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SERMONS DE SAINT AUGUSTIN

QUATRIÈME SÉRIE.

DISCOURS SUR LE PSAUME LXI.

SERMON AU  PEUPLE.

SOUMISSION A DIEU.

 

 

Séparé des méchants par la dignité de sa vocation, le chrétien, comme l’Eglise entière, se voit persécuté par eux, tantôt d’une manière sanglante, tantôt par des procédés violents et toujours honteux pour ceux qui les emploient. La lutte entre Babylone et la eité de Dieu, entre les justes et les pécheurs, durera jusqu’à la fin des siècles. Néanmoins, il reste soumis à Dieu : loin de se venger, il souhaite et demande la conversion de ses adversaires; il attend de Dieu son secours en ce monde et sa gloire en l’autre. Voilà les seuls biens réels qu’on puisse désirer; aussi, dans sa charité, s’efforce-t-il de détourner ses ennemis de l’amour des faux biens du monde et de les rapprocher de Dieu: là, ils apprendront à. connaître la vérité qui  éclaire l’homme, et à pratiquer la vertu qui le sauve.

 

1. La grâce de Dieu, qui répand sur nous ses délices afin de féconder notre terre 1, nous fait trouver dans l’étude et l’intelligence de la parole sainte un plaisir si suave, que nous nous sentons pressés, nous, de vous l’expliquer, et vous, de l’entendre. Je le remarque avec bonheur et je m’en réjouis; vous n’éprouvez aucun ennui à nous écouter: vous apportez même ànos discours un goût intérieur très-prononcé, et, sous son influence, loin de repousser cette salutaire nourriture de vos âmes, vous la recevez avidement, et vous en faites votre profit. Aussi vous entretiendrons-nous encore aujourd’hui, pour vous expliquer, autant que le Seigneur nous le permettra, le psaume que nous venons de chanter. Voici son titre:

« Pour la fin, pour Idithun, psaume à David ».

 

1. Ps. LXXXIV, 13.

 

Je me souviens de vous avoir déjà indiqué le sens du mot Idithun. Si j’entre bien dans la pensée de l’auteur, et si je rends bien toute la force de l’expression hébraïque, je le traduirai dans notre langue par ces autres mots: Homme qui les dépasse. Celui dont les paroles vont nous occuper, en dépasse donc d’autres; puis, du lieu élevé où il est parvenu, il jette sur eux un regard de dédain. Voyons donc jusqu’où il s’est avancé: cherchons à connaître ceux qu’il a dépassés, et l’endroit où il s’est arrêté encore, quoiqu’il en ait dépassé plusieurs: cherchons à connaître cette demeure invisible, où il trouve sa sécurité, cet abri tranquille du haut duquel il contemple le spectacle qui s’étend à ses pieds, cette maison spirituelle en dehors de laquelle il se penche, non pour s’exposer à une chute dangereuse, mais pour (2) appeler à lui les hommes indolents qu’il a devancés, et leur dépeindre les délices de sa retraite. Il a marché plus vite qu’eux; il s’est élevé au-dessus d’eux: quelqu’un néanmoins est encore plus élevé que lui; aussi veut-il d’abord nous faire entendre sous l’égide de qui il se trouve, et nous persuader que s’il en a dépassé d’autres, c’est la preuve de la rapidité de sa marche, mais non un sujet d’orgueil pour lui.

2. Voyez, d’abord, en quel endroit il a trouvé la sécurité; car il dit: « Est-ce que mon âme ne sera pas soumise à Dieu? » Il avait appris que « celui qui s’élève sera humilié, et que « celui qui s’humilie sera élevé 1 ». Il craint de ressentir les atteintes de l’orgueil, et cette crainte le fait trembler ; non-seulement il ne se prévaut pas de son élévation et ne méprise pas ce qu’il voit au-dessous de lui, mais il s’humilie en présence du Dieu qui le domine; aussi répond-il aux envieux, qui gémissent d’avoir été distancés par lui, et qui semblent lui faire des menaces: « Mon âme « ne sera-t-elle pas soumise à Dieu?» Parce que je vous ai devancés, est-ce pour vous un motif de me tendre des piéges ? Vous voulez m’abattre par vos injures ou me tromper par vos artifices; croyez-vous que la pensée de mon élévation au-dessus de vous me fait oublier celui c1ui se trouve au-dessus de moi? « Mon âme ne sera-t-elle pas soumise à Dieu? » Tant que je marche, si haut que je monte, si grande que soit la distance qui nous sépare les uns des autres, je me trouverai toujours inférieur à Dieu; jamais je ne m’élèverai contre lui. C’est donc en toute sécurité que je m’élève au-dessus de tout le reste, puisque celui-là me tient dans sa dépendance, qui est supérieur à toutes choses. « Mon âme ne sera-t-elle pas soumise à Dieu? C’est de lui que vient mon salut; c’est lui qui est mon Dieu et mon Sauveur: il est mon protecteur, je ne serai plus ébranlé ». Je sais quel est celui qui se trouve au-dessus de moi, qui tend une main secourable et miséricordieuse à ceux qui le connaissent, dont les ailes protectrices m’offrent un abri sûr « Je ne serai plus ébranlé ». Pour vous, dit-il à quelques-uns, en les devançant,vous faites tous vos efforts pour m’ébranler; « mais que le pied de l’orgueil ne me fasse point tomber ». Car de là vient que s’accomplit aussi cet autre passage du même psaume: « Et que la main des

 

1. Matth. XXIII, 12.

 

« méchants ne m’ébranle point 1 » ; passage conforme à celui-ci: « Je ne serai plus ébranlé».

Ces paroles: « Que la main des méchants ne m’ébranle pas », correspondent en effet à celles-ci: « Je ne serai plus ébranlé »; comme le verset: « Que le pied de l’orgueil ne me fasse point tomber », correspond à cet autre: « Mon âme ne sera-t-elle point soumise au Seigneur? »

3. Placé en un lieu élevé, fortifié et sûr, trouvant dans le Seigneur son refuge, et en Dieu sa sécurité comme dans une forteresse inexpugnable, cet homme porte ses regards sur ceux qu’il a devancés, il semble les défier, de même que s’il était à l’abri d’une haute tour, suivant cette parole des livres saints qui a trait à sa personne: « Vous êtes comme une tour imprenable en face de vos ennemis 2 ». Il jette donc les yeux sur eux, et leur dit: « Jusques à quand accablerez-vous un homme? » Vous l’accablez d’un insupportable fardeau, par vos insultes, vos outrages, les pièges que vous lui tendez et vos mauvais traitements: le fardeau que vous lui imposez, ses forces sont à peine suffisantes à le porter; pour n’en être pas surchargé, il se tient dans la soumission à l’égard de son Créateur. « Jusques à quand accablerez-vous un homme? » Si vous ne voyez en moi qu’un homme, travaillez tous à me donner la mort». Ecrasez-moi, faites-moi souffrir, « donnez-moi le coup de la mort ». Jetez-vous sur moi comme sur une muraille qui penche, comme sur une maison qui tombe de vétusté ». Employez toutes vos forces à m’ébranler et à me renverser. Mais n’a-t-il pas dit: « Je ne serai plus ébranlé? »Où est l’effet de ses paroles? «Je ne serai plus ébranlé »; pourquoi? « Parce que Dieu me sauve et me protége ». Vous êtes des hommes, et, comme tels, vous pouvez accabler un homme en le surchargeant mais avez-vous un pouvoir quelconque sur le Dieu qui est devenu son protecteur?

4. « Donnez-lui tous la mort ». Quel est l’homme dont le corps ait assez d’étendue pour recevoir les coups de tous? Ne l’oublions pas: en nous se personnifie l’Eglise, le corps de Jésus-Christ; tête et corps, tout ensemble, Jésus-Christ ne forme qu’un seul homme. Le Sauveur du corps et ses membres sont deux en une même chair 3 ; ils sont deux, et, pourtant, mêmes plaintes, mêmes souffrances, et, après le règne du

 

1. Ps. XXXV, 12.— 2. Ps. LX, 4. — 3. Gen. II, 24; Eph. V, 31.

 

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péché, même repos éternel. Le Christ, considéré dans sa personne particulière, n’est pas seul à souffrir: si nous le considérons dans son ensemble, il n’y a que lui pour souffrir. Si, en effet, le Sauveur t’apparaît comme tête et corps tout ensemble, lui seul est soumis à l’épreuve; mais si tu ne vois en lui que la tête, cette épreuve a lieu en d’autres que lui. Si, en ce cas, l’épreuve n’atteignait que Jésus-Christ en qualité de chef, comment l’apôtre saint Paul, l’un de ses membres, dirait-il avec vérité qu’ « il supplée, dans sa chair, à ce qui manque aux souffrances du Sauveur 1? » Qui que tu sois, dès lors que tu entends mes paroles, lors même que tu ne tes entendrais pas encore (mais tu dois les entendre si tu appartiens au corps du Christ), qui que tu sois, sache-le bien: par cela même que tu fais partie des membres du Sauveur, les souffrances que te font endurer ceux qui ne sont pas de ce nombre, suppléent à l’insuffisance de celles du Sauveur. Il y manquait quelque chose, tu l’y ajoutes: tu en combles la mesure, sans qu’il y ait surabondance en elles: tu souffres dans la proportion de ce qu’attendait de toi le Sauveur, qui a souffert en sa propre personne, c’est-à-dire comme notre chef, et qui souffre dans ses membres, c’est-à-dire encore, en nous-mêmes. Nous composons tous ensemble une sorte de république, an bonheur de laquelle nous contribuons selon nos moyens et notre devoir; et, dans la mesure de nos forces, nous formons comme un faisceau commun de souffrances. La somme de toutes ces souffrances n’arrivera à sa perfection qu’à la fin des temps. «Jusques à quand accablerez-vous un homme? » Tout ce que les Prophètes ont souffert, depuis le jour où le juste Abel a perdu la vie jusqu’au jour où a été répandu le sang de Zacharie 2, a pesé sur cet homme, parce qu’avant l’Incarnation du Fils de Dieu il a existé des membres du Christ: il en avait été ainsi de ce patriarche qui, au moment de sa naissance, montra sa main avant de montrer sa tête 3, quoique sa main fût parfaitement unie à sa tête et ne fît qu’un avec elle. Mes frères, n’allez pas vous imaginer que tous ces justes qui ont souffert persécution de la part des méchants n’aient pas été du nombre des membres de Jésus-Christ; et ce que je dis des justes du Nouveau Testament, je le dis aussi

 

