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SERMONS DE SAINT AUGUSTINQUATRIÈME SÉRIE.DISCOURS SUR LE PSAUME LXI.SERMON AU PEUPLE.SOUMISSION A DIEU.
Séparé des méchants par la dignité de sa vocation, le chrétien, comme lEglise entière, se voit persécuté par eux, tantôt dune manière sanglante, tantôt par des procédés violents et toujours honteux pour ceux qui les emploient. La lutte entre Babylone et la eité de Dieu, entre les justes et les pécheurs, durera jusquà la fin des siècles. Néanmoins, il reste soumis à Dieu : loin de se venger, il souhaite et demande la conversion de ses adversaires; il attend de Dieu son secours en ce monde et sa gloire en lautre. Voilà les seuls biens réels quon puisse désirer; aussi, dans sa charité, sefforce-t-il de détourner ses ennemis de lamour des faux biens du monde et de les rapprocher de Dieu: là, ils apprendront à. connaître la vérité qui éclaire lhomme, et à pratiquer la vertu qui le sauve.
1. La grâce de Dieu, qui répand sur nous ses délices afin de féconder notre terre 1, nous fait trouver dans l’étude et l’intelligence de la parole sainte un plaisir si suave, que nous nous sentons pressés, nous, de vous l’expliquer, et vous, de l’entendre. Je le remarque avec bonheur et je men réjouis; vous néprouvez aucun ennui à nous écouter: vous apportez même ànos discours un goût intérieur très-prononcé, et, sous son influence, loin de repousser cette salutaire nourriture de vos âmes, vous la recevez avidement, et vous en faites votre profit. Aussi vous entretiendrons-nous encore aujourdhui, pour vous expliquer, autant que le Seigneur nous le permettra, le psaume que nous venons de chanter. Voici son titre: « Pour la fin, pour Idithun, psaume à David ».
1. Ps. LXXXIV, 13.
Je me souviens de vous avoir déjà indiqué le sens du mot Idithun. Si jentre bien dans la pensée de lauteur, et si je rends bien toute la force de lexpression hébraïque, je le traduirai dans notre langue par ces autres mots: Homme qui les dépasse. Celui dont les paroles vont nous occuper, en dépasse donc dautres; puis, du lieu élevé où il est parvenu, il jette sur eux un regard de dédain. Voyons donc jusquoù il sest avancé: cherchons à connaître ceux quil a dépassés, et lendroit où il sest arrêté encore, quoiquil en ait dépassé plusieurs: cherchons à connaître cette demeure invisible, où il trouve sa sécurité, cet abri tranquille du haut duquel il contemple le spectacle qui sétend à ses pieds, cette maison spirituelle en dehors de laquelle il se penche, non pour sexposer à une chute dangereuse, mais pour (2) appeler à lui les hommes indolents quil a devancés, et leur dépeindre les délices de sa retraite. Il a marché plus vite queux; il sest élevé au-dessus deux: quelquun néanmoins est encore plus élevé que lui; aussi veut-il dabord nous faire entendre sous légide de qui il se trouve, et nous persuader que sil en a dépassé dautres, cest la preuve de la rapidité de sa marche, mais non un sujet dorgueil pour lui. 2. Voyez, dabord, en quel endroit il a trouvé la sécurité; car il dit: « Est-ce que mon âme ne sera pas soumise à Dieu? » Il avait appris que « celui qui sélève sera humilié, et que « celui qui shumilie sera élevé 1 ». Il craint de ressentir les atteintes de lorgueil, et cette crainte le fait trembler ; non-seulement il ne se prévaut pas de son élévation et ne méprise pas ce quil voit au-dessous de lui, mais il shumilie en présence du Dieu qui le domine; aussi répond-il aux envieux, qui gémissent davoir été distancés par lui, et qui semblent lui faire des menaces: « Mon âme « ne sera-t-elle pas soumise à Dieu?» Parce que je vous ai devancés, est-ce pour vous un motif de me tendre des piéges ? Vous voulez mabattre par vos injures ou me tromper par vos artifices; croyez-vous que la pensée de mon élévation au-dessus de vous me fait oublier celui c1ui se trouve au-dessus de moi? « Mon âme ne sera-t-elle pas soumise à Dieu? » Tant que je marche, si haut que je monte, si grande que soit la distance qui nous sépare les uns des autres, je me trouverai toujours inférieur à Dieu; jamais je ne mélèverai contre lui. Cest donc en toute sécurité que je mélève au-dessus de tout le reste, puisque celui-là me tient dans sa dépendance, qui est supérieur à toutes choses. « Mon âme ne sera-t-elle pas soumise à Dieu? Cest de lui que vient mon salut; cest lui qui est mon Dieu et mon Sauveur: il est mon protecteur, je ne serai plus ébranlé ». Je sais quel est celui qui se trouve au-dessus de moi, qui tend une main secourable et miséricordieuse à ceux qui le connaissent, dont les ailes protectrices moffrent un abri sûr « Je ne serai plus ébranlé ». Pour vous, dit-il à quelques-uns, en les devançant,vous faites tous vos efforts pour mébranler; « mais que le pied de lorgueil ne me fasse point tomber ». Car de là vient que saccomplit aussi cet autre passage du même psaume: « Et que la main des
1. Matth. XXIII, 12.
« méchants ne mébranle point 1 » ; passage conforme à celui-ci: « Je ne serai plus ébranlé». Ces paroles: « Que la main des méchants ne mébranle pas », correspondent en effet à celles-ci: « Je ne serai plus ébranlé »; comme le verset: « Que le pied de lorgueil ne me fasse point tomber », correspond à cet autre: « Mon âme ne sera-t-elle point soumise au Seigneur? » 3. Placé en un lieu élevé, fortifié et sûr, trouvant dans le Seigneur son refuge, et en Dieu sa sécurité comme dans une forteresse inexpugnable, cet homme porte ses regards sur ceux quil a devancés, il semble les défier, de même que sil était à labri dune haute tour, suivant cette parole des livres saints qui a trait à sa personne: « Vous êtes comme une tour imprenable en face de vos ennemis 2 ». Il jette donc les yeux sur eux, et leur dit: « Jusques à quand accablerez-vous un homme? » Vous laccablez dun insupportable fardeau, par vos insultes, vos outrages, les pièges que vous lui tendez et vos mauvais traitements: le fardeau que vous lui imposez, ses forces sont à peine suffisantes à le porter; pour nen être pas surchargé, il se tient dans la soumission à légard de son Créateur. « Jusques à quand accablerez-vous un homme? » Si vous ne voyez en moi quun homme, travaillez tous à me donner la mort». Ecrasez-moi, faites-moi souffrir, « donnez-moi le coup de la mort ». Jetez-vous sur moi comme sur une muraille qui penche, comme sur une maison qui tombe de vétusté ». Employez toutes vos forces à mébranler et à me renverser. Mais na-t-il pas dit: « Je ne serai plus ébranlé? »Où est leffet de ses paroles? «Je ne serai plus ébranlé »; pourquoi? « Parce que Dieu me sauve et me protége ». Vous êtes des hommes, et, comme tels, vous pouvez accabler un homme en le surchargeant mais avez-vous un pouvoir quelconque sur le Dieu qui est devenu son protecteur? 4. « Donnez-lui tous la mort ». Quel est lhomme dont le corps ait assez détendue pour recevoir les coups de tous? Ne loublions pas: en nous se personnifie lEglise, le corps de Jésus-Christ; tête et corps, tout ensemble, Jésus-Christ ne forme quun seul homme. Le Sauveur du corps et ses membres sont deux en une même chair 3 ; ils sont deux, et, pourtant, mêmes plaintes, mêmes souffrances, et, après le règne du
1. Ps. XXXV, 12. 2. Ps. LX, 4. 3. Gen. II, 24; Eph. V, 31.
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péché, même repos éternel. Le Christ, considéré dans sa personne particulière, nest pas seul à souffrir: si nous le considérons dans son ensemble, il ny a que lui pour souffrir. Si, en effet, le Sauveur tapparaît comme tête et corps tout ensemble, lui seul est soumis à lépreuve; mais si tu ne vois en lui que la tête, cette épreuve a lieu en dautres que lui. Si, en ce cas, lépreuve natteignait que Jésus-Christ en qualité de chef, comment lapôtre saint Paul, lun de ses membres, dirait-il avec vérité qu « il supplée, dans sa chair, à ce qui manque aux souffrances du Sauveur 1? » Qui que tu sois, dès lors que tu entends mes paroles, lors même que tu ne tes entendrais pas encore (mais tu dois les entendre si tu appartiens au corps du Christ), qui que tu sois, sache-le bien: par cela même que tu fais partie des membres du Sauveur, les souffrances que te font endurer ceux qui ne sont pas de ce nombre, suppléent à linsuffisance de celles du Sauveur. Il y manquait quelque chose, tu ly ajoutes: tu en combles la mesure, sans quil y ait surabondance en elles: tu souffres dans la proportion de ce quattendait de toi le Sauveur, qui a souffert en sa propre personne, cest-à-dire comme notre chef, et qui souffre dans ses membres, cest-à-dire encore, en nous-mêmes. Nous composons tous ensemble une sorte de république, an bonheur de laquelle nous contribuons selon nos moyens et notre devoir; et, dans la mesure de nos forces, nous formons comme un faisceau commun de souffrances. La somme de toutes ces souffrances narrivera à sa perfection quà la fin des temps. «Jusques à quand accablerez-vous un homme? » Tout ce que les Prophètes ont souffert, depuis le jour où le juste Abel a perdu la vie jusquau jour où a été répandu le sang de Zacharie 2, a pesé sur cet homme, parce quavant lIncarnation du Fils de Dieu il a existé des membres du Christ: il en avait été ainsi de ce patriarche qui, au moment de sa naissance, montra sa main avant de montrer sa tête 3, quoique sa main fût parfaitement unie à sa tête et ne fît quun avec elle. Mes frères, nallez pas vous imaginer que tous ces justes qui ont souffert persécution de la part des méchants naient pas été du nombre des membres de Jésus-Christ; et ce que je dis des justes du Nouveau Testament, je le dis aussi
