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Nouvelles Lettres
Clefs de correspondance

 

LETTRE XXIX. M.  PIROT, DOCTEUR DE  SORBONNE, A BOSSUET. En Sorbonne, ce 13 mars 1692.

 

J'ai examiné, comme vous l'aviez souhaité, l'homme que Madame la chancelière vous a recommandé pour une cure. Il me fut amené lundi par un ecclésiastique qui demeure chez elle. Je l'interrogeai en sa présence, pour le faire lui-même juge du témoignage que j'en pourrais rendre, comme je savais qu'il était capable d'en juger : cela fut de cinq quarts d'heure sans interruption, et je me trouve très-embarrassé pour vous dire décisivement ce que j'en pense. Je ne le tins si longtemps que pour le promener sur bien des matières, et voir si je trouverais à lui faire plaisir en sauvant le bien de l'Eglise qu'on lui veut confier, et mettant par là ma conscience à couvert sur la commission. Je ne lui demandai du dogme qu'autant qu'il en faut pour catéchiser, et ne lui proposai sur les sacrements et les autres usages de pratique, que des questions générales pour des cas qui peuvent à tout moment se présenter à un curé. Il me répondit mal sur quelques-unes, et fort médiocrement sur les autres. Je fis ce que je pus pour le disposer à passer encore quelques mois dans Saint-Nicolas où il est, quoique peut-être il n'en devînt pas beaucoup plus habile, ne paraissant point avoir sur cela grande ouverture. Je dis à M. Lempereur, qui est l'ecclésiastique de Madame la chancelière qui me l'amena, l'embarras où j'étais, et que j'aurais l’honneur de vous voir ; ou si vous partiez trop tôt pour cela, de

 

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vous écrire naïvement comme cela s'était passé, sans rien déterminer. Il m'est revenu voir ce matin, et m'a pressé encore de vous rendre compte. Je lui ai encore témoigné ma peine sur cela, et lui ai promis d'avoir l'honneur de vous écrire dès aujourd'hui, et je lui ai même dit en propres termes ce que porterait ma lettre. Je lui tiens parole sur tous ces deux chefs.

Je crois que vous devez essayer de faire agréer à Madame la chancelière que ce bon prêtre, dont on dit beaucoup de bien pour la probité et pour l'application à ses fonctions, continue à servir l'Eglise en second en quelque vicariat, puisqu'on ne manque pas de sujets pour remplir le poste dont il s'agit, quoiqu'on le dise d'un revenu fort mince. C'est une Dame d'une si éminente piété et si équitable en toutes choses, que j'espère qu'elle déférera en cela à vos prières. Si, prévenue de la capacité de l'homme, elle persiste, comme vous ne choisissez pas et que vous n'êtes pas obligé de chercher le plus digne, mais d'examiner si celui qu'on vous offre est indigne ou non, je crois qu'après avoir inutilement fait tout ce que vous aurez pu pour faire qu'on vous en nomme un autre; à considérer que la paroisse est petite, qu'elle est très-voisine de Jully qui peut bien être une décharge en quelques occasions pour le curé, que l'homme est connu dans le lieu, qu'il a vicarié dans le quartier approuvé de vous, qu'il catéchise, comme il dit qu'il le fait même à Saint-Nicolas, qu'il n'est pas tout à fait ignorant, puisque après tout indépendamment de toute recommandation, je ne voudrais pas prononcer absolument qu'il fut incapable de tenir ce bénéfice, et me contenterais de le remettre encore à quatre ou cinq mois de séminaire, après quoi on le pourrait encore interroger : tout cela pesé, je crois que vous pouvez (avec la précaution que j'ai marquée, de faire trouver bon à Madame la chancelière que pour le mieux il serve en qualité de vicaire en quelque paroisse de votre diocèse, et qu'elle vous nomme un autre curé), si elle n'entre pas en cette proposition, le recevoir sans engager votre conscience, curé dans cette petite cure, et lui donner votre visa. Voilà comme j'en userais, Monseigneur, si vous m'ordonnez de vous le dire. J'ai dit que j'aurais l'honneur de vous écrire en ce sens pour ne pas tromper.

 

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Je n'ai rien ouï dire sur le Mémoire (a) que vous avez donné ; peut-être est-il passé des mains du Seigneur à l'auteur : il faut laisser tout venir sur cela. Je ne puis croire qu'on néglige l'avis : mais je suis surpris que celui qui y est le premier intéressé ne me soit pas venu chercher, depuis le premier du mois que je lui fis voir le grand intérêt qu'il avait de prévenir sur cela ce qui pourrait arriver, et de satisfaire l'Eglise; et qu'il me promit de sa part qu'il en viendrait conférer avec moi, et qu'il ferait ce qu'on voudrait : j'attendrai encore quelques jours. Mais faites savoir, je vous prie, Monseigneur, la résolution que vous prenez pour la cure à Madame la chancelière : elle attend cela au premier jour. Je l'ai promis à M. Lempereur, et je m'en vais lui mander que j'ai eu l'honneur de vous en écrire. Je suis avec plus de respect que personne, etc.

 

LETTRE XXX. M. PIROT, DOCTEUR DE SORBONNE, A BOSSUET. En Sorbonne, ce 21 mars 1692.

 

Comme j'étais sur le point de vous rendre compte de ce que j'ai fait sur l'affaire de M. Dupin, je reçois la lettre que vous me fîtes l'honneur de m'écrire hier, où vous me marquez avoir eu quelque avis que Monseigneur l'archevêque avait mandé M. Dupin, et qu'il lui avait dit que vous lui aviez mis en main un Mémoire. Il n'y a dans la nouvelle que vous en avez apprise qu'une partie de vraie; et il faut vous en faire un petit détail. Sur votre première lettre, je vis M. l'archevêque, comme nous en étions convenus : je lui lus par le même ordre que vous m'aviez donné, votre lettre faite pour cela ; et il en fut très-content pour ce qui l'y regardait. Ce fut lundi dernier que cela se passa : je n'avais pu avoir audience de lui plus tôt ; il fut un peu indisposé la semaine dernière. Il me dit qu'il avait été lui-même frappé de ce que cet auteur avait dit sur les images; et que M. le nonce avant

 

(a) Le Mémoire sur .M. Dupin, remis à M. le chancelier.

 

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sa mort était venu à l'archevêché lui faire des plaintes de ses livres. Il m'ordonna de le lui amener le lendemain à neuf heures. J'écrivis un billet à M. Dupin sur l'heure, et il me joignit à l'issue de ma leçon. Nous eûmes un entretien assez long sur tous les chefs de votre lettre, où il y a une petite liste des chapitres d'erreur. J'avais son livre à la main, et je parcourus avec lui tous les endroits, lui marquant ce qui m'y paraissait d'outré. Il comprit assez que je ne lui parlais que pour le servir, et que pour chercher avec lui quelque biais de sauver son honneur autant qu'on pourrait, en trouvant à mettre à couvert la foi de l'Eglise, et levant tout ce qui pourrait faire quelque peine au public, qui pourrait en être offensé.

Il me vint prendre le lendemain : je vis un moment M. l'archevêque avant qu'il fût appelé, et je l'instruisis de notre conversation. Il le fit entrer, et lui parla bien, avec douceur et avec force : il lui témoigna les démarches qu'avait faites feu M. le nonce à ce sujet, le scandale qu'il avait eu lui-même de la manière dont il parle du culte des images, et ce qu'il avait appris d'un Mémoire qu'avait fait M. de Meaux. Mais il était bien hors d'état de lui dire que vous le lui eussiez fait donner : il ne l'a point vu, et il n'en sait rien que par moi, qui ne le connais que par ce que vous m'avez fait l'honneur de m'en dire. Il lui dit qu'il ne le voulait pas pousser ; mais qu'il fallait satisfaire la religion, et pour cela mettre la chose entre trois ou quatre docteurs qui ne lui seraient point suspects, mais qui ne seraient pas aussi de ses approbateurs. Il voulut bien dire qu'il y penserait, qu'il les choisirait en m'en donnant avis, et qu'il m'en mettrait.

M. Dupin parut docile, et promit de faire tout ce qu'on souhaiterait. Il me pria, en sortant, de faire que M. Gerbais en fût. J'en parlai sur l'heure à M. l'archevêque, qui n'y entra pas : je ne sais s'il sera plus à son goût; car il a pris quelque temps pour choisir des examinateurs. Il lui faut donner quelques jours avant que de revenir à la charge. M. Dupin me fit mercredi apporter ses livres. Je n'ai rien reçu de la part de Monseigneur le chancelier. Je ne sais à quoi il tient, à moins qu'il n'ait donné le Mémoire à quelqu'un, pour lui en rendre compte avant qu'il me

 

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vienne. Je croyais que M. Dupin l'eût eu, et il me semblait que vous lui aviez dit que vous le vouliez bien ; mais je vois qu'il ne l'a pas eu. Je n'ai, non plus que vous, nulle nouvelle de Madame la chancelière; et cela marque apparemment qu'elle ne pense plus à la cure pour l'homme qu'elle présentait. N'imputez, je vous supplie, Monseigneur, le retardement de ma lettre à aucune raison de précaution : il n'y en a aucune à votre égard. Je sais comme vous usez de tout : mais j'attendais si ce Mémoire me viendrait de la chancellerie. Je suis avec un profond respect, etc.

 

LETTRE XXXI. M. GERBAIS, DOCTEUR DE SORBONNE, A BOSSUET. A Paris, ce 12 avril 1692.

 

Voici une lettre de M. Dupin, qu'il m'a prié d'accompagner d'une des miennes. Il a différé à vous écrire, parce qu'il espérait qu'on lui communiquerait le Mémoire, qui a été mis entre les mains de. M. l'archevêque, et qu'il pourrait après l'avoir lu s'expliquer plus précisément. Mais comme non-seulement on ne lui a pas communiqué ce Mémoire, mais qu'on ne lui a même rien fait dire ni savoir depuis qu'il fut mandé chez M. l'archevêque, il a cru ne pouvoir être plus longtemps sans vous marquer ses sentiments et sa disposition, de laquelle je suis persuadé que vous serez content. Si M. l'archevêque n'était pas saisi de l'affaire, je suis sûr que nous l'aurions terminée chez vous en moins d'une matinée, et cela sans bruit et sans éclat. M. le chancelier, à qui je rendis compte il y a quelques jours d'une commission dont il m'avait chargé, m'avait promis de m'envoyer le Mémoire que vous lui aviez laissé sur le sujet de M. Dupin : mais apparemment il l'a oublié, ou il a changé de sentiment; car il ne m'a pas été remis. Et ainsi ne sachant ce qu'il contient, il ne m'a pas été possible de conférer avec M. Dupin, ni de prendre avec lui les mesures convenables pour vous satisfaire, et pour éviter les mauvaises interprétations que l'on pourrait donner aux choses qu'il

 

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a écrites. Si vous désirez m'ordonner quelque chose là-dessus, j'obéirai avec plaisir, et avec la même soumission avec laquelle je serai toujours, etc.

