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393 DISCOURS SUR LE PSAUME XXXVII.HOMÉLIE AU PEUPLE, APRÈS LÉVANGILE DE LA CHANANÉENNE.LAVEU DU PÉCHÉ OU LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST. Le Prophète gémit en se souvenant du repos, il craint le châtiment de Dieu, qui pourtant nous sert pour le salut. Il semble dire que les maux de cette vie doivent lui suffire; et alors il énumère ce quil endure. Sa chair est malade, les flèches de Dieu le transpercent. Il est dans le trouble à la vue de ses péchés, la paix nest point dans ses os, il est courbé sous le poids de ses fautes, son âme est dans lillusion, son cur dans le trouble. Il souffre labandon, le faux témoignage, il chancèle et on linsulte. Toutefois, sil safflige, ce nest pas du châtiment, mais du crime. Il pratique la justice et implore le secours de Dieu. 1. Cette femme de lEvangile nous donne une réponse bien analogue à ces paroles que nous avons chantées : « Je publie mon iniquité, je prendrai soin de mon péché 1 », le Seigneur, envisageant les péchés de cette femme, lappela chienne en disant : « Il ne convient pas de jeter aux chiens le pain des enfants 2». Mais elle, qui savait et publier son iniquité, et prendre soin de son péché, ne lui point ce que disait la vérité ; au contraire, elle avoua sa misère et obtint miséricorde en sinquiétant de son péché. Car elle avait demandé la guérison de sa fille, et peut-être dans sa fille désignait-elle sa propre vie. Ecoutez donc le psaume que nous allons, autant que possible, exposer et expliquer tout entier. Que le Seigneur soit dans nos coeurs, afin que nous y trouvions des leçons salutaires, que nous les exposions telles que nous les aurons conçues, les trouvant facilement, les exposant dune manière convenable. 2. « Psaume de David, pour le souvenir du sabbat 3 ». Tel est le titre du psaume. Nous touchons ce que lEcriture nous raconte à propos du saint prophète David, qui fut, selon la chair, un des ancêtres de Notre-Seigneur Jésus-Christ 4; et , dans toutes les bonnes oeuvres quelle nous a fait connaître, nous ne trouvons rien qui regarde le souvenir du sabbat. Quétant-il besoin quil se souvint du sabbat que les Juifs observaient avec soin; quelle mémoire fallait-il pour un jour qui revenait chaque semaine? Il fallait lobserver, mais il nétait pas nécessaire de sen souvenir. On ne se souvient, en effet, que 1. Ps.
XXXVII, 19 2. Matt. IV, 26. 3. Ps. XXXVII, 1 4. Rom. I, 3 dune chose qui nest plus devant soi; ici, par exemple, vous vous souvenez de Carthage où vous êtes allés quelquefois; et aujourdhui, vous vous souvenez dhier, de lan passé, de toute autre année antérieure, de quelque action que vous avez déjà faite, des lieux que vous avez visités, de quelque scène que vous avez vue. Que signifie, mes frères, ce souvenir du sabbat? Quelle âme sen souvient de la sorte? Quest-ce que le sabbat? car David sen souvient en gémissant. Vous avez entendu la lecture du psaume, et tout à lheure, quand nous lexpliquerons, vous entendrez quelle douleur il y témoigne, quels gémissements lui échappent, quels pleurs, quelle tristesse profonde. Mais, bienheureux celui qui est triste de cette manière. Cest ainsi que, dans lEvangile, le Seigneur appelle heureux quelques-uns de ceux qui pleurent 1. Comment peut être heureux lhomme qui pleure? Comment heureux, sil est malheureux? Il serait malheureux, au contraire, sil ne pleurait point. Tel est donc celui qui se souvient ici du sabbat, ce je ne sais quel homme qui pleure, et puissions-nous être ce je ne sais qui t Cest une âme qui safflige, qui gémit, qui pleure en se souvenant du sabbat. Or, sabbat signifie repos. Assurément, linterlocuteur était dans je ne sais quelle agitation, puisquil gémissait au souvenir du repos. 3. Cet homme donc, redoutant un plus grand malheur que celui dont il était accablé déjà, raconte et offre à Dieu ses agitations. Car il dit clairement quil est dans la douleur, et il nest besoin, pour le comprendre, ni dinterprète, ni de soupçon, ni de conjecture: ses 1. Matt. V, 5. 394 paroles ne nous laissent aucun doute sur le mal dont il souffre, et il nest nul besoin de le chercher, mais de comprendre ce quil dit. Et sil ne craignait un malheur plus grand que celui dont il souffre, il ne commencerait pas ainsi : « Seigneur, ne me reprenez point dans votre indignation, ne me corrigez point dans votre colère 1 ». Il arrivera, en effet, que Dieu châtiera des pécheurs dans sa colère et les reprendra dans son indignation. Tous ceux quil reprendra ne seront peut-être pas corrigés; et néanmoins, plusieurs seront sauvés par le châtiment. Il y en aura, puisque être châtié, cest « passer comme par le feu 2». Dautres, au contraire, seront repris sans néanmoins se corriger. Car ce sera bien les reprendre que de leur dire: « Jai eu faim et vous ne mavez pas donné à manger; jai eu soif, et vous ne mavez point donné à boire 3 » ; et tout ce qui vient ensuite, pour reprocher la dureté de coeur et la stérilité aux méchants qui seront à sa gauche et auxquels il dira : « Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges 4 ». Cette âme donc, redoutant des maux bien plus grands que ceux dont elle gémit en cette vie, supplie le Seigneur et sécrie: « Seigneur, ne me reprenez pas dans votre colère ». Que je ne sois point avec ceux auxquels vous direz: « Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges. Ne me corrigez pas dans votre colère »; mais plutôt, corrigez-moi dès cette vie, et rendez-moi telle que je naie pas besoin de passer par le feu de lexpiation, comme ceux qui doivent être sauvés, mais comme par le feu. Pourquoi, sinon parce quen cette vie ils élèvent sur le vrai fondement un édifice en bois, en foin, en paille? Sils bâtissaient en or, en argent, en pierres précieuses, ils seraient en sûreté contre lun et lautre feu ; non seulement contre le feu éternel qui doit dévorer limpie pendant léternité, mais contre le feu qui doit purifier ceux qui seront sauvés par le feu. Il est dit en effet « quils seront sauvés, mais comme par le feu ». Or, parce quil est dit: « Il sera sauvé », on dédaigne ces flammes. Mais, bien quil serve à nous sauver, ce feu sera néanmoins plus horrible que toutes les douleurs quun homme peut endurer ici-bas. Et pourtant, vous savez quels maux endurent les méchants, quels maux ils peuvent 1. Ps.
