PSAUME LXVI
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DISCOURS SUR LE PSAUME LXVI.

SERMON AU PEUPLE.

LA BÉNÉDICTION DE DIEU.

 

C’est le Seigneur qui nous bénit, parce qu’il nous cultive et qu’il habite en nous; parce que, si nous travaillons avec lui par la grâce, c’est lui seul qui donne l’accroissement. C’est à lui que nous devons demander la bénédiction. Mais pour nous bénir, nous donnera-t-il les biens de la terre ? C’est là une bénédiction qui ne vient que de lui, et toutefois il les donne aux bons et aux méchants ne le servons donc point pour les obtenir, ne pleurons point s’ils nous sont enlevés, le donateur nous reste. Le chrétien travaille au grand jour comme la fourmi, et comme elle, jouit invisiblement. La bénédiction de Dieu, c’est sa lumière qui fera resplendir en nous son image, c’est la voie de Dieu ou Jésus-Christ béni chez tous les peuples. C’est 1à le salut. Nous chanterons alors le cantique de l’homme nouveau; il ne restera rien du vieil homme. La terre donnera d’heureux fruits, ou des cohéritiers du Christ. Appelons son avènement et son règne.

 

1. Dans les deux psaumes que nous avons exposés naguère, votre charité s’en souvient, nous avons exhorté notre âme à bénir le Seigneur, et nos chants pieux ont répété « O mon âme, bénis le Seigneur 1 ». De même que dans ces psaumes nous avons engagé notre âme à bénir le Seigneur, de même en celui-ci nous devons dire : « Que Dieu nous prenne en pitié et qu’il nous bénisse 2». Que notre âme bénisse le Seigneur et que le Seigneur nous bénisse. Que nous bénissions le Seigneur, nous grandissons; qu’il nous bénisse, nous grandissons encore: l’un et l’autre nous sont utiles. Nos bénédictions n’ajoutent rien à sa majesté, nos malédictions n’y dérogent en rien. Maudire le Seigneur, c’est se ravaler soi-même ; le bénir, c’est s’élever soi-même. C’est le Seigneur qui nous bénit le premier, il est juste que nous le bénissions ensuite. L’une de ces bénédictions est la pluie, l’autre la récolte. Elle est donc dévolue à Dieu qui nous donne la rosée et la culture, comme la récolte au laboureur. Ainsi chantons ses louanges, non point avec une dévotion stérile, non point d’une voix sans portée, mais dans la sincérité du coeur. Dieu est en effet appelé cultivateur 3. L’Apôtre a dit : « Vous êtes le champ que Dieu cultive, l’édifice qu’il  bâtit 4 ». Dans les choses visibles de ce monde, la vigne n’est pas un édifice, ni l’édifice une vigne; quant à nous, nous sommes la vigne du Seigneur, parce qu’il nous cultive pour nous faire produire; nous sommes

 

1. Ps. CII, 1, et CIII, 1.— 2. Id. LXVI, 2.— 3. Jean, XV, 1.— 4. I Cor. III. 9.

 

l’édifice de Dieu, parce qu’en nous cultivant il habite en nous. Que dit en effet le même apôtre? « J’ai planté, Apollo a arrosé, Dieu a donné l’accroissement. Donc celui qui plante n’est rien, non plus que celui qui arrose, mais Dieu, qui donne l’accroissement 1 ». C’est donc lui qui fait croître. Mais les autres sont-ils les agriculteurs? Car on appelle agriculteur celui qui plante, celui qui arrose; or, l’Apôtre a dit : « J’ai planté, Apollo a arrosé ». Demandons comment l’Apôtre l’a fait. Il répond: « Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi 2 ». Quelque part que tu ailles, soit du côté des anges, c’est Dieu qui te cultive; soit du côté des Prophètes, c’est Dieu qui te cultive; soit du côté des Apôtres, je vois encore que c’est lui qui te cultive. Mais nous, que sommes-nous donc? Peut-être les ouvriers de ce cultivateur, et cela par les forces qu’il nous a départies, par la grâce dont il nous a fait don. C’est donc lui qui nous cultive, lui qui nous donne l’accroissement. Mais tous les soins du vigneron pour sa vigne, se bornent à la bêcher, à la tailler, et aux autres travaux de la culture; quant à faire pleuvoir sur sa vigne, il ne le saurait. S’il peut quelquefois l’arroser, avec quoi le peut-il? II conduira bien l’eau dans la rigole, mais c’est Dieu qui donne la source d’eau. Enfin, dans sa vigne, il ne peut faire croître le sarment, il ne peut former du fruit, il ne peut modifier les espèces, il ne peut changer le temps de la germination. Mais Dieu qui peut

 

1. I Cor. III, 6-9. — 2. I Cor. XV, 10.

 

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tout est notre agriculteur, et nous sommes en sûreté. Quelqu’un objectera peut-être: Vous

dites que c’est Dieu qui nous cultive; et moi je soutiens que les Apôtres sont aussi des

agriculteurs, eux qui ont  dit : «J’ai planté, Apollo a arrosé ». Si je parle de moi-même,

qu’on ne me croie point; si c’est le Christ, malheur à quiconque refuse de le croire !

Que dit donc Notre-Seigneur Jésus-Christ? « Je suis la vigne, et vous les branches, mon Père est le vigneron 1 ». Que la terre soit donc aride, et qu’elle crie à la soif; car il est écrit: « Mon âme, sans vous, est comme une terre sans eau 2 ». Que notre terre, qui est nous-mêmes, soupire donc après la pluie, et dise: « Que le Seigneur nous prenne en pitié, et qu’il nous bénisse ».

