PSAUME LXIX
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DISCOURS SUR. LE PSAUME LXIX.

SERMON POUR UNE FÊTE DE MARTYRS.

LE CHANT DES MARTYRS.

 

Les martyrs ont dû souffrir dans leur corps et dans leur foi; et ceux qui font partie de l’Eglise ou du corps de Jésus-Christ doivent souffrir de quelque façon. Le démon, qui était lion quand il persécutait, est aujourd’hui serpent et nous persécute par les scandales, surtout de la part des chrétiens. Il est enchaîné dans le coeur des impies, il sévit par le scandale. Tous donc doivent subir l’épreuve, tous ont besoin du secours de Dieu. Honte à ceux qui recherchent la vie du Christ pour l’opprimer, qui nourrissent la haine contre lui. Que tous marchent docilement à sa suite ; qu’ils ne cherchent pas les applaudissements des flatteurs, qui les perdraient. Gloire à Dieu toujours, et à lui seul. Oublions le passé, allons toujours en avant.

 

1. Béni soit le grain de froment qui a voulu mourir afin de se multiplier 1 : béni soit le Fils de Dieu, Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur, qui n’a pas dédaigné de subir la mort pour nous rendre dignes de vivre en lui. Il était seul jusqu’à son passage, ainsi que l’a chanté le Psalmiste : « Me voilà seul jusqu’à ce que j’aie passé 2 » : car c’était un grain à part, mais qui portait en lui le germe d’une grande multitude; et dans combien d’autres grains chantons-nous sa louange, quand nous célébrons les fêtes des martyrs qui ont souffert comme lui ? Ses membres si nombreux sont donc unis par les liens de la paix et de la charité à notre Sauveur, qui est notre chef unique, et ne forment qu’un seul homme, comme vous le savez pour l’avoir si souvent entendu : et souvent leur voix retentit dans les psaumes comme la voix d’un seul homme, et le cri de l’un est comme le cri de tous, parce que tous ne sont qu’un en un seul. Ecoutons donc les travaux des martyrs, et les dangers qu’ils ont courus en ce monde, dans l’ouragan de toutes les haines; dangers non-seulement pour ce corps qu’ils devaient toujours quitter, mais dangers pour leur foi. Car ils pouvaient céder aux douleurs atroces de la persécution ou à l’amour de la vie, et cette défaillance leur eût fait perdre tes promesses de Dieu, qui les avait prémunis contre la crainte par ses paroles et par son exemple par ses paroles, en disant : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, mais qui ne

 

1. Jean, XII, 25. — 2. Ps. CXL, 10.

 

peuvent tuer l’âme 1 »; par ses exemples, en accomplissant lui-même ses prescriptions, alors qu’il n’évitait ni ceux qui le frappaient, ni ceux qui lui donnaient des soufflets, ni ceux qui lui crachaient au visage, ni ceux qui le couronnaient d’épines, ni ceux qui le faisaient mourir sur la croix. Lui qui ne méritait rien de tout cela, a voulu l’endurer pour ceux qui le méritaient; il se donnait comme un remède à leur maladie. Les martyrs ont donc souffert; mais ils eussent défailli, sans le secours de celui qui a dit: « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles 2».

2. Ce psaume est donc le cri de ceux qui souffrent et par conséquent des martyrs qui sont en danger au milieu de leurs douleurs, mais qui mettent leur confiance dans leur chef. Ecoutons-les, unissons-nous à eux, parlons avec eux, du moins par les sentiments du coeur, sinon en souffrant de la même manière. Pour eux, ils ont reçu la couronne, tandis que nous sommes au milieu dus périls: non que nous ayons à subir les persécutions qu’ils endurèrent, mais les persécutions plus dangereuses peut-être de tous les scandales. Car ils sont plus multipliés de nos jours, que quand le Seigneur s’écriait: « Malheur au monde, à cause des scandales, et comme l’iniquité abonde, la charité se refroidit chez plusieurs 3 ». Personne à Sodome ne faisait subir à Loth une persécution corporelle 4; nul ne l’empêchait d’y

 

1. Matth. X, 28. — 2. Id. XXVIII, 20. — 3. Id. XVIII, 7, et XXIV, 12.— 4. Gen. XIX, 39.

 