XXXVII, 2. 2. I Cor. III, 15. 3. Matt. XXV, 41. 4. Id. 42. endurer encore sur la terre ; mais ils nont rien enduré que les bons ne puissent endurer. Quels supplices les lois humaines ont-elles pu infliger au magicien, au voleur, à ladultère, au scélérat, au sacrilège, que le martyr nait pas souffert en confessant Jésus-Christ? Les maux de cette vie sont donc bien plus supportables ; et toutefois, voyez avec quel empressement les hommes feront, pour les éviter, tout ce que vous leur commanderez. Combien gagneraient-ils plus à supporter ce que Dieu ordonne, pour éviter ces horribles tourments? 4. Mais pourquoi demander de nêtre point repris avec indignation, ni corrigé avec colère? Comme si le prophète disait à Dieu: Puisque les maux que jai endurés sont grands et nombreux, quils me suffisent, je vous eu supplie. Alors il se met à les énumérer, offrant à Dieu comme une satisfaction ce quil a souffert, afin de ne pas souffrir davantage. « Vos flèches me pénètrent de toutes parts, et votre main sest appesantie sur moi 1 ». 5. « En face de votre colère, il ny a rien de « sain en mon corps 2 ». Déjà il nous racontait ce quil souffrait en cette vie, et ces maux viennent de la colère de Dieu, puisquils viennent de sa vengeance. De quelle vengeance? De celle quil a tirée dAdam. Car le péché dAdam ne demeura point impuni, et Dieu ne dit point en vain: « Tu mourras de mort 3 »; et nous navons rien à souffrir en cette vie qui ne nous vienne de cette mort que nous avons méritée par le péché. Car nous portons un corps mortel, et qui, sans le péché, ne serait point mortel, exposé aux tentations, plein de sollicitudes, en proie aux maladies corporelles, en proie à lindigence, assujetti aux changements, qui languit même en santé, parce quil ne jouit jamais dune santé complète. Pourquoi dire : « Il ny a rien de sain dans ma chair », sinon parce que cette santé, ou ce que lon appelle ainsi en cette vie, nest point une santé pour ceux qui comprennent le vrai sabbat et sen souviennent? Si tu es sans manger, la faim te presse bientôt. Cest comme une maladie naturelle; et ce qui était dabord une peine vengeresse est devenu pour nous une seconde nature. Ce qui était un châtiment pour le premier homme est naturel pour nous. De là 1. Ps. XXXVII,
3. 2.Id. 4. 3. Gen. II, 17. 395 vient cette parole de lApôtre : « Nous aussi, par nature, nous fûmes enfants de colère comme le reste des hommes : Enfants de «colère, par nature », cest-à-dire soumis à la vengeance du péché. Mais pourquoi dire: «Nous fûmes? » cest que par lespérance nous ne le sommes plus, bien que nous le soyons en réalité. Pourtant il est mieux de dire ce que nous sommes en espérance, parce que notre espérance est certaine et quelle na rien dincertain qui puisse nous inspirer le moindre doute. Ecoutez encore la gloire en espérance: « Nous gémissons en nous-mêmes », dit lApôtre, « attendant leffet de ladoption divine, la délivrance de notre chair 1». Quoi donc, Paul, navez-vous pas été racheté? Le prix de votre rançon nest-il point payé? Un sang divin na-t-il pas été répandu et nest-il pas la rançon de tous les hommes? Qui, sans doute, mais voyez ce quil ajoute : « Nous sommes sauvés par lespérance; or, lespérance que lon voit nest plus une espérance. Comment espérer ce que lon voit? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous lattendons par lespérance 2». Quest-ce quil attend par la patience? Le salut. Le salut de quoi? De son corps ; car il a dit: « La délivrance de notre chair ». Sil attendait la santé de son corps, ce nétait donc point cette santé quil avait déjà. La faim tue un homme ainsi que la soif, si lon ny apporte remède. Le remède à la faim, cest la nourriture; le remède contre la soif, cest la boisson; le remède à la fatigue, cest le sommeil. Retranchez ces remèdes, et voyez si ces maladies ne vous tuent pas. Sil y a donc en vous de quoi vous tuer, si vous ne mangez, une vous glorifiez pas de votre santé; mais plutôt attendez en gémissant la délivrance de votre se corps. Réjouissez-vous de votre rédemption, bien que vous ne soyez pas encore dans une sûreté réelle, mais seulement en espérance. Car si lespérance ne vous fait gémir, vous narriverez point à la réalité. Cela donc nest point la santé parfaite, dit le Prophète : « En face de votre colère il ny a rien de sain en ma chair ». Doù viennent ces flèches dont il est transpercé? Cest une peine, un châtiment, et peut-être appelle-t-il des flèches ces le douleurs de lâme et de lesprit quil nous faut là endurer. Le saint homme Job a fait mention de ces flèches, et dans labîme de ses malheurs 1. Eph. II, 3. 2. Rom. VIII, 23. 3. Id. 24, 25. il dit que les flèches du Seigneur lont traversé1. Il est cependant ordinaire dentendre par flèches les paroles du Seigneur mais pourrait-il ainsi se plaindre den être percé? Les paroles de Dieu sont comme des flèches qui portent lamour et non la douleur. Ou bien, serait-ce peut-être que lamour et la douleur sont inséparables? Car il y a nécessairement douleur à aimer sans posséder. Il peut aimer sans souffrir, celui qui possède ce quil aime; mais, disons-nous, quand on aime et quon na point encore ce que lon aime, on doit nécessairement gémir dans sa douleur. De là cette parole de lEpouse des cantiques qui figurait lEglise du Christ : « Lamour ma blessée 2 ». Elle dit que lamour la blessée, parce quelle aimait sans posséder lobjet de son amour; elle souffrait de ne lavoir point. Quiconque na point souffert de cette blessure ne saurait arriver à la véritable santé. Car celui qui en ressent la douleur doit-il donc y demeurer toujours? Nous pouvons alors entendre ainsi ces flèches qui transpercent le Prophète: Vos paroles ont blessé mon coeur, et ces paroles mont fait souvenir du repos. Ce souvenir du sabbat, que je ne possède-point encore, mempêche de me réjouir et me fait comprendre quil ny a rien de sain dans ma chair, que la santé quelle possède nen mérite pas le nom quand je la compare à celle dont je jouirai dans le repos éternel, quand cette chair corruptible sera revêtue dincorruptibilité, que cette chair mortelle sera revêtue dimmortalité3; en comparaison de cette santé, celle dici-bas, je le vois, nest quune maladie. 6. « Il ny a nulle paix dans mes ossements, à la vue de mes péchés 4 ». On se demande quel est celui qui parle ainsi; plusieurs pensent que cest Jésus-Christ, à cause de quelques allusions à la passion, allusions auxquelles nous arriverons bientôt, pour montrer quelles prédisent la passion de Jésus-Christ. Mais, comment celui qui navait pas de péché 5 a-t-il pu dire: « La vue de mes péchés ne laisse aucune paix dans mes os ? » Pour comprendre ceci, nous sommes dans la nécessité de connaître le Christ tout entier, ou le chef et les membres. Souvent, en effet, quand Jésus-Christ parle, il le fait seulement comme chef, et ce chef est le Sauveur, né de la Vierge Marie 6 ; 1. Job, VI, 4. 2. Cant. II, 5, V, 8. 3. I Cor. XV, 53. 4. Ps. XXXVII, 6. 5. I Pierre, II, 22. 6. Luc, II, 7. 