CHARLEMAGNE
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HISTOIRE DE CHARLEMAGNE *

 

Turpin, archevêque d e Reims, compagnon de Charles durant 14 ans, écrivit à Léoprand, doyen d'Aix-la-Chapelle, ce qu'il. avait vu, quand ce prince eut délivré l’Espagne et la Galice de la domination des païens. En premier lieu, il raconte comment l’Apôtre saint Jacques apparut à Charles et le pria de purifier le lieu de sa sépulture et d'établir une route pour arriver jusqu'à son tombeau afin que, la multitude de pèlerins pussent y effacer leurs péchés. Il lui, promit encore de l’aider en tout et par là qu'il posséderait la vie éternelle. Beaucoup avaient été convertis par la prédication des disciples de saint Jacques, mais ils s'étaient laissés retomber dans l’erreur, et la foi en J.-C. s'était éteinte en ce pays jusqu'à l’époque où Charlemagne

 

* Ce récit est l’abrégé des actions de Charlemagne, telles que les ont écrites les compilateurs des romans sans nombre parus dans le moyen âge sur le compté de cet empereur et de ses, paladins.

 

511

 

rétablit la religion chrétienne dans l’Espagne et la Galice. La première ville qu'il assiégea fut Pampelune. Il resta trois mois sans pouvoir s'en rendre maître, parce que ses murs étaient inexpugnables. Il fit alors cette prière: « Seigneur J. C. pour la foi duquel je suis venu ici; donnez-moi cette ville de saint Jacques; si réellement vous  m’êtes apparu, faites-la moi prendre. » Alors les murs s'écroulèrent jusque dans leurs fondements. Il laissa la vie aux Sarrasins qui voulurent recevoir le baptême, et il tua tout le reste. A cette nouvelle, les autres villes lui envoyèrent le tribut et se soumirent à lui. Tout le pays fut son tributaire. Après avoir visité le sarcophage de saint Jacques, il vint à Pétrone et là il enfonça sa lance. dans la mer en action de grâce et dit : « Je n'ai jamais pu venir ici qu'en ce moment. » Alors il soumit toute la Galice et l’Espagne d'une mer à l’autre. Il s'empara encore d'une place fortifiée de 90 tours. Il fit durant quatre mois le siège de Lucerna ; désespérant de la prendre, il eut recours à Dieu et à saint Jacques alors les murs de cette ville tombèrent et elle reste déserte encore aujourd'hui ainsi que trois autres villes que le Seigneur maudit comme autrefois Jéricho. Il détruisit toutes les idoles à l’exception d'une, qui, au dire des Sarrasins, fut fabriquée de son vivant par Mahomet qui se l’était dédiée après y avoir lié, avec le secours de la magie, une légion de démons occupés la garder avec tant de force que jamais homme ne put la briser. Si un chrétien s'en approche, ses jours sont aussitôt en danger, mais un païen se retire sain. L'oiseau qui se poserait sur elle meurt à l’instant. Il (513) y a sur le rivage de la mer une pierre dont la hauteur égale: celle à laquelle un corbeau peut s'élever dans son vol, large et carrée à la base, pointue au sommet, sur lequel est placée debout cette statue de forme humaine et coulée en or fin, la figure tournée au midi, ayant dans sa main droite une grande clef qui doit tomber de ses doigts l’année où naîtra dans la Gaule le roi qui christianisera l’Espagne entière; puis ceux qui auront vu la clef par terre prendront tous la fuite, en abandonnant leurs trésors. Avec l’or que les rois et les princes, ainsi que les païens donnaient à Charles, il fit élever une église en l’honneur de -saint Jacques, qu'il enrichit de beaucoup d'ornements, et où il établit des chanoines. Il en bâtit encore une de ce saint à Aix-la-Chapelle, et grand nombre d'autres. Quand Charles fut parti, un roi païen d'Afrique soumit l’Espagne, et massacra beaucoup de chrétiens que Charles avait établis pour garder le pays. A cette nouvelle, Charles revint avec des armées nombreuses; il arriva à Bayonne, ville des Basques, où Romaric, en mourant, confia à un de ses parents son cheval et d'autres objets pour en partager le prix entre les prêtres et les pauvres, parce qu'il avait entendu au-dessus de lui des démons rugissants comme des lions, des loups et