LETTRE CCXIX
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LETTRE CCXIX. (Année 427.)

 

Cette lettre, rédigée par saint Augustin, de concert avec trois évêques d'Afrique, est adressée à Procule, évêque de Marseille, et à un autre évêque du midi des Gaules, appelé Cylinnin Elle est un monument du respect des évêques les uns pour les autres. Le moine Léporius, du diocèse de Marseille, ayant été chassé à cause de ses persistantes erreurs sur l'incarnation, était venu en Afrique et s'était mis entre les mains de saint Augustin. Notre saint Docteur eut le bonheur de le ramener à la vérité et de ramener aussi ceux que Léporius avait séduits , et qui l'avaient suivi en Afrique. Saint Augustin s'excuse d'avoir accueilli un moine chassé par ses collègues des Gaules et les prie de vouloir bien les recevoir, lui et ses compagnons, maintenant qu'ils sont revenus à la vraie doctrine. Il joint à sa lettre la profession de foi, signée de Léporius et de ses compagnons. On croit que cette profession de foi fut rédigée par saint Augustin lui-même. Il y a, dans la lettre qu'on va lire, un tact admirable et des précautions parfaites pour ne pas déplaire aux deux évêques des Gaules. Gennade, dans son livre des Ecrivains Ecclésiastiques, Cassien, dans son Traité de l'Incarnation, le pape Jean II dans une lettre, Facundus, dans ses douze livres sur les trois chapitres, ont mentionné le retour de Léporius à la foi catholique par les soins de saint Augustin.

 

 

AURÈLE, AUGUSTIN, FLORENT (5) ET SECONDIN (6) A

 

5. Il y avait en Afrique deux villes du nom d'Hippone, celle de Numidis, qui a dû sa gloire à saint Augustin, et celle de Zarrite dans la province de Carthage; Florent était évêque d'Hippone de Zarrite. — 6. Secondin était évêque de Numidie.

 

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LEURS BIEN-AIMÉS ET HONORABLES FRÈRES PROCULE ET CYLINNIUS, LEURS COLLÈGUES DANS LE SACERDOCE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

 

1. Notre fils Léporius,que vous aviez eu raison de reprendre de la témérité de son erreur, et que vous aviez expulsé de vos diocèses, étant venu chez nous , nous l'avions reçu comme un homme inutilement troublé , comme un esprit dévoyé qu'à fallait ramener, comme un malade qu'il fallait guérir. De même que vous avez obéi à l'Apôtre en « reprenant les inquiets (1),  ainsi lui avons-nous obéi en consolant les pusillanimes et en supportant les faibles (2). » La faute où avait été surpris Léporius , et elle n'était pas petite, c'était d'avoir des sentiments erronés sur le Fils unique de Dieu. Au commencement ce Fils de Dieu était le Verbe, et ce Verbe était en Dieu, et ce verbe était Dieu ; mais, dans la plénitude des temps ce Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous (3). Léporius niait donc que Dieu se fût fait homme, craignant d'avoir à reconnaître quelque changement ou quelque corruption indigne de la substance divine par laquelle le Fils est égal au Père; il ne prenait pas garde qu'il introduisait dans la Trinité une quatrième personne, ce qui est tout à fait contraire à la pureté du symbole et de la vérité catholique. Dieu aidant, nous l'avons instruit, le mieux que nous l'avons pu, dans un esprit de douceur; surtout parce que, après cet avis que nous donne le Vase d'élection, il poursuit « faisant attention à toi-même, de peur que toi aussi tu ne sois tenté (4); » il ne voulait pas que quelques-uns se réjouissent de se croire parvenus à un progrès spirituel qui ne permette plus qu'ils soient tentés comme le sont les hommes. Une autre raison, c'est la salutaire et pacifique maxime qu'il ajoute . « Portez les fardeaux les uns des autres, et vous remplirez ainsi la loi du Christ. Car celui qui pense être quelque chose, tandis qu'il n'est rien, se trompe lui-même (5), » bien-aimés et honorables frères.

2. Toutefois, nous n'aurions peut-être jamais pu ramener Léporius, si auparavant vous n'aviez condamné ce qu'il y avait en lui de défectueux. Il est à la fois notre maître et notre médecin, Celui qui a dit : « Je frapperai et je guérirai (6); » par vous il a frappé l'orgueil, par nous il a guéri la souffrance, et ses

 

1. Thess, V, 14. — 2. Ibid. — 3. Jean, I, 1, 14. — 4. Gal. VI, 1.— 5. Ibid. VI, 1, 3. — 6. Deut. XXXII, 39.

 

ministres ne sont que ses instruments. Administrateur et économe tee sa maison, par vous il a jeté à bas ce qui était mal construit; par nous il a rétabli ce qui devait. rentrer dans l'ordre. Cultivateur soigneux, il a arraché par vous ce qui était inutile et nuisible; par nous il a fait des plantations utiles et, fécondes. Que la gloire en revienne non pas à nous, mais à sa miséricorde : nous sommes entre ses mains, nous et nos discours (1). Notre humilité a loué ce que Dieu a fait par votre ministère; votre sainteté se réjouira également de ce qu'il a fait par le nôtre. Recevez donc d'un coeur paternel et fraternel celui que nous avons corrigé avec une sévérité miséricordieuse. Quoique notes ayons fait, vous et nous, des choses différentes, une même charité les a inspirées, et les unes et les autres étaient nécessaires au salut de notre frère. Le même Dieu a tout fait, puisque Dieu est charité (2).

3. C'est pourquoi, de même que nous avons reçu Léporius à cause de son repentir, de même vous le recevrez à cause de sa lettre (3); nous l'avons signée de notre mails pour rendre témoignage de son authenticité. Nous ne doutons pas que votre charité n'apprenne avec grand plaisir que Léporius s'est amendé, et que vous ne le fassiez savoir à tous ceux pour lesquels son erreur a été un scandale.. Ceux qui étaient venus ici avec lui se sont aussi amendés et ont été guéris; vous le verrez par leurs signatures qu'ils ont apposées devant nous. Au milieu de la joie que nous fait éprouver le salut de nos frères, il nous reste à former un désir : c'est que vous daigniez y mêler bientôt la joie d'une réponse de votre béatitude. Portez-vous bien dans le Seigneur, et souvenez-vous de nous, bien-aimés et honorables frères.

 

 

1. Sag. VII, 16. — 2. I Jean, IV, 8, 16.

3. C'est la pièce où Léporius se rétractait de ses erreurs.

 

 

 

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