2. « Qu’il fasse resplendir son visage sur nous et qu’il nous bénisse 3 ». On demandera peut-être ce que c’est que « nous bénir». L’homme souhaite que Dieu le bénisse en bien des manières: celui-ci demande pour bénédiction que le Seigneur comble sa maison des biens nécessaires à cette vie ; celui-là voudrait pour bénédiction l’exemption de toute maladie corporelle; cet autre, malade peut-être, demandera que Dieu le bénisse en lui rendant la santé; un autre encore désire des enfants, et dans son chagrin de n’en voir point naître, voudrait pour bénédiction une postérité. Qui peut énumérer toutes les manières dont les hommes voudraient obtenir de Dieu ses bénédictions? Et qui de nous peut dire que ce n’est point par une bénédiction de Dieu que la campagne donne des récoltes, qu’une maison regorge de richesses temporelles, que nous possédons une santé corporelle inaltérable, ou que nous la recouvrons après l’avoir perdue? La fécondité des épouses, les voeux chastes de ceux qui désirent des enfants, qui en est le maître, sinon le Seigneur notre Dieu? Lui qui a créé quand rien n’était, maintient son oeuvre par les générations successives . Telle est l’oeuvre de Dieu, le don de Dieu. C’est peu pour nous de dire: Voilà l’oeuvre de Dieu, le don de Dieu; mais lui seul fait ces oeuvres et ces dons. Peut-on dire, en effet, que Dieu fait ces oeuvres, et qu’un autre sans être Dieu les fait aussi? C’est Dieu qui les fait, et qui les fait seul. C’est donc vainement qu’on le demande, soit aux hommes, soit aux démons; tout ce que reçoivent les

 

1. Jean, XV, 5, 1. —  2. Ps. CLXII, 6. — 3. Ps. LXVI, 2.

 

ennemis de Dieu, ils le reçoivent de lui; et quand ils l’obtiennent après l’avoir demandé à d’autres, c’est de lui qu’ils l’obtiennent sans le savoir, De même que, s’ils sont châtiés, et qu’ils attribuent à d’autres ces châtiments, c’est par lui qu’ils sont châtiés à leur insu:

de niéme s’ils se fortifient, s’ils sont rassasiés, sauvés, délivrés, et que dans leur ignorance ils l’attribuent aux hommes, aux démons ou aux anges : ceux-ci ne peuvent rien que par celui qui a tout pouvoir. Si nous parlons ainsi mes frères, c’est afin que, si nous désirons parfois les biens de la terre, ou pour subvenir à nos besoins, ou même à cause de notre faiblesse, nous ne les demandions qu’à celui qui est la source de tout bien, le créateur elle réparateur de toutes choses.

3. Mais il y a certains dons que Dieu fait même à ses ennemis, d’autres qu’il ne réserve qu’à ses amis. Quels sont les dons qu’il fait à ses ennemis? Ceux que je viens d’énumérer. Les bons, en effet, ne sont point seuls pour avoir des maisons qui regorgent des biens de la terre, ils ne sont point seuls pour avoir la santé, pour sortir de maladie, pour avoir des enfants, ni seuls pour avoir de l’argent, et tout le reste qui est nécessaire pour cette vie du temps qui doit passer : les méchants possèdent tout cela, souvent même les bons ne l’ont point; mais souvent encore les méchants en éprouvent la disette, et parfois plus que les bons; parfois les bons plus que les méchants. Dieu a donc voulu que ces biens du temps fussent mêlés; s’il ne les donnait qu’aux bons seulement, les méchants croiraient que c’est pour ce motif qu’il faut adorer Dieu; et s’il ne les donnait qu’aux méchants, ceux des bons qui sont faibles craindraient d’en être privés. Notre âme est en effet bien faible, et peu disposée au règne de Dieu, et Dieu qui nous cultive doit la nourrir. Tel arbre en effet qui peut braver les tempêtes, n’est sorti de terre que comme une herbe chétive. Ce vigneron divin sait donc bien tailler et émonder les arbres robustes j ainsi que donner des tuteurs à ceux qui sont nouvellement nés. Aussi, mes bien-aimés, comme je vous le disais tout à l’heure, si les biens n’étaient l’apanage que des bons seulement, tous se convertiraient à Dieu afin de les posséder; et s’ils n’étaient l’apanage que des méchants, les faibles craindraient que leur conversion ne les privât de ce qui serait aux méchants seuls. (71) Dieu les a donc donnés saris distinction aux bons et aux méchants. Au contraire, que les bons seuls soient privés de ces biens, et les faibles craindront alors de se convertir au Seigneur; et s’il n’y a que les méchants pour en être privés, on ne verrait de peine que dans le châtiment des méchants. Donc, si Dieu les accorde aux bons, c’est pour les consoler dans leur pèlerinage; s’il les accorde aux méchants, c’est pour avertir les bons de désirer d’autres biens qui ne leur seraient pas communs avec les méchants. Il les enlève ensuite aux bons quand il lui plaît, afin qu’ils sondent leurs forces; et qu’ils sachent, eux qui l’ignoraient jusque-là, s’ils peuvent dire : «Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté : ainsi qu’il a plu au Seigneur, il a été fait; que le nom du Seigneur soit béni 1». Voilà une âme qui bénit le Seigneur, qui a produit des fruits, fertilisée qu’elle était par la rosée des bénédictions : « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté ». Il a soustrait les dons, mais non le donateur. Toute âme simple et bénie, qui ne s’attache pas aux choses de la terre, qui ne se traîne point avec des ailes embarrassées par la glu, mais dont les deux ailes reflètent l’éclat des vertus dans la double émeraude de la charité, s’élève en liberté dans les airs; elle se voit enlever ce qu’elle foulait, sans s’y reposer aucunement, et dit avec sécurité : « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté : ainsi qu’il a plu au Seigneur, il a été fait; que le nom du Seigneur soit béni ». Il a donné, il a ôté: celui qui a donné subsiste, et il ôte ce qu’il a donné que son nom soit béni. C’est donc pour cela que ces biens sont parfois étés aux bons. Mais qu’un homme faible ne vienne point nous dire : Quand pourrai-je avoir toute la force du saint homme Job? Tu admires la force de l’arbre, parce que tu es nouvellement né; et ce grand arbre, dont tu admires la force, ne fut qu’un roseau, sans celui qui te couvre de ses branches et de son ombre. Craindrais-tu que ces biens ne te soient enlevés, parce que tu es bon? Remarque alors qu’ils sont enlevés aussi bien aux méchants. Pourquoi donc retarder ta conversion? Ce que tu crains de perdre en devenant bon, tu le perdras peut-être en demeurant mauvais. Si tu les perds étant vertueux, tu as pour consolateur celui qui te les a ôtés; ta cassette sera sans or, mais ton coeur plein de foi:

