COMMÉMORATION
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LA COMMÉMORATION DES AMES

 

La commémoration de tous les fidèles défunts a été instituée en ce jour par l’Eglise, afin de secourir par des bonnes œuvres générales ceux. qui n'ont pas le bonheur d'être soulagés par des prières particulières, ainsi qu'il a été démontré parla révélation précédente. Saint Pierre Damien rapporte encore que saint Odilon, abbé de Cluny, ayant découvert, qu'auprès d'un volcan de Sicile, on entendait souvent les cris et les hurlements des démons se plaignant que les âmes des défunts fussent arrachées de leurs mains par les aumônes et les prières, ordonna, dans ses (264) monastères, de faire, après la fête de tous les saints, la commémoration des morts. Ce qui, dans la suite, fut approuvé par toute l’Eglise *. A ce sujet, ou peut faire deux considérations générales : 1° sur ceux qui doivent être purifiés, 2° sur les suffrages chie fon. adresse pour eux. Dans la première considération, on peut examiner : 1° qui sont ceux qui sont purifiés, 2° par qui ils le sont, 3° où ils le sont. Ceux qui sont purifiés se divisent en trois catégories. Les premiers sont ceux qui décèdent sans avoir accompli la satisfaction qui leur a été enjointe. S'ils avaient eu au fond du coeur une contrition suffisante pour effacer leurs péchés, ils seraient librement passés à la vie, quand bien même ils n'auraient accompli aucune satisfaction, puisque la contrition est la plus grande satisfaction pour le péché et qu'elle l’efface entièrement. « Dieu, dit saint Jérôme, ne regarde pas tant à l’espace du temps qu'à la mesure de la douleur, ni tant à l’abstinence de la nourriture qu'à la mortification des vices.» Mais ceux qui ne sont pas assez contrits, et qui meurent avant l’achèvement de leur pénitence, sont punis très sévèrement dans le feu du purgatoire, à moins toutefois que des personnes auxquelles ils sont chers ne se chargent de leur satisfaction. Or, pour que cette commutation ait de la valeur, quatre conditions sont requises. La première, l’autorité de celui qui commue, et cette autorité est celle du prêtre; la deuxième, le besoin qu'éprouve celui en faveur duquel s'opère la commutation, car il doit se trouver dans une

 

* Iottald, Vie de saint Odilon, l. II, c. XIII.

 

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position telle qu'il ne puisse satisfaire pour soi-même, mais qu'il ait besoin d'être aidé ; la troisième, la charité de celui pour lequel se fait la commutation, charité qui lui est nécessaire pour rendre sa satisfaction méritoire et complète; la quatrième, la proportion à établir par, rapport à la peine, en sorte qu'une plus petite soit commuée en une plus grande; car, on satisfait plus à Dieu par; la peine personnelle due par celle d'autrui. Or, il y a trois genres, de peines : 1° la personnelle et volontaire, c'est celle par laquelle on satisfait le mieux ; 2° la. personnelle qui n'est, pas volontaire, elle est subie dans le purgatoire; 3° la volontaire; mais sans être personnelle, telle qu'elle existe dans la commutation que l’on traite ici ; elle satisfait, moins que la première, par cela même qu'elle n'est point personnelle, et elle satisfait plus que la seconde, parce qu'elle est volontaire. Cependant, si celui pour lequel on se charge de satisfaire vient à décéder, il n'en souffre pas moins dans le purgatoire, quoiqu'il soit délivré plus tôt par la peine qu'il endure lui-même, et par celle que les autres paient pour lui, parce que le Seigneur compte pour somme principale sa peine et celle des autres. D'où il suit que s'il doit, dans le purgatoire, souffrir deux mois, il pourra, au moyen du secours qu'il reçoit, être délivré en un seul. Cependant, jamais il n'en sort que la dette ne soit payée. Que si elle est acquittée, cette dette compte pour celui qui la paie et retourne à son profit; et s'il n'en a pas besoin, elle revient au trésor de l’Eglise, ou bien elle vaut pour ceux qui sont dans le purgatoire. Les seconds, qui vont dans le purgatoire, sont ceux qui (266) ont vraiment accompli la pénitence qui leur a été enjointe ; cependant, elle n'a pas été suffisante par l’ignorance ou la négligence du prêtre. Alors ceux qui descendent dans le purgatoire, à moins qu'ils ne suppléent par la grandeur de leur contrition, y complèteront en entier ce qu'ils auront fait en moins dans cette vie. Dieu, en effet, qui sait la proportion et la mesure entre les péchés et les peines, ajoute quelque peine suffisante, afin qu'aucun péché ne reste impuni. D'ailleurs, la pénitence imposée est ou bien trop forte; ou bien égale, ou bien trop faible; si elle est trop forte, elle procure une augmentation de gloire dans ce qu'elle a d'excessif; si elle est égale, elle suffit alors pour la rémission de toute la coulpe ; si elle est trop faible, ce qui reste est suppléé par la puissance de la justice divine. Ecoutez ici ce que pense saint Augustin de ceux qui font pénitence à la dernière extrémité : « Celui qui vient d'être baptisé sort de ce monde tranquille sur son sort; le fidèle qui vit bien sort de ce monde tranquille sur son sort ; celui qui fait pénitence et qui est réconcilié, quand il est en santé, sort tranquille d'ici-bas ; celui qui fait pénitence à la dernière extrémité et qui s'est réconcilié, s'il sort d'ici-bas tranquille, moi, je ne le suis pas : donc, prenez le certain et laissez l’incertain. » Si saint Augustin parle ainsi, c'est que ces personnes ont coutume de faire pénitence, plutôt par nécessité que par bonne volonté, plutôt par crainte du châtiment que par amour de la gloire. Les troisièmes, qui descendent dans le purgatoire; sont ceux qui portent avec eux du bois, du foin et de la paille, c'est-à-dire (267) ceux qui ont une affection, charnelle pour leurs richesses, moins grande cependant que celles qu'ils ont pour Dieu. Les affections charnelles qu'ils ont pour leurs maisons, leurs femmes, leurs possessions, bien qu'ils ne préfèrent rien à Dieu, sont indiquées par ces trois choses : selon qu'ils auront aimé, ou bien ils seront brûlés plus de temps comme bois, ou moins de temps comme foin, ou très peu comme paille. « Ce feu, comme dit saint Augustin, bien qu'il ne soit pas éternel, est pourtant merveilleusement fort ; il surpasse toute peine qui ait jamais été endurée ici-bas par personne ; aucune souffrance n'a existé pareille dans la chair, tout extraordinaires qu'aient été les supplices des martyrs. »

