mari qui, sentant l’amertume du breuvage, commanda à sa femme d'avaler le reste. Et, comme elle s'y refusait, il tira son épée et la força à boire ; et ainsi périrent-ils tous deux dans le même lieu. Enfin, un roi des Lombards, du nom d'Adalaolh accepta la foi de J.-C., et fut baptisé. Theudeline, reine des Lombards, chrétienne fort pieuse, fit construire un magnifique (442) oratoire à Moditia *. Ce fut à elle que      saint Grégoire adressa ses Dialogues. Son mari Aigiluphe, qui fut en premier lieu duc de Turin, puis roi des Lombards, fut converti par elle à la foi, et elle lui fit obtenir la paix avec l’empire romain et l’Eglise. La paix fut conclue, entre les Romains et les Lombards, le jour de la fête des saints Gervais et Protais, et ce fait la raison pour laquelle saint Grégoire établit qu'on chanterait à cette fête, à l’Introït de la messe : Loquetur Dotninus pacem, etc. Et à la fête de la Nativité de saint Jean-Baptiste, la paix et la conversion des Lombards furent plus amplement confirmées. Theudeline avait en saint Jean une dévotion particulière, car elle attribuait à ses mérites la conversion de sa nation; elle fit donc construire l’oratoire dont il a été parlé plus haut, à Moditia, et il fut révélé à un saint personnage que saint Jean était le patron et le défenseur de ce peuple.

Saint Grégoire étant mort, Sabinien lui succéda ; à Sabinien, Boniface III, et à Boniface III, Boniface IV. Aux prières de ce dernier, l’empereur Plhocas donna à l’Eglise de J.-C. le Panthéon, vers l’an du Seigneur 610, et auparavant, à la sollicitation de Boniface III, il décréta que le siège de Rome était le chef de toutes les Eglises, car l’Église de Constantinople s'intitu1aitlapremière de toutes. Du temps de ce Boniface, après la mort de Phocas et sous le règne d'Héraclius, vers l’an du Seigneur 610, Mahomet, faux prophète et magicien,

 

* C'est un endroit à 12 milles de Milan, qui est nommé Modoetia, Modicia et Modica; dans Paul, diacre.

 

443

 

séduisit les Agaréniens ou Ismaélites, autrement dit Sarrasins, de la manière suivante, d'après ce qu'on lit dans son histoire et dans une chronique : Un clerc très fameux; n'ayant pu obtenir à la cour romaine les honneurs auxquels il prétendait, se retira furieux aux pays d'outre-mer, et, par ses fourberies, il gagna une multitude innombrable de monde. Rencontrant Mahomet, il lui dit qu'il voulait le mettre lui-même à la tête de ce peuple. Il nourrit une colombe avec différentes sortes de grains, qu'il plaçait dans les oreilles de Mahomet. La colombe se tenait sur les épaules de celui-ci, prenait sa nourriture dans ses oreilles, et elle y était si bien habituée, qu'aussitôt qu'elle voyait Mahomet, elle sautait sur ses épaules et lui mettait le bec dans l’oreille. Or, le clerc dont il vient d'être parlé, réunissant le peuple, dit qu'il voulait établir à sa tête celui que l’Esprit-Saint désignerait en se montrant sous la forme d'une colombe. A l’instant, il lâcha l’oiseau sans qu'on s'en aperçût ; celui-ci s'envola sur les épaules de Mahomet, placé au milieu de la foule; et lui mit le bec dans l’oreille. A cette vue, le peuple crut que l’Esprit-Saint descendait sur Mahomet et lui apportait dans l’oreille les paroles de Dieu. Ce fut ainsi que ce. séducteur trompa les Sarrasins. Ils s'attachèrent à lui, et firent invasion dans le royaume de Perse et dans l’empire d'Orient, jusqu'à Alexandrie. Voilà ce qu'on dit vulgairement, mais le récit qu'on va lire est plus certain. Mahomet, en rédigeant ses lois; prétendait faussement les avoir reçues du Saint-Esprit, qui souvent venait voler sur lui, sous l’apparence d'une colombe, à la vue du (444) peuple. Dans ces lois, il inséra quelques récits des premiers âges, tirés de l’Ancien et du Nouveau-Testament. Car, comme il faisait le commerce dans sa jeunesse, en allant avec ses chameaux en Egypte et en Palestine, il avait souvent des rapports avec les chrétiens et les juifs, qui lui firent connaître l’un et l’autre Testament. De là, le rite qu'observent les Sarrasins comme les juifs, de se circoncire et de ne point mangea de la chair de porc. Mahomet, voulant assigner une cause de cette défense, dit qu'après le déluge, le porc fut procréé de la fiente du chameau, et que c'était pour cela qu'un peuple pur devait s'en abstenir comme d'un animal immonde. Ils sont aussi d'accord avec les chrétiens, en ce qu'ils croient un seul Dieu tout-puissant et créateur de toutes choses. Ce faux prophète avança encore, en mêlant le vrai avec le faux, que Moïse fût un grand prophète, mais que le Christ est plus grand, que c'est le premier des prophètes, qu'il est né de la vierge Marie, par la vertu de Dieu et sans la coopération de l’homme. Il dit encore, dans son Alchoran, que J.-C., étant encore enfant, créa des oiseaux du limon de la terre; mais à tout cela, il mêla du poison; en disant que J.-C. n'avait pas réellement souffert, et qu'il n'était point vraiment ressuscité ; mais c'était un autre homme qui lui ressemblait qui avait fait cela et avait souffert.

