DÉDICACE V
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CINQUIÈME SERMON POUR LA DÉDICACE DE L'ÉGLISE. Des deux manières de se considérer.

1. Nous faisons aujourd'hui une fête solennelle, mes frères, ce n'est pas difficile à dire, mais si vous me pressez un peu, en me demandant quel saint nous fêtons, il n'en est plus de même. Quand nous faisons la fête de quelque saint, par exemple d'un apôtre, d'un martyr ou d'un confesseur, il n'est pas difficile de dire de quel saint c'est la mémoire; ce sera, par exemple, de saint Pierre, dit glorieux Étienne, -de notre saint père Benoît, ou de quelque mitre grand personnage de la cour céleste. Or, aujourd'hui ce n'est d'aucun d'eux que nous faisons la fête, et pourtant nous faisons une fête, non-seulement nous en faisons une, mais même nous en faisons une très-grande. Enfin, si vous vous voulez que je vous le dise, nous faisons la fête de la maison de Dieu, du temple de Dieu, de la cité du Roi éternel, de l'Épouse d u Christ. personne ne révoque en doute que l'Épouse du Saint des saints ne soit sainte, et digne de nos plus grandes solennitès. Mais en est-il qui doutent que la maison de Dieu soit sainte, en lisant ces mots : « La sainteté est l'ornement de votre maison (Psal. XCII, 5), » ou bien ceux-ci : « Votre temple est saint, il est admirable à cause de l'équité qui y règne (Psal. LXIV, 6) ? » Saint Jean ne nous dit-il pas « qu'il a vu la sainte cité, la nouvelle Jérusalem qui, venant de Dieu, descendait du ciel, parée comme une épouse qui se pare pour son époux (Apoc. XXI, 2) ? » Or, en rappelant ces paroles, il se trouve que j'ai dévoilé ce que je voulais d'abord vous tenir caché, je l'avoue. Je dis donc que l'Épouse, la cité, le temple, la maison de Dieu sont un. Faut-il s'en étonner quand on sait que c'est le même Dieu qui en est en même temps l’Époux, le Roi, le Dieu, et le Père de famille?

2. Toutefois, je crois que vous ne serez satisfaits que lorsque vous aurez vu, d'une manière évidente, que la maison de ce Père de famille, que ce temple de Dieu, que la cité de ce Roi sont la même chose que celle qui a mérité d'être appelée, et d'être, en effet, l'Épouse de ce si glorieux Époux. Mais je ne suis pas dans un petit embarras pour vous dire sur ce point tout ce que je pense, car j'ai peur, si je le fais, qu'il n’arrive à quelqu'un d'entre vous, ce qu'à Dieu ne plaise, ou d'entendre peu exactement ce que j'ai à vous dire, ou de ne le pas entendre avec assez d'humilité : je crains, en un mot, que vous ne sortiez de ce sermon enflés de la pensée de votre gloire, ou incrédules, à cause de la faiblesse de votre esprit. Or, je ne désire que de vous trouver toujours humbles et fidèles, puisqu'il est nécessaire que vous soyez l'un et l'autre pour être sauvés. En effet, il n'y a qu'aux humbles que Dieu donne la grâce, et il est impossible de lui plaire sans la foi. Je désire donc, et je souhaite de toutes les manières possibles, que vous ayez à cœur de vous montrer à lui en même temps grands et petits à la fois, ou plutôt, pour vous frapper encore plus d'admiration, de vous montrer un néant et quelque chose, et même quelque chose de grand; car sans une âme grande, vous ne sauriez atteindre à ces grands biens, ou faire violence au royaume des cieux, pas plus que vous ne pouvez entrer dans ce même royaume, si vous ne devenez semblables à de petits enfants. Je ne suis pas un homme d'un sens profond, et je né saurais discourir devant vous sur ce que je n'ai point goûté. Pourtant je vous dirai ce que parfois je sens se passer en moi, afin que ceux qui le jugent bon puissent m'imiter. Or, j'ai appris, il y a longtemps, à avoir pitié de mon. âme pour plaire à Dieu (Eccli. XXX, 14), c'est ce à quoi je pense bien souvent. Plût à Dieu qu'il me fût une fois et toujours permis de le faire. Il fut un temps où il ne se passait rien de semblable, dans mon âme, c'est quand je ne l'aimais que bien peu, si tarit est que je l'aimasse même un peu, et non pas du tout. En effet, peut-on dire qu'on aime quelqu'un dont on veut la mort? Mais, sil est vrai, comme ce l'est en effet, en sorte qu'on ne puisse en douter, que l'iniquité est la mort de l'âme, il s'en suit évidemment que cette proposition, « Quiconque aime l'iniquité hait son âme (Psal. X, 6), » est indubitable. Je la haïssais donc, et je la haïrais encore si celui qui l'a aimée le premier ne m'avait appris à l'aimer un peu.