P. S. Je viens d'apprendre, Monseigneur, depuis ma lettre écrite, que M. l'archevêque de Paris a envoyé quérir M. Dupin, qu'il lui a fait voir un Mémoire que M. Pirot lui avait rendu de votre part ; et que là-dessus M. Dupin avait témoigné à M. l'archevêque, qu'il était prêt de donner telle satisfaction et tels éclaircissements qu'il plairait à sa Grandeur de lui prescrire. J'aurais mieux aimé, Monseigneur, que cela se fût terminé avec vous.

 

LETTRE XXXII. M.   DUPIN   A   BOSSUET. A Paria, ce 12 avril 1692.

 

Jamais je n'ai été plus désolé que quand j'ai appris que j'avais le malheur d'avoir avancé dans mes ouvrages, des choses que vous jugiez dignes de censure. Je me serais donné l'honneur de vous aller voir pour tâcher de me justifier auprès de vous, et vous assurer en même temps de mon attachement sincère à la doctrine de l'Eglise, et de la soumission que j'avais pour tout ce que vous souhaiteriez de moi. Mais n'ayant pas osé prendre cette liberté sans que vous m'eussiez fait témoigner que vous le souhaitiez, je me contentai de le dire à des personnes qui m'en parlèrent de votre part, par lesquelles je croyais que vous apprendriez la disposition où j'étais. Ayant bien compris par la suite qu'on n'en avait point informé Votre Grandeur, j'ai pris la liberté de vous en faire écrire par M. Gerbais, qui m'a fait la grâce de nie montrer votre réponse, par laquelle j'ai reconnu avec joie que vous aviez encore quelque bonté pour moi. Je vous prie, Monseigneur, de me la vouloir continuel*, et d'être persuadé que j'aurai toujours pour vous tout le respect et la soumission que je vous dois, étant avec un profond respect, etc.

DUPIN.

 

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LETTRE XXXIII. M. ARNAULD, DOCTEUR DE SORBONNE, A BOSSUET. Juillet 1693.

 

J'ai appris avec bien de la joie ce que l'on nous mande, que vous vous sentez porté par un mouvement de l'esprit de Dieu à écrire pour la défense de la grâce chrétienne et de l'autorité de saint Augustin, contre la prétention téméraire du faux critique (a). Rien n'est plus digne d'un évêque, à qui Dieu a donné de si grands talents pour écrire et pour parler, que de les employer pour une si bonne cause. La grâce que vous soutiendrez, Monseigneur, sera aussi votre soutien; et le saint dont vous maintiendrez l'autorité contre la censure indiscrète d'un écrivain sans jugement, vous obtiendra de Dieu les mêmes lumières et le même zèle dont il a été rempli pour éclaircir la doctrine de l'Eglise contre une des plus dangereuses de toutes les hérésies.

A l'égard du critique, je crois, Monseigneur, que vous aurez remarqué que dans le jugement qu'il porte des commentateurs du Nouveau Testament, il regarde, comme un défaut dans ceux mêmes qui sont le plus estimés, de s'être attachés à la doctrine des saints Pères, et principalement de saint Augustin, touchant la grâce et la prédestination. C'est ce qu'on peut voir dans ce qu'il dit de Salsbout, d'Estius et de Jansénius d'Ipres. Ainsi selon ce critique on ne doit suivre que les règles de la grammaire, et non pas la théologie et la tradition, pour bien expliquer le Nouveau Testament. Si l'on fait autrement, ce n'est pas le sens de saint Paul que l'on donne : c'est celui que l'on s'est formé sur ses propres préjugés. Rien ne peut être à mon avis plus favorable aux sociniens; et je me souviens d'avoir lu autrefois dans une Vie de Fauste Socin, que n'ayant point étudié, il était plus propre que personne à trouver le vrai sens de l'Ecriture.

Je reviens au sujet qui me fait écrire cette lettre. Vous voulez

 

(a) Richard Simon.

 

 

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bien, Monseigneur, que je prenne cette occasion pour vous exposer quelques pensées que j'ai eues sur la grâce, et les soumettre à votre jugement. Et ce qui me fait espérer par avance que vous ne les désapprouverez pas, c'est ce que l'on m'a mandé, que la neuvième partie des Difficultés sur le sieur Steyaert ne vous avait pas déplu : car il y a beaucoup de ces pensées qui y sont marquées, quoiqu'elles n'y soient pas traitées à fond. Je ne prétends pas non plus les traiter ici ; mais vous marquer seulement, Monseigneur, quelques écrits que je serais bien aise que vous vissiez, afin que vous m'en disiez votre avis.

Le premier est un petit écrit latin, de Libertate (a). Ce qui me le fit faire est un engagement où je me trouvai, d'examiner quel est le vrai sentiment de saint Thomas touchant le libre arbitre. M'étant aperçu que ce que saint Thomas a écrit sur cette matière dans ses premiers ouvrages ne s'accorde pas avec ce qu'il en a écrit dans le dernier, qui est sa Somme, je crus que c'était à sa Somme qu'il se fallait uniquement arrêter. J'en ramassai tous les passages, et il me parut évidemment :

Premièrement, que l'amour béatifique n'était point libre, selon ce saint.

Secondement, que le désir d'être heureux ne l'était point non plus.

Troisièmement, que hors ces deux cas toute volonté délibérée était libre, et que ce que dit saint Bernard est très-vrai : Ubi voluntas, ibi libertas.

Quatrièmement, que la meilleure et la plus courte notion qu'on puisse avoir du libre arbitre, est de dire, comme saint Thomas, que c'est potestas ou facultas ad opposita.

Cinquièmement, que quoique cela semble signifier la même chose que l'indifférence, il est néanmoins plus avantageux de se servir du premier que de ce dernier. Car le mot d'indifférence semble marquer un équilibre, qui n'est nullement nécessaire au libre arbitre, et semble opposé aux déterminations infaillibles,

 

(a) De libertate se trouve parmi les Traités d'Arnauld sur la grâce générale, dans la Justification de cet écrivain par le P. Quesnel, et dans le recueil intitulé : De causa Arnaldinâ.

 

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qui ne sont point du tout contraires à la liberté : au lieu qu'on ne trouve point ces deux inconvénients dans ces mots : Facultas ad opposita comme on le comprendra mieux par un exemple. On offre des présents à un bon juge pour le corrompre. Quoiqu'il se trouve absolument déterminé à ne les point accepter, il est certain néanmoins que c'est librement qu'il les refuse. On demeure d'accord de la chose ; il ne s'agit que de l'expression. Ne semble-t-il pas, Monseigneur, que ce serait faire tort à la vertu de ce juge incorruptible si, pour marquer qu'il a fait cela librement, on di-soit qu'il a été dans l'indifférence d'accepter ou de refuser ces présents ? Car cela pourrait marquer la disposition d'un homme médiocrement vertueux, qui aurait hésité s'il les accepterait ou s'il les refuserait. Mais on ne donne pas cette idée, quand on dit seulement qu'il a eu le pouvoir d'accepter ou de refuser ces présents, puisque l'on conçoit facilement que de deux choses opposées, qui dépendent de notre libre arbitre, quelque déterminé que l'on soit de faire l'une, on pourrait faire l'autre si on le voulait. Et c'est la raison pourquoi on n'est pas libre à l'égard du bonheur en général, parce qu'on est tellement déterminé par une nécessité naturelle à vouloir être heureux, que nous ne pouvons pas dire : Si je pouvais, si je voulais ne pas vouloir être heureux.

Un autre écrit que je serais bien aise, Monseigneur, que vous voulussiez prendre la peine d'examiner, est d'une autre nature. C'est un écrit polémique sur une dispute entre deux amis (a), qui sont toujours demeurés dans une union parfaite de charité et d'amitié, quoiqu'ils se trouvent présentement divisés sur un point sur lequel ils ont été longtemps parfaitement d'accord. Ce n'est pas qu'ils ne le soient sur le capital de la doctrine : mais il y a des questions incidentes dont ils n'ont pu convenir, et je souhaiterais, Monseigneur, que vous en voulussiez être le juge. On examine dans ce second écrit (b) cette nouvelle pensée : Que tous les hommes seraient dans une impuissance physique de faire le bien salutaire, laquelle rendrait excusables ceux qui manqueraient de le faire, s'ils n'en étaient délivrés par une grâce générale, actuelle,

 

(a) Entre Arnauld et Nicole.— (b) Du pouvoir physique. Imprimé dans le Recueil des Traités d'Arnauld sur la grâce générale.

 

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intérieure et surnaturelle, non-seulement préparée et offerte, mais actuellement donnée à tous et à chacun en particulier. C'est le sujet du différend.

Le troisième écrit (a) est plus court, et d'une forme extraordinaire ; car on y a suivi la méthode des géomètres. Il est différent du précédent, en ce que dans le précédent on combat un système de doctrine dont on n'a pu convenir, en renversant le principe sur lequel on l'avait établi ; au lieu que dans celui-ci on le combat par les suppositions qu'il enferme, dont on fait voir, ce me semble, démonstrativement la fausseté.

Il y a encore deux autres écrits ; l'un latin, qui a pour titre : Dissertatio bipartita, an veritas propositionum quœ necessaria et immutabiliter verœ sunt, videatur à nobis in prima et increatâ veritate quœ Deus est ; et, an qui amat castitalem vel quamlibet aliam virtutem moralem, eo ipso amet ceternam, quœ in Deo est, rationem castitatis (b).

Et l'autre français (c), sur le même sujet, pour répondre à ce qu'un savant religieux, à qui vous avez, Monseigneur, fait l'honneur de témoigner de l'affection, avait opposé à la dissertation latine. Ce dernier écrit contient diverses choses qui peuvent beaucoup servir à éclaircir ce qui est traité dans le troisième écrit.