Une dame, nommée Cadigan, qui était à la tête d'une province nommée Corocanica, voyant cet homme admis dans la société des Juifs et des Sarrasins et protégé par eux, pensait que la majesté divine était cachée en lui. Or, comme elle était veuve, elle le prit (445) pour mari-; ce fut ainsi que Mahomet obtint la principauté de toute cette province. Par ses prestiges, il enchanta non seulement cette femme, mais encore les Juifs et les Sarrasins, au point qu'il avouait publiquement être le Messie promis dans la loi. Dans la suite, Mahomet eut de fréquentes attaques d'épilepsie. Cadigan, qui s'en aperçut, s'attristait fort d'avoir épousé un homme très impur et épileptique. Pour calmer sa femme, Mahomet la flattait en lui disant : « Je contemple l’archange Gabriel qui s'entretient fréquemment avec moi, et comme je ne puis supporter la splendeur de son visage, je tombe en défaillance et en convulsions. » Sa femme et les autres crurent qu'il en était ainsi. Cependant on lit autre part que celui qui instruisit Mahomet fut un moine, nommé Sergius, qui ayant été chassé de son monastère pour avoir embrassé l’erreur de Nestorius, vint en Arabie et s'attacha à Mahomet, bien qu'on lise ailleurs que c'était un archidiacre demeurant dans les environs d'Antioche et dit-on, de la secte des Jacobites, qui recommandent la circoncision, et qui assurent que le Christ n'était pas un Dieu, mais seulement un homme juste et saint, conçu du Saint-Esprit et né d'une vierge : toutes choses que les Sarrasins croient et affirment. Ce Sergius donc enseigna, dit-on, à Mahomet bien des choses du nouveau et de l’ancien Testament. Eu effet Mahomet, orphelin de père et de mère, passa les années de son enfance sous la tutelle de son oncle, et fut attaché longtemps, ainsi que toute sa nation, au culte des idoles des Arabes, comme il l’assure dans soit Alchoran quand il prétend que Dieu lui dit : « Tu as été (446) orphelin et je t'ai pris sous ma protection. Tu es resté longtemps dans l’erreur de l’idolâtrie et je t'en ai retiré; tu étais pauvre et je t'ai enrichi. » Toute la nation arabe, ainsi que Mahomet, adorait Vénus comme déesse, et c'est l’origine du grand respect des sarrasins pour le vendredi, comme les juifs gardent le samedi et les chrétiens le dimanche. Mahomet, devenu maître des richesses de Cadigan, arriva à ce comble d'audace qu'il songea à usurper pour lui le royaume des Arabes; mais comme il prévoyait ne pouvoir réussir par la violence et que surtout il était méprisé par ceux de sa tribu qui avaient joui d'un plus grand crédit. que lui, il voulut se faire passer pour prophète, afin d'attirer au moins par une sainteté simulée ceux qu'il ne pouvait subjuguer par la force. Il suivait les conseils de ce Sergius qui était fort prudent : car il le faisait rester caché, lui demandait tout pour le reporter au peuple, et lui donnait le nom de l’archange Gabriel. Ce fut ainsi que Mahomet,se faisant passer pour prophète, obtint d'être le chef de tout cette nation : et tous crurent en lui, soit de bon gré, soit par crainte du glaive. Ce dernier récit est plus exact que celui où il est question de la colombe, et c'est celui auquel il faut tenir.

Or, comme ce Sergius était moine, il voulut quel les Sarrasins se servissent de l’habit monacal, savoir de la coule sans le capuce, et qu'à l’exemple des moines, ils fissent grand nombre de génuflexions, à des heures réglées, comme aussi des prières. Et parce que les Juifs priaient tournés vers l’occident et les chrétiens vers l’orient, il voulut que les siens priassent (447) tournés vers le midi, pratique encore en usagé chez les Sarrasins. Mahomet promulgua grand nombre de lois que lui enseigna Sergius, qui les avait trouvées dans la loi de Moïse. Ainsi les Sarrasins se lavent souvent, mais principalement quand ils doivent prier; ils se nettoient les parties secrètes, les mains, les bras, la figure, la bouche et tous les membres du corps, afin de pouvoir prier avec plus de pureté. En priant, ils confessent un seul Dieu, qui n'a ni égal ni semblable, et ils reconnaissent que Mahomet est son prophète. Dans l’année, ils jeûnent nu mois entier : et quand ils jeûnent, ils mangent seulement pendant la nuit, mais jamais le jour : en sorte que, depuis l’instant du jour qu'ils peuvent distinguer le noir du blanc jusqu'au coucher du soleil, personne n'oserait manger ni boire ou se salir en ayant accointance avec sa femme. Après le coucher du soleil jusqu'au crépuscule du jour suivant, toujours il leur est permis de manger, de boire et d'avoir commerce avec leurs femmes : cependant les infirmes n'y sont pas tenus, une fois chaque année, ils sont obligés de venir visiter la maison de Dieu qui est à la Mecque, et de l’y adorer, d'en faire le tour avec des vêtements qui ne sont point cousus, et de jeter entre leurs jambes des pierres pour lapider le diable.  Cette maison construite, disent-ils, par Adam, servit de lieu de prière à Abraham et à Ismaël ; ensuite elle a été donnée à Mahomet et à tous ses sectaires. Ils peuvent manger toute sorte de chair, à l’exception du porc, du sang et des animaux qui n'ont pas été tués de main d'homme. Il leur est permis d'avoir quatre femmes légitimes à la fois, et de (448) répudier chacune d'elles jusqu'à trois fois, puis de la reprendre, de manière cependant à ne pas dépasser quatre fois. Ils peuvent avoir autant de femmes achetées ou captives qu'ils veulent, et il leur est permis de les vendre à volonté, à moins qu'elles ne soient devenues enceintes de leurs oeuvres. Il leur est aussi accordé de prendre des épouses de leur famille, afin que leur race s'augmente, et qu'ils resserrent, entre eux, le lien de l’amitié. Quand ils réclament une propriété, il suffit que le demandeur prouve par témoins et que l’accusé affirme son innocence par serment. Celui qui est surpris en adultère est lapidé avec sa complice; celui qui a forniqué avec une autre est condamné à recevoir quatre-vingts coups de bâton. Cependant Mahomet prétendit que le Seigneur lui avait permis, par l’entremise de l’ange Gabriel, d'approcher des femmes des autres, afin d'engendrer des hommes de vertu et des prophètes. Or, un sien serviteur avait une belle femme à laquelle il avait interdit de parler à son maître, et un jour qu'il la trouva causant avec lui, il la répudia à l’instant. Mahomet la prit et la mit au nombre de ses autres femmes : mais dans la crainte d'exciter les murmures du peuple, il fabriqua une charte qu'il dit lui avoir été apportée du ciel, par laquelle il était déclaré que quand quelqu'un répudierait une femme, celle-ci serait l’épouse de celui qui l’aurait recueillie : observance qui est encore aujourd'hui une loi chez les Sarrasins. Le voleur surpris une première et une seconde fois est frappé, de coups; la troisième fois, il a la main coupée, et la quatrième, on lui enlève le pied. Il leur est commandé de ne jamais boire de vin.

 

449

 