II. Par qui sont-ils purifiés ? Cette purgation et cette punition s'opérera par les mauvais anges et non par les bons; car les bons anges ne tourmentent pas les bons ; mais les bons anges tourmentent les mauvais, les mauvais les bons, et les mauvais ceux qui leur ressemblent. C'est cependant chose pieuse de croire que les bons anges visitent et consolent fréquemment leurs frères et concitoyens, et les exhortent à souffrir avec, patience. Ils ont encore un autre sujet de consolation en ce qu'ils attendent avec certitude la gloire future: car ils la possèdent certainement, toutefois dans un moindre degré que ceux qui sont dans la patrie, mais dans un plus grand que ceux qui sont en chemin pour l’autre vie. La certitude de ceux qui sont dans la patrie est sans attente et exempté de crainte, parce qu'ils n'attendent pas la vie future, puisqu'ils la possèdent réellement, et qu'ils ne (268) craignent pas de la perdre plus tard, tandis que c'est le contraire dans ceux qui sont en chemin pour l’autre vie. Mais la certitude de ceux qui sont en purgatoire tient le milieu. Elle est accompagnée d'attente puisqu'ils attendent la vie future elle-même : mais elle est exempte de crainte, car ayant leur libre:arbitre affermi, ils savent que désormais ils ne peuvent plus pécher. Ils ont encore un autre sujet de consolation, c'est de croire que l’on peut prier pour eux. Cependant il serait peut-être plus conforme à la vérité de croire que cette punition ne s'exerce pas par le ministère des mauvais anges, mais que c'est un ordre de la justice divine et par une conséquence de sa volonté.