1. Coloss. 24. — 2. Matth. XXIII, 35. — 3. Gen. XXXVIII, 27.

 

de ceux qui ont été envoyés par Dieu avant l’avènement du Sauveur pour l’annoncer. Pourrait-il, en effet, ne pas appartenir au corps du Christ, celui qui appartient à cette cité dont le Christ est le roi? Cette cité sainte, cette Jérusalem céleste est une, et elle n’a qu’un roi, et son roi c’est le Christ; car il lui parle ainsi: « Un homme appellera Sion sa mère »; il l’appellera « sa mère, parce qu’il est homme. Car un homme appellera Sion sa mère, et cet homme n été formé en elle, et cet homme est le Très-Haut qui l’a fondée 1 ». Le roi de Sion, qui l’a fondée, le Très-Haut s’est fait homme en elle, et le plus humble de tous les hommes. Dans les temps qui ont précédé sa venue, il a envoyé quelques-uns de ses membres pour annoncer qu’il viendrait; puis il les a suivis, uni à eux par les liens les plus étroits. Rappelle-toi les circonstances de la naissance de ce patriarche, dont je parlais tout à l’heure, et qui a préfiguré le corps mystique du Sauveur. Sa main était sortie du sein maternel avant sa tête, et pourtant elle était toujours unie à la tête, et sous sa dépendance. En exaltant l’excellence du premier peuple de Dieu, et en gémissant du malheur qu’avaient eu les branches naturelles d’être retranchées de l’arbre, l’Apôtre a dit du Sauveur 2: « L’adoption des enfants de Dieu leur appartient: sa gloire, son alliance, son culte, sa loi et ses promesses; leurs pères sont les patriarches, et c’est de leurs pères qu’est sorti, selon la chair, Jésus-Christ même, qui est le Dieu supérieur à tout, et béni dans tous les siècles. Jésus-Christ est donc né d’eux», comme de Sion, « selon la chair », parce qu’ « il s’est fait homme en elle » ; parce que « le Christ, Dieu élevé au-dessus de tout, est béni dans tous les siècles » ; parce qu’ « il est le Très-Haut, et qu’il l’a fondée ». Parce qu’ «il est né d’eux, le Sauveur est fils de David »: il en est le Seigneur, parce qu’ « il est le Dieu supérieur à tout, et que tous les siècles le bénissent 3». Les paroles du Psalmiste, que nous venons de citer, appartiennent donc à tous ceux qui ont fait partie des habitants de cette ville depuis le jour du meurtre du juste Abel jusqu’à celui de l’assassinat de Zacharie: par le sang innocent du Précurseur des Apôtres, des martyrs, des chrétiens fidèles, de toutes les parties de cette ville, de tous les membres de cet homme qui est le Christ, un cri se fait

 

1. Ps. LXXXVI, 5.—  2. Rom. XI, 21. — 3. Rom. IX, 4,5.

 

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entendre, cri unique: « Jusques à quand accablerez-vous un seul homme ? Faites-le tous mourir ». Nous verrons si vous pouvez le détruire et l’anéantir; nous verrons si vous êtes capables d’effacer son nom de la mémoire des hommes! O peuples, nous verrons si vous ne nourrissez pas de vains projets 1, lorsque vous dites: « Quand mourra-t-il? quand son nom sera-t-il effacé de dessus la terre 2?» Jetez-vous « sur cet homme, comme sur une muraille qui penche, comme sur une vieille maison qui va tomber en ruines » ; poussez-le avec violence. Ecoutez ce qu’il a dit tout à l’heure : « Dieu me protège, aussi ne serai-je plus ébranlé »; comme la vague pousse devant elle un monceau de sable, ainsi m’ont poussé les méchants; mais le Seigneur m’a reçu dans ses bras 3.

5. « Ils ont conspiré en eux-mêmes pour m’ôter ma gloire 4». Obligés de céder aux violences des méchants, les chrétiens tombent sous les coups de leurs persécuteurs, et néanmoins ils restent victorieux: le sang des martyrs est une semence féconde qui multiplie les fidèles; les ennemis de notre religion se voient forcés de respecter ses disciples le temps de les faire mourir est passé. « Cependant ils ont conspiré en eux-mêmes pour m’ôter ma gloire». Aujourd’hui il est impossible de répandre le sang chrétien , on s’acharne à les déshonorer. La gloire qui s’attache à leur nom est pour les impies la source d’intolérables tourments intérieurs: autrefois vendu par ses frères, transporté loin de son pays au milieu de nations figurées par l’Egypte, jeté honteusement en prison, accusé par le faux témoignage d’une femme, ce nouveau Joseph, ce Joseph spirituel, l’Eglise, a vu se réaliser en lui cette parole prophétique: « Le glaive a transpercé son âme 5 » mais aujourd’hui il est parvenu au faîte de la gloire; loin d’être soumis à ses frères, et vendu par eux, il soulage leur disette par l’abondance du froment qu’il leur distribue 6. Son humilité, sa chasteté, son incorruptibilité, ses afflictions, ses souffrances, lui ont fait remporter la victoire sur ses ennemis : ils sont témoins de l’honneur qui l’entoure, et cet honneur, ils voudraient l’en dépouiller. Ce passage de la sainte Ecriture: « Le pécheur verra », est présent à leur pensée. Ils ne

 

1. Ps. II, 1. — 2. Ps. XL, 6. — 3. Ps. CXVII, 13.— 4. Ps. LXI, 5.— 5. Ps. CIV, 18. —  6. Gen. XXXVII, XXXIX, XLI.

 

peuvent pas ne pas voir, puisqu’une ville, placée sur la montagne, se trouve forcément exposée à tous les regards 1. « Le pécheur verra » donc « et frémira de colère; il grincera des dents, et séchera de désespoir 2 ». Ils cachent dans le secret de leur coeur, mais leur visage ne trahit point au dehors la méchanceté qui les porte au mal et à la colère: voilà pourquoi le corps du Christ dépeint ainsi leurs pensées : « Ils ont conspiré en eux-mêmes pour m’ôter ma gloire ». Car ils n’osent pas dire ce qu’ils pensent. Quoiqu’ils nous souhaitent du mal, souhaitons-leur du bien: « Seigneur, jugez les: faites-les tomber du haut de leurs pensées 3». Y aurait-il, pour eux, rien de plus utile et de meilleur, que de tomber de l’endroit où ils se trouvent, où ils se sont élevés pour faire le mal? Cette chute leur inspirant des pensées tontes différentes, ils pourraient dire avec le Psalmiste: « Vous avez affermi mes pieds sur la pierre 4 ».

6. « Cependant ils ont conspiré en eux-mêmes pour me ravir ma gloire ». Tous se sont-ils déclarés contre un seul ? Un seul s’est-il déclaré contre tous? Tous se sont-ils levés contre tous? Un seul l’a-t-il fait contre un seul? Quand le Prophète dit: « Vous accablez un homme », il ne parle que d’un seul; et quand il ajoute: « Faites-le tous mourir», il indique une conspiration de tous contre un seul; mais c’est, à vrai dire, une conspiration de tous contre tous, puisqu’elle est dirigée contre tous les chrétiens unis en un seul corps.

Maintenant, des diverses erreurs opposées au Christ, de ses différents ennemis, peut-on dire qu’ils ne font qu’un, ou doit-on les désigner sous le nom de tous? Oui, j’ose dire qu’ils ne font qu’un, car il y a une seule ville et une seule ville, un seul peuple et un seul peuple, un seul roi et un seul roi. Et quand je dis: Il y aune seule ville et une seule ville, j’entends une seule Babylone et une seule Jérusalem. Qu’on leur donne d’autres noms mystérieux, peu importe; car, eu réalité, il n’y a que deux villes, l’une qui a pour roi le démon, l’autre que gouverne le Christ. Il y a, dans l’Evangile, un passage qui me frappe singulièrement et dont le sens ne vous échappe point; le voici : Plusieurs personnes avaient été invitées aux noces, sans distinction aucune entre les bons et les méchants, et la salle du

 

1. Matth. V, 14.— 2. Ps. CXI, 10. — 3. Ps. V, 11. — 4. Ps. XXXIX.  3.

 

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festin se trouvait remplie de convives, car des serviteurs avaient été envoyés de tous côtés avec ordre d’amener au repas tous ceux qu’ils trouveraient, sans faire attention à ceux qui le méritaient et à ceux qui en étaient indignes: le roi entra alors pour voir ceux qui étaient à table; et, apercevant un homme qui n’avait point la robe nuptiale, il lui adressa ces paroles que vous connaissez: « Mon ami, pourquoi es-tu venu ici, puisque tu n’as pas la robe nuptiale? Celui-ci garda le silence ». Le roi commanda qu’on lui liât les pieds et les mains, et qu’on le jetât dans les ténèbres extérieures. Ce malheureux fut donc enlevé de vive force de la salle du festin et précipité dans les tourments. Quel était cet homme? Quelle place tenait-il, quel nombre représentait-il au milieu de cette foule de convives? Le Seigneur a voulu nous faire comprendre que cet homme représentait à lui seul un corps composé d’un grand nombre de membres; après nous avoir dit que le roi donna ordre de jeter cet homme hors de la salle, et de le précipiter dans les tourments qu’il avait mérités, il a, en effet, immédiatement ajouté:

« Car il y en a beaucoup d’appelés, et peu d’élus 1 ». Comment? Vous avez invité au festin une foule d’hommes: un grand nombre s’y sont rendus: vous avez commandé, vous avez fait annoncer partout le repas des noces, le nombre des conviés s’est démesurément accru 2, la chambre nuptiale s’est trouvée remplie de convives, un seul d’entre eux a été exclu de l’assemblée, et vous dites: « Il y en a beaucoup d’appelés, et peu d’élus? » Ne serait-il pas plus exact de dire: Tous sont appelés, il y en a beaucoup d’élus: un seul a été renvoyé. Si le Seigneur disait : Beaucoup ont été appelés; la plupart d’entre eux ont été choisis; quelques-uns d’entre eux ont été réprouvés, il serait assez naturel de penser que ce petit nombre d’hommes réprouvés se trouvent représentés par l’homme qui fut seul exclu ; mas ce n’est pas ainsi qu’il s’exprime; il dit d’abord qu’un seul des invités a été renvoyé, puis il ajoute: « Il y en a beaucoup d’appelés et peu d’élus ». Si ceux qui sont restés dans la salle du festin ne sont pas les élus, où les trouver? L’homme réprouvé en a été chassé, les élus y sont restés: il y a peu d’élus, parce que ce malheureux réprouvé en représente, dans sa

 

1. Matth. XXII, 10-14. — 2. Ps. XXXIX, 6.

 

personne, une multitude d’autres. Tous ceux dont les désirs ne s’élèvent pas au-dessus de ce bas monde, qui préfèrent à Dieu les joies de la terre, qui cherchent leur avantage, et non la gloire de Jésus-Christ 1, tous ceux-là sont les citoyens d’une seule et même ville, de la Babylone mystique quia pour roi le démon; de même, cette autre ville, que le Christ gouverne, se compose de toutes les personnes animées de sentiments célestes, dont les pensées sont toutes spirituelles, qui vivent ici-bas avec tremblement, dans la crainte d’offenser Dieu; qui s’efforcent de ne point commettre le péché, et ne rougissent point d’avouer leurs fautes lorsqu’elles ont eu le malheur d’en commettre: en un mot, elle compte pour habitants les hommes humbles et doux, les chrétiens qui sont devenus saints, justes, pieux et bons. Babylone a paru la première en ce monde; mais si elle l’emporte par son ancienneté, elle est loin de l’emporter sous le rapport de l’excellence et de la gloire: elle est donc l’aînée Jérusalem est plus nouvelle; son existence date d’une époque moins éloignée de nous. La première remonte à Caïn, la seconde à Abel. A chacune de ces deux villes appartient une société d’hommes d’un caractère particulier, que gouverne un roi différent de l’autre ; toujours opposées l’une à l’autre, ces deux sociétés lutteront ensemble jusqu’à la fin du monde; aujourd’hui leurs membres se trouvent confondus ensemble, mais alors aura lieu leur séparation: les uns seront placés à droite, et les autres à gauche; aux uns l’on dira: « Venez, bénis de mon a Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde»; et aux autres: « Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le démon et ses anges 2». Elevé, le jour de son triomphe, au-dessus de tout, le Roi de la Ville sainte, le Christ dira à ses sujets : « Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde ». A ceux qui seront à sa gauche, aux habitants de la ville des pécheurs, il tiendra un autre langage « Allez au feu éternel». Fera-t-il une distinction entre le roi de cette ville et ses sujets ? Non, car il ajoutera: « Qui a été préparé pour le démon et ses anges ».