1. Coloss. 24. 2. Matth. XXIII, 35. 3. Gen. XXXVIII, 27.
de ceux qui ont été envoyés par Dieu avant lavènement du Sauveur pour lannoncer. Pourrait-il, en effet, ne pas appartenir au corps du Christ, celui qui appartient à cette cité dont le Christ est le roi? Cette cité sainte, cette Jérusalem céleste est une, et elle na quun roi, et son roi cest le Christ; car il lui parle ainsi: « Un homme appellera Sion sa mère »; il lappellera « sa mère, parce quil est homme. Car un homme appellera Sion sa mère, et cet homme n été formé en elle, et cet homme est le Très-Haut qui la fondée 1 ». Le roi de Sion, qui la fondée, le Très-Haut sest fait homme en elle, et le plus humble de tous les hommes. Dans les temps qui ont précédé sa venue, il a envoyé quelques-uns de ses membres pour annoncer quil viendrait; puis il les a suivis, uni à eux par les liens les plus étroits. Rappelle-toi les circonstances de la naissance de ce patriarche, dont je parlais tout à lheure, et qui a préfiguré le corps mystique du Sauveur. Sa main était sortie du sein maternel avant sa tête, et pourtant elle était toujours unie à la tête, et sous sa dépendance. En exaltant lexcellence du premier peuple de Dieu, et en gémissant du malheur quavaient eu les branches naturelles dêtre retranchées de larbre, lApôtre a dit du Sauveur 2: « Ladoption des enfants de Dieu leur appartient: sa gloire, son alliance, son culte, sa loi et ses promesses; leurs pères sont les patriarches, et cest de leurs pères quest sorti, selon la chair, Jésus-Christ même, qui est le Dieu supérieur à tout, et béni dans tous les siècles. Jésus-Christ est donc né deux», comme de Sion, « selon la chair », parce qu « il sest fait homme en elle » ; parce que « le Christ, Dieu élevé au-dessus de tout, est béni dans tous les siècles » ; parce qu « il est le Très-Haut, et quil la fondée ». Parce qu «il est né deux, le Sauveur est fils de David »: il en est le Seigneur, parce qu « il est le Dieu supérieur à tout, et que tous les siècles le bénissent 3». Les paroles du Psalmiste, que nous venons de citer, appartiennent donc à tous ceux qui ont fait partie des habitants de cette ville depuis le jour du meurtre du juste Abel jusquà celui de lassassinat de Zacharie: par le sang innocent du Précurseur des Apôtres, des martyrs, des chrétiens fidèles, de toutes les parties de cette ville, de tous les membres de cet homme qui est le Christ, un cri se fait
1. Ps. LXXXVI, 5. 2. Rom. XI, 21. 3. Rom. IX, 4,5.
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entendre, cri unique: « Jusques à quand accablerez-vous un seul homme ? Faites-le tous mourir ». Nous verrons si vous pouvez le détruire et lanéantir; nous verrons si vous êtes capables deffacer son nom de la mémoire des hommes! O peuples, nous verrons si vous ne nourrissez pas de vains projets 1, lorsque vous dites: « Quand mourra-t-il? quand son nom sera-t-il effacé de dessus la terre 2?» Jetez-vous « sur cet homme, comme sur une muraille qui penche, comme sur une vieille maison qui va tomber en ruines » ; poussez-le avec violence. Ecoutez ce quil a dit tout à lheure : « Dieu me protège, aussi ne serai-je plus ébranlé »; comme la vague pousse devant elle un monceau de sable, ainsi mont poussé les méchants; mais le Seigneur ma reçu dans ses bras 3. 5. « Ils ont conspiré en eux-mêmes pour môter ma gloire 4». Obligés de céder aux violences des méchants, les chrétiens tombent sous les coups de leurs persécuteurs, et néanmoins ils restent victorieux: le sang des martyrs est une semence féconde qui multiplie les fidèles; les ennemis de notre religion se voient forcés de respecter ses disciples le temps de les faire mourir est passé. « Cependant ils ont conspiré en eux-mêmes pour môter ma gloire». Aujourdhui il est impossible de répandre le sang chrétien , on sacharne à les déshonorer. La gloire qui sattache à leur nom est pour les impies la source dintolérables tourments intérieurs: autrefois vendu par ses frères, transporté loin de son pays au milieu de nations figurées par lEgypte, jeté honteusement en prison, accusé par le faux témoignage dune femme, ce nouveau Joseph, ce Joseph spirituel, lEglise, a vu se réaliser en lui cette parole prophétique: « Le glaive a transpercé son âme 5 » mais aujourdhui il est parvenu au faîte de la gloire; loin dêtre soumis à ses frères, et vendu par eux, il soulage leur disette par labondance du froment quil leur distribue 6. Son humilité, sa chasteté, son incorruptibilité, ses afflictions, ses souffrances, lui ont fait remporter la victoire sur ses ennemis : ils sont témoins de lhonneur qui lentoure, et cet honneur, ils voudraient len dépouiller. Ce passage de la sainte Ecriture: « Le pécheur verra », est présent à leur pensée. Ils ne
1. Ps. II, 1. 2. Ps. XL, 6. 3. Ps. CXVII, 13. 4. Ps. LXI, 5. 5. Ps. CIV, 18. 6. Gen. XXXVII, XXXIX, XLI.
peuvent pas ne pas voir, puisquune ville, placée sur la montagne, se trouve forcément exposée à tous les regards 1. « Le pécheur verra » donc « et frémira de colère; il grincera des dents, et séchera de désespoir 2 ». Ils cachent dans le secret de leur coeur, mais leur visage ne trahit point au dehors la méchanceté qui les porte au mal et à la colère: voilà pourquoi le corps du Christ dépeint ainsi leurs pensées : « Ils ont conspiré en eux-mêmes pour môter ma gloire ». Car ils nosent pas dire ce quils pensent. Quoiquils nous souhaitent du mal, souhaitons-leur du bien: « Seigneur, jugez les: faites-les tomber du haut de leurs pensées 3». Y aurait-il, pour eux, rien de plus utile et de meilleur, que de tomber de lendroit où ils se trouvent, où ils se sont élevés pour faire le mal? Cette chute leur inspirant des pensées tontes différentes, ils pourraient dire avec le Psalmiste: « Vous avez affermi mes pieds sur la pierre 4 ». 6. « Cependant ils ont conspiré en eux-mêmes pour me ravir ma gloire ». Tous se sont-ils déclarés contre un seul ? Un seul sest-il déclaré contre tous? Tous se sont-ils levés contre tous? Un seul la-t-il fait contre un seul? Quand le Prophète dit: « Vous accablez un homme », il ne parle que dun seul; et quand il ajoute: « Faites-le tous mourir», il indique une conspiration de tous contre un seul; mais cest, à vrai dire, une conspiration de tous contre tous, puisquelle est dirigée contre tous les chrétiens unis en un seul corps. Maintenant, des diverses erreurs opposées au Christ, de ses différents ennemis, peut-on dire quils ne font quun, ou doit-on les désigner sous le nom de tous? Oui, jose dire quils ne font quun, car il y a une seule ville et une seule ville, un seul peuple et un seul peuple, un seul roi et un seul roi. Et quand je dis: Il y aune seule ville et une seule ville, jentends une seule Babylone et une seule Jérusalem. Quon leur donne dautres noms mystérieux, peu importe; car, eu réalité, il ny a que deux villes, lune qui a pour roi le démon, lautre que gouverne le Christ. Il y a, dans lEvangile, un passage qui me frappe singulièrement et dont le sens ne vous échappe point; le voici : Plusieurs personnes avaient été invitées aux noces, sans distinction aucune entre les bons et les méchants, et la salle du
1. Matth. V, 14. 2. Ps. CXI, 10. 3. Ps. V, 11. 4. Ps. XXXIX. 3.
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festin se trouvait remplie de convives, car des serviteurs avaient été envoyés de tous côtés avec ordre damener au repas tous ceux quils trouveraient, sans faire attention à ceux qui le méritaient et à ceux qui en étaient indignes: le roi entra alors pour voir ceux qui étaient à table; et, apercevant un homme qui navait point la robe nuptiale, il lui adressa ces paroles que vous connaissez: « Mon ami, pourquoi es-tu venu ici, puisque tu nas pas la robe nuptiale? Celui-ci garda le silence ». Le roi commanda quon lui liât les pieds et les mains, et quon le jetât dans les ténèbres extérieures. Ce malheureux fut donc enlevé de vive force de la salle du festin et précipité dans les tourments. Quel était cet homme? Quelle place tenait-il, quel nombre représentait-il au milieu de cette foule de convives? Le Seigneur a voulu nous faire comprendre que cet homme représentait à lui seul un corps composé dun grand nombre de membres; après nous avoir dit que le roi donna ordre de jeter cet homme hors de la salle, et de le précipiter dans les tourments quil avait mérités, il a, en effet, immédiatement ajouté: « Car il y en a beaucoup dappelés, et peu délus 1 ». Comment? Vous avez invité au festin une foule dhommes: un grand nombre sy sont rendus: vous avez commandé, vous avez fait annoncer partout le repas des noces, le nombre des conviés sest démesurément accru 2, la chambre nuptiale sest trouvée remplie de convives, un seul dentre eux a été exclu de lassemblée, et vous dites: « Il y en a beaucoup dappelés, et peu délus? » Ne serait-il pas plus exact de dire: Tous sont appelés, il y en a beaucoup délus: un seul a été renvoyé. Si le Seigneur disait : Beaucoup ont été appelés; la plupart dentre eux ont été choisis; quelques-uns dentre eux ont été réprouvés, il serait assez naturel de penser que ce petit nombre dhommes réprouvés se trouvent représentés par lhomme qui fut seul exclu ; mas ce nest pas ainsi quil sexprime; il dit dabord quun seul des invités a été renvoyé, puis il ajoute: « Il y en a beaucoup dappelés et peu délus ». Si ceux qui sont restés dans la salle du festin ne sont pas les élus, où les trouver? Lhomme réprouvé en a été chassé, les élus y sont restés: il y a peu délus, parce que ce malheureux réprouvé en représente, dans sa
1. Matth. XXII, 10-14. 2. Ps. XXXIX, 6.
personne, une multitude dautres. Tous ceux dont les désirs ne sélèvent pas au-dessus de ce bas monde, qui préfèrent à Dieu les joies de la terre, qui cherchent leur avantage, et non la gloire de Jésus-Christ 1, tous ceux-là sont les citoyens dune seule et même ville, de la Babylone mystique quia pour roi le démon; de même, cette autre ville, que le Christ gouverne, se compose de toutes les personnes animées de sentiments célestes, dont les pensées sont toutes spirituelles, qui vivent ici-bas avec tremblement, dans la crainte doffenser Dieu; qui sefforcent de ne point commettre le péché, et ne rougissent point davouer leurs fautes lorsquelles ont eu le malheur den commettre: en un mot, elle compte pour habitants les hommes humbles et doux, les chrétiens qui sont devenus saints, justes, pieux et bons. Babylone a paru la première en ce monde; mais si elle lemporte par son ancienneté, elle est loin de lemporter sous le rapport de lexcellence et de la gloire: elle est donc laînée Jérusalem est plus nouvelle; son existence date dune époque moins éloignée de nous. La première remonte à Caïn, la seconde à Abel. A chacune de ces deux villes appartient une société dhommes dun caractère particulier, que gouverne un roi différent de lautre ; toujours opposées lune à lautre, ces deux sociétés lutteront ensemble jusquà la fin du monde; aujourdhui leurs membres se trouvent confondus ensemble, mais alors aura lieu leur séparation: les uns seront placés à droite, et les autres à gauche; aux uns lon dira: « Venez, bénis de mon a Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde»; et aux autres: « Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le démon et ses anges 2». Elevé, le jour de son triomphe, au-dessus de tout, le Roi de la Ville sainte, le Christ dira à ses sujets : « Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde ». A ceux qui seront à sa gauche, aux habitants de la ville des pécheurs, il tiendra un autre langage « Allez au feu éternel». Fera-t-il une distinction entre le roi de cette ville et ses sujets ? Non, car il ajoutera: « Qui a été préparé pour le démon et ses anges ». 7. Attention, mes frères; attention, je vous en prie: ce serait pour moi un véritable plaisir