 

1. Job, I, 21.

 

pauvre au dehors, tu seras riche à l’intérieur; tu porteras avec toi des richesses que nul ne pourra t’enlever, dusses-tu échapper nu au naufrage. Si donc, dans ton impiété, tu es exposé à quelque perte, pourquoi celte perte ne te rendrait-elle pas bon, puisque tu vois aussi bien des méchants essuyer des perles? Mais leur désastre alors est bien plus grand; il n’y a rien dans la maison, et moins encore dans la conscience. Qu’un impie vienne à perdre ces biens, il ne possède plus rien à l’extérieur, et n’a rien non plus pour se reposer intérieurement. Il fuit les lieux témoins de son désastre, et où jadis il étalait orgueilleusement ses richesses aux yeux des hom mes; il n’ose plus affronter les regards des autres, il ne peut rentrer en lui-même, où il ne trouve rien. Loin d’imiter la fourmi, il ne s’est amassé aucun grain pendant l’été 1. Qu’ai-je dit pendant l’été? Quand la vie était calme pour lui, quand ce siècle était pour lui souriant de prospérité, quand il avait des loisirs, quand chacun vantait son bonheur, c’était alors l’été pour lui. Il eût imité la fourmi, s’il eût entendu la parole de Dieu, s’il eût amassé du grain, s’il fût rentré en lui-même. Mais était venue l’épreuve de la tribulation, et survenu l’engourdissement de l’hiver, la tempête de la crainte, le froid du chagrin, ou quelque dommage, quelque danger pour la vie, la perte des siens, quelque déshonneur, quelque humiliation; voilà l’hiver. La fourmi se retire alors vers les approvisionnements qu’elle a faits pendant l’été; là, dans son intérieur le plus secret, où nul ne la voit, elle jouit du fruit de son travail d’été. Quand, aux beaux jours, elle faisait ses provisions, chacun la voyait; nul ne la voit quand elle s’en nourrit en hiver. Qu’est-ce que cela, mes Frères? Voyez la fourmi de Dieu : chaque jour, à son lever, elle court à l’église de Dieu, elle prie, elle entend des lectures, chante des hymnes, réfléchit à ce qu’elle a entendu, rentre en elle-même et fait une secrète provision des grains qu’elle amasse dans l’aire. Voilà ce que font ceux qui ont la sagesse d’écouter ce que nous disons ici; chacun les voit venir à l’église, sortir de l’église, écouter le sermon, écouter la lecture, chercher un livre, l’ouvrir, le lire : tout cela se fait visiblement. C’est la fourmi qui voyage, qui porte, qui fait des provisions, sous les yeux de ceux qui la regar

 

1. Prov. VI, 6, et XXX, 25.

 

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regardent. Un jour viendra l’hiver, et pour qui n vient-il pas? Arrive un accident, la pauvreté, Les autres plaignent cet homme dans sou malheur, et ne connaissent point les provisions de cette fourmi. Malheur, disent-ils, à celui-ci qui a fait cette perte, à celui-là qui en a fait une autre, quel est son courage, pensez-vous? Quel est son accablement? Chacun mesure d’après soi-même, compatit selon ses forces, et se trompe en cela même, qu’il veut appliquer à celui qu’il ne connaît poini sa propre mesure. Tu vois un homme qui fuji une perte, ou qui subit une humiliation, ou réduit à l’indigence: que crois-tu alors? Qu’il a commis quelque crime, pour être ainsi accablé. Que telle soit la pensée, le sentiment de nies ennemis. Ne sais-tu donc pas, ô homme, que tu es ton propre ennemi, quand aux jours d’été tu n’amasses point ce qu’il a amassé? Maintenant c’est la fourmi qui se nourrit intérieurement de ses labeurs de l’été; tu pouvais la voir amasser, tu ne la vois pas se rassasier. Autant qu’il a plu à Dieu de nous suggérer ces réflexions, de soutenir notre faiblesse et noire humilité, nous vous expliquions, selon notre pouvoir, pourquoi Dieu dorme indistinctement ses biens aux bons et aux méchants, et les enlève aux méchants comme aux bons. Vous les donne-t-il, n’en soyez point orgueilleux; vous les enlève-t-il, n’en soyez pas accablé. Tu crains qu’il ne les retire; il peut les enlever au bon comme au méchant: il est donc préférable que tu sois bon, pour perdre ce qui est de Dieu; car alors Dieu te reste. Quant à ce méchant, je lui dirai pour l’exhorter : Tu essuieras quelque perte (qui est exempt de la mort de ses proches?) un malheur viendra fondre sur toi, une calamité imprévue, le monde est plein, les exemples abondent : je t’avertis pendant l’été, il ne manque pas de grains à ramasser; vois la fourmi, ô paresseux’, amasse en été, puisque tu le peux : l’hiver ne te permettra pas d’amasser, mais seulement de manger tes provisions. Combien en est-il dont la tribulation est telle qu’ils ne peuvent ni lire, ni écouter, ni peut-être aborder ceux qui les consoleraient? La fourmi est demeurée dans ses galeries; qu’elle examine si elle a fait pendant l’été une provision qui la garantisse contre l’hiver.