7. Attention, mes frères; attention, je vous en prie: ce serait pour moi un véritable plaisir

 

1. Philip. II, 21. — 2. Matth. XXV, 34, 41.

 

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de vous parler encore quelques instants de cette cité sainte, dont la pensée fait le charme de mon âme. En effet, ô cité de Dieu, on m’a dit de toi de bien belles choses 1. Si jamais, ô Jérusalem, ton souvenir s’efface de ma mémoire, que ma main droite tombe elle-même en oubli 2 ! Cette ville, dont le souvenir m’est si doux, est vraiment notre patrie: je ne dis pas assez, elle est notre seule patrie; tout ce qui se trouve en dehors d’elle n’est pour nous qu’un triste lieu d’exil. Je ne vous entretiendrai donc pas de choses qui vous soient inconnues: vous approuverez ce que je vais vous dire, car je ne ferai que raviver vos souvenirs ; vous connaissez d’avance l’objet de mes enseignements. L’Apôtre a dit: « Ce qui est spirituel n’a pas été formé le premier; ce qui est animal l’a été d’abord: ensuite est venu ce qui est spirituel 3 ». Puisque Caïn est né le premier, et qu’Abel est venu au monde après lui, Babylone est donc la plus ancienne 4. Mais, comme les deux fils d’Adam que nous venons de nommer, « l’aîné sera l’esclave du plus jeune » ; de même si Babylone l’emporte sur Jérusalem par l’ancienneté, Jérusalem est bien supérieure à Babylone par la dignité 5. Mais pourquoi celle-ci a-t-elle existé avant celle-là? L’Apôtre nous le dit: « Ce qui est spirituel n’a pas été formé le premier : ce qui est animal l’a été d’abord; ensuite est venu ce qui est spirituel ». Et pourquoi Jérusalem l’emporte-t-elle en dignité sur Babylone? Parce que l’aîné sera l’esclave du plus jeune ». La sainte Ecriture nous apprend que Caïn bâtit une ville 6. On en était alors au commencement de toutes choses: les hommes n’avaient encore accompli aucun travail : nulle autre ville n’existait. Il est pour toi facile de le comprendre: Caïn et Abel comptaient déjà un grand nombre de descendants: leurs familles s’étaient suffisamment étendues pour pouvoir composer une société et former la population d’une ville. L’aîné des deux frères bâtit donc une ville, à une époque où il n’y en avait pas d’autre. Jérusalem, la ville sainte, cité et royaume de Dieu, ombre et figure de l’avenir, Jérusalem fut bâtie ensuite. Grand et ineffable mystère, indiqué dans ces paroles de saint Paul: « Ce qui est spirituel n’a pas été formé le premier; ce qui est animal l’a été d’abord; ensuite

 

1. Ps. LXXXVI, 3. — 2. Ps. CXXXVI, 5. — 3. I Cor. XV, 46. — 4. Gen. IV, 1, 2. — 5. Gen. XXV, 23. — 6. Gen. IV, 17.

 

est venu ce qui est spirituel ». Caïn fut donc le premier à édifier une cité, et il l’édifia quand il n’en existait pas encore d’autre. Mais, au moment où Jérusalem fut construite, on en voyait déjà une; elle porta d’abord le nom de Jébus, d’où est venu à ses habitants celui de Jébuséens. Cette ville tomba au pouvoir des ennemis: ils la soumirent à leur puissance et la détruisirent, et sur ses ruines, avec ses débris, on en éleva une nouvelle: c’était Jérusalem, la vision de paix, la cité de Dieu 1. Parce qu’on est enfant d’Adam, on n’est point pour cela citoyen de Jérusalem ses descendants traînent à leur suite les chaînes du péché, et comme conséquence de leur état de péché, ils en subissent la peine, ils sont condamnés à mourir. La vieille ville de Jébus les compte donc, en un sens, au nombre de ses habitants; mais s’ils veulent appartenir au peuple de Dieu, il faut qu’en eux le vieil homme soit détruit et fasse place au nouveau; com prenez-vous maintenant pour. quoi Caïn a bâti une ville à une époque où il n’y en avait pas encore? Chacun de nous est d’abord sujet aux passions mauvaises et à la mort, pour devenir bon ensuite: « car, de même que plusieurs sont devenus pécheurs par la désobéissance d’un seul, ainsi par l’obéissance d’un seul plusieurs deviendront justes 2». « Nous mourons tous en Adam 3 », et chacun de nous tire de lui son origine. Passons donc à Jérusalem; le vieil homme sera détruit en nous, et le nouveau y sera édifié. Comme il aurait pu parler aux Jébuséens au moment de la ruine de leur ville et de la construction de Jérusalem, l’Apôtre nous parle à nous-mêmes, et nous dit : « Dépouillez-vous du vieil homme, et revêtez-vous de l’homme nouveau 4 ». Et à tous ceux d’entre nous qui. font maintenant partie de Jérusalem, et qui brillent de l’éclat de la grâce, saint Paul dit encore: « Autrefois vous avez été ténèbres; « mais aujourd’hui, vous êtes lumière dans le Seigneur 5 ». La cité des méchants est donc aussi ancienne que le monde : elle durera jusqu’à la consommation des siècles ; les habitants de la cité de Dieu ne sont que des pécheurs convertis.

8. Les habitants de ces deux villes sont maintenant confondus ensemble; à la fin des temps ils seront séparés: une lutte acharnée règne

 

 

1. Jos. XVIII, 28.— 2. Rom. V, 19.— 3. I Cor. XV, 22.— 4. Colos. III, 9, 10. — 5. Eph. V, 8.

 

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entre eux tous, car les uns combattent pour l’iniquité et les autres pour la justice; ceux-ci pour la vérité, ceux-là pour la vanité. Par suite de ce mélange temporaire des bons et des méchants, il arrive que des citoyens de Babylone dirigent les affaires de Jérusalem, comme parfois les habitants de Jérusalem ont entre les mains la direction des affaires de Babylone. La preuve de ce que j’avance vous paraît difficile à apporter; la voici néanmoins: Prenez patience; des exemples vous en convaincront. Suivant le langage de l’Apôtre, « tout » ce qui arrivait au peuple juif « était figure: et  tout a été écrit pour nous servir d’instruction, à nous qui nous sommes rencontrés à la fin des temps 1 ». Portez donc votre attention et vos regards sur ce premier peuple qui a été l’image du peuple suivant, du peuple chrétien , et vous toucherez du doigt la preuve de mes paroles. Il y eut à Jérusalem de mauvais rois, tout le monde le sait: on en connaît le nom et le nombre. Ils étaient donc tous, sans exception , des citoyens de Babylone , et pourtant ils gouvernaient Jérusalem, en dépit de leur méchanceté: ils devaient, plus tard, en être éloignés pour partager le sort des démons. Par contre, nous voyons à la tête de l’administration de Babylone des habitants de la cité de Dieu. Vaincu par le prodige de la fournaise ardente, Nabuchodonosor n’a-t-il point confié le gouvernement de son royaume aux trois jeunes hébreux ? Les satrapes eux-mêmes ne leur étaient-ils pas soumis? En réalité, l’autorité supérieure a donc été exercée à Babylone par des habitants de Jérusalem 2. Remarquez-le, mes frères : le même fait se reproduit encore, et de nos jours, dans l’Eglise. En effet, le Sauveur a dit : « Faites ce qu’ils enseignent, mais ne les imitez pas ». Tous ceux auxquels s’appliquent ces paroles, sont des citoyens de Babylone, qui dirigent les affaires de Jérusalem, De fait , s’ils n’étaient en rien chargés de l’administration de cette ville, dirait-on d’eux: « Faites ce qu’ils disent? Ils sont assis sur la chaire de Moïse ». Et, d’autre part, s’ils étaient du nombre des citoyens de Jérusalem, et destinés à régner éternellement dans les cieux avec Jésus-Christ, ajouterait-on: « Ne les imitez pas 3? » Non ; puisque cette sentence sera prononcée contre eux: « Retirez-vous de moi, vous tous qui êtes des ouvriers

 

1. I Cor. X, 11. — 2. Dan, III, 97. — 3. Matth. XXIII, 2, 3.

 

d’iniquité 1 ». Vous le voyez donc, les habitants de la cité des méchants se trouvent parfois à même de gérer les affaires de la cité des justes. Assurons-nous maintenant que le rôle rempli par les uns l’est aussi quelquefois par les autres. Tout gouvernement de ce monde doit périr un jour; sa puissance disparaîtra le jour où se manifestera cette puissance royale à laquelle nous faisons allusion, quand nous disons dans notre prière: « Que votre règne arrive 2 », et dont il a été prédit: « Et son règne n’aura pas de fin 3 ». Ce gouvernement terrestre a donc à sa tête des citoyens sortis de nos rangs. Que de fidèles, en effet, que de justes, dans les villes qu’ils habitent, remplissent les fonctions de magistrats, de juges, de ducs et de comtes, et sont revêtus de l’autorité royale ! Ils sont tous vertueux et bons; ils ne pensent qu’aux choses admirables que l’on dit de vous, ô bienheureuse cité 4! Pour eux, tout ce qu’ils font dans cette passagère Babylone est un embarras et une entrave: le docteur de la Cité de Dieu leur commande de garder la fidélité à leurs supérieurs, soit « au roi, comme ayant une autorité souveraine, soit aux gouverneurs, comme envoyés de sa part pour punir ceux qui font mal, et traiter favorablement ceux qui font bien ». S’ils servent des maîtres, ils doivent leur obéir 5 : chrétiens, ils doivent se montrer soumis aux païens; parmi eux l’homme vertueux est obligé de se montrer fidèle même aux méchants, quoique sa sujétion à leur égard soit purement temporaire, et que sa destinée soit de régner éternellement. Ainsi en sera-t-il jusqu’au moment où l’iniquité arrivera à son terme 6. Les serviteurs omit donc l’ordre de supporter l’autorité de leurs maîtres, même lorsqu’elle se montre injuste et méchante : il faut que les citoyens de Jérusalem supportent les habitants de Babylone, et leur montrent, si j’ose parler ainsi, plus de déférence que s’ils appartenaient eux-mêmes à la société des pécheurs, car en eux doit s’accomplir cette parole du Sauveur: Si l’on te commande « de marcher l’espace de mille pas, fais-en deux mille 7 ». C’est à cette Babylone, répandue eu tous lieux, dispersée jusqu’aux extrémités de la terre, confondue, pour le moment, avec Jérusalem, c’est à elle que s’adressent les paroles du

 

1. Luc, XIII, 27.— 2. Matth. VI, 10.— 3. Luc, I, 33.— 4. Ps. LXXXVI, 3. — 5. I Pierre, II, 13, 18. —  6. Ps. LVI, 2. — 7. Matth. V, 41.