3. Lors donc qu'il m'arrive parfois de songer à son intérêt, il rire semble, je l'avoue, que je trouve en elle comme deux choses contraires. En effet, si je la considère telle qu'elle est en elle-même, et par elle-même, selon les lumières de la vérité, je ne puis avoir d'elle, de sentiment plus exact, que de la trouver réduite à néant. Qu'est-il besoin de passer toutes ses misères en revue, de combien dé péchés elle est chargée, de quelles ténèbres ses yeux sont offusqués, de quels filets elle est enlacée, de quelles ardeurs de concupiscence elle est consumée, à quelles passions elle est portée, de quelles illusions elle est pleine, combien elle penche au mal, et incline à toutes sortes de vices, combien en un mot elle est pleine de toute espèce de honte et d'ignominie ? Après tout, si toutes nos justices, considérées à la lumière de la' vérité, sont aussi souillées que le linge d'une femme à son époque, que sera-ce donc de nos justices? Si la lumière qui est en nous n'est que ténèbres, que sera-ce de nos ténèbres? Il est bien facile à chacun de nous, pour qu'il s'examine à fond et sans feinte, et qu'il juge tout sans acception de personne, de confirmer le témoignage de l'Apôtre en toute, chose et de proclamer hautement avec lui que « celui qui s'estime quelque chose se trompe lui-même, parce que, en effet, il n'est rien (Gal. VI, 3). Qu'est-ce que l'homme, pour mériter qu'on le regarde comme quelque; chose de grand, (Job. VII, 17), et pourquoi daignez-vous pencher voire cœur vers lui, » dit encore un saint et fidèle confesseur ? Et quoi, sans doute l'homme est devenu semblable à la vanité même, il a été réduit au néant. Mais comment celui que Dieu regarde comme quelque chose de grand, peut-il n'être qu'un néant? Comment n'est-ce rien, qu'un être vers lequel le cœur de Dieu se penche?

4. Respirons un peu, rues frères, car si nous ne sommes rien dans notre propre cœur, peut-être sommes-nous quelque chose au fond, du cœur de Dieu. O père des miséricordes, ô père des malheureux 1 Pourquoi donc votre cœur s'incline-t-il vers eux? Je le sais, je le sais, là où est votre trésor, là aussi est votre cœur. Comment donc serions-nous mi pur néant, si nous sommes un trésor pour vous? Toutes les nations sont comme si elles n'étaient pas devant vos yeux, et ne seront pas plus réputées que le vide et le néant; si ce n'est pas autre chose devant vous, il n'en est point ainsi au fond de votre cœur; s'il en est ainsi au jugement de votre vérité, il n'en est pas de même au sentiment de votre bonté. Vous appelez les Choses qui né sont, pas comme celles qui sont, elles ne, sont donc point puisque vous appelez celles qui ne sont point, et elle sont puisque vous les appelez ; si elles ne sont point quant à elles, elles sont cependant par rapport à vous, selon le mot de l'Apôtre, « ce n'est pas à cause de leurs œuvres, mais à cause de l'appel et du choix de Dieu (Rom. IX, 12). » Voilà, oui, voilà comment vous consolez, dans votre bonté, celui que vous humiliez dans voire vérité, comment peut se dilater, dans vos entrailles, celui qui se sent justement à l'étroit dans les siennes; car toutes vos voies sont miséricorde et vérité polir ceux qui cherchent votre alliance et vos préceptes (Psal. XXIV, 10), qui ne sont qu'alliance de bonté et préceptes de vérité.