III. Où sont-ils purgés? C'est dans un lieu situé à côté de l’enfer, qui se nomme Purgatoire ; c'est là que le placent plusieurs savants, bien qu'il semble à d'autres qu'il soit situé dans l’air et dans la zone torride. Cependant il entre dans l’économie du plan divin que divers lieux soient assignés à différentes âmes, et cela pour plusieurs raisons, soit pour la légèreté de leur punition, soit à cause de leur délivrance prochaine, soit pour notre instruction, ou bien pour une faute commise dans ce lieu, ou enfin à cause des prières de quelque saint : 1° Pour la légèreté de leur peine, ainsi il a été révélé à quelques personnes, au témoignage de saint Grégoire, qu'il y a des âmes punies dans l’obscurité. 2° Pour leur délivrance prochaine, afin qu'elles puissent révéler leur indigence aux autres et en impétrer les suffrages pour sortir de peine plus vite. On lit en effet que des pêcheurs de Saint-Théobald prirent en automne un énorme bloc de glace dais leur (269) filet, et ils en furent pourtant beaucoup plus satisfaits que si c'eût été un poisson, parce que l’évêque avait mal aux pieds, et ils lui procurèrent un grand soulagement en appliquant cette glace sur ses membres souffrants. Or, une fois l’évêque entendit sortir de la glace la voix d'un homme qui ayant été adjuré de lui dire qui il était, répondit: « Je suis une âme, tourmentée dans cette glacière pour mes péchés, et je pourrais être délivrée si vous disiez trente messes pendant trente jours sans interruption. » L'évêque avait dit la moitié de ces messes et se préparait à en célébrer une autre, quand il arriva;que, le diable y poussant, une sédition s'éleva parmi la presque totalité des habitants de la ville. Alors l’évêque, ayant été appelé pour apaiser la discorde, quitta les ornements sacrés, et ne dit pas la messe ce jour-là. Il recommença donc et déjà il avait dit les deux tiers des messes, quand une grande armée, semblait-il, assiégea la ville; et il fut forcé de ne pas dire la messe. Il recommença, donc encore une troisième fois, et il avait dit toutes, les messes excepté la dernière qu'il allait célébrer, quand la maison de l’évêque et sa villa parurent tout en flammes. Comme ses serviteurs lui disaient de laisser passer ce jour sans dire la messe, il répondit : « Quand toute la villa devrait brûler, je la célébrerais. » Lorsqu'elle fut achevée, aussitôt la glace se fondit et l’incendie qu'on croyait voir disparut comme un fantôme sans avoir causé aucun dommage. 3° Pour notre instruction : car c'est afin que nous sachions qu'une grande peine est infligée après cette vie aux pécheurs; comme on dit qu'il arriva à Paris, d'après (270) ces paroles du Chantre de Paris * : Maître Silo ** pria avec instance un de ses écoliers, qu'il soignait dans sa maladie, de revenir le trouver après sa mort, pour lui rapporter en quelle situation il se trouverait. Quelques jours après, il lui apparut avec une chappe de parchemin, sur l’extérieur de laquelle étaient écrits partout une foule de sophismes, et dont l’intérieur était tout doublé de flammes. Le maître lui demanda qui il était. « Je suis bien, dit-il, celui qui vous ai promis de revenir vous trouver. », Interrogé sur l’état dans lequel il se trouvait, il répondit : « Cette chappe me pèse et  m’écrase plus que si j'avais sur moi une tour; et elle  m’a été donnée à porter à cause, de la gloire que je retirais à faire des sophismes. Pour ce qui est de la flamme de feu dont elle est doublée, ce sont les pelleteries délicates et mouchetées que je portais : cette flamme me torture et me brûle. » Or, comme le maître jugeait cette peine facile à endurer, le défunt, lui dit de tendre la main pour apprécier à quel point ce châtiment était supportable. Quand il eut présenté sa main, le revenant laissa tomber une goutte de sa sueur qui perça la main de Silo comme une flèche, en sorte que celui-ci en ressentit une douleur prodigieuse, et il lui dit : « Voici comme je suis partout.»: Le maître, effrayé de la sévérité de ce châtiment, résolut de quitter le monde et d'entrer en religion. Le lendemain matin quand ses écoliers furent rassemblés; il composa ces vers :

 

* Pierre le Chantre.

** Ou Siger de Brabant.

 

Linquo coax ranis, ira corvis, vanaque vanis,

Ad logicam pergo quae mortis non timet ergo* .

 

Et quittant le siècle, il se réfugia dans un cloître. 4° Pour avoir commis une faute dans un endroit, comme le dit saint Augustin, et ainsi que le prouve un exemple rapporté par, saint Grégoire. Un prêtre, qui fréquentait les bains, y rencontrait un inconnu toujours disposé à le servir. Un jour, pour le bénir et le payer de son labeur, le prêtre lui ayant offert un pain bénit, cet homme répondit en gémissant : «Pourquoi ne donnez-vous cela, mon père ? Ce pain est sanctifié, or, je ne puis le manger; car autrefois j'ai été le maître de ce lieu, mais pour mes péchés, j'y ai été envoyé après ma mort : cependant je vous prie d'offrir au Dieu tout puissant ce pain pour mes péchés : vous saurez que vous aurez été exaucé quand vous ne me trouverez plus en revenant ici. » Alors le prêtre offrit pour lui tous les jours pendant une semaine l’hostie salutaire, après, quoi, i1 ne le rencontra plus désormais. 5° A cause de la prière de quelque saint ; ainsi lit-on de saint Patrice qui demanda pour quelques personnes un purgatoire en un certain lieu sous terre vous en trouverez l’histoire après la fête de saint Benoît.