des veaux. Or, ce cheval fut enlevé et on le trouva transporté à quatre journées de chemin de l’armée de Charles. La veille du jour où Charles devait livrer bataille à Argoland qui était revenu s'emparer de l’Espagne, ses. soldats se préparèrent le soir pour être prêts à se battre le lendemain; ils fichèrent en terre leurs lances dans les prés devant leurs tentes ; et le (514) matin ils les trouvèrent couvertes d'écorces et de branches et tenant au sol par racines. Ils les coupèrent ras terre, et de leurs racines poussa dans la suite une grande forêt. Ceux dont les lances fleurirent ainsi étaient ceux qui devaient être tués et qu'on devait insérer au nombre des saints. Il en périt alors quarante mille, le duc Milon, père de Roland, fut tué, ainsi que le cheval de Charles. Charles resta donc avec deux mille hommes  seulement; mais avec son épée nommée Joyeuse, il tua une multitude de païens. Le soir, les deux armées rentrèrent dans leur, camp. Le lendemain arrivèrent quatre nobles conduisant quatre mille combattants ; alors les païens prirent la fuite et Charles rentra dans la Gaule. Il revint encore une fois avec quatre mille soldats dont les lances fleurirent et qui engagèrent la bataille les premiers avec un grand enthousiasme; ils massacrèrent une multitude innombrable de païens; mais ensuite ils furent tués eux-mêmes, et Charles y perdit encore un cheval ; mais il n'abandonna pas le terrain; il, tua beaucoup d'ennemis, enfin les païens furent mis en déroute. Argoland vint encore offrir la bataille à Charles qui revint accompagné de cent trente-trois mille hommes. Argoland et Charles eurent de longues conférences au sujet de la guerre et de la foi. « Combattons pour la foi, finit par dire Argoland; si je suis vaincu, je recevrai le baptême. »; Vingt chrétiens se mesurent donc avec vingt païens et les tuent; ensuite quarante, et le résultat fut le même ; puis cent, et il en arriva autant; enfin mille, mais chaque fois, les chrétiens tuèrent les païens. Il y eut suspension d’hostilité, et Argoland vint trouver Charles pour se (515) faire baptiser et lui dit : «Ta loi est plus sainte », puis il ordonna aux païens de recevoir le baptême : ce à quoi ils consentirent. Argoland remarqua qu'à table, il y avait, dans le placement des convives, des rangs d'observés, et demanda à connaître ceux qui les composaient. Charles répondit que les premiers étaient des. évêques; d'autres des moines, ceux-ci des chanoines et les derniers des pauvres, auxquels il donna le titre d'envoyés de Dieu. « Tu traites mal les envoyés de Dieu, reprit Argoland, aussi ne veux-je point de baptême. » Et il se retira. De là nous pouvons remarquer quel grand péché c'est que de traiter mal les pauvres. Aussi Charles fut-il privé de la joie de procurer le baptême à tant de monde. Le lendemain on donna la bataille : Charles avait cent vingt-quatre mille hommes et Argoland cent mille. Or, Argoland fut défait avec ses cent mille hommes. Les vainqueurs marchèrent dans le sang jusqu'aux murailles de la ville qui fut prise après le massacre de tous les païens. La nuit, mille chrétiens dépouillèrent les morts, à l’insu de Charles, dans l’intention de revenir avec ce prince; chargés d'or et d'argent, mais ils furent tués par les païens qui avaient pris la fuite. Telle fut la punition de leur avarice. Le prince de Navarre déclara encore une fois la guerre à Charles qui pria le Seigneur, de lui faire connaître ceux qui devaient mourir dans cette circonstance. Le lendemain les soldats étant prêts à se battre, Charles vit une croix rouge sur les épaules et sur le dos de la cuirasse de ceux qui devaient mourir ; il les enferma tous dans son oratoire afin qu'ils ne fussent point tués. Après le combat, (516) dans lequel près de cent mille païens furent tués, Charles trouva morts, ceux qu'il avait enfermés dans son oratoire; ils étaient cent cinquante. Alors ce prince s'empara de force de tout le pays Navarrais. Dans la suite on lui apprit que le roi de Babylone avait envoyé contre lui de la Syrie 20.000 