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LETTRE DXX. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE (a). Florence, 9 juillet 1699.

 

J'arrivai ici le lendemain de ma lettre ci-dessus, et trouvai le courrier de France parti il y avait un quart d'heure. Je reçus en même temps de la main de M. Dupré les deux paquets que vous lui avez adressés du 1er juin, et du 7 et 8 du même mois.

La plus grande-joie que je puisse recevoir est d'apprendre que votre santé est bonne, et que votre érésipèle n'a aucune suite. Je ne doute point que le bon air de la campagne et les bains ne vous remettent entièrement. Le repos y doit, ce me semble, contribuer encore plus que tout le reste. J'ai trouvé ici cette Cour comme je Pavais laissée, et en particulier M. le grand-duc plus honnête et plus plein de bonté que-jamais pour vous et pour moi. Comme

(a) Revue et corrigée sur l'original.

 

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M. l'envoyé de France m'a voulu loger cette fois-ci chez lui, et ce qui s'appelle me servir de carrosse, etc., M. le grand-duc s'est contenté de m'envoyer un magnifique présent de toutes sortes de rafraîchissements et de provisions. J'ai eu l'honneur de le voir trois fois dans les quatre jours que j'ai été ici, plus d'une heure chaque fois. Il m'a paru, comme à tout le monde, que ce prince avait quelque plaisir de m'entretenir. Il m'a paru content de moi. Nous avons parlé de bien des choses, dont je vous rendrai compte quand je vous verrai, et vous jugerez de la confiance qu'il a bien voulu avoir en moi, et qu'il compte sur vous comme sur un ami. Les expressions et les sentiments qu'il a sur votre sujet sont au delà de tout ce que je puis vous dire.

Le premier jour que j'eus l'honneur de le voir, il me dit qu'il m'attendait pour voir avec moi ce qu'il pourrait faire pour M. de Madot ; et puis m'a dit qu'il lui avait destiné le commandement d'une compagnie de carabiniers à cheval, de deux cents maîtres, qui est tout ce qu'il a de meilleur, de plus honorable et de plus utile en même temps. Vous croyez bien comme j'ai été sensible à ces marques essentielles de bonté. M. de Madot est plus que content : il vous marquera en détail et plus au long ce que c'est que cet emploi. S. A. S. m'a promis de vous envoyer les portraits de lui et de sa maison, que vous souhaitez ; et la demande que je lui en ai faite, lui a été très-agréable. Vous lui ferez assurément plaisir de lui écrire en remerciement des bontés dont il m'a de nouveau honoré, de ce qu'il a fait pour M. de Madot à votre seule considération, et des portraits qu'il m'a promis pour orner votre salon de Germigny.

J'ai vu M. le cardinal de Médicis à sa campagne, et ici deux fois M. le grand prince et Madame la grande princesse, qui m'ont parfaitement bien reçu. Madame la grande princesse m'a mené voir, dans la chambre où elle couche, les portraits des princes ses neveux, et de Madame la duchesse de Bourgogne. Elle m'a paru très-sensible à l'attention de lui faire plaisir que l'on a eue là-dessus.

Vous aurez vu par mes précédentes, l'esprit de la cour de Rome sur M. de Cambray et sur tout ce qui se passe en France : je n'ai

 

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rien appris de nouveau. Je puis vous dire qu'autant mes amis, et en particulier Madame la princesse des Ursins, ont été fâchés de me voir partir, autant M. le cardinal de Bouillon en a été ravi : c'est une épine à son pied de moins. M. le cardinal de Bouillon m'a dit un adieu très-tendre, m'a embrassé, et m'a dit de vous dire que rien ne pouvait empêcher qu'il ne vous honorât et ne vous aimât toute sa vie.

M. l'ambassadeur m'a paru vouloir faire des merveilles pour mon induit. J'espère plus que jamais l'obtenir par son moyen. M. le grand-duc fera aussi agir sous main.

Je vous envoie une lettre de M. le nonce, que j'ai reçue à Rome, par laquelle vous verrez par lui-même les ordres qu'il a reçus du Pape par M. le cardinal Spada sur mon chapitre (a), et que tout ce que je vous ai mandé là-dessus est bien vrai. Ne perdez pas cette lettre, je vous en prie.

Vous avez raison de toujours supposer que la cour de Rome est contente de la réception de son décret en France. Ils n'oseront jamais, ou je serais bien trompé, faire paraître là-dessus aucun mécontentement.

On n'a point parlé dans le bref de Sa Sainteté à M. de Cambray, de la première lettre où il parle de innocentiam, etc., par deux raisons : l'une, pour ne pas témoigner l'approuver en rien ; et l'autre, parce qu'il n'adressait pas son mandement par cette lettre. On a parlé de la seconde, par laquelle il adressait sa soumission, et qu'on n'a jamais pu voir ici.