La seconde considération a rapport aux suffrages

 

* Je laisse coasser les grenouilles, croasser les corbeaux, les gens frivoles s'occuper des frivolités.

Je cherche une logique qui ne craigne point la mort pour conclusion.

** Dialogues, l. IV, c. XL.

 

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que l’on peut adresser pour eux. A ce propos, trois considérations se présentent : 1° Les suffrages en eux-mêmes. 2° Ceux pour qui ils se font. 3° Ceux par qui ils se font. I. Il y a quatre espèces de suffrages qui sont très avantageux aux morts, savoir: la prière des fidèles et celle de leurs amis, l’aumône, l’immolation de l’hostie salutaire, et le jeûne. 1° Que la prière de leurs amis leur serve, cela est évident par l’exemple de Paschase rapporté dans saint Grégoire*. Il raconte qu'un homme d'une sainteté et d'une vertu éminente existait quand deux souverains pontifes furent élus à la fois. Cependant dans la suite, l’Église ayant reconnu l’un d'eux pour légitime, Paschase, entraîné dans l’erreur, préféra toujours l’autre, et persista dans son sentiment jusqu'à la mort. Quand il fut trépassé, un démoniaque ayant touché la dalmatique posée sur son cercueil, fut guéri. Or, longtemps après, Germain, évêque de Capoue, étant allé au bain pour sa santé, y trouva le diacre Paschase debout et prêt à le servir. A sa vue, il eut grande peur, et il lui demanda ce que faisait là un homme si important que lui. Paschase lui avoua qu'il n'avait été envoyé en ce lieu de peine pour aucun autre motif que celui d'avoir abondé en son sens plus que de raison dans l’affaire susdite; puis il ajouta : « Je vous en prie, adressez, pour moi des prières au Seigneur, et vous saurez que vous avez été exaucé, quand vous ne me trouverez plus lorsque vous reviendrez ici. » Germain pria donc pour lui et étant revenu peu de jours après, il ne trouva plus Paschase en ce lieu.

 

* Dialogues, l. IV, c. XXXVI.

 

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Pierre de Cluny dit qu'un prêtre, qui célébrait tous les jours la messe pour les morts, fut accusé auprès de son évêque et suspendu de son office. Or, un jour de grande solennité, comme l’évêque passait par le cimetière pour aller à matines, les morts se levèrent devant lui et dirent : « Cet évêque ne nous donne pas une messe ; de plus, il nous a enlevé notre prêtre ; mais certainement, s'il ne s'amende, il mourra. » Alors l’évêque donna l’absolution au prêtre, et, dans la suite, il célébra la messe de bon coeur pour les morts. Les prières des vivants sont très agréables aux défunts, comme on peut s'en assurer par ce que rapporte le Chantre de Paris *. Un homme récitait toujours le psaume De profundis pour les morts, chaque fois qu'il passait par un cimetière. Un jour que, poursuivi par des ennemis, il s'y était réfugié, aussitôt les morts se levèrent, chacun avec l’instrument de sa profession à la main, et ils le défendirent vigoureusement, forçant ses ennemis effrayés à prendre la fuite. — La seconde espèce de suffrages qui est utile aux défunts, c'est l’aumône: cela est évident parce qu'on lit dans le livre des Macchabées, que le vaillant Judas, ayant recueilli douze mille dragmes d'argent, les envoya à Jérusalem dans le but de les offrir pour les péchés dés morts; car il avait de bons et religieux sentiments touchant la résurrection. Un exemple rapporté par saint Grégoire, au IV° livre de ses Dialogues (c. XXXVI), confirme l’avantage de l’aumône en faveur des défunts. Un soldat vint à mourir, mais bientôt après il revint à la

 

* Pierre Cantor, moine de Cîteaux, + 1297.