396 quelquefois au contraire il parle au nom de son corps qui est la sainte Eglise réunie dans lunivers entier. Nous autres, nous sommes aussi de son corps, si toutefois nous avons en lui une foi sincère, une espérance ferme, une ardente charité; nous sommes en son corps, nous en sommes les membres, et nous trouvons que cest nous qui parlons ici, selon ce mot de saint Paul: « Parce que nous sommes les membres de son corps 1 », et que lApôtre a répété à plusieurs endroits. Dire en effet que ces paroles ne sont pas du Christ, cest dire aussi que ces autres ne lui appartiennent point: « O Dieu, mon Dieu, pourquoi mavez-vous abandonné? » Car nous y lisons aussi: « Mon Dieu, pourquoi mabandonner? Le rugissement de mes péchés éloigne de moi tout salut 2».Comme tu lis dans lun : « La vue de mes péchés», tu lis dans lautre: « Le rugissement de mes péchés ». Or, si le Christ est sans faute, sans péché, nous nous prenons à douter si les paroles de ce psaume lui appartiennent. Et pourtant, il serait dur et contrariant dadmettre que ce psaume ne regarde point le Christ, quand nous pouvons y lire la passion aussi clairement que dans lEvangile. Cest là que nous lisons en effet: « Ils ont partagé mes vêtements et ont tiré ma robe au sort 2».Pourquoi donc le Seigneur, cloué à la croix, a-t-il récité de sa propre bouche le premier verset du psaume, et a-t-il dit: « O Dieu, mon Dieu, pourquoi mavez-vous abandonné ? » Qua-t-il voulu nous faire comprendre, sinon que cest lui qui parle dans tout le psaume, puisquil en a récité le commencement? Et quand il dit ensuite: « Les rugissements de mes péchés », il nest pas douteux que ces paroles ne soient du Christ. Mais doù viennent les péchés, sinon de son corps mystique qui est lEglise? Car ici le corps du Christ parle aussi bien que la tête. Comment parle-t-il comme parlerait un seul? « Parce quil est dit quils seront deux dans une même chair. Ce sacrement est grand, observe lApôtre; je dis en Jésus-Christ et en lEglise ». Cest pourquoi, dans lEvangile, répondant à un homme qui linterrogeait sur le renvoi dune épouse, il a dit.: « Navez-vous point lu ce qui est écrit, « que Dieu, dès le commencement, fit un homme et une femme, et que lhomme quittera son père et sa mère pour à attacher à son épouse, et quils seront deux dans une même 1. Eph. V,
30. 2. Ps. XXI, 2. 3. Id. 19. chair? Ils ne sont donc plus deux, mais une seule chair 1», Si donc il a dit: «Ils ne sont plus deux, mais une seule chair »; comment sétonner quune même chair nait plus quune même langue, une même parole, puisquil y a unité de chair, de chef et de corps? Ecoutons donc le Christ dans son unité, et néanmoins le chef comme chef, et le corps comme le corps. Il ny a point division de personne, mais différence de dignité; cest le chef qui sauve, le corps qui est sauvé. Que le chef montre donc de la miséricorde, et que le corps déplore sa misère. Le chef doit purifier, le corps confesser les péchés, et néanmoins il ny a quune seule voix, quand lEcriture ne distingue point si cest le corps ou la tête qui parle; mais nous, qui lentendons, nous faisons ce discernement; et pour lui, il parle toujours comme parle un seul. Pourquoi ne parlerait. il pas «de ses péchés», celui qui a dit: « Jai eu faim et vous ne mavez pas donné à manger; jai eu soit et vous ne mavez pas donné à boire; jai été étranger, et vous ne mavez point recueilli; jai été malade et en prison, et vous ne mavez pas visité 2 ». Assurément le Seigneur na pas été en prison. Pourquoi ne parlerait-il pas ainsi, celui qui, à cette question: « Quand vous avons-nous vu ayant faim, ayant soif ou en prison, sans prendre soin de vous secourir 3? » a bien pu répondre au nom de ses membres, et dire: « Ce que vous navez pas fait au moindre des miens, vous ne me lavez pas fait?» Pourquoi ne dirait-il pas: « A la vue de mes péchés », celui qui dit à Saul: « Pourquoi me persécuter 4 », lui qui dans le ciel ne rencontrait plus de persécuteurs? Dans ce cas, cétait la tête qui parlait pour le corps; et de même ici cest encore la tête qui tient le langage du corps, car cest le corps que vous entendez. Mais, soit que vous entendiez le langage du corps, nen séparez point le chef; de même quen entendant les paroles du chef, nen séparez pas le corps, car ils ne sont plus deux, mais bien une seule chair. 7. « Nulle partie de ma chair nest saine à la vue de votre colère 5».Mais cest peut-être à tort que Dieu est irrité, ô Adam, ô genre humain ; cest à tort que Dieu sest irrité contre toi ! puisque déjà tu as reconnu ta faute, et que, constitué dans le corps du Christ, tu as vie 1. Matt. XIX, 4. 2. Id. XV, 42, 43. 3. Id. 44. 4. Act. IX,4. 5. Ps. XXXIV, 4. 397 dit: « Nulle partie de ma chair nest sauné à la vue de votre colère». Expose donc la justice de cette colère divine, afin de ne point paraître excuser ta faute, accuser Dieu lui-même. Poursuis et dis-nous doù vient cette colère? « Nulle partie nest saine dans ma chair à la vue de votre colère ; la paix nest plus dans mes os 1». Dire que «la paix nest pas dans ses os », cest répéter cette pensée que « nulle partie de sa chair nest saine ». Toutefois il na point répété : « A la vue de votre colère » ; mais il expose la cause de nette colère divine: « Nulle paix», dit-il, nest «dans mes os en face de mes péchés ». 8. « Mes iniquités ont élevé ma tête, elles pèsent sur moi comme un lourd fardeau 2 », Voilà dabord la cause, puis ensuite leffet; il lit doù son mal est venu. « Mes iniquités ont élevé ma tête ». Nul nest orgueilleux, si ce nest le coupable qui élève sa tête en haut. Il sélève en haut celui qui se dresse contre Dieu. Vous avez entendu dans le livre de lEcclésiastique: « Le commencement de lorgueil, cest de se séparer de Dieu 3 ». A celui qui le premier ne voulut point obéir, liniquité fit lever la tête contre Dieu. Et parce que liniquité lui avait fait lever la tête, que fit le Seigneur? « Liniquité pèse sur moi comme un lourd fardeau ». Elever la tête, cest une marque de légèreté; il semble que celui qui lève la tête ne porte rien. Comme donc ce qui peut sélever a de la légèreté, on lui donne un poids qui le rabaisse, son oeuvre descend sur sa tête et son iniquité pèsera sur son cur 4. Elle « pèse sur moi comme un lourd fardeau». 9. « La pourriture et la corruption se sont mises dans mes plaies 5».Il na point la santé celui qui a des plaies, surtout quand il y a dans ces plaies corruption et puanteur. Doù vient la puanteur? de la corruption. Qui ne comprend cela daprès les actes de la vie humaine? Quun homme ait un bon odorat spirituel, il sentira lodeur qui sexhale des péchés. A cette odeur des péchés est opposée lodeur dont saint Paul a dit: « Nous sommes la bonne odeur du Christ, devant Dieu, partout pour ceux qui se sauvent 6.». Mais doù sexhale cette odeur, sinon de lespérance? Doù encore, sinon du souvenir du sabbat? Dune part, en effet, nous gémissons en cette vie; dautre part nous espérons pour lautre 1. Ps. XXXIV, 4. 2. Id. 5. 3. Eccli. X, 14. 4. Ps. VII, 17. 5. Ps. XXXVII, 6. 6. II Cor. II, 15. vie. Ce qui nous fait gémir, cest lodeur fétide; ce qui nous fait espérer, cest la bonne odeur. Si donc nous nétions pas attirés par cette odeur, nous naurions aucun souvenir du sabbat. Mais, parce que le Saint-Esprit nous la fait sentir au point de dire à notre époux: «Nous vous suivrons à lodeur de vos parfums 1 », nous détournons notre odorat des puanteurs, et nous nous tournons vers lui pour respirer quelque peu. Mais si nous ne sentons aussi lodeur de nos péchés, nous ne confesserons point, dans nos gémissements, que « la puanteur et la corruption sont dans nos plaies ». Pourquoi ? « A cause de ma folie ». De même que plus haut il a dit: « A la vue de mes péchés»; de même il dit maintenant: «A la vue de ma folie ». 