Je pars dans une heure pour Bologne. Je marcherai toute la nuit par le clair de lune, j'y demeurerai tout samedi, et en repartirai dimanche 12 pour Modène. J'ai reçu la lettre de Madame la princesse. Je repartirai de Modène le 14 pour Venise, où je ferai peu de séjour, pour me pouvoir rendre avant le 25, si je puis, à Turin, voulant y trouver M. le duc de Savoie qui doit aller aux eaux vers les Grisons à la fin de juillet. Je vous donnerai de mes nouvelles des lieux où je passerai. Je

 

(a) On a vu dans les lettres précédentes, que le nonce avait eu ordre de Sa Sainteté de témoigner au roi la satisfaction qu'elle avait de la conduite de l'abbé Bossuet à Rome.

 

 

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n'écris ni à MM. de Paris, Reims, ni à M. le cardinal de Janson. Je vous prie d'y suppléer pour moi.

Je me porte bien jusqu'ici. La chaleur est grande; mais je marcherai la nuit, le plus qu'il me sera possible. Je tiens et tiendrai M. le grand-vicaire gai et gaillard, s'il plaît à Dieu. Je vous prie de bien remercier M. Dupré, dont je vous envoie une lettre. On ne peut pas me recevoir et me traiter mieux qu'il fait.

Les papalins ont été très-maltraités à Venise.

 

LETTRE DXXI. M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS, A L'ABBÉ BOSSUET. Le 6 juillet 1699.

 

Il y a quelque temps que je ne vous ai écrit, Monsieur, parce que je vous croyais en chemin ; mais apprenant par votre lettre du 16 que vous étiez encore à Rome, je ne veux pas manquer à vous remercier de votre soin à me mander ce qui se passe où vous êtes.

Je comptais bien qu'on serait un peu fâché de ce que notre procès-verbal porte de favorable à l'épiscopat ; mais j'espère que les réflexions apaiseront les premiers mouvements de chagrin. On verra par les autres procès-verbaux, que nous avons été bien modérés; et on trouvera qu'en toute occasion semblable les évêques en ont usé de même, sur tous ceux de France. Notre conscience et notre honneur ne nous permettaient pas de faire autrement.

Je compte que vous aurez eu M. de Monaco peu de jours après la date de votre lettre, et qu'ainsi vous êtes présentement en marche. Je vous souhaite un heureux voyage et une prompte arrivée en ce pays. Je me fais par avance un grand plaisir de vous y entretenir de vos peines et de vos exploits, et de vous assurer de vive voix, Monsieur, que je suis à vous avec les sentiments que vous méritez.

 

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LETTRE DXXII. LE PRINCE DE MONACO A BOSSUET. Rome, ce 7 juillet 1699.

 

J'ai reçu la lettre, Monsieur, dont vous m'avez honoré le 29 du mois de mai : je suis très-sensible aux expressions obligeantes que vous me faites de votre amitié, qui m'est infiniment chère, et que je voudrais bien pouvoir mériter par de véritables services.

M. l'abbé Bossuet est parti depuis quelques jours : j'en ai été très-fâché. Il m'a laissé un Mémoire au sujet de l'induit de son abbaye, pour lequel il avait déjà fait quelque tentative inutile auprès du Pape. Je prendrai mon temps pour faire de nouvelles instances à Sa Sainteté, en conséquence même de ce que m'en a écrit M. le marquis de Torci de la part du roi ; et il ne tiendra pas à mes soins ni à mes sollicitations que vous, Monsieur, et M. votre neveu n'ayez tous deux en cela un entier contentement.

Je n'ai encore été admis qu'une fois à l'audience du saint Père, j'en aurai bientôt une autre : cependant il m'a déjà parlé très-avantageusement de vous, m'ayant dit en propres termes qu'il vous regardait comme un évêque également doué de vertus, de piété et de doctrine. M. le cardinal de Bouillon était présent, et je lui dois la justice de vous dire qu'il fit sur cela son devoir de même manière que je fis le mien. Je souhaite avoir de fréquentes occasions de le remplir par d'autres endroits, afin de vous donner des preuves convaincantes de la passion sincère avec laquelle je suis bien certainement, Monsieur, votre très-humble serviteur,

 

MONACO.

 

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LETTRE DXXIII. BOSSUET A SON   NEVEU (a).  A Paris, 12 juillet 1699.

 

J'ai reçu vos lettres de Rome, du 27 et du 29, par des courriers extraordinaires, et depuis par l'ordinaire celle du 23. Selon celle du 29, vous devez être parti le lendemain. M. de Monaco n'avait pas encore reçu ma lettre que vous lui avez rendue. Il promettait d'agir pour votre induit le plus efficacement qu'il lui serait possible, et parlait très-obligeamment pour vous à M. le marquis de Torci.