 

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Psalmiste: « Jusques à quand accablerez-vous un seul homme ? Faites-le tous mourir » . Vous tous qui êtes en dehors comme des épines dans les buissons, comme des arbres stériles dans les forêts, vous qui tenez au dedans la place de l’ivraie ou de la paille; qui que vous soyez, séparés déjà des bons ou mêlés encore avec eux, ou destinés à exercer encore la patience des justes, et à vous en voir un jour forcément éloignés, « faites-les tous mourir; jetez-vous sur moi comme sur un mur qui penche, comme sur une maison qui tombe en ruine. Ils ont conspiré en eux-mêmes pour me ravir mon honneur ». Ils ne l’ont pas dit; ils se sont contentés de le penser. « Ils ont conspiré en eux-mêmes pour me ravir mon honneur ».

9. « Dans l’excès de ma soif, j’ai couru ». Ils me rendaient le mal pour le bien 1. Ils me faisaient mourir, ils me repoussaient; pour moi, j’avais soif de leur salut; ils voulaient me ravir ma gloire, et moi je brûlais du désir d’en faire les membres de mon corps. Effectivement, lorsque nous buvons, que faisons-nous si ce n’est d’introduire dans notre corps, et de faire passer jusqu’à l’extrémité de nos membres, une humidité et une fraîcheur qui se trouvent hors de nous ? Ainsi agit Moïse avec la tête du veau d’or. Cette tète avait une signification prophétique et cachait un grand mystère, car elle représentait la société des méchants, qui par leur amour excessif des avantages temporels ne ressemblent que trop aux jeunes boeufs dont la plus grande jouissance consiste à manger l’herbe des champs 2. Car « toute chair n’est que de l’herbe 3 ». Parmi les Israélites, il y avait, comme je l’ai dit, une société d’impies. Vivement irrité de leur idolâtrie, Moïse jeta dans le feu la tête du veau d’or, la fit réduire en poussière, et jeta cette poussière dans de l’eau qu’il fit ensuite boire au peuple 4. La colère du législateur des Israélites fut elle-même une prophétie. Cette société des impies est jetée par Dieu dans le creuset des tribulations, et par sa parole il la réduit en poussière: car, peu à peu se dissipe leur union, elle s’use insensiblement, pareille à un vêtement qui vieillit; tous ceux qui deviennent chrétiens s’en séparent: ce sont, en quelque sorte, des grains de poussière qui se détachent de l’ensemble:

 

1. Ps XXXIV, 12. — 2. Ps. CV, 20. — 3. Isaïe, XL, 6. — 4. Exode, XXXII, 20.

 

unis les uns aux autres, ils sont les ennemis de la foi; dès qu’ils s’éloignent les uns des autres, ils l’embrassent avec empressement. Pouvait-il y avoir un signe plus clair des effets du baptême ? A l’aide de l’eau baptismale les hommes ne devaient-ils pas entrer dans le corps de cette Jérusalem spirituelle, dont le peuple juif était l’image? La société des pécheurs a été jetée dans l’eau, et ce mélange n’est-il pas devenu comme un breuvage destiné aux enfants d’Adam? Tel est le breuvage après lequel, dans l’ardeur de sa soif, soupirera jusqu’à la fin celui qui parle en ce psaume : il a soif , il s’élance , il boit une multitude d’âmes, et, pourtant, sa soif ne sera jamais étanchée: voilà pourquoi il disait à la Samaritaine : « Femme, j’ai soif,  donne-moi à boire 1». Elle reconnut auprès du puits que le Christ avait soif, et ce fut lui qui la désaltéra ; elle reconnut la première de quelle nature était la soif du Fils de Dieu, et, par sa foi, elle l’étancha. Attaché à la croix, il dit : « J’ai soif 2 », et néanmoins les Juifs ne lui donnèrent point le breuvage qui pouvait le désaltérer. Il avait soif de leur salut, et ils ne lui offrirent que du vinaigre. Au lieu de lui donner de ce vin nouveau qui doit remplir des outres nouvelles, ils lui apportèrent du vin si vieux qu’il en était gâté et corrompu 3. Au vin corrompu on donne indifféremment le nom de vin vieux et celui de vinaigre; par là on désigne ceux qui demeurent dans le vieil homme, et dont il a été dit: « Pour eux, il n’y a pas de changement 4 ». Jamais ils ne seront détruits comme les Jébuséens, jamais on ne se servira d’eux pour bâtir Jérusalem 5.

10. A l’exemple de son divin chef, l’Eglise court altérée, depuis le commencement du monde, et jusqu’à la fin des temps la soif la poussera à courir toujours. N’aurait-on pas le droit de lui dire: O corps sacré de Jésus-Christ, ô sainte Eglise du Sauveur, d’où vous vient cette soif brûlante? que vous manque-t-il? Hé quoi! vous jouissez ici-bas d’une gloire sans égale; vous êtes environnée de l’éclat le plus brûlant; vous êtes parvenue au faîte de la grandeur; manquerait-il encore quelque chose aux prérogatives dont le Seigneur vous a enrichie jusqu’à présent? Vous voyez s’accomplir en vous cette prophétie : « Tous les rois de la

 

1. Jean, IV, 7. — 2. Jean, XIX, 28. — 3. Matth. IX, 17. — 4. Ps. LIV, 20. — 5. II Rois, V, 6.

 

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terre l’adoreront, et toutes les nations seront «soumises à son empire 1». Pouvez-vous désirer davantage? Que souhaitez-vous encore? La multitude des peuples qui vous obéissent ne vous suffit-elle pas? Hélas, répondrait-elle, de quels peuples me parlez-vous? « Ils me bénissaient du bout des lèvres, et, dans le fond du coeur, ils me maudissaient. Il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus 2». Une femme affligée d’un flux de sang toucha la frange du vêtement de Jésus, et se trouva guérie : le Sauveur s’était aperçu qu’elle le touchait, car il avait senti qu’une vertu était sortie de lui pour la guérir; il s’étonna de l’action que cette femme s’était permise, et dit à ses disciples : « Qui est-ce qui m’a touché ? » Tout surpris d’une question pareille, ils lui répondirent : « Une foule énorme se presse autour de vous, et vous demandez qui est-ce qui a pu vous toucher? » Et il ajouta: «Quelqu’un m’a touché 3», comme s’il avait voulu dire: La foule me presse, mais une seule personne m’a touché. Ceux qui, dans les solennités de , Jérusalem, remplissent nos églises, profitent des fêtes de Babylone pour remplir les théâtres : cette foule immense sert, respecte et honore la foi de Jésus-Christ; mais de quelles personnes se compose-t-elle? De chrétiens qui participent aux sacrements du Sauveur, et qui, néanmoins, détestent ses commandements; de gens qui ne reçoivent pas ces sacrements de la loi nouvelle, parce qu’ils sont encore juifs ou païens : ils honorent, ils louent, ils prêchent la foi de Jésus-Christ; mais, en réalité, « ils ne la bénissent que du bout des lèvres ». Je ne m’arrête pas à leurs paroles, dit l’Eglise: Celui qui m’a éclairé de sa divine lumière sait qu’ « ils me maudissent dans le secret de leur cœur ». Ils me maudissent, dès lors qu’ils cherchent à me ravir ma gloire.

11. O Idithun, ô corps de Jésus-Christ, qui distancez ces impies, quelle sera votre ligne de conduite au milieu de tant de scandales? Que ferez-vous? Vous laisserez-vous aller au découragement ? Ne persévérerez-vous pas jusqu’à la fin? Quoiqu’il ait été dit que, « quand l’iniquité abondera, on verra se refroidir la charité », n’écouterez-vous pas ces autres paroles: « Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé 4? » Les auriez-vous

 

1. Ps. LXXI, 11 — 2. Matth. XXII, 14. — 3. Marc, V, 25-31. — 4. Matth. XXIV, 13, 12.

 

inutilement devancés ? Et vos pensées ne s’élèveraient-elles plus vers le ciel 1? Les pécheurs sont affectionnés aux choses de la terre; citoyens et habitants de ce monde, ils n’ont de goût que pour lui; ils ne sont que de la terre; les serpents trouvent en eux leur nourriture. Que ferez-vous donc au milieu d’eux? Leurs pensées et leurs oeuvres sont opposées aux miennes; ils se jettent sur moi et cherchent à me renverser, comme on cherche à renverser un mur qui a perdu son aplomb: en dépit de leurs efforts, je leur apparais toujours droit et ferme; alors ils s’ingénient à me ravir ma gloire: de leur bouche sortent mes louanges, et ils me maudissent dans le secret de leurs âmes : partout où ils le peuvent, ils creusent des pièges sous mes pas, et ils ne manquent aucune occasion de me calomnier: « Quoi qu’il en soit, mon âme restera soumise au Seigneur 2 ». Qui est-ce qui pourra supporter tant de luttes ouvertes et cachées? Comment ne point défaillir au milieu d’un si grand nombre d’ennemis connus et de faux frères? Comment résister à de si difficiles épreuves? Un homme en est-il capable? Et s’il en a la force, est-ce en lui-même qu’il la trouve? Oh! si j’ai devancé mes ennemis, je ne m’en prévaus pas, car je ne veux pas que Dieu me frappe et m’humilie. « Mon âme sera soumise au Seigneur, car c’est de lui que me vient ma patience ». Au milieu de tant de scandales, qui est-ce qui peut me soutenir, sinon l’attente de ce que nous espérons sans le voir encore 3? La douleur m’accable aujourd’hui, bientôt sonnera pour moi l’heure du repos. La tribulation est maintenant mon partage: plus tard, je recouvrerai mon innocence. L’or brille-t-il de tout son éclat dans le creuset du joaillier? On le verra dans toute sa beauté, quand on l’emploiera à former un collier ou d’autres ornements; mais, auparavant, il lui faut passer par le creuset, pour se débarrasser de tout alliage et paraître au grand jour dans toute sa splendeur. Au creuset il y a de la paille, de l’or et du feu: le souffle de l’orfèvre s’y fait sentir, le feu prend à la paille et purifie l’or; la paille est réduite en cendres : l’alliage se sépare de l’or. Le creuset, c’est le monde; la paille n’est autre que les pécheurs: les justes tiennent la place de l’or, la tribulation fait l’office du feu ; le joaillier, c’est Dieu : ce que veut le

 

1. Philipp. III, 20. — 2. Ps. LXI, 6. — 3. Rom, VIII, 25.

 

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joaillier, je le fais ; partout où il me place, je m’y tiens: mon devoir est de souffrir : à Dieu, de me purifier; la paille prendra feu, elle semblera destinée à me brûler et à me consumer; mais, en définitive, elle se réduira en cendres; pour moi, je sortirai des flammes débarrassé de toutes souillures. Comment cela? « Parce que mon âme sera soumise à Dieu, et que ma patience vient de lui ».

12. Quel est celui qui vous donne la patience? « Il est mon Dieu et mon Sauveur; il est mon protecteur, et je ne serai point ébranlé 1 » . « Il est mon Dieu », voilà pourquoi il m’appelle; « il est mon Sauveur», aussi me justifie-t-il: « Il est mon protecteur », il me glorifiera donc: sur la terre ont lieu ma vocation et ma justification; ma glorification se fera dans le ciel « jamais je n’en sortirai » ; ici-bas je me trouve dans un lieu d’exil, où je n’aurai point de séjour permanent: plus tard, je m’en éloignerai pour entrer dans une demeure éternelle. Je ne suis maintenant auprès de vous qu’un étranger sur la terre, à l’exemple de tous mes ancêtres 2. Je sortirai donc du lieu de mon pèlerinage ; mais mon habitation céleste, je ne la quitterai pas.