Souffrez, Monseigneur, que je prenne la liberté de vous dire encore qu'il y a une chose qui me paraît importante dans la matière de la grâce. Je n'en ai rien écrit en particulier ; mais je crois l'avoir bien expliquée dans ma dissertation théologique touchant la proposition censurée, partie III, article II et article IV. On y marque les différentes opinions des théologiens touchant la grâce actuelle, qui est le principe de la bonne volonté : les uns la mettant in misericordiâ Dei et forma inhœrente; et les autres, in solâ misericordiâ Dei, quœ interiùs motum mentis operatur. Or je suis persuadé que cette dernière opinion est celle de saint Augustin et de saint Thomas, et la plus conforme à la raison ; et

 

(a) Ecrit géométrique de la grâce générale. (b) — Cette dissertation s'attaquoit principalement au célèbre Huygens, docteur de Louvain. — (c) Règles du bon sens; contre dom François Lami, qui avait entrepris de réfuter la dissertation précédente.

 

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qu'en la suivant il est bien plus aisé d'expliquer l'efficace de la grâce, et de concilier cette efficace avec la liberté, lors surtout que l'on définit le libre arbitre facultas ad opposita, comme a fait saint Thomas. Car, selon les principes de ce saint, je veux librement tout ce que je veux, n'étant point déterminé à le vouloir par une nécessité naturelle, qui m'ôterait le pouvoir de vouloir le contraire. Ainsi Jésus-Christ a voulu très-librement souffrir la mort ensuite du commandement qu'il en avait reçu de son Père, quelque déterminé qu'il y ait été, parce que c'est son amour qui l'y a déterminé, et non une nécessité naturelle qui l'aurait nécessairement attaché à vouloir mourir.

De combien d'autres choses souhaiterais-je, Monseigneur, vous pouvoir entretenir? Mais ce n'en est pas encore le temps; et je ne sais si, à l'âge où je suis, je dois me flatter que ce temps vienne jamais pour moi. Je vous avoue, Monseigneur, que s'il y a quelque chose qui me touche dans l'état où Dieu veut que je sois, ce sont ces sortes de privations. Il m'a fait la grâce de les porter avec beaucoup de paix et de tranquillité : j'espère qu'il me soutiendra par sa miséricorde jusqu'à la fin, et qu'il me rendra fidèle à suivre la voie par laquelle il veut que j'aille à lui. Vos prières, Monseigneur, et votre bénédiction peuvent beaucoup contribuer à m'en obtenir la grâce. C'est avec une grande confiance que je vous demande l'un et l'autre, comme c'est avec un profond respect que je serai toujours, etc.

 

ANTOINE ARNAULD, doct. de Sorb.

 

LETTRE XXXIV. M.  PIROT, DOCTEUR DE  SORBONNE, A BOSSUET. En Sorbonne, ce 9 septembre 1693.

 

Il est aisé de vous satisfaire sur la curiosité que vous avez de savoir si le mot de personne, soit en grec, soit en latin, a été pris pour celui de nature ; et si saint Athanase et saint Ambroise ont parlé quelque part comme s'ils eussent reconnu deux personnes

 

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sonnes en Jésus-Christ. Je suis très-persuadé que pas un des deux n'a mis en Jésus-Christ deux personnes, à prendre le mot de personne dans un sens propre ; et vous remarquez fort bien, Monseigneur, que le premier, au contraire, dit positivement en prosoopon. Il le dit plus d'une fois dans le seul petit traité qu'il a fait de Incarnatione Verbi Dei, contre Paul de Samosate, qui est son ouvrage, quoique M. Dupin s'imagine sans raison qu'il n'est pas de lui : il le dit de même ailleurs. Mais Facundus Hermianensis, dans son livre XI, chapitre II, cite un endroit de saint Athanase comme tiré d'une epître ad Antiochenos, où ce Père dit formellement : Duas personas de Domino inveniens, unam quidem circa hominem, alteram autem circa Verbum. Il est vrai que cette epître ne se trouve pas dans saint Athanase ; et c'est de ces œuvres que l'injure des temps nous a enlevées. Nous en avons une qui porte ce titre, et où cela n'est point : mais il n'y a pas d'apparence d'accuser Facundus de citer faux. Le P. Sir-mond, dans ses notes, dit que c'est une autre épître que celle que nous avons; remarquant au reste que saint Athanase n'a pu mettre en Jésus-Christ deux personnes, mais seulement deux natures parfaites.

Saint Ambroise, au livre II de Fide, chapitre IV des anciennes éditions, qui dans la dernière est le vin, numéro 60, parle ainsi de Jésus-Christ : Minor in naturâ hominis ; et miraris si ex personâ hominis Patrem dixit majorem, qui in persona hominis se vermem dixit esse, non hominem. Les Pères de Saint-Maur mettent cette note : Paulà durior videtur ea locutio, quippe quœ hominis naturam personamque saltem voce tenus confundat. Et ils font encore une autre note semblable au livre IV, ancienne édition, chapitre III, et nouvelle chap. VI, numéro 69 : Quamvis ex personœ hominis incarnati susceptione loqueretur ; ce sont les paroles de saint Ambroise en cet endroit, et voici ce qu'y disent les Scholiastes : Jam monuimus vocem personœ non semper stricte et scholastico rigore sumptam ab Ambrosio. Et sanè hoc loco nihil aliud sonat, nisi in quantum homo. Qu'on fasse sur cela toute la glose qu'on voudra : si on dit qu'il est visible que saint Ambroise ne prend là le mot de personne qu'abusive

 

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pour une qualité de nature, je l'avoue ; mais il est toujours vrai qu'il l'a ainsi pris, quoique ailleurs il ne laisse nul lieu de douter de sa foi. Le P. Petau, au livre IV de la Trinité, chapitres, I, II, III et IV, mais particulièrement en ce dernier, et au livre V de l'Incarnation, chapitre vu, numéros 7, 8, 10 et autres, est à lire sur les différentes notions des termes d'usie, d'hypostase, de nature, de personne, etc. : mais, Monseigneur, vous saurez mieux trouver tout cela que je ne pourrais vous l'indiquer. Pardon de ma liberté : je suis avec un très-profond respect, etc.

P. S. J'aurais pu apporter encore, outre l'autorité de saint Athanase tirée de Facundus, celle d'Eustathe d'Antioche, que Facundus cite au même livre XI, chapitre I, pour prouver qu'il a mis aussi deux personnes en Jésus-Christ : mais comme cela me paraît moins formel, je ne l'ai pas marqué.

 

LETTRE XXXV. M. PIROT, DOCTEUR DE SORBONNE, A BOSSUET. En Sorbonne, ce 21 juillet 1700.

 

Il me semble qu'il y a bien du temps que je n'ai eu de vos nouvelles ; pardonnez-moi si je débute si familièrement : la bonté dont vous voulez bien me faire l'honneur d'en user avec moi, m'a accoutumé à vous parler avec cette liberté. Depuis le jour que vous me marquâtes que vous me donneriez vos ordres (je crois qu'il y a plus de trois semaines), je n'en ai reçu aucun de vous. Vous m'aviez ordonné de regarder l'autorité des évêques dans Gerson, sur le sujet des décisions dans la censure qu'ils ont droit de faire, dont je vous avais entretenu autrefois : je m'engageai à revoir ce qu'il en avait dit dans son traité de Examinatione, doctrinarum. Je le fis aussi, et j'étais tout prêt à vous en tendre compte sur le premier ordre : apparemment vous aurez vous-même voulu examiner la chose. Si cela n'était pas, j'y suppléerai aisément quand il vous plaira : en attendant vous pourrez à loisir voir ce que dit cet auteur, particulièrement dans deux

 

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endroits où il traite cette matière ex professo. Le premier est dans la première partie de ses ouvrages, dans son traité de Examinatione doctrinarum, partie première, considération m, où il marque le pouvoir des évêques de faire dans leurs diocèses un article de foi, en usant de leur droit avec les précautions convenables : l'autre est dans la quatrième partie de ses Œuvres, page 223, où en un feuillet il établit sa doctrine de Propositionibus ab episcopo hœreticandis; et marque en quelle occasion un évêque doit user du pouvoir qu'il a de déclarer une proposition hérétique.

Si grand qu'on dit que soit le secret que les prélats se sont promis sur la liste des propositions à condamner, tout le monde ne laisse pas d'en parler ici. On dit qu'il y a un cahier imprimé, de 160 pages, et qu'il fut donné à toute l'assemblée lundi dernier. Je croyais que vous m'eussiez dit que vous me donneriez des ordres sur cela : cependant je n'en ai rien su, et jusqu'à présent je n'ai point vu l'imprimé et ne sais de quoi il s'agit. Vous savez, Monseigneur, que je ne me mêle de rien, si on ne m'y fait entrer; et avec un autre même je n'en parlerais pas : ce n'est que l'attachement que j'ai à votre personne, et que j'aurai toujours inviolablement, qui me fit vous offrir tout ce qui serait à ma portée. Je ne doute pas que vous ne soyez l’âme de tout ce qui se fait, et que tout ne se décide uniquement par vos conseils. Vous savez qu'en quelque temps que ce soit, et pour quelque affaire qui puisse être de mon ressort, personne n'est si absolument en votre main que moi. Pardon de toutes mes libertés ; je n'en suis pas avec un respect moins profond, etc.

 

LETTRE XXXVI. LE P. DE LA RUE, JÉSUITE, A BOSSUET. A Nimes, ce 17 janvier 1701.

 

Un commencement de siècle si heureux doit faire souhaiter que les personnes qui, comme vous, ont fait l'honneur du siècle

 

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passé, le soient encore longtemps de celui-ci. Vous avez part à ce souhait, Monseigneur, plus qu'aucun prélat du monde ; et c'est avec ces vœux que j'ose vous présenter mes respects au commencement de cette année.

Il vous a plu, Monseigneur, de me demander, lorsque je partis de Paris, il y a un an, un compte fidèle de ce que je remarque-rois en ce pays sur les affaires de la religion. J'eus l'honneur de vous mander après Pâques ce qui se passait à Montauban ; je vais vous parler des Cévennes et du diocèse d'Alais, où je travaille depuis quatre mois.

