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PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME XXXII.LA CONFIANCE DU JUSTE. 2. « Chantez le Seigneur sur vos harpes 2 ». Chantez le Seigneur, en lui faisant de vos corps une hostie vivante 3. « Bénissez-le sur de psaltérion à dix cordes ». Que tous vos membres servent à lamour de Dieu et du prochain, ou à laccomplissement des trois préceptes de la première table, et des sept préceptes de la seconde. 3. « Chantez au Seigneur un cantique nouveau 4 ». Chantez un cantique de grâces cl de loi. « Chantez sagement dans vos cris dallégresse ». Chantez- avec une joie que mesure la sagesse. 4. « Car la parole du Seigneur est pleine déquité 5». La parole du Seigneur est droite pour vous rendre ce que vous ne pouvez devenir par vous-mêmes, « Et toutes ses uvres sont dans la foi ». Nul dès lors ne doit se croire parvenu à la foi par ses mérites, puisque cest de la foi même que viennent les oeuvres agréables à Dieu. 5. « Il aime la miséricorde et le
jugement ». Il aime la miséricorde quil répand 1. Ps, XXXII, 1. 2. Id. 2. 3.Rom. XII, 1. 4. Ps. XXXII, 3. 5. ibid. 4. maintenant et par avance sur les hommes; et le jugement qui lui fait exiger le produit de ses dons. « La terre est remplie de la miséricorde du Seigneur 1 ». Dans tout lunivers les hommes reçoivent le pardon de leur péché, par la divine miséricorde. 6. « Cest la parole du Seigneur qui consolide les cieux ». Car ce nest point deux-mêmes que les justes se sont affermis, mais par la parole du Seigneur. « Et cest du souffle de sa bouche que vient leur force 2 ». Et leur foi vient de lEsprit-Saint. 7. « Cest lui qui rassemble comme dans une outre les eaux de la mer3». Il rassemble tous les peuples dici-bas pour la confession de leurs péchés qui sont condamnés, de peur que lorgueil ne les fasse déborder dans la licence. « Dans ses trésors il place des abîmes ». Il garde pour eux des secrets cachés, afin de les enrichir. 8. « Que toute la terre craigne le Seigneur 4 ». Que le pécheur craigne, afin de sabstenir du péché. « Quils tremblent devant lui», non point parla peur des hommes, ou de toute autre créature, mais que Dieu fasse s trembler « tous ceux qui habitent lunivers » . 9. « Car il a parlé et tout a été fait
», nul autre na fait ces créatures que peuvent redouter les hommes; mais
cest bien lui qui a dit, et les voilà faites. « Il a commandé, et tout a été
créé ». Il a commandé par son Verbe, et la création sest opérée. 1. Ps. XXXII,
5. 2. Id. 6. 3. Id. 7. 4. Id. 8. 5. Id. 9. (295) 10. « Le Seigneur a renversé les conseils des nations 1 », qui recherchaient leur domination et non la sienne. « Il réprouve la pensée des peuples », qui désirent le bonheur de ce monde. «Il réprouve aussi les desseins des princes», qui cherchent à dominer sur ces peuples. 11. «Mais le dessein du Seigneur demeure éternellement 2 ». Il est immuable pour léternité ce dessein du Seigneur, qui naccorde la félicité quà ceux qui lui sont soumis. « Les pensées de son coeur subsistent dans les siècles des siècles ». Les desseins de sa sagesse ne sont point assujettis au changement, mais ils demeurent dans le cours des siècles. 12. « Bienheureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu 3». Il ny a quun seul peuple, celui de la cité céleste, qui ne se choisit point dautre Dieu que le Seigneur. «Heureux le peuple que le Seigneur sest choisi pour héritage ». Ce peuple ne sest point élu, mais Dieu la choisi dans sa miséricorde, afin de le posséder, et de ny rien souffrir dinculte ou de misérable. 13. « Du haut des cieux le Seigneur a regardé, et il a vu tous les enfants des hommes 4 ». A travers lâme juste, Je Seigneur a vu dans sa bonté, tous ceux qui veulent renaître à une vie nouvelle. 14. « Du haut de la tente quil sest préparée ». De ce tabernacle de chair quil sest fait en sincarnant. « Il a regardé ceux qui habitent la terre 5 ». Il a vu dans sa bonté ceux qui habitent la terre, afin de les gouverner en pasteur. 15. « Cest lui qui a formé le coeur de chacun deux 6 ». Il a mis dans le coeur des dons qui leur sont propres, afin que le corps ne soit point tout oeil, ni tout oreille 7; mais il est pour celui-ci une manière de sunir au corps de Jésus-Christ, polir celui-là une autre manière. « Cest lui qui connaît toutes leurs actions ». Devant lui rien nest incompris des actions des hommes. 16. « Ce ne sont point ses forces
nombreuses qui sauveront le roi 8 ». «
Celui qui est le roi de sa chair, ne sera point sauvé, sil met sa confiance dans sa
propre vertu » . «Et le géant ne
trouvera point son salut dans ses grandes 1. Ps. XXXII. 10. 2.
Id. 11. 3. Id. 12. 3. Id. 13. 4. Id. 14 5. Id. 15. 6. I Cor. XII, 17.
7. Ps. XXXII, 16. 17. « Un coursier ! vain espoir de salut 1 ». On se trompe, si lon croit pouvoir, avec le secours des hommes, acquérir le salut que lon a reçu parmi les hommes, ou échapper à la perdition par lobstination du caractère. « Il ne sera point sauvé par lardeur de son courage ». 18. « Voilà que les yeux du Seigneur sarrêtent sur ceux qui le craignent 2 ». Si tu cherches le salut, Dieu incline son amour sur ceux qui le craignent. « Et qui espèrent en sa miséricorde ». Qui espèrent, non dans leur propre vertu, mais dans la divine miséricorde. 19. « Afin darracher leurs âmes à la mort, et de les nourrir pendant la famine 3 ». Afin de les nourrir de son Verbe et de léternelle vérité, quils avaient perdue en présumant de leurs forces, et voilà que la faim de la justice a épuisé ces mêmes forces. 20. « Notre âme attendra patiemment le Seigneur 4 ». Afin de sengraisser un jour de viandes incorruptibles, pendant quelle est en cette vie, notre âme attendra patiemment le Seigneur. « Car il est notre secours et notre protecteur ». Il nous aide quand nous nous dirigeons vers lui ; il nous protége quand nous résistons à lennemi. 21. « Cest en lui que sépanouira notre cur 5 ». Ce nest pas en nous, puisque nous ny trouvons que misère quand Dieu ny est point, mais en Dieu que notre coeur sépanouira. «Nous avons mis notre espoir dans « la sainteté de son nom ». Et si nous espérons arriver un jour à Dieu, cest quil nous a fait connaître son nom par la foi, quand nous étions éloignés de lui. 22. « Que votre miséricorde, ô Dieu, descende sur nous, selon que nous avons espéré en vous 6 ». Oui, Seigneur, que votre miséricorde sépanche sur nous, car nous avons mis notre espérance en vous, et cette espérance est infaillible. 1. Ps. XXXII, 17. 2. Id. 18. 3. Id. 19. 4. Id. 20. 5. Id. 21. 6. Ibid. 22. (296) DEUXIEME DISCOURS SUR LE PSAUME XXXII.PREMIER SERMON. CONFIANCE EN DIEU. Ce sermon embrasse la première partie du psaume XXXII. Il
nous apprend que nous devons bénir Dieu dans le malheur aussi bien que dans la
prospérité; que lamour de la justice est laccomplissement de la loi ;
et que la miséricorde ne vient bien quavec la justice. 1. Ce psaume nous invite à nous épanouir dans le Seigneur. Il a pour titre : A David. Ecoutez donc votre cantique, ô vous qui appartenez à la sainte lignée de David; soyez les échos de votre cantique et tressaillez dans le Seigneur. Voici comme il commence : « Réjouissez-vous dans le Seigneur, ô vous qui êtes justes ». Que limpie trouve sa joie dons le siècle ; le siècle finira, et avec lui la joie de limpie. Mais que les justes tressaillent dans le Seigneur, car le Seigneur est éternel, et leur joie le sera aussi. Mais pour tressaillir en Dieu dune manière convenable, il nous faut le louer de ce quil est seul pour ne nous inspirer aucun dégoût, et pour en inspirer autant à linfidèle. Et lon peut dire en un seul mot: Celui-là plaît à Dieu, qui se plaît en Dieu. Et gardez-vous de croire, mes frères, que ce soit chose facile. Voyez combien sont nombreux, ceux qui murmurent contre Dieu, combien trouvent à redire dans ses oeuvres. Quand il lui plaît dagir contrairement à la volonté des hommes, parce quil est le maître, quil connaît ce quil fait, et quil sarrête moins à considérer nos désirs que notre avantage, ces hommes alors, subornant à leur volonté, la volonté de Dieu, loin de redresser leur volonté sur celle de Dieu, prétendent que la volonté de Dieu voudra bien sadapter à la leur. Ces hommes infidèles, impies, pervers, trouvent plus à leur guise, je rougis de parler ainsi, et je le dirai néanmoins, parce que vous savez que cest la vérité, trouvent plus à leur guise un comédien que Dieu lui-même. 2. Aussi après avoir dit :
« Justes, tressaillez de joie dans le Seigneur », comme nous ne pouvons tressaillir
en lui quen chantant ses louanges, et que ces louanges lui sont dautant plus
agréables que nous mettons en lui notre bonheur, le prophète ajoute : « Cest aux
coeurs droits quil convient de louer Dieu ». Quels sont les hommes au coeur
droit? ceux qui lassouplissent selon la volonté de Dieu ; qui se consolent dans la
justice divine des troubles que leur cause lhumaine fragilité, quoique la faiblesse
humaine leur fasse désirer de temps à autre ce qui pourrait leur convenir en
particulier, ce qui serait en harmonie avec létat actuel de leurs affaires, ou avec
une nécessité qui se déclare, néanmoins lorsquils reconnaissent et quils
savent que Dieu désire autre chose, ils préfèrent à leur volonté, la volonté du plus
sage, à la volonté de linfirme, la volonté du Tout-Puissant, à la volonté de
lhomme, la volonté de Dieu. Car autant Dieu est au-dessus de lhomme, autant
la volonté divine est au-dessus de la volonté humaine. Cest pourquoi le Christ
sétant fait homme, nous donne sa vie comme un modèle, et voulant tout à la fois
nous apprendre à vivre et nous en mériter la grâce, nous fait voir en lui une certaine
volonté humaine et privée, qui figurait à la fois la sienne et la nôtre, car il est
notre chef, et vous le savez, nous lui appartenons comme ses membres: « Mon Père
»,dit-il, «sil est possible, que ce calice séloigne de moi ». Voilà une
volonté humaine, qui sarrêtait sur un objet propre et particulier. Mais comme il
voulait que lhomme eût le coeur droit, afin de le porter à redresser sur le
modèle qui est toujours droit, ce quil pouvait avoir de tortueux, quelque peu que
ce fût, il ajoute : «Et pourtant, non point ce que je veux, mais ce que vous voulez, ô
mon Père» Or, quelle volonté perverse pouvait avoir le Christ? Que pouvait-il vouloir,
que ne voudrait point son Père? Ils nont quune même divinité, et ne peuvent
avoir une volonté différente. Mais il 1. Matt. XXVI,
39. 2. Ibid. (297) voulait personnifier dans cette humanité tous les siens, comme il les personnifiait en lui-même, quand il dit : « Jai eu faim et vous mavez donné à manger 1 » : comme il les personnifiait, quand lui, que nul ne blessait, cria du haut du ciel à Saul qui frémissait de rage, et persécutait les saints: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 2? » Il voulait donc te montrer en lui une volonté qui est propre à lhomme. Il ta mis sous les yeux ta propre image afin de te corriger. Reconnais-toi en moi-même, te dit-il; tu peux, il est vrai, avoir ta volonté propre, autre que la volonté de Dieu, on le pardonne à ta fragilité, on le pardonne à linfirmité humaine; il est difficile pour toi de navoir aucune volonté propre: mais à linstant souviens-toi quil est quelquun au-dessus de toi; quil est supérieur, et toi inférieur, quil est créateur et toi créature, quil est maître et toi serviteur, quil est tout-puissant et toi bien faible ; et afin de te corriger, soumets ta volonté à sa volonté, en disant: « Toutefois, ô mon Père, non point ce que je veux, mais ce que vous voulez ». Alors comment pourrais-tu être séparé de Dieu; quand tu veux ce quil veut? Cest alors que tu seras droit, et quil te siéra de bénir Dieu : « Car cest aux coeurs droits de le loue ». 3. Mais si ton coeur est tortueux, tu
béniras Dieu dans la prospérité, pour le blasphémer dans le malheur; et toutefois le
mal nest plus un mal quand il est juste; et il est juste quand il vient de la part
dun Dieu qui ne peut rien faire dinjuste. Tu seras donc dans la maison
paternelle comme lenfant ingrat, tu aimeras ton père quand tu en recevras des
caresses, et tu le haïras sil vient à te châtier : comme si ses châtiments aussi
bien que ses caresses ne te préparaient pas à devenir son héritier. Vois maintenant
comme la louange sied bien aux coeurs droits, écoute ce que chante un coeur droit dans un
autre psaume : « Je bénirai en tout temps le Seigneur, sa louange sera toujours dans ma
bouche » . « En tout temps », a le même sens que «toujours »; comme «je
bénirai » et « sa louange sera dans ma bouche » sont identiques. Le louer donc en tout
temps et toujours, cest le louer dans le malheur, comme dans la prospérité. Car si
tu ne bénis Dieu que dans la prospérité et non dans le malheur, comment sera- 1. Matt.