13. « J’attends de Dieu mon salut et ma gloire 3 ». En Dieu je trouverai mon salut et ma gloire, j’y puiserai l’un et l’autre: le salut, parce que sa grâce me sépare des impies et me rend juste 4; la gloire, parce qu’après m’avoir justifié, il me conduira à l’honneur des élus. En effet, « Dieu a appelé ceux qu’il a prédestinés » ; et pourquoi les a-t-il appelés? Il a justifié ceux qu’il « a appelés, et ceux qu’il a justifiés, il les a comblés de gloire 5 ». La justification aboutit au salut, et la glorification à l’honneur éternel. Qu’il en soit ainsi de la glorification, il est inutile de le prouver, cela est évident. Pour ce qui concerne la justification, nous allons essayer de le démontrer. Cette démonstration est d’autant plus facile que nous la trouvons dans I’Evangile. Certaines personnes qui se croyaient justes, blâmaient le Sauveur de ce qu’il s’asseyait à la table des pécheurs, et prenait ses repas avec des publicains et des hommes de moeurs relâchées. Que répondit le Sauveur à ces personnes orgueilleuses, à ces forts de la terre qui s’élevaient avec tant d’insolence, à ces gens qui se glorifiaient de la santé

 

1. Ps. LXI, 7.— 2. Ps. XXXVIII, 13. — 3. Ps. LXI, 8.— 4. Rom. IV, — 5. Rom. VIII, 30.

 

plus factice que réelle de leur âme? « Ceux qui se portent bien n’ont pas besoin de médecin:  il n’est nécessaire que pour les malades u. A ses yeux, quels hommes se portent bien? quels hommes sont malades ? Le voici, car il ajoute: « Si je suis venu, c’est pour appeler, non pas les justes, mais les pécheurs 1». Suivant lui, ceux qui jouissent d’une bonne santé, ce sont les justes; or, au lieu d’être effectivement justes, les Pharisiens se contentaient de croire qu’ils l’étaient: aussi, en concevaient-ils de l’orgueil, et partaient-ils de là pour reprocher aux malades la présence et les soins du médecin: toutefois, ils devinrent eux-mêmes si malades, qu’ils firent mourir ce médecin. Quoi qu’il en soit, le Sauveur donna aux justes le nom de sains, et celui de malades aux pécheurs. Celui qui a devancé les impies, s’exprime donc ainsi : Dieu lui-même est l’auteur de ma justification, et si plus tard je suis glorifié, il en sera encore la cause: « J’attends de Dieu mon salut et ma gloire »; « mon salut», pour être sauvé ; « ma gloire », pour être glorifié. Mais puisque je ne saurais parvenir, dès maintenant, à la gloire, que me reste-t-il pour le moment? « En Dieu, je trouverai du secours, car il sera la source de mon espérance », jusqu’au jour où je parviendrai à la justification et au salut; car nous « ne sommes sauvés que par l’espérance, et l’on n’espère pas ce que l’on voit 2», jusqu’au jour où j’entrerai dans cette gloire ineffable, dans le royaume du Père éternel, où les justes brilleront de l’éclat du soleil 3. En attendant ce jour fortuné, Idithun se trouve environné de tentations, d’iniquités, de scandales, d’hommes qui le combattent ouvertement, qui s’efforcent de le tromper par leurs paroles menteuses, qui le bénissent de bouche et le maudissent de coeur, qui veulent lui ravir sa gloire; il s’écrie: « En Dieu je trouverai mon Sauveur », parce qu’il soutient ceux qui combattent. Contre qui avons-nous à combattre? « Nous avons à combattre, non contre des « hommes de chair et de sang, mais contre les « principautés et les puissances 4. En Dieu « donc je trouverai mon secours : il est la source de mon espérance ». J’espère, car les biens qu’il m’a promis ne sont pas devenus mon partage : je crois, parce que je ne vois pas encore l’objet de ma foi. Lorsque

 

1. Matth. IX, 12, 13. — 2. Rom. VIII, 24. — 3. Matth. XIII, 43. — 4. Eph. VI, 12.

 

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enfin je le posséderai , je serai sauvé et glorifié; avant que luise pour nous ce jour fortuné, Dieu ne nous abandonnera pas quoiqu’il diffère de nous accorder ses dons éternels, il n’en est pas moins « mon soutien et la source de mon espérance».

14. « O peuples, espérez tous en lui 1 ». Imitez Idithun; devancez vos ennemis: laissez

bien loin derrière vous ceux qui vous résistent, qui s’opposent à votre marche vers le ciel, qui vous haïssent. « O peuples, espérez tous en lui, répandez vos coeurs en sa présence ». Ne vous laissez point aller au découragement, quand on vous dira: Où est donc votre Dieu? « Mes larmes», a dit le Prophète, « sont devenues mon pain durant le jour et pendant la nuit, parce qu’on me dit tous les jours: Où est ton Dieu? » Et il a ajouté: « J’ai fait de cela le sujet de mes réflexions, et j’ai répandu mon âme pour l’élever au-dessus de moi 2 », J’ai gardé le souvenir de ce que j’ai entendu: « Où est ton Dieu? » je me le suis rappelé, et j’ai répandu mon âme pour l’élever au-dessus de moi ». Je cherchais Dieu, et, pour parvenir jusqu’à lui, je suis sorti de moi-même, j’ai répandu mon âme et l’ai élevée au-dessus de moi. « O peuples, espérez donc tous en lui; répandez vos coeurs en sa présence », et, pour cela, priez, confessez vos fautes, livrez-vous à l’espérance. Ne retenez pas vos coeurs, ne les emprisonnez pas en eux-mêmes, « répandez-les en sa présence »; pour les répandre ainsi, vous ne les perdrez pas, Car il est mon protecteur ». S’il te protège, que craindrais-tu à répandre le tien? Décharge-toi de toutes tes peines sur le Seigneur 3, et mets en lui ton espérance. « Répandez vos coeurs en sa présence; il est notre soutien ». Pourquoi craindre les calomniateurs et les médisants qui vous environnent? Dieu les déteste 4. S’ils le peuvent, ils vous attaquent ouvertement: quand ils en sont incapables, ils vous tendent des piéges: ils feignent de vous louer: en réalité, ils vous maudissent, parce qu’ils sont vos ennemis; mais, encore une fois, pourquoi les craindre? « Dieu est notre soutien » . Sont-ils de force à lutter avec lui? Sont-ils plus puissants que lui? « Dieu est notre soutien ». Soyez donc tranquilles. Si Dieu est pour nous, qui est-ce qui sera contre nous 5?. « Répandez vos coeurs en sa présence », en

 

1. Ps. LXI, 9.— 2. Ps. XLI, 4, 5.— 3. Ps. LIV, 23.— 4. Rom. I, 29, 30 —  5. Rom. VIII, 31.

 

vous approchant de lui, en élevant vos âmes jusqu’à lui. « Dieu est notre soutien ».

15. Puisque vous êtes parvenus en lieu sûr, puisque vous êtes protégés contre vos ennemis par une tour inexpugnable, prenez pitié de ceux qui vous inspiraient de la crainte vous, aussi, vous devez éprouver les ardeurs de la soif, et courir: placés dans la forteresse, regardez les adversaires d’un oeil de commisération, et dites: « Toutefois, les hommes « sont vains, les enfants des hommes sont menteurs 1 ». Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le coeur pesant? Vous êtes vains, enfants des hommes, vous êtes menteurs: pourquoi donc aimez-vous la vanité ? Pourquoi allez-vous à la recherche du mensonge 2 ? Tenez-leur ce langage imprégné de compassion et de sagesse. Si vous avez devancé vos ennemis, si vous les aimez, si vous ne prétendez détruire en eux le vieil homme qu’alla d’y faire naître l’homme nouveau, si vous aimez celui qui juge les nations et relève les ruines 3, tenez-leur ce langage; mais, en leur parlant de la sorte, ne vous laissez point conduire par les sentiments de haine, ne cherchez point à rendre le mal pour le mal 4. « Les enfants des hommes sont trompeurs dans leurs balances; ils s’accordent ensemble dans la vanité ». Ils sont en grand nombre, mais en définitive ils ne font qu’un, et l’homme qui les représente tous dans sa personne, est celui-là même qui a été chassé du festin des noces 5 . Ils sont tous d’accord pour rechercher les avantages de ce monde; ils sont tous charnels et ne veulent que les plaisirs de la chair; et s’ils espèrent quelque chose pour l’avenir, leurs espérances sont aussi toutes charnelles. Divisés, pour tout le reste, en une multitude de partis différents, ils ne font plus qu’un dès qu’il s’agit de la vanité. Leurs erreurs sont innombrables, et se manifestent avec une surprenante variété de formes: un royaume ainsi divisé ne saurait subsister longtemps 6; mais, en eux tous on remarque un penchant égal et pareil de tous points pour la vanité et le mensonge, un dévouement absolu pour le même roi, pour ce maître avec lequel ils seront éternellement condamnés au feu 7. « Ils s’accordent ensemble dans la vanité ».

16. Mais voyez quelle soif Idithun ressent

 

1. Ps. LXI, 10. — 2. Ps. IV, 3. — 3. Ps. CIX, 6. — 4. Rom. XII, 17. — 5. Matth. XXII, 13. — 6. Matth. XII, 25. — 7. Matth. XXV, 41.

 

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à leur endroit : voyez avec quelle ardeur il court vers eux dans l’excès de sa soif. Altéré du désir de leur salut, il se tourne vers eux et leur dit : « Ne mettez point votre espérance dans l’iniquité ». Pour moi, je mets la mienne en Dieu. « Ne mettez point votre espérance dans l’iniquité 1».Vous tous qui ne voulez ni vous approcher, ni marcher plus vite que les méchants, prenez garde; « ne mettez point votre espérance dans l’iniquité ». Je vous ai devancés: j’ai placé mon espérance dans le Seigneur: « l’iniquité se trouve-t-elle en lui 2?» « Ne mettez point votre espérance dans l’iniquité». — Faisons ceci; agissons encore de telle autre manière; pensons aussi à cela: tendons telle embûche: voilà bien le langage de ceux qui s’accordent dans la vanité. Pour toi, tu es altéré; par ceux qui ont déjà servi à étancher ta soif, tu as appris à connaître ceux qui nourrissent contre toi de pareilles pensées. « Ne mettez point votre espérance dans l’iniquité ». Elle est vaine, ce n’est rien ; la puissance n’appartient qu’à la justice. On peut, pour quelque temps, obscurcir la vérité: jamais on ne sera à même d’en triompher complètement. L’iniquité peut momentanément fleurir, mais son éclat est de courte durée. « Ne mettez point votre espérance dans « l’iniquité, ne désirez point commettre la rapine ». Tu n’es pas riche, et tu veux t’emparer du bien d’autrui? Que gagnes-tu? Que perds-tu? O ruineux bénéfice! Tu gagnes de l’argent, et tu perds la justice. « Ne désirez point commettre la rapine». — Je suis pauvre, je n’ai rien.—Voilà pourquoi tu veux te rendre voleur? Tu vois ce que tu dérobes, et tu ne vois pas de qui tu deviens la proie? Ignores-tu donc que l’ennemi rôde autour de toi comme un lion rugissant, et qu’il cherche à te dévorer 3? Le bien d’autrui que tu veux t’approprier , est dans une souricière ; tu le prends et tu es pris. O pauvre, ne désire donc point commettre la rapine; que tes désirs se portent vers Dieu, car de lui nous viennent les choses nécessaires à la vie 4. Il t’a créé, il te nourrira. Le voleur reçoit de lui sa nourriture, et il laisserait mourir de faim un innocent? Il pourvoira à la subsistance, car il fait lever le soleil sur les bons et sur les méchants, et tomber la pluie sur les justes et les pécheurs 5. Si sa main bienfaisante s’ouvre