Je me réjouis avec vous du plaisir que vous avez eu d'embrasser M. le comte de Brionne, qui vous aura procuré une bonne réception dans la Cour de Turin. Je n'en puis point douter, après la manière obligeante dont Madame la duchesse de Bourgogne a bien voulu écrire de vous et de moi. Cette princesse est toujours la merveille et les délices de la Cour : elle croît sensiblement ; et on est ravi de la voir. Je pars demain pour Meaux, où quelques affaires m'appellent. J'embrasse M. Phelippeaux.

 

LETTRE DXXIV. L'ABBÉ   BOSSUET  A  SON  ONCLE (b). Modène, ce 14 juillet.

 

Je partis, comme vous l'avez vu par ma lettre du 9 de ce mois, de Florence la nuit du même jour que je passai les montagnes très-fâcheuses de l'Apennin, qui durent près de trente lieues jusqu'à Bologne, où j'arrivai le lendemain 10 à midi. Je suis resté le samedi et le dimanche à Bologne, où j'ai vu les deux cardinaux qui y résident, que je n'avais pas vus à Rome. L'un est le

 

(a) Revue sur l'original. — (b) Revue et complétée sur l'original.

 

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cardinal Buoncompagno archevêque, et l'autre le cardinal Dada légat. Le premier est un très-excellent évêque et très-bon homme ; et l'autre, un très-habile homme, et qui a beaucoup d'esprit, très-informé de tout ce qui se passe partout. Il me donna le dimanche un dîner magnifique, et ces deux cardinaux m'ont fait toutes les amitiés et les honneurs imaginables. M. le cardinal Buoncompagno voulait absolument me loger chez lui. Je me suis tiré de tous ses compliments, en partant de Bologne hier lundi, à la pointe du jour.

Je suis arrivé ici en trois heures. J'y ai trouvé cette Cour. J'ai vu l'après-dînée Madame la duchesse de Brunswick, qui m'a fait mille et mille honnêtetés, et dont j'ai reçu tous les bons traitements imaginables. Madame la princesse avait eu la bonté de lui écrire en particulier sur mon chapitre; et cette princesse est pleine pour vous de tous les sentiments d'estime et d'amitié que vous pouvez désirer, aussi bien que M. le duc de Modène, qui quoique incommodé, voulut me faire l'honneur de me voir, et me dit sur vous tout ce que l'on peut dire, en me chargeant de vous assurer des témoignages de son estime et de son amitié.

Je crois que vous ne pouvez vous dispenser, ou de lui écrire sur cela, ou dans la lettre qu'il faut, s'il vous plaît, que vous écriviez à Madame la duchesse de Brunswick, faire un article particulier sur les témoignages de bonté de ce prince à votre égard et au mien. Je ne sais s'il y aurait quelque difficulté pour le traitement des évêques à Madame de Brunswick (a) : je ne crois pas qu'il en doive avoir; et l'Altesse y va sans difficulté, les électeurs ayant un rang distingué des autres princes, même souverains, jusqu'à avoir la préséance sur M. le duc de Savoie, qui leur a cédé.

Je voulais partir la nuit passée pour Ferrare et Venise, mais Mesdames les duchesses de Brunswick et de Modène m'ont retenu encore aujourd'hui, pour me faire voir la maison de campagne de M. le duc, qui est fort belle, et me faire entendre

 

(a) Traitement que les évêques devaient à la princesse. Autrefois les évêques payaient souvent les princes, parce que l'Eglise était souveraine; mais comme l'Eglise est aujourd'hui servante, ce sont les princes qui paient les évêques. Je me borne à relever le fait.

 

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quelque musique ce soir ; après quoi je pars dans le moment pour poursuivre mon chemin.

Si le temps reste couvert demain, comme il l'est aujourd'hui, et qu'en arrivant demain à la pointe du jour à Ferrare, je puisse voir le cardinal Astalli légat, et le cardinal Paolucci archevêque, j'arriverai demain au soir bien près de Venise, quoiqu'il y ait plus de cent milles d'ici; mais c'est le plus beau chemin du monde. J'y serai après-demain au plus tard. Je ne resterai à Venise que le moins qu'il me sera possible ; et j'espère en pouvoir repartir lundi ou mardi 21, pour m'acheminer vers Milan par Padoue, Vérone, Mantoue, Parme, Plaisance et Pavie. Je ne m'arrêterai partout que quelques heures, voulant arriver à Turin avant, s'il est possible, que le duc en parte. J'espère recevoir de vos nouvelles à Venise, et je vous écrirai de là.

On me fait espérer que cette lettre, qui doit partir d'ici après-demain, arrivera à bon port. Je n'écris pas à mon frère. Je vous prie de lui faire part de cette lettre. Je me porte bien, Dieu merci; M. Phelippeaux aussi, à un rhumatisme près qu'il prit dans un nuage en passant l'Apennin. Je le console par le plaisir d'avoir passé au travers les nuages, et d'aller vite comme le vent et de braver toutes les chaleurs d'Italie.