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habiter. Pour lui toute persécution était dans les moeurs corrompues des Sodomites. Ainsi, depuis que le Christ est assis dans les cieux, depuis qu’il est glorifié, que les rois ont courbé la tête sous son joug, qu’ils ont incliné leur front devant son signe, et qu’il ne reste personne qui ose publiquement insulter le Christ, nous n’en gémissons pas moins au milieu des symphonies et des mélodies; et les ennemis des martyrs, impuissants à les poursuivre de leurs cris et du glaive, les poursuivent de leurs vices. Plût à Dieu que nous n’eussions à souffrir que des païens! nous nous consolerions en attendant que la croix du Sauveur vint marquer ces hommes qu’elle n’a point touchés encore, et que sa puissance vint enchaîner leur fureur. Mais nous en voyons qui portent sur leur front le signe du Christ, porter sur ce même front l’impudence de la luxure, qui insultent plus qu’ils n’honorent les martyrs aux jours de leur solennité. Voilà ce qui nous fait gémir, ce qui est pour nous une persécution, pour peu que nous ayons de cette charité qui s’écrie « Qui donc est faible sans que je sois faible avec lui; qui est scandalisé sans que je brûle 1 ? » Nul serviteur de Dieu n’est donc sans persécution ? elle est vraie cette parole de l’Apôtre e Aussi tous ceux qui veulent e vivre avec piété en Jésus-Christ, souffriront « persécution 2». Cherchons-en l’origine, cherchons-en la manière, car le diable a deux formes. C’est un lion qui bondit, un dragon qui tend des embûches. Que ce lion nous menace, il est un ennemi; que ce dragon nous tende tin piége, il est encore un ennemi. Quand serons-nous eu sûreté? Tous auront beau devenir chrétiens, le diable deviendra-t-il chrétien à son tour? une cesse de nous tenter, il est sans cesse- en embuscade. Il est enchaîné,garrotté dans le coeur des impies, de peur qu’il ne sévisse contre l’Eglise et ne la tourmente selon ses désirs. L’honneur rendu à l’Eglise, la paix des chrétiens, voilà ce qui fait grincer des dents à l’impie; impuissant à sévir contre elle, il a recours aux danses, aux blasphèmes, aux impudicités, non pour frapper les corps des chrétiens, mais pour déchirer les âmes. Elevons donc une voix unanime, et répétons ces paroles : « O Dieu, soyez attentif à me secourir 3». Car dans ce monde nous avons besoin d’un secours incessant.

 

1. II Cor. XI, 29. — 2. II Tim. III, 12. — 3. Ps. LXIX, 2.

 

Quand ce besoin cessera-t-il? Maintenant toutefois, que nous sommes dans l’angoisse, disons surtout: « O Dieu, soyez attentif à me secourir ».

3. « Qu’ils soient couverts de honte et de confusion, ceux qui recherchent ma vie 1». C’est le Christ qui parle; qu’il parle comme chef, qu’il parle dans son corps mystique, l’interlocuteur est le même qui a dit : « Pourquoi me persécutez-vous 2? » C’est lui qui a dit en effet: « Tout ce que vous avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait 3 ». Vous connaissez donc la voix de cet homme, de l’homme tout entier, du chef et des membres; il est inutile de la signaler bien souvent, puisque vous la connaissez. « Qu’ils soient couverts de honte et de confusion », dit le Christ, « ceux qui en veulent à ma vie ». Il a dit dans un autre psaume: « Je regardais à droite, et je voyais que nul ne me connaissait; la fuite m’était fermée, et nul n’était là pour rechercher ma vie 4 ». Ici donc il dit de ses persécuteurs que nul ne cherche sa vie; et dans notre psaume, il appelle la honte et la confusion sur ceux qui recherchent sa vie. Il se plaignait qu’on ne le cherchât point pour l’imiter; il gémissait de ce qu’on le cherchât pour l’opprimer. C’est chercher la vie du juste, que penser à l’imiter; c’est chercher encore la vie du juste, que songer à le tuer. Comme donc on peut chercher la vie du juste en deux manières, chacnn de ces psaumes nous exprime l’une de ces manières. Dans l’un, il se plaint que l’on ne recherche point sa vie , pour souffrir comme lui ; mais il dit ici : « Qu’ils soient couverts de honte et de confusion, ceux qui cherchent ma vie ». S’ils cherchent cette vie, ce n’est point pour en avoir deux; puisqu’ils ne recherchent point cette vie comme le voleur cherche la tunique du voyageur; il ne tue que pour voler et posséder. Mais quiconque poursuit pour tuer, ôte la vie, et ne s’en revêt point. ils cherchent donc na vie, parce qu’ils veulent me tuer. Et toi, qu’appelles-tu sur eux? « Honte et confusion ». Que devient alors cette parole que tu as apprise de la bouche de ton Seigneur : « Auriez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent 5?» Te voilà persécuté, et maudissant

 