4. Maintenant que Dieu nous bénira, pourquoi nous bénira-t-il ? Quelle bénédiction

 

1. Prov. VI, 6; XXX, 25.

 

demande cette prière: « Que Dieu nous  bénisse? » La bénédiction qu’il réserve à ses amis, qu’il n’accorde qu’aux bons. Ne désire pas comme bien précieux ce que les méchants reçoivent aussi : Dieu, dans sa bonté, les accorde, « lui qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes 1 ». Qu’y a-t-il donc de réservé pour les bons? de réservé pour les justes? « Que les rayons de sa face tombent sur nous ». La lumière de ce soleil, vous la répandez sur les méchants comme sur les bons, répandez sur nous la lumière de votre face. Les bons et les méchants partagent avec les troupeaux la vue de cette lumière. « Mais bienheureux ceux dont le coeur est pur, parce qu’ils verront Dieu 2 ». « Que les rayons de sa face tombent sur nous ». Il y a deux manières d’entendre cette parole, expliquons l’une et l’autre : répandez sur nous les rayons de votre face, montrez. nous votre visage. Car Dieu n’a pas besoin de faire briller son visage, comme si ce visage était parfois sans lumière; mais, faites-le briller sur nous, afin que nous puissions voir ce qui nous était dérobé, et que ce qui est sans que nous le voyions, nous soit révélé ou brille sur nous. Ou bien, rendez brillante sur nous votre image; comme s’il disait : faites briller sur nous votre visage; vous avez gravé en nous votre face, vous nous avez fait à votre image et à votre ressemblance 3; vous avez fait de nous votre monnaie; mais votre image ne doit point demeurer dans l’obscurité : envoyez un rayon de votre sagesse, qu’elle dissipe nos ténèbres, et que votre image brille enfin sur nous; que nous sachions que nous sommes votre image, que nous entendions ce qui est dit au Cantique des cantiques : « A moins que tu ne te connaisses, ô la plus belle des femmes 4 ». Voilà ce qui est dit à l’Eglise: « Puisses-tu te connaître toi-même». Qu’est-ce à dire? Puisses-tu connaître que tu es à l’image de Dieu. O âme précieuse de l’Eglise, rachetée par le sang de l’Agneau sans tache, vois quelle est ta valeur, examine ce que l’on a donné pour toi. Disons donc et désirons surtout « que le Seigneur fasse rayonner son visage sur nous ». Nous portons en nous son image; de même que l’on voit la face des empereurs dans leur statue, Dieu a mis aussi dans son image son visage

 

1. Matth. V, 45. — 2. Id. 8. — 3. Gen. I, 26. — 4. Cant. I, 7.

 

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sacré; mais les impies ne savent point que cette image de Dieu est en eux. Que doivent-ils dire, afin que Dieu fasse rayonner cette face sur eux-mêmes ? « C’est vous, Seigneur, qui allumerez mon flambeau; ô mon Dieu, éclairez mes ténèbres 1 ». Je suis dans la nuit du péché; mais qu’un rayon de votre sagesse dissipe ces ténèbres épaisses, que votre face devienne visible; et s’il arrive à cause de moi quelque difformité, eh bien ! reformez vous-même ce que vous avez formé. « Que le Seigneur fasse briller en nous son visage ».

5. « Afin que nous connaissions votre voie sur la terre 2» .  « Sur la terre», ici-bas, en cette vie « que nous connaissions votre voie». Qu’est-ce que « votre voie?» Celle qui conduit à vous. Que nous sachions où aller, que nous sachions encore par où aller l’un et l’autre nous sont impossibles dans nos ténèbres. Vous êtes loin de ceux qui voyagent, vous nous avez tracé la route par laquelle nous devons retourner à vous : « Que nous connaissions  votre voie sur la terre ». Quelle est cette voie de Dieu, puisque nous désirons de « connaître votre voie sur la terre? » C’est à nous de la chercher, sans pouvoir la connaître par nous-mêmes. Nous pouvons l’apprendre de l’Evangile : « Je suis la voie », dit le Seigneur; le Christ a donc dit : «Je suis la voie». Craindrais-tu d’errer ? Il ajoute, « et la vérité ». Qui peut errer dans la vérité? On n’est dans l’erreur que pour avoir dévié de la vérité. Le Christ est la vérité, le Christ est la voie : marche. Crains-tu de mourir avant d’y arriver? «Je suis la vie :je suis», a-t-il dit, « la voie, la vérité et la vie 3». Comme s’il disait : Que crains-tu ? Tu marches par moi, tu marches vers moi, tu reposes en moi. Que veut dire alors le Prophète : « Que nous connaissions votre voie sur la terre », sinon que nous connaissions ici-bas votre Christ? Mais que le psaume réponde lui-même; de peur que vous ne pensiez qu’il faut chercher en d’autres endroits de l’Ecriture un témoignage qui manquerait ici, il montre, en reprenant le verset, ce que signifie: « Afin que nous connaissions votre voie sur la terre »; et comme si tu demandais : sur quelle terre et quelle voie ? « Et votre salut », dit-il, « dans toutes les nations ». Tu demandes en quelle terre? Ecoute « Dans toutes les nations. »

 

1. Ps. XVII, 29. — 2. Id. LXVI, 3. — 3. Jean, XIV, 6.

 