 

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vie et raconta ce qui lui était arrivé. Il disait donc qu'il y avait un pont sous lequel coulait un fleuve noir, bourbeux et fétide. Quand le pont était passé, se trouvaient des prairies agréables, ornées d'herbes aux fleurs odoriférantes, au milieu desquelles paraissaient réunis des hommes vêtus de blanc que rassasiait cette suavité merveilleuse et variée des fleurs. Mais sur ce pont était une épreuve, c'est-à-dire que si un homme injuste voulait le passer, il tombait dans ce fleuve noir et puant, tandis que les justes d'un pats assuré arrivaient à ces prairies charmantes. Il raconta y avoir vu un homme appelé Pierre, lié, couché sur le dos à une grande masse de fer. Et le soldat lui avant demandé pourquoi il était là, on lui répondit : « S'il souffre ainsi, c'est, que quand on lui commandait l’exécution d'un coupable, c'était plus à la cruauté et au désir de faire des blessures qu'à l’obéissance qu'il cédait. » Il disait encore y avoir vu un pèlerin qui, arrivé sur le pont, le passa avec une autorité pareille à la pureté de sa vie sur la terre. Un autre, nommé Etienne, qui avait voulu passer, fit un faux pas et fut jeté hors du pont, le corps restant à moitié suspendu. Alors des hommes affreusement noirs, sortis du fleuve, le saisirent d'en bas par les jambes, tandis que d'autres personnages vêtus de blanc et resplendissants de beauté le tinrent d'en haut par les bras. Or, pendant cette lutte, le soldat qui en était témoin revenait à, son corps et ne put savoir quel fut le résultat de cet examen et qui fut le vainqueur. Ce qui nous donne à comprendre que dans Etienne les péchés de la chair combattaient avec ses aumônes. Car le fait d'être tiré d'en bas par (275) les cuisses et celui d'être tiré d'en haut par les bras indique qu'il avait aimé faire des aumônes et qu'il n'avait pas su résister entièrement aux mauvais penchants de la terre. La troisième espèce de suffrages, qui est l’immolation de l’hostie salutaire, est très avantageuse aux défunts; ce qui est prouvé par beaucoup d'exemples. Saint Grégoire rapporte au IV° livre de ses Dialogues (c. LV), qu'un de ses moines, appelé Juste, étant, à la dernière extrémité, indiqua qu'il avait trois pièces d'or cachées, et mourut en gémissant de cette action; saint Grégoire commanda alors aux frères de l’ensevelir dans le fumier avec ses trois pièces d'or en disant : « Que ton argent périsse avec toi.» Cependant saint Grégoire ordonna à un des frères d'immoler chaque jour la sainte Hostie pour lui pendant trente jours. Quand il eut exécuté ce que lui avait intimé saint Grégoire, celui qui était mort apparut le trentième jour à un frère qui lui demanda : « Comment es-tu? » Et il répondit: « Jusqu'à présent, j'ai été mal, mais maintenant je suis bien, car j'ai reçu aujourd'hui la communion.

On s'assura encore que l’immolation de la sainte, Hostie était fort utile non seulement aux morts, mais, encore aux vivants. Quelques hommes en effet étaient dans le creux d'un rocher occupés à extraire de l’argent, quand tout à coup le rocher croule et écrase tous ceux qui se trouvaient là, à l’exception d'un seul qui échappa à la mort protégé, par un retrait, mais sans pouvoir en sortir. Sa femme, le pensant mort, faisait dire tous les jours la messe pour lui et offrait chaque fois un pain, un vase de vin avec une chandelle. Le (276) diable, jaloux, lui apparut trois jours de suite sous une forme humaine et lui demanda où elle allait : la femme lui ayant exposé le motif de sa démarche, le diable lui disait : « Ne te fais, pas de mal inutilement, car déjà la messe est dite » ; de sorte que ces trois jours-là elle manqua à la messe et ne la fit même pas dire. Or, un certain temps après, quelqu'un, en fouillant dans ce même rocher pour trouver de l’argent, entendit, au-dessous de soi, une voix qui disait : « Frappez doucement, car une grosse pierre va me tomber sur la tête. » Or, comme l’ouvrier avait peur, il appela beaucoup de monde pour entendre cette voix; ensuite il se mit à creuser et il entendit les mêmes paroles. Alors tous s'approchèrent plus près et dirent: « Qui es-tu? » On répondit : « Allez doucement, car une grosse pierre semble tomber sur moi. » On creusa donc par le côté et on parvint jusqu'à cet homme qu'on retira bien portant et sain et sauf; on lui demandait comment il avait pu vivre si longtemps, il dit que chaque jour on lui avait donné un pain, un pot de vin et une chandelle allumée, excepté seulement pendant trois jours. Quand sa femme apprit cela, elle fut toute transportée, et elle connut que son mari avait été sustenté par son oblation et que le diable l’avait trompée pour que, ces trois jours-là, elle me fît pas dire de messes. Cet événement s'est passé, au témoignage de Pierre de Cluny, dans une villa nommée Ferrières, au diocèse de Grenoble *. Saint Grégoire rapporte encore qu'un

 

* Le fait rapporté par la légende est bien le même, quant au fond, que raconte Pierre le vénérable. La femme du malheureux faisait dire une messe chaque semaine à l’intention de son mari, mais elle y manqua une fois par négligence. Ce ne fut qu'au bout d'un an qu'eut lieu la délivrance. (Pierre le vénérable, De miraculis, 1. II, c. II.) Le cardinal Bossa parle du même prodige et le lit dans saint Pierre Damien, Opp. XXIII, il serait arrivé auprès du lac de Côme apud Clavennam montem. Henri de Gand, + en 1275.