1. Ps. LXIX, 3. — 2. Act. IX, 4. — 3. Matth. XXV, 40. — 4. Ps. CXLI, 5. — 5. Matth. V, 44.

 

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ceux qui te persécutent, comment prends-tu pour modèle ton Seigneur qui a tant souffert et qui, sur la croix, s’écriait : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font 1? » A ce langage le martyr peut répondre et dire : Tu me proposes un modèle dans le Seigneur qui dit-: « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font » ; reconnais ma voix, afin qu’elle soit aussi la tienne. Qu’ai-je dit de mes ennemis? « Honte et confusion sur eux ». Telle est la vengeance que Dieu a exercée sur les persécuteurs des martyrs. Ce même Saul qui persécutait Etienne a été couvert de honte et de confusion. Il respirait le carnage, il cherchait ceux qu’il pouvait saisir pour les livrer à la mort; il entend cette parole d’en haut

« Saul, Saul, pourquoi me persécuter? » Il est renversé, couvert de honte, et ce persécuteur acharné se relève pour obéir 2. Voilà ce que les martyrs appellent sur leurs persécuteurs : « Honte et confusion ». En effet, s’ils ne sont sous le poids de la honte et de la confusion, ils défendront inévitablement leurs actions : ils se font en eux-mêmes une gloire de saisir, de garrotter, de frapper, de tuer, de danser, d’insulter : qu’ils rougissent donc une fois de tels actes, qu’ils en soient confus. S’ils rougissaient, ils se convertiraient; car ils ne peuvent se convertir que sous le poids de leur confusion et de leur honte. Faisons ces voeux pour nos ennemis; faisons-les en toute sûreté. Pour moi, je l’ai dit, et je le dis avec vous : oui, « honte et confusion » à ceux qui dansent, qui chantent, qui insultent aux martyrs : qu’un jour, dans ces murs, ils frappent leur poitrine avec confusion.

4. « Qu’ils soient repoussés en arrière et qu’ils rougissent, ceux qui cherchent à me nuire 3 ». D’abord c’était la violence des persécuteurs, maintenant c’est la haine de ceux qui méditent le mal. Après les temps de persécution, l’Eglise a vu naître des temps bien différents. Ce fut d’abord un choc violent contre cette Eglise, quand les rois la persécutèrent ; et comme ces attaques de la part des rois étaient prédites et qu’on devait y croire, une fois ce temps écoulé, un autre devait suivre. Ce temps qui devait suivre est donc arrivé; les rois ont embrassé la foi, la paix a été donnée à l’Eglise; cette Eglise a été comblée de dignités même sur la terre,

 

1. Luc, XXIII, 34. — 2. Act. VII, 57; IX, 1, 4, 6. — 3. Ps. LXIX, 4.

 

même en cette vie, et toutefois les persécuteurs ne laissent pas de frémir, ils roulent dans leurs pensées leurs projets d’attaque. C’est dans ces pensées que le diable est enchaîné comme dans l’abîme : il frémit sans briser ses chaînes. Car le Prophète a dit de ces temps : « Le pécheur verra et frémira de colère ». Et que fera-t-il ? ce qu’il fit d’abord? — Saisis, enchaîne, frappe.— Il ne le fait point. Que fera-t-il donc? « Il grincera des dents et séchera de rage 1». C’est contre ceux-là que s’irrite le martyr, et néanmoins ce martyr prie pour eux. De même en effet qu’il appelait le bien sur ceux dont il disait : « Honte et confusion à ceux qui cherchent ma vie » ; de même encore : « Qu’ils soient rejetés en arrière et qu’ils rougissent, ceux qui méditent le mal contre moi ». Pourquoi? Afin qu’ils ne marchent pas en avant, suais qu’ils suivent avec docilité. Blâmer la religion chrétienne, et prétendre vivre selon ses propres lumières, c’est vouloir marcher avant le Christ : comme si ce Christ eût été dans l’erreur, ou qu’il eût été assez faible, assez impuissant pour vouloir mourir, ou pour être réduit à mourir entre les mains des Juifs : comme s’il était bien courageux pour un homme d’éviter tout cela, de se détourner de la mort, de feindre la mort afin d’y échapper, de tuer son âme, afin de vivre selon le corps; voilà ce que l’on regarde comme les conseils de la force et de la prudence. Quiconque blâme ainsi le Christ, le précède, prend en quelque sorte le pas sur lui ; qu’il croie au Christ et le suive avec docilité. Car le Seigneur tint lui-même à Pierre le langage que tenait le Prophète dans ses souhaits contre les persécuteurs qui méditent le mal contre lui. Pierre en un certain endroit voulut précéder le Seigneur. Le Sauveur alors parlait de sa passion, et s’il ne l’eût subie, nous ne serions point sauvés; et Pierre qui, un peu auparavant, avait proclamé le Fils de Dieu, dans cette confession fameuse qui lui valut le nom de Pierre, sur laquelle dut être bâtie l’Eglise, s’écria quand le Seigneur parla de sa passion prochaine : « Point du tout, Seigneur, veillez sur vous, cela n’arrivera point ». Un peu auparavant: « Tu es bienheureux, Simon, fils de Jean », avait dit le Seigneur, « parce que ce n’est ni le sang ni la chair qui t’ont révélé ceci, mais mon