Dieu a promis, assurent-ils, à ceux qui observent ces pratiques et les autres commandements, le paradis, c'est-à-dire, un jardin de délices arrosé par des eaux courantes, où ils auront des sièges éternels, sans être exposés ni au chaud, ni au froid, où ils seront nourris de toutes sortes de mets; tout ce qu'ils demanderont, ils le trouveront à l’instant devant eux : ils seront revêtus d'habits de soie de toute couleur, ils seront unis à des vierges admirables de beauté, et ils nageront dans toutes les délices. Des anges se promèneront connue les échansons, avec des vases d'or et d'argent; dans les vases d'or ils porteront du lait et dans les vases d'argent, du vin en disant : « Mangez et buvez en liesse. » Mahomet avance que, dans le paradis, il y a trois fleuves; l’un de lait, l’autre de miel, et le troisième d'un vin exquis aromatisé, qu'on y verra des anges de toute beauté et d'une telle taille que d'un oeil d'un ange à l’autre, il y a l’espace d'une journée de marche. Mais, disent-ils, à ceux qui ne croient pas à Dieu et à Mahomet, est réservé un enfer où il y aura des peines sans terme. Quels que soient les péchés qu'un homme ait commis, si, au jour de sa mort, il a cru à Dieu et à Mahomet, par l’intercession de Mahomet, au jour du jugement, ils prétendent qu'il sera sauvé. Les Sarrasins qui sont ensevelis dans les ténèbres affirment que ce faux prophète a possédé l’esprit de prophétie par excellence, et ils proclament qu'il a eu des anges pour le favoriser et le garder. lis ajoutent que, avant de créer le ciel et la terre, Dieu avait en sa présence le nom de Mahomet, et que si Mahomet n'eût pas dû venir au monde, il n'y aurait eu ni (450) ciel, ni terre, ni paradis. Ils ont l’audace de dire que la lune vint le trouver, qu'il la reçut dans son sein et qu'il la coupa en deux et en réunit ensuite les parties. Ils prétendent encore qu'on lui servit du poison dans de la chair d'agneau ; mais l’agneau parla et lui dit : « Prends garde, ne mange pas, car il y a du poison en moi. » Et pourtant, plusieurs années après, il mourut empoisonné. Mais revenons à l’histoire des Lombards. Quoique ceux-ci eussent reçu la foi en J.-C., cependant ils étaient un grand sujet d'embarras pour l’empire romain. Après la mort du prince Pépin, maire du palais du roi des Francs, Charles, surnommé Martel, son fils, lui succéda. Après avoir gagné beaucoup de victoires, il laissa deux princes de la cour, Charles et Pépin. Mais Charles renonça aux pompes du siècle pour se faire moine, au mont Cassin, et Pépin gouverna le royaume avec éclat. Or, comme Childéric était inutile et lâche, Pépin consulta le pape Zacharie pour savoir si celui-là devait être roi qui se contentait seulement d'en avoir le nom. Le pape lui répondit que l’on devait appeler roi celui qui gouvernait bien l’état. Les Francs, excités par cette réponse, renfermèrent Childéric dans un monastère, et créèrent roi Pépin, vers l’an du Seigneur 760. Alors le roi Astolphe, roi des Lombards, avait dépouillé l’Église romaine de ses possessions et de son domaine; le pape Etienne, qui avait succédé à Zacharie, alla donc réclamer le secours de Pépin, roi de France, contre les Lombards.

Pépin, après avoir rassemblé une nombreuse armée; vint en Italie, et assiégea le roi Astolphe. Il en reçut quarante otages, en garantie de ce qu'il rendrait à (451) l’église romaine toutes tes terres qu'il lui avait enlevées et de ce qu'il ne l’inquiéterait, plus dans la suite. Toutefois, quand Pépin se fut retiré, Astolphe ne tint aucun compte de tout ce qu'il avait promis: mais pets après, comme il allait à la chasse, il mourut subitement et Didier lui succéda. Dans le même temps, Théodoric, roi des Goths, gouvernait l’Italie avec l’autorisation. de l’empereur. Il était infecté de l’hérésie arienne ; le philosophe Boëce, personnage consulaire, et Patrice avec Symmaque pour collègue, dont il était le gendre, illustrait l’état et défendait l’autorité du sénat romain contre Théodoric ; mais ce prince envoya Boëce en exil à Pavie (ce fut là que ce philosophe composa son livre de la Consolation) et ensuite il le fit périr. Sa femme, nommée Elpis, passe pour avoir composé, en l’honneur des saints apôtres Pierre et Paul, l’hymne qui commence par ces mots : Felix per omnes festum mundi cardines. Ce fut elle aussi qui se fit cette épitaphe :

 

Elpes dicta fui, Sicilix regionis alumna,

Quai procul à patria conjugis egit amor;

Porticibus sacris jàm nunc peregrina quiesco,

Judicis aeterni testificata thronum *.

 

Théodoric, qui mourut subitement, fut vu par un saint ermite, par le pape Jean et par

Symmaque, qu'il avait tués, nu et déchaussé, plongé dans le cratère

 

* J'ai eu nom Elpis, j'ai été élevée en Sicile ; l’amour de mon époux  m’a jetée loin de ma patrie. Je repose maintenant en paix, sous ces portiques sacrés, après  m’être justifiée devant le trône du souverain Juge.

 

d'un volcan, ainsi que le rapporte saint Grégoire en son Dialogue. Vers l’an du Seigneur 677, d'après une chronique, Dagobert, roi des Francs qui avait régné longtemps- avant Pépin, avait une grande vénération pour saint Denys ; car quand il avait à redouter la colère de Lothaire, son père, il venait se réfugier à l’église de ce saint. Après avoir été roi, il vint à mourir et un saint personnage vit son âme traînée au jugement où, beaucoup de saints l’accusaient d'avoir dépouillé leurs églises. Déjà les mauvais anges voulaient la mener aux enfers, quand se présenta saint Denys qui le délivra en intervenant pour elle et là fit échapper au châtiment. Peut-être son âme revint-elle animer son corps et fit-il pénitence. Le roi Clovis découvrit religieusement le corps de saint Denys et rompit un de ses os qu'il enleva par cupidité; mais bientôt après il tomba en démence. — Vers l’an du Seigneur 787, Bède le Vénérable, prêtre et moine; illustrait l’Angleterre. Bien qu'il soit compté parmi les saints, cependant il n'est pas appelé dans l’Eglise, saint, mais vénérable, et cela pour deux motifs. Le premier, c'est que dans sa vieillesse ses yeux s'étaient éteints, et il avait, dit-on, un. conducteur, par lequel il se faisait mener dans les villes et dans les châteaux où partout il prêchait la parole du Seigneur. Une fois qu'ils passaient dans une vallée couverte de grosses pierres, son disciple lui dit, par dérision, qu'il y avait là beaucoup de monde rassemblé, attendant en silence et avec avidité sa prédication. Alors Bède prêcha avec ardeur, et ayant fini son sermon par ces paroles

« Per omnia saecula saeculorum, dans tous les siècles (453) des siècles », aussitôt les pierres, dit-on, répondirent en criant : « Amen  venerabilis Pater, ainsi sort-il, vénérable Père. » Or, parce que les pierres l’avaient, par miracle, appelé vénérable, c'est pour cela qu'on l’appelle Père vénérable. Il y en a d'autres qui assurent que les anges lui répondirent: « Vous avez bien parlé, Père vénérable. » Le second motif est, qu'après sa mort, un clerc, qui lui était dévoué, voulait composer un vers pour le faire graver sur son tombeau ; or, ce vers commençait ainsi

 

Hac sunt in fossa

 

et le clerc voulait le terminer par ces mots :

 

Bedae sancti ossa.

 

Mais comme ces mots ne pouvaient pas terminer le. vers avec la quantité, il s'étudia à chercher, mais sans la trouver, une fin convenable. Après y avoir pensé longtemps pendant une nuit, il se leva le matin pour aller au tombeau et il y trouva gravé, par les mains des anges, le vers ainsi terminé

 

Hac sunt in fossâ Bedae venerabilis ossa*.