 

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nautonier fit naufrages et qu'un prêtre ayant immolé pour lui la sainte Hostie, il sortit enfin de la mer sain et sauf. On lui demandait comment il avait échappé, au péril ; il dit qu'étant au milieu de la mer, déjà épuisé et presque défaillant, quelqu'un s'approcha de lui et lui offrit un pain. Quand il l’eut mangé, il recouvra aussitôt toutes ses forces et fut recueilli sur un navire qui passait par là. Or, il reçut le pain à l’heure même où le prêtre disait la messe pour lui. — La quatrième espèce de suffrages qui est le jeûne, est avantageuse aux défunts, sur le témoignage de saint Grégoire, lequel traite de ce suffrage en même temps que des trois autres, en disant: « Les âmes dés défunts sont délivrées de quatre manières, ou bien par les offrandes des prêtres, ou par les prières des saints, ou par les aumônes de leurs amis, ou par les jeûnes de leurs parents. La pénitence que font pour elles ceux qui ont été leurs amis a beaucoup de valeur. » Le docteur Solennel * raconte qu'une femme, qui avait perdu son mari, se désespérait d'être pauvre, quand le diable lui apparut et lui dit qu'il. l’enrichirait si elle consentait à faire ce qu'il voudrait. Elle le promit; alors il lui enjoignit: 1° de faire tomber dans, la fornication les ecclésiastiques qu'elle logerait chez elle ; 2° d'accueillir les pauvres dans le jour et de les chasser

 

* Henri de Gand, + en 1275.

 

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la nuit sans leur laisser rien; 3° d'empêcher de prier dans l’église par son babil; 1° de ne jamais se confesser de cela. Arrivée a l’article de la mort, et invitée par son fils à se confesser, elle lui révéla le fait, en lui disant qu'elle ne pouvait pas se confesser et que sa confession ne lui vaudrait rien. Mais son fils insistant avec larmes et. promettant de faire pénitence pour elle, elle se laissa toucher et envoya son fils chercher un prêtre. Avant que celui-ci n'arrivât, les démolis se ruèrent sur elle, la saisirent de crainte et d'horreur, au point qu'elle en mourut. Son fils confessa pour elle le péché de sa mère et fit pénitence pendant sept ans; après lesquels il vit sa mère qui le remerciait de sa délivrance. Les indulgences de l’Eglise font aussi du bien aux défunts. Un légat du siège apostolique pria un soldat distingué de combattre au service de l’Eglise dans l’Albigeois, en lui accordant une indulgence pour son père qui était mo&t ; il y resta une quarantaine de jours, après quoi son père lui apparut tout éclatant de lumière et le remerciant de sa délivrance.

