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| QUATRIÈME SERMON POUR L'ASSOMPTION DE LA SAINTE VIERGE MARIE. Les quatre jours de l'ensevelissement de Lazare, et louange de la Vierge. 1. C'est le moment de s'adresser à toute chair quand la Mère du Verbe incarné est enlevée dans les cieux, et la mortelle humanité ne doit point cesser de faire entendre ses louanges le jour oit la seule nature humaine se trouve élevée dans la Vierge au dessus des esprits immortels. Mais si la dévotion ne nous permet pas de garder le silence aujourd'hui sur elle, notre intelligence paresseuse ne peut concevoir, et notre langue inhabile ne peut exprimer rien qui soit digne d'elle. Voilà pourquoi les princes eux-mêmes de la cour céleste, à la vue d'une chose si nouvelle, s'écriaient tout pleins d'admiration : « Quelle est celle qui monte ainsi du désert, pleine de délices (Cant. VIII, 5) ? » C'est comme s'il disaient en termes plus clairs : «Comme elle est grande, et d'où lui vient, puisqu'elle sélève du désert, une telle affluence de délices ? On n'en trouve pas de semblables, même parmi nous, dont le cours impétueux du fleuve réjouit la vue dans la cité de Dieu, et qui, sous ses yeux, buvons à longs traits,dans un torrent de délices. Quelle est cette femme qui vient de dessous le soleil, de là où il n'y a que labeur, douleur, affliction desprit, et qui monte, comblée de délices spirituelles ? Pourquoi ne dirais-je point que ces délices, ce sont la gloire de la virginité, avec le don de la fécondité, la marque insigne de lhumilité, le doux rayon de miel de la charité, les entrailles de la miséricorde, la plénitude de 1a grâce, et le privilégie d'une gloire unique? Aussi, en s'élevant de ce désert, la Reine du monde, comme l'Église le dit dans ses chants, « est devenue belle et douce à voir dans ses délices, »même aux yeux des autres. Qu'ils cessent pourtant d'admirer les délices de ce désert; car le Seigneur a répandu sa bénédiction, et notre terre a porté son fruit (Psal. LXXXIV, 13). Qu'ont-ils à admirer marie quand elle s'élève du désert de cette terre comblée de délices ? Ils ont bien plus de quoi admirer dans le Christ devenu pauvre, quand il était riche de la plénitude du royaume du ciel, car il me semble bien plus étonnant de voir le fils de Dieu descendre au-dessous même des anges que Marie s'élever au dessus d'eux. Son dénuement a fait notre richesse, et ses misères ont fait les délices du monde. (II Cor. VIII, 9). Enfin, quand il était riche, il s'est fait pauvre pour nous, afin de nous enrichir par sa propre pauvreté. Il n est pas jusqu'aux ignominies de sa croix qui ne soient devenues un sujet de gloire pour les fidèles. 2. Mais de plus, celui qui est notre vie court au moment funèbre e pour en tirer celui qui y dormait déjà de puis quatre jours, ce Lazare qui doit faire le sujet de mon sermon aujourd'hui, si votre charité ne l'a point oublié, mais s'il cherche Lazare, c'est pour être lui-même cherché et trouvé par Lazare. Car la charité consiste précisément, non pas en ce que nous avons aimé Pieu, mais en ce qu'il nous a aimés le premier. Courage donc, Seigneur, cherchez celui que vous aimez pour nous faire aimer et chercher de lui à votre tour. Demandez où on l'a posé, car il gît enfermé, chargé de liens, écrasé. Il gît dans la prison de sa conscience, il est chargé des liens de la discipline, et il est recouvert, écrasé par le fardeau de la pénitence comme par une lourde pierre qui serait placée au dessus de lui, d'autant plus qu'il est privé de la charité qui est forte comme la mort, de la charité, dis-je, qui supporte tout. Et là, Seigneur, au milieu de tout cela, déjà il sent mauvais, car il y a quatre jours qu'il est en cet état. Il me semble que votre esprit me devance pour découvrir ce que je veux vous faire entendre par Lazare; eh bien ! c'est celui qui, venant de mourir au péché, se perce la muraille (Ezech. VIII, 8), pour voir d'innombrables abominations, les abominations exécrables de son cœur mauvais et impénétrable; or, suivant un mitre apôtre, il est. entré dans la pierre, et il s'est caché dans une fosse creusée dans le sol, pour se soustraire à l'indignation et à la fureur du Seigneur (Jerem. XXVI, 38). 