 

Le jour de l’Ascension, sur le point de mourir, il se fit porter à l’autel, et là il récita jusqu'à la fin l’antienne O Rex gloriae, Domine virtutum ** . Quand il l’eut achevée, il s'endormit en paix. Une odeur si grande

 

* Dans cette fosse, sont les os du vénérable Bède.

** C'est l’antienne de Magnificat des IIes vêpres de cette fête, dans le Bréviaire romain.

 

embauma tous ceux qui se trouvaient dans l’église, qu'ils se croyaient en paradis. Son corps est honoré à Gênes avec une dévotion singulière. Dans le même temps, c'est-à-dire vers l’an du Seigneur 700, Rachord, roi des Frisons, allait recevoir le baptême, et déjà il avait- mis un pied dans les fonts quand, eu retenant l’autre pied, il demanda où étaient la plus grande, partie de ses ancêtres, si c'était en enfer ou en paradis. Et quand il apprit que la plupart étaient en enfer, il retira le pied qui était mouillé : « C'est chose plus sainte, dit-il, de suivre le plus grand nombre que le plus petit. » C'était le démon qui l’avait joué en promettant de lui donner, trois jours après, des biens incomparables. Or, il périt subitement et mourut de la mort éternelle le quatrième jour. On rapporte qu'en Italie, dans la Campanie, il y eut des pluies de froment, d'orge et de légumes. Dans le même temps, c'est-à-dire vers l’an du Seigneur 710, comme on avait transporté, du Mont-Cassin au monastère de Fleury *, le corps de saint Benoît et au Mans celui de sa sueur sainte Scholastique, Charles, moine du Mont-Cassin, voulant transporter le corps de saint Benoît au château de Cassin, en fut empêché par les miracles que Dieu opéra et par les Fraucs qui s'y opposèrent.

En ce même temps; vers l’an du Seigneur 740, il y eut un grand tremblement de terre, qui renversa des villes ; d'autres, dit-on, furent transportées des montagnes dans les plaines voisines, avec leurs murailles et leurs habitants, à une distance de six milles, sans

 

* Saint-Benoît-sur-Loire.

 

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qu'il en résultat aucun accident. On fit la translation du corps de sainte Pétronille, fille de l’apôtre saint Pierre, qui avait écrit lui-même sur son tombeau en marbre cette inscription: Aureae Petronellae dilectissimae filiae. « Aure Petronelle, ma fille bien aimée. » C'est le récit de Sigebert (an 758). En ce même temps, les Tyriens infestèrent l’Arménie. Autrefois, il y eut une peste dans leur pays, et les chrétiens leur persuadèrent de se couper les cheveux en forme de croix, et comme la salubrité leur fut rendue par. ce moyen, ils ont conservé l’usage de se raser ainsi. — Pépin étant mort après de nombreuses batailles gagnées, Charlemagne, son fils, lui succéda au trône ; c'était alors Adrien qui était Souverain Pontife à Rome : Il envoya des légats à Charlemagne lui demander du secours contre Didier, roi des Lombards, qui, comme l’avait fait Astolphe, son père, vexait beaucoup l’Eglise. Charles lui obéit, rassembla une grande armée, entra en Italie par le mont Cenis, et assiégea vigoureusement Pavie, capitale du royaume. Il prit Didier, sa femme, ses enfants et les princes, qu'il relégua en exil dans les Gaules, et restitua à Adrien tous les droits de l’Eglise que les Lombards avaient usurpés. Il y avait pour lors, dans l’armée de Charles, deux soldats intrépides de J.-C., Amicus et Amélius, dont les Actes rapportent des faits merveilleux. Ils périrent à Mortaria, où Charles défit les Lombards. Là finit le royaume de ces derniers, car ils n'eurent plus d'autre roi désormais que celui que leur donnaient les empereurs. Charles étant parti pour Rome, le pape y rassembla un. concile de cent cinquante-quatre évêques. Dans ce concile, le pape donna à Charles le droit d'élire le Souverain Pontife et de conférer le siège apostolique ; il définit encore que les archevêques et les évêques de chaque province, avant leur consécration, recevraient de Charles l’investiture. — Ses fils aussi furent sacrés rois à Rome, savoir Pépin, de l’Italie, Louis, de l’Aquitaine. C'était alors que florissait Alcuin, maître de Charles. Pépin, fils de Charles, convaincu d'avoir conspiré contre son père, fut tonsuré dans un monastère. Vers l’an du Seigneur 780, c'est-à-dire du temps de l’impératrice Irène et de son fils Constantin, un homme, en fouillant le long des murs de Thrace, trouva, au récit d'une chronique, un coffre en pierre; l’ayant débarrassé et nettoyé, il trouva un homme dessus et cette inscription : Christus nascetur ex Maria Virgine, et credo in eum. Sub Constantino et Irene temporibus, o sol, iterum me videbis *. « Le Christ naîtra de la vierge Marie, et je crois en lui, Sous l’empire de Constantin et d'Irène, soleil, tu me verras une fois encore. » Quand Adrien mourut, Léon fut élevé sur le siège de Rome. C'était un homme respectable à lotis égards, dont les proches d'Adrien virent avec peine l’exaltation, et comme il célébrait les Litanies majeures **; ils soulevèrent le peuple contré lui, lui arrachèrent les yeux et lui coupèrent la langue. Mais Dieu lui rendit miraculeusement la parole et la vue. Alors,

 

* Ordéric Vital, l. I, c. XXIV. — Sigebert, Chronique, an 780. Ces deux auteurs disent que cette inscription fut trouvée à Constantinople.

** La procession de saint Marc.

 

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Léon se réfugia auprès de Charles, qui le rétablit sur son siège et punit les coupables. L'an du Seigneur.781, d'après les conseils du pape, les Romains se séparèrent de l’empire de Constantinople, acclamèrent, d'un concert unanime, Charles empereur, et, par la main de Léon, ils le couronnèrent et l’appelèrent César et Auguste. Après le grand Constantin, le siège de l’empire avait été transféré à Constantinople, parce que ce même Constantin avait laissé le siège de Rome aux vicaires de saint Pierre, en choisissant Constantinople pour sa capitale. Cependant les empereurs furent toujours appelés empereurs romains, à cause de la dignité, jusqu'au moment où l’empire romain passa aux rois des Francs. Dans la suite, ceux-là furent appelés empereurs des Grecs ou de Constantinople; et ceux-ci empereurs romains. Il y a une chose surprenante concernant cet empereur, c'est que, tant qu'il vécut, il ne voulut marier aucune de ses filles ; car il disait ne pouvoir se passer de leur compagnie, et selon ce qu'écrit Alcuin *, son maître, à son sujet, bien qu'il eût été heureux d'autre part, cependant, eu ce point, il subit la malignité de la mauvaise fortune ; il déclarait par là assez clairement ce qu'il voulait dire. Cependant, il ne cessa d'agir comme s'il ne savait rien des soupçons qu'on formait contre. lui, quoiqu'on en parlât beaucoup. De là vient que partout où il allait, il menait toujours ses filles avec lui.