5. Eh bien, ô homme, lis dans ton cœur; lis au dedans de toi-même les témoignages de là vérité; encore à l'éclat de cette lumière, tu reconnaîtras toit indignité. Lis dans le cœur de Dieu le testament qu'il a scellé dans le sang du médiateur, et tu verras quelle différence il y a entre ce que tu possèdes par l'espérance, et ce que tu possèdes en effet. « Qu'est-ce que l'homme, dit Job, pour que vous le regardiez comme quelque chose de grand (Job. vit, 17) ? » il est grand, mais ce n'est que dans le Seigneur ; car il n'est grand que par lui. Et comment ne serait-il pas grand en lui quand nous voyons qu'il est pour lui l'objet de tant de soins ? « Car il a soin de nous (Petr. V, 7), » dit l'apôtre saint Pierre, et le Prophète ajoute : « Pour moi, je suis pauvre et dans l'indigence, mais le Seigneur prend soin de moi (Psal. XXXIX, 16). » Voilà, vraiment, un beau rapprochement des deux considérations dont l'une monte pendant que l'autre descend et au même moment; car en même temps que le prophète se voit pauvre et mendiant, il voit Dieu même inquiet pour lui : il y a quelque chose de l'ange dans le fait de monter et de descendre ainsi en même temps. Il est dit en effet: « Vous verrez les anges monter et descendre sur le Fils de l'homme (Joan I, 50). » Il n'y a point de pareilles vicissitudes dans leurs ascensions et dans leurs descentes. Ou voit qu'ils sont envoyés accomplir leur ministère pour ceux qui recueillent l'héritage du salut, et qu'ils se tiennent, en même temps, debout devant la majesté divine; Dieu pourvoyant à la fois, dans sa miséricorde, au moyen de nous consoler sans les exposer en même temps à la tribulation. Autrement comment pourraient-ils souffrir avec une parfaite égalité d'âme de se voir privés, même pendant quelques courts instants, à cause de nous, de la vue du visage de gloire qu'ils brûlent, de contempler à jamais ? D'ailleurs, écoutez le langage de la Vérité même dans son évangile : « Leurs anges, dit-il, » c'est-à-dire les anges des petits enfants « voient constamment la face de mon Père dans les cieux (Matt. XVIII, 10); » d'où il suit que, s’ils sont chargés de la garde de ces enfants, ils ne sont point pour cela privés de leur propre bonheur. C'est ce qui faisait dire à saint Jean qu'il avait vu la cité de Jérusalem descendre, il ne pouvait la voir constamment au même endroit. Remarquez bien qu'il a dit «descendre (Apoc. XXI, 2), » non pas tomber. Il en tomba bien une partie considérable un jour, mais cette portion était loin d'être sainte, elle avait fait une chute immense, puisqu'elle devint ennemie de toute sainteté.

6. Mais saint Jean n'a pas pu voir celle chute et cette ruine terrible, attendu qu'il n'existait pas encore ; mais le Verbe qui était au commencement l'a vue, oui il l'a vue celui qui est le Principe et qui disait aux apôtres: « J'ai vu satan tomber du ciel comme la foudre (Luc. X, 18).» Cette partie de la cité sainte qui s'est écroulée doit être réparée par Dieu, et ce sera fait quand il relèvera les ruines et reconstruira les murs de Jérusalem, mais sans se servir des matériaux qui se sont éboulés une première fois. Mais celle que le Prophète a vite descendre était déjà préparée, comme il le dit deux mots après : « Préparée de Dieu (Apoc. XXI, 2). » En effet, si les anges descendent et ne tombent pas, c'est un ciel d'une préparation divine, c'est Dieu qui a préparé leur volonté et leur faculté. Aussi, l'Apôtre ne dit-il pas seulement que ce sont des esprits chargés d'un ministère, mais des esprits envoyés pour remplir un monastère (Hebr. I, 14). Pourquoi n'enverrait-il point les anges en faveur de ceux pour qui il a bien voulu être envoyé lui-même par son Père ! Qu'est-ce qui empêche qu'il abaisse les cieux en faveur de ceux pour qui, lui, le Roi des cieux, s'est abaissé lui-même et abaissé si bas qu il a pu écrire de son doigt sur la terre ? Seigneur, abaissez vos cieux, ce n’est pas assez, descendez. Pourquoi cela? Afin de faire remonter avec lui ceux au milieu de qui il est descendu. D'ailleurs, comme je l'ai déjà dit, l'ascension et la descente des anges ne sont le fait d'aucun changement de place; pour nous, au contraire, il faut que nous soyons ici ou là, car nous ne saurions nous maintenir constamment en haut, ni rester, sans inconvénient, trop longtemps en bas. «Ils montent, dit le Psalmiste, jusques au ciel, et descendent jusques aux abîmes, et leur âme tombe en défaillance à la vite de ses maux (Psal. CVI, 26).» D'où vient cela ? Sans doute de ce que leur âme défaille plus dans ses maux qu'elle ne trouve de bonheur dans ses biens, attendu que ceux-là sont actuels, taudis que ceux-ci ne subsistent encore qu'en espérance. « Qui peut être sauvé ? » disent les disciples au Sauveur; et lui leur répond : « Cela est impossible aux hommes, mais ne l'est point à Dieu (Matt. XIX, 25). » Là est tout notre espoir, là notre unique consolation, là toute la raison de toutes nos espérances.