 

1. Ps. LXI, 11. —  2. Rom. IX, 14. — 3. I Pierre, V, 8. —  4. I Tim. VI, 17. — 5. Matth. V, 45.

 

pour ceux qui doivent être réprouvés, se fermera-t-elle pour les futurs élus ? Ne désirez donc point commettre la rapine. Ceci soit dit au pauvre, qui peut-être ne devient voleur que sous l’influence de la nécessité. Voici maintenant pour le riche. Je n’éprouve, dit-il, aucun besoin de manquer à la probité: rien ne me manque; je me trouve dans l’abondance. O riche, prête aussi l’oreille à la voix du Prophète: « Si vous possédez d’abondantes richesses, n’y attachez pas votre coeur». L’un est riche, l’autre n’a rien; que celui-ci ne cherche pas à s’approprier les biens qui ne sont pas à lui; que celui-là ne s’affectionne pas à ce qu’il possède. « Si vous avez d’abondantes richesses, n’y attachez pas votre coeur ». C’est-à-dire, si elles surabondent chez toi, si elles semblent y couler comme de source, puissent-elles ne point t’inspirer une folle confiance en toi-même ! Puisses-tu ne pas y accoler ton coeur! « Si tu as d’abondantes « richesses», prends-y garde: tu n’as pas moins à craindre que le pauvre. Ne vois-tu pas, en effet, que si tu leur donnes tes affections, tu passeras comme elles? Tu es riche, tu ne désires plus rien, parce que ta fortune est grande. Ecoute l’Apôtre parlant à Timothée: « Recommande aux riches de ce monde de ne point être orgueilleux » ; et, pour expliquer ces paroles du Psalmiste: « N’y attachez pas votre cœur », il ajoute: « Et de ne pas mettre leur confiance en des biens incertains 1. Si vous avez d’abondantes richesses, n’y attachez » donc « pas votre coeur » : n’y mettez pas votre confiance, n’en concevez nul orgueil; qu’elles ne soient point le mobile de vos espérances, car on dirait de vous : « Voilà un homme qui n’a pas attendu de Dieu son secours, mais qui a placé sa confiance dans ses grandes richesses, et mis sa force dans la vanité 2 ». O vous, enfants des hommes, qui êtes vains et menteurs, ne commettez point de rapines, et, sites richesses abondent chez vous, n’y attachez pas votre coeur; n’aimez donc plus la va imité, ne cherchez plus le mensonge ! Heureux l’homme qui a mis son espérance dans le Seigneur Dieu, et qui ne porte son attention ni sur la vanité, ni sur les trompeuses folies du monde 3! Vous aspirez à devenir trompeurs, vous voulez commettre une fraude? De quoi vous servez-vous? De fausses balances. Car, dit le Psalmiste, « les enfants

 

1. I Tim. VI, 17. — 2. Ps. LI, 9. — 3. Ps. XXXIX, 5.

 

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des hommes trompent avec leurs balances». Ils cherchent à induire les autres en erreur en se servant de fausses balances. Vous trompez, par de mensongères apparences, ceux qui vous regardent; mais il y en n un autre pour peser: il y en a un autre pour juger du poids; l’ignorez-vous? Celui pour lequel vous employez une balance fausse ne s’aperçoit pas de votre supercherie; mais elle est connue de celui qui vous pèse tous les deux suivant les règles de son incorruptible justice. Ne désirez donc ni fraude ni rapine; ne mettez donc pas davantage votre espérance dans ce que vous possédez ; .je vous en avertis, je vous en préviens. Tel est le langage que vous tient Idithun.

17. Mais continuons : « Dieu a parlé une fois, et j’ai entendu ces deux choses: la puissance est à Dieu, et la miséricorde vous appartient, Seigneur; vous rendrez à chacun selon ses oeuvres 1 ».Voilà ce que dit Idithun. Du lieu élevé où il était parvenu, il a entendu une voix et il nous a répété ce qu’elle lui a dit. Mes frères, ses paroles me surprennent et me troublent ; aussi, je vous en conjure, veuillez me prêter toute votre attention, car je vais vous faire part de la crainte et de l’espérance qu’elles m’inspirent. Par la grâce de Dieu nous sommes parvenu à vous expliquer ce psaume dans tout son entier; nous n’avons plus à développer que le dernier verset, et quand nous l’aurons fait, il ne nous en restera pius rien à dire. Veuillez donc vous joindre à moi; efforçons-nous de comprendre ce passage, autant, du moins, que nous le pourrons. S’il m’est impossible d’en pénétrer parfaitement le sens, et qu’un autre parmi vous en soit capable, j’en ressentirai plus de joie que d’envie. Il est difiicile de comprendre comment, après avoir dit d’abord « que Dieu a parlé une fois », le Prophète ajoute que, néanmoins, « il a entendu deux choses ». Si, en effet, il avait dit: Le Seigneur a parlé une fois, et j’ai entendu une chose, la difficulté serait à moitié résolue; nous n’aurions plus qu’à pénétrer le sens de ces paroles : « Dieu a parlé une seule fois » . Nous avons donc deux questions à traiter: l’une relative à ces mots: « Dieu a parlé une fois » ; l’autre concernant ces paroles : « J’ai entendu deux choses», et la contradiction qui semble exister entre ces deux passages.

18. « Dieu a parlé une fois ». Que dis-tu, ô

 

1. Ps. LXI, 12, 13.

 

Idithun? Toi qui as devancé les impies, est-ce bien ton langage? «  Dieu a parlé une seule fois? »  Je consulte l’Ecriture, et elle me dit en un autre endroit: « Dieu a parlé souvent, et en plusieurs manières à nos pères, par les Prophètes 1 » Pourquoi donc dire: « Dieu a parlé une seule fois? » N’est-ce pas ce même Dieu qui a parlé à Adam dès le commencement du monde? N’est-ce pas le même Dieu qui a parlé à Caïn, à Noé, à Abraham, à Isaac, à Jacob, à Moïse et à tous les Prophètes? A lui seul, Moïse n’a-t-il pas souvent entendu la parole du Seigneur? Dieu a donc conversé avec plusieurs hommes, et bien des fois. Il a aussi parlé à son Fils, pendant qu’il vivait sur la terre; il lui a dit: « Tu es mon fils biens aimé 2 ».  Il a encore parlé aux Apôtres et à tous les saints; et si sa voix ne retentissait pas du haut du ciel, elle se faisait, du moins, entendre au fond du coeur; car c’est là que le Seigneur s’adresse particulièrement aux hommes pour les instruire. Aussi David disait-il: « J’écouterai ce que le Seigneur Dieu me dira dans le secret de mon âme, parce qu’il adressera des paroles de paix à son peuple 3 ». Qu’est-ce donc à dire: « Dieu a parlé une seule fois? » Idithun s’était élevé bien haut, puisqu’il était parvenu à l’endroit où Dieu n’a parlé qu’une fois. Je vais, en deux mots, expliquer à votre charité ma pensée tout entière. Sur la terre, sans doute , au milieu des hommes, Dieu a parié maintes fois, en différentes manières, en plusieurs endroits, par l’organe d’une foule de créatures diverses; mais, en lui-même, il n’a parlé qu’une fois, parce qu’il n’a engendré qu’un Verbe. Idithun, en devançant ses ennemis, s’était donc élevé, par la force pénétrante, par la vivacité , pleine de hardiesse et de confiance, de son esprit, au-dessus de ce monde et de tout ce qu’il renferme ; il s’était élevé au-dessus des airs et des nuages, du sein desquels le Seigneur avait parlé souvent et à une multitude d’hommes: il s’était élevé par l’essor puissant de sa foi, même au-dessus des anges: car, pareil à l’aigle, il avançait toujours, et, méprisant les régions terrestres, il s’élançait par-delà les nuées qui enveloppent l’univers, et dont la Sagesse a dit : « J’ai couvert toute la terre d’une nuée 4 ». Après avoir laissé bien loin derrière

 

1. Hébr. I, 1. —  2. Matth. III, 17. — 3. Ps. LXXXIV, 9. — 4. Eccli. XXIV, 6.

 

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lui toutes les créatures, brûlant du désir de trouver Dieu, répandant son âme au-dessus de lui, il était enfin parvenu à un ciel pur; il était arrivé jusqu’au Principe,jusqu’au Verbe, Dieu en Dieu: alors il trouva l’unique Verbe d’un Père unique; alors il comprit que Dieu n’a parlé qu’une fois, alors il vit le Verbe, par qui tout a été fait 1, et en qui toutes choses subsistent ensemble, dans leur entier, sans inégalité aucune. Car Dieu savait parfaitement ce qu’il faisait par son Verbe, et puisqu’il le savait, ce qu’il faisait était donc en lui avant d’exister. Si les choses, qu’il a créées, ne se trouvaient pas en lui, avant de sortir du néant, comment aurait-il pu connaître ce qu’il faisait ? Mais est-il possible de dire que Dieu faisait des choses sans les connaître d’avance? Les créatures étaient donc en lui comme dans leur archétype. Si, maintenant, on ne peut avoir la connaissance d’un objet qu’après sa création, par quel moyen a-t-il eu cette connaissance? Remarquez-le, mes frères, ce sont les créatures seules, c’est vous, ce sont les hommes sortis du néant et placés en ce bas monde, qui ne connaissent pas les oeuvres de Dieu, tant qu’elles n’ont pas apparu à leurs regards; pour le Créateur, elles n’avaient rien de caché, même quand elles étaient encore au nombre des êtres possibles:

lorsqu’il les a faites, il les connaissait donc. Avant leur création, toutes choses étaient, par conséquent, dans le Verbe, qui les a faites. Et depuis le jour où elles sont sorties du néant, elles sont encore dans le même Verbe, mats elles ne sont de la même manière ni dans le Verbe, ni dans le monde: elles sont, en effet, dans l’état où elles se trouvent, tout autres que dans l’idée de l’Eternel artiste qui les a créées. Qui est-ce qui pourra expliquer de tels mystères ? Nous essayons de le faire; mais suivez Idithun, et voyez vous mêmes.