 

1. Ps. CXI, 10.

 

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Père qui est dans le ciel » ; et tout à coup : « Va derrière moi, Satan ». Qu’est-ce à dire:

« Derrière moi? » Suis-moi. Tu veux aller devant moi, tu veux me donner des conseils ; c’est à loi plutôt de suivre les miens : voilà le sens de Va derrière moi, marche après moi. Il modère celui qui le précédait, et te replace en arrière; il l’appelle Satan, parce qu’il a voulu prendre le pas sur le Seigneur. Tout à l’heure il était « bienheureux», maintenant c’est « Satan ». Pourquoi tout à l’heure était il « bienheureux? » « Parce que ce n’est « ni le sang ni la chair qui t’ont révélé ceci », dit le Sauveur, « mais mon Père qui est dans le ciel ». Pourquoi Satan maintenant ? « Parce que tu ne comprends pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes 1». Nous donc, qui voulons célébrer dignement les fêtes des martyrs, souhaitons d’imiter les martyrs; ne cherchons point à précéder les martyrs, et n’allons pas nous croire plus de prudence qu’ils n’en avaient, parce que rions avons évité les tourments qu’ils endurèrent pour la justice et pour la foi, tourments qu’ils furent loin d’éviter. « Qu’ils soient donc rejetés en arrière et qu’ils rougissent », ceux qui méditent le mal et nourrissent leurs coeurs de luxure. Qu’ils entendent cette parole de l’Apôtre : « Quel fruit avez-vous jamais recueilli de ces actes qui vous font rougir maintenant 2? »

5. Quelle est la suite? « Qu’ils fuient avec ignominie ceux qui me disent : Courage ! courage 3 ! » Il y a deux sortes de persécuteurs, ceux qui blâment et ceux qui flattent.

La langue du flatteur est plus funeste que la main de l’assassin; et l’Ecriture l’appelle une

fournaise. En parlant de la persécution, 1’Ecriture a dit, à propos des martyrs mis à

mort: « Elle les a éprouvés comme l’or dans la fournaise, et les a reçus comme la victime de l’holocauste 4». Or, écoutez cette ressemblance avec la langue des flatteurs. « C’est au feu que l’on éprouve l’or et l’argent; mais pour l’homme, l’épreuve est la langue des flatteurs 5 ». Il y a donc feu d’une part, et feu d’autre part, et il te faut sortir victorieux de l’un et de l’autre. La réprimande t’a brisé, et lu as été brisé dans la fournaise comme un vase d’argile. La parole

t’a formé, et puis est venue l’épreuve de la

 

1. Matth. XVI, 16-23.— 2. Rom. VI, 21. — 3. Ps. LXIX, 4. — 4. Sag. III, 6. — 5. Prov. XXVII, 21.

 