Ce lut du temps de Charlemagne que l’on abandonna

 

* C'est Eginhard qui parle ainsi dans sa Vie de Charlemagne, n° 19.

 

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donna l’office ambrosien, pour adopter solennellement l’office grégorien, grâce à l’autorité impériale qui favorisa beaucoup cette mesure. D'après le témoignage de saint Augustin dans son livre des Confessions, saint Ambroise, sous le coup de la persécution de l’impératrice Justine, arienne déclarée, fut obligé, avec tout le peuple, de rester enfermé dans son église; ce fut alors qu'il institua de faire chanter des hymnes et des psaumes, comme les Orientaux, afin que le peuple ne desséchât pas d'ennui, ce qui passa dans la suite en usage dans toutes les églises. Mais saint Grégoire, venant après; fit certains changements ; il ajouta et il retrancha, car les saints pères ne purent pas tout d'un coup régler tout ce qui pouvait contribuer à lai splendeur de l’office divin; chacun d'eux régla des choses différentes dans son église. En effet, on voit que l’on commença la messe de trois manières différentes d'abord, on chantait des leçons, comme cela a encore lieu au samedi saint; plus tard, le pape Célestin institua qu'on chanterait des psaumes à l’Introït de la messe, et saint Grégoire conserva un verset du psaume qui se chantait tout entier. Autrefois, les psaumes se chantaient en chœur par les assistants, qui se plaçaient en forme de couronne autour de l’autel, et ,c'est pour cela qu'on dit le choeur. Mais Flavien et Théodore réglèrent qu'on chanterait alternativement, et ils tenaient cet usage de saint Ignace, auquel Dieu avait appris de le faire ainsi. Saint Jérôme disposa des psaumes, des épîtres, des évangiles qui devaient être lus en dehors des pièces chantées, dans l’office du jour et de la nuit. Saint Ambroise, Gélase et saint (459) Grégoire ajoutèrent des oraisons et des morceaux. de chant, qu'ils disposèrent avec les leçons et les évangiles. C'est encore eux qui firent chanter à la messe le Graduel, le Trait et l’Alleluia. Saint Hilaire, ou le pape Symmaque, ou bien encore le pape saint Thélesphore, d'après différents écrivains, ajoutèrent le Gloria in excelsis Deo, Laudamus te, etc. Notker, abbé de Saint-Gal, est le premier qui ait composé des séquences qu'on devait chanter à la place du neume de l’Allebda, et, le pape Nicolas permit de les chanter à la messe. Hermann. Contractus le Teutonique composa : Rex omnipotens; Sancti spiritus adsit nobis gratia ; Ave Maria, et l’antienne Alma redemploris mater, la prose, Simon Barjona. Ce fut Pierre, évêque de Compostelle, qui fit le Salve Regina. Cependant, Sigebert dit que ce fut Robert, roi des Francs, qui composa la séquence Sancti spiritus adsit nobis gratia, etc. Charlemagne, d'après ce qu'en rapporte l’archevêque Turpin, était beau de corps, mais d'un aspect farouche. Sa taille était de huit pieds, sa figure avait une palme et demie de long, sa barbe une palme, et son front un pied. D'un seul coup de son épée, il coupait, du haut en bas, un cavalier armé et à cheval, et le cheval en plus ; il redressait facilement avec les mains quatre fers de cheval à la fois. D'une seule main, il prenait à terre un soldat debout tout armé, et le levait, sur cette main, jusqu'à la hauteur de sa tète; il mangeait lin lièvre tout entier, ou deux poules ou bien une oie; il buvait peu de vin, et le tempérait avec de l’eau. Il était tellement sobre pour sa boisson, qu'il ne lui arrivait que rarement de boire (460) plus de trois fois par repas. Il fit bâtir beaucoup de monastères, et finit saintement sa vie ; à la fin de ses jours, il institua J.-C. son héritier. Louis, son fils, personnage d'une grande clémence, lui succéda à l’empire, vers l’an du Seigneur 815. De son temps, les évêques et les clercs cessèrent de porter des ceintures tissues d'or, leurs habits somptueux et d'autres ornements mondains. Théodulphe, évêque d'Orléans, faussement accusé auprès de l’empereur, fut renfermé par celui-ci dans la prison d'Angers. Un jour des Rameaux, dit une chronique, que la procession passait vis-à-vis la maison où il était détenu, il ouvrit. sa fenêtre et, l’empereur étant là, il chanta, au milieu d'un grand silence, ces beaux vers qu'il avait composés : Gloria, laus et honor tibi sit, rex Christe redemplor, etc *. L'empereur en fut tellement satisfait qu'il le délivra de ses fers, et le rétablit sur son siège.

Les légats de Michel, empereur de Constantinople,  apportèrent, entre autres présents, à Louis, fils de Charlemagne, les livres de saint Denys sur la Hiérarchie, traduits du grec en latin. Il les reçut avec joie, et dix-neuf infirmes furent guéris, cette nuit-là même, dans L'église du saint. Louis étant mort, Lothaire eut l’empire. Ses frères, Charles et Louis, lui déclarèrent la guerre, et il y eut un tel carnage de part et d'autre qu'on n'a pas souvenance qu'il y en eût eu un si grand dans le royaume des Francs. Enfin on fit un traité par lequel Charles régna en France, Louis en Allemagne, Lothaire en Italie et sur cette partie de la France qui reçut de

 

* C'est l’hymne de la procession du dimanche des Rameaux.

 