1. Philip. II, 21. 2. Matth. XXV, 34, 41.
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de vous parler encore quelques instants de cette cité sainte, dont la pensée fait le charme de mon âme. En effet, ô cité de Dieu, on ma dit de toi de bien belles choses 1. Si jamais, ô Jérusalem, ton souvenir sefface de ma mémoire, que ma main droite tombe elle-même en oubli 2 ! Cette ville, dont le souvenir mest si doux, est vraiment notre patrie: je ne dis pas assez, elle est notre seule patrie; tout ce qui se trouve en dehors delle nest pour nous quun triste lieu dexil. Je ne vous entretiendrai donc pas de choses qui vous soient inconnues: vous approuverez ce que je vais vous dire, car je ne ferai que raviver vos souvenirs ; vous connaissez davance lobjet de mes enseignements. LApôtre a dit: « Ce qui est spirituel na pas été formé le premier; ce qui est animal la été dabord: ensuite est venu ce qui est spirituel 3 ». Puisque Caïn est né le premier, et quAbel est venu au monde après lui, Babylone est donc la plus ancienne 4. Mais, comme les deux fils dAdam que nous venons de nommer, « laîné sera lesclave du plus jeune » ; de même si Babylone lemporte sur Jérusalem par lancienneté, Jérusalem est bien supérieure à Babylone par la dignité 5. Mais pourquoi celle-ci a-t-elle existé avant celle-là? LApôtre nous le dit: « Ce qui est spirituel na pas été formé le premier : ce qui est animal la été dabord; ensuite est venu ce qui est spirituel ». Et pourquoi Jérusalem lemporte-t-elle en dignité sur Babylone? Parce que laîné sera lesclave du plus jeune ». La sainte Ecriture nous apprend que Caïn bâtit une ville 6. On en était alors au commencement de toutes choses: les hommes navaient encore accompli aucun travail : nulle autre ville nexistait. Il est pour toi facile de le comprendre: Caïn et Abel comptaient déjà un grand nombre de descendants: leurs familles sétaient suffisamment étendues pour pouvoir composer une société et former la population dune ville. Laîné des deux frères bâtit donc une ville, à une époque où il ny en avait pas dautre. Jérusalem, la ville sainte, cité et royaume de Dieu, ombre et figure de lavenir, Jérusalem fut bâtie ensuite. Grand et ineffable mystère, indiqué dans ces paroles de saint Paul: « Ce qui est spirituel na pas été formé le premier; ce qui est animal la été dabord; ensuite
1. Ps. LXXXVI, 3. 2. Ps. CXXXVI, 5. 3. I Cor. XV, 46. 4. Gen. IV, 1, 2. 5. Gen. XXV, 23. 6. Gen. IV, 17.
est venu ce qui est spirituel ». Caïn fut donc le premier à édifier une cité, et il lédifia quand il nen existait pas encore dautre. Mais, au moment où Jérusalem fut construite, on en voyait déjà une; elle porta dabord le nom de Jébus, doù est venu à ses habitants celui de Jébuséens. Cette ville tomba au pouvoir des ennemis: ils la soumirent à leur puissance et la détruisirent, et sur ses ruines, avec ses débris, on en éleva une nouvelle: cétait Jérusalem, la vision de paix, la cité de Dieu 1. Parce quon est enfant dAdam, on nest point pour cela citoyen de Jérusalem ses descendants traînent à leur suite les chaînes du péché, et comme conséquence de leur état de péché, ils en subissent la peine, ils sont condamnés à mourir. La vieille ville de Jébus les compte donc, en un sens, au nombre de ses habitants; mais sils veulent appartenir au peuple de Dieu, il faut quen eux le vieil homme soit détruit et fasse place au nouveau; com prenez-vous maintenant pour. quoi Caïn a bâti une ville à une époque où il ny en avait pas encore? Chacun de nous est dabord sujet aux passions mauvaises et à la mort, pour devenir bon ensuite: « car, de même que plusieurs sont devenus pécheurs par la désobéissance dun seul, ainsi par lobéissance dun seul plusieurs deviendront justes 2». « Nous mourons tous en Adam 3 », et chacun de nous tire de lui son origine. Passons donc à Jérusalem; le vieil homme sera détruit en nous, et le nouveau y sera édifié. Comme il aurait pu parler aux Jébuséens au moment de la ruine de leur ville et de la construction de Jérusalem, lApôtre nous parle à nous-mêmes, et nous dit : « Dépouillez-vous du vieil homme, et revêtez-vous de lhomme nouveau 4 ». Et à tous ceux dentre nous qui. font maintenant partie de Jérusalem, et qui brillent de léclat de la grâce, saint Paul dit encore: « Autrefois vous avez été ténèbres; « mais aujourdhui, vous êtes lumière dans le Seigneur 5 ». La cité des méchants est donc aussi ancienne que le monde : elle durera jusquà la consommation des siècles ; les habitants de la cité de Dieu ne sont que des pécheurs convertis. 8. Les habitants de ces deux villes sont maintenant confondus ensemble; à la fin des temps ils seront séparés: une lutte acharnée règne
1. Jos. XVIII, 28. 2. Rom. V, 19. 3. I Cor. XV, 22. 4. Colos. III, 9, 10. 5. Eph. V, 8.
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entre eux tous, car les uns combattent pour liniquité et les autres pour la justice; ceux-ci pour la vérité, ceux-là pour la vanité. Par suite de ce mélange temporaire des bons et des méchants, il arrive que des citoyens de Babylone dirigent les affaires de Jérusalem, comme parfois les habitants de Jérusalem ont entre les mains la direction des affaires de Babylone. La preuve de ce que javance vous paraît difficile à apporter; la voici néanmoins: Prenez patience; des exemples vous en convaincront. Suivant le langage de lApôtre, « tout » ce qui arrivait au peuple juif « était figure: et tout a été écrit pour nous servir dinstruction, à nous qui nous sommes rencontrés à la fin des temps 1 ». Portez donc votre attention et vos regards sur ce premier peuple qui a été limage du peuple suivant, du peuple chrétien , et vous toucherez du doigt la preuve de mes paroles. Il y eut à Jérusalem de mauvais rois, tout le monde le sait: on en connaît le nom et le nombre. Ils étaient donc tous, sans exception , des citoyens de Babylone , et pourtant ils gouvernaient Jérusalem, en dépit de leur méchanceté: ils devaient, plus tard, en être éloignés pour partager le sort des démons. Par contre, nous voyons à la tête de ladministration de Babylone des habitants de la cité de Dieu. Vaincu par le prodige de la fournaise ardente, Nabuchodonosor na-t-il point confié le gouvernement de son royaume aux trois jeunes hébreux ? Les satrapes eux-mêmes ne leur étaient-ils pas soumis? En réalité, lautorité supérieure a donc été exercée à Babylone par des habitants de Jérusalem 2. Remarquez-le, mes frères : le même fait se reproduit encore, et de nos jours, dans lEglise. En effet, le Sauveur a dit : « Faites ce quils enseignent, mais ne les imitez pas ». Tous ceux auxquels sappliquent ces paroles, sont des citoyens de Babylone, qui dirigent les affaires de Jérusalem, De fait , sils nétaient en rien chargés de ladministration de cette ville, dirait-on deux: « Faites ce quils disent? Ils sont assis sur la chaire de Moïse ». Et, dautre part, sils étaient du nombre des citoyens de Jérusalem, et destinés à régner éternellement dans les cieux avec Jésus-Christ, ajouterait-on: « Ne les imitez pas 3? » Non ; puisque cette sentence sera prononcée contre eux: « Retirez-vous de moi, vous tous qui êtes des ouvriers
1. I Cor. X, 11. 2. Dan, III, 97. 3. Matth. XXIII, 2, 3.
diniquité 1 ». Vous le voyez donc, les habitants de la cité des méchants se trouvent parfois à même de gérer les affaires de la cité des justes. Assurons-nous maintenant que le rôle rempli par les uns lest aussi quelquefois par les autres. Tout gouvernement de ce monde doit périr un jour; sa puissance disparaîtra le jour où se manifestera cette puissance royale à laquelle nous faisons allusion, quand nous disons dans notre prière: « Que votre règne arrive 2 », et dont il a été prédit: « Et son règne naura pas de fin 3 ». Ce gouvernement terrestre a donc à sa tête des citoyens sortis de nos rangs. Que de fidèles, en effet, que de justes, dans les villes quils habitent, remplissent les fonctions de magistrats, de juges, de ducs et de comtes, et sont revêtus de lautorité royale ! Ils sont tous vertueux et bons; ils ne pensent quaux choses admirables que lon dit de vous, ô bienheureuse cité 4! Pour eux, tout ce quils font dans cette passagère Babylone est un embarras et une entrave: le docteur de la Cité de Dieu leur commande de garder la fidélité à leurs supérieurs, soit « au roi, comme ayant une autorité souveraine, soit aux gouverneurs, comme envoyés de sa part pour punir ceux qui font mal, et traiter favorablement ceux qui font bien ». Sils servent des maîtres, ils doivent leur obéir 5 : chrétiens, ils doivent se montrer soumis aux païens; parmi eux lhomme vertueux est obligé de se montrer fidèle même aux méchants, quoique sa sujétion à leur égard soit purement temporaire, et que sa destinée soit de régner éternellement. Ainsi en sera-t-il jusquau moment où liniquité arrivera à son terme 6. Les serviteurs omit donc lordre de supporter lautorité de leurs maîtres, même lorsquelle se montre injuste et méchante : il faut que les citoyens de Jérusalem supportent les habitants de Babylone, et leur montrent, si jose parler ainsi, plus de déférence que sils appartenaient eux-mêmes à la société des pécheurs, car en eux doit saccomplir cette parole du Sauveur: Si lon te commande « de marcher lespace de mille pas, fais-en deux mille 7 ». Cest à cette Babylone, répandue eu tous lieux, dispersée jusquaux extrémités de la terre, confondue, pour le moment, avec Jérusalem, cest à elle que sadressent les paroles du
1. Luc, XIII, 27. 2. Matth. VI, 10. 3. Luc, I, 33. 4. Ps. LXXXVI, 3. 5. I Pierre, II, 13, 18. 6. Ps. LVI, 2. 7. Matth. V, 41.