10. « Je suis devenu misérable, jai été courbé pour toujours 2». Pourquoi a-t-il été courbé? parce quil sétait élevé. Humiliez-vous, Dieu vous redressera ; élevez-vous, il vous abaissera. Dieu ne manquera pas de poids pour vous courber; ce poids sera le fardeau de vos péchés, quil fera retomber sur votre tête, et vous en serez courbés. Mais quest-ce que être courbé? cest ne pouvoir se relever. Telle était cette femme que le Seigneur trouva courbée depuis dix-huit ans; se relever lui était impossible 3. Tels sont encore ceux qui ont le coeur baissé jusquà terre. Puisque cette femme a trouvé le Seigneur qui la guérie, quelle entende cette parole: Les coeurs en haut. Elle gémit néanmoins de se sentir courbée. Il est courbé aussi celui qui dit: « Le corps qui se corrompt appesantit lâme, et cette habitation terrestre abat lesprit capable des plus hautes pensées 4». Quil gémisse dans ces maux, afin den être guéri; quil se souvienne du sabbat, afin darriver au véritable sabbat. Car cette fête des Juifs était une figure. Figure de quoi ? de ce que rappelle à son souvenir celui qui dit: « Je suis devenu misérable et courbé jusquà la fin ». Quest-ce à dire: «Jusquà la fin ? » jusquà la mort. « Tout le jour, je marchais dans ma douleur». « Tout le jour», sans interruption. Tout le jour, dit-il, pour dire toute sa vie. Mais, depuis quand a-t-il connu sa misère? depuis quil sest souvenu du sabbat. Voulez-vous quil ne soit point contristé quand il se souvient de ce quil na pas? « Tout le jour donc je marchais dans ma douleur ». 1. Cant. I, 3, 2. Ps. XXXVII, 7. 3.Luc, XIII, 11. 4. Sag. IX, 15. 398 11. « Parce que mon âme est pleine dillusions , et ma chair nest point saine 1 ». Lhomme dans son intégrité comprend lâme et le corps. Lâme est remplie dillusions, la chair nest point saine; quel sujet de joie lui reste-t-il? Nest-il pas nécessairement dans la tristesse ?Tout le jour je marche dans la douleur. Soyons donc tristes jusquà ce que notre âme soit délivrée de ses illusions, et notre corps revêtu de santé. Car la santé dans la plénitude sera limmortalité. Quelles illusions dans votre âme ! et, si jentreprenais de les exposer, quand aurais-je fini? Quelle âme ne les endure point? Je dirai en un mot que notre âme est pleine dillusions, et que ces illusions nous permettent souvent à peine de prier. Nous ne pouvons penser aux objets corporels quau moyen des images; et souvent il nous vient en foule de ces images que nous ne cherchons point, et nous voulons aller de lune à lautre, voltiger de celle-ci à celle-là: et souvent tu voudrais revenir à ta pensée première, chasser celle qui toccupe, quand une nouvelle arrive; tu cherches à rappeler ce que tu oubliais, sans quil te revienne à lesprit, et il te vient plutôt ce que tu ne voulais pas. Où était ce que tu avais oublié? Comment est-il revenu en ta mémoire, quand tu ne le cherchais point? quand tu le cherchais, tu nas rencontré que mille objets que tu ne cherchais point. Je ne vous dis cela quen un mot, mes frères; cest je ne sais quelle semence légère que je répands, afin quen la méditant en vous-mêmes, vous sachiez ce que lon appelle pleurer les illusions de notre âme. Elle a donc été la proie de ces illusions, elle a perdu la vérité. De même que lillusion est pour lâme un supplice, ainsi la vérité est une joie. Mais comme nous gémissions sous le poids de ces futilités, la vérité nous est venue, nous a trouvés affublés dillusions, et a pris notre chair, ou plutôt la prise de nous, cest-à-dire du genre humain. Elle sest montrée aux yeux de notre chair, afin de guérir par la foi ceux à qui elle devait enseigner la vérité, afin que loeil devenu sain pût voir cette vérité. Car le Christ est lui-même la vérité quil nous a promise, alors que sa chair était visible, afin de nous initier à la foi dont la vérité est la récompense. Car le Christ ne sest point montré lui-même sur la terre, il na montré que sa chair. 1. Ps. XXXVII, 8. Sil se fût en effet montré lui-même, les Juifs lauraient vu et lauraient connu ; mais sils leussent connu, ils neussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire 1. Peut-être les disciples le virent-ils quand ils dirent: « Montrez-nous le Père et cela nous suffit 2».Mais lui, pour leur montrer quils ne lavaient point vu encore, ajouta: « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez point encore? Philippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père 3».Si donc ils voyaient le Christ, comment voulaient-ils voir son Père, puisque voir le Christ, cétait voir le Père? Donc ils ne voyaient point le Christ, puisquils demandaient quon leur montrât le Père. Comprenez encore quils ne lavaient point vu; il leur en fit la promesse comme récompense, en disant: « Celui qui maime garde mes commandements; et celui qui maime sera aimé de mon Père, et moi aussi je laimerai 4 ». Et comme si quelquun lui eût demandé: Que lui donnerez-vous pour gage de votre amour? « Je me montrerai à lui », répond-il. Si donc il promet pour récompense à ceux qui laiment de se montrer à eux, il est clair quil nous promet de la vérité une vue telle que, après en avoir joui, nous ne disions plus: « Mon âme est en proie aux illusions ». 12. « Jai été affaibli et humilié à lexcès 5 ». Le souvenir de cette hauteur du sabbat lui fait comprendre son humiliation. Celui en effet qui ne peut comprendre léminence de ce repos, ne peut voir où il est maintenant. Aussi est-il écrit dans un autre psaume: «Jai dit dans mon extase : Me voilà rejeté loin de vos 6». Dans le ravissement de son âme, il a vu en effet je ne sais quoi de sublime, et il nétait point tout entier où il contemplait cette vision; mais un éclair de la lumière éternelle, pour ainsi dire, lui a fait comprendre quil nétait point dans les régions quil voyait, et fait voir le lieu où il était; alors, comme affaibli et resserré par les misères de lhumanité, il sest écrié : « Jai dit dans mon extase: Me voilà repoussé loin de vos regards. Ce que jai vu dans mon extase ma fait comprendre combien je suis éloigné de ce lieu où je ne suis point encore. Cest là quétait déjà celui qui raconte quil fut élevé jusquau troisième ciel, et quil entendait là des paroles 1. I Cor,
II, 8. 2. Jean, XIV, 8. 3. Id. 9. 4. Id. 21. 5. Ps. XXXVII, 9. 6. Id. XXX, 23. 399 ineffables que lhomme ne saurait redire. Mais il fut rappelé sur notre terre afin dy gémir, dy trouver la perfection dans sa faiblesse et dêtre ensuite revêtu de force; encouragé toutefois tans lexercice de son ministère par la vue de ces merveilles, il ajoute : « Jai entendu des paroles ineffables quil nest pas permis à lhomme de redire 1 ». A quoi bon maintenant me demander, ou à tout autre, ce que homme ne saurait dire; sil ne put le répéter lui qui avait bien pu lentendre? Pleurons toutefois et gémissons en confessant notre misère : reconnaissons où nous sommes, rappelons-nous le sabbat et attendons avec patience ce que nous a promis celui qui nous a donné en lui-même un modèle de patience. « Jai été affaibli et humilié à lexcès ». 13. «Je rugissais dans les frémissements de mon coeur 2».Vous remarquez souvent que les serviteurs de Dieu pleurent et gémissent; vous en demandez la cause, et il napparaît au dehors que le gémissement de quelques serviteurs de Dieu, si toutefois il arrive aux oreilles de son voisin. Car il y a un gémissement secret que les hommes nentendent pas; et toutefois, si le coeur est en proie à quelque pensée ou quelque violent désir, jusquà trahir par quelque cri extérieur la blessure de lhomme intérieur, on en demande la cause; et lhomme se dit en lui-même : Peutêtre est-ce pour tel sujet quil gémit, peut-être lui a-t-on fait tel mal. Mais qui peut comprendre la raison de ses soupirs, sinon lhomme qui les entend ou qui les voit? si dit-il : « Je rugissais dans le gémissement de mon cur »; parce que les hommes entendent les gémissements dun autre homme, nentendent souvent que les gémissements de la chair, et non le rugissement du coeur. Tel, que je ne connais point, a ravi à un autre son bien; celui-ci gémit, mais non dans son coeur; celui-là gémit, parce quil a perdu un fils, cet autre une épouse; tel, parce la grêle a ravagé sa vigne; tel, parce que son vin sest aigri; tel, parce quon lui a volé un cheval; tel, parce quil a subi quelque perte; tel, parce quil craint un ennemi; tous ceux-là gémissent, mais dans le rugissement la chair. Quant au serviteur de Dieu, qui rugit en se souvenant du sabbat, lequel est règne de Dieu, et que ne posséderont ni le 1. I Cor, XI, 2-10. 