tribulation; ce qui a été formé a dû passer par la cuisson, et si la forme était irréprochable, le feu devait la consolider. Aussi le Christ a-t-il dit dans sa douleur : « Ma force s’est desséchée comme l’argile 1». Car la douleur et la fournaise de la tribulation m’ont rendu plus fort. Mais si tu es assailli par les louanges et par les applaudissements des flatteurs, et que tu leur souries, achetant de l’huile et ne la portant pas avec toi, non plus que les cinq vierges folles 2; la bouche des flatteurs sera une fournaise qui te brisera. Mas nous ne pouvons rien sans cela; il nous faut et y entrer et en sortir; il nous faut encourir un certain blâme de la part des méchants, des hommes sans pudeur, et recevoir aussi les applaudissements des flatteurs : muais il faut également en sortir. Prions donc celui dont il est dit : « Que le Seigneur veille sur  ton entrée et sur ta sortie 3 », afin que tu puisses y entrer tans déshonneur, et sans déshonneur en sortir. Car l’Apôtre a dit: « Dieu est fidèle, et il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces 4 ». Telle est pour toi l’entrée. Il n’est pas dit : Vous ne serez point tentés. Sans tentation il n’y a pas d’épreuves, et sans épreuve il n’y a nul progrès. Que désire donc l’Apôtre? « Dieu est fidèle, et il ne permettra point que vous soyez tentés au-dessus de vos forces 4». Tu as entendu l’entrée, écoute aussi la sortie : « Mais il ménagera dans la tentation une issue, afin que vous la puissiez supporter 5. « Qu’ils fuient avec ignominie ceux qui me disent : Courage! courage ! » Pourquoi me louer? Qu’ils louent le Seigneur. Qui suis-je pour être loué moi-même? Qu’ai-je fait? Qu’y a-t-il en moi que je n’aie reçu? « Si tu l’as reçu », dit l’Apôtre, « pourquoi te glorifier comme si tu ne l’avais pas reçu 6? Qu’ils fuient donc avec ignominie ceux qui me disent: Courage ! courage ! » C’est une huile semblable qui a parfumé la tête des hérétiques 7, et ils nous disent : C’est moi, c’est moi; on leur répond: C’est vous, Seigneur. Ils ont accueilli ces acclamations: « Courage! courage! » «Ce courage! courage!»les a entraînés, et ils sont devenus les guides aveugles des aveugles qui les suivaient 8. C’est à pleins poumons que l’on crie à Donat ce que nous venons de chanter: «Courage ! couragel» guide

 

1. Ps. XXI, 16. — 2. Matth. XXV, 3. — 3. Ps. CXX, 8. — 4. I Cor. X, 13. — 5. Id. — 6. Id. IV, 7.— 7. Ps. CXL, 5 — 8. Matth. XV, 14.

 

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fidèle, guide illustre, Mais lui ne répond pas: « Qu’ils fuient avec confusion ceux qui me disent: Courage! courage! » et il n’a point voulut les redresser, et leur faire dire au Christ: Guide fidèle, chef illustre. Et pourtant l’Apôtre, craignant les applaudissements des hommes qui le louaient véritablement dans le Christ, ne voulut point être loué à la place du Christ; et quand plusieurs disaient: « Moi je suis Paul» . « Est-ce que Paul a été crucifié pour vous? » leur dit-il avec la liberté du Seigneur, « ou seriez-vous baptisés au nom de Paul 1? » Que ce soit donc là le refrain des martyrs même dans la persécution des flatteurs. « Qu’ils fuient avec confusion, ceux qui me disent: Courage ! courage ! »

6. Et qu’arrivera-t-il quand ils seront repoussés, quand ils seront tous dans la confusion, soit ceux qui cherchent ma vie, soit ceux qui méditent le mal contre moi, soit ceux qui ont des desseins pervers, et dont une feinte bienveillance veut adoucir les coups que portera leur langue ? quand ils seront repoussés et couverts de confusion, qu’arrivera-t-il ? « Qu’ils soient dans l’allégresse, qu’ils tressaillent en vous 2 » : non pas en moi, non plus en tel ou tel, mais bien en Celui qui les a faits lumière, alors qu’ils étaient ténèbres. « Qu’ils tressaillent en vous, qu’ils soient dans l’allégresse, tous ceux qui vous cherchent ». Autre est rechercher Dieu, et autre est rechercher les hommes. « Qu’ils soient dans la joie ceux qui vous cherchent ». Donc ils ne seront pas dans la joie ceux qui se recherchent eux-mêmes, et que vous avez recherchés le premier, avant qu’ils aient songé à vous rechercher. Cette brebis ne cherchait point encore son pasteur, elle errait loin du troupeau, quand le Christ est descendu pour elle, l’a recherchée, l’a reportée sur ses épaules 3. Pourrait-il, ô brebis, te mépriser quand tu le cherches. Celui qui le premier t’a recherchée, alors que tu le méprisais et que tu ne le cherchais point? Comment donc enfin la rechercher Celui qui le premier t’a recherchée, et t’a reportée sur ses épaules? Fais ce qu’il a dit: « Celles qui sont mes brebis entendent ma voix et me suivent 4». Si donc tu cherches Celui qui t’a cherché le premier, tu deviens sa brebis, tu entends la voix de ton pasteur et tu le suis ; vois ce qu’il t’a montré

 