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Psalmiste: « Jusques à quand accablerez-vous un seul homme ? Faites-le tous mourir » . Vous tous qui êtes en dehors comme des épines dans les buissons, comme des arbres stériles dans les forêts, vous qui tenez au dedans la place de livraie ou de la paille; qui que vous soyez, séparés déjà des bons ou mêlés encore avec eux, ou destinés à exercer encore la patience des justes, et à vous en voir un jour forcément éloignés, « faites-les tous mourir; jetez-vous sur moi comme sur un mur qui penche, comme sur une maison qui tombe en ruine. Ils ont conspiré en eux-mêmes pour me ravir mon honneur ». Ils ne lont pas dit; ils se sont contentés de le penser. « Ils ont conspiré en eux-mêmes pour me ravir mon honneur ». 9. « Dans lexcès de ma soif, jai couru ». Ils me rendaient le mal pour le bien 1. Ils me faisaient mourir, ils me repoussaient; pour moi, javais soif de leur salut; ils voulaient me ravir ma gloire, et moi je brûlais du désir den faire les membres de mon corps. Effectivement, lorsque nous buvons, que faisons-nous si ce nest dintroduire dans notre corps, et de faire passer jusquà lextrémité de nos membres, une humidité et une fraîcheur qui se trouvent hors de nous ? Ainsi agit Moïse avec la tête du veau dor. Cette tète avait une signification prophétique et cachait un grand mystère, car elle représentait la société des méchants, qui par leur amour excessif des avantages temporels ne ressemblent que trop aux jeunes boeufs dont la plus grande jouissance consiste à manger lherbe des champs 2. Car « toute chair nest que de lherbe 3 ». Parmi les Israélites, il y avait, comme je lai dit, une société dimpies. Vivement irrité de leur idolâtrie, Moïse jeta dans le feu la tête du veau dor, la fit réduire en poussière, et jeta cette poussière dans de leau quil fit ensuite boire au peuple 4. La colère du législateur des Israélites fut elle-même une prophétie. Cette société des impies est jetée par Dieu dans le creuset des tribulations, et par sa parole il la réduit en poussière: car, peu à peu se dissipe leur union, elle suse insensiblement, pareille à un vêtement qui vieillit; tous ceux qui deviennent chrétiens sen séparent: ce sont, en quelque sorte, des grains de poussière qui se détachent de lensemble:
1. Ps XXXIV, 12. 2. Ps. CV, 20. 3. Isaïe, XL, 6. 4. Exode, XXXII, 20.
unis les uns aux autres, ils sont les ennemis de la foi; dès quils séloignent les uns des autres, ils lembrassent avec empressement. Pouvait-il y avoir un signe plus clair des effets du baptême ? A laide de leau baptismale les hommes ne devaient-ils pas entrer dans le corps de cette Jérusalem spirituelle, dont le peuple juif était limage? La société des pécheurs a été jetée dans leau, et ce mélange nest-il pas devenu comme un breuvage destiné aux enfants dAdam? Tel est le breuvage après lequel, dans lardeur de sa soif, soupirera jusquà la fin celui qui parle en ce psaume : il a soif , il sélance , il boit une multitude dâmes, et, pourtant, sa soif ne sera jamais étanchée: voilà pourquoi il disait à la Samaritaine : « Femme, jai soif, donne-moi à boire 1». Elle reconnut auprès du puits que le Christ avait soif, et ce fut lui qui la désaltéra ; elle reconnut la première de quelle nature était la soif du Fils de Dieu, et, par sa foi, elle létancha. Attaché à la croix, il dit : « Jai soif 2 », et néanmoins les Juifs ne lui donnèrent point le breuvage qui pouvait le désaltérer. Il avait soif de leur salut, et ils ne lui offrirent que du vinaigre. Au lieu de lui donner de ce vin nouveau qui doit remplir des outres nouvelles, ils lui apportèrent du vin si vieux quil en était gâté et corrompu 3. Au vin corrompu on donne indifféremment le nom de vin vieux et celui de vinaigre; par là on désigne ceux qui demeurent dans le vieil homme, et dont il a été dit: « Pour eux, il ny a pas de changement 4 ». Jamais ils ne seront détruits comme les Jébuséens, jamais on ne se servira deux pour bâtir Jérusalem 5. 10. A lexemple de son divin chef, lEglise court altérée, depuis le commencement du monde, et jusquà la fin des temps la soif la poussera à courir toujours. Naurait-on pas le droit de lui dire: O corps sacré de Jésus-Christ, ô sainte Eglise du Sauveur, doù vous vient cette soif brûlante? que vous manque-t-il? Hé quoi! vous jouissez ici-bas dune gloire sans égale; vous êtes environnée de léclat le plus brûlant; vous êtes parvenue au faîte de la grandeur; manquerait-il encore quelque chose aux prérogatives dont le Seigneur vous a enrichie jusquà présent? Vous voyez saccomplir en vous cette prophétie : « Tous les rois de la
1. Jean, IV, 7. 2. Jean, XIX, 28. 3. Matth. IX, 17. 4. Ps. LIV, 20. 5. II Rois, V, 6.
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terre ladoreront, et toutes les nations seront «soumises à son empire 1». Pouvez-vous désirer davantage? Que souhaitez-vous encore? La multitude des peuples qui vous obéissent ne vous suffit-elle pas? Hélas, répondrait-elle, de quels peuples me parlez-vous? « Ils me bénissaient du bout des lèvres, et, dans le fond du coeur, ils me maudissaient. Il y a beaucoup dappelés et peu délus 2». Une femme affligée dun flux de sang toucha la frange du vêtement de Jésus, et se trouva guérie : le Sauveur sétait aperçu quelle le touchait, car il avait senti quune vertu était sortie de lui pour la guérir; il sétonna de laction que cette femme sétait permise, et dit à ses disciples : « Qui est-ce qui ma touché ? » Tout surpris dune question pareille, ils lui répondirent : « Une foule énorme se presse autour de vous, et vous demandez qui est-ce qui a pu vous toucher? » Et il ajouta: «Quelquun ma touché 3», comme sil avait voulu dire: La foule me presse, mais une seule personne ma touché. Ceux qui, dans les solennités de , Jérusalem, remplissent nos églises, profitent des fêtes de Babylone pour remplir les théâtres : cette foule immense sert, respecte et honore la foi de Jésus-Christ; mais de quelles personnes se compose-t-elle? De chrétiens qui participent aux sacrements du Sauveur, et qui, néanmoins, détestent ses commandements; de gens qui ne reçoivent pas ces sacrements de la loi nouvelle, parce quils sont encore juifs ou païens : ils honorent, ils louent, ils prêchent la foi de Jésus-Christ; mais, en réalité, « ils ne la bénissent que du bout des lèvres ». Je ne marrête pas à leurs paroles, dit lEglise: Celui qui ma éclairé de sa divine lumière sait qu « ils me maudissent dans le secret de leur cur ». Ils me maudissent, dès lors quils cherchent à me ravir ma gloire. 11. O Idithun, ô corps de Jésus-Christ, qui distancez ces impies, quelle sera votre ligne de conduite au milieu de tant de scandales? Que ferez-vous? Vous laisserez-vous aller au découragement ? Ne persévérerez-vous pas jusquà la fin? Quoiquil ait été dit que, « quand liniquité abondera, on verra se refroidir la charité », nécouterez-vous pas ces autres paroles: « Celui qui persévérera jusquà la fin sera sauvé 4? » Les auriez-vous
1. Ps. LXXI, 11 2. Matth. XXII, 14. 3. Marc, V, 25-31. 4. Matth. XXIV, 13, 12.
inutilement devancés ? Et vos pensées ne sélèveraient-elles plus vers le ciel 1? Les pécheurs sont affectionnés aux choses de la terre; citoyens et habitants de ce monde, ils nont de goût que pour lui; ils ne sont que de la terre; les serpents trouvent en eux leur nourriture. Que ferez-vous donc au milieu deux? Leurs pensées et leurs oeuvres sont opposées aux miennes; ils se jettent sur moi et cherchent à me renverser, comme on cherche à renverser un mur qui a perdu son aplomb: en dépit de leurs efforts, je leur apparais toujours droit et ferme; alors ils singénient à me ravir ma gloire: de leur bouche sortent mes louanges, et ils me maudissent dans le secret de leurs âmes : partout où ils le peuvent, ils creusent des pièges sous mes pas, et ils ne manquent aucune occasion de me calomnier: « Quoi quil en soit, mon âme restera soumise au Seigneur 2 ». Qui est-ce qui pourra supporter tant de luttes ouvertes et cachées? Comment ne point défaillir au milieu dun si grand nombre dennemis connus et de faux frères? Comment résister à de si difficiles épreuves? Un homme en est-il capable? Et sil en a la force, est-ce en lui-même quil la trouve? Oh! si jai devancé mes ennemis, je ne men prévaus pas, car je ne veux pas que Dieu me frappe et mhumilie. « Mon âme sera soumise au Seigneur, car cest de lui que me vient ma patience ». Au milieu de tant de scandales, qui est-ce qui peut me soutenir, sinon lattente de ce que nous espérons sans le voir encore 3? La douleur maccable aujourdhui, bientôt sonnera pour moi lheure du repos. La tribulation est maintenant mon partage: plus tard, je recouvrerai mon innocence. Lor brille-t-il de tout son éclat dans le creuset du joaillier? On le verra dans toute sa beauté, quand on lemploiera à former un collier ou dautres ornements; mais, auparavant, il lui faut passer par le creuset, pour se débarrasser de tout alliage et paraître au grand jour dans toute sa splendeur. Au creuset il y a de la paille, de lor et du feu: le souffle de lorfèvre sy fait sentir, le feu prend à la paille et purifie lor; la paille est réduite en cendres : lalliage se sépare de lor. Le creuset, cest le monde; la paille nest autre que les pécheurs: les justes tiennent la place de lor, la tribulation fait loffice du feu ; le joaillier, cest Dieu : ce que veut le