L'ouvrage y est plus avancé qu'ailleurs, pour deux raisons : l'une, est qu'on ne l'a point interrompu dans le temps même de la guerre ; et l'autre, est la conduite particulière que Monseigneur l'évêque d'Alais a jugé à propos d'y observer.

Cette conduite est différente des autres, en ce qu'il ne s'est pas contenté de porter ses diocésains au seul devoir de la messe et des sermons ; mais en général à tous les exercices de la religion catholique.

Il s'est fondé sur ce que les anciennes lois pénales, portées par les empereurs et les rois, et souvent demandées par l'Eglise contre les hérétiques de toutes sectes, n'ont jamais fait de distinction de la messe et de l'instruction d'avec les sacrements et les autres exercices.

Il s'appuie encore sur ce que les édits du roi, qui obligent tous ses sujets à mourir catholiques sous peine de confiscation de leurs biens, les engagent conséquemment à vivre entièrement catholiques.

Sur ces principes, il ne reconnaît pour catholiques que ceux qui en accomplissent tous les devoirs. Il n'accorde les grâces, les attestations pour recevoir les pensions, les autres marques de distinction, la délivrance des enfants qui avaient été ôtés aux pères et aux parents, qu'à ceux dont non-seulement la personne, mais la maison entière jusqu'aux domestiques, s'acquitte entièrement et habituellement, au moins depuis un an, de tous les exercices catholiques.

D'un autre côté, pour prévenir les mauvais effets de l'hypocrisie,

 

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il défend très-expressément aux curés et aux confesseurs de recevoir à la participation des sacrements aucun de ceux dont la foi leur paraît en quelque façon suspecte : il en a même exclus certains en particulier, dont il sait la mauvaise foi par la connaissance qu'il a de leur conduite ou de leurs discours.

Ces deux pratiques unies ensemble, et toujours observées avec la même vigilance et la même fermeté : l’une, d'exhorter à tous les devoirs ; l'autre, de n'admettre aux devoirs des sacrements que ceux qui en paraissent vraiment dignes, ont mis l'ouvrage de la conversion au point où on le voit dans les Cévennes. Il semble en effet que ce soit le seul moyen de préserver les lois du prince du péril et de l'inutilité, et de mettre les pasteurs à couvert du reproche d'indifférence et de négligence sur ce sujet. Avec ces précautions on ne peut imputer l'hypocrisie qu'à celui qui la commet, puisque toutes les puissances font précisément, pour l'empêcher, ce qu'il leur convient de faire.

Que n'est-il possible, Monseigneur, que l'on prenne partout là-dessus une résolution uniforme, ou selon ces mesures, ou selon d'autres que l'on jugera meilleures, et qui le seront en effet, pourvu qu'elles soient encore plus efficaces : car toutes celles qui tendent à rendre les lois inutiles et à laisser croupir les réunis dans l'irréligion, ne peuvent être conformes au zèle et à la piété de Sa Majesté, ni à la prudence de ses ministres. Il arrive cependant que la diversité de conduite et de maximes nuit autant au progrès de la conversion que le pourrait faire l'abandonnement entier de cet important ouvrage. Nous l'éprouvons ainsi par l'endurcissement des jeunes gens, que l'inexercice de la religion a rendus depuis quinze ans plus intraitables que leurs pères : ce qui doit faire trembler pour l'avenir, si l'on ne convient prompte-tement du vrai moyen de les engager à l'exercice. Au nom de Dieu, qui vous a donné, Monseigneur, la force de commencer cette sainte révolution, employez toute la lumière, l'ardeur et le crédit que vous avez, pour voir de vos propres yeux la fin et la perfection de votre ouvrage. On ne peut s'imaginer parmi les nouveaux convertis, que le roi la veuille efficacement, tandis que l'on remarque tant de diversité, et même d'opposition, dans le

 

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procédé de ceux qui font exécuter ses ordres dans les provinces. Pardonnez-moi, Monseigneur, cette expression de ma franchise et de ma sincérité, et me faites l'honneur de croire que je suis avec une profonde vénération et un parfait dévouement, etc.

 

C. DE LA RUE, J.

 

Je vais prêcher le carême à Nîmes, et retournerai ensuite travailler dans les Cévennes.

 

LETTRE XXXVII. M. VUITASSE, PROFESSEUR DE SORBONNE, A BOSSUET. En Sorbonne, ce 6 avril 1701.

 

Etant allé après dîné chez M. l'abbé Pirot, il m'a montré une lettre que Votre Grandeur lui a fait l'honneur de lui écrire, dans laquelle elle lui marque qu'on lui a mandé que je suis du sentiment de M. Cailly; ce qu'elle ne peut croire. Je ne saurais, Monseigneur, assez remercier Votre Grandeur de cet avis qu'elle m'a fait donner, et de l'affection qu'elle me témoigne en cette occasion. Ce sont de nouvelles marques de votre bonté qui me touchent infiniment : mais j'ose néanmoins ajouter, Monseigneur, qu'en ce que vous pensez de moi sur cet article, ce n'est pas seulement une grâce que Votre Grandeur me fait, mais encore une justice qu'elle me rend, puisque la vérité est que je suis et ai toujours été très-éloigné de la nouvelle explication dont il s'agit.

Je n'ai pas lu, Monseigneur, le livre de M. Cailly : mais par ce que j'en ai pu apprendre, il me semble que ce n'est pas tant l'opinion de Durand qu'il suit que le premier sentiment de M. Descartes, que rapporte M. Baillet dans la vie de ce philosophe ; ce qui est assez différent.

Durand, imbu des idées ordinaires de la philosophie péripatéticienne, mettait, selon toutes les apparences, une distinction réelle entre la matière et la forme substantielle du pain, et disait que dans l'Eucharistie la forme était détruite et changée ; mais

 

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que la matière demeurait et passait sous la forme du corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à peu près comme la matière des aliments passe sous la forme du corps de l'homme qui s'en nourrit.

Descartes au contraire prétendait que rien ne se détruisait dans le pain, ni matière, ni forme; mais que le pain, sans aucun changement physique, réel et effectif, de corps inanimé qu'il était auparavant, devenait le corps de Jésus-Christ, par la consécration et par l'union qu'il plaisait alors à Dieu de mettre entre l'âme de Jésus-Christ et ce qui s'appelait pain auparavant.

Bien loin, Monseigneur, de donner dans ces sentiments, je les ai réfutés si expressément et si formellement, que je suis étrangement surpris qu'on ait pu me les imputer. J'ai été aussitôt chercher mes cahiers, que j'ai montrés à M. l'abbé Pirot, et qui, je crois, en a été satisfait.

C'est, Monseigneur, dans l'article ni de la 11e question de mon traité de l'Eucharistie, que j'examine la manière dont se fait la transsubstantiation : De modo quo fit transsubstantiatio. Là, après avoir marqué les différentes opinions des philosophes sur la composition des corps et la distinction des accidents, je dis que le sentiment de presque tous les théologiens est que non-seulement toute la substance du pain est changée en la substance du corps de Jésus-Christ, mais que la quantité même demeure comme le sujet de tous les autres accidents qui paraissent : sentiment dont j'avertis qu'il ne serait pas trop sûr de s'écarter : Neque forte tutum fuerit aliam opinionem amplecti aut defendere.

Je ne laisse pas cependant, Monseigneur, d'exposer ensuite d'une manière historique les autres façons d'expliquer ce mystère ; et voici comment j'en parle : Quocircà quorumdam, qui audaciores ab eo discedere non dubitarunt, varia placita, historiœ tantùm et eruditionis causa, memorabimus.

Je commence par celle de Durand; et après avoir rapporté en quoi elle consiste, et quels sont ses fondements, j'ajoute : Videant autem quibus illa opinio non displicet, quel via eam concilient cum Mo concilii Tridentini canone, quo sancitur fieri totius substantiœ panis in corpus Christi conversionem. Etsi enim mutationes universœ, quœ passim contingunt, dicantur à philosophis

 

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peripateticis conversiones totius in totum, et forte cogitari posset synodi fulmen in eos solummodo cadere, qui partem tantùm hostiœ aliquando consecrari existimarunt, expendant an non saltem perstringantur eo quod additur. Statim enim synodus declarans quidnam è pane post consecrationem supersit, subjicit manere duntaxat species panis et vini.

De là je passe, Monseigneur, à l'explication de M. Descartes, que j'ai vue développée avec plus d'étendue dans un manuscrit attribué à un R. P. bénédictin, nommé des Gabets (a). J'observe d'abord qu'elle est dure, et que ceux qui s'y attachent font tout ce qu'ils peuvent pour l'adoucir : Cujus pronuntiati acerbitatem ut emolliant. Je l'expose ensuite; après quoi je la réfute en ces termes :

At multa opponi possunt, eaque clarissima, ex decretis Ecclesiœ ipsisque adeo Scripturis petita.

Primum, quod in Eucharistiâ non tantùm debeat esse corpus Christi, sed etiam caro et sanguis Christi : panis autem posset forte dici corpus Christi, at non vera ipsius caro, etc.

Secundum, quod corpus Christi eucharisticum sit illud idem, quod pro nobis traditum est et crucifixum : id autem de pane dici non potest.

Tertium, quod oporteat idem esse corpus, quod ex Maria Virgine natum est : at neque id de pane dici unquàmpotest.

Quartum, quod ibi admittendum sit corpus Christi omnibus organis instructum ad functiones animœ necessariis, quale in hominibus est : at in pane, etc.

Quintum, quod fiât transsubstantiatio, id est conversio totius substantiœ panis et vini. Ergo non manet eadem materia eadem-que forma, quœ antè, etc.

Sextum, quod si maneant tantùm species panis, ut définit synodus, ergo panis destruitur.

 

(a) Dom Robert des Gabets, bénédictin de la congrégation de Saint-Vannes, ami passionné de la science et de l'étude. Son attachement à la philosophie de Descartes l'engagea dans des opinions dangereuses sur la manière dont Jésus-Christ est présent dans l'Eucharistie. Attaqué de toutes parts, il professa sa soumission à l'Eglise. Nicole, dans deux de ses lettres, la LXXXIIIe et la LXXXIVe, a réfuté victorieusement ses vaines spéculations.

 

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Septirnum, quod corpus Christi ibi non dividatur, dùm species franguntur : divideretur autem si est panis

Octavum, quod sub specie panis corpus Christi tantùm sit vi verborum, sanguis autem vi concomitantiœ et connexionis naturalisa quâ partes Christi Domini, qui jam à mortuis resurrexit non ampliùs moriturus, inter se copulantur : at, etc.