XXV, 35. 2. Act. IX, 4. 3. Ps. XXXIII, 2. ce en tout temps, comment toujours? Et toutefois chaque jour nentendons-nous pas le grand nombre qui eut agit ainsi? Leur arrive-t-il quelque bonheur, ils sépanouissent, ils tressaillent de joie, ils bénissent Dieu, ils chantent ses louanges; loin de les désapprouver, je les en félicite, car il y en a beaucoup qui ne le font pas même alors. Mais il faut apprendre à ceux qui déjà bénissent Dieu dans la prospérité, à reconnaître quil est père encore quand il châtie, à ne point murmurer contre sa main qui les afflige, de peur quils ne demeurent dans la dépravation, quils ne déméritent et ne soient justement privés de lhéritage éternel; il le faut, afin quils deviennent droits, et ils seront droits quand rien dans les actes de Dieu ne leur déplaira; et quils puissent bénir Dieu jusque dans le malheur, et dire : « Le Seigneur la dominé, le Seigneur la ôté, comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait; que le nom du Seigneur soit béni 1 » : cest à ces coeurs droits quappartient la louange, eux qui ne béniront pas dabord, pour blâmer ensuite. 4. Donc, ô vous qui êtes justes, qui avez le coeur droit, tressaillez dans le Seigneur, car cest à vous quil appartient de le bénir. Que nul ne dise : Qui suis-je pour être juste? Ou : Quand pourrai-je être juste? Ne vous méprisez point, ne
désespérez point de vous-mêmes. Vous êtes hommes; vous êtes créés à limage
de Dieu 2: celui qui a fait de vous des hommes,
sest lui-même fait homme polar vous : et afin que vous fussiez adoptés en plus
grand nombre pour léternel héritage, pour vous le sang de son Fils unique a été
répandu. Si la faiblesse dune chair terrestre vous rend méprisables à vos yeux,
estimez-vous dû moins au prix que vous avez coûté. Pensez mûrement à votre
nourriture, à votre breuvage, et à quoi vous souscrivez en disant : Amen. Toutefois
est-ce lorgueil que nous vous prêchons ici, et vous engageons-nous à vous
attribuer quelque perfection? Encore une fois, nallez pas vous croire étrangers à
toute justice. Je ne veux pas vous questionner au sujet de votre justice; car nul
dentre vous sans doute noserait me répondre : Je suis juste: mais je vous
interroge au sujet de votre foi; et de même que nul noserait me répondre : Je suis
juste; nul aussi noserait me dire : Je nai pas la foi. Je ne cherche donc
point quelle est ta vie, 1. Job, I, 21. 2.
Gen. I, 27. (298) je demande ce que tu crois. Tu me répondras que tu crois en Jésus-Christ. Nentends-tu point lApôtre qui te dit : « Le juste vit de la foi 1? » Ta foi, cest là ta justice : car, si tu crois, tu es sur tes gardes ; si tu es sur tes gardes, tu fais des efforts, et tes efforts sont connus de Dieu, qui voit ta volonté, qui considère ta lutte contre la chair, qui texhorte à combattre, qui taide à remporter la victoire, qui tobserve pendant le combat, qui le soutient si tu faiblis, qui te couronne si tu triomphes. Donc, « justes, tressaillez dans le Seigneur », signifie, tressaillez dans le Seigneur, ô vous qui avez la foi, car la foi est laliment du juste. « Cest aux coeurs droits que sied bien la louange 2 ». Apprenez à remercier Dieu dans les biens et dans les maux. Apprenez à mettre dans votre coeur nique chacun a sur la langue: A la volonté de Dieu. Ce langage du peuple a souvent de salutaires instructions. Qui ne dit point chaque jour : Que Dieu agisse comme il lui plaît? Quil ait le coeur droit, et il aura sa place parmi ceux qui tressaillent dans le Seigneur, et à qui sied la louange : cest à eux que le psaume sadresse dans la suite, en disant: « Louez le Seigneur sur la harpe, chantez-lui des hymnes sur le psaltérion à dix cordes 3 ». Cest ce que nous chantions tout à lheure, cest la leçon que nous donnions à vos coeurs en unissant nos voix. 5. Mais en établissant ces saintes
veilles au nom du Christ, na-t-on point banni les harpes de ce lieu? Et voici
quon leur enjoint de se faire entendre : « Chantez », nous dit-on,
« chantez au Seigneur sur la harpe, et sur le psaltérion à dix cordes».
Narrêtez point vos pensées sur les musiques de théâtre. Vous avez en vous-mêmes
cette harpe dont il est question, comme il est dit ailleurs « Jai dans mon coeur,
ô mon Dieu, ces voeux de louanges que je vous rendrai 4 ».
Ceux qui étaient présents naguère quand jexpliquai la différence qui sépare le
psaltérion de la harpe, et que je mefforçai de la faire saisir à tous, peuvent
sen souvenir 5: cest aux auditeurs
à juger si nous avons réussi. Il nest pas inutile pourtant de le répéter, afin
de trouver dans la différence de ces deux instruments de musique, la différence des
actions humaines, différence dont ils sont la figure, et dont notre vie deviendra 1. Rom. I,
17. 2. Ps. XXXII, 1. 3. Id. 2 4. Id. LV, 12. 5. Voir Disc. sur
le Ps. XLII ; Ps. LXX, serm. 2, vers, 11. la réalité. On appelle harpe ce bois concave à la manière
des tambours, dont le bas est arrondi comme une tortue, et auquel on ajoute les cordes qui
résonnent quand on les touche: je ne parle pas de larchet qui sert à les toucher,
mais bien de ce bois concave, sur lequel on étend des cordes, afin quil les
répercute quand on les touchera, et que frémissant sur cette concavité, elles en
deviennent plus sonores. Ce bois concave est donc en bas dans la harpe, et en haut dans le
psaltérion. Telle est la différence. Or, il nous est ordonné de louer Dieu sur la
harpe, de chanter sa louange sur le psaltérion à dix cordes. Il nest point parlé
de harpe à dix cordes, ni dans ce psaume, ni je crois dans aucun autre. Nos chers fils
les lecteurs peuvent lire et chercher avec plus de loisir que nous toutefois, autant que
je puisse me souvenir, jai souvent rencontré le psaltérion à dix cordes, et nulle
part la harpe à dix cordes. Retenez donc bien que cest par la partie inférieure
que la harpe rend des sons, et que pour le psaltérion cest dans la partie
supérieure. Or, cest dans notre vie inférieure ou terrestre que nous rencontrons
la prospérité ou le malheur, qui nous donnent lieu de bénir Dieu dans lune et
dans lautre, afin que sa louange soit toujours dans notre bouche et que nous le
bénissions en tout temps 1. Comme il y a une
félicité terrestre, il y a aussi une adversité qui est dici-bas ; nous devons
remercier Dieu de lune et de lautre, afin que notre harpe résonne toujours.
Quest-ce quune prospérité terrestre ? Cest la santé du corps,
cest labondance de tout ce qui nous est nécessaire en cette vie, cest
la sécurité contre tout danger, ce sont des récoltes abondantes, « cest le
soleil que Dieu fait luire sur les méchants comme sur les bons, et la pluie qui descend sur les justes comme sur les impies 2 ». Voilà tout ce qui tient à la vie
temporelle. Quiconque nen bénit point Dieu, se flétrit par lingratitude. Ces
dons, pour être terrestres, en sont-ils moins les dons de Dieu ? Ou faut-il penser
quils nous viennent dun autre, parce quils échoient aussi aux méchants
? La divine miséricorde se diversifie à linfini: Dieu a de la patience, de la
longanimité. Les biens dont il gratifie les méchants ne nous montrent que mieux ceux
quil réserve aux bons. Ladversité nous vient au contraire de tout ce
qui 1. Ps. XXXIII, 2. 2. Matt. V, 45. est inférieur, de la fragilité humaine, dans la douleur , dans les langueurs , dans les afflictions, dans les souffrances, dans les tentations. Cest alors, et toujours alors, que doit louer Dieu celui qui tient la harpe. Que lui importe que tout cela tienne à la vie inférieure, puisque tout cela nest conduit et réglé que par cette sagesse, qui atteint dune extrémité à lautre avec force et dispose toutes choses avec douceur 1? Si Dieu gouverne les cieux, néanmoins il ne néglige point la terre: nest-ce pas à lui quil est dit : « Où irai-je devant votre esprit, où fuirai-je devant votre face? Si je monte au ciel, vous y êtes; si je descends dans les enfers, vous y êtes encore 2 ». Doù peut être absent celui qui nest absent daucun lieu? Donc, chantez le Seigneur sur la harpe. Dans labondance des biens terrestres, remerciez celui qui vous en a fait don ; dans la disette, ou dans les pertes, chantez sans rien craindre. Car vous navez point perdu celui qui vous adonné ces biens, quand même on vous enlèverait ses dons. Louez Dieu, vous dis-je, même dans cette condition; ayez confiance dans votre Dieu, touchez les cordes de votre coeur, et dites comme sur une harpe qui échappe dans sa partie inférieure des sons harmonieux: « Le Seigneur la donné, le Seigneur la ôté, comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait; que le nom du Seigneur soit béni 3 ». 6. Mais si tu arrêtes ton attention sur
les dons supérieurs que le Seigneur ta faits, sur les préceptes quil
ta donnés, sur la céleste doctrine dont il a éclairé ton âme, sur la vérité
qui tarrive de la source la plus pure, prends alors ton psaltérion, bénis le
Seigneur sur le psaltérion à dix cordes. Les préceptes de la loi sont en effet au
nombre de dix, et ces dix préceptes vous forment une lyre à dix cordes. Lharmonie
est complète. Trois préceptes regardent lamour de Dieu, et les sept autres,
lamour du prochain. Or, toutefois, le Seigneur la déclaré: « Ces deux
commandements renferment toute ta loi et les prophètes 4 ».