 

LETTRE DXXV. P. ROSLET, MINIME, A L'ABBÉ BOSSUET. Le 20 octobre 1699.

 

J'ai reçu, Monsieur, avec un très-grand plaisir, vos deux lettres du 28 septembre, qui m'ont appris le favorable accueil que vous avez reçu du roi, en présence de toute sa Cour. J'en ai fait part à vos amis, qui m'en ont tous témoigné beaucoup de joie. Pour moi, je souhaite de tout mon cœur que ce bon commencement ait des suites aussi heureuses et aussi éclatantes que vous le méritez.

On ne m'a remis que quatre exemplaires du mandement de

 

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Monseigneur de Meaux, qui a eu ici l'approbation universelle. Je n'ai pu le donner qu'aux cardinaux Casanate, Panciatici et Àlbane, qui vous remercient et vous honorent parfaitement.

Le cardinal Ottoboni s'est avisé de faire traduire en latin et en italien, le discours de M. d'Aguesseau et l'arrêt du parlement, et en a répandu beaucoup de copies, qui ont excité un si grand murmure, qu'on ne parlait de rien moins que de faire censurer ledit arrêt. Mais il n'en sera rien; les malveillants seront confondus : car j'ai vu le Pape et les cardinaux, et leur ai fait connaître que la protestation faite par les cours souveraines, ne tombant que sur des formalités contraires aux usages de France, et n'ayant pas empêché qu'on n'acceptât avec respect et avec éloge le jugement apostolique, il n'y avait nulle raison de se plaindre que de ceux qui avaient empêché qu'on ne donnât une bulle, espérant peut-être que ce défaut rendrait la condamnation du mauvais livre inutile. J'ai agi dans cette petite négociation suivant les ordres de M. l'ambassadeur, qui n'a pas jugé à propos de se plaindre lui-même avant coup, faisant toutes choses avec une souveraine prudence.

J'ai rendu vos lettres à dom Louis et au P. Latenai. M. Char-mot vous doit écrire le bon état de son affaire : les quesoti sont réglés; il en doit envoyer copie aujourd'hui ou l'ordinaire prochain. On tient la condamnation du culte de Confucius inévitable. Personne ne vous honore plus parfaitement que je fais et que je ferai toute ma vie.

 

Fr. Z. Roslet, Minime.

 

LE P. LATENAI, CARME, A L'ABBÉ BOSSUET. Rome, ce 20 octobre 1699.

 

Les procès-verbaux sur le bref n'ont pas fait grand bruit au commencement, comme vous savez ; on ne s'est pas même fort

 

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ému tout d'abord du discours de M. d'Aguesseau (a). Le Pape, à qui on en lut quelques endroits, parut en être satisfait, quoiqu'il supposât qu'il finirait par des protestations contre le motu proprio,

(a) Ce discours ou réquisitoire fut prononcé le 11 août 1699, pour l'enregistrement du bief contre le livre des Maximes des Saints. Le voici. Messieurs,

Nous apportons à la Cour des lettres patentes, par lesquelles il a plu au roi d'ordonner l'enregistrement et la publication de la Constitution de notre saint Père le Pape, qui condamne le livre intitulé : Explication des maximes des Saints sur la vie intérieure, composé par Messire François de Salignac de Fénelon, archevêque de Cambray ; et nous nous estimons heureux de pouvoir vous annoncer en même temps la conclusion de cette grande affaire, qui après avoir tenu toute l'Eglise en suspens pendant plus de deux années, lui a donné autant de joie et de consolation dans sa fin, qu'elle lui avait causé de douleur et d'inquiétude dans son commencement.

Ce saint, ce glorieux ouvrage, dont le succès intéressait également la religion et l'Etat, le sacerdoce et l'Empire, est le fruit précieux de leur parfaite intelligence. Jamais les deux puissances suprêmes, que Dieu a établies pour gouverner les hommes, n'ont concouru avec tant de zèle, disons même avec tant de bonheur, à la fin qui leur est commune, c'est-à-dire à la gloire de celui qui prononce ses oracles par la bouche de l'Eglise, et qui les fait exécuter par l'autorité des rois.

Des ténèbres d'autant plus dangereuses qu'elles empruntaient l'apparence et l'éclat de la plus vivo lumière, commençaient à couvrir la face de l'Eglise. Les esprits les plus élevés, les âmes les plus célestes, trompées par les fausses lueurs d'une spiritualité éblouissante, étaient celles qui convoient avec le plus d'ardeur après l'ombre d'une perfection imaginaire; et si Dieu n'avait abrégé ces jours d'illusion et d'égarement, les élus même, s'il est possible, et s'il nous est permis de le dire après l'Ecriture, auraient été en danger d'être séduits.

La vérité s'est fait entendre par la voix du Pape et par celles des évêques : elle a appelé la lumière, et la lumière est sortie du sein des ténèbres. Il n'a fallu qu'une parole pour dissiper les nuages de l'erreur; et le remède a été si prompt et si efficace, qu'il a effacé jusqu'au souvenir du mal dont nous étions menacés.