1. Philipp. III, 20. 2. Ps. LXI, 6. 3. Rom, VIII, 25.
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joaillier, je le fais ; partout où il me place, je my tiens: mon devoir est de souffrir : à Dieu, de me purifier; la paille prendra feu, elle semblera destinée à me brûler et à me consumer; mais, en définitive, elle se réduira en cendres; pour moi, je sortirai des flammes débarrassé de toutes souillures. Comment cela? « Parce que mon âme sera soumise à Dieu, et que ma patience vient de lui ». 12. Quel est celui qui vous donne la patience? « Il est mon Dieu et mon Sauveur; il est mon protecteur, et je ne serai point ébranlé 1 » . « Il est mon Dieu », voilà pourquoi il mappelle; « il est mon Sauveur», aussi me justifie-t-il: « Il est mon protecteur », il me glorifiera donc: sur la terre ont lieu ma vocation et ma justification; ma glorification se fera dans le ciel « jamais je nen sortirai » ; ici-bas je me trouve dans un lieu dexil, où je naurai point de séjour permanent: plus tard, je men éloignerai pour entrer dans une demeure éternelle. Je ne suis maintenant auprès de vous quun étranger sur la terre, à lexemple de tous mes ancêtres 2. Je sortirai donc du lieu de mon pèlerinage ; mais mon habitation céleste, je ne la quitterai pas. 13. « Jattends de Dieu mon salut et ma gloire 3 ». En Dieu je trouverai mon salut et ma gloire, jy puiserai lun et lautre: le salut, parce que sa grâce me sépare des impies et me rend juste 4; la gloire, parce quaprès mavoir justifié, il me conduira à lhonneur des élus. En effet, « Dieu a appelé ceux quil a prédestinés » ; et pourquoi les a-t-il appelés? Il a justifié ceux quil « a appelés, et ceux quil a justifiés, il les a comblés de gloire 5 ». La justification aboutit au salut, et la glorification à lhonneur éternel. Quil en soit ainsi de la glorification, il est inutile de le prouver, cela est évident. Pour ce qui concerne la justification, nous allons essayer de le démontrer. Cette démonstration est dautant plus facile que nous la trouvons dans IEvangile. Certaines personnes qui se croyaient justes, blâmaient le Sauveur de ce quil sasseyait à la table des pécheurs, et prenait ses repas avec des publicains et des hommes de moeurs relâchées. Que répondit le Sauveur à ces personnes orgueilleuses, à ces forts de la terre qui sélevaient avec tant dinsolence, à ces gens qui se glorifiaient de la santé
1. Ps. LXI, 7. 2. Ps. XXXVIII, 13. 3. Ps. LXI, 8. 4. Rom. IV, 5. Rom. VIII, 30.
plus factice que réelle de leur âme? « Ceux qui se portent bien nont pas besoin de médecin: il nest nécessaire que pour les malades u. A ses yeux, quels hommes se portent bien? quels hommes sont malades ? Le voici, car il ajoute: « Si je suis venu, cest pour appeler, non pas les justes, mais les pécheurs 1». Suivant lui, ceux qui jouissent dune bonne santé, ce sont les justes; or, au lieu dêtre effectivement justes, les Pharisiens se contentaient de croire quils létaient: aussi, en concevaient-ils de lorgueil, et partaient-ils de là pour reprocher aux malades la présence et les soins du médecin: toutefois, ils devinrent eux-mêmes si malades, quils firent mourir ce médecin. Quoi quil en soit, le Sauveur donna aux justes le nom de sains, et celui de malades aux pécheurs. Celui qui a devancé les impies, sexprime donc ainsi : Dieu lui-même est lauteur de ma justification, et si plus tard je suis glorifié, il en sera encore la cause: « Jattends de Dieu mon salut et ma gloire »; « mon salut», pour être sauvé ; « ma gloire », pour être glorifié. Mais puisque je ne saurais parvenir, dès maintenant, à la gloire, que me reste-t-il pour le moment? « En Dieu, je trouverai du secours, car il sera la source de mon espérance », jusquau jour où je parviendrai à la justification et au salut; car nous « ne sommes sauvés que par lespérance, et lon nespère pas ce que lon voit 2», jusquau jour où jentrerai dans cette gloire ineffable, dans le royaume du Père éternel, où les justes brilleront de léclat du soleil 3. En attendant ce jour fortuné, Idithun se trouve environné de tentations, diniquités, de scandales, dhommes qui le combattent ouvertement, qui sefforcent de le tromper par leurs paroles menteuses, qui le bénissent de bouche et le maudissent de coeur, qui veulent lui ravir sa gloire; il sécrie: « En Dieu je trouverai mon Sauveur », parce quil soutient ceux qui combattent. Contre qui avons-nous à combattre? « Nous avons à combattre, non contre des « hommes de chair et de sang, mais contre les « principautés et les puissances 4. En Dieu « donc je trouverai mon secours : il est la source de mon espérance ». Jespère, car les biens quil ma promis ne sont pas devenus mon partage : je crois, parce que je ne vois pas encore lobjet de ma foi. Lorsque
1. Matth. IX, 12, 13. 2. Rom. VIII, 24. 3. Matth. XIII, 43. 4. Eph. VI, 12.
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enfin je le posséderai , je serai sauvé et glorifié; avant que luise pour nous ce jour fortuné, Dieu ne nous abandonnera pas quoiquil diffère de nous accorder ses dons éternels, il nen est pas moins « mon soutien et la source de mon espérance». 14. « O peuples, espérez tous en lui 1 ». Imitez Idithun; devancez vos ennemis: laissez bien loin derrière vous ceux qui vous résistent, qui sopposent à votre marche vers le ciel, qui vous haïssent. « O peuples, espérez tous en lui, répandez vos coeurs en sa présence ». Ne vous laissez point aller au découragement, quand on vous dira: Où est donc votre Dieu? « Mes larmes», a dit le Prophète, « sont devenues mon pain durant le jour et pendant la nuit, parce quon me dit tous les jours: Où est ton Dieu? » Et il a ajouté: « Jai fait de cela le sujet de mes réflexions, et jai répandu mon âme pour lélever au-dessus de moi 2 », Jai gardé le souvenir de ce que jai entendu: « Où est ton Dieu? » je me le suis rappelé, et jai répandu mon âme pour lélever au-dessus de moi ». Je cherchais Dieu, et, pour parvenir jusquà lui, je suis sorti de moi-même, jai répandu mon âme et lai élevée au-dessus de moi. « O peuples, espérez donc tous en lui; répandez vos coeurs en sa présence », et, pour cela, priez, confessez vos fautes, livrez-vous à lespérance. Ne retenez pas vos coeurs, ne les emprisonnez pas en eux-mêmes, « répandez-les en sa présence »; pour les répandre ainsi, vous ne les perdrez pas, Car il est mon protecteur ». Sil te protège, que craindrais-tu à répandre le tien? Décharge-toi de toutes tes peines sur le Seigneur 3, et mets en lui ton espérance. « Répandez vos coeurs en sa présence; il est notre soutien ». Pourquoi craindre les calomniateurs et les médisants qui vous environnent? Dieu les déteste 4. Sils le peuvent, ils vous attaquent ouvertement: quand ils en sont incapables, ils vous tendent des piéges: ils feignent de vous louer: en réalité, ils vous maudissent, parce quils sont vos ennemis; mais, encore une fois, pourquoi les craindre? « Dieu est notre soutien » . Sont-ils de force à lutter avec lui? Sont-ils plus puissants que lui? « Dieu est notre soutien ». Soyez donc tranquilles. Si Dieu est pour nous, qui est-ce qui sera contre nous 5?. « Répandez vos coeurs en sa présence », en
1. Ps. LXI, 9. 2. Ps. XLI, 4, 5. 3. Ps. LIV, 23. 4. Rom. I, 29, 30 5. Rom. VIII, 31.
vous approchant de lui, en élevant vos âmes jusquà lui. « Dieu est notre soutien ». 15. Puisque vous êtes parvenus en lieu sûr, puisque vous êtes protégés contre vos ennemis par une tour inexpugnable, prenez pitié de ceux qui vous inspiraient de la crainte vous, aussi, vous devez éprouver les ardeurs de la soif, et courir: placés dans la forteresse, regardez les adversaires dun oeil de commisération, et dites: « Toutefois, les hommes « sont vains, les enfants des hommes sont menteurs 1 ». Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le coeur pesant? Vous êtes vains, enfants des hommes, vous êtes menteurs: pourquoi donc aimez-vous la vanité ? Pourquoi allez-vous à la recherche du mensonge 2 ? Tenez-leur ce langage imprégné de compassion et de sagesse. Si vous avez devancé vos ennemis, si vous les aimez, si vous ne prétendez détruire en eux le vieil homme qualla dy faire naître lhomme nouveau, si vous aimez celui qui juge les nations et relève les ruines 3, tenez-leur ce langage; mais, en leur parlant de la sorte, ne vous laissez point conduire par les sentiments de haine, ne cherchez point à rendre le mal pour le mal 4. « Les enfants des hommes sont trompeurs dans leurs balances; ils saccordent ensemble dans la vanité ». Ils sont en grand nombre, mais en définitive ils ne font quun, et lhomme qui les représente tous dans sa personne, est celui-là même qui a été chassé du festin des noces 5 . Ils sont tous daccord pour rechercher les avantages de ce monde; ils sont tous charnels et ne veulent que les plaisirs de la chair; et sils espèrent quelque chose pour lavenir, leurs espérances sont aussi toutes charnelles. Divisés, pour tout le reste, en une multitude de partis différents, ils ne font plus quun dès quil sagit de la vanité. Leurs erreurs sont innombrables, et se manifestent avec une surprenante variété de formes: un royaume ainsi divisé ne saurait subsister longtemps 6; mais, en eux tous on remarque un penchant égal et pareil de tous points pour la vanité et le mensonge, un dévouement absolu pour le même roi, pour ce maître avec lequel ils seront éternellement condamnés au feu 7. « Ils saccordent ensemble dans la vanité ». 16. Mais voyez quelle soif Idithun ressent
1. Ps. LXI, 10. 2. Ps. IV, 3. 3. Ps. CIX, 6. 4. Rom. XII, 17. 5. Matth. XXII, 13. 6. Matth. XII, 25. 7. Matth. XXV, 41.
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à leur endroit : voyez avec quelle ardeur il court vers eux dans lexcès de sa soif. Altéré du désir de leur salut, il se tourne vers eux et leur dit : « Ne mettez point votre espérance dans liniquité ». Pour moi, je mets la mienne en Dieu. « Ne mettez point votre espérance dans liniquité 1».Vous tous qui ne voulez ni vous approcher, ni marcher plus vite que les méchants, prenez garde; « ne mettez point votre espérance dans liniquité ». Je vous ai devancés: jai placé mon espérance dans le Seigneur: « liniquité se trouve-t-elle en lui 2?» « Ne mettez point votre espérance dans liniquité». Faisons ceci; agissons encore de telle autre manière; pensons aussi à cela: tendons telle embûche: voilà bien le langage de ceux qui saccordent dans la vanité. Pour toi, tu es altéré; par ceux qui ont déjà servi à étancher ta soif, tu as appris à connaître ceux qui nourrissent contre toi de pareilles pensées. « Ne mettez point votre espérance dans liniquité ». Elle est vaine, ce nest rien ; la puissance nappartient quà la justice. On peut, pour quelque temps, obscurcir la vérité: jamais on ne sera à même den triompher complètement. Liniquité peut momentanément fleurir, mais son éclat est de courte durée. « Ne mettez point votre espérance dans « liniquité, ne désirez point commettre la rapine ». Tu nes pas riche, et tu veux temparer du bien dautrui? Que gagnes-tu? Que perds-tu? O ruineux bénéfice! Tu gagnes de largent, et tu perds la justice. « Ne désirez point commettre la rapine». Je suis pauvre, je nai rien.Voilà pourquoi tu veux te rendre voleur? Tu vois ce que tu dérobes, et tu ne vois pas de qui tu deviens la proie? Ignores-tu donc que lennemi rôde autour de toi comme un lion rugissant, et quil cherche à te dévorer 3? Le bien dautrui que tu veux tapproprier , est dans une souricière ; tu le prends et tu es pris. O pauvre, ne désire donc point commettre la rapine; que tes désirs se portent vers Dieu, car de lui nous viennent les choses nécessaires à la vie 4. Il ta créé, il te nourrira. Le voleur reçoit de lui sa nourriture, et il laisserait mourir de faim un innocent? Il pourvoira à la subsistance, car il fait lever le soleil sur les bons et sur les méchants, et tomber la pluie sur les justes et les pécheurs 5. Si sa main bienfaisante souvre