Cest den haut que le Seigneur ta dit: « Le Seigneur ton Dieu est le
seul Dieu » : cest pour ta lyre la première corde. « Tu ne prendras point en
vain le nom du Seigneur ton Dieu » : cen est la seconde. « Observe le jour du
sabbat , non point dune manière 1. Sag. VIII, 1. 2. Ps. CXXXVIII, 7,8. 3. Job, I, 21. 4. Matt. XXII, 40 charnelle, non dans les plaisirs, comme les Juifs qui abusent du
repos pour commettre liniquité; le mal serait moins grand de passer le jour entier
à cultiver la terre quà danser; mais toi qui ambitionnes le repos en Dieu, et qui
ne fais rien quen vue de lobtenir, abstiens-toi de toute oeuvre servile :
«Car tout homme qui fait le péché devient est esclave du péché 1 ». Et plût à Dieu quil ne le fût que
dun homme et non du péché. Ces trois préceptes embrassent lamour de Dieu,
dont tu dois méditer la vérité, lunité, les délices. Car il y a certaines
délices en Dieu, où nous trouverons le véritable sabbat, le vrai repos. Aussi est-il
dit : « Mets en Dieu tes délices , et il comblera les désirs de ton coeur 2».Quel autre en effet peut nous procurer plus de
chastes délices que le Créateur de tout ce qui nous apporte les délices? Dans ces trois
préceptes se résume lamour de Dieu; dans les sept autres lamour du prochain
: « Ne fais point à un autre ce que tu ne veux pas quil te fasse. Honore ton
père et ta mère », parce que tu veux être honoré par tes enfants. « Ne
commets pas ladultère», parce que tu ne veux pas que ta femme sy livre en
ton absence. « Tu ne tueras point », car tu ne veux pas être tué. « Tu ne voleras
point », parce que tu ne veux pas que lon te vole. « Tu ne feras point de
faux témoignage », parce que tu hais celui qui fait un faux témoignage contre toi.
« Ne désire pas la femme de ton
prochain », parce que tu ne veux pas quun autre pense à la tienne. « Ne
désire pas ce qui appartient à un autre 3»,
puisquon te déplaît quand on désire ce qui est à toi. Interroge donc tes propres
sentiments, puisquon ne peut te nuire sans te déplaire. Tous ces préceptes nous
viennent de Dieu : cest un don de la suprême Sagesse; cest den haut
quils ont retenti. Touche donc le psaltérion, accomplis la loi que le Seigneur ton
Dieu est venu, non pas détruire, mais accomplir lui-même 4. Car tu accompliras par amour ce que tu ne pouvais
accomplir par la crainte. Celui qui névite le mal que par la crainte, le ferait
volontiers, sans la défense. Je ne le commets point, dira-t-il. Pourquoi? parce que je
crains. Tu naimes pas encore la justice, tu es encore dans lesclavage : sois
donc un fils, car un bon esclave 1. Jean, VIII, 34. 2. Ps. XXXVI, 4. 3. Exod. XX, 1-17; Deut. V, 6-21.
Matt. V, 17. peut devenir un bon fils. Jusque-là évite le mal par crainte, et tu apprendras à léviter par amour. Car la justice a ses charmes. Que le châtiment tarrête. Là justice a sa beauté, elle cherche les regards, elle attise lamour en ceux qui laiment. Cest pour elle que les martyrs ont foulé aux pieds le monde, et répandu leur sang. Quaimaient-ils en renonçant à tous ces biens? Car naimaient-ils rien? et vous parlons-nous ainsi pour éteindre lamour en vos coeurs? Il est froid, il est glacé le coeur qui naime point. Aimez donc; seulement aimez cette beauté qui charme les yeux du coeur. Aimez, seulement aimez cette beauté qui enflamme les coeurs quand on chante la justice. Voilà des hommes qui parlent, qui se récrient, qui disent partout : Cest bien; cest très bien. Quont-ils vu ? lis ont vu la justice qui donne la beauté au vieillard , fût-il courbé. Quon voie marcher ce vieillard doué de justice, il ny a rien en lui de corporel que lon puisse aimer, et néanmoins il est aimé de tous. On aime en lui ce qui est invisible, ou plutôt on aime en lui ce quil y a de visible pour le coeur. Que le vrai bien fasse donc vos délices, demandez à Dieu quil ait pour tous des attraits. « Car le Seigneur épanchera sur nous ses délices, et la terre produira son fruit (Ps. LXXXIV, 13) ». Afin que vous accomplissiez par la charité ce quil est difficile daccomplir par la crainte. Que dis-je, difficile? Lesprit ne le peut encore : il aimerait mieux quil ny eût aucun précepte, quand cest la sainte qui le fait obéir, et non lamour qui ly détermine. Retiens-toi de tout larcin et redoute lenfer, lai est-il dit : il aimerait mieux quil ny eût point denfer pour lengloutir. Mais quand est-ce quil commence à aimer la justice, sinon quand il sabstient de tout vol, dût-il ny avoir point denfer pour engloutir les voleurs? Cest là aimer la justice. 7. Mais cette justice, quest-elle donc ? qui pourra la peindre? Quelle beauté reluit dans la sagesse de Dieu? Cest elle qui donne le charme à tout ce qui a de lattrait pour nos yeux: pour la voir, pour lembrasser, il faut purifier nos coeurs. Cest elle que nous faisons profession daimer ; et cest elle qui compose tout en nous, afin que rien ne lui déplaise. Et quand les hommes blâment en nous ce que nous faisons pour plaire à cette sagesse que nous aimons, combien peu nous estimons de tels censeurs, quel peu de souci, et même quel mépris ils nous inspirent? Voilà des hommes qui ont pour des femmes un amour condamnable; que ces amantes les ajustent selon leur goût, et ils sinquiètent peu de déplaire aux autres quand ils plaisent à ces femmes, et il leur suffit dêtre au goût de celles dont ils recherchent les faveurs : et souvent, ou plutôt toujours, ils déplaisent aux hommes plus mûrs, et trouvent leur condamnation chez les hommes judicieux. Votre chevelure est mal arrangée, dit un homme austère à un jeune impudique, ces frisures sont indécentes. Mais cet amant sait bien que ses cheveux ainsi bouclés plaisent à je ne sais quelle créature, et alors il te hait pour ta juste réprimande, et il conserve cet ajustement qui ne plaît quau goût dépravé, lite prend pour un ennemi, parce que tu le rappelles à la décence. Il se dérobe à tes regards, et sinquiète peu si ta réprimande est juste. Si donc ils méprisent les blâmes de la vérité, pour affecter une beauté fictive ; pour nous, dans ce que nous faisons pour plaire à la divine sagesse, quel cas nous faudra-t-il faire de ces railleurs injustes, qui nont pas les yeux pour voir ce que nous aimons? Pensez-y, ô vous qui avez le coeur droit, « et bénissez Dieu sur la harpe, et chantez-le sur le psaltérion à dix cordes». 8. « Chantez-lui un cantique nouveau (Ps. XXXII, 3 ) ». Dépouillez-vous du vieil homme: vous connaissez le cantique nouveau. Le nouvel homme, la nouvelle alliance, voilà le cantique nouveau. Le cantique nouveau nest point lhéritage du vieil homme: il ny a pour lapprendre que les hommes nouveaux, qui ont rajeuni le vieil homme dans la grâce, et qui appartiennent au Nouveau Testament, cest- à-dire au royaume des cieux. Cest vers lui que notre amour exhale ses soupirs, à lui quil chante ses cantiques. Quil chante ce cantique, non de la voix, mais par les actions de la vie. « Chantez-lui un cantique nouveau, chantez-le sagement ». Chacun se demande : comment chanter à Dieu ? Oui, chantez, mais quil ny ait aucun désaccord; Dieu ne peut souffrir que lon blesse ses oreilles. Chante sagement, ô mon frère. Devant un habile musicien qui doit técouter; que lon te dise Chante pour lui plaire, si tu crains de chanter parce que tut es dépourvu de science musicale, et quun (301) artiste peut trouver en toi des défauts inaperçus pour un ignorant: qui se flattera de chanter avec harmonie, pour Dieu, qui juge du chantre avec tant de sagacité, qui pénètre dans tous les détails, qui écoute si attentivement? Quand votre chant sera-t-il assez harmonieux, pour noffenser en rien des oreilles si délicates ? Voici quil vous prescrit lui-même la manière de chanter; ne cherchez point les paroles comme si vous pouviez en trouver pour expliquer ce qui plaît à Dieu. Chantez « par vos transports ». Pour Dieu, bien chanter, cest chanter dans la joie. Mais quest-ce que chanter avec transport? Cest comprendre que des paroles sont impuissantes à rendre le chant du coeur. Voyez ces travailleurs qui chantent soit dans les moissons, soit dans les vendanges, soit dans tout autre labeur pénible : ils témoignent dabord leur joie par des paroles quils chantent; puis, comme sous le poids dune grande joie que des paroles ne sauraient exprimer, ils négligent toute parole articulée et prennent la marche plus libre de sons confus. Cette jubilation est donc pour le coeur un son qui signifie quil ne peut dire ce quil conçoit et enfante. Or, à qui convient cette jubilation, sinon à Dieu qui est ineffable? Car on appelle ineffable ce qui est au-dessus de toute expression. Mais si, ne pouvant lexprimer, vous- devez néanmoins parler de lui, quelle ressource avez-vous autre que la jubilation, autre que cette joie inexprimable du coeur, cette joie sans mesure, qui franchit les bornes de toutes les syllabes? « Chantez harmonieusement, chantez dans votre jubilation ». 9. « Car la parole du Seigneur est
droite, e et toutes ses oeuvres sont dans la foi ». Et cest même par sa
droiture quil déplaît à ceux dont le coeur nest pas droit. « Toutes
ses oeuvres sont dans la foi » ; que les tiennes aussi soient dans la foi, « car le
juste vit de la foi 1», et cest
« la foi qui agit par la charité 2 ».