chars. Ce roi était de la race de Goliath ne pouvant être blessé qu'au nombril, et fort comme quarante hommes. Sa taille était de 12 coudées, sa figure en avait une de long, ses doigts étaient longs de trois palmes : il transporta dans la ville des Otogores tous ceux qui avaient été envoyés contré lui. D'abord il souleva à la fois Raynaud, avec Constantin, roi des Romains, et un autre comte, et les porta en prison sur ses deux bras comme il eût fait avec des enfants; il emprisonna en même temps vingt autres guerriers. Mais Roland le perça au nombril : ce qui lui fit pousser ce cri : « Mahomet, aide-moi, je meurs. » Alors les païens accoururent et l’emportèrent de suite dans la ville. Les chrétiens y entrèrent avec eux, s'en emparèrent et tuèrent le géant. Roland lui, avait appris, sur sa demande, ce qu'il fallait croire de la Trinité : « Abraham, lui dit-il, vit trois hommes et se prosterna en terre pour les adorer. Dans une harpe, quand elle résonner il y a trois choses: l’art, la main et la corde. Dans l’amande on trouve trois parties : l’écorce, la coque et le noyau. De même, dans le soleil, il y a le cours, la splendeur et la chaleur; dans la roue, le moyeu, les rais et les jantes; dans l’homme, le corps, l’âme et l’ombre. Ainsi, une chose est en trois; en Dieu aussi, trois personnes ne font qu'un. » Le géant lui demanda (517) encore : «Comment une vierge, a-t-elle pu enfanter? » Roland répondit: « Dieu fait engendrer des vers dans la fève, dans la gorge ; il fait naître de l’eau une multitude de poissons ; les oiseaux, les abeilles et les serpents se produisent sans la semence du mâle ; le même Dieu a donc pu faire qu'une vierge engendrât.» Le. géant demanda des explications sur l’Ascension : « La roue d'un moulin, lui répondit Roland, monte aussi bien qu'elle descend; l’oiseau, qui descend d'une montagne, remonte en haut; le soleil, qui se lève à l’orient pour aller à l’occident., revient encore à l’orient. De même, le Christ est remonté d'où il était descendu. » Le géant ajouta : « Maintenant, combattons au sujet de la foi. » Il arriva alors ce qui a été raconté dans le chapitre précédent, savoir que les soldats de Charles couvrirent avec des linges les têtes des chevaux, afin que ceux-ci ne vissent point les masques des ennemis; ils bouchèrent les oreilles de ces animaux, afin qu'ils n'entendissent point le son des trompettes qui leur avaient fait prendre la fuite auparavant, lorsque les païens rient marcher chacun de leurs hommes avec un masque en avant dès chevaux; et battre les tambours, ce qui leur avait procuré 1a victoire. Alors, Charles s'élança et abattit le drapeau sur le char, autrement les ennemis n'auraient pas été mis en déroute. Ainsi il tua huit mille païens, s'empara de l’Espagne, et personne n'osa plus désormais attaquer Charles. Après quoi, il vint au tombeau de saint Jacques ; il y fit rebâtir tout ce qui avait été détruit, et il ordonna, en l’honneur du saint,que tous les rois et. princes présents et futurs obéissent à l’évêque (518) de Saint-Jacques. Alors, moi, Turpin, archevêque de Reims, dédiai, à la demande de Charles, au jour des calendes de juin, l’église et l’autel du saint, accompagné de soixante évêques. Charles dota, en cette circonstance, l’église de Saint-Jacques de toute la Galicie et de l’Espagne, de manière que tout propriétaire d'une maison devait payer annuellement quatre deniers, et serait exempt de tout service envers le roi et les princes. Ce serait en ce lieu que devraient se tenir les conciles, que les évêques recevraient le bâton pastoral, et les rois la couronne des mains de l’évêque. Et comme saint Jacques et saint Jean avaient, avec leur mère; demandé à s'asseoir, l’un à la droite, l’autre à la gauche de J.-C., saint Jean, qui repose à Ephèse, est le patron de l’Orient, et saint Jacques de l’Occident. Comme les trois frères étaient fort amis du Sauveur, Pierre a mérité d'avoir son siège apostolique à Rome. Toutefois, Pierre est le chef, parce que J.-C. voulut qu'il fût le prince des apôtres.