1. I Cor. I, 12,13.— 2. Ps. LXIX, 5. — 3. Luc, XV, 4, 5.— 4. Jean, X, 3.

 

de lui-même, ce qu’il t’a montré de son corps, afin que tu ne sois point trompé sur lui ni trompé sur l’Eglise, afin que nul ne te dise : Celui-ci est le Christ, quand ce ne serait point lui; ou bien: Voici l’Eglise, quand ce ne serait point l’Eglise. Il en est beaucoup en effet qui ont dit que le Christ n’avait point de chair, ou que le Christ n’est point ressuscité dans son corps: garde-toi de suivre leurs voix. Ecoute la voix du véritable pasteur, qui se revêtit d’une chair, pour courir après la chair qui était perdue. Il ressuscita et dit « Touchez et voyez, car un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai ». C’est devant toi qu’il se montre, suis sa voix. Il te montre aussi l’Eglise, afin que nul ne te puisse tromper en s’appelant l’Eglise : « Il  fallait», dit-il, « que le Christ souffrît et ressuscitât d’entre les morts le troisième jour, et que l’on prêchât en son nom la pénitence dans toutes les nations, en commençant par Jérusalem 2 ». Telle est la voix du pasteur, garde-toi de suivre la voix des étrangers 3; le voleur n’est pas à craindre pour toi, si tu suis la  voix du pasteur. Mais comment la suivras-tu? Si tu ne dis à aucun homme, en applaudissant à ses propres mérites: « Courage, courage! » et si tu ne l’entends point pour l’applaudir, de peur que l’huile des pécheurs ne parfume ta tête 4. « Qu’ils tressaillent en vous, qu’ils soient dans l’allégresse, tous ceux qui vous cherchent, et qu’ils disent ». Que diront-ils dans leurs jubilations ? « Gloire à Dieu à jamais ». Qu’ils disent aussi, tous ceux qui sont dans l’allégresse et qui vous cherchent. Que dire? Qu’ils disent : « Gloire à Dieu à jamais, ceux qui aiment votre salut». Non-seulement, « gloire à Dieu », mais « gloire à jamais! » Tu étais égaré, tu errais loin de lui : il t’a appelé: « gloire à Dieu ». Il t’a soufflé la pensée de confesser tes fautes, tu les a confessées, il t’en accorde le pardon: « gloire à Dieu». Voilà que tu commences à vivre dans la justice; et il me paraît juste qu’à ton tour tu sois glorifié. Il fallait bénir le Seigneur quand il te rappelait de tes égarements; il fallait le bénir encore quand il t’a pardonné les fautes que tu confessais ; maintenant que tu as entendu sa parole et fait des progrès, que tu es justifié, que tu as atteint les suprêmes degrés de la vertu, il est bien juste pour toi de recueillir

 

1. Luc, XXIV, 39. — 2. Id. 46. — 3. Jean, X, 5. — 4. Ps. CXI, 5.

 

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quelque gloire. « Qu’ils disent: Gloire à Dieu à jamais ». Tu es pécheur, bénis-le, afin qu’il t’appelle; tu confesses tes fautes, bénis-le, afin qu’il te lardonne; tu marches déjà dans la justice, bénis-le, afin qu’il te dirige; tu persévères jusqu’à la fin, bénis-le, afin qu’il te glorifie. « Gloire donc au Seigneur, toujours gloire ». Que tel soit le refrain des justes, le refrain de ceux qui cherchent le Seigneur. Quiconque ne tient pas ce langage ne le cherche point. Voilà: « Gloire à Dieu. Qu’ils tressaillent en vous, qu’ils soient dans l’allégresse,ceux qui le cherchent, et qu’ils disent: « Gloire au Seigneur à jamais, tous ceux qui aiment votre salut » : non pas leur salut, comme s’ils pouvaient se sauver eux-mêmes; non comme si le salut venait de l’homme et que l’on pût être sauvé par lui : « Gardez-vous», est-il dit, « de mettre votre confiance dans les princes, dans les fils des hommes, en qui le salut n’est pas 1». Pourquoi? « Le salut est l’oeuvre du Seigneur, et votre bénédiction est sur votre peuple 2 ». Donc « gloire à Dieu à jamais ». Quels hommes parlent ainsi ? « Ceux qui aiment votre salut ».