Que tes oeuvres soient dans la foi, parce que cest en croyant en Dieu que tu deviens
fidèle. Mais comment les oeuvres de Dieu peuvent-elles être dans la foi, comme sil
vivait aussi de la foi? Cependant nous trouvons que Dieu est fidèle, et ce nest
point moi qui tiens ce langage, écoutez lApôtre: « Dieu est fidèle »
,dit-il, « et ne souffrira point que vous soyez tentés au-dessus de vos forces, mais il
1. Rom. I,
17. 2. Gal. V, 6. vous fera profiter de la tentation afin que vous puissiez persévérer 1 ». Dieu est fidèle, vous lentendez; écoutez ce quil dit ailleurs : « Si nous souffrons avec lui, nous régnerons aussi avec lui; si nous le renonçons, il nous renoncera aussi; si nous lui sommes fidèles, il demeurera fidèle, car il ne peut être contraire à lui-même 2 ». Nous avons donc aussi un Dieu qui est fidèle. Distinguons toutefois la fidélité de Dieu de la fidélité de lhomme. Lhomme est fidèle quand il croit aux promesses que Dieu lui fait ; Dieu est fidèle quand il donne à lhomme ce quil lui a promis. Sa grande miséricorde à nous promettre, nous garantit sa fidélité à tenir sa promesse. Nous ne lui avons rien prêté pour faire de lui notre débiteur; cest de lui que nous vient tout ce que nous pouvons lui offrir, et si nous avons quelque valeur, nous la tenons de lui. Tous les biens qui font notre joie viennent de lui. « Qui connaît en effet les desseins de Dieu ? ou qui est entré dans ses conseils? ou qui lui a donné le premier, pour en attendre une récompense? Tout est de lui, tout est par lui, tout est en lui 2 ». Donc nous ne bai avons rien donné, et néanmoins il est notre débiteur. Pourquoi débiteur? parce quil a fait des promesses. Nous ne lui disons point: Seigneur, rendez ce que vous avez reçu; mais bien: « Donnez ce que vous avez promis » . « Car la parole du Seigneur est droite » . Quest-ce à dire, que « la parole du Seigneur est droite? » Quelle ne vous trompe jamais, et que vous ne devez point la tromper, ou mieux, vous tromper vous-mêmes. Comment tromper en effet celui qui connaît tout? « Mais liniquité ment contre elle-même 4 . Car le discours du Seigneur est droit, et toutes ses oeuvres sont dans la foi ». 10. « Il aime la miséricorde et le
jugement 5 ». Aimez-les, puisque Dieu les
aime. Appliquez-vous, mes frères. Cest maintenant le temps de la miséricorde,
ensuite viendra celui du jugement. Pourquoi est-ce aujourdhui celui de la
miséricorde? Cest que maintenant il appelle ceux qui se détournent de lui, et
quil pardonne à ceux qui se tournent vers lui ; cest quil attend avec
patience que les pécheurs se convertissent; cest quaprès leur conversion il
oublie le passé, il promet lavenir, il stimule la lenteur, il console dans 1. I Cor. x,
13. 2. II Tim. 11,12, 13. 3. Rom. XI, 34-36. 4. Ps. XXVI, 12. 5. Id. XXII, 5. (302) laffliction, il enseigne ceux qui sont studieux, il vient en aide à ceux qui combattent: il nabandonne aucun de ceux qui sont dans la peine et qui crient vers lui; il nous donne ce que nous devons lui offrir en sacrifice, et nous met en main de quoi lapaiser. Quun temps si précieux de miséricorde ne passe point pour nous, ô mes frères, quil ne sécoule point inutilement pour nous. Toutefois viendra le jugement avec son repentir, et repentir sans fruit. « Ils diront en eux-mêmes dans le repentir, et gémissant dans langoisse de leur esprit »; cest là ce qui est écrit au livre de la Sagesse : « De quoi nous a servi lorgueil, et que nous a procuré lostentation des richesses? Toutes ces choses ont passé comme lombre 1 ». Disons maintenant : « Tout passe comme lombre ». Disons utilement: « Tout passe», de peur quun jour nous ne disions sans profit : « Tout est passé ». Cest donc maintenant le temps de la miséricorde que doit suivre le temps du jugement. 11. Toutefois, mes frères, gardez-vous de
croire que ces deux attributs puissent être séparés en Dieu. Il semble, en effet,
quils soient contradictoires, et que la miséricorde ne devrait point se réserver
le jugement, comme le jugement devrait se faire sans miséricorde. Lis Dieu est
tout-puissant, et dans sa miséricorde il exerce la justice, comme dans ses jugements il
noublie point la miséricorde. Car il nous prend en pitié, il considère en nous
son image, notre fragilité, nos erreurs, antre aveuglement, et il nous appelle, et il
pardonne les fautes à ceux qui se tournent vers lui, mais il les retient à ceux qui ne
se convertissent point. Est-il miséricordieux pour ceux qui sont injustes? Abandonne-t-il
pour cela sa justice, et doit-il confondre le juste avec linjuste? Vous
paraîtrait-il juste de traiter de la même manière le pécheur qui se convertit et celui
qui ne se convertit point, de faire le même accueil à celui qui avoue ses fautes et à
celui qui les déguise, à lhomme humble et à lhomme superbe? Dieu donc
exerce la justice, tout en faisant miséricorde, et dans cette justice, il exercera sa
miséricorde à légard de ceux à qui il dira : « Jai eu faim, et vous
mavez donné à manger 2 ». Car il est
dit quelque part dans une lettre apostolique: « Dieu exercera un jugement sans
miséricorde envers celui qui naura pas fait 1. Sag. V, 3, 8, 9.
2. Matt. XXV, 25. miséricorde 1». « Bienheureux les miséricordieux », est-il dit encore, « parce quils obtiendront miséricorde 2 ». Donc en les jugeant, Dieu usera de miséricorde, mais non sans discernement. Car sil nuse pas de miséricorde envers tous, mais seulement envers celui qui aura été miséricordieux, sa miséricorde sera juste, puisquil ny aura point de confusion. Cest évidemment par un effet de sa miséricorde quil nous remet nos péchés; cest par miséricorde quil nous accorde la vie éternelle ; mais voyez en même temps léquité: « Pardonnez, et lon vous pardonnera; donnez, et il vous sera donné 3 ». Assurément, « vous donner, vous pardonner », telle est bien la miséricorde. Mais si la miséricorde était séparée de la justice, le Sauveur ne dirait point: « On se servira pour vous de la même mesure dont vous vous serez servis 4 » 12. Tu as entendu, ô mon frère, comment
Dieu exerce la miséricorde et le jugement, et toi aussi, sois juste et miséricordieux.
Ces deux attributs sont-ils exclusivement ceux de Dieu et non des hommes? Sils ne
regardaient point les hommes, Dieu ne dirait pas aux Pharisiens: « Vous omettez ce
quil y a de plus important dans la loi: la justice et la miséricorde 5 ». Garde-toi de croire que tu ne doives exercer que
la miséricorde et non le jugement. Tu es quelquefois arbitre dans un différend entre
deux hommes, dont lun est riche et lautre pauvre ; et il arrive que la
mauvaise cause est celle du pauvre, tandis que le riche soutient la vérité ; si tu es
ignorant dans les choses de Dieu, tu croiras bien faire de prendre le pauvre en pitié,
datténuer, de cacher son tort, de vouloir le justifier, afin quil paraisse
avoir pour lui le bon droit: et si lon te reproche linjustice de ta sentence,
tu prends pour excuse une fausse miséricorde, en disant : Je sais tout cela, jai
compris laffaire, mais cétait un pauvre, il fallait en avoir pitié.
Nest-ce point là faire miséricorde au détriment de la justice? Mais comment,
diras-tu, pouvoir être juste sans oublier la miséricorde? Jaurais prononcé contre
un pauvre qui navait pas de quoi payer, ou sil avait pu payer, il
naurait plus rien eu pour vivre? Voici la réponse de Dieu: « Tu ne feras pas
acception du pauvre dans tes jugements 6». 1. Jacques, II 13. 2. Matt. V, 7. 3. Luc, VI, 37, 38. 4. Matt. VII, 2. 5. Id. XXIII, 23. 6. Exod. XXXIII, 3. (303) Quant au riche, il est aisé de comprendre quon ne doit point faire acception en sa faveur. Tout homme le voit, et plaise à Dieu que tout homme le pratique ; lerreur la plus facile consiste donc à chercher à plaire à Dieu, en jugeant en faveur du pauvre, comme si lon voulait dire à Dieu : Jai fait grâce au pauvre. Mais il fallait être à la fois juste et miséricordieux. Quelle est dabord cette miséricorde qui consiste à favoriser linjustice? Tu as ménagé sa bourse, mais percé son cur : ce pauvre est demeuré dans linjustice, et dans une injustice dautant plus funeste quil te voit favoriser son injustice, toi quil croyait un homme juste. Il ta quitté couvert de ton injuste protection, pour tomber sous la juste condamnation du Seigneur. Quelle miséricorde lui as-tu faite en le rendant injuste? Il y a plus de cruauté que de miséricorde. Mais, diras-tu, que fallait-il faire? Il fallait parler selon la justice, reprendre le pauvre, fléchir le riche. Il y a un temps pour juger et un temps pour demander. Quand le riche taurait vu garder les règles de léquité, ne point favoriser dans le pauvre son arrogante injustice, naurait-il pas été incliné à lui faire grâce sur ta demande, dans la joie que lui aurait causé ta sentence? Il nous reste, mes frères, une grande
partie du psaume, et il faut consulter les forces de lâme et du corps chez mes
auditeurs si divers; car si le froment nous donne à tous une même nourriture, il semble
néanmoins saccommoder aux goûts différents, et ainsi échapper au dégoût. Que
ce soit donc assez pour aujourdhui. TROISIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXXII.DEUXIÈME SERMON. CRAINTE ET AMOUR
DE DIEU. Ce discours embrasse la seconde partie du psaume. Le saint
docteur, après avoir fait quelques allusions aux Ariens et aux Donatistes, établit que
nous ne devons craindre que le Seigneur qui a envoyé des brebis au milieu des loups, et
ces loups sont devenus brebis, qui peut seul donner aux créatures la puissance de nous
nuire ; naimer que le Seigneur afin de le posséder, parce quil est seul
capable de nous rendre meilleurs, et dêtre son héritage, ce qui est le bonheur
parfait. Prier pour les hérétiques. 1. Prêcher la parole de vérité aussi bien que lécouter, cest un labeur. Mais cest un labeur que nous endurons volontiers quand nous pensons à larrêt du Seigneur et à notre condition. Car, dès le berceau du genre humain, lhomme a entendu cette parole, non point dun homme qui pût le tromper, ni du diable qui est séducteur, mais de la vérité même qui émanait de la bouche de Dieu: « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front (Gen. III, 19)».Donc si notre pain est la parole de Dieu, il nous faut suer pour lentendre, plutôt que de mourir de faim. Dans la solennité de nos dernières vigiles, nous avons expliqué les premiers versets du psaume; expliquons le reste aujourdhui. 2. Voici où commence la partie qui nous
reste et que nous venons de chanter : « La terre
est pleine de la miséricorde du Seigneur. Cest la parole de Dieu qui affermit les
cieux 1 ». Cest-à-dire que cette
parole donne aux cieux leur solidité. Le Prophète avait dit plus haut : « Chantez avec
sagesse et dans vos transports », cest-à-dire chantez dune manière
ineffable : « Parce que la parole du Seigneur est droite et que ses uvres sont dans
la fidélité 2 ». Il ne promet rien
quil ne tienne : il est un débiteur fidèle, et toi, sois exigeant comme
lavare. Après avoir dit : « Toutes ses oeuvres sont dans la foi », le
Prophète ajoute : « Il aime la miséricorde et
le jugement 3 ». Mais celui qui aime la
miséricorde a de la compassion. Or, celui qui a de la compassion peut-il promettre
sans 1. Ps. XXXII, 5, 6. 2. Id. 3, 4. 3. Id. 5. donner, lui qui pourrait donner sans avoir promis? Donc celui qui aime la miséricorde doit donner ce quil a promis; mais comme il aime aussi le jugement, il doit exiger le fruit de ses dons. Aussi le Seigneur dit-il à un certain serviteur: « Que ne mettais-tu mon argent à la banque, afin quà mon retour jen retirasse le fruit 1? » Je vous rappelle tout ceci, mes frères, afin que nous comprenions ce que nous venons dentendre. Car il dit dans un autre endroit de lEvangile: « Pour moi, je ne juge personne, mais la parole que je nous ai annoncée vous jugera au dernier jour 2 ». Et que celui qui ne veut point entendre ne dise point pour excuse quil ne lui sera rien demandé au dernier jour. Car cest de son refus de recevoir ce quon lui donnait quon lui demandera compte. Navoir pu recevoir et navoir pas voulu sont bien différents : on peut, dans un cas, faire valoir son impuissance; mais dans lautre, cest la volonté qui est coupable. Donc « toutes les uvres de Dieu sont dans la foi; il aime la miséricorde et le jugement». Recevez la miséricorde, mais craignez la justice. De peur que, quand il viendra nous redemander ce quil nous aura donné, il ne le fasse de manière à nous renvoyer les mains vides. Car il nous demande compte, et après le compte rendu, il nous donne léternité. Recevez donc la miséricorde, ô mes frères, recevons-la tous. Que nul dentre vous ne sendorme pour la recevoir, de peur quon ne le réveille pour son malheur au moment den rendre compte. Recevez la miséricorde; voilà ce que Dieu nous dit, comme si , en un temps de famine, on criait : Recevez des vivres. Et si tu en trouvais en semblable occasion, quelle serait ta conduite? Quel retard mettrais-tu à venir? Eh bien! aujourdhui on te tient ce langage Recevez la miséricorde, « car Dieu aime la miséricorde et le jugement». Après lavoir reçue, fais-en un saint usage, afin den rendre un compte facile, quand viendra pour juger celui-là même qui te prête sa miséricorde en ces temps de famine. 3. Garde-toi donc de me dire : Doù
me viendra cette miséricorde? et où me faut-il aller? Souviens-toi de ces paroles que tu
viens de chanter: « La terre est pleine des miséricordes du Seigneur 3 ». Où donc lEvangile nest-il pas
prêché? Où cette parole de Dieu 1. Luc, XIX, 23. 2. Jean, VIII, 15, XII, 48. 3. Ps.