1. Ps. LXI, 11. 2. Rom. IX, 14. 3. I Pierre, V, 8. 4. I Tim. VI, 17. 5. Matth. V, 45.
pour ceux qui doivent être réprouvés, se fermera-t-elle pour les futurs élus ? Ne désirez donc point commettre la rapine. Ceci soit dit au pauvre, qui peut-être ne devient voleur que sous linfluence de la nécessité. Voici maintenant pour le riche. Je néprouve, dit-il, aucun besoin de manquer à la probité: rien ne me manque; je me trouve dans labondance. O riche, prête aussi loreille à la voix du Prophète: « Si vous possédez dabondantes richesses, ny attachez pas votre coeur». Lun est riche, lautre na rien; que celui-ci ne cherche pas à sapproprier les biens qui ne sont pas à lui; que celui-là ne saffectionne pas à ce quil possède. « Si vous avez dabondantes richesses, ny attachez pas votre coeur ». Cest-à-dire, si elles surabondent chez toi, si elles semblent y couler comme de source, puissent-elles ne point tinspirer une folle confiance en toi-même ! Puisses-tu ne pas y accoler ton coeur! « Si tu as dabondantes « richesses», prends-y garde: tu nas pas moins à craindre que le pauvre. Ne vois-tu pas, en effet, que si tu leur donnes tes affections, tu passeras comme elles? Tu es riche, tu ne désires plus rien, parce que ta fortune est grande. Ecoute lApôtre parlant à Timothée: « Recommande aux riches de ce monde de ne point être orgueilleux » ; et, pour expliquer ces paroles du Psalmiste: « Ny attachez pas votre cur », il ajoute: « Et de ne pas mettre leur confiance en des biens incertains 1. Si vous avez dabondantes richesses, ny attachez » donc « pas votre coeur » : ny mettez pas votre confiance, nen concevez nul orgueil; quelles ne soient point le mobile de vos espérances, car on dirait de vous : « Voilà un homme qui na pas attendu de Dieu son secours, mais qui a placé sa confiance dans ses grandes richesses, et mis sa force dans la vanité 2 ». O vous, enfants des hommes, qui êtes vains et menteurs, ne commettez point de rapines, et, sites richesses abondent chez vous, ny attachez pas votre coeur; naimez donc plus la va imité, ne cherchez plus le mensonge ! Heureux lhomme qui a mis son espérance dans le Seigneur Dieu, et qui ne porte son attention ni sur la vanité, ni sur les trompeuses folies du monde 3! Vous aspirez à devenir trompeurs, vous voulez commettre une fraude? De quoi vous servez-vous? De fausses balances. Car, dit le Psalmiste, « les enfants
1. I Tim. VI, 17. 2. Ps. LI, 9. 3. Ps. XXXIX, 5.
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des hommes trompent avec leurs balances». Ils cherchent à induire les autres en erreur en se servant de fausses balances. Vous trompez, par de mensongères apparences, ceux qui vous regardent; mais il y en n un autre pour peser: il y en a un autre pour juger du poids; lignorez-vous? Celui pour lequel vous employez une balance fausse ne saperçoit pas de votre supercherie; mais elle est connue de celui qui vous pèse tous les deux suivant les règles de son incorruptible justice. Ne désirez donc ni fraude ni rapine; ne mettez donc pas davantage votre espérance dans ce que vous possédez ; .je vous en avertis, je vous en préviens. Tel est le langage que vous tient Idithun. 17. Mais continuons : « Dieu a parlé une fois, et jai entendu ces deux choses: la puissance est à Dieu, et la miséricorde vous appartient, Seigneur; vous rendrez à chacun selon ses oeuvres 1 ».Voilà ce que dit Idithun. Du lieu élevé où il était parvenu, il a entendu une voix et il nous a répété ce quelle lui a dit. Mes frères, ses paroles me surprennent et me troublent ; aussi, je vous en conjure, veuillez me prêter toute votre attention, car je vais vous faire part de la crainte et de lespérance quelles minspirent. Par la grâce de Dieu nous sommes parvenu à vous expliquer ce psaume dans tout son entier; nous navons plus à développer que le dernier verset, et quand nous laurons fait, il ne nous en restera pius rien à dire. Veuillez donc vous joindre à moi; efforçons-nous de comprendre ce passage, autant, du moins, que nous le pourrons. Sil mest impossible den pénétrer parfaitement le sens, et quun autre parmi vous en soit capable, jen ressentirai plus de joie que denvie. Il est difiicile de comprendre comment, après avoir dit dabord « que Dieu a parlé une fois », le Prophète ajoute que, néanmoins, « il a entendu deux choses ». Si, en effet, il avait dit: Le Seigneur a parlé une fois, et jai entendu une chose, la difficulté serait à moitié résolue; nous naurions plus quà pénétrer le sens de ces paroles : « Dieu a parlé une seule fois » . Nous avons donc deux questions à traiter: lune relative à ces mots: « Dieu a parlé une fois » ; lautre concernant ces paroles : « Jai entendu deux choses», et la contradiction qui semble exister entre ces deux passages. 18. « Dieu a parlé une fois ». Que dis-tu, ô
1. Ps. LXI, 12, 13.
Idithun? Toi qui as devancé les impies, est-ce bien ton langage? « Dieu a parlé une seule fois? » Je consulte lEcriture, et elle me dit en un autre endroit: « Dieu a parlé souvent, et en plusieurs manières à nos pères, par les Prophètes 1 » Pourquoi donc dire: « Dieu a parlé une seule fois? » Nest-ce pas ce même Dieu qui a parlé à Adam dès le commencement du monde? Nest-ce pas le même Dieu qui a parlé à Caïn, à Noé, à Abraham, à Isaac, à Jacob, à Moïse et à tous les Prophètes? A lui seul, Moïse na-t-il pas souvent entendu la parole du Seigneur? Dieu a donc conversé avec plusieurs hommes, et bien des fois. Il a aussi parlé à son Fils, pendant quil vivait sur la terre; il lui a dit: « Tu es mon fils biens aimé 2 ». Il a encore parlé aux Apôtres et à tous les saints; et si sa voix ne retentissait pas du haut du ciel, elle se faisait, du moins, entendre au fond du coeur; car cest là que le Seigneur sadresse particulièrement aux hommes pour les instruire. Aussi David disait-il: « Jécouterai ce que le Seigneur Dieu me dira dans le secret de mon âme, parce quil adressera des paroles de paix à son peuple 3 ». Quest-ce donc à dire: « Dieu a parlé une seule fois? » Idithun sétait élevé bien haut, puisquil était parvenu à lendroit où Dieu na parlé quune fois. Je vais, en deux mots, expliquer à votre charité ma pensée tout entière. Sur la terre, sans doute , au milieu des hommes, Dieu a parié maintes fois, en différentes manières, en plusieurs endroits, par lorgane dune foule de créatures diverses; mais, en lui-même, il na parlé quune fois, parce quil na engendré quun Verbe. Idithun, en devançant ses ennemis, sétait donc élevé, par la force pénétrante, par la vivacité , pleine de hardiesse et de confiance, de son esprit, au-dessus de ce monde et de tout ce quil renferme ; il sétait élevé au-dessus des airs et des nuages, du sein desquels le Seigneur avait parlé souvent et à une multitude dhommes: il sétait élevé par lessor puissant de sa foi, même au-dessus des anges: car, pareil à laigle, il avançait toujours, et, méprisant les régions terrestres, il sélançait par-delà les nuées qui enveloppent lunivers, et dont la Sagesse a dit : « Jai couvert toute la terre dune nuée 4 ». Après avoir laissé bien loin derrière
1. Hébr. I, 1. 2. Matth. III, 17. 3. Ps. LXXXIV, 9. 4. Eccli. XXIV, 6.
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lui toutes les créatures, brûlant du désir de trouver Dieu, répandant son âme au-dessus de lui, il était enfin parvenu à un ciel pur; il était arrivé jusquau Principe,jusquau Verbe, Dieu en Dieu: alors il trouva lunique Verbe dun Père unique; alors il comprit que Dieu na parlé quune fois, alors il vit le Verbe, par qui tout a été fait 1, et en qui toutes choses subsistent ensemble, dans leur entier, sans inégalité aucune. Car Dieu savait parfaitement ce quil faisait par son Verbe, et puisquil le savait, ce quil faisait était donc en lui avant dexister. Si les choses, quil a créées, ne se trouvaient pas en lui, avant de sortir du néant, comment aurait-il pu connaître ce quil faisait ? Mais est-il possible de dire que Dieu faisait des choses sans les connaître davance? Les créatures étaient donc en lui comme dans leur archétype. Si, maintenant, on ne peut avoir la connaissance dun objet quaprès sa création, par quel moyen a-t-il eu cette connaissance? Remarquez-le, mes frères, ce sont les créatures seules, cest vous, ce sont les hommes sortis du néant et placés en ce bas monde, qui ne connaissent pas les oeuvres de Dieu, tant quelles nont pas apparu à leurs regards; pour le Créateur, elles navaient rien de caché, même quand elles étaient encore au nombre des êtres possibles: lorsquil les a faites, il les connaissait donc. Avant leur création, toutes choses étaient, par conséquent, dans le Verbe, qui les a faites. Et depuis le jour où elles sont sorties du néant, elles sont encore dans le même Verbe, mats elles ne sont de la même manière ni dans le Verbe, ni dans le monde: elles sont, en effet, dans létat où elles se trouvent, tout autres que dans lidée de lEternel artiste qui les a créées. Qui est-ce qui pourra expliquer de tels mystères ? Nous essayons de le faire; mais suivez Idithun, et voyez vous mêmes. 19. Dieu na parlé quune fois: nous lavons démontré de notre mieux; voyons maintenant comment Idithun a entendu deux choses : « Jai entendu deux choses ». De ces paroles il ne suit pas nécessairement quil nait entendu que deux choses: « Jai », dit-il, « entendu deux choses ». Tirons-en donc cette seule conséquence: Il a entendu deux choses quil nous est utile de savoir. Peut-être en a-t-il entendu beaucoup dautres