Charles était doué d'une telle force, qu'il redressait facilement avec les mains quatre fers de cheval à la fois, et qu'il soulevait sans difficulté, de terre jusqu'à sa tête, un soldat placé debout sur sa main. Il était si magnifique, qu'il tint quatre fois une cour plénière en Espagne : à Noël, à Pâques, à la Pentecôte et à saint Jacques. Chaque nuit, il avait 120 soldats de garde, qui se partageaient par 40 pour chaque veille : dix restaient à son chevet, dix à ses pieds, dix à sa droite et dix a sa gauche, tenant à la main droite une épée nue, et à la gauche une chandelle allumée. Celui qui voudra en savoir davantage sur ses qualités peut s'en (519) faire une idée par la manière dont il fut fait empereur à Rome. Il fonda beaucoup d'églises et d'abbayes, il visita le Saint-Sépulcre et fit enchâsser dans l’or et l’argent les corps d'un grand nombre de saints.

Quand Charles revint d'Espagne, il y avait encore deux rois païens à Sarragosse : c'étaient Marsir et Heligand, son frère, envoyés, par le roi de Babylonie, de Perse en Espagne, et qui n'étaient soumis qu'en apparence à Charlemagne. Ce prince leur signifia de se faire baptiser ou de lui payer tribut. Ils lui envoyèrent trente chevaux chargés d'or et d'argent et de produits espagnols ; quatre cents chevaux chargés de vin très doux pour la boisson des combattants ; enfin, mille femmes sarrasines d'une grande beauté. A Gamapéon, leur ambassadeur auprès de Charles, ils donnèrent trente chevaux chargés d'or, d'argent et d'étoffes, afin de s'attacher les soldats. C'est ce qu'il fit. L'ambassadeur apporta à Charles les présents, mais les soldats acceptèrent le vin et les femmes.  Le roi Marsir fit dire encore qu'il viendrait se faire baptiser. Charles alla à sa rencontre avec cinquante-cinq mille hommes; les païens vinrent de leur côté, et les chrétiens en tuèrent vingt mille ; mais les chrétiens perdirent trente mille hommes; en punition de leur ivrognerie et de leur fornication. Tous les guerriers y périrent, à l’exception de Roland et de cinq autres. Roland, qui avait été préservé, tua Marsir, et s'échappa après avoir reçu quatre coups de lance. Il coupa en deux un morceau de marbre, de trois coups de son épée qu'il voulut briser, quand il se vit sur le (520) point de périr, et dans l’intention que les païens ne s'en emparassent pas. Il brisa son cor en y soufflant, et il se rompit la gorge en appelant ses compagnons. En entendant le bruit du cor, Charles voulut venir, mais le traître dont il a été question l’en empêcha, en disante que Roland était à la chasse. Charles ignorait encore le massacre et la trahison des siens. Théoderic vint a la mort de Roland, et fut témoin de sa componction et de ses prières. Roland toucha sa chair par trois fois, en disant, : « Et dans ma chair, je verrai Dieu mon Sauveur. » Puis, en tournant ses yeux, il ajouta: « C'est lui que je dois voir moi-même; souvenez-vous de moi, Seigneur, car c'est pour votre gloire que je meurs en exil ; souvenez-vous de mes compagnons, qui ont été aussi tués pour vous. » Alors, faisant le signe de la croix, il dit : « Maintenant, je vais voir celui que l’œil de l’homme n'a point vu, etc. » Ainsi expira le très saint martyr Roland. Sans connaître que Roland était mort, moi, Turpin, j'ai célébré, le jour de son décès, la messe pour les défunts, en présence de Charles, le 16 des calendes de juillet, et, étant ravi en extase, j'entendis les choeurs célestes qui chantaient, et j'ignorais ce qui se passait; puis, je vis les démons qui . emportaient une proie. Je leur demandai : « Que portez-vous? » Ils répondirent : « C'est Marsile que nous portons aux enfers, comme Michel a porté Roland au ciel. » Après la messe, je dis cela à Charles. Je n'avais pas encore fini de parler, quand arriva Baudoin, monté sur le cheval de Roland, et disant qu'il avait laissé Roland à l’agonie. Tout  aussitôt, l’armée alla au lieu funèbre; mais, Charles, qui (521) arriva le premier, le trouva sans vie et les bras sur la poitrine, placés en forme de croix. Charles se jeta sur lui. Qui pourrait raconter sa douleur? Il le fit ensevelir avec du baume, de la myrrhe et de l’huile, et