XXXII, 5. 4. « La terre est pleine des miséricordes du Seigneur ». Que dire des cieux? Ecoute ce quil en est des cieux. La miséricorde y est inutile, puisquil ny a aucune misère. Sur la terre, la misère abonde, mais il y a une surabondance de miséricordes. La terre est pleine des misères de lhomme, « et la terre est pleine des miséricordes du Seigneur ». Et toutefois, dans le ciel où il ny a point de misère, et où lon na pas besoin de miséricorde, na-t-on pas besoin du Seigneur? Heureux ou malheureux, tout a besoin de Dieu. Sans lui, le malheur na plus de soulagement, comme sans lui, le bonheur na plus de règle. Si donc, après avoir entendu : « La terre est pleine des miséricordes du Seigneur », tu tinformais des cieux, écoute combien les cieux ont besoin de lui. « Cest la parole du Seigneur qui affermit les cieux». Ils ne saffermissent donc point deux-mêmes, et leur solidité nest point leur ouvrage. « Cest la parole du Seigneur qui affermit les cieux, et toute leur force vient du souffle de sa bouche 2 » . Ils navaient donc rien par eux-mêmes, et ce qui leur vient du Seigneur nétait pas un supplément. « Cest du souffle du Seigneur que leur vient », non en partie, mais totalement « leur solidité ». 5. Voyez, mes frères, que les oeuvres du
Fils et du Saint-Esprit sont les mêmes. Nous ne devons point négliger de le dire en
passant, à propos de certaines distinctions injustes, et de quelques confusions trop
profondes. Il y a fausseté dans lun et dans lautre système. Par défaut de
distinction, ceux-ci confondent la créature avec le Créateur, et comptent parmi les
créatures lEsprit de Dieu, Esprit qui est créateur : ceux-ci discernent pour
confondre; et puissent-ils être confondus et se convertir, comprendre ici que le 1. Soph. II, 11. 2. Ps. XXII, 6. (305) Fils et lEsprit-Saint nont quune même oeuvre ! La parole de Dieu est assurément le Fils de Dieu, comme le souffle de sa bouche est lEsprit-Saint; or, « cest la parole de Dieu qui affermit les cieux » .Quest-ce, pour eux, quêtre affermis, sinon avoir la solidité, être inébranlables? «Cest du souffle de sa bouche que leur vient la solidité ». On pourrait aussi bien dire : Cest le souffle de sa bouche qui affermit les cieux, et de son Verbe que leur vient la solidité. Car la solidité ale même sens que laffermissement. Loeuvre du Fils est donc aussi loeuvre du Saint-Esprit. Mais agissent-ils séparément du Père? Qui est-ce qui agit par son Verbe et par lEsprit-Saint, sinon celui à qui appartiennent le Verbe et le Saint-Esprit? Donc la Trinité est un seul Dieu. Cest lui quadorent tous ceux qui savent ce quils doivent adorer; cest lui que rencontre partout celui qui veut se convertir. Ceux qui séloignent de lui ne le recherchent point; mais il les rappelle de leur éloignement, afin de les remplir après leur conversion. 6. Je laisse de côté, mes frères, ces
cieux qui nous dominent, qui nous sont inconnus, pendant que nous sommes sur la terre, et
que nous ne pouvons connaître que par dhumaines conjectures; je ne moccuperai
donc point des cieux, pour en expliquer la hiérarchie, le nombre, la différence des uns
aux autres, les bienheureux habitants, et cet hymne harmonieux et sans fin qui
sélève de toutes parts à la gloire de Dieu ; cest là une tâche difficile;
toutefois efforçons-nous dy arriver un jour. Car là est notre patrie, quun
long exil nous fait trop oublier. Cest nous en effet qui disons dans un psaume: «
Malheur à moi, dont lexil se prolonge 1
». Il est donc difficile, sinon impossible, et pour moi de vous parler du ciel, et pour
vous de me comprendre. Si quelquun ma devancé dans lintelligence de ces
choses divines, quil jouisse de son avance, et quil prie pour moi afin que je
puisse le suivre. Sans parler donc des cieux, nous avons une ample matière de discours,
dans ces autres cieux plus rapprochés de nous, qui sont les saints Apôtres de Dieu, les
prédicateurs de la parole de vérité, qui ont fait pleuvoir sur nous une douce rosée,
afin que le champ de lEglise produisît cette fertile moisson, qui boit, à la
vérité, la même pluie que livraie, mais qui nest pas destinée au même
grenier. 1. Ps. CXIX, 5. 2. Matt. XII, 30. 7. Donc après nous avoir dit que « la
terre est pleine de la miséricorde du Seigneur », le Prophète, comme si vous
demandiez: Doù vient sur la terre cette abondante miséricorde? met dabord en
avant, les cieux qui ont fait pleuvoir la divine miséricorde sur la terre, et sur toute
la terre. Car voyez ce qui est dit ailleurs à propos des cieux: « Les cieux racontent la
gloire de Dieu, et le firmament publie loeuvre de ses mains 1 ». Les cieux et le firmament sont identiques. « Le
jour parle au jour, et la nuit donne la science à la nuit ». Jamais
dinterruption, jamais de silence. Mais où donc ont-ils prêché, et jusquoù
sont-ils parvenus? « Il nest point de discours, point de langage dans lequel on
nentende point cette voix 2 ». Mais,
diras-tu, cette prédiction regarde ce qui arriva quand les Apôtres, assemblés en un
même lieu, parlèrent la langue de fous. Or, « ayant parlé toutes les langues 3 », ils accomplirent ce qui était prédit : «
Il nest point de discours, point de langage, dans lequel on nentende point
cette voix ». Mais je demande: Cette voix qui parlait toutes les langues,
jusquoù est-elle arrivée, quelle contrée a-t-elle remplie ? Ecoute ce qui suit :
« Leur voix a éclaté par toute la terre, et leurs paroles ont retenti jusquaux
confins du monde 4». De qui ces paroles,
sinon des cieux qui racontent la gloire de Dieu? Donc si leur voix a éclaté par toute la
terre, si leurs paroles ont retenti jusquaux confins du monde, que celui qui les a
envoyés, nous dise ce quils nous ont annoncé. Il nous le dit nettement, il nous le
dit avec fidélité ; car il nous a prédit tout cela, même avant laccomplissement,
celui dont toutes les oeuvres sont dans la foi. Car il est ressuscité dentre les
morts, et comme ses disciples le reconnaissaient en le touchant, il leur dit : « Il
fallait que le Christ souffrît, quil ressuscitât des morts, et que lon
prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés 5 ». Depuis où et jusquoù? « Par toutes
les nations », leur dit-il, « en commençant par Jérusalem ». Or, quel plus
grand acte de miséricorde pouvons-nous espérer tous, nies frères, sinon que le Seigneur
nous remette nos péchés? Si donc la rémission des péchés est la plus grande
miséricorde pour nous, et 1. Ps. XVIII,
2 2. Ibid 4. 3. Act.
II, 4. 4. Ps. XVIII,5, 5. Luc, XXIV, 46, 47. (306) sil a prédit que ce pardon des péchés serait annoncé chez toutes les nations, « la terre test pleine de la miséricorde du Seigneur». De quoi la terre est-elle pleine ? de la divine miséricorde. Pourquoi? parce que le Seigneur remet partout les péchés, parce quil a envoyé les cieux pour pleuvoir sur la terre. 8. Et comment ces cieux ont-ils osé sen aller avec tant dassurance; et, dhommes faibles quils étaient, sont-ils devenus des cieux, sinon parce que « le Verbe de Dieu leur a donné la foi?» Doù serait venu à ces brebis tant de courage parmi les loups, si « lEsprit de sa bouche neût été leur force? Voilà », dit le Sauveur, « que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups 1 ». O Seigneur, Dieu de miséricorde ! vous en agissez de la sorte, afin que vos miséricordes se répandent par toute la terre. Si donc telle est votre miséricorde que la terre en soit comblée, considérez ceux que vous envoyez, et où vous les envoyez. Où les envoyez-vous, dis-je, et quels hommes envoyez-vous? Vous envoyez des brebis au milieu des loups. Mais envoyez un loup, un seul, au milieu dun troupeau innombrable de brebis, qui lui résistera ? Quel carnage nen fera-t-il pas, sil nest bientôt rassasié ? Autrement il dévorera tout. Vous envoyez donc des hommes faibles parmi des hommes sanguinaires? Je les envoie, dit-il, parce quils deviendront des cieux pour arroser la terre. Comment des hommes infirmes sont-ils des cieux? cest que « le souffle de sa bouche fait toute leur force ». Voilà que bientôt les loups vous saisiront, vous traîneront en jugement, vous feront paraître devant les puissances, à cause de mon nom. Quant à vous, revêtez-vous de vos propres armes. Sera-ce de votre vertu? Non. « Ne pensez point à ce que vous répondrez : car ce nest point vous qui parlerez, mais lesprit de votre Père qui parlera en vous 2; car cest dans le souffle de sa bouche quest toute leur force ». 9. Cest là ce qui est arrivé; les
Apôtres sont allés dans le monde, ils ont souffert de grands maux. Car souffrons-nous
autant pour entendre ces vérités, quils ont souffert pour les annoncer? Non
assurément. Notre labeur sera-t-il pour cela sans fruit? Non encore. Je vous vois en
foule compacte ; mais vous, voyez la sueur de mon front. Si nous souffrons 1. Matt, X,
16. 2. Id. 19, 20. avec le Christ, nous régnerons aussi avec lui 1. Cela sest donc fait. Et aujourdhui nous célébrons la mémoire des martyrs, ou de ces brebis envoyées au milieu des loups 2. Ce lieu où nous parlons était infesté de loups, quand fut égorgé le bienheureux martyr Cyprien: une seule brebis que lon saisit fut plus forte que tous les loups ensemble, une seule brebis égorgée a peuplé de brebis cette contrée. Alors la mer en courroux soulevait le flot des persécutions, et couvrait la terre sèche, qui avait soif du ciel de Dieu. Aujourdhui le nom de Jésus-Christ est glorifié par les douleurs quont endurées ceux qui ont brisé les persécuteurs dans leur choc : et il sest assujetti toutes ces puissances, en foulant aux pieds ce flot de labîme. Or, quand tout cela sest accompli, pensez-vous quils voient dun oeil calme et sans frémir de colère, et nos assemblées, et nos fêtes, et nos solennités, et ces manifestations publiques de notre culte, ceux qui en sont les témoins, sans partager notre foi ? Cest alors que saccomplit sur eux cette prophétie : « Le pécheur verra, et il frémira de colère ». Mais quarrivera-t-il de cette colère? O brebis, ne craignez plus ce loup féroce. Ne redoutez maintenant, ni sa rage, ni ses impuissantes menaces. Il sirrite : mais après? « Il grincera des dents, il séchera de dépit 3 ». 10. Mais comme cette eau salée de la mer, qui demeure encore parmi nous, nose plus sélever contre les chrétiens, et quelle dévore en elle-même son propre courroux; parce que cette eau frémit de se trouver renfermée dans un corps mortel, écoutez ce qui suit: « Il rassemble comme dans une outre les eaux de la mer 4 ». Donc cette mer, qui soulevait librement contre nous ses flots tumultueux , nest plus quune amertume renfermée dans quelques poitrines mortelles, et telle est loeuvre de celui qui a vaincu dans les siens, qui a posé des digues à la mer a, afin que ses flots refoulés en son sein, brisassent contre eux-mêmes leur propre fureur. Cest lui qui a rassemblé comme dans une outre les eaux de la mer : et toute pensée damertume dans un corps humain. Or, ces hommes hostiles, craignant pour leur vie, retiennent à lintérieur, ce quils nosent montrer au dehors. Cest toujours pour nous la même amertume, la même haine, la même fureur ; fureur autrefois à ciel ouvert, et 1. II Tim. II,12