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lui le nom de Lorraine. Dans la suite, il céda l’empire à Louis, son fils, pour prendre l’habit monastique. De son temps, rapporte une autre chronique, était pape Sergius, Romain de nation, qui s'appelait d'abord Bouche-de-porc, mais qui changea de nom pour s'appeler Serarius : et c'est depuis cette époque qu'il fut établi que torrs les papes changeraient de nom, tant parce que Notre-Seigneur changea le nom de ceux qu'il élit à l’apostolat, que pour marquer qu'en changeant de nom, ils doivent être tout autres par la perfection de leurs moeurs,  et enfin pour que celui qui est élu à un emploi si éclatant ne soit pas déshonoré par un nom messéant. Du temps de ce Louis, savoir, l’an du Seigneur 856, lit-on dans une chronique, dans une paroisse de Mayence, le malin esprit tourmentait les habitants, en frappant sur les murs des maisons à coups de marteau, en parlant tout haut, en jetant le trouble, à tel point que partout où il était entré, aussitôt cette maison brûlait. Les prêtres firent des processions avec les Litanies, en jetant de l’eau bénite; mais l’ennemi leur jetait des pierres et en blessait un grand nombre. Enfin il cessa, et fit l’aveu que quand on jeta de l’eau bénite, il alla se cacher sous la chape d'un prêtre, son ami, en l’accusant d'être tombé dans le péché avec la fille du procureur. Dans le même temps, le roi des Bulgares se convertit à la foi et parvint à un tel degré de perfection. que, cédant le trône à son fils aîné, il revêtit l’habit monastique, mais son fils, se comportant en jeune homme et voulant revenir au culte païen, il reprit les rênes du gouvernement, poursuivit son fils, le prit, et après lui avoir crevé les yeux, il le jeta (462) en prison ; puis il mit à la tète du royaume son plus ,jeune fils, et reprit le saint habit. A Brescia en Italie, on raconte qu'il plut du sang venant du ciel, l’espace de trois jours et de trois nuits. Dans le même temps, apparurent dans les Gaules une quantité énorme de sauterelles qui avaient six ailes, six pattes, et deux dents plus dures que la pierre, elles volaient en troupe comme une armée dans un camp et s'étendaient, dans le courant d'un jour, sur un rayon de cinq à six milles, ravageant tout ce qu'il y avait de vert aux herbes et aux plantes. Parvenues jusqu'à la mer britannique, le vent les engloutit dans la mer; mais le reflux de l’Océan les rejeta sur le rivage et leurs membres en putréfaction corrompirent l’air : il en résulta une mortalité immense et une famine extrême, en sorte qu'il périt un tiers de la population. — Enfin Othon Ier fut empereur, l’an du Seigneur 938. A une fête de Pâques, cet Othon avait commandé un repas pour les princes ; et avant de s'asseoir le fils d'un prince prit, comme un  enfant, un plat sur la table ; alors l’officier qui portait les plats le renversa d'un coup de bâton. A cette vue, Je précepteur de l’enfant poignarda aussitôt cet officier. Et comme l’empereur voulait le condamner sans l’entendre, ce précepteur jeta l’empereur par terre et voulut l’étrangler. Othon, arraché avec peine des mains de cet homme, le fit ménager, en disant tout haut qu'il était lui-même coupable de n'avoir pas respecté le jour de cette fête ; et il le laissa aller libre.

A Othon le, succéda Othon II. Comme les Italiens violaient fréquemment la paix, il vint à Rome et offrit un grand repas à tous les princes, aux grands et aux (463) prélats, sur les degrés de l’église. Pendant qu'ils étaient à table, sans qu'on s'y attendit, il les fit entourer tous de gens armés ; ensuite il amena la convocation sur la paix qui avait été violée ; ce dont il se plaignit. Il ordonna alors de lire la liste des coupables, qu'il fait décapiter à l’instant, sur le lieu même, et il continue le repas avec les  autres. Il eut pour successeur, l’an de N.-S. 984, Othon III, surnommé Merveilles du monde. On dit dans une chronique que sa femme voulut se prostituer à un comte, qui, ne voulant pas commettre ce crime énorme, fut diffamé auprès de l'empereur par l’impératrice furieuse. Il fit décapiter le comte sales l’entendre. Avant d'être exécuté, il pria sa femme de soutenir son innocence après sa mort par l’épreuve du fer brillant. Arrive le jour où le césar a promis à la veuve et aux pupilles de leur rendre justice ; la veuve du comte s'y rend en portant la tête de son mari dans les bras. Elle demande alors à l’empereur quelle mort méritait celui qui avait tué quelqu'un injustement. Comme l’empereur lui répondait qu'il méritait de perdre la tête, elle reprit : « C'est toi qui es cet homme; tu as lait tuer innocemment néon mari, à la suggestion de ton épouse, et pour que lit aies la preuve que je dis la vérité, je te la donnerai par le jugement du fer rouge. » L'empereur,voyant cela, fut stupéfait, et il se remit au pouvoir de cette femme pour être puni. Cependant, d'après l’intervention des pontifes et des seigneurs, il obtint de la veuve un délai de dix, puis de huit, puis de sept et enfin de six jours. Alors l’empereur, après avoir examiné l’affaire, découvrit la vérité et fit brûler vive son épouse, (464) et, pour se racheter, il donna quatre châteaux à la veuve. Ces, châteaux, situés dans le diocèse de Luna, sont appelés, en raison des délais différents, X, VIII, VII et VI. Après Othon III, le bienheureux Henri, qui fut duc de Bavière, parvint à l’empire, l’an du Seigneur 1002. Il donna en mariage sa sueur, nommée Galla, à Étienne, roi de Hongrie, encore païen, et il convertit à la foi chrétienne le roi lui-même et toute sa nation. Cet Étienne eut tant de piété que Dieu le rendit illustre par une infinité de miracles éclatants. Cet Henri et Cunégonde, sa femme, restèrent vierges, et après avoir vécu dans le célibat, ils moururent en paix. Il eut pour successeur Conrad, duc des Francs, qui épousa la nièce de saint Henri. De son temps, on vit, dans le ciel, une, poutre de feu d'une merveilleuse grandeur, se diriger vers le soleil sur son déclin, puis tomber à terre. — Conrad fit jeter dans les fers quelques évêques d'Italie, et parce que l’archevêque de Milan s'était évadé, il fit incendier les faubourgs de cette ville. Or, le jour de la Pentecôte, pendant qu'on couronnait l’empereur, dans une petite église, en deçà de la ville, il se fit, durant la messe, des éclairs et de si forts coups de tonnerre que quelques personnes furent frappées d'aliénation, tandis que d'autres rendaient l’âme. L'évêque Bruno,qui chantait la messe,et le secrétaire de l’empereur dirent avec les autres que, pendant la célébration du sacrifice,ils avaient vu saint Ambroise adressant des menaces à l’empereur. — Du temps de, ce Conrad, c'est-à-dire, l’an, du Seigneur 1025, le comte Lupold, lit-on dans une chronique *,craignant la

 

* Le Panthéon, de Godefroi de Viterbe, part. XVII.