II. Il reste à examiner quatre points encore, par rapport à ceux en faveur desquels s'adressent les suffrages. 1° Quels sont ceux auxquels il sont profitables; 2° pourquoi ils doivent leur profiter; 3° s'ils profitent également à, tous; 4° comment ils peuvent savoir qu'on adresse des suffrages pour eux. 1° « Tous ceux qui sortent de cette vie, dit saint Augustin, sont ou très bons ou très méchants, ou médiocrement bons. Les suffrages adressés en faveur de ceux qui sont très bons sont des actions de grâces; ceux en (279) faveur des méchants sont des consolations quelconques; pour les médiocrement bons, ce sont des expiations. » On appelle très bons, ceux qui s'envolent immédiatement au ciel sans passer par le feu de l’enfer ni du purgatoire. Il y en a de trois sortes : les baptisés, les martyrs et les hommes parfaits, qui ont amassé dans la perfection, de l’or, de l’argent et des pierres précieuses, c'est-à-dire qui ont l’amour de Dieu, l’amour du prochain, et des bonnes couvres, au point de ne penser pas à plaire au monde, mais seulement à Dieu. Ils peuvent commettre des péchés véniels, mais la ferveur de la charité consume en eux le péché, comme une goutte d'eau est totalement absorbée dans un foyer incandescent; en sorte qu'ils n'ont en eux rien qui mérite d'être expié par le feu. Celui donc qui prierait pour quelqu'une de ces trois catégories de personnes, ou qui ferait d'autres bonnes oeuvres à leur intention, leur ferait injure, « parce que, dit saint Augustin, c'est faire injure à un martyr que de prier pour un martyr. » Cependant si quelqu'un priait pour un très bon, dans le doute que son. âme fût au ciel, ses oraisons seraient des actions de grâces et tourneraient au profit de celui qui prie, selon les paroles de l’Ecriture sainte (Ps. XXXIV) : « Ma prière retourne en mon sein. » Car à ces trois sortes de personnes le ciel est ouvert immédiatement après leur mort, et ils ne passent pas par le feu du purgatoire. Ce qui est indiqué par ces trois personnes pour lesquelles le ciel s'ouvrit. 1° Pour J.-C. après son baptême : « Jésus étant baptisé et priant, le ciel fut ouvert. » (Saint Luc, III.) Ce qui montre que le ciel (280) s'ouvre à tous les baptisés, soit petits enfants, soit adultes, en sorte qu'aussitôt après, s'ils venaient à décéder, ils s'y envoleraient; car le baptême, en vertu de la passion de J.-C. purifie de tout péché soit originel, soit mortel, soit véniel. 2° Le ciel s'ouvrit pour saint Etienne qu'on lapidait: « Je vois, dit-il (Actes, VII) les cieux ouverts. » Ce qui montre que le ciel s'ouvre à tous les martyrs, en sorte qu'ils y volent quand ils expirent, et s'il leur restait encore quelque faute à expier par le feu, tout est rasé par la faulx du martyre. 3° Il a été ouvert à saint Jean qui était d'une haute perfection. « J'ai vu, dit-il, (Apocal., IV) et la porte du ciel était ouverte. » Ce qui signifie que pour les hommes parfaits qui ont accompli totalement leur pénitence, et qui n'ont pas commis de péchés véniels, ou qui, s'ils en ont commis, les ont consumés de suite par la ferveur de la charité, le ciel même est incontinent ouvert, et ils y entrent de suite pour y régner éternellement. — Ceux qui sont très mauvais sont précipités dans le gouffre de l’enfer, on ne devrait jamais faire aucun suffrage, pour eux si on était certain de leur damnation, d'après cette parole de saint Augustin : « Si je savais que mon père est dans l’enfer, je ne prierais pas plus pour lui que pour le diable. » Que : si on adressait quelque espèce de suffrages en faveur de certains damnés, sur le sort duquel on ne serait pas certain, cela ne leur servirait à rien, ni pour les délivrer de leurs tourments, ni pour adoucir ou diminuer leurs peines, ni pour suspendre pour un temps ou même pour une heure, leur damnation, ni pour leur donner une plus grande force afin de supporter plus aisément leurs tourments; car, (281) en aucun cas, dans l’enfer, il n'y a de rédemption. On appelle médiocrement bons ceux qui portent avec eux des matières à brûler, comme du bois, du foin, de la paille; ou qui, surpris par la mort, n'ont pu faire une pénitence imposée et suffisante. Ils ne sont pas assez bons pour n'avoir pas besoin de suffrages, ni assez mauvais pour que ces suffrages ne puissent leur être profitables. Or, les suffrages qu'on adresse pour eux leur servent d'expiation. C'est donc à ceux-là seulement que ces suffrages peuvent être utiles. Dans la manière de faire ces suffrages, l’Eglise a coutume d'observer trois sortes de jours principalement : le septième, le trentième et l’anniversaire, et la raison en est assignée dans le livre de l’Office mitral * (ch. L). On a égard au septième jour afin que les âmes parviennent au sabbat éternel du repos, ou bien afin que soient remis tous les péchés commis dans la vie qui se divise en sept jours ; ou bien pour remettre les péchés commis avec le corps qui se compose de quatre humeurs, et avec l’âme qui a trois qualités. On observe le trentième qui se compose de trois dizaines pour les purifier des fautes commises contre la foi a la Sainte Trinité, ou par la transgression du Décalogue. On observe l’anniversaire afin que des années de calamité, ils parviennent aux années de l’éternité. De même que nous célébrons l’anniversaire des saints pour leur honneur et notre utilité, de même nous célébrons l’anniversaire des défunts pour leur utilité et notre dévotion. 2° On demandé pourquoi les suffrages

 

* Sicardi.