2. Matt. X, 15. 3. Ps. CXI, 10. 4. Ps. XXXII, 7 5. Prov.
VIII, 29. (307) maintenant occulte, que vous dirai-je, sinon ces paroles du Prophète: « Il frémira, et il séchera de dépit ? ». Allez donc à léglise, et marchez: la voie est facile, elle est ouverte, battue par notre chef illustre qui veille à sa sûreté. Courons dans le chemin des bonnes oeuvres, car cest là quil nous faut marcher. Et si parfois il nous arrive des persécutions doù nous étions loin de les attendre, dès lors que les eaux sont renfermées comme dans une outre, comprenons que Dieu nen agit ainsi que pour notre bien spirituel, pour nous éloigner dune confiance téméraire dans les choses du temps, et pour régler nos désirs de manière à nous conduire dans son royaume. Tel est le désir qui éclate çà et là quand nous sommes sous le coup de la persécution, et alors nous rendons un son agréable à Dieu, comme ces trompettes en fer qua battues le marteau. Car le psalmiste nous invite à louer le Seigneur avec des trompettes martelées1. Ces trompettes sétendent sous le marteau, comme le coeur du chrétien sétend vers Dieu sous les coups de la persécution. 11. Et maintenant que leau de la mer est rassemblée comme dans une outre, noublions pas, mes frères, que Dieu ne manque pas de moyens de nous châtier quand il est nécessaire. Aussi le Prophète a-t-il ajouté : « Il y a des abîmes dans ses trésors ». Il appelle trésors les secrets de Dieu. Or, Dieu connaît les coeurs des hommes, ce quil doit faire en temps opportun, les moyens quil doit employer, le pouvoir quil doit donner aux méchants contre les bons, afin de condamner les méchants et de corriger les justes. Voilà ce que connaît celui qui met des abîmes dans ses trésors. Suivons donc le conseil suivant : « Que toute la terre craigne le Seigneur 2 ». Quelle ne sélève point dune joie téméraire et orgueilleuse, en disant : Voilà que les eaux de la mer sont rassemblées comme dans une outre; qui sélèvera contre moi? qui osera me nuire? Imprudent! ne sais-tu pas que ton père a mis des abîmes dans ses trésors? Ignores-tu quil sait quil a de quoi te châtier quand il lui plaît? Il a dans sa main les trésors de labîme, afin de tinstruire et de te diriger vers les trésors du ciel. Retourne donc à la crainte, ô toi qui déjà te croyais en sûreté! Que la terre tressaille donc, mais aussi quelle craigne. Quelle tressaille, et pourquoi? Parce 1. Ps. XCVII, 6. 2. Id. XXXII, 8 que la terre est pleine de la miséricorde du Seigneur. Quelle craigne, et pourquoi? Parce quil a renfermé comme dans une outre les eaux de la mer, de manière néanmoins à mettre des abîmes dans ses trésors. Mais il lui arrive ce qui est dit en deux mots dans un autre psaume : « Servez le Seigneur avec crainte, tressaillez en lui avec tremblement 1 ». 12. « Que la terre craigne le Seigneur;
quils tremblent devant lui, tous ceux qui habitent lunivers ».
Quils nen craignent point un autre, au lieu de le craindre: «Que ce soit
devant lui que tremblent tous ceux qui habitent la terre ». Une bête féroce te
menace? Crains le Seigneur. Un serpent se glisse? Crains le Seigneur. Un homme te hait?
Crains le Seigneur. Le démon te livre un assaut? Crains encore le Seigneur. Car celui que
tu dois craindre est le maître de toute créature. «Cest lui qui a dit, et tout a
été fait; il a commandé, et tout a été créé 2 ».Cest
là ce que nous dit ensuite le psalmiste. Après avoir dit : « Quils tremblent
devant lui, tous ceux qui habitent la terre », afin dôter à lhomme
toute autre crainte que celle de Dieu, de peur que lhomme, ne craignant plus Dieu,
nen vînt à craindre les créatures, et ne nué-prisât louvrier pour adorer
loeuvre; le Prophète nous affermit dans la crainte de Dieu seul, et
sadressant à nous : Que pouvez-vous craindre, dit-il, dans le ciel, ou dans la
terre, ou dans la mer? « Dieu a parlé, et tout a été fait; il a ordonné, et tout a
été créé ». Or, celui dont la parole a tout fait, dont la volonté a tout
créé, ordonne, et tout se met en mouvement; il ordonne encore, et tout demeure en repos.
Un homme, dans sa malice, peut bien avoir un désir de nuire qui lui soit propre; mais il
nen a le pouvoir que si Dieu le lui donne. « Car il ny a point de puissance
qui ne soit de Dieu 3 ». Cest une
maxime décisive de lApôtre. Il na point dit quil ny a point de
désir qui ne soit de Dieu, car il y a certains désirs mauvais qui ne viennent point de
Dieu; mais cette volonté perverse ne peut nuire à personne sans la permission du
Seigneur, puisquil ny a de puissance que celle qui vient de Dieu. De là vient
que lHomme-Dieu, au tribunal dun homme, lui disait: « Tu naurais aucun
pouvoir sur moi, sil ne tétait donné den haut 4 ». Cet homme 1. Ps. II, 11. 2. Ps. XXXII, 9. 3. Rom. XIII, 1. 4. Jean, XIX, 11. (308) jugeait, lHomme-Dieu instruisait; il nous instruisait quand on le jugeait, afin de juger ensuite ceux quil aurait instruits. « Tu naurais aucun pouvoir sur moi, sil ne tétait donné «den haut ».Quest-ce à dire? Est-ce lhomme seulement qui na de pouvoir quautant quil en reçoit den haut? Le diable lui-même a-t-il osé enlever au saint homme Job la moindre brebis avant davoir dit à Dieu: «Etendez votre main», cest-à-dire, donnez-moi le pouvoir? Le diable voulait, Dieu ne le permettait point; quand Dieu le permit, le diable eut le pouvoir; le pouvoir nest donc pas en lui, mais en Dieu qui a permis. Aussi Job, qui était bien instruit, ne dit pas, ainsi que je vous lai fait remarquer si souvent : Le Seigneur la donné, le diable la ôté mais bien : « Le Seigneur la donné, le Seigneur la ôté comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait 1 » ; et non, comme il a plu au diable. Vous donc, mes frères, qui ne pouvez quavec tant de peine goûter le pain salutaire de la parole, gardez-vous bien davoir dautre crainte que celle de Dieu. LEcriture nous avertit de ne craindre que lui seul. Que la terre entière craigne donc le Seigneur qui met des abîmes dans ses trésors. Quils tremblent devant lui, tous ceux qui habitent la surface de la terre : « Car cest lui qui a dit et tout a été fait; il a commandé et tout a été créé ». 13. Mais aujourdhui les princes, de méchants quils étaient, sont devenus bons: ils ont eux-mêmes accepté la foi, et sur leur front resplendit le signe du Christ, signe plus précieux que toute perle de leur diadème les persécuteurs ont disparu. Qui a fait cela? Toi, peut-être, afin de ten glorifier? « Le Seigneur dissipe «les desseins des nations, il réprouve les pensées des peuples, et renverse les conseils des princes 2 ». Quand ils ont dit: Exterminons les sur la terre; si nous le faisons, je nom de chrétien disparaîtra : quils subissent telle mort, tel genre de torture, quon leur inflige tel supplice. Ainsi disaient les princes, et lEglise grandissait au milieu de ces complots. « Le Seigneur confond les pensées des peuples, il renverse les conseils des princes ». 14. « Quant au dessein du Seigneur, il
demeure éternellement, et les pensées de son coeur subsistent dans les siècles des
siècles 3 ». Il y a ici répétition, car «
le 1. Job, I, 11, 21. 2. Ps. XXXII, 10. 3. Ibid. 11. 15. Quel est ce dessein? « Heureux le peuple 4 » Qui ne se réveille point à cette parole? Car chacun aime le bonheur: et tel est la dépravation des hommes quils veulent être méchants et non malheureux; et quoique le malheur soit linséparable compagnon de la méchanceté, ces hommes dépravés, non seulement veulent le mal sans le malheur, 1. Ps. CXLVII, 15. 2. Ps. II, 1. 3. Eph. I, IV. 4. Ps. XXXII, 12. (309) ce qui est impossible, mais ils ne recherchent le mal, quafin déviter le malheur. Que dis-je? ils ne recherchent le mal quafin déviter le malheur. Considérez en effet, mes frères, que tout homme qui fait le mal, cherche toujours à être heureux. Il commet un larcin et vous en demandez la cause? Mais cest la faim, cest la nécessité. Il est donc méchant pour éviter le malheur; et il est dautant plus malheureux, quil est encore méchant Cest donc pour écarter la misère, et pour acquérir la félicité, que les hommes agissent en bien ou en mal, ils recherchent incessamment le bonheur. Que leur vie soit criminelle ou coupable , cest le bonheur quils cherchent; mais tous natteignent pas le but de leurs recherches, et il ny aura dheureux que ceux qui auront voulu être justes. Et pourtant voilà je ne sais quel homme qui, pour faire le mal, voudrait être heureux. Par quels moyens? Par ses richesses, son or et son argent, ses domaines, ses terres, ses palais, ses esclaves, par une pompe toute mondaine, un honneur frivole et qui sévapore. ils veulent posséder pour être heureux; mais toi, cherche ce qui te donnera le bonheur. Dans la félicité, tu seras sans doute meilleur que dans ladversité. Mais il est impossible que tu deviennes meilleur, en possédant ce qui vaut bien moins que toi. Tu es homme, et tout ce que tu désires pour être heureux, est bien au-dessous de toi. Lor, largent, tout ce qui est corporel, dont tu convoites si avidement lacquisition, la possession, la jouissance, tout cela est bien inférieur à toi. Tu es plus que tout cela, tu as une valeur bien supérieure; et pour toi qui es misérable, désirer le bonheur, cest désirer dêtre meilleur que tu nes. Il est mieux assurément dêtre heureux que dêtre malheureux. Donc tu veux être supérieur à toi-même; et tu demandes cette supériorité à des choses qui te sont bien inférieures; car tout ce que tu peux rechercher sur la terre, est bien au-dessous de toi. Cest là ce que tout homme souhaite à son ami, dans ses protestations dattachement Puisses-tu aller mieux; puissions-nous te voir en meilleur état; puissions-nous nous réjouir de ton amélioration. Or, il veut pour lui-même, ce quil souhaite à son ami. Reçois donc un avis infaillible; tu veux être mieux que tu nes, je le sais, nous le savons tous, et même nous le désirons tous; eh bien! cherche ce qui est au-dessus de toi, afin dêtre ainsi plus que tu nes. 16. Regarde maintenant le ciel et la terre: que ces créatures douées de beauté naient point pour toi des charmes tels que tu cherches en elles son bonheur. Tu trouveras dans ton âme ce que tu désires. Tu veux le bonheur, cherche dans ton esprit ce qui lui est supérieur. Nous sommes formés dune double substance, de lâme et du corps, et comme de ces deux, celle qui est supérieure, est celle quon appelle âme, ton corps peut