19. Dieu n’a parlé qu’une fois: nous l’avons démontré de notre mieux; voyons maintenant comment Idithun a entendu deux choses : « J’ai entendu deux choses ». De ces paroles il ne suit pas nécessairement qu’il n’ait entendu que deux choses: « J’ai », dit-il, « entendu deux choses ». Tirons-en donc cette seule conséquence: Il a entendu deux choses qu’il nous est utile de savoir. Peut-être en a-t-il entendu beaucoup d’autres

 

1. Jean, I, 3.

 

qu’il est inutile de nous dire. Le Seigneur ne s’est-il pas exprimé en ce sens ? « J’ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez maintenant les comprendre 1 ». Que veut donc dire le Prophète par ces paroles: « J’ai entendu deux choses? » Je vous les ferai connaître; mais, faites-y bien attention, si je vous parle, ce ne sera pas en mon nom, mais de la part de celui que j’ai entendu. « Dieu a parlé une seule fois» ; il n’a engendré qu’un seul Verbe, son Fils unique, Dieu comme lui. Toutes choses sont en ce Verbe, parce que tout a été fait par lui: il n’a engendré qu’un seul Verbe, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science 2. Il n’a engendré qu’un seul Verbe, « il n’a parlé qu’une seule fois». En lui, « j’ai entendu les deux choses » que je vais vous dire: elles ne viennent pas de moi, je ne vous les rapporterai donc pas comme de moi: voilà pourquoi je vous dis que « je les « ai entendues. L’ami de l’époux se tient à côté « de lui et l’écoute 3», afin de dire la vérité. Il l’écoute, afin de ne point parler de lui-même, et de ne pas dire de faussetés 4. Tu n’auras donc point le droit de me dire: Qui es-tu, pour me parler ainsi ? Pourquoi me tiens-tu ce langage, car j’ai entendu ces deux choses : je t’en parle, parce que je les ai entendues, comme j’ai appris que Dieu a parlé une seule fois. J’ai entendu ces deux choses, qu’il t’est nécessaire de savoir: à force de m’élever au-dessus de toutes les créatures, je suis parvenu jusqu’au Verbe unique de Dieu, et j’ai appris en lui que le Seigneur a parlé une seule fois: tu ne dois donc pas mépriser mes paroles.

20. Qu’il nous rapporte donc enfin ces deux choses, car il nous importe singulièrement de les connaître. « La puissance est à Dieu : Seigneur, la miséricorde vous appartient». La puissance et la miséricorde, sont-ce bien là les deux choses dont il a. entendu parler? Oui, sans doute: comprenez donc bien ce que c’est que la puissance et la miséricorde de Dieu; Toutes les Ecritures se rapportent, à vrai dire, à ces deux points. Telles sont les causes de la mission des Prophètes, de la vocation des patriarches, de la promulgation de la loi, de l’Incarnation même de Notre-Seigneur

 

1. Jean, XVI, 12. — 2. Coloss. II, 3. — 3. Jean, III, 29. —             4. Jean, VIII, 44.

 

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Jésus-Christ, du ministère des Apôtres, de la prédication et de la glorification de la parole de Dieu dans l’Eglise: oui, en voilà les deux causes: la puissance et la miséricorde divines. Craignez sa puissance , aimez sa miséricorde. N’ayez pas en sa miséricorde une confiance telle que vous méprisiez sa puissance: ne redoutez pas, non plus, sa puissance, au point de perdre toute confiance en sa miséricorde. L’une et l’autre se trouvent en lui à un égal degré. Il humilie celui-ci, il élève celui-là; par sa puissance il abaisse l’un, il élève l’autre par sa miséricorde 1. « Dieu voulant manifester sa juste colère et faire voir sa puissance, souffre, avec une patience infinie, les vases de colère destinés à la perdition ». Voilà pour sa puissance; voici pour sa miséricorde : « Afin de faire connaître les richesses de sa bonté envers les vases de miséricorde qu’il a préparés pour la gloire». C’est donc le propre de sa puissance de condamner les pécheurs. Et personne n’osera lui dire: Qu’avez-vous fait? « Car, ô homme, qui es-tu pour te permettre d’accuser Dieu 2? » Que sa puissance t’inspire donc la crainte, et te fasse trembler; mais que sa miséricorde anime ta confiance. Le démon, lui aussi, est une puissance; mais le plus souvent, quand il veut faire du mal, il est réduit à l’impuissance, parce qu’il dépend d’un pouvoir supérieur. De fait, si le démon pouvait faire autant de niai qu’il le désire, tous les justes disparaîtraient; il ne laisserait pas un fidèle en ce monde. Par l’intermédiaire des vases de perdition, il se précipite sur eux comme sur un mur qui penche; toutefois il ne l’ébranle qu’autant que Dieu le lui permet: le Seigneur lui-même soutiendra ce mur, afin qu’il ne croule pas; car, en donnant au démon le pouvoir de tenter l’homme, il accorde à celui-ci son bienveillant secours. Le pouvoir d’éprouver les justes n’appartient donc à Satan que dans une certaine mesure. « Vous nous ferez boire avec mesure les larmes qui couleront de nos yeux », dit le Prophète 3. Parce que Satan a reçu l’autorisation de te maltraiter, n’en conçois aucune appréhension, car tu as un Sauveur rempli de bonté pour toi. Si donc il te tente, c’est pour ton bien c’est pour t’exercer , t’éprouver et t’aider à te connaître toi-même. D’où peut, en effet,

 

1. Ps. LXXIV, 8. — 2. Rom. IX, 22, 23, 26. — 3. Ps. LXXIX, 6.

 

nous venir la tranquillité, sinon de la puissance et de la miséricorde divines? Où pouvons-nous trouver la sécurité, sinon à cette source féconde? Car l’Apôtre a dit: « Dieu est fidèle , et il ne permet pas que vous soyez tentés au-dessus de vos forces 1 ».

21. « A Dieu donc appartient la puissance. Car toute puissance vient de Dieu 2 »; ne dis donc pas : Pourquoi le Seigneur donne-t-il au démon une pareille puissance? Ne devait-il pas lui refuser tout pouvoir ? — Celui qui accorde la puissance est-il dépourvu de justice? Tu peux murmurer injustement contre lui; pour lui, jamais il ne perdra l’équité. « Y a-t-il de l’injustice en Dieu? Non 3». Il faut bien t’en persuader: puisse ton ennemi ne jamais réussir à t’en faire perdre la mémoire! Les motifs qui portent Dieu à agir de telle ou telle manière, tu peux ne pas les connaître; mais il est sûr que la justice même ne peut se rendre coupable d’injustice. Tu accuses le Seigneur d’injustice: mais discutons ensemble un instant, et prête-moi ton attention. Tu l’accuses d’injustice: connais-tu les règles de la justice ? Pour porter une telle accusation sans blesser le droit, il est indispensable de savoir toutes les lois de la justice: il faut comparer ensemble l’équité et l’injustice. Comment, en effet, saurais-tu qu’une chose est injuste, si tu ne sais pas ce qui est juste? Qui est-ce qui sait si ce que tu appelles un procédé inique n’est pas de tous points conforme aux règles du droit? — Non, dis-tu, je maintiens mon opinion. Et tu le soutiens avec autant de fermeté que si tu le voyais de tes propres yeux; tu te prononces avec autant d’assurance dans le sens de l’injustice, que si tu tenais en tes mains l’infaillible règle de la justice et que l’appliquant à la conduite de Dieu, tu aperçusses une différence entre les deux. A t’entendre, ne croirait-on pas avoir devant soi uu expert chargé de discerner entre la ligne droite et celle qui ne l’est pas? Je t’adresse donc cette question: Comment sais-tu que telle chose est juste? Où est cette règle de justice dont la présence t’apprend que telle autre est injuste? D’où vient ce je ne sais quoi, dont ton âme se trouve de toutes parts imprégnée, même au sein des ténèbres, ce je ne sais quoi qui éclaire ton esprit? D’où sort notre règle de justice ? N’aurait-elle ni source ni

 

1. I Cor. X, 13. — 2. Rom. XIII, 1. — 3. Rom. IX, 14.

 

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principe? Diras-tu qu’elle a son principe en toi-même? Es-tu capable de te la donner? Personne ne peut te donner ce qu’il n’a pas. Si donc tu es injuste, tu ne peux devenir juste qu’en te conformant à une règle immuable de justice; tu deviens injuste dès que tu t’en éloignes: si tu t’en approches, tu deviens équitable. Que tu t’en éloignes, que tu t’en approches, elle est toujours la même. Où réside-t-elle donc? Sur la terre? Non. Si tu cherchais à y trouver de l’or ou des pierres précieuses, à la bonne heure; mais, ne l’oublie pas, nous parlons de la justice. La chercheras-tu dans la vaste profondeur des mers, au sein des nuages, dans les étoiles, parmi les Anges? Sans doute, elle habite au milieu des Anges, mais ils la puisent eux-mêmes à sa source; elle se trouve en chacun d’eux, et elle ne procède toutefois que d’un seul principe. Elève donc tes regards, monte au ciel, dirige-toi vers l’endroit où Dieu n’a parlé qu’une fois, et tu trouveras la source de la justice là ou se trouve la source de la vie. « Parce qu’en vous, Seigneur, est la source de la vie 1». De ce qu’avec tes faibles lumières tu crois pouvoir prononcer entre le juste et l’injustice, il ne suit nullement que l’injustice se rencontre en Dieu: trop souvent tu te trompes dans tes appréciations; mais quand elles sont justes, à quoi le dois-tu, sinon à un rayon de la justice divine qui est descendu sur toi? En lui donc se trouve la source de la justice. Ne cherche pas l’iniquité où l’on rencontre la pure lumière. Il est très-possible que tu ignores la raison des choses. S’il en est ainsi, accuse ton ignorance ; souviens-toi de ce que tu es: pense à ces deux choses: « La puissance est à Dieu; Seigneur, la miséricorde vous appartient. Ne cherche point à connaître ce qui est au-dessus de  toi: ne sonde point la profondeur des conseils divins qui dépassent les bornes de ton intelligence; qu’il te suffise de connaître les commandements du Seigneur, et que jamais tu n’en perdes le souvenir 2 » . A ces commandements se rapportent les deux choses entendues par Idithun: « La puissance est à Dieu;  et, Seigneur, la miséricorde vous appartient». Ne crains pas ton ennemi; il ne te fera jamais que ce qu’il a reçu le pouvoir de te faire : crains plutôt celui à qui appartient la puissance suprême : redoute celui qui peut

 

1. Ps. XXXV, 10. — 2. Eccli. III, 22.

 

faire tout ce qu’il veut, dont les oeuvres, loin d’être entachées d’injustice, sont, au contraire, marquées au coin de la plus intègre justice. Nous supposions injuste telle ou telle chose: mais dès lors que Dieu l’a faite, sa justice est démontrée.