 

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doivent leur servir. On répond qu'ils le doivent en trois manières: 1° en faveur de l’unité; car ils font un corps avec l’Eglise militante, et pour cela ses biens doivent leur être communs; 2° en faveur de leur dignité, puisque, pendant leur vie, ils ont mérité d'en profiter ; d'ailleurs il est digne que ceux qui ont aidé les autres soient aidés à leur tour; 3° parce qu'ils en ont besoin : ils sont en effet dans une position à ne pouvoir pas se soulager. 3° On demande si ces suffrages profitent également à tous. On répond que si ces suffrages se font spécialement en faveur d'une personne, ils profitent plus aux personnes pour qui on les fait qu'aux autres; s'ils se font en commun, ils profitent davantage à ceux qui, dans cette vie, ont plus mérité qu'ils leur profitent, selon qu'ils, se trouvent dans une égale ou une plus grande nécessité. 4° Comment, peuvent-ils savoir que ces suffrages se font pour eux. Ils le peuvent savoir en trois manières, d'après saint Augustin : 1° par une révélation de Dieu qui les en instruit; 29° par une manifestation des bons anges, car eux qui ici-bas sont toujours avec nous et qui considèrent chacune de nos actions, peuvent en un instant descendre, en quelque sorte, auprès de ces patients et le leur annoncer aussitôt; 3° parla connaissance que leur en donnent les âmes qui en sortent, puisqu'elles peuvent leur annoncer cela comme d'autres choses encore ; 4° ils peuvent le savoir enfin par ce qu'ils éprouvent eux-mêmes et par révélation, car en se sentant soulagés dans leurs tourments, ils connaissent qu'on prie pour eux.

III. De ceux par qui se font les suffrages. Si ces suffrages doivent être profitables, il faut qu'ils soient faits (283) par ceux qui sont dans la charité ; car s'ils étaient faits par des méchants ils ne serviraient à rien. On lit en effet qu'un soldat, au lit avec sa femme, admirait, en voyant la lune qui jetait une grande lumière par des crevasses, comment il se faisait que l’homme doué de la raison n'obéissait pas à son créateur, tandis que toutes les créatures inintelligentes obéissaient. Puis se mettant à déchirer la mémoire d'un soldat mort avec lequel il avait vécu en bonne union, tout à coup ce mort entra dans la chambre et lui dit : « Mon ami, ne te permets aucun mauvais soupçon contre personne, et pardonne-moi, si je t'ai offensé en quoi que ce soit. » Interrogé sur sa position, il dit : « Je souffre différents tourments, principalement pour avoir violé tel cimetière dans lequel après avoir blessé quelqu'un, je lui ai pris son manteau, que je porte sur moi et qui  m’écrase plus que ne ferait une montagne. » Ensuite il le conjura de faire prier pour lui. Or, comme son compagnon lui demandait s'il voulait qu'il fît faire ces prières par tel ou tel prêtre, le revenant ne répondit rien, mais il secoua la tête comme pour dire non. Il lui demanda donc s'il voulait que tel ermite priât pour lui. « Plût à Dieu, répondit-il, que cet homme priât pour moi ! » Et quand il eut reçu la promesse que sa demande serait exaucée, il ajouta : « Et moi je te dis que d'aujourd'hui à deux ans, tu mourras aussi. » Alors il disparut. Le soldat amenda sa vie et mourut dans le Seigneur. Quand j'ai dit que les suffrages offerts par les méchants ne sont pas profitables, ceci ne doit point s'entendre des oeuvres sacramentelles, telles que la sainte messe qui ne peut perdre de sa valeur bien (281) qu'offerte par un. ministre mauvais; ou bien si le défunt lui-même ou quelqu'un de ses amis eût laissé de bonnes oeuvres à faire à des méchants ; ce dont ils doivent s'acquitter au plus tôt de crainte qu'il lie leur advienne ce qui est arrivé à quelqu'un. Dans les guerres de Charlemagne, raconte Turpin, un soldat, qui devait se battre contre les Maures, pria un parent de vendre son cheval et d'en donner le prix aux pauvres, s'il mourait dans la bataille. Il mourut et le parent, qui trouva le cheval fort à sa convenance, le garda pour lui. Mais peu de temps après, le défunt lui apparut comme un soleil brillant, et lui dit : « Bon cousin, pendant huit jours tu  m’as fait endurer des peines dans le purgatoire, parce que tu n'as pas donné aux pauvres, comme je te l’ai dit, le prix de mon cheval; mais tu ne l’auras pas fait impunément : car aujourd'hui les diables tourmenteront ton âme dans l’enfer quant à moi qui suis purifié, je vais au royaume de Dieu. » Et voici que tout à coup on entend dans l’air un cri semblable à celui des lions, des ours et des loups et le parent fut enlevé par les diables *.

 

* Hélinand, Chronique, an 807.

 

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