7. Ainsi, nous sommes assurés que la chose est possible, que faisons-nous de la volonté? Qui sait s'il est digne de haine ou d'amour ? Qui,. connaît les desseins de Dieu, ou qui est entré dans le secret de ses conseils (Rom. XI, 34) ? Il faut ici que la foi nous vienne en aide, et la vérité à notre secours, afin que les sentiments du Père à notre égard, qui sont cachés dans son cœur, nous soient révélés par son Saint-Esprit, et que cet Esprit nous rende témoignage, et convainque le nôtre que nous sommes enfants de Dieu. Or, il nous en donnera la conviction en nous appelant et en nous justifiant gratuitement par la foi ; là se trouve, en effet, comme un chemin qui nous conduit de la prédestination éternelle, à la gloire future. C'est ce qui me fait croire qu'on peut fort bien appeler la première des deux considérations, la considération du jugement et de la vérité, et la seconde celle de la foi et de la piété. Il ne faut pas s'étonner de trouver des qualités si dissemblables dans les hommes, quand on voit quelle diversité de natures ou remarque dans sa substance. En effet, quoi de plus élevé que l'esprit, et quoi de plus bas que le limon de la terre? L'union dans l'homme, de choses si disparates, n'a point échappé, je pense, aux sages mêmes du monde, quand ils ont défini l'homme un animal raisonnable et mortel. C'est une alliance, en effet, bien surprenante que celle de la raison et de la mort, une société bien étrange que celle de l'être simple et de l'être corruptible. On retrouve dans nos usages et dans nos mœurs, dans les sentiments ou dans les goûts de l'homme, une opposition aussi. grande sinon plus prononcée encore ; si bien que lorsqu'on considère ce qu'il y a de mauvais en lui, abstraction faite du reste, et qu'on reporte ensuite sa vue surtout ce qui s'y trouve de bien, il semble n’être tout entier qu'un miracle, le miracle du rapprochement d'éléments si opposés. Voilà pourquoi on peut l'appeler tour à tour Bar-Jona (fils de Jean), et Satan (Matt. XVI, 23). Il ne faut pas vous en étonner. Rappelez-vous, en effet, à qui, dans l’Évangile, sont appliquées ces deux appellations que vous trouverez justes, puisque elles émanent l'une et l'autre de la vérité. « Vous êtes bienheureux Simon, Bar-Jona (fils de Jean), net un peu plus loin « Retirez-vous de moi, Satan. » Il était donc l'un et l'autre, bien qu'il ne le fût point par l'effet d'on même principe. Il est l'un par la vertu du Père, il est l'autre parle fait de l'homme, et il est l'un et l'autre en même temps. Pourquoi est-il appelé Bar-Jona? C'est parce que ce n'est ni la chair, ni le sang, mais le Père qui lui a révélé ce qu'il a dit : Pourquoi est-il appelé Satan ?. C'est parce qu'il goûte les choses des hommes non celles de Dieu. Maintenant, si nous cherchons à voir dans cette double considération ce due nous sommes, eu plutôt si nous remarquions ans l'une combien nous ne sommes rien, et dans l'autre combien nous sommes grands, puisqu'une si grande majesté a souci de nous, et incliné son cœur vers nous, je pense que nous nous glorifierons avec une sorte de mesure, ou plutôt sans mesure quoique solidement; parce que nous ne le ferons que dans le Seigneur, non point en nous qui pouvons du moins respirer un peu à la pensée que s'il a résolu de nous sauver, nous serons indubitablement sauvés.