Tu demandes quelle voie? Ecoute encore: « Votre salut». Est-ce pour lui-même que le Christ est le salut? Et que disait donc dans l’Evangile ce vieillard Siméon, ce vieillard dont les années se prolongent jusqu’à l’enfance du Verbe? Voilà que ce vieillard prit dans ses mains le Verbe de Dieu enfant. Pourquoi celui qui a daigné habiter les entrailles d’une vierge aurait-il dédaigné d’être dans les bras d’un vieillard ? Il est donc dans les bras du vieillard tel qu’il fut dans le sein de la Vierge; faible enfant dans les entrailles maternelles et dans les mains séniles, pour nous donner la force, lui par qui tout a été fait (si tout est par lui, sa mère est aussi par lui) : il est venu humble, infirme, et toutefois d’une infirmité qui doit changer : « Car s’il a été crucifié dans l’infirmité de la chair, il vit néanmoins dans la force de Dieu 1 », dit l’Apôtre. Il était donc dans les mains du vieillard. Et que lui dit ce vieillard ? Que dit-il, en se félicitant d’être bientôt délivré, en voyant qu’il tient dans ses bras celui par qui et en qui doit lui venir le salut ? « Seigneur », dit-il, « laissez maintenant votre serviteur allez en paix, puisque mes yeux ont vu votre salut 2. Que « Dieu donc nous bénisse, qu’il ait pitié de nous, qu’il fasse briller sur nous les rayons de sa face, afin que nous connaissions votre voie en cette vie». Sur quelle terre? «Dans toutes les nations ». Quelle voie? « Votre « salut ».

6. Quand la terre connaîtra ta voie de Dieu, quand toutes les nations connaîtront le salut de Dieu, qu’arrivera-t-il? « Que tous les peuples vous bénissent, ô mon Dieu; que tous les peuples», dit le Prophète, « publient vos louanges 3 ». Voici l’hérétique : J’ai, dit-il, des populations dans l’Afrique; un autre à telle autre partie : Moi, j’ai des populations en Galatie. Fort bien; tu as des peuples en Afrique, celui-ci en Galatie; et moi je cherche celui qui a des sectateurs partout. Vous avez bien osé tressaillir à ces paroles : « Que les peuples vous bénissent, ô mon Dieu ». Remarquez, dans le verset suivant, que le Prophète ne parle point d’une partie quelconque: « Que tous les peuples publient vos louanges ». Marchez dans la voie avec toutes les nations, marchez dans la voie avec tous les peuples, ô fils de la paix, fils de l’Eglise, qui

 

1. II Cor. XIII, 4. — 2. Luc, II, 29, 30. — 3. Ps. LXVI, 4.

 

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est seule catholique ; marchez dans la voie, marchez en chantant des hymnes. Voilà ce que font les voyageurs pour alléger leur fatigue. O vous donc, chantez dans cette voie, je vous en supplie par la voie elle-même, chantez dans cette soie: chantez un cantique nouveau; que nul ne chante rien du vieil homme; chantez les hymnes de la patrie, rien de vieux. Nouvelle voie, nouveau voyageur, nouveau cantique. Ecoute l’Apôtre qui t’exhorte à chanter un cantique nouveau : « Si donc quelqu’un est à Jésus-Christ, c’est une nouvelle créature : le passé n’est plus, tout est devenu nouveau 1 ». Chantez un cantique nouveau dans la voie que vous connaissez sur la terres En quelle terre? « Dans toutes les nations ». Donc le cantique nouveau n’appartient point à telle partie. Chanter dans une partie, c’est chanter le passé : quoi qu’il puisse chanter, c’est le passé qu’il chante, c’est le vieil homme qui chante, il est divisé, il est charnel. Il est certainement charnel, autant qu’il est le vieil homme; autant il est l’homme nouveau, autant il est l’homme spirituel. Voilà ce que dit l’Apôtre : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels ». Comment leur prouvera-t-il qu’ils sont charnels? « Quand l’un dit : Je suis à Paul; et l’autre : Je suis à Apollo, n’êtes-vous pas»,dit saint Paul, « des hommes charnels 2?» Chantez donc en esprit un cantique nouveau dans la voie sûre. Ainsi chante le voyageur, souvent même il  chante pendant la nuit. Autour de nous se font entendre des ennemis redoutables, ou plutôt sans se faire entendre ils gardent le silence, d’autant plus redoutable que leur silence est plus profond; et toutefois on chante bien qu’on redoute les voleurs. Combien est-il plus sûr pour toi de chanter dans le Christ ? Il n’y a dans cette voie aucun voleur, à moins que tu n’ailles te jeter chez les voleurs, en quittant cette voie. Chante, je le répète, chante en sûreté un cantique nouveau dans le chemin que tu connais « sur la terre », c’est-à-dire « dans toutes les nations». Remarque bien qu’il ne chante pas avec toi le cantique nouveau, celui qui ne veut être que dans une partie du monde. « Chantez »,dit le Prophète, « un cantique nouveau »; et il continue : « Que toute la terre chante le Seigneur 3. Que les peuples

 

1. II Cor. V, 17. — 2. I Cor. III, 1, 4. —  3. Ps. XCV, 1.

 

vous bénissent, ô mon Dieu». Ils ont trouvé votre voie, qu’ils vous confessent. Chanter c’est confesser, confesser tes fautes et la vertu de Dieu. Confesse ton iniquité, confesse la grâce de Dieu : accuse-toi, glorifie le Seigneur; réprime-toi, et bénis-le, afin que quand il viendra il trouve que tu t’es châtié, et se donne à toi pour Sauveur. Pourquoi craindre de le confesser, vous qui avez trouvé cette voie dans tous les peuples ? Pourquoi craindre de le confesser, et dans cette confession de chanter un cantique nouveau avec toute la terre, dans toute la terre, et dans la paix catholique? Craindrais-tu d’avouer tes fautes à Dieu, de peur qu’il ne te condamne à cause de tes aveux? Si tu te caches par défaut d’aveu, tu te confesseras pour être condamné. Tu crains de faire des aveux, toi que le défaut d’aveu ne saurait cacher; tu seras condamné par ton silence, tandis que l’aveu pourrait te sauver. « Que les peuples vous confessent, ô mon Dieu, que tous les peuples chantent vos louanges  1».