Enfin voici, Monseigneur, comme je conclus : Verùm ista sufficiant de illâ quorumdam recentiorum opinione, quœ à catholicis et catholico sanè animo profecta, nimiùm meo quidem judicio detorta est, nec satis cum fidei nostrœ placitis cohœrere videtur. Lubrica certè est, eoque solo nomine à theologis non facile admittenda : de quâ ne verbum quidem fecissemus, nisi jam edita in lucem, nos, ut eam silentio non transiremus, admonuisset.

Il me semble, Monseigneur, que j'en dis là autant que je de-vois par rapport à mon dessein : car quoique je ne fasse qu'indiquer les dogmes auxquels il paraît que cette explication donne atteinte, c'en est assez pour en donner un extrême éloignement. Je parle avec la modestie qui convient à un théologien, et à moi plus qu'à tout autre, en me servant du mot videtur. C'est aux évêques à décider ce qui en est et ce qu'on en doit croire, et particulièrement à vous, Monseigneur, que nous considérons comme une des brillantes lumières de l'Eglise. J'insinue assez ouvertement que ce système tend par lui-même à détruire ce que la tradition et le concile enseignent touchant la transsubstantiation : mais j'attendais que l'Eglise prononçât (a). J'adhère à ce que Votre Grandeur en a jugé, et prends la liberté de la remercier encore une fois de ses bontés à mon égard. Dès que je saurai qu'elle sera à Paris, je ne manquerai pas d'aller me présenter à sa porte, pour le faire de vive voix. Dans l'espérance d'avoir cet honneur, je suis et serai toute ma vie avec le profond respect que je dois, etc.

VUITASSE.

 

(a) Il paraît que Vuitasse a voulu éviter de donner dans la suite occasion aux reproches qui lui avaient été faits : car on ne retrouve point dans son Traité de l'Eucharistie imprimé en 1720, les passages qu'il rapporte ici de ses cahiers; mais il se contente de rejeter en deux mots les opinions qu'il expose dans cette lettre.

 

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LETTRE XXXVIII.  M CAPPERONNIER, LICENCIÉ EN THÉOLOGIE, A BOSSUET. Paris, 1702.

 

J'ai appris avec joie que votre dessein était d'écrire, non-seulement contre la traduction du Nouveau Testament imprimée à Trévoux, mais encore contre les autres livres de M. Simon, c'est-à-dire contre la critique qu'il a faite des Livres sacrés : car cette critique est une pierre de scandale pour les théologiens, et elle peut être cause que les libertins blasphèment contre la majesté des saints Livres. Sous la belle apparence d'érudition grecque et hébraïque, elle cache un secret poison, qu'on peut avaler d'autant plus aisément qu'on s'en aperçoit moins d'abord. On peut dire en ce sens que la traduction du Nouveau Testament n'est pas le plus méchant livre que M. Simon ait fait : sa Critique sur l'Ancien et le Nouveau Testament est beaucoup plus dangereuse. Il fallait aller à la source du mal, comme je vois que vous en avez le dessein.

Je ne doute pas, Monseigneur, qu'en écrivant contre M. Simon, vous n'observiez une règle qu'il a donnée lui-même à ceux qui veulent écrire contre les sociniens et autres errants. C'est, dit M. Simon, qu'il ne faut rien proposer de faible contre eux ; car cela ne servirait qu'à les entretenir dans leurs erreurs.

Comme M. Simon veut triompher en fait de grec et d'hébreu; comme c'est par cet endroit qu'il jette de la poudre aux yeux des lecteurs ignorants, et qu'il attire plusieurs personnes dans son parti, il faut apporter une grande exactitude à examiner toutes les difficultés qui dépendent du grec et de l'hébreu : car si on lui donne la moindre prise de ce côté-là, il ne manquera pas de s'en prévaloir auprès des ignorants et des faibles, qui croiront qu'en attaquant M. Simon on en veut à l'érudition grecque et hébraïque.

Encore un coup, Monseigneur, je suis persuadé que vous ob-

 

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observerez cette règle en écrivant contre M. Simon, et surtout contre sa téméraire critique des Livres sacrés. Cependant l'importance qu'il y a d'observer cette règle m'oblige de représenter à Votre Grandeur, avec tout le respect que je lui dois, que dans le premier écrit qui vient de paraitre de votre part, cette importante règle n'a point été observée partout. Je n'ai à la vérité qu'un seul endroit à produire, où elle n'a point été observée : mais cet endroit me paraît d'une assez grande conséquence pour être représenté à Votre Grandeur, avec tout le respect qu'un diacre et licencié de Sorbonne doit à un grand docteur et à un grand évêque de notre France.

Vous dites, Monseigneur, dans la page 115 de votre première Instruction sur le Nouveau Testament imprimé à Trévoux, que

Genesthai ne signifie naître ou être né dans aucun endroit de l'Evangile. C'est partout uniquement genasthai ; il faut corriger ainsi, gennasthai.

Cependant j'ai trouvé dans le Nouveau Testament plusieurs endroits où le verbe genesthai signifie naître : les voici.

Notre-Seigneur dit au figuier, qu'il avait trouvé sans fruit, les paroles que l'auteur de la Vulgate traduit ainsi : Nunquàm ex te fructus nascatur in sempiternum (1), genethai.

Rom. I, 3 : De Filio suo qui natus (a) est, tou genomenou , ex semine David secundùm carnem.

Galat. IV, 4 : Misit Deus Filium suum natum (b) ex muliere, es egeomenou ek gunaikos.

I Petr. III, 6 : Sara cujus natœ estis filiœ, es egenethete tekna.

Voilà, Monseigneur, quatre passages où le verbe genesthai semble signifier naître, sans que j'aie trouvé aucune variété dans les éditions du Nouveau Testament que j'ai consultées.

En voici quatre autres où le verbe genesthai signifie aussi naître : mais ils ne me paraissent pas si décisifs, parce qu'on ne les lit pas de la même manière dans toutes les éditions.

Notre-Seigneur dit de Judas : Bonum erat ei si natus non esset,

 

1 Matth., XXI, 19.

(a) Une note tracée de la main de Bossuet sur la lettre, fait observer que la Vulgate traduit factus. — (b) Autre remarque de Bossuet, que la Vulgate dit factum.

 

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ei ouk egenethe, ho ille  (1). Dans quelques éditions on lit egennethe (a) du verbe gennasthai.

Il est dit de Jacob et Esaü : Cùm nondùm nati essent, mepo gar genethenton (2). Dans quelques éditions on lit gennetheton (b).

Il est dit des enfants d'Abraham : Ex uno nati (c) sunt, aph’à enos egenesthesan (3) . Dans d'autres éditions, il y a egennethenton (d).

Il est dit des débauchés : Isti vero tanquàm irrationalia animalia, quœ solâ naturâ duce ducuntur, nata ad, etc. ; gegenemena (4). Dans d'autres éditions, on lit gegennemena (e), du verbe gennasthai.

Comme il ne s'agit que du Nouveau Testament, il n'est pas nécessaire de remarquer que dans les auteurs profanes, gignesthai  ou ginesthai, aussi bien que genesthai, signifient souvent naître. Par exemple, dans Homère : La maison où je suis né, othi prooton genomen.

Dans Isocrate, « Ne pas laisser d'autres héritiers que ceux à qui nous avons donné naissance, » plen tous ex emoon gegonotas (6).

Platon dit aussi : Non nobis solùm nati sumus, comme traduit Cicéron, ouk autoo monoo gegonene (7)

Et encore dans le Timée, gignomenon kai appolumenon, Quod gignitur et interit, comme traduit encore Cicéron.

On trouve dans Démosthène, gegenesthai kaloos honesto loco esse natum (8)

Aristote dit :  E quibus nasciturez oon gignetai, ab iis augetur (9).

On lit dans Plutarque ces mots : « Croyez-vous qu'il y ait de la différence entre n'être point né, et mourir après être né ? »  e me genesthai, e genomenon apogenesthai (10).

Cela nous montre quelle précaution il faut apporter, pour bien juger de la signification des mots grecs, surtout dans le Nouveau Testament. Il n'y a pas longtemps que l'homme de Paris qui sache mieux le grec, prétendait avoir trouvé une nouvelle preuve

 

1 Matth., XXVI, 24. — 2 Rom., IX, 11. — 3 Hebr., XI, 12. — 4 II Petr., II, 12.— 5 Homer, Odyss. — 6 Isocrates ad Philipp. — 7 Plato, ep. IX. — 8 Arist., Ethic, II. — 9  Demosth. Epitaph. — 10 Plutarch., Consolat, ad Apoll.

(a) Bossuet remarque que dans l'édition de Mons, à trois colonnes, on lit egennethe. — (b) Bossuet remarque que dans l'édition à trois colonnes, on lit gennethetoon. — (c) Bossuet remarque que la Vulgate traduit orti. — (d) Bossuet remarque que dans l'édition à trois colonnes, on lit egennethasan. — (e) Bossuet remarque qu'on lit ainsi dans l'édition à trois colonnes.

 

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de la divinité de Jésus Christ dans ces paroles du démon : dorkizoo se ton Theon (1) qu'il traduisait : Adjuro te Deum, te qui Deus es.

J'étais d'abord ravi de cette découverte, afin de joindre ce passage à plusieurs autres du Nouveau Testament, où Jésus-Christ est appelé Dieu. Mais après l'avoir examiné de plus près, je trouvai qu'il fallait bien se donner de garde de s'en servir, de crainte, comme dit quelque part saint Thomas, que les hérétiques ne s'imaginent que nous fondions notre foi sur de faibles principes. Voici les raisons que j'avais d'entrer dans ce sentiment.

Premièrement, l'auteur de la Vulgate a traduit : Adjuro te per Deum.

Secondement, il y a d'autres endroits où orkizein tina  signifie conjurer de la part, ou bien au nom de quelqu'un. En voici des exemples.

Orkizomen umas ton Iesoun ; id est : Adjuramus vos per Jesum, comme on lit dans la Vulgate (2).

Orkizo umas ton Kurion ; id est : Adjuro vos per Dominum, comme on lit dans la Vulgate (3).