3. Mais, que faut-il entendre par ces mots. « Seigneur, il sent déjà mauvais, car il y a quatre jours qu'il est mort? » Peut-être n'allez-vous point trouver de suite ce que signifient cette mauvaise odeur et ces quatre jours. Il me semble que le premier jour est celui de la crainte, le jour où le mal du péché s'irradiant dans nos curs, nous donne la mort, ce jour-là, nous sommes comme ensevelis dans le sépulcre de nos propres consciences. Le second jour, si je ne me trompe, est celui de la lutte, car il arrive ordinairement que, dans les premiers temps de notre conversion, la tentation des mauvaises habitudes se fait plus vivement sentir, et les traits enflammés du diable ne peuvent être éteints qu'avec peine. Le troisième jour me paraît être celui de la douleur, alors que le pécheur repasse ses années dans l'amertume de son âme, et n'a pas moins de peine à se détourner des périls futurs que de chagrin pour gémir sur les maux passés. Vous vous étonnez que ce soit là ce que j'entends par les quatre jours, mais ce sont les jours de la sépulture, des jours de ténèbres et d'obscurité, des jours de deuil et d'amertume. Vient après cela le jour de la honte, qui ne diffère point des trois autres; c'est celui où l'âme est enveloppée d'une horrible confusion, quand la malheureuse considère le nombre et la grandeur de ses fautes, et que, des yeux du cur, elle envisage les sombres images de ses péchés. Dans cet état, l'âme ne dissimule rien, mais juge tout, mais aggrave, mais exagère tout, c'est un juge sévère qui ne s'épargne point. Après tout, ce courroux est bon, cette sévérité cruelle est digne de pitié, elle se concilie aisément la grâce de Dieu, en prenant en main, contre elle-même, les intérêts de sa justice. Mais en attendant, ô Lazare, maintenant, sors de ton sépulcre, ne demeure point davantage dans une si mauvaise odeur. Une chair qui sent mauvais n'est pas loin de se corrompre, et celui qui est trop vivement confondu et brisé 'est bien prés du désespoir ; aussi, ô Lazare, sors de ton tombeau. L'abîme appelle l'abîme, un abîme de lumière et de miséricorde appelle un abîme de ténèbres et de misère. Sa bonté l'emporte sur ta propre iniquité, et là où le péché abonde, il fait surabonder la grâce. « Lazare, dit-il, venez dehors. » C'est comme s'il avait dit en propres termes : « Jusques à quand les ténèbres de votre conscience vous retiendront-elles ? Jusques à quand, sur votre couche, votre cœur se sentira-t-il percé de compassion? Venez dehors, avancez, respirez à la lumière de mes miséricordes. Voilà, en effet ce que vous avez lu dans un Prophète : « Je vous retiendrai comme par le frein de ma gloire, pour que vous ne périssiez point (Isa. XLVIII, 9). » Un autre Prophète avait dit plus clairement encore : « Mon âme a été toute troublée en moi-même, c'est pourquoi je me souviendrai de vous (Psal. XLI, 7). » 4. Mais que veulent dire ensuite ces paroles : « Enlevez la pierre, » et peu après : « déliez-le ? » Est-ce que, après la visite de la grâce qui console l'âme, le pécheur cessera de faire pénitence parce que le royaume de Dieu s'est approché, ou repoussera-t-il la discipline, si par hasard le Seigneur entre en courroux, et s'éloignera-t-il de la voie de la justice ? Non, non. Qu'on ôte la pierre, mais que la pénitence continue, non plus pour le charger et l'accabler de son poids, mais pour fortifier et affermir de plus en plus l'âme revenue à la vie, et déjà même assez robuste. Maintenant, en effet, sa nourriture est de faire la volonté du Seigneur, ce qu'elle ne savait point auparavant. Voilà aussi comment la discipline n'étouffe point sa liberté, selon ce mot. du Prophète : « La loi n'est point pour les justes (I Tim. 1, 9) ; » mais elle dirige sa volonté, et la maintient dans les sentiers de la paix. Sur la résurrection de Lazare, nous avons un mot plus clair encore du Prophète, le voici : « Vous ne laisserez point mon âme dans l'enfer (Psal. XV, 10), » attendu que, comme je me souviens de vous l'avoir dit le second jour de cette octave, une conscience coupable est comme une prison, comme un enfer pour l'âme. « Et vous ne permettrez pas que votre saint, non pas le sien, mais le vôtre, celui que vous sanctifiez vous-même, « souffre la corruption (ibidem). » Or, le mort de quatre jours, qui déjà sentait mauvais, était bien près de la corruption. Oui, il s'en fallait de peu que le pécheur ne tombât tout à fait en pourriture, et