 

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colère du roi, s'enfuit avec sa femme dans une forêt où tous deux se cachèrent dans une chaumière. L'empereur étant à la chasse dans cette forêt, fut surpris par la nuit, et forcé de loger dans cette chaumière. L'hôtesse, qui était grosse et près d'accoucher, disposa décemment et fournit, comme elle put, les choses nécessaires. Cette nuit-là même, cette femme mit au monde un fils, et Conrad entendit par trois fois une voix qui s'adressait à lui en disant : « Conrad, ce nouveau-né sera ton gendre. » En se levant le matin, il manda auprès de lui deux écuyers qui étaient ses confidents et leur dit : « Allez prendre ce petit enfant, arrachez-le des mains de sa mère, coupez-le en deux et  m’apportez son coeur. » Ils s'empressèrent d'aller prendre l’enfant dans le giron de sa mère; mais le voyant fort joli, ils furent touchés de compassion et le déposèrent sur un arbre, pour qu'il ne fût point dévoré par les bêtes; huis coupant un lièvre en deux, ils en apportèrent le cour à l’empereur. Ce même jour, un duc passait par là et entendant un enfant qui poussait des vagissements, il se le fit apporter. Or, comme il n'avait point de fils, il le porta à sa femme et le fit nourrir ; puis il répandit le bruit qu'il l’avait eu de sa femme et le nomma Henri. Devenu grand, il était très beau de corps, très éloquent et gracieux en tout point. L'empereur, le voyant. si beau et si prudent, le demanda à son père et le fit rester à sa cour. Mais en le voyant si bien venu et si recommandé de tous, il se prit à douter qu'il ne régnât après lui et que ce ne fût celui qu'il avait commandé de tuer. Voulant donc se tranquilliser, il l’envoya porter à sa femme une lettre (466) écrite de sa propre main et ainsi conçue : « Si ta vie t'est chère, aussitôt après avoir reçu cette lettre, tue cet enfant. » En chemin, il entra dans une église, oit il, s'endormit de fatigue sur un banc, et la bourse où se trouvait la lettre était pendante; un prêtre, poussé par la curiosité, délia cette bourse, et voyant une lettre scellée du sceau royal, il l’ouvrit, sans briser le sceau, et la lut: il fut saisi d'horreur pour un pareil crime ; alors grattant avec adresse ces mots : « tue-le » il écrivit à leur place : « tu donneras à ce jeune homme notre fille en mariage. » Quand l’impératrice eut vu la lettre scellée du sceau de l’empereur, et écrite de sa main, elle convoqua les princes, célébra les noces et donna sa fille en mariage à Henri. Ces noces furent célébrées à Aix-la-Chapelle. L'empereur, entendant dire que sa fille avait été mariée avec pompe, fut stupéfait ; et après s'être enquis de la vérité auprès des deux écuyers, du duc et dit prêtre, il vit qu'il n'avait plus lieu de résister à la volonté de Dieu ; alors il fit venir Henri et le reconnaissant comme son gendre, il le désigna pour régner après lui. Or, au lieu où naquit Henri, fut élevé un magnifique monastère qui porte encore aujourd'hui le nom d'Ursanie (Hirsauge).

Cet Henri éloigna de sa cour tous les bouffons et donnait aux pauvres ce qu'on avait l’habitude de distribuer à ces gens-là. De son temps, il y eut un si grand schisme en l’Eglise que trois papes furent élus à la fois; mais un prêtre, nommé Gratien, leur ayant donné une grande somme d'argent, ils lui cédèrent la papauté qu'il obtint ainsi. Or, comme Henri venait à Rome pour éteindre le schisme, Gratien vint à sa (467) rencontre et lui offrit une couronne d'or, pour le mettre dans ses intérêts : mais l’empereur ne parla de rien, convoqua un concile où Gratien fut convaincu de simonie et un autre lui fut substitué. Cependant dans le livre que Bonizi envoya à la comtesse Mathilde, il est dit que ce Gratien avait agi en toute simplicité, quand il acheta le Pontificat à prix d'argent, et que c'était pour obvier au schisme; mais reconnaissant ensuite son erreur, il se déposa lui-même de l’avis de l’empereur. Après cet Henri, ce fut Henri III qui eut l’empire. De son temps, Bruno fut élu pape et prit le nom de Léon. Comme il allait prendre possession à Rome du siège apostolique, il entendit la voix des anges qui chantaient : Dicit Dominus : Ego cogito cogitationes pacis, etc. Ce pape composa beaucoup de pièces de chant en l’honneur d'une foule de saints. — Dans ce temps, Bérenger jeta le trouble dans l’Eglise. Il prétendait que le corps et le sang de J.-C. ne sont pas véritablement sur l’autel, mais que ce n'en est que la figure. Contre lui écrivit Lanfranc, prieur du Bec, originaire de Pavie, qui fut le maître de saint Anselme de Cantorbéry. Ensuite régna Henri IV, l’an du Seigneur 1037. De son temps principalement, brillait Lanfranc. L'excellence de sa doctrine fit voler de la Bourgogne auprès de lui Anselme, personnage qui dans la suite, fut orné de vertus et de sagesse ; il fut le successeur de Lanfranc dans le prieuré du monastère du Bec. Vers ce temps-là, Jérusalem, qui avait

 

* Hélinand, an 1048. C'est l’introït de la messe du dernier dimanche après la Pentecôte.

 

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été prise par les Sarrasins, fut recouvrée par les fidèles. Les os de saint Nicolas furent apportés à la ville de Bari. A ce sujet on lit, entre autres choses, que dans une église, qu'on appelle Sainte-Croix, dépendante de Sainte-Marie de la Charité, on ne chantait pas encore la nouvelle légende de saint Nicolas, et les fières sollicitaient instamment le prieur de leur en donner la permission. Celui-ci s'y refusa obstinément, sous prétexte qu'il était inconvenant de chanter une coutume ancienne pour la remplacer par des nouveautés. Comme les frères insistaient encore, le prieur courroucé répondit : « Allez-vous-en, frères, jamais on ne  m’arrachera la permission de chanter dans mon église de nouveaux cantiques, qui sont je ne sais quelles bouffonneries. » Mais quand arriva la fête du saint, les frères chantèrent les matines avec une certaine tristesse, et quand ils se furent tous retirés dans leurs lits, voici que saint Nicolas apparut visiblement au prieur avec un aspect terrible. Il le prit de son lit par les cheveux et le jeta sur le pavé du dortoir. Alors il commença l’antienne : O pastor aeterne, et à chaque note, avec une poignée de verges à la main, il frappait sur le dos du prieur les coups les plus rudes. Il poursuivit, jusqu'à la fin, le chant de cette antienne qu'il exécutait lentement, mais en redoublant les coups. Les cris du prieur ayant réveillé tous les frères, on le porta à demi-mort dans son lit. Revenu enfin à lui : « Allez, dit-il, chanter maintenant le nouvel office de saint Nicolas. » Dans ce temps-là, du couvent de Molesmes sortirent vingt et un moines avec leur abbé, saint Robert, pour aller dans la solitude de Citeaux, (469) afin d’y observer plus strictement leur règle, et y fonder un nouvel ordre. Hildebrand, prieur de Cluni, fut élu pape et appelé Grégoire. Alors qu'il n'était encore que dans les ordres mineurs, il exerçait tes fonctions de légat, et à Lyon il convainquit de simonie, d'une manière miraculeuse, l’archevêque d'Embrun. Cet archevêque corrompait tous ses accusateurs et ne pouvait être convaincu; alors le légat lui commanda de dire : Gloria Patri et Filio, et Spiritui sancto. L'archevêque disait bien, Gloria Patri et Filio, mais il ne pouvait dire et Spiritui sancto, parce qu'il avait péché coutre le Saint-Esprit. Alors il confessa sa faute, et aussitôt qu'il eut été déposé, il put prononcer à haute voix le nom du Saint-Esprit. Ce miracle est rapporté par Bonizi dans son livre à la comtesse Mathilde. (Epître, I.)