M. Simon lui-même, qui se pique tant de grécisme, a très-mal traduit ces paroles d'Euthyme sur saint Jean : o Pater eudokesen ina pantoo o Uios eksousiase dia tes pisteos. Voici la traduction de M. Simon : « Il a plu au Père que le Fils donnât le pouvoir à tous par la foi (4).» Voilà une insigne falsification. Eksousiazein ne signifie pas donner le pouvoir ; mais dominer, avoir pouvoir, exercer son pouvoir. Euthyme veut dire que l'intention du Père céleste a été que le Fils dominât sur tous les hommes par la foi. Et en effet, disait Jésus-Christ lui-même : Data est mihi omnis potestas (5) : Dedisti eipotestatem omnis carnis (6). Cela suffit pour que nous nous défiions de M. Simon, même pour ce qui regarde le grec. Je crois avoir encore quelques passages grecs qu'il a mal traduits dans ses critiques. Je suis, Monseigneur, avec un très-profond respect, etc.

 

C. CAPPERONNIER, diacre, licencié en théologie.

 

1 Marc, V, 7. — 2 Act., XIX, 13.  — 3 I Thessal., V, 27. — 4 Hist. critiq. des    Comment. du Nouv. Testam., chap. XXIX, pag. 421. — 5 Matth., XXVIII, 18. — 6 Joan., XVII, 2.

 

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LETTRE XXXIX. M. CAPPERONNIER, LICENCIÉ EN THÉOLOGIE, A BOSSUET. 1703.

 

La manière douce et honnête dont Votre Grandeur me reçut, la première fois que j'eus l'honneur de lui faire la révérence, me fait prendre la liberté de vous communiquer quelques remarques que j'ai faites sur Platon. Elles me paraissent importantes pour défendre le dogme catholique de la transsubstantiation, parce qu'elles font voir que ce divin philosophe a donné le nom de ousia  à tout ce qui est réel, soit substance soit accident, soit être physique soit être moral. Votre Grandeur en jugera elle-même.

Premier passage de Platon, dans le Cratyle, p. 423 de l'édition de Serranus.

Socrate. « Ne vous semble-t-il pas que la couleur, par exemple, et les autres choses dont nous parlons présentement, ont leur substance? ou kai ousia dokei soi einai ekastoo. Quoi! la couleur et la voix n'ont-elles pas une certaine substance, aussi bien que toutes les autres choses auxquelles on donne le nom d'êtres ? ouk estin ousia tis ekateroo auto. »

Hermogène. « Pour moi je crois que cela est vrai. »

Socrate. « Hé bien, si quelqu'un voulait représenter la substance de chaque chose par des lettres et par des syllabes, ne vous marquerait-il pas par là ce que chaque chose est ou n'est pas? »

Second passage de Platon, dans le Charmide, page 168, parlant de la voix, de la couleur, etc.

Il dit : « Ce qui est capable d'agir sur soi-même ne doit-il pas avoir la chose sur quoi son pouvoir s'étend?  Ou kai ekeinen eksei ten ousian pros en e dunamis autou en. « Par exemple, si on s'entend soi-même, on doit avoir du son ; si on se voit, on doit avoir de la couleur en soi-même. » Voilà donc le son et la couleur qualifiés du nom d'ousia.

 

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Troisième passage de Platon, dans le Théétite, page 155.

 

Il dit : « Ils ne mettent pas au rang des êtres réels les actions, les productions et toutes les autres choses invisibles : ouk apodexomenoi oos en ousias merei. » Platon donne ici le nom d'ousia aux actions et aux autres êtres moraux qui sont comme des accidents.

Quatrième passage de Platon, dans le Théététe, page 136 de l'édition de Maisile Ficin.

« Notre âme se mouvant elle-même et comparant ces choses entre elles, nous fait juger de la substance de ces deux êtres et de leur contrariété : elle nous fait même juger de la substance de cette contrariété, kai ten ousian tautes tes enantiotetos.» On voit que Platon donne le nom de substance oicia à la contrariété des êtres. Or cette contrariété n'est qu'une simple qualité et un pur accident.

Que les calvinistes viennent après cela nous objecter certains passages des Pères, où ces saints docteurs donnent le nom d'oùsia, de substance, aux symboles eucharistiques après la consécration. Ne sommes-nous pas en droit de leur répondre que les Pères, après le divin philosophe, ont pu appeler oùsîav de simples accidents et qualités corporelles, comme sont la couleur, la figure et le son, qui sont les exemples mêmes dont Platon se sert dans les passages que nous venons de citer ?

C'est à vous, Monseigneur, comme au premier théologien du clergé de France, que j'ai voulu communiquer ces remarques. Si vous les approuvez, je croirai avoir fait une bonne découverte. Je me recommande toujours à l'honneur de votre protection. Si j'osais, je vous la demanderais présentement au sujet d'une chaire de philosophie, qui vaque actuellement au collège royal par la démission de M. Dupin. Il me semble que ces chaires sont fondées pour enseigner la philosophie grecque et latine. Si par votre protection et par votre crédit je pouvais obtenir celle qui vaque, je tâcherais d'y faire des leçons de philosophie grecque, et surtout de la platonicienne, que Votre Grandeur sait avoir été fort estimée des Pères grecs et latins. Je suis avec un très-profond respect, etc.

 

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LETTRE XL. M. L'ÉVÊQUE D'ARRAS, A BOSSUET (a). A Douai, ce 25 juillet 1702.

 

J'apprends, Monseigneur, avec bien du plaisir, que Sa Majesté vous a nommé pour commissaire, au sujet de la plainte qui lui a été portée de l'état déplorable où se trouve à présent l'Université de Douai, et particulièrement la Faculté de théologie, qui est réduite, si j'ose me servir de ce terme, à rien, et que j'ai vue autrefois si florissante. J'y dois prendre un intérêt particulier comme évêque diocésain: et il y a longtemps que je gémis sur les mauvais choix que l'on a faits pour y remplir les chaires de théologie, quand elles ont vaqué, et sur les mauvais sujets que l'on a proposés pour cela au roi. Comme il est à propos, Monseigneur, que vous soyez instruit de l'état des choses, j'ai cru que vous ne pouviez mieux l'être que par le recteur même de cette Université, homme droit, de beaucoup de mérite, et à qui vous pouvez prendre confiance, qui s'est chargé de vous envoyer un mémoire sur ce sujet. C'est un grand bien que vous ferez, si vous voulez bien honorer cette Université de votre protection dans cette occasion si considérable, pour la remettre dans son premier lustre. Je vous la demande pour elle; et pour moi, la grâce d'être bien persuadé du respect sincère avec lequel, Monseigneur, je suis, etc.

 

GUY, évêque d'Arras.

 

LETTRE XLI. M. MONNIER DE RICHARDIN, RECTEUR   DE   L'UNIVERSITÉ   DE   DOUAI,   A   BOSSUET.  A Douai, ce 28 juillet 1702.

 

Nous avons appris avec une joie extrême qu'il a plu au roi de

 

(a) Guy de Sève de Rochecbouart, un des cinq évêques qui écrivirent Innocent XII, pour demander la condamnation du livre du cardinal Sfondrate sur la prédestination.

 

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nommer des commissaires, pour travailler au rétablissement do l'Université de Douai, et que Sa Majesté a jeté les yeux sur Votre Grandeur. Cet ouvrage est digne de vous, Monseigneur. Vous savez quelle a été autrefois la réputation de notre compagnie, tant par rapport à la profonde doctrine qu'à la solide piété ; et toutes choses se trouvent maintenant disposées à rendre à ce corps célèbre son ancienne splendeur. Je prends la liberté de joindre ici un mémoire succinct de l'état auquel l'Université est réduite, et d'autres pièces qui y ont rapport. Je suis avec un profond respect, etc.

MONNIER DE RICHARDIN, rect. de l'Univ. de Douai.

 

 

XLII. MÉMOIRE POUR L'UNIVERSITÉ DE DOUAI.

 

Il n'y a pas plus de quinze ans que les abus et les désordres, qui se trouvent à présent dans l'Université de Douai, s'y sont introduits. Avant ce temps elle florissait encore, et elle s'est vue depuis tomber peu à peu dans le triste état où elle est aujourd'hui. Ne pouvant se relever par elle-même, elle a eu recours aux bontés du roi, persuadée que sous un règne aussi juste et aussi glorieux que le sien, on ne verrait pas périr des études si fameuses et si utiles à l'Eglise que celles de Douai. Le principal secours qu'elle attend des commissaires qu'il a plu au roi de nommer, n'est pas de juger des contestations entre des particuliers. L'Université n'a point d'autre partie qu'elle-même : il s'agit de bien connaître ses besoins et ses maux, et d'y apporter les remèdes nécessaires.

En attendant que Nosseigneurs les commissaires puissent être informés en détail de tous les désordres auxquels il faut remédier, il a paru nécessaire de leur en donner une idée générale, mais suffisante pour qu'ils puissent connaître la nécessité d'en être instruits plus à fond.

Les principaux articles dont ils devront être informés, sont :

 

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I. L'état de chaque faculté, dont l'Université est composée. IL Les études des collèges.

III. Le gouvernement des séminaires.

IV. Les fondations et leur exécution.

V. La discipline pour les mœurs des écoliers.

VI. Le temporel de l'Université.

On ne donne dans ce premier Mémoire qu'une teinture des choses les plus pressées dans chacun de ces articles.

 

LES FACULTÉS. — CELLE DE THÉOLOGIE.

 

Il n'y a pas fort longtemps que la Faculté de théologie était encore florissante. Il y avait dans cette Faculté des professeurs d'un mérite distingué : on les consultait de toutes parts ; leurs leçons étaient fréquentées, et les écoles se soutenaient avec réputation et avec éclat. Le roi y a mis depuis les professeurs d'Espalunghe et Tournéli, docteurs de Sorbonne, qui s'y sont acquis aussi beaucoup de réputation et d'estime : mais l'un étant mort, et l'autre devenu professeur de Sorbonne, cette Faculté est tombée dans une entière décadence, en sorte qu'on peut dire sans exagérer qu'il ne lui en reste plus que le nom.