il passa la nuit auprès de lui avec l’armée. Roland avait trente-huit ans lorsqu'il mourut. Le lendemain, les soldats allèrent sur le champ de bataille, où l’un trouvait son compagnon mort, l’autre le sien vivant. On rencontra le cadavre d'Olivier cloué à la terre avec quatre lances, étendu avec les habits en désordre, entouré de liens des pieds à la tête, écorché par les flèches, et couvert de coups de lance et d'épée. Les clameurs de tous ceux qui pleurèrent leurs amis remplirent la forêt entière. Alors Charles jura par le Tout-puissant qu'il ne s'arrêterait que lorsqu'il aurait trouvé les ennemis. Il les rencontra qui prenaient leur repas du soir et en tua quatre mille. Le soleil s'arrêta immobile pendant l’espace de trois jours. Quand on eut trouvé le traître Gannelon, Charles le fit attacher à quatre, des plus forts chevaux de toute l’armée sur lesquels montèrent des cavaliers qui les dirigèrent vers les quatre points du globe. Il périt de la mort qu'il avait méritée, car il fut déchiré comme le traître Judas. On donna pour les âmes des défunts douze  mille onces d'argent et douze mille talents d'or, dés vêtements et des vivres. Roland fut enseveli dans une. église romaine et son épée fut suspendue à sa tête. Toute la terre qu'on parcourt dans l’intervalle de six jours, située autour de la place de Blaye, lieu de la sépulture de Roland, fut donnée par Charles à des chanoines réguliers qu'il y avait rétablis lui-même à (522) la condition que, chaque année, à l’anniversaire de saint Roland, ils donnassent à trente pauvres tous les vêtements nécessaires, et des vivres, de plus qu'ils réciteraient trente psautiers et autant de messes pour les âmes de ceux qui avaient péri : le reste devait leur servir pour vivre. Après quoi, Charles voulut honorer saint Denys : il donna toute la terre de France à son église et fit une Ordonnance par laquelle il soumettait tous les Francs présents et futurs, même les rois, au pasteur de cette église à laquelle chaque maison devait payer annuellement quatre deniers: Debout auprès du corps de saint Denys, il pria pour les âmes de ceux qui avaient péri en Espagne et pour ceux qui acquitteraient de bon coeur lesdits deniers. La nuit suivante, pendant que le roi était endormi, saint Denys lui apparut et lui dit, après l’avoir réveillé : « Ceux qui à ton exemple ont été tués ou le seront en Espagne, je leur ai obtenu le pardon de leurs péchés, comme aussi pour les quatre deniers, j'ai obtenu qu'ils soient guéris des blessures graves qu'ils recevraient. » Charles raconta cette vision à tout le monde. Ensuite il fit des oeuvres merveilleuses à Aix-la-Chapelle en l’honneur de la mère de Dieu, ce qui porta un grand nombre d'autres personnes a l’imiter. La mort de Charles me fut dans la suite révélée de la manière suivante : Un jour que j'étais en prière à Vienne, je fus ravi en extase en récitant le psaume : Deus in adjutorium, les, démons en foule se dirigeaient vers la Lorraine. Quand ils furent tous passés, j'en vis un qui ressemblait à un Ethiopien. et qui marchait plus lentement que les autres. « Où allez-vous? » lui dis-je : « A Aix, me répondit-il, (523) enlever l’âme de Charles. » Je repris : « Je t'adjure; par le Christ, de revenir me dire ce qui s'est passé. » Peu après les démons repassèrent d'ans le même ordre qu'auparavant, et  m’adressant à celui auquel j'avais parlé d'abord : « Qu'avez-vous fait? lui demandai-je. » Il répondit : « Un Galicien sans tête apporta tant de pierres et de bois d'églises dans la balance que ses bonnes oeuvres l’emportèrent sur les mauvaises, et voilà comment il nous prit son âme. » Ayant ainsi parlé, il s'évanouit, et j'ai appris que Charles était mort à cette heure. Quand nous nous sommes quittés, je lui fis promettre de  m’envoyer, s'il était possible, quelqu'un pour  m’informer de sa mort. Je lui avais donné de mon côté la même promesse. C'est pour cela qu'étant malade et à l’article de la mort, il  m’expédia un soldat de ses compagnons pour  m’annoncer sa fin. Ce qui eut lieu. Il mourut le 5 des calendes de février, l’an du Seigneur 814.

 

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