2. Ps. XXXVII, 9. sang ni la chair 1, il peut dire: « Je rugissais dans les frémissements de mon cur ». 14. Et comme Dieu connaît la cause de ses rugissements, il ajoute aussitôt : « Tous mes désirs sont devant vous 2 ». Non pas devant les hommes qui ne sauraient voir le coeur; mais cest « sous vos yeux que sont mes désirs ». Que vos désirs soient donc devant lui; « et mon Père qui voit dans le secret vous le rendra 3 ». Car ton désir, cest ta prière; et si ton désir est continuel, ta prière est continuelle. Aussi nest-ce pas en vain que lApôtre a dit : « Priez sans relâche 4 ». Aurons-nous donc toujours les genoux en terre, le corps prosterné , les mains élevées, pour quil nous dise : « Priez sans cesse? » Si nous appelons cela prier, je ne crois pas que nous puissions le faire sans interruption. Mais il est dans lâme une autre prière incessante, qui est le désir. Quoi que vous fassiez, vous ne cessez point de prier, si vous désirez le repos du ciel. Si donc tu ne veux pas interrompre ta prière, ninterromps pas ton désir. Un désir incessant est une voix continuelle. Te taire, ce serait ne plus aimer. Qui donc se sont tus? Ceux dont il est dit: « Et comme liniquité se multiplie, la charité se refroidit chez plusieurs 5 ». Le refroidissement de la charité, cest le silence du coeur; la flamme de la charité au contraire est le cri du coeur. Si la charité demeure fervente, tu cries toujours; si tu cries toujours, tu désires toujours; si tu désires, tu te souviens du sabbat; et tu dois alors comprendre quel est le témoin de tes désirs. Maintenant, considère quel désir tu dois mettre sous les yeux de Dieu. Est-ce la mort dun ennemi, dont le souhait paraît juste aux hommes? Car souvent nous demandons ce que nous ne devons pas. Voyons ce que les hommes croient souhaiter avec justice. Souvent ils demandent la mort dun autre pour entrer dans son héritage. Que ceux-là toutefois qui demandent la mort dun ennemi, écoutent ce que dit le Seigneur: Priez pour vos ennemis6. Quils nosent donc point demander la mort dun ennemi; quils en demandent plutôt la conversion, et lennemi sera vraiment mort, puisque converti, il ne sera plus un ennemi. « Tous mes désirs sont devant vous ». Mais quarriverait-il si le désir était devant Dieu, et que les gémissements 1. I Cor,
XV, 50. 2. Ps. XXXVII, 10. 3.Matt. VI, 6. 4. I Thess. V,17. 5. Matt. XXIV, 12. 6.
Id. V, 44; Luc, VI, 27. 400 ny soient point ? Et comment pourrait-il en être ainsi, quand le gémissement est la voix du désir? Aussi est-il dit: « Et mon gémissement ne vous est point inconnu ». Il nest point caché pour vous, quoiquil le soit pour beaucoup dhommes. On voit quelquefois un humble serviteur de Dieu, qui lui dit: « Mon gémissement ne vous est pas inconnu », et quelquefois on voit rire ce même serviteur de Dieu; est-ce que le désir est mort dans son coeur? Si ce désir y est toujours, il y a donc aussi un gémissement. Bien quil narrive pas toujours à loreille des hommes, il ne cesse pas néanmoins dêtre dans loreille de Dieu. 15. « Mon coeur sest troublé 1 »; pourquoi sest-il troublé? « Et ma force ma trahi ». Souvent je ne sais quoi de soudain vient troubler le coeur : que la terre vienne à trembler, que le tonnerre gronde au ciel, quil se fasse un mouvement impétueux, un bruit insolite, que lon rencontre un lion, alors on se trouble; que des voleurs soient en embuscade, le coeur se trouble, il craint, il est de toutes parts dans langoisse. Pourquoi? « Parce que ma force ma trahi ». Si cette même force me soutenait, quaurais-je à craindre? Nulle nouvelle, nul frémissement, nul fracas, nulle chute, rien de ce qui est horrible ne pourrait nous effrayer. Doù vient alors ce trouble? « De ce que ma force ma trahi ». Et doù vient cette trahison de mes forces? De ce que « la lumière de mes yeux nest point avec moi ». Adam navait donc plus déjà cette lumière de ses yeux : car cette lumière, cétait Dieu; et après lavoir offensé, Adam senfuit vers les ombrages et se cacha dans les arbres du paradis 2. Il redoutait la présence du Seigneur, et il cherchait lombre des grands arbres. Déjà dans ces arbres il navait plus cette lumière de ses yeux qui avait fait sa joie jusqualors. Si donc Adam fut coupable dès lorigine, nous le sommes par naissance; or, ces membres divers viennent se réunir au second ou nouvel Adam, car le nouvel Adam est rempli de lesprit qui vivifie 3; et devenus membres de son corps, ils crient en faisant cet aveu: « La lumière de mes yeux nest plus en moi »; et déjà, si lhomme est racheté par cet aveu, sil est incorporé au Christ, la lumière de ses yeux nest-elle donc point avec lui? Non, elle nest plus en lui : il peut lentrevoir encore, 1. Ps.
XXXVII, 13 2. Gen III, 8 3. I Cor XV, 45 comme ceux qui se souviennent du sabbat, comme ceux qui regardent par lespérance; mais elle nest point pour eux cette vision dont il est dit: « Je me montrerai à lui 1». Il y a bien là quelque lumière, parce que nous sommes enfants de Dieu et que la foi nous y fait croire; mais ce nest pas encore cette lumière que nous verrons: « Ce que nous serons un jour ne paraît point encore : nous savons que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, et nous le verrons tel quil est 2». Car à présent la lumière de la foi est la lumière de lespérance. « Tant que nous sommes dans ce corps, en effet, nous marchons en dehors du Seigneur : car nous nallons à lui que par la foi, sans le voir tu découvert 3». Et tant que nous ne voyons pas ce que nous espérons, nous lattendons « par la patience 4 ». Ce sont là des paroles dexilés, et non pas dhommes établis dans la patrie. Cest donc avec raison, cest avec vérité, et sil nuse point de déguisement cest avec sincérité quil fait cet aveu: «Lumière de mes yeux nest point avec moi ». Voilà ce que souffre lhomme dans son âme, en lui-même, avec lui-même; ce quil souffre de sa part, ce que nul ne lui fait endurer, si ce nest lui-même : telle est la peine quil sest attirée, et que nous avons définie tout à lheure. 16. Mais est-ce là tout ce que lhomme endure? Au dedans de lui-même il souffre de ses propres misères, et à lextérieur, il souffre de tout ce que lui font endurer ceux au milieu desquels il vit; il souffre donc ses maux particuliers, il est forcé de souffrir de la part des autres. Delà ces deux cris du Prophète : « Purifiez-moi de mes fautes cachées, et détournez de votre serviteur les fautes des autres 5 ». Déjà il a confessé les fautes qui lui sont propres et dont il voudrait être purifié : quil parle des péchés des autres dont il prie Dieu de léloigner. « Mes amis »; que dirai-je alors des ennemis? « Mes amis et mes proches se sont placés debout en face de moi »s. Comprenez bien cette expression: « Ils se sont élevés debout en face de mois, car ils se sont élevés contre moi, et sont tombés contre eux-mêmes. « Mes amis et mes proches se sont élevés et placés en face de moi ». Ecoutons ici la voix du chef, et voyons 1. Jean, XIV, 21. 2. I Jean, III, 2. 3. II Cor. V, 6,7 4. Rom. VIII, 25.