que, arrivé au fond même de l'abîme, il ne méprisât tout (Prov. XVIII, 2) ; mais, prévenu par la voix de la vertu et vivifié par elle, il rend grâce en s'écriant : « Vous m'avez fait connaître les voies de la vie, et vous me comblerez de joie par la vue de votre visage (Ibidem 11). » En effet, vous avez appelé mon âme du fond de l'enfer, et l'en avez tirée pour vous contempler, alors que mon esprit se contemplait avec angoisse , et n'avait sous les yeux que la face abominable de sa propre conscience. « Il s'écria donc, dit l'Évangile, d'une voix forte: Lazare, venez dehors. » Oui, ce fut une voix bien forte, mais ce qui en faisait la force et la grandeur, c'était bien moins l'éclat de ses sons que ses accents de bonté et sa vertu. 5. Mais où en suis-je venu ? N'avais-je pas commencé par suivre la Vierge au moment où elle s'élevait dans les cieux ? Et voici que je descends avec Lazare au fond de l'abîme; le cours de ma pensée m'a emporté de toute la splendeur de la vertu par une pente rapide à l'odeur d'un mort de quatre jours. Pourquoi cela ? n'est-ce point parce que j'ai cédé à mon propre poids, parce que la matière m'attirait en bas , d'autant plus énergiquement qu'elle me touche de plus près? J'avoue mon inhabileté, je ne fais point mystère de ma propre faiblesse. Il n'est rien qui me plaise plus, mais en même temps, il n'est point de sujet non plus qui m'inspire plus de crainte à traiter que la gloire de là Vierge Marie. Car, sans parler de l'ineffable privilège de ses mérites et de sa prérogative unique, tout le monde a pour elle, comme il est juste, les sentiments de dévotion et d'amour les plus grands, l'honore et l'exalte à l'envi ; chacun est heureux de parler d'elle, mais quoi qu'on dise sur ce sujet ineffable, par le fait même qu'on a pu le dire, plaît moins, est moins agréable aux auditeurs, et reçoit un moins favorable accueil. Et pourquoi ce que l'esprit de l'homme peut comprendre à cette gloire incompréhensible ne semblerait-il pas trop peu de chose ? Si j'entreprends de louer en elle la virginité, à l'instant se présentent à moi une multitude de vierges. Si je parle de son humilité, il s'en trouve également au moins quelques-uns qui, à l'école de son Fils, ont appris à être doux et humbles de cœur (Matt. XI, 29). Si c'est la grandeur de sa miséricorde que j'entreprends d'exalter , il s'offre à la pensée aussitôt quelques hommes, et même des femmes remplis de sentiments miséricordieux. Il n'y a qu'une seule chose où elle est sans modèle et sans imitateurs, c'est l'union des joies de la maternité avec la gloire de la virginité. Marie, est-il dit, a choisi la meilleure part. Nul doute, en effet, que ce ne soit la meilleure, car si la fécondité du mariage est bonne, la chasteté des vierges est meilleure, mais ce qui surpasse l'une et l'autre, c'est la fécondité unie à la virginité, ou la virginité unie à la fécondité. Or, cette union est le privilège de Marie, nulle autre femme ne le partage avec elle, il ne lui sera point ôté pour être attribué à une autre. Il lui est propre, il est en même temps ineffable, si nul ne peut l'obtenir, nul ne peut non plus en parler comme il faut. Mais que sera-ce de ce privilège, si on songe au Fils qu'elle a eu? Quelle langue, fût-ce la langue même des anges, pourra célébrer dignement les louanges de la Vierge Mère, et mère non d'un homme quelconque, mais de Dieu même? C'est une double nouveauté, une double prérogative; c'est un double miracle, mais non moins digne que parfaitement convenable, car de même qu'il ne convenait point qu'une Vierge eût un autre Fils, de même un Dieu ne pouvait naître d'une autre mère. 6. Mais pour peu qu'on y fasse attention, on trouvera qu'il y a plus encore, et on verra que les vertus que Marie semblait d'abord partager avec les autres femmes lui conviennent à elle plus particulièrement qu'aux autres. En effet, quelle autre vierge pour sa pureté osera se comparer à celle qui a été digne de devenir le sanctuaire du Saint-Esprit, et la demeure du Fils de Dieu ? Si on estime les choses à leur rareté; la première femme qui résolut de mener la vie des anges sur la terre n'est-elle point au dessus de toutes les autres ? « Comment cela se fera-t-il, dit-elle ? car je ne connais point d'homme (Luc. I, 34). » Quel inébranlable dessein de garder la virginité, que celui que n'a point ébranlé la voix d'un ange lui promettant un Fils! » «Comment cela se fera-t-il, dit-elle? » Ce ne peut être de la manière que les choses se passent ordinairement pour les autres femmes, car, pour moi, je ne connais point d'homme, je ne désire point de fils et n'espère point d'enfant. 