7. Et parce que cet aveu ne nous conduit pas au supplice, le Prophète continue : « Que les nations tressaillent et soient dans l’allégresse ! » Si l’aveu devant un homme arrache des pleurs aux fripons, que l’aveu devant Dieu donne la joie aux fidèles. Au tribunal d’un homme, on force un voleur à l’aveu par la crainte et la torture : souvent même la crainte étouffe cet aveu qu’arracherait la douleur : et tel qui gémit dans les tourments, mais qui craint la mort après son aveu, supporte la torture autant qu’il est possible; mais s’il est vaincu par la douleur, son aveu fait son arrêt de mort. Pour lui donc il n’y a nulle joie, nulle allégresse; avant l’aveu, il est déchiré par les ongles de fer, après l’aveu, il est condamné, livré au bourreau; partout il est malheureux. Mais « que les nations tressaillent et soient dans l’allégresse ! » Quelle en sera la cause ? la confession. Pourquoi ? Parce que c’est au Dieu de bonté qu’elles font des aveux; s’il exige la confession, c’est pour délivrer les humbles; s’il damne celui qui refuse l’aveu, c’est pour châtier son orgueil. Sois donc dans la tristesse avant l’aveu, et après l’aveu dans la joie, car tu seras guéri. Le pus s’était amassé dans ta conscience, l’abcès était formé, la douleur ne te laissait aucun repos: le médecin

 

1. Ps. LXVI, 5.

 

applique le lénitif des paroles,  souvent il tranche, il attaque l’endroit douloureux avec le fer de la chirurgie; reconnais alors la mains du médecin; fais un aveu, et que cet aveu fasse écouler tout le pus de la plaie; tressaille ensuite et sois dans la joie; le reste sera bientôt guéri. « Que les peuples vous confessent, ô mon Dieu, que tous les peuples « vous bénissent ! » Et à cause de leur confession, « que les nations soient dans la joie et dans l’allégresse, parce que vous jugez les peuples dans l’équité ». Nul ne saurait vous tromper; qu’il se réjouisse d’être jugé, celui qui a craint son juge. Dans sa prévoyance, il a prévenu sa face par l’aveu 1; et quand ce juge viendra, il jugera les peuples dans l’équité. De quoi servira la ruse de l’accusateur dès que la conscience est témoin, alors que tu seras là en présence de ta cause, et que le juge ne requiert aucun témoin? Il t’a envoyé un avocat: à cause de lui et par lui fais ion aveu; prends en main ta cause, il est un défenseur pour le pénitent, un intercesseur pour celui qui avoue, et pour l’innocent un juge. Peux-tu craindre avec raison, quand c’est ton avocat qui est ton juge? « Que les nations donc soient dans la joie, qu’elles tressaillent, parce que vous jugez les peuples avec justice ». Mais ils pourront redouter d’être mal jugés; qu’ils se laissent redresser et diriger par celui qui voit ce qu’ils ont à juger. Qu’ils soient redressés ici-bas, et qu’ils ne craignent plus le jugement. Voyez ce qui est dit dans un autre Psaume: « Sauvez-moi, Seigneur, par votre nom, et jugez-moi dans votre puissance 2». Que dit-il ? Si vous ne me sauvez pas d’abord en votre nom, j’ai tout à craindre quand vous me jugerez dans votre puissance; mais si votre nom est pour moi un nom de salut, comment craindre celui qui me jugera dans sa puissance et dont le nom m’a d’abord sauvé ? Ainsi encore dans cet endroit: « Que tous les peuples vous confessent! » Et de peur que vous n’en veniez à redouter cette confession, « que les nations », dit-il, « soient dans la joie et dans l’allégresse ! » Pourquoi « cette joie et cette allégresse? Parce que vous jugez les peuples dans l’équité ». Nul contre nous ne vous fait des présents, nul ne peut vous corrompre, nul vous tromper. Sois donc en sûreté, ô mon frère. Mais qu’as-tu

 

1. Ps. XCIV, 2. — 2. Ps. LIII, 3.

 

pour ta défense ? Nul ne peut corrompre Dieu, c’est évident. Mais n’a-t-il pas d’autant plus à craindre qu’il est plus corruptible? Quelle est donc la garantie de sûreté ? Cette parole déjà émise : « O Dieu, sauvez-moi par votre nom, et jugez-moi dans votre puissance ». De même ici encore: « Que les nations soient dans la joie et dans l’allégresse, parce que vous jugez les peuples dans l’équité ». Et pour ôter la crainte aux pécheurs, il ajoute : « Et vous dirigez les nations sur cette terre ». Les nations étaient dépravées, elles étaient dans la voie de perdition, elles étaient corrompues; leur dépravation, leur perdition, leur corruption leur faisait redouter l’avènement du souverain Juge : sa main s’est montrée, elle s’est étendue miséricordieuse sue les peuples, ils sont dirigés dans la voie droite; comment craindre pour juge celui qu’elles ont vu les redresser? Qu’elles s’abandonnent à sa main miséricordieuse, puisqu’il dirige les nations sur la terre. Sous sa direction, les peuples ont marché dans la foi, ont tressailli en lui, ont fait de bonnes oeuvres; et si dans leur navigation sur la mer, l’eau entre parfois par les moindres fissures, si par quelque fente elle arrive dans la sentine, en l’épuisant chaque jour au moyen des bonnes oeuvres, de peur qu’elle n’entre davantage, et qu’arrivant au comble elle ne fasse sombrer le navire, en l’épuisant chaque jour par la prière, le jeûne, l’aumône, et surtout en disant avec un coeur pur : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés 1»; en parlant ainsi, marche en toute sûreté, tressaille dans ton chemin, chante sur ta route. Ne crains point ton juge; il a été ton Sauveur avant que tu fusses fidèle. Tu étais impie, quand il t’a cherché pour te racheter: t’abandonnera-t-il pour te perdre, maintenant que tu es racheté, « lui qui dirige les peuples en cette terre? »