5. Ps. XVIII, 13, 14. 6. Ps. XXXVII, 12. 401 paraître notre chef dans sa passion. Mais encore une fois, quand cest la tête qui parle, nen séparez point les membrés. Si le chef na point voulu séparer sa voix de celle du corps, le corps oserait-il bien se séparer des douleurs du chef ? Souffrez donc dans le Christ, puisque le Christ a pour ainsi dire péché dans votre faiblesse. Il parlait naguère de vos péchés, et il en parlait comme sils eussent été les siens. Il disait en effet: « A la vue de mes péchés », comme sils eussent été les siens. De même donc quil a voulu que nos péchés fussent les siens, parce que nous sommes ses membres, faisons de ses souffrances les nôtres, parce quil est notre chef. Ce nest point pour que nous soyons traités autrement que ses amis sont devenus ses ennemis. Préparons-nous, au contraire, à prendre le même breuvage; ne rejetons point son calice, afin de mériter, par son humilité, de soupirer après sa grandeur. Telle fut, en effet, sa réponse à ceux qui voulaient partager sa grandeur, et qui nenvisageaient point son humilité quand il leur dit: « Pouvez-vous boire le calice que je boirai moi-même 1? » Donc les douleurs de notre Maître sont aussi nos douleurs; et quand chacun de nous aura servi Dieu fidèlement, gardé la bonne foi, payé ses dettes, accompli la justice envers les hommes, je voudrais bien voir sil naura point à souffrir ce que Jésus-Christ nous dit de sa passion. 17. « Mes amis et mes proches se sont tenus tout près contre moi debout; dautres proches se sont éloignés 2». Quels sont ces proches, dont les uns se sont rapprochés, dont les autres se sont éloignés? Les Juifs étaient proches pour le Sauveur, puisquils lui étaient unis par le sang; ils sen approchèrent et le crucifièrent. Les Apôtres étaient des proies; mais eux se tinrent dans léloignement, de peur de souffrir avec lui. On pourrait encore donner cette interprétation: « Mes amis», ou ceux qui ont feint de lêtre. Car ils feignirent dêtre ses amis, en disant: « Nous savons que vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité 3 » ; alors quils voulaient le nier au sujet du tribut à payer à César, et quil les confondit par leur propre langage, ils voulaient paraître ses amis. Mais il navait pas besoin alors quon rendît témoignage aucun homme 4, puisquil savait ce qui était dans lhomme; aussi répondit-il, en entendant 1. Matt, XX, 22. 2. Ps. XXXVII, 13. 3.Matt. XXII, 16. 4. Jean, II, 25 ces paroles : « Hypocrites, pourquoi me tentez-vous 1? » Donc, « mes amis et mes proches sont venus près de moi, en face et debout; dautres proches se sont éloignés ». Vous comprenez mon explication. Jai appelé ses proches ceux qui sapprochèrent de lui et néanmoins sen éloignèrent de cur. Comment être plus près de corps que ceux qui élevèrent Jésus sur la croix? Comment sen éloigner de coeur plus que ceux qui le blasphémaient? Isaïe a parlé de cet éloignement; voyez en effet ce quil dit de ceux qui sont proches et de ceux qui sont éloignés: « Ce peuple mhonore des lèvres » ; voilà un rapprochement corporel: « mais leur coeur est loin de moi 2 ». Ceux qui sont proches sont en même temps éloignés, proches des lèvres, éloignés de coeur. Toutefois, comme la crainte retint les Apôtres dans léloignement, on peut dune manière plus nette et plus claire entendre des uns, quils sapprochèrent, des autres, quils séloignèrent: surtout que saint Pierre, qui lavait suivi plus hardiment, en était encore loin, et quinterrogé il se troubla et renia ce Maître avec lequel il avait juré de mourir 3. Mais afin que de son éloignement il vînt à se rapprocher, il entendit après la résurrection: « Maimez-vous? » et il répondit: « Je vous aime 4 ». Et cette affirmation rapprochait celui que son reniement avait éloigné; ainsi une triple protestation damour effaça son triple renoncement. « Et mes proches se tenaient loin de moi ». 18. « Ils emploient la violence, ceux qui en veulent à mon âme 5». Il est facile de connaître ceux qui en veulent à son âme; car ils navaient point cette âme ceux qui ne faisaient point partie de son corps. Ceux qui cherchaient cette âme en étaient éloignés; et la cherchaient pour la tuer. Car on peut rechercher son âme pour un bon motif; puisque, dans un autre endroit, il nous fait ce reproche: « Il ny a personne pour rechercher mon âme 6 ».Il se plaint donc aux uns de ce quils né recherchent point son âme, et aux autres, de ce quils la recherchent. Quel est celui qui recherché son âme dans une intention pure? Celui qui limite dans ses souffrances. Quels sont ceux qui la recherchaient dans une intention perverse? Ceux qui lui faisaient violence et qui le crucifiaient. 1. Matt. XXII, 18. 2. Isa. XXIX, 13. 3. Matt. XXVI,
70. 4. Jean, XXI, 27. 5.
Ps. XXXVII, 13. 6. Id. CXLI, 5. 402 19. Voici la suite: « Ceux qui cherchaient le mal en moi ont parlé vainement ». Que signifie : « Ceux qui cherchaient le mal en moi? » Ils cherchaient beaucoup et ne trouvaient rien. Peut-être veut-il dire : Ils me cherchaient des crimes; car ils cherchèrent de quoi laccuser, « sans rien trouver 1».Ils cherchaient le mal chez lhomme de bien, le crime chez linnocent; et queussent-ils trouvé chez celui qui navait aucune faute? Mais comme ils cherchaient des fautes chez lhomme qui nen avait commis aucune, ils navaient plus de ressource quà feindre ce quils ne trouvaient point. Cest pourquoi, « ceux qui cherchaient le mal en moi, tenaient le langage de la vanité », non de la vérité; « et tout le jour ils tramaient la fraude » ; cest-à-dire, ils sétudiaient sans cesse au mensonge. Vous connaissez tous les faux témoignages quils ont apportés contre le Sauveur, même après sa résurrection. En effet, pour ces soldats du sépulcre, dont Isaïe avait dit: « Je mettrai les méchants près de son tombeau 2 » (cétaient bien des méchants, puisquils ne voulurent point déclarer la vérité, et quils se laissèrent corrompre, pour semer le mensonge), voyez quelle fut lineptie de leur langage. On les interroge, et les voilà qui répondent: « Lorsque nous étions endormis, ses disciples sont venus et lont enlevé 3 ». Quelle vanité de langage ! Sils dormaient, comment savaient-ils ce qui sétait passé? 20. « Pour moi », dit le Prophète, « je suis comme un sourd qui nentend rien ». Car il ne répondait pas plus à ce quon lui objectait que sil neût point entendu. « Non plus quun sourd, je nentendais pas; et nouvrais ma bouche non plus quun muet ». Puis il répète sous une autre forme : «Je suis comme un homme qui nentend point et qui na nulle réponse à la bouche 4 » ; comme sil navait rien à leur dire, aucune réplique pour les confondre. Mais ne leur avait-il pas fait déjà beaucoup de reproches, tenu bien des discours, et dit : « Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites 5 », et autres choses semblables? Pourtant, dans la passion, il ne dit rien de tout cela, non quil neût rien à dire, mais il attendait que tout fût achevé, et que saccomplît tout ce 1. Matt. XXVI , 59. 2. Isa. LIII, 9. 3. Matt. XXVIII, 13. 4. Ps. XXXVII, 14, 15. 5. Matt XXIII, 13. qui était prédit à son sujet, lui dont il est écrit : « Comme une brebis devant celui qui la tond, il est sans voix et nouvre pas la bouche 1». Il devait donc se taire dans sa passion, celui qui ne se taira point au jugement. Il était venu pour être jugé, lui qui viendra plus tard pour juger; et pour juger avec une puissance dautant plus grande quil sest laissé juger avec plus dhumilité. 