Un des plus saints pasteurs que Dieu dans sa miséricorde ait jamais donnés à son Eglise, un Pape digne par son éminente piété d'être né dans ces siècles heureux où le ciel mettait au nombre de ses saints tous ceux que Rome avait élevés au rang de ses pontifes, est celui que la Providence a choisi pour faire ce discernement si nécessaire, mais si difficile, entre la vraie et la fausse spiritualité. La gloire en était due à un pontificat si pur, si désintéressé, si pacifique ; il semble que Dieu, dont les yeux sont toujours ouverts sur les besoins de son Eglise, ait prolongé les jours de notre saint Pontife, qu'il ait ranimé sa vieillesse comme celle de l’aigle, pour parler encore le langage de l'Ecriture, et qu'il lui ait inspiré une nouvelle ardeur à l'extrémité de sa course, pour le mettre en état d’être non-seulement l'auteur, mais le consommateur de ce grand ouvrage.

L'Eglise gallicane, représentée par les assemblées des évoques de ses métropoles, a joint son suffrage à celui du saint Siège : animée par l'exemple et par les doctes écrits de ces illustres prélats qui se sont déclarés si hautement les zélés défenseurs de la saine doctrine, elle a rendu un témoignage éclatant de la pureté de sa foi. La vérité n'a jamais remporté une victoire si célèbre ni si complète sur l'erreur; aucune voix discordante n'a troublé ce saint concert,

 

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et en faveur du droit des évêques, pour juger de la doctrine en première instance. À la fin pourtant, il s'est élevé un grand bruit contre toutes ces pièces. Un Espagnol, dit-on, a traduit le discours

 

cette heureuse harmonie des oracles de l'Eglise. Et quelle a été sa joie, lorsqu'elle a vu celui de ses pasteurs dont elle aurait pu craindre la contradiction, si son cœur avait été complice de son esprit, plus humble et plus docile que la dernière brebis du troupeau, prévenir le jugement des évêques, se hâter de prononcer contre lui-même une triste, mais salutaire censure, et rassurer l'Eglise effrayée de la nouveauté de sa doctrine, par la protestation aussi prompte que solennelle d'une soumission sans réserve, d'une obéissance sans bornes et d'un acquiescement sans ombre de restriction !

Que restait-il après cela, si ce n'est qu'un roi dont le règne victorieux n'a été qu'un long triomphe, encore plus pour la religion que pour lui-même, voulût toujours mériter le titre auguste de protecteur de l'Eglise et d'évêque extérieur, en joignant les armes visibles de la puissance royale à la force invisible de l'autorité ecclésiastique ?

C'est lui qui, après avoir donné aux évêques la sainte consolation de traiter en commun des affaires de la foi, suivant la pureté de l'ancienne discipline, met aujourd'hui le dernier sceau à leurs délibérations, en ordonnant que la Constitution du Pape acceptée par les Eglises de son royaume, sera reçue, publiée et exécutée dans ses Etats.

Nous avons vu avec plaisir les évêques renouveler en faveur de ce grand prince, ces saintes acclamations, ces vœux si tendres et si touchants que les Pères des conciles généraux ont fait autrefois en faveur des empereurs romains. Qu'il nous soit permis d'emprunter aussi leurs éloquentes expressions, et de dire après eux avec encore plus de vérité : Grâces immortelles au nouveau David, au nouveau Constantin, illustre par ses conquêtes, plus illustre encore par son zèle pour la religion. Vainqueur des ennemis de l'Etat, il triomphe avec plus de joie de ceux de l'Eglise. Destructeur de l'hérésie, vengeur de la foi, auteur de la paix, plein de ce double esprit qui forme les grands rois et les grands évêques, roi et prêtre tout ensemble ; ce sont les termes du concile de Chalcédoine : que la Providence, qui lui a donné ce cœur royal et sacerdotal, le conserve longtemps sur la terre pour la gloire de la religion et pour notre bonheur : que le Dieu qu'il fait régner en sa place, étende le cours de sa vie au delà des bornes de la nature; et que le Roi du ciel protège toujours celui de la terre. Ce sont les vœux des pasteurs, ce sont les prières des Eglises; et nous osons dire. Messieurs, que ce sont encore plus, s'il est possible, et vos souhaits et les nôtres.

Ne craindrons-nous point de mêler à des applaudissements si justement mérités, les protestations solennelles que le public attend de nous en cette occasion, contre les conséquences que l'on pourrait tirer un jour de l'extérieur et de l'écorce d'une Constitution qui ne renferme rien dans sa substance, que de saint et de vénérable ?

Mais sans attester ici avec nos illustres prédécesseurs, la foi de ce serment inviolable qui nous a dévoués à la défense des droits sacrés de l'Eglise et de l'Etat, ne nous suffit-il pas de pouvoir nous rendre ce témoignage à nous-mêmes, que nous marchons avec autant de confiance que de simplicité dans la route que dos pasteurs nous ont tracée ?