7. Mais aussi, quelle grande et précieuse humilité, avec une pareille pureté, avec une telle innocence, avec une conscience si bien exempte de tout péché, disons plus encore, avec une telle plénitude de grâce ! O femme bienheureuse, d'où vous vient cette humilité, et une telle humilité? Elle était bien faite pour attirer les, regards du Seigneur, sa beauté était bien propre à exciter lés désirs du Roi des rois, et la suave, odeur qu'elle exhalait était bien capable d'arracher le fils de Dieu du sein éternel de son père. Aussi, quel rapport manifeste entre le cantique de notre Vierge et le chant nuptial de celle dont le sein devint le lit de son époux ! Entendez Marie s'écrier dans l'Évangile : « il a regardé lhumilité de sa servante (Ibid. 48), » et puis, écoutez-la encore dans son épithalame : « Pendant que le roi se reposait dans mon sein, le nard, dont j'étais parfumée, a répandu son, odeur (Cant. I, 11)». Or, le nard est une toute petite plante qui a la propriété de purger l'estomac, ce qui montre bien qu'elle est ici l'emblème de l'humilité, dont l'odeur et la beauté ont trouvé grâce devant Dieu. 8. Qu'il ne soit point parlé de votre miséricorde, ô Vierge bienheureuse , s'il se trouve un seul homme qui se rappelle vous avoir, invoquée en vain dans ses besoins. Pour ce qui est de toutes vos autres, vertus, ô vous dont nous sommes les humbles serviteurs, nous vous en félicitons pour vous-même, mais pour, ce qui est de celle-ci , c'est nous que nous en félicitons. Nous avons des louanges à donner à votre, virginité, et nous tâchons d'imiter votre humilité; mais ce qui charmait tout particulièrement des malheureux comme nous, c'est la miséricorde; ce que nous embrassons plus étroitement, ce que nous invoquons le plus souvent, est la miséricorde. C'est elle, en effet, qui a obtenu la réparation de l'univers entier, et le salut de tous les hommes, car on ne peut douter qu'elle n'ait songé avec sollicitude, à tout le genre humain à la fois, la femme à qui il fut dit : « Ne craignez ô Marie; vous avez trouvé la grâce (Luc. I, 39), » que vous cherchiez sans doute. Qui donc, ô femme bénie, pourra mesurer la longueur, et la largeur, la sublimité et la profondeur, de votre miséricorde? Sa longueur, elle secourt jusqu'à son dernier jour celui qui l'invoque. Sa largeur, elle remplit si bien la terre entière, qu'on peut dire de vous aussi que la terre est pleine de votre miséricorde. Quant a sa sublimité et à sa profondeur, elle s'élevé, d'un côté, à la restauration de la cité céleste, et de l'autre, elle apporte la rédemption à tous ceux qui sont assis dans les ténèbres, à l'ombre de la mort. En effet, c'est pour vous, ô Vierge que le ciel s'est rempli, et que l'enfer s'est vidé, que les brèches de la céleste Jérusalem se sont relevées, et que la vie a été rendue aux malheureux hommes qui l'avaient perdue et qui l'attendaient. Voilà comment votre toute puissante et toute bonne charité abonde, en sentiments de compassion, et en désirs de venir à notre secours, aussi riche en compassion qu'en assistance. 9. Aussi, que notre âme, dévorée des ardeurs de la soif, vole à cette fontaine, que notre misère recoure avec sollicitude à ce comble de miséricorde. Tels sont les vœux dont nous vous accompagnons autant que nous le pouvons, à votre retour vers votre fils, et dont nous grossissons de loin votre cortège, ô Vierge bénie. Que désormais votre bonté ait à cur de faire connaître au monde la grâce que vous avez trouvée devant Dieu, en obtenant, par vos prières, le pardon pour les pécheurs, la guérison pour les malades, la force pour les cœurs faibles, la consolation pour les affligés, du secours pour ceux qui sont en péril, et la délivrance pour les saints. Que, dans ce jour de fête et de joie, ô Marie, reine de clémence, vos petits serviteurs qui invoqueront votre très-doux nom, obtiennent les dons de la grâce de Jésus-Christ votre fils, Notre-Seigneur qui est le Dieu béni par dessus tout, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. |