8. Le Prophète est dans la joie, il tressaille, il répète pour nous exhorter les mêmes versets. « Que les peuples vous confessent, ô mon Dieu, que tous les peuples vous confessent: la terre a donné son fruit 2 » . Quel fruit? « Que tons les peuples vous confessent ! » La terre existait, elle était couverte d’épines alors est venue la main de celui qui les

 

1. Matth. VI, 12. —2. Ps. LXVI, 6.

 

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arrache, est venu l’appel de sa majesté et de sa miséricorde; la terre a confessé Dieu, la terre a donné son fruit. Mais eût-elle donné son fruit, si déjà elle n’avait reçu la rosée? La terre eût-elle donné son fruit, si la divine miséricorde n’était venue d’en haut? Lisez-moi, di. ras-tu, quand la terre a reçu la rosée avant de produire ses fruits. Ecoutez cette pluie du Seigneur: « Faites pénitence; car le royaume de Dieu approche 1 ». Il a fait pleuvoir, et cette pluie est un tonnerre qui épouvante: craignez-le quand il tonne, et recevez sa pluie. Après cette voix de Dieu qui est tonnerre et pluie, après cette voix examinons ce passage de l’Evangile. Voilà une femme de mauvaises moeurs, mal famée dans la cité, qui se précipite dans une maison étrangère , où elle n’était point conviée, mais où l’appelait un convié, non par la parole, mais par la grâce. Cette malade savait qu’elle avait une place dans la maison où venait s’asseoir le médecin. Elle entre donc, cette pécheresse, mais elle n’ose aller qu’à ses pieds; elle pleure , donc à ses pieds, les arrose de ses larmes, les essuie de ses cheveux, les oint d’un parfum 2. Qu’y a-t-il d’étonnant pour toi? « La terre a donné son fruit». Voilà ce qui s’est accompli, sous la pluie qui tombait de la bouche du Seigneur: voilà des faits que nous lisons dans l’Evangile ; en tous les lieux où il a fait pleuvoir par ses nuées, en envoyant les Apôtres qui ont prêché la vérité. « La terre a produit des fruits abondants », et cette maison a rempli toute la terre.

9. Vois ce que dit ensuite le Prophète: «Que Dieu nous bénisse, le Seigneur notre Dieu; que notre Dieu nous bénisse 3 » . « Qu’il nous bénisse », ainsi que je l’ai dit; qu’il nous bénisse, et nous bénisse encore, que sa bénédiction soit un accroissement. Que votre charité veuille bien le voir : déjà la terre a produit son fruit en Jérusalem. C’est là le berceau de l’Eglise : c’est là qu’est venu l’Esprit-Saint, qu’il a rempli ceux qui habitaient en un même lieu ; là qu’ont éclaté les miracles, qu’on a parlé toutes les langues 4. Ceux qui étaient là furent remplis de l’Esprit de Dieu et se convertirent; en recevant avec crainte la pluie divine, ils ont donné par la confession un fruit si précieux, qu’ils mettaient leurs biens en commun, les distribuaient aux pauvres, eu sorte que nul ne revendiquait rien en

 

1. Matth. III, 2. — 2.  Luc, VII, 37,38.— 3. Ps. LXVI, 7. — 4. Act. 1-4.

 

propre, que tous les biens étaient communs, et qu’ils n’avaient qu’un coeur et qu’une âme en Dieu 1. Le Seigneur leur avait donné, en effet, le sang qu’ils avaient répandu, il le leur avait donné avec son pardon, afin qu’ils apprissent à boire ce sang répandu par eux. Admirable fruit ! Oui, « la terre donna là son fruit», un fruit très-beau, un fruit excellent. N’y a-t-il que cette terre pour avoir donné son fruit? « Que le Seigneur nous bénisse, le Seigneur notre Dieu; que Dieu nous bénisse». Qu’il nous bénisse encore; car le sens d’une bénédiction est surtout l’accroissement. Prouvons-le par la Genèse; vois les oeuvres de Dieu. Le Seigneur fit la lumière, et il sépara la lumière des ténèbres; il appela jour la lumière, et nuit les ténèbres. Il n’est pas dit: Il bénit la lumière; car c’est la même lumière qui reparaît dans l’alternative des jours et des nuits. Il appela ciel le firmament entre les eaux et les eaux ; il n’est pas dit qu’il bénit le ciel. Il sépara les eaux de l’aride, il donna le nom de terre à l’aride, et celui de mer aux eaux rassemblées ; il n’est pas dit non plus que Dieu les bénit. Il en vint ensuite aux êtres qui devaient avoir la fécondité de la reproduction et vivre dans les eaux. Ceux-ci, en effet, se multiplient d’une manière étonnante, et Dieu les bénit en disant : « Croissez et multipliez, remplissez les eaux de la mer, et que les oiseaux se multiplient sur la terre ». De même, quand il eut tout soumis à l’empire de l’homme, qu’il avait créé à son image, il est écrit: « Dieu les bénit en disant: « Croissez et multipliez, couvrez la face de la terre 2 ». Donc, l’effet propre de la bénédiction, est cette fécondité qui parvient à couvrir la surface de la terre. Ecoute encore dans ce psaume : « Que Dieu nous bénisse, le Seigneur notre Dieu; que Dieu nous bénisse». Et quelle sera la force de cette bénédiction ? « Et qu’il soit révéré sur tous les confins de la terre ». Telle est donc, mes frères, la bénédiction féconde qui nous vient de Dieu, au nom de Jésus-Christ , qu’il a rempli de ses enfants la face de la terre, après les avoir adoptés pour son royaume comme les cohéritiers de son Fils unique. Il n’a engendré qu’un Fils unique, mais il n’a point voulu qu’il fût seul ; oui, dis-je, il n’a point voulu qu’il demeurât seul, ce Fils unique engendré par lui. Il lui a fait des frères, et lui a préparé des