8. A présent, restons un peu dans cette sorte de belvédère, voyons quelle est la maison de Dieu, cherchons son temple et sa cité, voyons aussi quelle est son épouse. Je ne l'ai point oublié, et je le redis encore avec crainte, en même temps qu'avec respect, c'est nous, oui, c'est nous, vous dis-je qui sommes tout cela, mais dans le cœur de Dieu, c'est nous, mais par la grâce de Dieu, non par nos propres mérites. Que l'homme ne revendique point comme de lui ce qui vient de Dieu, et qu'il ne cède point à la pensée de s'exalter lui-même, autrement Dieu, le mettant à sa place, fera ce qu'il aurait dû faire lui-même, et humiliera celui qui ne songe qu'à s'élever. Si dans une ardeur toute puérile nous voulons nous sauver gratis, nous ne nous sauverons point, et ce sera justice : quand on dissimule sa misère, on ferme la porte à la miséricorde, et la grâce n'a plus de place là ou on présume de ses propres mérites, tandis que l'humble aveu de nos souffrances provoque la compassion. Il a pour résultat de nous faire nourrir dans notre faim, par Dieu même, comme par un riche père de famille , et trouver, sous lui , dans une grande abondance de pain. C'est donc nous qui sommes sa maison, cette maison à laquelle les provisions de vie ne manquent jamais. Mais rappelez-vous qu'il appelle sa maison une maison de prière; or cela semble parfaitement répondre au témoignage du Prophète qui nous annonce que nous serons nourris de Dieu dans nos prières, avec un pain de larmes, et abreuvés de nos pleurs (Psal. LXXIX, 6). De plus, selon le même Prophète, comme je l'ai déjà dit, la sainteté convient à cette demeure (Psal. XCII, 4), c'est-à-dire que la pureté de la continence doit accompagner les larmes de la pénitence, pour que ce qui déjà est la maison de Dieu devienne ensuite sou temple. « Soyez saint, est-il dit, parce que moi qui suis le Seigneur votre Dieu, je suis saint (Levit. XI, 44). » Et l'Apôtre continue : « Ne savez-vous pas que vos corps sont les temples du Saint-Esprit, et que le Saint-Esprit réside en vous (I Cor. VI, 19), or, si quelqu'un profane le temple de Dieu, Dieu le perdra ( I Cor. III, 17). »

9. Nous contenterons-nous de la sainteté? La paix encore est requise, si nous en croyons l'Apôtre qui nous dit : « Tâchez d'avoir la paix avec tout le monde, et de conserver la sainteté sans laquelle nul ne verra Dieu ( Hebr. XII, 14). » C'est elle, en effet, qui fait que les hommes vivent ensemble comme des frères, car c'est elle qui édifie pour notre Roi, le vrai Roi pacifique, la nouvelle citée qui a nom Jérusalem, c'est-à-dire la vision de Dieu. En effet, partout où se trouve réunie sans alliance de paix, saris aucun lien de loi, sans discipline et sans gouvernement, une multitude privée de chef, ou n'a pas un peuple mais une simple foule; ce n'est pas une cité mais un amas confus de gens; c'est une Babylone, ce n'est rien qui ressemble à Jérusalem. Mais comment semble-t-il qu'il peut se faire qu'un si grand Roi se change en un époux et une si grande cité en épouse ? Cela n'est possible qu'à celle à qui rien n'est impossible, à la, charité, qui est forte comme la mort. En effet, comment pourra-t-elle éprouver de la peine à faire monter l'une, quand elle a pu incliner l'autre? Mais ici il n'y a pas lieu à interroger la considération de nous-mêmes dont j'ai parlé d'abord, ce qu'il faut avant tout, c'est surtout la magnanimité de la foi. Enfin il dit lui-même : « Je vous ai rendue mon épouse dans la foi, dans la justice et le jugement, » dans sa justice à lui, comprenez bien, non point dans la vôtre, et je vous ai épousée dans ma miséricorde et dans nia compassion (Osée II, 19). » S'il n'a pas fait ce que fait un époux, s'il n'a point aimé comme aime un époux, s'il n'a pas eu la jalousie qu'a un époux, ne vous flattez point d'être son épouse.

10. Ainsi, mes frères, si nous pouvons nous reconnaître pour la maison du Père de famille, parce que nous avons des pains en abondance; si nous sommes le temple de Dieu par la sanctification, la cité du souverain Roi par la communion de la vie en commun, si nous sommes l'épouse de l'Époux immortel par l'amour, il me semble que je ne dois pas craindre d'appeler cette solennité notre fête. Ne soyez pas surpris non plus que cette fête se passe sur la terre, attendu qu'elle se célèbre aussi dans les cieux. En effet, s'il est vrai, or c'est la Vérité même qui l'affirme, et ce ne peut donc point ne pas être vrai, qu'il y a de la joie dans les cieux et même parmi les anges de Dieu, pour un seul pécheur qui fait pénitence, on rue saurait douter qu'aujourd'hui il y ait une joie immense pour tant de pêcheurs qui font pénitence: Mais voulez-vous que je vous dise encore? Eh bien ! « La joie du Seigneur est notre force ( II Esdr. VIII, 10). » Réjouissons-nous donc avec les anges de Dieu, réjouissons-nous avec Dieu, et que la fête d'aujourd'hui se passe en actions de grâces, attendu que plus elle nous est personnelle, plus aussi elle doit nous trouver remplis de dévotion.

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