1. Jean, I, 3.
quil est inutile de nous dire. Le Seigneur ne sest-il pas exprimé en ce sens ? « Jai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez maintenant les comprendre 1 ». Que veut donc dire le Prophète par ces paroles: « Jai entendu deux choses? » Je vous les ferai connaître; mais, faites-y bien attention, si je vous parle, ce ne sera pas en mon nom, mais de la part de celui que jai entendu. « Dieu a parlé une seule fois» ; il na engendré quun seul Verbe, son Fils unique, Dieu comme lui. Toutes choses sont en ce Verbe, parce que tout a été fait par lui: il na engendré quun seul Verbe, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science 2. Il na engendré quun seul Verbe, « il na parlé quune seule fois». En lui, « jai entendu les deux choses » que je vais vous dire: elles ne viennent pas de moi, je ne vous les rapporterai donc pas comme de moi: voilà pourquoi je vous dis que « je les « ai entendues. Lami de lépoux se tient à côté « de lui et lécoute 3», afin de dire la vérité. Il lécoute, afin de ne point parler de lui-même, et de ne pas dire de faussetés 4. Tu nauras donc point le droit de me dire: Qui es-tu, pour me parler ainsi ? Pourquoi me tiens-tu ce langage, car jai entendu ces deux choses : je ten parle, parce que je les ai entendues, comme jai appris que Dieu a parlé une seule fois. Jai entendu ces deux choses, quil test nécessaire de savoir: à force de mélever au-dessus de toutes les créatures, je suis parvenu jusquau Verbe unique de Dieu, et jai appris en lui que le Seigneur a parlé une seule fois: tu ne dois donc pas mépriser mes paroles. 20. Quil nous rapporte donc enfin ces deux choses, car il nous importe singulièrement de les connaître. « La puissance est à Dieu : Seigneur, la miséricorde vous appartient». La puissance et la miséricorde, sont-ce bien là les deux choses dont il a. entendu parler? Oui, sans doute: comprenez donc bien ce que cest que la puissance et la miséricorde de Dieu; Toutes les Ecritures se rapportent, à vrai dire, à ces deux points. Telles sont les causes de la mission des Prophètes, de la vocation des patriarches, de la promulgation de la loi, de lIncarnation même de Notre-Seigneur
1. Jean, XVI, 12. 2. Coloss. II, 3. 3. Jean, III, 29. 4. Jean, VIII, 44.
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Jésus-Christ, du ministère des Apôtres, de la prédication et de la glorification de la parole de Dieu dans lEglise: oui, en voilà les deux causes: la puissance et la miséricorde divines. Craignez sa puissance , aimez sa miséricorde. Nayez pas en sa miséricorde une confiance telle que vous méprisiez sa puissance: ne redoutez pas, non plus, sa puissance, au point de perdre toute confiance en sa miséricorde. Lune et lautre se trouvent en lui à un égal degré. Il humilie celui-ci, il élève celui-là; par sa puissance il abaisse lun, il élève lautre par sa miséricorde 1. « Dieu voulant manifester sa juste colère et faire voir sa puissance, souffre, avec une patience infinie, les vases de colère destinés à la perdition ». Voilà pour sa puissance; voici pour sa miséricorde : « Afin de faire connaître les richesses de sa bonté envers les vases de miséricorde quil a préparés pour la gloire». Cest donc le propre de sa puissance de condamner les pécheurs. Et personne nosera lui dire: Quavez-vous fait? « Car, ô homme, qui es-tu pour te permettre daccuser Dieu 2? » Que sa puissance tinspire donc la crainte, et te fasse trembler; mais que sa miséricorde anime ta confiance. Le démon, lui aussi, est une puissance; mais le plus souvent, quand il veut faire du mal, il est réduit à limpuissance, parce quil dépend dun pouvoir supérieur. De fait, si le démon pouvait faire autant de niai quil le désire, tous les justes disparaîtraient; il ne laisserait pas un fidèle en ce monde. Par lintermédiaire des vases de perdition, il se précipite sur eux comme sur un mur qui penche; toutefois il ne lébranle quautant que Dieu le lui permet: le Seigneur lui-même soutiendra ce mur, afin quil ne croule pas; car, en donnant au démon le pouvoir de tenter lhomme, il accorde à celui-ci son bienveillant secours. Le pouvoir déprouver les justes nappartient donc à Satan que dans une certaine mesure. « Vous nous ferez boire avec mesure les larmes qui couleront de nos yeux », dit le Prophète 3. Parce que Satan a reçu lautorisation de te maltraiter, nen conçois aucune appréhension, car tu as un Sauveur rempli de bonté pour toi. Si donc il te tente, cest pour ton bien cest pour texercer , téprouver et taider à te connaître toi-même. Doù peut, en effet,
1. Ps. LXXIV, 8. 2. Rom. IX, 22, 23, 26. 3. Ps. LXXIX, 6.
nous venir la tranquillité, sinon de la puissance et de la miséricorde divines? Où pouvons-nous trouver la sécurité, sinon à cette source féconde? Car lApôtre a dit: « Dieu est fidèle , et il ne permet pas que vous soyez tentés au-dessus de vos forces 1 ». 21. « A Dieu donc appartient la puissance. Car toute puissance vient de Dieu 2 »; ne dis donc pas : Pourquoi le Seigneur donne-t-il au démon une pareille puissance? Ne devait-il pas lui refuser tout pouvoir ? Celui qui accorde la puissance est-il dépourvu de justice? Tu peux murmurer injustement contre lui; pour lui, jamais il ne perdra léquité. « Y a-t-il de linjustice en Dieu? Non 3». Il faut bien ten persuader: puisse ton ennemi ne jamais réussir à ten faire perdre la mémoire! Les motifs qui portent Dieu à agir de telle ou telle manière, tu peux ne pas les connaître; mais il est sûr que la justice même ne peut se rendre coupable dinjustice. Tu accuses le Seigneur dinjustice: mais discutons ensemble un instant, et prête-moi ton attention. Tu laccuses dinjustice: connais-tu les règles de la justice ? Pour porter une telle accusation sans blesser le droit, il est indispensable de savoir toutes les lois de la justice: il faut comparer ensemble léquité et linjustice. Comment, en effet, saurais-tu quune chose est injuste, si tu ne sais pas ce qui est juste? Qui est-ce qui sait si ce que tu appelles un procédé inique nest pas de tous points conforme aux règles du droit? Non, dis-tu, je maintiens mon opinion. Et tu le soutiens avec autant de fermeté que si tu le voyais de tes propres yeux; tu te prononces avec autant dassurance dans le sens de linjustice, que si tu tenais en tes mains linfaillible règle de la justice et que lappliquant à la conduite de Dieu, tu aperçusses une différence entre les deux. A tentendre, ne croirait-on pas avoir devant soi uu expert chargé de discerner entre la ligne droite et celle qui ne lest pas? Je tadresse donc cette question: Comment sais-tu que telle chose est juste? Où est cette règle de justice dont la présence tapprend que telle autre est injuste? Doù vient ce je ne sais quoi, dont ton âme se trouve de toutes parts imprégnée, même au sein des ténèbres, ce je ne sais quoi qui éclaire ton esprit? Doù sort notre règle de justice ? Naurait-elle ni source ni
1. I Cor. X, 13. 2. Rom. XIII, 1. 3. Rom. IX, 14.
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principe? Diras-tu quelle a son principe en toi-même? Es-tu capable de te la donner? Personne ne peut te donner ce quil na pas. Si donc tu es injuste, tu ne peux devenir juste quen te conformant à une règle immuable de justice; tu deviens injuste dès que tu ten éloignes: si tu ten approches, tu deviens équitable. Que tu ten éloignes, que tu ten approches, elle est toujours la même. Où réside-t-elle donc? Sur la terre? Non. Si tu cherchais à y trouver de lor ou des pierres précieuses, à la bonne heure; mais, ne loublie pas, nous parlons de la justice. La chercheras-tu dans la vaste profondeur des mers, au sein des nuages, dans les étoiles, parmi les Anges? Sans doute, elle habite au milieu des Anges, mais ils la puisent eux-mêmes à sa source; elle se trouve en chacun deux, et elle ne procède toutefois que dun seul principe. Elève donc tes regards, monte au ciel, dirige-toi vers lendroit où Dieu na parlé quune fois, et tu trouveras la source de la justice là ou se trouve la source de la vie. « Parce quen vous, Seigneur, est la source de la vie 1». De ce quavec tes faibles lumières tu crois pouvoir prononcer entre le juste et linjustice, il ne suit nullement que linjustice se rencontre en Dieu: trop souvent tu te trompes dans tes appréciations; mais quand elles sont justes, à quoi le dois-tu, sinon à un rayon de la justice divine qui est descendu sur toi? En lui donc se trouve la source de la justice. Ne cherche pas liniquité où lon rencontre la pure lumière. Il est très-possible que tu ignores la raison des choses. Sil en est ainsi, accuse ton ignorance ; souviens-toi de ce que tu es: pense à ces deux choses: « La puissance est à Dieu; Seigneur, la miséricorde vous appartient. Ne cherche point à connaître ce qui est au-dessus de toi: ne sonde point la profondeur des conseils divins qui dépassent les bornes de ton intelligence; quil te suffise de connaître les commandements du Seigneur, et que jamais tu nen perdes le souvenir 2 » . A ces commandements se rapportent les deux choses entendues par Idithun: « La puissance est à Dieu; et, Seigneur, la miséricorde vous appartient». Ne crains pas ton ennemi; il ne te fera jamais que ce quil a reçu le pouvoir de te faire : crains plutôt celui à qui appartient la puissance suprême : redoute celui qui peut