Comme eux, nous adhérons à cette doctrine si pure que le chef de l'Eglise, le successeur de saint Pierre, le vicaire de Jésus-Christ, le père commun de tous les fidèles, vient de confirmer par sa décision.

Mais comme eux aussi, et nous devons dire même encore plus qu'eux, nous

 

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avec des réflexions malignes. On s'est mis en état de les combattre et de rassurer les esprits alarmés ; on croit même y avoir réussi : cela paraissait au moins à l'extérieur, je doute

 

sommes obligés de conserver religieusement le dépôt précieux de l'ordre public, que le roi veut bien confier à notre ministère, et de le transmettre à nos successeurs aussi pur, aussi entier, aussi respectable que nous l'avons reçu de ceux qui nous ont précédés.

Après cela, nous ne nous engagerons point dans de longues dissertations, ni sur la forme générale de la Constitution dont nous venons au nom du roi requérir l'enregistrement, ni sur les clauses particulières qu'elle renferme.

Nous savons que le pouvoir des évêques et l'autorité attachée à leur caractère d'être juges des causes qui regardent la foi, est un droit aussi ancien que la religion, aussi divin que l'institution de l'épiscopat, aussi immuable que la parole de Jésus-Christ même :

Que cette doctrine établie par l'Ecriture, confirmée par le premier usage de l'Eglise naissante, soutenue par l'exemple de ce qui s'est passé d'âge en âge et de génération en génération dans les causes de la foi, transmise jusqu'à nous par les Pères et par les Docteurs de l'Eglise, enseignée par les plus saints Papes, attestée dans tous les siècles par la bouche de ceux qui composent la chaîne indissoluble de la Tradition, et surtout par les témoignages anciens et nouveaux de l'Eglise de France, n'a pas besoin du secours de notre faible voix, pour être regardée comme une de ces vérités capitales que l'on ne peut attaquer sans ébranler l'édifice de l'Eglise dans ses plus solides fondements.

Que si des esprits peu éclairés avaient besoin de preuves pour être convaincus de cette grande maxime, il suffirait de les renvoyer aux savants actes de ces assemblées provinciales, que la postérité conservera comme un monument glorieux des lumières et de l'érudition de l'Eglise gallicane.

C'est là qu'ils apprendront beaucoup mieux que dans nos paroles quelle multitude de faits, quelle nuée de témoins s'élèvent en faveur de l'unité de l'épiscopat.

C'est là qu'ils reconnaitront que si la division des royaumes, la distance des lieux, la conjoncture des affaires, la grandeur du mal, le danger d'en différer le remède, ne permettent pas toujours de suivre l'ancien ordre et les premiers vœux de l'Eglise, en assemblant les évêques : il faut au moins qu'ils examinent séparément ce qu'ils n'ont pu décider en commun, et que leur consentement, exprès ou tacite, imprime à une décision vénérable par elle-même le sacré caractère d'un dogme de la foi.

Et soit que les évêques de la province étouffent l'erreur dans le lieu qui l'a vu naître, comme il est presque toujours arrivé dans les premiers siècles de l'Eglise; soit qu'ils se contentent, d'adresser leurs consultations au souverain Pontife sur des questions dont ils auraient pu être les premiers juges comme nous l'avons vu encore pratiquer dans ce siècle ; soit que les empereurs et les rois consultent eux-mêmes et le Pape et les évêques, comme l'Orient et l'Occident en fournissent d'illustres exemples ; soit enfin que la vigilance du saint Siège prévienne celle des autres Eglises, comme on l'a souvent remarqué dans ces derniers temps : la forme de la décision peut être différente, quand il ne s'agit que de censurer la doctrine, et non pas de condamner la personne de son auteur ; mais le droit des évêques demeure inviolablement le même, puisqu'il est vrai de dire qu'ils jugent toujours également, soit que leur jugement précède, soit qu'il accompagne, ou qu'il suive celui du premier Siège.

Ainsi au milieu de toutes les révolutions qui altèrent souvent l'ordre extérieur des jugements, rien ne peut ébranler cette maxime incontestable qui est née

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cependant que cela soit tout à l'ait ainsi, et autant que nos Français le croient. Mon doute n'est pas sans fondement : comme néanmoins l'importance de l'affaire et la coutume de cette Cour ne

 

avec l'Eglise, et qui ne finira qu'avec elle : que chaque siège, dépositaire de la foi et de la tradition de ses pères, est en droit d'en rendre témoignage, ou séparément, ou dans l'assemblée des évêques ; et que c'est de ces rayons particuliers que se forme ce grand corps de lumière, qui jusqu'à la consommation des siècles fera toujours trembler l'erreur, et triompher la vérité.