21. « Parce que jai espéré en vous, Seigneur, vous mexaucerez, Seigneur mon Dieu 2 ». Comme si on lui demandait: Pourquoi navez-vous point ouvert la bouche? pourquoi navez-vous point dit : Epargnez-moi? Pourquoi sur la croix navez-vous point confondu les impies? Voilà quil poursuit en disant : « Parce que jai espéré en vous, Seigneur, vous mexaucerez, Seigneur mon Dieu ». Il te montre ce quil faut faire quand viendra la tribulation, Tu cherche parfois à te justifier, et nul nentend ta défense. Alors survient le trouble, comme ta cause était perdue, parce que nul ne vient te défendre ou te rendre témoignage. Mais garde linnocence dans ton coeur, où nul ne peut opprimer la justice de ta cause. Si le faux témoignage a prévalu contre toi, ce nest que devant les hommes; mais prévaudra-t-il devant Dieu, qui sera le juge de ta cause? Et au jugement de Dieu il ny aura dautre juge que ta conscience. Entre un juge qui est juste et la conscience, ne crains rien que ta cause : si tu nas point une mauvaise causa, tu nauras ni accusateur à craindre, ni faux témoin à repousser, ni témoin véridique à rechercher. Apporte seulement une bonne conscience, afin de pouvoir dire: « Parce que jai espéré en vous, Seigneur, vous mexaucerez, Seigneur mon Dieu. » 22. « Je disais : Ne permettez plus que mes ennemis minsultent, eux qui ont fait éditer leur insolence quand mes pieds étaient chancelants 3 ». Il revient à sa faiblesse corporelle, et ce chef a égard à ses pieds. La gloire du ciel ne lui fait point négliger ce quil a sur la terre , il nous regarde, il nous voit. Quelquefois, dans cette vie fragile, nos pieds sont ébranlés, ils tombent dans quelque faute; alors sélèvent contre nous les langue perverses de nos ennemis. Cest en ce casque nous comprenons ce quils méditaient duos leur silence. ils parlent avec aigreur et 1. Isa. LVIII, 7. 2. Ps. XXXVII, 16. 3. Id. XXXVII, 17. 403 cruauté, ils se font une joie davoir trouvé ce qui devrait les affliger. « Et jai dit : Que mes ennemis ne minsultent plus à lavenir ». Voilà ce que jai dit; et néanmoins, pour que je me corrigeasse sans doute, vous les avez, fait parler avec insolence contre moi, ô mon Dieu, « pendant que mes pieds chancelaient»; cest-à-dire, ils se sont élevés, et ont mal parlé quand jétais ébranlé. Ils auraient du avoir pitié du faible, sans linsulter, selon cette parole de lApôtre : « Mes frères, si quelquun est tombé par surprise dans quelque crime, vous autres, qui êtes spirituels, relevez-de dans un esprit de douceur ». Et il en ajoute cette raison: « Chacun craignant dêtre tenté à son tour 1».Tels nétaient point ceux dont il est dit: « Quand mes pieds chancelaient, ils parlaient de moi avec arrogance»; mais ils ressemblaient à ceux dont il est dit ailleurs: « Ceux qui me persécutent, seront comblés de joie si je viens à faiblir 2 ». 23. « Je suis préparé au châtiment 3». Admirables paroles du Prophète , comme sil lisait: Je suis né pour endurer les châtiments. Car il ne pouvait naître que dAdam à qui la peine est due. Mais souvent en cette vie les méchants échappent à la peine, ou nen souffrent que de légères, parce que leur conversion noffre aucun espoir. Or, il est nécessaire quils passent par le châtiment, ceux à qui Dieu prépare la vie éternelle; car elle est vraie, cette parole: « Mon fils, ne taigris point sous le fouet du Seigneur, ne te fatigue point quand il te châtie: car le Seigneur châtie celui quil aime, il corrige celui quil reçoit au nombre de ses enfants 4 ». Que mes ennemis donc ne minsultent plus, quils ne se répandent point en outrages; et si on Père me châtie, « je suis préparé au châtiment » ; parce quil me prépare un héritage. Si tu veux échapper au fouet du Seigneur, lhéritage ne sera point pour toi. Tout fils doit passer par le châtiment : et cest tellement sans exception, que celui-là même qui savait point de péché 5, na pas été épargné 6. « Je suis donc préparé au châtiment ». 24. « Et ma douleur est toujours présente à mes yeux 7 ». Quelle douleur ? Peut-être celle du châtiment? Il est vrai, mes frères, et le dis en vérité, les hommes saffligent des châtiments, et non de ce qui amène les châtiments. 1. Gal.
VI,1. 2. Ps. XII, 5. 3. Id. XXXVII, 18. 4. Prov. III, 11, 12.
5. I Pier. II, 22. 6. Rom. VIII, 32. 7. Ps. XXXVII, 18. Il nen est pas ainsi de celui qui parle. Ecoutez, mes frères: quun homme, le premier venu, essuie une perte, il est plutôt prêt à dire : Je ne mérite point cette perte, quà considérer pourquoi elle lui arrive; il pleure une perte dargent et non la perte de la justice. Si tu as péché, pleure ton trésor intérieur ; tu nas rien peut-être en ta maison, et ton coeur est encore plus vide; mais si ton coeur est plein de Dieu qui est son bien, pourquoi ne pas dire: « Le Seigneur la donné, le Seigneur la ôté, comme il a plu au Seigneur ainsi il a été fait, que le nom du Seigneur soit béni 1?» Doù vient donc la plainte de linterlocuteur? Du châtiment quil endurait? Point du tout. « Ma douleurs, dit-il, est toujours devant mes yeux ». Et comme si nous lui disions Quelle douleur? doù vient-elle? « Cest », dit-il, « que je publierai mon iniquité, et je prendrai soin de mon péché 2 ». Voilà doù vient sa douleur ; elle ne vient pas du châtiment; elle vient de la plaie et non du remède. Car le châtiment est comme un remède pour le péché. Ecoutez, mes frères : nous sommes chrétiens ; et néanmoins quun dentre nous vienne à perdre son fils, il le pleure; que ce fils devienne pécheur, il ne le pleure pas. Cest en le voyant tomber dans le péché quil devrait pleurer et gémir ; cest alors quil faudrait le refréner, lui donner une règle de conduite, le châtier. Sil la fait sans être écouté, cest alors quil fallait pleurer ; car, vivre dans la luxure est une mort plus funeste que ce trépas qui met fin à la luxure; vivre ainsi, chez vous, cétait non-seulement la mort, mais la puanteur. Voilà les maux quil faut pleurer; les autres, il faut les supporter ; endurons ceux-ci, mais déplorons les premiers. Il faut les déplorer comme vous lentendez faire au Prophète: « Voilà que jannonce mon iniquité, je prendrai soin de mon péché ». Ne te crois pas en sûreté parce que tu as confessé ta faute, comme celui qui la confesse et qui est prêt à la commettre encore. Mais publie ton iniquité de telle sorte que tu penses avec soin à ton péché. Quest-ce à dire, prendre soin de son péché? Prendre soin de sa blessure. Si tu disais: Jaurai soin de ma blessure, que devrait-on comprendre, sinon : Je mettrai mes soins à me guérir ? Tel est le soin à prendre de son péché, cest une application continuelle, un effort incessant, une diligence soutenue à 1. Job, I,
21. 2. Ps. XXXVII, 19. 404 tout faire pour guérir notre péché. Voilà que chaque jour tu pleures ton péché, mais peut-être que tes larmes coulent sans que la main agisse. Fais des aumônes, afin que tes péchés soient rachetés, que tes dons réjouissent lindigent, afin que tu aies à te réjouir du don de Dieu. Lindigent a besoin, et tu as besoin; il a besoin de toi, et toi de Dieu. Tu méprises le pauvre qui a besoin de toi, et Dieu ne te méprise pas, toi qui as besoin de lui? Comble donc lindigence du pauvre, afin que Dieu comble ton âme. Cest dire: « Je prendrai soin de mon péché », je ferai tout ce quil faut faire pour effacer mon péché, le guérir complètement. « Je prendrai soin de mon péché ». 25. « Quant à mes ennemis, ils vivent 1 ». Ils ont le bonheur, ils jouissent des félicités du siècle où jendure la fatigue, et je rugis dans les gémissements de mon coeur. Comment vivent les ennemis de celui qui disait deux tout à lheure: « Quils ont dit des paroles vaines? » Ecoute ce qui est dit dans un autre psaume : « Leurs fils sont comme de nouvelles plantations »; et plus haut: « Leur bouche porte le mensonge, leurs filles sont parées comme les autels dun temple; leurs greniers sont pleins, ils regorgent de çà et de là; leurs boeufs sont gras, des brebis fécondes se multiplient dans leurs étables; on ne voit point leurs haies en ruine, on nentend point de cris dans leurs places publiques ». Donc, mes ennemis vivent: telle est la vie quils mènent, la vie quils chantent, la vie quils aiment, la vie quils possèdent pour leur malheur. Quajoute en effet le Prophète? « Ils ont appelé heureux le peuple qui a de tels biens ». Quen dis-tu, toi qui as soin de ton péché ? Quel est ton langage, ô toi qui accuses ton iniquité? « Bienheureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu. Mes ennemis vivent; ils prévalent sur moi; ils se multiplient ceux qui une haïssent injustement 2».Que veut dire: Ils me haïssent injustement? Ils haïssent celui qui leur veut du bien. Rendre le mal pour le mal, ce nest pas être bon; ne pas rendre le bien pour le bien, cest de lingratitude; mais rendre le mal pour le bien, cest là haïr injustement. Ainsi firent les Juifs : le Christ est venu chez eux avec des biens, et pour ces biens ils lui ont rendu le mal. Craignons, mes frères, 1. Ps.