7. « Voilà que le Seigneur sera glorifié et toi ne le seras-tu jamais nulle part? Quelque peu en lui, nullement en moi-même; mais si toute ma gloire est en lui, c’est lui qui sera glorifié, et pas moi. Mais qu’es-tu donc? « Pour moi je suis un pauvre, un indigent 3 ». Pour Dieu, il est riche, il nage dans l’abondance, il n’a besoin de rien. Voilà ma lumière; ce qui m’éclaire, c’est que je m’écrie : « C’est vous, Seigneur, qui allumerez mon flambeau; ô mon Dieu, vous éclairerez mes ténèbres 4. C’est Dieu qui délie les captifs; Dieu qui relève les blessés Dieu qui rend aveugles les sages; Dieu qui veille sur les prosélytes 5 ». Et toi donc ? « Moi je suis pauvre et indigent e. Je suis comme l’orphelin ; et mon âme est comme une veuve dans la désolation et dans l’isolement : je cherche du secours; et je confesse toujours mon infirmité. « Pour moi je suis pauvre et indigent ». Mes péchés m’ont été pardonnés, j’ai commencé à suivre les préceptes du Seigneur : et pourtant je suis encore pauvre et indigent. Pourquoi pauvre et indigent? « Parce que je ressens dans mes membres une autre loi qui résiste à la loi de mon esprit  6».

 

1. Ps. CXLV, 2, 3. — 2. Id. III, 9. — 3.  Id. LXIX, 6. — 4. Id. XVII, 29. — 5. Id. CXLV, 7. — 6. Rom. VII, 23.

 

Pourquoi pauvre et indigent ? Parce que, « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice 1 ». J’ai encore faim, encore soit : Dieu diffère, mais ne refuse point de me rassasier. « Je suis pauvre et indigent : Seigneur, secourez-moi ». C’est par là qu’il a commencé : « O Dieu, soyez attentif à me secourir. Seigneur, secourez-moi ». On peut très-bien dire de Lazare qu’il fut secouru : ce pauvre, cet indigent, qui fut porté dans le sein d’Abraham 2.  Il est le symbole de l’Eglise de Dieu, qui doit sans cesse confesser qu’elle a besoin de secours. Voilà ce qui est vrai, ce qui est pieux. « J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu ». Pourquoi? « Parce que vous n’avez pas besoin de mes biens 3 » . Il n’a nul besoin de nous, mais nous avons besoin de lui, c’est pour cela qu’il est véritablement notre Seigneur. Car toi, tu n’es pas pleinement le maître de ton serviteur: tous deux vous êtes hommes, tous deux vous avez besoin de Dieu. Si tu crois que ton serviteur a besoin de toi pour lui donner du pain, toi aussi tu as besoin de ton serviteur pour t’aider dans ton travail. Vous avez l’un de l’autre un besoin réciproque. Nul d’entre vous n’est donc complètement maître, nul complètement serviteur. Ecoute le vrai maître dont tu es le vrai serviteur : « J’ai dit au Seigneur « Vous êtes mon Dieu». Pourquoi êtes-vous mon Seigneur? « Parce que vous n’avez nul besoin de mes biens ». Qu’es-tu donc, toi? « Moi je suis pauvre et indigent ». Voilà le pauvre, l’indigent: que Dieu le nourrisse, que Dieu le soulage, que Dieu lui vienne en aide : « Seigneur», dit le Psalmiste, « secourez-moi».

8. «Vous êtes mon secours, mon Sauveur, ô mon Dieu; ne tardez point ». Vous êtes mon aide, mon libérateur : j’ai besoin de secours, aidez-moi; je suis dans l’embarras, délivrez-moi. Nul autre que vous ne peut me tirer de cet embarras. Nous sommes enlacés dans les noeuds de soins divers ; de part et d’autre nous sommes déchirés comme par des aiguillons et des épines, nous marchons dans l’étroit sentier; nous sommes arrêtés par les buissons: disons alors à Dieu: « C’est vous mon libérateur ». Celui qui nous a montré la voie étroite 4, me l’a fait suivre. Que cette parole, mes frères, soit toujours la nôtre. Si longtemps que nous ayons vécu ainsi, quels

 

1. Matth. V, 6. — 2. Luc, XVI, 22.— 3. Ps. XV, 2.— 4. Matth. VII, 14.

 