devenir meilleur par cette substance, qui a la supériorité, car le corps est soumis à lâme. Donc ton âme peut améliorer ton corps, eu sorte que ce corps devienne immortel quand lâne sera juste. Car cest par lillumination de lâme que le corps mérite dêtre immortel, en sorte que cest la substance supérieure, qui répare la substance inférieure. Si donc ton âme est pour ton corps le bien, à cause des a supériorité, quand tu cherches ton bien, il faut le chercher dans ce qui est supérieur à ton âme. Or, quest-ce que ton âme? Considère-le, de peur que, méprisant cette âme, et la prenant pour quelque chose de vil et dabject, tu nailles chercher pour cette âme un bonheur trop bas. Cest dans ton âme quest limage de Dieu 1, et lesprit de lhomme est capable de cette image; il la donc reçue mais il la défigure en sinclinant vers le péché. Voilà que vient, pour la réformer, celui qui lavait dabord formée; car cest par le Verbe que tout a été fait, et par le Verbe que cette image avait été empreinte en nous. Le Verbe est donc venu, afin de nous dire parla bouche de lApôtre : « Transformez-vous par le renouvellement de votre esprit 2 ». Il nous reste donc à chercher ce qui est supérieur à ton âme. Qui sera-ce, je te le demande, si ce nest Dieu? Tu ne trouveras pas une autre supériorité pour ton âme; car ta nature une fois perfectionnée sera égale ana anges. Il ny a donc au-dessus de nous que le Créateur. Cest vers lui quil faut télever, sans découragement, sans dire : Cest bien difficile. Il est plus difficile pour toi peut-être de posséder cet or que tu convoites. Malgré tes désirs, il est bien possible que tu nen puisses avoir; mais Dieu, tu lauras si tu le veux; car il a prévenu ta volonté en venant 1. Gen. I,
27. 2. Rom. XI, 2. à toi, et quand cette volonté séloignait, il lappelait; et quand tu revenais, il teffrayait; et quand, sous le poids de la crainte, tu confessais tes fautes, il te consolait. Cest de lui que tu tiens tout; cest lui qui ta donné lexistence, qui te donne le soleil, ainsi quaux méchants qui sont avec toi, qui donne la pluie 1, qui donne les fruits, qui ouvre les sources, qui donne la vie et le salut, et tant de consolations, lui qui te réserve ce quil ne donnera quà toi seul. Et quest-ce quil te réserve, si ce nest lui-même ? Cherche dans tes désirs, si tu peux trouver mieux. Cest lui-même que Dieu te réserve. O avare ! à quoi bon aspirer au ciel ou à la terre? Celui-là est bien supérieur, qui a fait le ciel et la terre: cest lui que tu verras, lui que tu posséderas. Pourquoi souhaiter que ce domaine tappartienne, et pourquoi dire en le traversant heureux le maître de ces biens? Cest là ce que disent tous ceux qui le traversent. Mais le dire, mais le traverser, mais secouer la tête et soupirer, est-ce là le posséder? La voix de la cupidité, cest la voix de liniquité; mais «Ne désirez point le bien du prochain 2 ». Bienheureux le maître de ce domaine, le maître de ce palais, le maître de cette campagne. Réprimez liniquité pour écouter la vérité. « Bienheureux le peuple dont.... » Quest-ce? Vous savez comment je dois achever. Désirez-le donc, afin de le posséder et dêtre heureux enfin. Lui seul fera votre bonheur; ce qui vous est supérieur, vous élèvera au-dessus de vous. Cest Dieu, dis-je, qui vous est supérieur, et cest lui qui vous a faits. «Bienheureux le peuple dont Dieu est le Seigneur ». Cest ce quil faut aimer, ce quil faut posséder, ce que tu auras à ta volonté, ce que tu auras gratuitement. 17. « Bienheureux le peuple dont le Seigneur est Dieu ». Est-ce notre Dieu? de quel peuple nest-il pas Dieu? Ce nest point de la même manière quil est le Dieu de tous. Il est plus spécialement notre Dieu, pour nous, qui vivons de lui comme du pain de chaque jour. Quil soit aussi notre héritage, notre possession. Nétions-nous pas téméraires en faisant de Dieu notre héritage, de lui qui est Dieu, de lui qui est Créateur ? Ce nest point de la témérité, cest un transport damour, cest lélan de notre espérance. Que notre âme dise dans labandon de la sécurité: « Cest vous qui êtes 1. Matt. V,
45. Deut. V, 21. mon Dieu », puisquil dit à notre âme: « Cest moi qui suis ton salut 1 ». Quelle le dise, et avec sécurité; elle ne fera point injure à Dieu par ce langage, elle en ferait en ne le tenant point, lite fallait des arbres pour devenir heureux? Ecoute lEcriture, qui dit de la Sagesse : « Cest larbre de vie pour ceux qui la possèdent 2 ». Vous le voyez, elle nous donne la sagesse pour héritage: mais de peur que vous ne croyiez que cette sagesse que lEcriture vous assigne pour héritage, est inférieure à vous, elle ajoute : « Elle est stable pour ceux qui sappuient sur elle comme sur le Seigneur ». Voilà que le Seigneur devient un bâton pour nous appuyer : lhomme peut sy appuyer en toute sûreté, parce que cet appui ne manque jamais. Dites donc avec sécurité quelle est notre héritage ; cest lEcriture qui le dit à ceux qui la possèdent, et dans votre doute elle vous donne la confiance. Parlez donc avec assurance, aimez avec assurance, espérez avec assurance. Que le psalmiste vous suggère ces paroles: « Le Seigneur est la part de mon héritage 3 ». 18. Donc, mes frères, nous serons
heureux, si nous possédons le Seigneur. Mais quoi? Le posséderons-nous sans quil
nous possède lui même? Pourquoi donc Isaïe a-t-il dit: « Seigneur, possédez-nous 4 ? » Dieu donc nous possède en même temps que nous
le possédons; et tout cela est pour notre bien. Toutefois il nen est pas de lui
comme de nous. Si nous le possédons, cest pour notre bonheur, mais il ne trouve pas
son bonheur à nous posséder, Il ne nous possède et ne se fait notre possession
quafin de nous rendre heureux. Nous le possédons et il nous possède, parce que
nous lhonorons, et quil nous cultive. Nous lhonorons comme un Dieu, il
nous exploite comme sa terre. Que nous ladorions, nul nen doute; mais qui nous
assure quil nous cultive? Lui-même, quand il dit : « Je suis la vigne, vous « en
êtes le sarment, et mon Père est le vigneron 5 ».
Nous trouvons lun et lautre dans ce psaume, lun et lautre y est
indiqué. Déjà il nous a dit que nous possédons Dieu: «Bienheureux le peuple dont le
Seigneur est Dieu ». De qui est ce champ? disons-nous. Dun tel. Et celui-ci?
de tel autre. Et celui-là? Faisons à propos de Dieu la même question. De même
quà propos de tel domaine, 1. Ps. XXXIV,
3. 2. Prov. III, 13. 3. Ps. XV, 5. 4. Isa. XXVI, 13. 5.
Jean, XV, 1, 5. de telle propriété vaste et agréable, on nous répond: Cest un certain sénateur, cest un tel, qui a tel nom, qui possède ces domaines; ce qui nions fait dire : Bienheureux cet homme-là! De même si mous demandons: De qui le Seigneur est-il Dieu? li est un peuple assez heureux pour lavoir, nous dira-t-on, car le Seigneur est leur Dieu. Mais il nen est pas du Dieu de cette nation comme du sénateur qui possède ce domaine, et qui nest pas à son tour la possession du domaine. Il faut donc nous efforcer dêtre son domaine ; car il y a une possession réciproque. Vous avez, entendu comment cette nation possède son Dieu : « Bienheureux le peuple dont le Seigneur est Dieu ». Ecoutez maintenant, comment il possède la nation : « Heureux le peuple que le Seigneur a choisi pour son héritage ! »Heureuse la nation à cause de lhéritage quelle possède ! Heureux lhéritage à cause du maître dont il est la possession! « Heureux le peuple que le Seigneur sest choisi pour héritage ! » 19. « Dieu a regardé du haut du ciel, il
a vu tous les enfants des hommes 1 ». Par
cette expression tous, il faut entendre tous ceux de cette nation qui appartiennent à
lhéritage, ou même qui forment cet héritage. Car ils sont tous lhéritage
du Seigneur, et il les a tous regardés du haut des cieux; il les a vus, celui qui adit:
« Je tai vu quand tu étais sous le figuier 2 ».
Je tai vu et tai pris en pitié. Cest ainsi quen implorant la
pitié dun homme, nous lui disons : Voyez-moi. Et que dites-vous de lhomme qui
vous méprise? Il ne me regarde pas. Il y a donc un regard de compassion, et non un regard
de punition. Ce dernier regard sur nos péchés serait un châtiment: et il ne veut point
que ses péchés soient vus, celui qui sécrie : « Détournez les yeux de mes
péchés 3 ». Il veut quon les lui
pardonne, et non quon les connaisse. « Détournez », dit-il, u détournez vos
yeux de mes péchés ». Mais sil détourne ses regards de vos péchés, il ne
vous verra plus? Pourquoi alors est-il dit ailleurs: « Ne détournez point de moi votre
face 4? » Que le Seigneur donc détourne les
yeux de tes péchés, et nom de toi-même; quil te voie, quil te prenne en
pitié, qu il vienne à ton aide. « Le Seigneur a regardé du haut des cieux, il a
vu les enfants des hommes» qui appartiennent au Fils de lhomme. 1. Ps XXXI, 13. 2.
Jean, I, 48. 3. Ps. L, 11. 4. Id. XXV, 9. 20. « Il les a regardés de sa tente 1 », quil sétait préparée. Il nous a vus par ses Apôtres, par ses prédicateurs de la vérité, par les messagers quil nous a envoyés. Tout cela forme sa maison, tout cela cest sa tente, tout cela cest le ciel qui raconte la gloire de Dieu 2. « Il a vu tous les enfants des hommes du haut de la tente quil sest préparée; il a regardé tous ceux qui habitent la terre 3 ». Ce sont ceux-là quil ,a regardés, ceux qui sont à lui, cette nation bienheureuse, celle dont le Seigneur est Dieu; cest ce peuple que le Seigneur sest choisi pour son héritage, parce quil est répandu par toute la terre, et non point sur une partie. « Il a jeté les yeux sur tous ceux qui habitent la terre ». 21. « Cest lui qui a formé le
coeur de chacun deux ». Par la main de sa grâce, par la main de sa miséricorde, il a formé nos coeurs,
il les a formés séparément, nous donnant à chacun le coeur qui nous est propre, sans
déroger à lunité. De même que nos membres sont formés à part, quils ont
chacun leur fonction séparée, et quils vivent néanmoins en harmonie; que la main
a dautres fonctions que les yeux, que loreille peut faire ce que ne tout ni
les yeux ni la main, et que tous ces membres néanmoins agissent dans lunité, que
la main, les yeux et loreille, malgré la diversité de leurs fonctions, ne sont
point en opposition; de même dans le corps de Jésus-Christ, tous les hommes sont comme
des membres qui sapplaudissent de leur aptitude particulière, parce que celui qui
sest choisi le peuple en héritage, a formé leurs coeurs en particulier.