XXXVII, 20. 2. Id. CXLIII, 12-15. une faute semblable : il est si facile dy tomber. Mais quand nous disons: Tels furent les Juifs, que chacun de nous se garde bien de se croire excepté. Que lun de vos frères vous réprime pour votre bien, vous tombez dans cette faute, si vous le haïssez. Et voyez comme elle est facile, comme elle est bientôt commise; évitez un si grand malheur, un péché si facile. 26. « Ceux qui me rendent le mal pour le bien, me déchirent parce que je poursuis la justice 1».Cest là le motif du bien pour le mal. Que signifie: « Je poursuis la justice ? » Je ne labandonne point. Ne prenons pas toujours la persécution en mauvaise part; poursuivre, signifie suivre parfaitement: « Parce que jai poursuivi la justice». Ecoute le langage de notre chef qui gémit dans sa passion: « Ils mont rejeté, moi le bien-aimé, comme un mort en abomination. Etait-ce peu dêtre mort? pourquoi en abomination? Parce quil a été crucifié. Car cette mort sur la croix était une grande abomination pour ceux qui ne comprenaient pas que cette parole: « Maudit lhomme qui pend au bois 2», était une prophétie. Le Christ na point apporté la mort ici-bas, il ly a trouvée comme le fruit maudit du premier homme 3; et, se revêtant de cette mort qui était la nôtre et qui nous venait du péché, il la suspendue au bois. Dès lors, afin que lon ne crût pas, comme certains hérétiques 4 lont fait, que Notre-Seigneur Jésus-Christ navait quune chair apparente, et quil navait point subi la mort sur la croix, le prophète sécrie: « Maudit tout homme qui pend au bois ». Il nous montre que le Fils de Dieu a souffert une véritable mort, celle qui était due à notre chair mortelle: il craint que, sil nest maudit, tu ne le croies pas mort. Comme donc cette mort nétait feinte, mais descendait par la filiation de cet Adam maudit daprès cet arrêt de Dieu: Tu mourras de mort 5; et, comme Jésus devait subir un véritable trépas, afin quil donnât ainsi une vie véritable, voilà quil est lui-même atteint par la malédiction de la mort, pour nous mériter la bénédiction de la vie. « Ils mont rejeté , moi le bien-aimé comme un mort en abominations. » 27. « Ne mabandonnez pas, Seigneur Dieu, ne vous éloignez pas de moi 6 ». 1. Ps. XXXVII, 21. 2. Deut. XXX, 23. 3. Gal, III, 10. 4. Manichéens. 5. Gen. II, 17. 6. Ps. XXXVII, 22.
405 Disons ces paroles en lui-même, disons-les par lui; car il intercède pour nous 1; disons : « Ne mabandonnez pas, Seigneur mon Dieu». Il avait dit pourtant : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi mavez-vous abandonné 2? » Et voilà quil dit : « O Dieu, ne vous éloignez pas de moi ». Si Dieu ne sest point retiré du corps, sest-il donc retiré du chef ? De qui est donc cette prière, sinon du premier homme? Or, pour nous montrer quil a tiré dAdam une véritable chair, il sécrie : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi mavez-vous abandonné? » Car Dieu ne lavait point délaissé. Sil ne tabandonne point pourvu que tu croies en lui, ce seul Dieu Père, Fils et Saint-Esprit pourrait-il abandonner le Christ? Mais alors, il avait personnifié en lui-même le premier homme. Nous savons, daprès lApôtre, « que notre vieil homme a été cloué à la croix avec lui 3»; et nous naurions pu nous dépouiller de cette vétusté, si le Christ neût été crucifié en sa faiblesse. Car il est venu sur la terre pour nous renouveler en lui; et le désir de le posséder, limitation de ses douleurs nous font entrer dans ce renouvellement. Donc, la voix de son infirmité était notre voix disait : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi mavez-vous abandonné? » De là encore cette autre parole : « Le rugissement de mes péchés 4 ». Comme sil disait : Cest au nom du pécheur que je vous tiens ce langage: « Seigneur, ne vous éloignez pas de moi ». 28. « Seigneur, Dieu de mon salut, soyez attentif à me secourir 5 ». Ce salut, mes frères, est celui dont se sont enquis les prophètes, au dire de saint Pierre, et que nont point reçu 1. Rom.
VIII, 34. 2. Matt. XXVII, 46 ;
Ps. XXI, 2. 3. Rom. VI. 4. Ps. XXI, 2. 5. Id. XXXVII, 23. ceux qui le recherchaient; mais ils lont recherché et lont annoncé, et nous sommes venus, nous qui avons trouvé ce quils désiraient de pénétrer. Et voilà que nous-mêmes ne lavons pas reçu encore; dautres viendront après nous et le trouveront de même sans le recevoir; puis ils passeront, afin que tous, à la fin du jour, nous recevions le denier du salut avec les patriarches, les prophètes et les apôtres. Vous connaissez ces mercenaires ou ces ouvriers que le père de famille envoya dans sa vigne à des heures différentes, et qui reçurent néanmoins une même récompense1. Ainsi les Prophètes et les Apôtres, et les martyrs et nous, et ceux qui viendront après nous jusquà la consommation des siècles, nous recevrons alors le salut éternel, afin que, contemplant la gloire de Dieu, et le voyant face à face, nous le bénissions dans léternité sans défaillance, sans la peine cuisante de liniquité, sans aucune altération du péché; nous bénirons Dieu sans soupirer davantage, nous attachant à celui après lequel nous avons soupiré jusquà la fin, et dont lespérance faisait notre joie. Nous serons alors dans la cité bienheureuse où Dieu sera notre bien, Dieu sera notre lumière, Dieu sera notre nourriture, Dieu sera notre vie. Tout ce qui est notre bien, pendant que nous travaillons dans notre exil, nous le trouverons en Dieu. En lui sera ce repos dont nous ne pouvons nous souvenir quavec douleur. Car il nous rappelle ce sabbat dont le souvenir a inspiré tant de paroles, dont nous devons tant parler encore, que notre coeur, sinon notre bouche, doit chanter toujours; car le silence de la bouche nétouffe point les cris du coeur. 1. Matt. XX, 9. |