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que soient nos progrès, que nul ne dise : Il me suffit, me voilà juste. C’est le langage de celui qui est resté en chemin, et qui ne sait point arriver. Il s’arrête à l’endroit où il dit : cela suffit. Ecoute l’Apôtre, à qui rien ne suffit ; vois comment il veut du secours jusqu’à ce qu’il arrive : « Mes frères », dit-il, «je ne pense pas avoir encore atteint mon but 1». De peur qu’ils ne se croient arrivés, il leur dit encore : « Celui qui se flatte de savoir quelque chose ne sait pas même encore comment il faut le savoir 2». Que dit-il donc? « Mes frères, je ne pense pas avoir atteint mon but ». Il avait dit d’abord : « Non que j’aie déjà recueilli, ou que je sois parfait » ; et il continue : « Mes frères, je ne pense pas avoir atteint mon but ». S’il n’a rien recueilli, il est pauvre et indigent; s’il n’est pas encore parfait, il est pauvre et indigent. Il a raison de dire : « Seigneur, aidez-moi ». Mais il a une pensée, et une pensée plus élevée. Voyons toutefois ce qu’il dit : « Que celui qui a la puissance de faire infiniment plus que tout ce que nous demandons et tout ce que nous pensons 3». Voyez qu’il n’est point arrivé, qu’il n’a pas atteint son but. Que dit-il donc? «Mes frères, je ne pense pas avoir atteint mon but; je sais uniquement que j’oublie ce qui est derrière moi, et pour m’avancer vers ce qui est devant moi, je m’efforce d’atteindre le prix auquel Dieu m’a appelé d’en haut 4». Il court donc, et toi tu t’arrêtes. Il dit qu’il n’est point encore parfait, et tu te glorifies de ta perfection ! Honte à ceux qui te disent: « Courage ! courage ! » Honte à toi entre tous, puisque en toi-même tu te dis : « Courage ! courage! » Car se louer, c’est se dire : « Allons ! courage ! » Quiconque s’entend louer par les autres et accueille ces louanges, ne porte point son huile avec soi : son flambeau s’éteint, l’Epoux lui fermera la porte 5.

9. Voilà brièvement, mes bien-aimés, les instructions du psaume, dans cette solennité des martyrs ; ainsi comprenons que les martyrs ont enduré une douleur corporelle; mais nous, de quelque paix que nous jouissions, il nous est nécessaire de subir une tribulation spirituelle ; il faut que parmi les scandales, et l’ivraie, et la paille, cette masse

 

1. Philip. III, 13.— 2. I Cor. VIII, 2. — 3. Ephés. III, 20. — 4. Philip. III, 12-14. —  5. Matt. XXV, 3, 10. — 6. Id, XIII, 20.

 

qui est l’Eglise exhale les gémissements, jusqu’à ce que vienne la moisson, jusqu’à ce que vienne le vanneur, jusqu’au jour où tout sera vanné une dernière fois, afin que le froment soit séparé de la paille, et placé dans les greniers 1. Mais en attendant, crions vers le Seigneur : « Je suis pauvre, indigent;ô Dieu, secourez-moi. Seigneur, vous êtes mon soutien, ne tardez pas ». Qu’est-ce à dire: «Ne tardez point ? » Beaucoup disent: Le Christ ne viendra de longtemps. Eh quoi donc! parce que nous lui disons : Ne tardez point, viendra-t-il avant le moment qu’il a fixé? Quel est le sens de ce voeu : « Ne tardez point? » Que son avènement ne me paraisse point trop tardif, Il vous paraît bien éloigné, mais il ne paraît pas éloigné à Dieu pour qui un millier d’années n’est qu’un jour, ou trois heures de veille 2. Si tu n’as la patience, ce temps te paraîtra long, et s’il te paraît long, tu te détacheras de Dieu, tu ressembleras à ceux qui se fatiguèrent dans la solitude, et qui s’empressèrent de demander à Dieu ces délices qu’il leur réservait dans la patrie ; et comme ils ne trouvaient point dans le voyage ces jouissances qui les eussent peut-être corrompus, ils murmurèrent contre Dieu, et retournèrent de coeur en Egypte 3: le corps en était sorti, le coeur y retournait, Loin de toi, ah ! loin de toi ces sentiments. Crains la parole du Seigneur qui dit : « Souvenez-vous de l’épouse de Luth 4 ». Elle était en chemin, délivrée de Sodome, elle regarde en arrière ; elle demeura à l’endroit où elle avait regardé : elle fut changée en statue de sel 5, afin de te donner la sagesse. C’est une leçon qui t’est donnée, afin que tu aies plus de courage, et que tu ne demeures pas follement en chemin. Considère celui qui y demeure, et va plus loin; considère celui qui regarde en arrière, et avec Paul, avance. toi vers celui qui est devant toi. Que signifie, ne pas regarder en arrière ? « J’oublie », répond-il. « Ce qui est derrière moi ». Alors tu poursuivras la palme à laquelle tu es appelé d’en haut, et dont tu te glorifieras plus tard. Car le même Apôtre nous dit : « Il ne me reste qu’à attendre la couronne de justice, que le Seigneur, comme un juste juge, me donnera en ce grand jour  6 » .

 

1. Matth. III, 12. — 2. Ps. LXXXIX, 4. — 3. Exod. XVI, 2, et Act, VII, 39. — 4. Luc, XVII, 32 —  5. Gen. XIX, 29. — 6. II Tim. IV, 8.

 

 

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