Nous sommes même persuadés que jamais il n'a été moins nécessaire de rappeler ces grands principes de l'ordre hiérarchique, que sous le sage pontificat du Pape qui nous gouverne.

Successeur des vertus encore plus que de la dignité du grand saint Grégoire, il croirait, comme ce saint pape, se faire une injure à lui-même, s'il donnait la moindre atteinte au pouvoir de ses frères les évêques : Mihi injuriant facio, si fratrum meorum jura perturbo. Il sait comme lui que l'honneur de l'Eglise universelle est son plus grand honneur; que la gloire des évêques est sa véritable gloire ; et que plus on rehausse l'éclat de leur grandeur, plus on relève la dignité de celui que la Providence divine a certainement placé au-dessus d'eux.

Il aspire à être aussi saint, mais non pas plus puissant dans l'Eglise, que ces fermes colonnes de la vérité, saint Innocent, saint Léon, saint Martin et tant d'autres saints Pontifes, qui, tous également assis dans la chaire du prince des apôtres, n'ont pas cru avilir la dignité du saint Siège, lorsqu'ils ont jugé que le suffrage des évêques devait affermir irrévocablement l'autorité de leur décision; et que c'était à ce caractère sensible d'une parfaite union des membres avec leurs chefs, que tous les chrétiens étaient obligés de reconnaître la voix de la vérité et le jugement de Dieu même.

Nous pourrions donc dire avec confiance, qu'il ne serait pas absolument nécessaire de protester ici en faveur du pouvoir et de l'autorité des évêques, si nous étions assurés d'obtenir toujours de la faveur du Ciel un pape semblable à celui qu'il laisse encore à la terre.

Mais comme les temps ne seront peut-être pas toujours aussi tranquilles, aussi éclairés, aussi heureux que ceux dans lesquels nous vivons, nous ne pouvons nous dispenser, Messieurs, de vous supplier ici de prévenir par une modification salutaire, les avantages que l'ignorance ou l'ambition des siècles à venir pourrait tirer un jour de ce qui s'est passé touchant la Constitution du Pape que nous avons l'honneur de vous présenter.

Dispensateurs d'une portion considérable de l'autorité du roi, consacrez-la, comme lui, à la défense et à la gloire de l'Eglise; conciliez par un sage tempérament les intérêts du Pape avec ceux des évêques; recevez son jugement avec une profonde vénération, mais sans affaiblir l'autorité des autres pasteurs. Que le Pape soit toujours le plus auguste, mais non pas l'unique juge de notre foi; que les évêques soient toujours assis après lui, mais avec lui, pour exercer le pouvoir que Jésus-Christ leur a donné en commun d'instruire les nations et d'être dans tous les temps et dans tous les lieux les lumières du monde.

Après avoir envisagé la Constitution que nous apportons à la Cour, par rapport à la forme générale de la décision, deux clauses particulières qui y sont insérées attirent encore l'attention de notre ministère.

L'une est la clause qui porte, que la Constitution est émanée du propre mouvement de Sa Sainteté.

Clause qui ne s'accorde ni avec l'ancien usage de l'Eglise, suivant lequel les décisions du Pape devaient ê.re formées dans son concile, ni avec la discipline

 

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permettent pas de croire qu'on précipite rien, quand même on voudrait pousser les choses à bout, un peu d'attention sur cette affaire découvrira bientôt les desseins cachés, s'il est vrai qu'il y

 

présente, dans laquelle cet ancien concile est représenté par le collège des cardinaux.

Clause que les docteurs ultramontains ont même regardée comme peu honorable au saint Siège, puisque selon eux, dans sa première origine, elle faisait considérer la décision du Pape plutôt comme l'ouvrage d'un docteur particulier que comme le jugement du chef de l'Eglise.

Clause enfin contre laquelle nos pères se sont élevés en 1623 et en 1646, et qui, quoique beaucoup plus innocente dans la conjoncture de cette affaire, ne doit jamais être approuvée parmi nous, quand même on ne pourrait lui opposer que la crainte des conséquences.

L'autre clause est celle qui prononce une défense générale de lire le livre condamné, même à l’egard de ceux qui ont besoin d'une mention expresse.

Il serait inutile de s'étendre ici sur la nouveauté et sur les inconvénients de cette clause. Vous savez, Messieurs, de quelle importance il est de ne se relâcher jamais de l'observation exacte de ces grandes maximes que les Papes eux-mêmes nous ont enseignées, lorsqu'ils ont reconnu qu'il y a des personnes qui ne sont jamais comprises ni dans les décrets du saint Siège, ni dans les canons des conciles, quelque générale que soit leur disposition, si elles n'y sont nommément et expressément désignées.

Nous sommes convaincus que l'on n'abusera jamais de ce style nouveau, qui semble donner atteinte indirectement à cette maxime inviolable ; et trop de raisons nous empêchent de craindre un pareil abus, pour vouloir en relever ici les conséquences.