 

1. Act. IV, 32. — 2. Gen. I, 1-28.

 

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cohéritiers, sinon par la génération, du moins par l’adoption. Il lui a fait d’abord partager notre nature mortelle, afin que nous crussions que nous pouvons être participants de sa divinité.

10. Voyons donc, mes frères, quel est notre prix. Tout est prédit, tout est en évidence, 1’Evangile parcourt l’univers entier; le travail qui s’opère aujourd’hui dans le genre humain, est un témoignage formel, tout ce qui est prédit dans les Ecritures s’accomplit. De même que tout ce qui est prédit jusqu’aujourd’hui est arrivé, ainsi le reste s’accomplira. Craignons le jour du jugement, car le Seigneur viendra. Il est venu dans l’humilité, il viendra dans la gloire; il est venu pour être jugé, il viendra pour juger. Reconnaissons-le dans son humilité, afin de ne point redouter sa gloire; embrassons-le quand il est humble, afin de désirer sa grandeur. Car il viendra dans sa bonté, si nous soupirons après lui. Or, ceux-là soupirent après lui, qui croient en lui, qui gardent ses commandements. Dussions-nous ne point le vouloir, il viendra. Désirons donc son avènement, puisqu’il viendra toujours malgré nous. Comment désirer son avènement? Par une vie sainte, et des actions pures. Que le passé n’ait pour nous aucun attrait, et le présent aucun charme ! N’imitons point le serpent qui se bouche l’oreille de sa queue, ou qui appuie son oreille sur la terre 1; que le passé ne nous empêche point d’écouter, que le présent ne nous détourne point de penser à l’avenir; oublions le passé pour nous jeter vers ce qui est en avant 2. Ce qui nous occupe aujourd’hui, nous fait gémir aujourd’hui, soupirer aujourd’hui, parler aujourd’hui; ce que nous sentons quelque peu, sans pouvoir l’atteindre, nous l’atteindrons, et nous en jouirons à la résurrection des justes. Notre jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle 3, seulement brisons contre la pierre qui est le Christ 4, ce que nous tenons du vieil homme. Qu’il y ait vérité, mes frères, dans ce que l’on raconte du serpent ou de l’aigle, que ce soit un adage répandu chez les hommes plutôt qu’une vérité; les saintes Ecritures n’en sont pas moins vraies, et n’ont point sans motif parlé de la sorte; mettons en pratique la

 

1. Ps. LVII, 5. — 2. Philip. III, 13. — 3. Ps. CIII, 5. — 4. Id. CXXXVI, 9, et I Cor X, 4.

 

leçon qu’elles nous donnent, sans nous inquiéter si le fait est réel. Sois donc tel que ta jeunesse se puisse renouveler comme celle de l’aigle; et sache bien qu’elle ne peut être renouvelée, qu’à la condition que le vieil homme qui est en toi sera brisé contre la pierre; c’est-à-dire que sans le secours de la pierre, sans le secours du Christ, tu ne peux arriver au renouvellement. Que la douceur de ta vie passée ne te rende point sourd à la voix de Dieu; que les biens présents ne te retiennent pas, ne t’enlacent pas, ne te fassent point dire: Je n’ai pas le temps de lire, le loisir d’entendre. C’est là mettre son oreille contre la terre. Qu’il n’en soit pas ainsi de toi, mais deviens ce qui est le contraire selon toi, c’est-à-dire, oublie le passé, avance-toi vers l’avenir, et brise le vieil homme contre la pierre. Et si l’on te propose des paraboles que tu retrouves dans les saintes Ecritures, accepte-les avec foi; si tu n’y vois qu’un adage, tu peux n’y point croire. Peut-être en est-il ainsi, peut-être non. Mais toi, fais-en ton profit, et que cette parabole te conduise au salut. Tu ne veux point de cette parabole, fais ton salut par une autre, mais fais-le toutefois; et attends avec sécurité le royaume de Dieu, afin que ta prière ne soit pas en opposition avec toi. Car toi, ô chrétien, quand tu dis : « Que votre règne arrive», comment peux-tu bien dire: « Que votre règne arrive 1? » Examine ton coeur et vois bien: « Que votre règne arrive ». Me voici, répondit; ne crains-tu rien? Nous l’avons dit souvent à votre charité; mais prêcher la vérité n’est rien, si le coeur est en désaccord avec la langue, et entendre la vérité n’est rien, si cette audition ne produit aucun fruit. Nous vous parlons de cette chaire, comme d’un lieu plus élevé; mais nous sommes à vos pieds attérés par la crainte, il le sait ce Dieu qui se rend propice aux humbles; car la voix de la louange a moins de charmes pour nous que la piété des pénitents, que les oeuvres des coeurs droits. Combien encore vos progrès seuls font notre seule joie; combien les louanges nous paraissent dangereuses, il le sait celui qui doit nous tirer de tout danger; qu’il nous délivre ainsi que vous de toute tentation, et daigne enfin nous reconnaître, et nous couronner dans son royaume.

 

1. Matth. VI, 10.

 

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