Ceux qui la composent à présent sont le sieur de la Verdure, très-distingué autrefois par son mérite ; mais actuellement hors d'état de professer et d'aucun travail, à cause de ses infirmités ; le sieur de Cerf, qui est d'un grand âge, et qui n'a jamais eu de réputation ; le sieur Delcourt, dont M. l'évêque d'Arras a été obligé de censurer publiquement la doctrine, et de la lui faire désavouer par un acte public, et dans une matière qui n'allait à rien moins qu'à saper les fondements de la foi ; enfin le sieur Amand, que de curé de village on a fait choisir il y a quelque temps pour professeur de catéchisme, pour le mettre en état, comme on vient de faire, de l'élever plus haut sans concours et sans examen, qu'on croit qu'il aurait peine à soutenir. Les autres docteurs n'étant pas de la Faculté étroite, sont sans fonction. Le nombre en est petit; celui des licenciés est plus grand : mais toute cette Faculté diminue. Il se trouve cependant parmi ses gradués, qui demeurent

 

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dans l'obscurité, des hommes d'un mérite reconnu et capables de remplir les premières places.

Le peu de capacité des professeurs rend les écoles publiques désertes. De près de six cents théologiens qui étudient à Douai, il n'y a que trente ou trente-cinq écoliers sous le sieur Pierrard, qui professe pour le sieur de la Verdure : cependant il est habile homme, et vient d'en donner des marques dans le concours qui est ouvert ; mais comme il n'est dans cette chaire qu'en passant et comme par emprunt, les écoliers ne s'y attachent pas. Il n'y a que quinze écoliers sous le sieur de Cerf, environ trente sous le sieur Delcourt, et huit ou dix sous le sieur Amand : encore n'en auraient-ils pas tous ce nombre, si les écoliers qui demeurent comme pensionnaires ou comme boursiers dans les séminaires dont ils sont présidents, ne se trouvaient dans une espèce de nécessité de prendre leurs cahiers : et l'on peut dire que si les religieux de Saint-Vaast, d'Arras, qui ont un collège à Douai où ils enseignent la théologie, mais dont les écoles ne sont pas académiques, et les PP. Jésuites qui y enseignent aussi, n'y attiraient des écoliers, il n'en resterait presque aucun ; et les évêques des provinces voisines seraient privés du secours qu'ils tirent des théologiens qui étudient à Douai.

Le peu d'assiduité et la négligence avec laquelle quelques-uns de ces professeurs font leurs classes, achèvent de les décréditer, surtout le sieur Delcourt, dont les absences sont très-fréquentes, et qui, lorsqu'il professe par lui-même, n'arrive souvent qu'après son heure ; se contente de dicter un quart d'heure et d'expliquer un autre quart d'heure, puis se retire.

Le sieur de la Verdure n'étant plus en état de travailler, le sieur Delcourt se trouve le seul censeur des thèses, sur lesquelles il se donne une autorité despotique en refusant de les signer, et les arrêtant par là tant qu'il lui plaît, lorsque ceux qui les soutiennent ne se trouvent pas de son sentiment. La plupart des présidents de séminaires, et des professeurs en théologie des ordres religieux, et d'autres personnes distinguées, en ont porté leurs plaintes à M. l'évêque d'Arras par une requête en forme, signée d'eux. On joint ici une copie de cette requête et du mémoire qui y était joint.

 

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On informera Nosseigneurs les commissaires, dans un mémoire séparé de celui-ci, des plaintes particulières qui regardent le sieur Amand, qui a cru être en droit de monter sans concours et sans examen à une chaire de théologie, contre le droit et l'usage de cette Université. Il suffit quant à présent que Nosseigneurs les commissaires soient informés de deux choses.

Premièrement, que sans parler du défaut de talents extérieurs dans le sieur Amand, sa seule incapacité le rend absolument inhabile à l'emploi qu'il occupe, et encore plus à celui auquel il a cru être en droit de s'élever : c'est un fait à vérifier, en faisant examiner ledit sieur Amand par des théologiens, qu'il plaira à nosdits Seigneurs de nommer à cet effet.

Secondement, qu'à la mort du feu sieur Estier, docteur de Sorbonne et professeur en théologie, homme de mérite, les proviseurs de l'Université supplièrent Sa Majesté de vouloir rétablir le concours pour conférer aux plus dignes les chaires des professeurs, conformément à l'ancien usage de ladite Université, et à l'arrêt du conseil du 30 avril 1681. Le sieur Amand, professeur du catéchisme, contre cet usage et la teneur de cet arrêt, a prétendu monter de plein droit à la quatrième chaire de théologie et s'en est fait pourvoir, laissant sa chaire de catéchisme au concours. Les proviseurs de l'Université qui virent un brevet de Sa Majesté en faveur dudit sieur Amand, n'eurent d'autre parti à prendre que celui de s'y soumettre par provision, sauf à eux de se pourvoir par-devant les commissaires qu'ils demandaient au roi pour connaître spécialement de cette affaire, et ont mis la chaire du sieur Amand au concours. Le jour indiqué pour l'ouverture de ce concours, cinq des concourans présentèrent une requête au recteur et aux proviseurs de l'Université, tendante à récuser pour juge le sieur Delcourt, pour les raisons reprises dans ladite requête. Les proviseurs ont fait part de cette requête à M. de Bagnols, intendant de Flandre; et le sieur de Bagnols l'a renvoyée auxdits proviseurs pour en connaître. Ils l'ont communiquée au sieur Delcourt, ont déclaré les causes de récusation recevables, et en conséquence ont nommé un autre docteur en sa place; et attendu les infirmités du sieur de la Verdure et du sieur de Cerf, ils ont

 

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encore nommé deux autres docteurs pour remplir leurs places ainsi qu'il se peut voir par la sentence jointe à ce Mémoire. Le sieur ûelcourt a voulu se pourvoir contre cette sentence au parlement de Tournai : mais ce tribnnal s'est abstenu de juger, a déclaré son incompétence, et a renvoyé les parties par-devant Sa Majesté; ordonnant cependant que le concours, dont il avait d'abord suspendu la suite, se continuerait : et de fait le concours s'est continué en public avec les solennités ordinaires, et se continue encore actuellement par-devant les docteurs, juges délégués à cet effet par lesdits proviseurs, tant à cause de leur droit d'y pourvoir au défaut des autres, qu'en conséquence du renvoi de M. l'intendant et de l'arrêt du parlement de Tournai.

Il est évident par l'état où se trouve cette Faculté, qu'elle périt et se détruit entièrement par le mépris dans lequel l'a fait tomber le peu de mérite des personnes qui la remplissent. Le concours qui est ouvert donnera lieu d'y mettre d'excellents sujets qui s'y présentent, non-seulement pour remplir la chaire vacante par le décès du sieur Estier, mais pour donner des coadjuteurs à ceux des professeurs que leurs infirmités ou leur grand âge mettent hors d'état de professer absolument, ou de le faire avec l'assiduité nécessaire, ainsi qu'il s'est pratiqué en pareil cas dans cette même Université.

 

LES FACULTÉS DES DROITS.

 

Les deux Facultés de droit canon et civil sont les moins endommagées : les ordonnances du roi pour les études du droit dans son royaume s'y exécutent exactement. Les chaires des professeurs ne s'y confèrent que par le concours : on ne laisse pas cependant, contre le sentiment de quelques-uns des professeurs, de recevoir de temps en temps aux degrés des écoliers qui n'ont pas toutes les qualités qu'exige l'édit du roi de 1679; et c'est le seul abus à réformer.

 

LA FACULTÉ DE MÉDECINE.

 

Cette Faculté est presque entièrement tombée, sans qu'on puisse accuser les professeurs de sa chute. Après avoir été

 

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pourvus de leurs chaires par le concours, ils trouvèrent la discipline des écoles en mauvais état : les leçons étaient négligées, les quatre thèses que les écoliers devaient faire pour parvenir au degré de licence étaient réduites à deux, et on passait facilement sans que les examens fussent fort rigoureux.

Les professeurs modernes travaillèrent à remédier à ces maux: ils se rendirent assidus à leurs leçons, obligèrent les écoliers à les fréquenter, choisirent les matières les plus utiles et les plus curieuses, établirent un théâtre anatomique et un jardin des simples, obligèrent les écoliers aux quatre thèses et à deux examens, et se tinrent fermes à refuser les degrés à ceux qu'ils en jugeroient indignes.

Cette exactitude, bien loin de repeupler les écoles, les a rendues presque désertes. Les écoliers, pour éviter une rigueur qui leur paraît dure, mais qui cependant est nécessaire, vont à quelque Université peu fameuse en France, où dès le jour même de leur arrivée et, s'ils le veulent, sans sortir de l'hôtellerie, ils obtiennent des lettres de licencié et de docteur en médecine, en vertu desquelles ils viennent exercer la médecine dans les pays conquis. Il y va de la santé et de la vie des hommes de remédier à cet abus, dans lequel on supplie Nosseigneurs les commissaires de vouloir entrer. On pourra lorsqu'ils en auront pris une parfaite connaissance, leur suggérer quelques moyens auxquels on a pensé, pour remédier à cet inconvénient.

 

LA FACULTÉ DES ARTS.

 

Il serait à souhaiter que les honoraires des professeurs des langues grecque et hébraïque, et de l'histoire, pussent leur fournir une honnête subsistance. Ces places si nécessaires dans une Université, deviendraient plus utiles à celle de Douai : mais ces trois professeurs n'ont actuellement que cent florins (a) d'appointement, encore n'en sont-ils pas payés : on n'ose pour cette raison se plaindre de la négligence de quelques-uns d'eux.

 

(a) D'après l'académie de la Crusca, florin, vient du nom de la ville de Florence, où cette monnaie prit naissance, et qui avait une fleur-de-lis dans ses armes. Le florin de Belgique et celui de Douai valait 1 fr. 83.

 

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LES COLLÈGES.

 

Le collège du roi est le premier et le plus ancien collège de l'Université : c'est une maison de fondation royale, située sur les ruines de l'ancien château de Douai. Marguerite d'Autriche, gouvernante des Pays-Bas, en fit don à l'Université, au nom du roi catholique son fondateur. Ce collège est le plus pauvre de l'Université : il ne laisse pas néanmoins de se soutenir par le soin que quelques particuliers en ont pris. On y a rétabli les humanités, qui avaient été interrompues plus de trente années : mais si on pouvait y mettre le nombre de professeurs nécessaires, ces humanités fleuriraient parfaitement, et feraient une émulation utile aux belles-lettres. La ville de Douai demande qu'on ne laisse pas tomber ces humanités, à cause des secours qu'elle en tire ; et il y va constamment du bien public de les soutenir : il ne sera pas difficile d'en trouver les moyens.