22. Quand un homme fait mourir un innocent, fait-il bien ou mal ? Certes, il fait mal. Pourquoi Dieu lui permet-il d’agir ainsi? Avant de faire cette question, ne devrais-tu pas te souvenir que tu dois à Dieu ce commandement : « Partage ton pain avec le pauvre abrite ceux qui n’ont point d’asile, donne des vêtements à celui qui en manque 1?» La justice, de ta part, consiste à observer cette prescription divine : « Lavez-vous de vos  taches, purifiez-vous : dépouillez-vous de votre malignité, éloignez-la de mes yeux apprenez à faire le bien, à rendre justice à l’orphelin et à la veuve; puis vous viendrez, et nous discuterons ensemble, dit le Seigneur 2 ». Tu prétends discuter avec Dieu commence par te rendre digue d’engager cette discussion, en accomplissant tes devoirs, et alors tu demanderas au Tout-Puissant raison de ses actes. O homme, il ne m’appartient pas de te faire connaître les desseins de l’Eternel : je n’en ai pas le pouvoir ; je me borne à te dire que le meurtre d’un innocent est un crime, et que ce crime n’aurait pas lieu, si Dieu ne le permettait pas ; et de ce qu’un homme se soit rendu coupable d’une telle faute, il ne suit pas du tout que le Seigneur ait participé à cette iniquité en la permettant. Sans examiner la cause de cet homme, au sort duquel tu t’intéresses si vivement, et dont la mort te fait verser des larmes : je pourrais te dire dès maintenant qu’il n’aurait pas été assassiné, s’il n’avait pas été coupable, et, par là, je me trouverais en opposition avec toi, puisque tu soutiens son innocence : encore une fois, je pourrais te fàire cette réponse ; car, pour appuyer ton assertion sur une base sûre, pour dire avec apparence de raison, que cet homme a été injustement mis à mort, il faudrait avoir préalablement scruté son coeur jusque dans les plus secrets replis, examiné à fond tous ses actes, et disséqué chacune de ses pensées: or, tu ne l’as pas fait : je serais donc à même de clore ici la discussion. Mais tu me parles d’un juste;qu’on a pu, sans contredit et sans aucun doute,

 

1. Isaïe, LVIII, 7. — 2. Isaïe, I, 16-18,

 

appeler de ce nom : d’un juste qui n’avait commis aucune faute, et que, néanmoins, les pécheurs ont fait mourir, qu’un traître a livré aux mains de ses ennemis: tu me donnes pour exemple le Christ lui-même : certes, nous ne pouvons dire qu’il y ait eu en lui aucun péché , puisqu’il payait des dettes qu’il n’avait pas contractées 1. Que répondre à cette objection ? — Je te tiens, me diras-tu. — Moi aussi je te tiens. Tu me proposes une difficulté relativement au Christ : il me servira lui-même à la résoudre. Nous savons quels ont été les desseins de Dieu à l’égard de son Fils : il a lui-même pris soin de dissiper à cet égard notre ignorance. Puis donc que tu connais les motifs pour lesquels le Seigneur a permis à des scélérats de faire mourir son Fils, et que ses desseins sont de nature à obtenir ton assentiment, et, si tu es juste, à ne point te révolter, tu dois croire aussi qu’à l’égard des autres Dieu a ses vues, quoique tu ne les connaisses pas.

Mes frères, il a fallu le sang d’un juste pour effacer la cédule de nos péchés: nous avions besoin d’un exemple de patience et d’humilité : le signe de la croix était nécessaire pour triompher du démon et de ses anges 2. Il était indispensable pour nous que Notre Seigneur souffrit, car il a racheté le monde par sa passion. De quels bienfaits ses souffrances ont été pour nous la source ! Toutefois, le Sauveur, le juste par excellence, ne les aurait jamais endurées, si les pécheurs ne l’avaient attaché à la croix. Mais est-ce bien à ses bourreaux qu’il faut imputer les heureux résultats de sa mort ? Non: ils l’ont voulue, Dieu l’a permise: la volonté seule de faire périr Jésus-Christ aurait suffi à les rendre criminels mais Dieu n’aurait point permis une pareille mort, s’il y eût eu injustice à le faire. Les Juifs ont voulu tuer le Sauveur : supposons qu’un obstacle se soit opposé à la perpétration de leur crime, seraient-ils pour cela innocents ? Personne n’oserait ni le penser ni le dire. « Car le Seigneur examine le juste et le pécheur 3 », et « il pénètre jusque dans les pensées de l’impie 4 ». Il recherche, non pas ce qu’on a pu taire, mais ce qu’on a voulu faire. Si donc les Juifs avaient voulu faire mourir le

 

1. Ps. LXVIII, 5. — 2. Coloss. II, 14, 15. —  3. Ps. X, 6. — 4. Sag. 1, 9.

 

Christ, sans pouvoir toutefois parvenir à leurs fins, ils n’en seraient pas moins coupables; mais tu n’aurais pas reçu les bienfaits dont sa passion a été la source. Les impies ont donc agi de manière à le faire condamner: Dieu a permis cette condamnation, afin d’opérer ton salut. Ce que l’impie a voulu faire, lui est imputé à crime ; ce que Dieu a permis est venu de sa puissance : la volonté des Juifs a été contraire aux lois de la justice : la permission que Dieu leur a donnée y a été conforme. Aussi, mes frères, le scélérat qui a trahi le Sauveur, Juda et les bourreaux du Christ, étaient, les uns et les autres, des méchants, des impies et des pécheurs; tous étaient dignes de condamnation : et, pourtant, le Père « n’a pas épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous 1». Distingue, discerne, si tu le peux : offre à Dieu les voeux que tu as faits avec tin sage discernement 2. Vois ce qu’a fait le Juif prévaricateur : vois ce qu’a fait le Dieu juste : l’un a voulu faire mourir le Christ, l’autre l’a permis : la conduite de celui-ci est digne de louanges, la conduite de celui-là mérite le blâme le plus sévère. Condamnons les intentions perverses des pécheurs : glorifions les desseins équitables du Très-Haut. Le Christ est mort : quel mal a-t-il éprouvé? Ceux qui ont travaillé à sa perte, se sont perdus eux-mêmes. Mais, pour lui, ils n’ont pu lui causer aucun dommage, même en le livrant au dernier supplice. En mourant dans sa chair, il a porté à la mort le coup de grâce, il nous a enseigné la patience, et nous a donné, dans sa résurrection, le modèle de la nôtre. Quelle précieuse occasion de faire le bien les méchants ont-ils fournie au juste, en le faisant mourir? T’aider par sa grâce à faire le bien, tirer le bien du mal même que tu fais, n’est-ce pas une des preuves les plus sensibles de la grandeur de Dieu? Ne t’en étonne pas. Quand il permet de faire le mal, ce n’est point sans motifs : il ne le fait, du reste, qu’avec poids, nombre et mesure : sa conduite est à l’abri de tout reproche. Pour toi, fais seulement tous tes efforts pour lui appartenir; mets eu lui ta confiance; qu’il soit ton soutien et ton salut; qu’en lui tu trouves un asile inviolable, une imprenable forteresse; qu’il soit ton refuge, et il ne permettra pas que tu sois tenté au-dessus de tes forces, et il t’en fera sortir avec

 

1. Rom. VIII, 32. — 2. Ps. LXV, 13.

 

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avantage, en sorte que tu seras à même de supporter l’épreuve 1. Lorsque tu es éprouvé par la tentation, tu dois voir en cela l’action de sa puissance; mais sa miséricorde se manifeste, quand il ne permet pas que tu soit tenté au-delà de tes forces. « La puissance est à Dieu, et à vous, Seigneur, appartient la miséricorde : aussi vous rendrez à chacun selon ses oeuvres ».

 

Après l’explication de ce psaume, comme on montrait au milieu du peuple un homme qui s’était livré à l’astrologie judiciaire, Augustin ajouta :

 

Dans l’ardeur de sa soif, l’Eglise veut faire entrer aussi dans son corps, l’homme que vous avez sous les yeux. Dès lors il vous est facile de comprendre combien il en est parmi les chrétiens pour la bénir du bout des lèvres, et la maudire du fond du coeur. Autrefois chrétien fidèle, il revient aujourd’hui à elle dans les sentiments de pénitence et de crainte salutaire que lui inspire la puissance divine, et vient se jeter dans les bras de la miséricorde du Tout-Puissant. D’abord fidèle à sa foi et à ses devoirs, il a été séduit par l’ennemi, et il est devenu astrologue. Après avoir été lui-même séduit, il a séduit les autres; après avoir été trompé, il s’est fait trompeur; il en a attiré à son erreur; il les a jetés dans l’illusion, il a proféré quantité de mensonges contre le Dieu qui a donné aux hommes le pouvoir de faire le bien, et non celui de faire le mal. Il disait que l’adultère et l’homicide ne sont pas l’effet de notre volonté; que Vénus est l’auteur du premier, et Mars du second ; il ajoutait que la source de la justice se trouve, non pas en Dieu, mais en .Jupiter : enfin, mille autres blasphèmes abominables sont sortis de sa bouche. A combien de chrétiens il a extorqué de l’argent? Vous vous en feriez difficilement une idée. Que de fidèles ont acheté ses mensonges ! Pourtant, nous leur disions: Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le coeur lourd? Pourquoi aimez-vous la vanité et cherchez-vous le mensonge 2? Maintenant, s’il faut l’en croire, il déteste le mensonge et reconnaît qu’avant d’en tromper tant d’autres il avait été lui-même la dupe du démon. Nous pensons, mues Frères, qu’une grande frayeur a été la cause de sa conversion. Qu’ajouterons-nous? Si cet astrologue abandonnait

 

1. I Cor. X, 13. — 2. Ps. IV, 3.

 

aujourd’hui le paganisme pour entrer dans l’Eglise, nous en ressentirions, sans doute, une grande joie; mais ne devrions-nous pas craindre que le mobile de sa conversion fût un secret désir d’entrer dans la cléricature ? Celui-ci est pénitent; il ne demande qu’indulgence et pardon. Ouvrez donc les yeux sur lui; dilatez vos coeurs en faveur de cet homme repentant, nous vous en conjurons: celui que vous voyez, aimez-le du fond de vos entrailles ; portez incessamment sur lui vos regards. Considérez-le bien ; apprenez à le connaître, et partout où il ira, montrez-le à ceux de vos frères qui ne sont point ici : ces soins et cette vigilance seront, de votre part, une oeuvre de miséricorde, qui empêchera ce séducteur de se détourner du bien et de redevenir l’ennemi de la vérité. Soyez ses gardiens; que ses discours et sa conduite n’aient rien de caché pour vous : votre témoignage servira à nous assurer qu’il est vraiment revenu à Dieu. Ainsi placé sous votre surveillance, ainsi recommandé à votre compassion, il n’aura plus rien de caché pour vous. Vous savez, par les Actes des Apôtres, qu’un grand nombre d’hommes perdus, c’est-à-dire exerçant la même profession, et soutenant des doctrines perverses, apportèrent aux pieds des disciples du Sauveur tous leurs livres : on en brûla alors un si grand nombre, que l’Ecrivain sacré a cru devoir les estimer, et en consigner la valeur dans son récit 1. Il l’a fait, sans doute, pour la plus grande gloire de Dieu et pour empêcher de tels hommes de désespérer de la bonté de celui qui sait, quand il le veut, chercher ce qui était perdu 2. Celui-ci était perdu; mais Dieu l’a cherché, il l’a retrouvé, il l’a ramené; cet homme rapporte avec lui, pour les faire brûler, des livres qui devaient le condamner au feu éternel; du foyer ardent où ils seront bientôt consumés, il tirera pour son âme un véritable rafraîchissement. Sachez-le pourtant, mes frères, il y a longtemps qu’il frappe à la porte de l’Eglise, il avait commencé à le faire avant Pâques : dès avant Pâques, il demandait à l’Eglise chrétienne un remède à ses maux. Mais comme l’art dont il a fait profession, le rendait un peu suspect de mensonge et de dissimulation, nous avons cru devoir différer de le recevoir, dans la crainte d’être trompé; mais, enfin, nous l’avons reçu, pour ne pas l’exposer à une

 

1. Act. XIX, 19. —  2. Luc, XV, 32.

 

19

 

 

nouvelle et plus dangereuse tentation. Offrez donc à Dieu, pour lui, vos prières par la médiation du Sauveur. Que chacun de vous conjure aujourd’hui le Seigneur de

lui faire miséricorde; car nous savons, et nous en sommes sûr, que vos prières effacent toutes ses impiétés. Que Dieu soit avec vous !

 

 

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