1. Ps. XXXV, 10. 2. Eccli. III, 22.
faire tout ce quil veut, dont les oeuvres, loin dêtre entachées dinjustice, sont, au contraire, marquées au coin de la plus intègre justice. Nous supposions injuste telle ou telle chose: mais dès lors que Dieu la faite, sa justice est démontrée. 22. Quand un homme fait mourir un innocent, fait-il bien ou mal ? Certes, il fait mal. Pourquoi Dieu lui permet-il dagir ainsi? Avant de faire cette question, ne devrais-tu pas te souvenir que tu dois à Dieu ce commandement : « Partage ton pain avec le pauvre abrite ceux qui nont point dasile, donne des vêtements à celui qui en manque 1?» La justice, de ta part, consiste à observer cette prescription divine : « Lavez-vous de vos taches, purifiez-vous : dépouillez-vous de votre malignité, éloignez-la de mes yeux apprenez à faire le bien, à rendre justice à lorphelin et à la veuve; puis vous viendrez, et nous discuterons ensemble, dit le Seigneur 2 ». Tu prétends discuter avec Dieu commence par te rendre digue dengager cette discussion, en accomplissant tes devoirs, et alors tu demanderas au Tout-Puissant raison de ses actes. O homme, il ne mappartient pas de te faire connaître les desseins de lEternel : je nen ai pas le pouvoir ; je me borne à te dire que le meurtre dun innocent est un crime, et que ce crime naurait pas lieu, si Dieu ne le permettait pas ; et de ce quun homme se soit rendu coupable dune telle faute, il ne suit pas du tout que le Seigneur ait participé à cette iniquité en la permettant. Sans examiner la cause de cet homme, au sort duquel tu tintéresses si vivement, et dont la mort te fait verser des larmes : je pourrais te dire dès maintenant quil naurait pas été assassiné, sil navait pas été coupable, et, par là, je me trouverais en opposition avec toi, puisque tu soutiens son innocence : encore une fois, je pourrais te fàire cette réponse ; car, pour appuyer ton assertion sur une base sûre, pour dire avec apparence de raison, que cet homme a été injustement mis à mort, il faudrait avoir préalablement scruté son coeur jusque dans les plus secrets replis, examiné à fond tous ses actes, et disséqué chacune de ses pensées: or, tu ne las pas fait : je serais donc à même de clore ici la discussion. Mais tu me parles dun juste;quon a pu, sans contredit et sans aucun doute,
1. Isaïe, LVIII, 7. 2. Isaïe, I, 16-18,
appeler de ce nom : dun juste qui navait commis aucune faute, et que, néanmoins, les pécheurs ont fait mourir, quun traître a livré aux mains de ses ennemis: tu me donnes pour exemple le Christ lui-même : certes, nous ne pouvons dire quil y ait eu en lui aucun péché , puisquil payait des dettes quil navait pas contractées 1. Que répondre à cette objection ? Je te tiens, me diras-tu. Moi aussi je te tiens. Tu me proposes une difficulté relativement au Christ : il me servira lui-même à la résoudre. Nous savons quels ont été les desseins de Dieu à légard de son Fils : il a lui-même pris soin de dissiper à cet égard notre ignorance. Puis donc que tu connais les motifs pour lesquels le Seigneur a permis à des scélérats de faire mourir son Fils, et que ses desseins sont de nature à obtenir ton assentiment, et, si tu es juste, à ne point te révolter, tu dois croire aussi quà légard des autres Dieu a ses vues, quoique tu ne les connaisses pas. Mes frères, il a fallu le sang dun juste pour effacer la cédule de nos péchés: nous avions besoin dun exemple de patience et dhumilité : le signe de la croix était nécessaire pour triompher du démon et de ses anges 2. Il était indispensable pour nous que Notre Seigneur souffrit, car il a racheté le monde par sa passion. De quels bienfaits ses souffrances ont été pour nous la source ! Toutefois, le Sauveur, le juste par excellence, ne les aurait jamais endurées, si les pécheurs ne lavaient attaché à la croix. Mais est-ce bien à ses bourreaux quil faut imputer les heureux résultats de sa mort ? Non: ils lont voulue, Dieu la permise: la volonté seule de faire périr Jésus-Christ aurait suffi à les rendre criminels mais Dieu naurait point permis une pareille mort, sil y eût eu injustice à le faire. Les Juifs ont voulu tuer le Sauveur : supposons quun obstacle se soit opposé à la perpétration de leur crime, seraient-ils pour cela innocents ? Personne noserait ni le penser ni le dire. « Car le Seigneur examine le juste et le pécheur 3 », et « il pénètre jusque dans les pensées de limpie 4 ». Il recherche, non pas ce quon a pu taire, mais ce quon a voulu faire. Si donc les Juifs avaient voulu faire mourir le
1. Ps. LXVIII, 5. 2. Coloss. II, 14, 15. 3. Ps. X, 6. 4. Sag. 1, 9.
Christ, sans pouvoir toutefois parvenir à leurs fins, ils nen seraient pas moins coupables; mais tu naurais pas reçu les bienfaits dont sa passion a été la source. Les impies ont donc agi de manière à le faire condamner: Dieu a permis cette condamnation, afin dopérer ton salut. Ce que limpie a voulu faire, lui est imputé à crime ; ce que Dieu a permis est venu de sa puissance : la volonté des Juifs a été contraire aux lois de la justice : la permission que Dieu leur a donnée y a été conforme. Aussi, mes frères, le scélérat qui a trahi le Sauveur, Juda et les bourreaux du Christ, étaient, les uns et les autres, des méchants, des impies et des pécheurs; tous étaient dignes de condamnation : et, pourtant, le Père « na pas épargné son propre Fils, mais il la livré pour nous tous 1». Distingue, discerne, si tu le peux : offre à Dieu les voeux que tu as faits avec tin sage discernement 2. Vois ce qua fait le Juif prévaricateur : vois ce qua fait le Dieu juste : lun a voulu faire mourir le Christ, lautre la permis : la conduite de celui-ci est digne de louanges, la conduite de celui-là mérite le blâme le plus sévère. Condamnons les intentions perverses des pécheurs : glorifions les desseins équitables du Très-Haut. Le Christ est mort : quel mal a-t-il éprouvé? Ceux qui ont travaillé à sa perte, se sont perdus eux-mêmes. Mais, pour lui, ils nont pu lui causer aucun dommage, même en le livrant au dernier supplice. En mourant dans sa chair, il a porté à la mort le coup de grâce, il nous a enseigné la patience, et nous a donné, dans sa résurrection, le modèle de la nôtre. Quelle précieuse occasion de faire le bien les méchants ont-ils fournie au juste, en le faisant mourir? Taider par sa grâce à faire le bien, tirer le bien du mal même que tu fais, nest-ce pas une des preuves les plus sensibles de la grandeur de Dieu? Ne ten étonne pas. Quand il permet de faire le mal, ce nest point sans motifs : il ne le fait, du reste, quavec poids, nombre et mesure : sa conduite est à labri de tout reproche. Pour toi, fais seulement tous tes efforts pour lui appartenir; mets eu lui ta confiance; quil soit ton soutien et ton salut; quen lui tu trouves un asile inviolable, une imprenable forteresse; quil soit ton refuge, et il ne permettra pas que tu sois tenté au-dessus de tes forces, et il ten fera sortir avec
1. Rom. VIII, 32. 2. Ps. LXV, 13.
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avantage, en sorte que tu seras à même de supporter lépreuve 1. Lorsque tu es éprouvé par la tentation, tu dois voir en cela laction de sa puissance; mais sa miséricorde se manifeste, quand il ne permet pas que tu soit tenté au-delà de tes forces. « La puissance est à Dieu, et à vous, Seigneur, appartient la miséricorde : aussi vous rendrez à chacun selon ses oeuvres ».
Après lexplication de ce psaume, comme on montrait au milieu du peuple un homme qui sétait livré à lastrologie judiciaire, Augustin ajouta :
Dans lardeur de sa soif, lEglise veut faire entrer aussi dans son corps, lhomme que vous avez sous les yeux. Dès lors il vous est facile de comprendre combien il en est parmi les chrétiens pour la bénir du bout des lèvres, et la maudire du fond du coeur. Autrefois chrétien fidèle, il revient aujourdhui à elle dans les sentiments de pénitence et de crainte salutaire que lui inspire la puissance divine, et vient se jeter dans les bras de la miséricorde du Tout-Puissant. Dabord fidèle à sa foi et à ses devoirs, il a été séduit par lennemi, et il est devenu astrologue. Après avoir été lui-même séduit, il a séduit les autres; après avoir été trompé, il sest fait trompeur; il en a attiré à son erreur; il les a jetés dans lillusion, il a proféré quantité de mensonges contre le Dieu qui a donné aux hommes le pouvoir de faire le bien, et non celui de faire le mal. Il disait que ladultère et lhomicide ne sont pas leffet de notre volonté; que Vénus est lauteur du premier, et Mars du second ; il ajoutait que la source de la justice se trouve, non pas en Dieu, mais en .Jupiter : enfin, mille autres blasphèmes abominables sont sortis de sa bouche. A combien de chrétiens il a extorqué de largent? Vous vous en feriez difficilement une idée. Que de fidèles ont acheté ses mensonges ! Pourtant, nous leur disions: Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le coeur lourd? Pourquoi aimez-vous la vanité et cherchez-vous le mensonge 2? Maintenant, sil faut len croire, il déteste le mensonge et reconnaît quavant den tromper tant dautres il avait été lui-même la dupe du démon. Nous pensons, mues Frères, quune grande frayeur a été la cause de sa conversion. Quajouterons-nous? Si cet astrologue abandonnait
1. I Cor. X, 13. 2. Ps. IV, 3.
aujourdhui le paganisme pour entrer dans lEglise, nous en ressentirions, sans doute, une grande joie; mais ne devrions-nous pas craindre que le mobile de sa conversion fût un secret désir dentrer dans la cléricature ? Celui-ci est pénitent; il ne demande quindulgence et pardon. Ouvrez donc les yeux sur lui; dilatez vos coeurs en faveur de cet homme repentant, nous vous en conjurons: celui que vous voyez, aimez-le du fond de vos entrailles ; portez incessamment sur lui vos regards. Considérez-le bien ; apprenez à le connaître, et partout où il ira, montrez-le à ceux de vos frères qui ne sont point ici : ces soins et cette vigilance seront, de votre part, une oeuvre de miséricorde, qui empêchera ce séducteur de se détourner du bien et de redevenir lennemi de la vérité. Soyez ses gardiens; que ses discours et sa conduite naient rien de caché pour vous : votre témoignage servira à nous assurer quil est vraiment revenu à Dieu. Ainsi placé sous votre surveillance, ainsi recommandé à votre compassion, il naura plus rien de caché pour vous. Vous savez, par les Actes des Apôtres, quun grand nombre dhommes perdus, cest-à-dire exerçant la même profession, et soutenant des doctrines perverses, apportèrent aux pieds des disciples du Sauveur tous leurs livres : on en brûla alors un si grand nombre, que lEcrivain sacré a cru devoir les estimer, et en consigner la valeur dans son récit 1. Il la fait, sans doute, pour la plus grande gloire de Dieu et pour empêcher de tels hommes de désespérer de la bonté de celui qui sait, quand il le veut, chercher ce qui était perdu 2. Celui-ci était perdu; mais Dieu la cherché, il la retrouvé, il la ramené; cet homme rapporte avec lui, pour les faire brûler, des livres qui devaient le condamner au feu éternel; du foyer ardent où ils seront bientôt consumés, il tirera pour son âme un véritable rafraîchissement. Sachez-le pourtant, mes frères, il y a longtemps quil frappe à la porte de lEglise, il avait commencé à le faire avant Pâques : dès avant Pâques, il demandait à lEglise chrétienne un remède à ses maux. Mais comme lart dont il a fait profession, le rendait un peu suspect de mensonge et de dissimulation, nous avons cru devoir différer de le recevoir, dans la crainte dêtre trompé; mais, enfin, nous lavons reçu, pour ne pas lexposer à une
1. Act. XIX, 19. 2. Luc, XV, 32.
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nouvelle et plus dangereuse tentation. Offrez donc à Dieu, pour lui, vos prières par la médiation du Sauveur. Que chacun de vous conjure aujourdhui le Seigneur de lui faire miséricorde; car nous savons, et nous en sommes sûr, que vos prières effacent toutes ses impiétés. Que Dieu soit avec vous !
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