Henri IV mourut à Spire, et fut enseveli avec les autres rois; ce vers fut gravé sur son tombeau:

 

Filius hic, pater hic, avus hic, proavus jacet istic *.

 

Henri V lui succéda l’an du Seigneur 1107. Il se saisit du pape et des cardinaux, et en leur rendant la liberté, il reçut le privilège de donner l’investiture des évêchés et des abbayes par l’anneau et le bâton pastoral. — Vers ce temps, saint Bernard entra à Cîteaux avec ses frères. — Dans la paroisse de Liège, une truie mit bas un pourceau qui avait un visage d'homme. Il naquit un poulet avec quatre pattes. — Lothaire fut le successeur de Henri. De son temps, en Espagne,

 

* Ici gît, fils, père, aïeul et bisaïeul.

 

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une femme mit au monde un monstre qui avait deux corps; les figures étaient tournées en façon inverse l’une de l’autre, et les deux corps étaient soudés ensemble. D'un côté c'était un homme complet avec tous ses membres, et de l’autre côté, c'était la figure d'un chien avec le corps,et les membres d'un chien. — Après Lothaire,régna Conrad, l’an du Seigneur 1138. Ce fut de son temps que mourut Hugues de Saint-Victor, le docteur par excellence, profond en science et en piété: On rapporte de lui que dans sa dernière maladie, il ne pouvait garder aucune nourriture; il ne laissa pas de demander avec, beaucoup d'instance qu'on lui donnât le corps du Seigneur. Alors ses frères, dans l’intention de le calmer, lui apportèrent simplement une hostie au lieu du corps de N.-S. Mais il le sut par révélation : « Que le Seigneur ait pitié de vous, mes frères, dit-il; pourquoi avoir voulu  m’abuser? car ce n'est pas mon Seigneur que vous  m’avez apporté. » Les frères stupéfaits coururent chercher le corps de N.-S. mais Hugues, voyant qu'il ne pourrait le recevoir, fit cette prière en levant les mains au ciel : « Que le fils remonte au Père, et l’esprit à son Dieu qui l’a créé. » En disant ces mots, il rendit l’esprit, et on ne vit plus le corps du Seigneur. — Eugène, abbé de saint Anastase, est élu pape. Chassé de la ville par les sénateurs qui en avaient élu un autre, il vint dans les Gaules, et envoya en avant de lui saint Bernard qui prêchait la voie du Seigneur et faisait beaucoup de miracles. Alors florissait Gilbert de la Porrée. — Frédéric, neveu de Conrad, fut empereur, l’an du Seigneur 1154. — En ce temps, florissait maître Pierre (471) Lombard, évêque de Paris, qui compila si utilement le livre des Sentences, la glose du Psautier et des Epîtres de saint Paul.

Dans ce temps-là, on vit dans le ciel trois lunes et au milieu le signe de la croix; et peu après on vit trois soleils. — Alors Alexandre fut élu pape canoniquement. On lui opposa Octavien, Jean de Crémone, cardinal du titre de saint Calixte et Jean de Strume qui furent successivement élus papes et soutenus par l’empereur. Ce schisme dura dix-huit ans, pendant lesquels les Teutons, qui tenaient Tusculum pour l’empereur, attaquèrent les Romains à Monte-Porto et en firent un si grand carnage, depuis l’heure de none jusqu'à celle de vêpres, que jamais il n'y eut tant de Romains tués par milliers, quoique du temps d'Annibal, il en eût été massacré un si grand nombre que ce général envoya à Carthage trois boisseaux des anneaux qu'il fit liter des doigts des chevaliers restés morts. Beaucoup d'entre eux furent ensevelis à Saint-Étienne et à Saint-Laurent, où ils ont cette épitaphe : Mille decem decies sex decies quoque seni *. — L’empereur Frédéric, étant dans la Terre-Sainte, trouva la mort en se baignant dans un fleuve; ou bien, selon d'autres, son cheval s'étant engagé trop avant dans l’eau, il tomba et se noya. Il eut pour successeur Henri, son fils, l’an du Seigneur 1190. De son temps, il veut des pluies si abondantes, mêlées de tonnerres, d'éclairs et de tempêtes, que l’on n'a pas de souvenance qu'il y en eût eu de pareilles dans l’antiquité ; en effet,

 

* 700, 600 ?

 

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des pierres carrées, grosses comme des neufs, mêlées à la pluie, détruisirent les arbres, les vignobles, les moissons et tuèrent beaucoup de monde. Pendant cette tempête, on vit voler dans les airs des corbeaux et une grande quantité d'oiseaux qui portaient des charbons ardents dans leur bec et incendiaient les maisons. — Henri exerça constamment sa tyrannie contre l’Église romaine ; ce fut pour cela qu'à sa mort, Innocent III s'opposa à ce que Philippe, son frère, fût promu à l’empire, et il adhéra à Othon, fils du due de Saxe, qu'il fit couronner roi d'Allemagne à Aix-la-Chapelle. — En ce temps-là, plusieurs barons de France, qui allèrent outre-mer pour délivrer la Terre-Sainte, prirent Constantinople. — De cette époque date le commencement des ordres des prêcheurs et des frères mineurs. Innocent IV envoya des légats à Philippe, roi des Français, pour qu'il envahît le pays des Albigeois et qu'il détruisît les hérétiques. Il les prit et les fit brûler. —Enfin Innocent. couronna Othon empereur, et exigea de lui le serment de sauvegarder les droits de l’Église. Mais le jour même de son serment il y manqua, et fit dépouiller ceux qui allaient à Rome en pèlerinage. Alors le pape l’excommunia et le déposa de l’empire. — En ce temps, vivait sainte Elisabeth, fille du roi de Hongrie, épouse du landgrave de Thuringe, qui, entre autres miracles sans nombre, ressuscita, ainsi qu'il est écrit, plus de treize morts et rendit la vue à un aveugle-né. On dit qu'il découle encore aujourd'hui de l’huile de son corps. — Quand Othon fut déposé, on élut Frédéric, fils de Henri, qui fut couronné par le pape Honorius. Il promulgua d'excellentes lois pour la liberté (473) de l’Église et contre les hérétiques. Il surpassa tous les monarques en richesses et en gloire ; mais il se laissa abuser par l’orgueil qu'il en ressentit. Il fut en effet un tyran de l’Église; il mit deux cardinaux dans les fers; il fit pendre les prélats que Grégoire IX avait convoques pour venir en concile; de là l’excommunication que le pape lança contre lui. Enfin Grégoire mourut écrasé sous une infinité de tribulations et Innocent IV, génois de nation, ayant convoqué un concile à Lyon, déposa cet empereur. Depuis sa mort et sa déposition, le siège impérial est vacant.

 

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