« Tous sont-ils apôtres? tous sont-ils prophètes? tous sont-ils docteurs? tous
ont-ils le don de guérir les maladies? tous parlent-ils diverses langues? Tous ont-ils le
don dinterpréter? Lun reçoit du Saint. Esprit le don de parler avec sagesse;
lautre reçoit du même Esprit le don de parler avec science, un autre reçoit le
don de la foi par le même Esprit; un autre reçoit du même Esprit, le don de guérir les
malades 4 ». Pourquoi? Parce quil a
formé à part le coeur de chacun. De même que, dans nos membres, il y a des fonctions
diverses, et une même santé, de même parmi les membres du Christ, les dons sont divers,
mais tout se résume en la charité qui est une. « Il a formé à part le coeur de
chacun ». 1. Ps. XXXII, 14. 2. Id. XVIII, 2. 3. Id. XXXI, 15. 4. ICor. XII, 8, 9, 29,30. (312) 22. « Cest lui qui connaît toutes leurs oeuvres 1 ». Quest-ce à dire, quil les connaît? quil pénètre les secrets de notre intérieur. il est dit dans un autre psaume: « Comprenez le cri de ma douleur 2 ». Car il nest pas besoin de hauts cris pour que notre prière arrive aux oreilles de Dieu. La vue secrète se nomme intelligence. Le Prophète a parlé avec plus de précision que sil eût dit: Il voit toutes leurs oeuvres; tu aurais pu croire que lon toit ces mêmes oeuvres, comme tu vois un tomme travailler. Lhomme voit loeuvre matérielle dun autre homme; cest Dieu qui voit dans son coeur. Cest donc parce quil pénètre à lintérieur quil est dit : « Il comprend toutes leurs uvres ». Deux hommes font laumône à un pauvre, lun se propose une récompense céleste, et lautre la louangé humaine: pour toi, tu ne vois quun seul acte, tandis que Dieu en voit deux; car il comprend lintérieur; il connaît leurs coeurs, il y voit le but quils se proposent, il y découvre leurs intentions, lui « qui comprend toutes leurs oeuvres». 23. «Ce ne sont point les forces nombreuses qui sauveront le roi 3 ». Elevons-nous tous vers Dieu, soyons tous en Dieu. Que Dieu soit ton espoir, que Dieu soit ta force, ton soutien, quil soit ta prière et ta louange; quil soit la fin où tu trouves ton repos, ton encouragement dans le travail. Ecoute bien cette vérité: «Ce ne sont point les forces nombreuses qui sauveront le roi, et le géant ne trouvera point son salut dans sa grande puissance ». Ce géant, cest lorgueilleux qui sélève contre Dieu, comme si en lui-même et par lui-même litait quelque chose. Ce nest point dans sa grande puissance quil trouvera le salut. 24. Mais il a un cheval tout à la fois
grand, tact, vigoureux et léger, qui pourra au besoin le délivrer promptement du péril?
Illusion ! quil écoute ce qui suit « Un coursier! vain espoir de salut 4 ». Comprenez-vous bien cette parole,
quun coursier vous trompe quand il sagit de salut? Que ce cheval ne vous
promette point de vous sauver; et sil vous le promet, il trahira sa promesse. Vous
serez délivré si Dieu veut bien vous délivrer et si Dieu ne le veut point, votre cheval
sabattra, et vous nen tomberez que de plus haut. Nallez donc pas croire
que cette expression « dans laffaire du salut, un cheval est 1. Ps. XXXII,
15. 2. Id. V, 2. 3. Ps. XXXII,
16. 4. Ibid. 17. trompeur », mendax equus, signifie que le juste se trompe dans le salut, et que les justes sont menteurs en se promettant le salut: on na point écrit aequus, qui dérive déquité ou de justice, mais bien equus, lanimal quadrupède. Cest ce que nous voyons dans le grec, ipos : et dans ces animaux vicieux, le Prophète réprimande ces hommes qui cherchent les occasions de mentir; bien que lEcriture dise: « La bouche qui ment tue lâme 1 »; et encore: « Vous perdrez ceux qui profèrent le mensonge 2 ». Quest-ce donc que «ce cheval qui ment pour le salut?» Cest-à-dire quil vous trompe quand il promet de vous sauver. Or, un cheval peut-il parler et promettre le salut? Mais toi, quand tu vois un cheval bien conformé, vigoureux, bon coursier, tout cela te promet en lui le salut au besoin ; cest là une erreur, si Dieu lui-même ne te sauve, car « un cheval est un vain espoir de salut ». Prends encore le cheval au figuré, pour toute grandeur humaine, ou pour quelque degré dhonneur auquel tu montes avec faste: plus ton élévation est grande, plus aussi tu te crois, non-seulement honorable, mais en sûreté. Mais illusion encore ! car tu ne sais de quelle manière ce coursier te renversera, dune manière dautant plus désastreuse que tu étais plus élevé. « Un cheval est trompeur, quant au salut, et on ne sera point sauvé dans la surabondance de ses forces ». Par quel moyen sera-t-on sauvé? Ce ne sera ni par sa vertu, ni par ses forces, ni par ses honneurs, ni par sa gloire, ni par son cheval. Mais par quel moyen, et où irai-je pour trouver un moyen de salut? Ne cherche ni longtemps, ni au loin. « Voilà que les yeux du Seigneur sarrêtent sur ceux qui le craignent u. Vous voyez que ce sont bien ceux quil a regardés du haut de son tabernacle. « Voilà que les yeux du Seigneur sarrêtent sur ceux qui le craignent, et qui espèrent en sa miséricorde » : non point dans leurs propres mérites, non point dans leur vertu, ni dans leur force, ni dans un cheval, mais bien dans sa miséricorde. 25. « Afin de dérober leurs âmes
à la mort 3». Voilà quil promet la vie
éternelle. Mais pendant le pèlerinage de cette vie, les va-t-il abandonner? «Afin de
les nourrir pendant la famine ». Nous
sommes au temps de la famine, celui de labondance viendra plus tard. 1. Sag. I,
11 2. Ps., V, 7. 3. Id. XXXII,
19. (313) Si donc il ne nous abandonne pas dans la disette de notre corruption, de quelles délices nous rassasiera-t-il quand nous serons devenus immortels? Mais tant que doit durer la disette, il faut souffrir, il faut endurer, il faut persévérer jusquà la fin. Parcourons maintenant tout le psaume, car la voie est aplanie, et il faut avoir égard à ce corps fragile que nous portons. Il y a peut-être encore dans lamphithéâtre des hommes fous denthousiasme et assis au soleil; nous du moins si nous sommes debout, nous sommes à lombre, et ce que nous voyons ici est incomparablement plus beau et plus utile. Voyons donc ce qui est beau, afin que la beauté par excellence arrête les yeux sur nous. Voyons en esprit ce qui est renfermé dans le sens des divines Ecritures, et jouissons dun tel spectacle. Mais à notre tour, qui nous verra? « Voilà que les yeux du Seigneur sarrêtent sur ceux qui le craignent, et qui espèrent en sa miséricorde : afin darracher leurs âmes à la mort et de les nourrir dans la disette ». 26. Mais pour supporter cet exil, pendant lequel nous souffrons la faim et nous attendons que Dieu nous rassasie, de peur que nous ne tombions en défaillance, que nous est-il ordonné, et quelle résolution faut-il prendre? « Notre âme attendra le Seigneur 1 ». Elle attendra en toute sûreté celui qui a fait de si miséricordieuses promesses, et qui les tiendra avec tant de miséricorde et de vérité. Mais que faire jusquà ce quil les accomplisse? « Mon âme attendra le Seigneur avec patience ». Mais quarrivera-t-il si la patience vient à lui manquer? Jamais cette patience ne nous fera défaut : « Car Dieu vient à notre aide, il est notre protecteur ». Il nous soutient dans le combat, il nous abrite contre la chaleur, il ne nous abandonne point: souffrez donc, souffrez longtemps. « Celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusquà la fin 2 ». 27. Et lorsque tu auras attendu longtemps, souffert avec patience, persévéré jusquà la fin, que tarrivera-t-il? Quelle sera ta récompense, quauras-tu gagné à tant souffrir? « Alors notre coeur sépanouira en lui, parce que nous avons espéré en son nom3 ». Espère donc en cette vie afin de tépanouir alors; endure ici-bas la faim et la soif, afin dêtre rassasié là-haut. 28. Le Prophète nous a exhortés à tout
1. Ps. XXXII, 20. 2. Matt. XXIV, 18.
3. Ps. XXXII, 21. 29. Cest donc à cette charité que
nous vous engageons principalement, mes frères, non seulement entre vous, mais à
légard de ceux qui sont dehors, soit des païens , qui ne croient pas encore au
Christ, soit de nos frères séparés, qui confessent avec nous le même chef, mais qui se
divisent de corps. Plaignons, mes bien-aimés, plaignons ces derniers comme des frères;
car ils sont vraiment nos frères, quils le veulent ou non. Ils ne cesseront
dêtre nos frères quen cessant de dire à Dieu : « Notre Père 2 ». Le Prophète n dit de quelques-uns : « A
ceux qui vous disent : Vous nêtes point nos frères, répondez : Et vous, vous
êtes nos frères 3 ». Voyez de qui il pouvait
parler ainsi : était-ce des païens? non, car nous ne les appelons pas nos frères selon
les Ecritures et dans le langage de lEglise. Etait-ce des Juifs qui ne croient pas
en Jésus-Christ? Lisez saint Paul, et vous verrez que quand il emploie le mot frères
sans y rien ajouter, il veut désigner les chrétiens. « Un frère ou une
sur », dit-il en parlant du mariage, « nont plus dengagement 1. Ps. XXXII,, 22 2. Matt. VI, 9 3. Isa. LXVI, 5,
juxta LXX. (314) en pareil cas 1 ».
Ceux quil appelle frère et soeur, sont un chrétien et une chrétienne. Il dit
encore: « Quant à toi, pourquoi juger un frère, et toi , pourquoi condamner un frère 2 ?»Et ailleurs : « Cest vous qui faites le
tort, vous qui causez la perte, et cela à légard de vos frères 3 ». Donc ceux qui nous disent: Vous
nêtes pas nos frères, nous traitent comme des païens. Cest pour cela aussi
quils veulent nous baptiser, en alléguant que nous navons pas ce quils
donnent. Ils sont donc conséquents dans leur erreur en nous reniant pour leurs frères.
Mais pourquoi le Prophète nous dit-il: « Quant à vous, dites-leur : Vous êtes nos
frères », sinon parce que nous reconnaissons en eux ce que nous ne donnons pas de
nouveau? Pour eux donc, ne point reconnaître notre baptême, cest nier que nous
soyons leurs frères; et nous, en ne réitérant point leur baptême et en y reconnaissant
le nôtre, nous leur disons: Vous êtes nos frères. Quils nous disent: Pourquoi
nous cherchez-vous et que voulez-vous de nous?Répondons: Vous êtes nos frères.
Quils nous disent : Retirez-vous de nous;nous navons rien de commun avec vous.
Mais nous, au contraire, nous avons avec vous ceci de commun: que nous confessons un même
Christ, et que sous un nième chef nous devons être un même corps. Mais, dit cet
infortuné, pourquoi me chercher si je suis perdu? Quelle absurdité! quelle extravagance!
pourquoi me chercher si je suis perdu! Mais, au contraire, pourquoi te 1. I Cor.
VII, 15 . 2. Rom. XIV, 10. 3. I Cor. VI, 8. chercherais-je si tu nétais perdu? Si je suis perdu, me dit-il encore, de quelle sorte suis-je ton frère? De sorte que lon me dise de toi: « Ton frère était mort, il est ressuscité; il était perdu et le voilà retrouvé (Luc, XV, 32 ) ». Nous vous conjurons donc, ô mes frères, par les entrailles de la charité, dont le lait nous alimente, dont le pain nous fortifie, je vous en conjure par Jésus-Christ Notre-Seigneur et par sa divine bonté! Il est temps davoir pour ces infortunés une charité sans bornes, une miséricorde surabondante, et de prier Dieu pour eux; afin quil mette la sagesse dans leur esprit, et le repentir dans leur coeur, et que ces malheureux voient enfin quils nont rien à opposer à la vérité : il ne leur reste que la faiblesse de la rancune, faiblesse dautant plus grande quelle se croit de plus grandes forces. Je vous conjure de répandre ce quil y a de plus exquis dans votre charité, sur ces infirmes, sur ces hommes dune sagesse charnelle, dun sens brut et sans culture, qui célèbrent les mêmes mystères, non point avec nous sans doute, mais enfin les mêmes, qui répondent amen comme nous, non point avec nous, mais comme nous. Dans votre charité priez Dieu pour eux. Dans notre concile, nous avons fait pour eux ce que le temps ne me permet pas de vous exposer aujourdhui. Nous vous invitons à vous trouver, et plus fervents et en plus grand nombre, demain dans léglise de Tricliarum; nos frères absents apprendront de vous quils doivent sy trouver.
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