 

LES SÉMINAIRES.

 

On ne reconnaît plus le séminaire du roi depuis la mort du sieur d'Espalunghe, docteur de Sorbonne, qui en était président: il est absolument déchu depuis que le sieur Delcourt lui a succédé. Ce président est presque toujours absent de son séminaire ; et lorsqu'il y est, il s'y applique très-peu : de là vient le désordre dans l'économie du temporel et dans la discipline des mœurs : aussi le nombre d'ecclésiastiques dont le séminaire était autrefois rempli, est-il très-considérablement diminué. Depuis huit ans que le sieur Delcourt est président, il n'a rendu aucuns comptes. Le sieur de la Verdure, proviseur de ce séminaire, n'est pas à la vérité en état de les entendre, mais il est facile de commettre quelqu'un qui les entende à son défaut, et cela est absolument nécessaire.

Le séminaire de la Motte avait été employé à usage de casernes, contre le consentement de l'Université : on veut encore le destiner à usage de manufacture. L'Université fait tous ses efforts pour l'empêcher, parce qu'elle voit avec peine perdre un de ses plus beaux séminaires, et dans lequel on peut entretenir sans

 

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peine vingt boursiers et un président. La contestation entre l'Université et l'entrepreneur de la nouvelle manufacture était par-devant M. Amelot, conseiller d'état, avant la nomination des commissaires ; et si cette affaire, qui regarde l'Université, revenait à leur bureau, ils pourraient la juger avec toutes les autres.

 

LES FONDATIONS.

 

Il y a grand nombre de bourses annexées à des collèges particuliers ; on ne sait par qui elles sont remplies, ni si on en acquitte les charges. Il y a peu d'Universités qui aient plus de fondations pieuses que celle de Douai, et il y en a peu où elles soient plus mal exécutées : elles ont besoin d'un sérieux examen.

 

LA DISCIPLINE.

 

Il résulte des désordres ci-dessus que les écoliers se dérangent : leur temps se perd, leurs études souffrent, leurs mœurs se dérèglent; et il est difficile de retenir des jeunes gens en particulier, quand ils ne sont pas retenus dans les collèges et dans les séminaires. Il s'ensuit de là que la juridiction de l'Université reçoit de rudes atteintes, et que les autres juridictions voisines s'en prévalent à son préjudice ; et qu'empiétant sur son autorité, les suppôts de l'Université la méprisent, et s'écartent de l'obéissance qu'ils doivent, et deviennent quelquefois incorrigibles.

 

LE TEMPOREL.

 

Si l'Université jouissait de ses revenus, son temporel bien réglé aiderait à la soutenir : mais elle n'en est pas payée ; et elle a encore besoin de l'autorité du roi pour recouvrer la subsistance nécessaire à ses professeurs, qui n'ont rien touché de leurs gages depuis huit ans.

 

CONCLUSION.

 

Pour connaître à fond et plus en détail tous ces maux, et y apporter les remèdes nécessaires, il serait à souhaiter que Nosseigneurs les commissaires pussent en prendre connaissance par eux-mêmes, ou que du moins quelqu'un d'eux pût venir sur les lieux faire la visite de cette Université. Mais comme il n'est pas

 

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à présumer que des personnes de la dignité de nosdits Seigneurs, et aussi employées qu'elles sont auprès du roi, puissent se transporter à Douai; ladite Université demande avant tout, comme une chose essentiellement nécessaire, qu'il plaise à Nosseigneurs les commissaires de déléguer sur les lieux une ou plusieurs personnes, que leur dignité, leur caractère et leur mérite puissent rendre dignes de leur confiance; auxquelles on donne pouvoir conjointement ou séparément de faire les visites, d'examiner les fondations, faire rendre les comptes, recevoir les plaintes, et généralement prendre connaissance du tout; pour leurs procès-verbaux être renvoyés à nosdits Seigneurs, et être par eux ordonné ce que de raison.

 

LETTRE XLIII. M. DE FLEURY, ÉVÊQUE DE FRÉJUS, A BOSSUET (a). A Fréjus, ce 30 mai 1703.

 

Le sieur Anisson, Monseigneur, m'a retardé longtemps le plaisir de lire votre dernier livre ; car je ne l'ai reçu que depuis deux jours, et je n'ai pu le quitter sans l'achever. Vous êtes en vérité le défenseur de l'Eglise ; et je crois qu'on dira de vous comme de saint Jacques, que les hérétiques n'oseront paraître à découvert tant que vous vivrez. Il n'y a qu'à souhaiter que ce soit bien longtemps, puisque vous ne perdez non-seulement rien de votre force et de votre vivacité, mais qu'il semble au contraire que Dieu vous la renouvelle. Vous faites bien paraître ce misérable Simon tel qu'il est ; et avec tout son orgueil et sa présomption, je doute qu'il ose reparaître. Votre livre le terrasse, et le fait voir, aussi bien que ses approbateurs et protecteurs, infiniment méprisable. Vous ne dites qu'un mot de ces derniers ; mais il y en a assez pour les faire rougir de honte. Vous serez peut-être cause, quoique sans le vouloir, que ce malheureux socinien

(a) André-Hercule de Fleury, depuis précepteur de Louis XV, cardinal et premier ministre.

 

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caché lèvera le masque ; car quel crédit peut-il avoir présentement parmi les catholiques? Vos instructions, Monseigneur, ont cela de bon, qu'outre l'utilité elles attachent et font plaisir. Je ne serais pas étonné qu'elles fissent cet effet sur moi par la prévention que j'ai pour tout ce qui vient de vous ; mais j'apprends qu'elles ont fait la même impression sur tout le monde. Quand vous ferez quelque nouvel ouvrage, je donnerai des ordres pour l'avoir plus promptement, et je prendrai la liberté de vous donner une autre adresse. On m'avait alarmé sur votre santé et sur quelque menace d'un mal bien fâcheux; mais j'espère qu'elle n'est point fondée. Vous savez, Monseigneur, à quel point je m'y intéresse, et le respectueux et inviolable attachement que je converai toute ma vie pour vous.

 

LETTRE XLIV. M. DE BISSY, ÉVÊQUE DE TOUL, A BOSSUET (a). A Toul, ce 2 novembre 1703.

 

Je suis ravi d'apprendre par la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, que vous approuvez mon mandement sur l'Usure. Puisque vous me témoignez désirer d'en savoir les suites, je vous envoie la défense que la Cour de Lorraine a fait de le publier, et en même temps je vous demande votre avis, comme au Père des évêques de France, pour savoir ce que je dois faire pour une matière de cette importance. En ai-je assez fait en envoyant mon mandement à tous mes doyens ruraux et aux chefs des communautés, pour m'opposer, autant que je le dois, aux erreurs contenues dans le libelle que j'ai condamné, ou dois-je encore faire davantage après la défense du souverain de publier mon ordonnance? Et en ce cas-là, que dois-je faire? Il ne s'agit pas ici d'un point de discipline ou de juridiction, mais d'une matière de foi, de doctrine et de mœurs. C'est un usage commun en

 

(a) Henri de Thiard de Bissy, qui succéda l'année suivante à Bossuet dans le siège de Meaux.

 

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Lorraine, de prêter sur de simples obligations, et d'en tirer du profit. Je suivrai vos avis, Monseigneur, sachant qu'ils sont pleins de lumière et de sagesse. Je prie Dieu de tout mon cœur qu'il vous rende une santé parfaite. Je suis avec tout l'attachement et le respect possible, etc.

 

LETTRE XLV. M.   PUSSYRAN (a).

 

On a appris que "Votre Grandeur travaillait contre le Silence respectueux. On en serait édifié, si on n'avait su depuis que vous supposez dans cet ouvrage que l'Eglise n'est pas infaillible sur les faits doctrinaux, et que vous n'exigez des fidèles qu'un simple préjugé en faveur des décisions de l'Eglise. Si vous prévariquez jusqu'à ce point, vous devez vous attendre que les docteurs catholiques fondront sur vous ; et qu'en vous relevant sur cet article, ils ne vous épargneront pas sur les autres fautes de vos ouvrages. J'en ai en mon particulier un recueil assez ample pour vous donner du chagrin le reste de votre vie, dût-elle être bien plus longue qu'on n'a lieu de l'espérer. Eh! Monseigneur, si vous voulez avoir l'honneur de défendre l'Eglise, défendez-la sans la trahir; et ne confirmez pas le juste soupçon qu'on a eu que vous ne faisiez pas à l'égard des nouvelles hérésies, ce qu'on devait attendre d'un prélat de votre distinction. Il faut même que je vous avoue qu'il y a déjà sur votre chapitre un petit volume

 

(a) Nous n'avons pu rien découvrir sur ce M. Pussyran. Sa lettre, qui est sans date, paraît avoir été écrite en 1703, à l'occasion du fameux Cas de conscience. Le censeur de l'édition de dom Déforis dissuadait ce religieux de l'imprimer ; celui-ci n'y voulut point consentir. Mais il se garda bien, en la publiant, de dire que l'auteur était mal informé des sentiments de Bossuet sur ce qui fait le sujet de sa lettre. C'était alors, en effet, que l'évêque de Meaux composait, sur l'autorité des Jugements ecclésiastiques, un ouvrage, dont le but était de montrer « par des faits constants, des actes authentiques et des exemples certains, le droit perpétuel de l'Eglise et qu'elle a toujours exercé, d'exiger des fidèles leur consentement et leur approbation expresse à ses jugements, avec une persuasion entière et absolue dans l'intérieur. » ( Edit. de Vers. ) — Nous avons donné ce qu'on a de cet écrit, vol. XXVI, p. 238 et suiv.

 

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tout prêt, sous ce titre : Rétractation de Messire Bénigne Bossuet, évêque de Meaux. Il est plein d'onction et de vérité; l'auteur écrit d'une manière à se faire lire. Vous ne pouvez vous épargner cette critique publique qu'en vous déclarant sans ménagement contre les fauteurs du Silence respectueux. Au reste, Monseigneur, quand vous expliquerez la grâce efficace par elle-même, appliquez-vous bien à la distinguer de celle de Calvin, premier auteur de cette expression. Je suis, etc.

 

J. P. PUSSYRAN, D.

 

FIN DES LETTRES ÉCRITES A BOSSUET.

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