Mais quelque assurance que nous ayons sur ce sujet, nous manquerions à ce que nous devons au roi, au public, à nous-mêmes, si nous ne déclarions au moins qui nous ne pouvons approuver une clause qu'il nous suffit de regarder comme nouvelle, pour ne la pas recevoir.

Telles sont, Messieurs, toutes les observations que notre devoir nous oblige de faire, et sur la forme générale. et sur les clauses particulières de la Constitution. Nous n'avons eu qu'un seul but en vous les expliquant; et tout ce que notre ministère exige de nous, après l'acceptation solennelle des Eglises de France, se réduit à vous proposer aujourd'hui d'imiter cette simple, mais utile protestation que nous trouvons dans les souscriptions d'un ancien concile d'Espagne : Salvâ priscorum canonum auctoritate.

C'est sur ce modèle que nous avons cru devoir former les conclusions que nous avons prises par écrit en la manière accoutumée ; nous les déposons entre vos mains, et nous les soumettons avec respect à la supériorité de vos lumières.

C'est par vos yeux que le roi veut examiner l'extérieur et la forme du bref que nous vous apportons; c'est à vous qu'il confie la défense des droits sacrés de sa couronne, et ce qui ne lui est pas moins cher, la conservation des saintes libertés de l'Eglise gallicane; persuadé que, bien loin d'altérer cette heureuse concorde que nous voyons régner entre l'Empire et le Sacerdoce, vous l'affermirez par la sagesse de vos délibérations, afin que les vœux communs de l'Eglise et de l'Etat soient également exaucés ; et que ne séparant plus les ouvrages de deux puissances qui procèdent du même principe et qui tendent à la même fin, nous respections en même temps, selon la pensée d'un ancien auteur ecclésiastique, et la majesté du roi dans les décrets du souverain Pontife, et la sainteté du souverain Pontife dans les ordonnances du roi : Ita sublimes istœ personae

 

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en ait contre nous. Je suis très-persuadé que le Pape est fort disposé à apaiser toutes choses; mais vous savez, Monsieur, qu'on a envie de l'inquiéter, et que ces gens-là ne sont pas de nos amis. Ainsi il est comme obligé d'agir extérieurement contre son inclination, pour calmer les esprits.

Je ne vous dis rien de l'affaire de la Chine, on vous en informera mieux par ailleurs : on assure qu'elle est en fort bon état, et que l'on a dressé les articles dans des termes si précis, que les Jésuites même, s'ils en étaient les juges, ne pourraient que les condamner.

On a enfin découvert la belle chapelle de Saint-Ignace : il y paraît tant de richesses, qu'elles font peur à nos Romains ; ils la regardent comme une forteresse, d'où la Société menace tout le monde de sa puissance. Pour moi, qui fais plus de réflexions morales que politiques, je la considère comme l'ouvrage et la merveille de l'opinion probable.

Vous savez, Monsieur, la disgrâce du P. Dias par la défense d'approcher du palais du Pape, et de parler à aucun de ses ministres : vous savez encore avec quelle fierté il y répondit, en prétendant que cette défense ne regardait que l'empereur, son ambassadeur, le roi d'Espagne, avec le vice-roi de Naples, et non lui. Le Pape fait agir à la Cour de Madrid, afin qu'on rappelle ce religieux. Je vous supplie d'être persuadé qu'on ne peut être avec plus de respect que je suis, votre très-humble, etc.

tantâ unanimitate jungantur, ut rex in Romano Pontifice, et Romanus Pontifex inveniatur in rege.

C'est dans cette vue que nous requérons qu'il plaise à la Cour ordonner que les lettres patentes du roi en forme de déclaration, et la Constitution du Pape, seront enregistrées, lues et publiées en la manière ordinaire, aux charges portées par les conclusions que nous remettons entre ses mains avec les lettres patentes et la Constitution.

 

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LETTRE DXXVII. BOSSUET A M. DE RANCÉ, ANCIEN ABBÉ DE LA TRAPPE. A Saint-Germain, ce 16 septembre 1700.

 

Monsieur de Séez, votre cher évêque, se charge, mon révérend Père, de vous envoyer avec cette lettre un exemplaire de la Relation sur l'affaire de Cambray, et un de la censure de notre assemblée. Je ne doute pas que vous ne rendiez grâces à Dieu de nous avoir inspiré ces deux choses, qui seront, s'il plaît à Dieu, utiles à l'Eglise. Il me resterait une chose à faire, qui serait la consolation de vous aller voir ; mais je crains d'être privé cette année de cette joie par le besoin que j'ai d'aller chez moi, après quatre mois d'absence, sans presque avoir eu le temps de pourvoir aux affaires de mon diocèse. Aimez-moi toujours, mon révérend Père, et soyez persuadé de mon inviolable attachement à votre personne et à la sainte maison.

 

DXXVIII. MANDEMENT DE Mr. FRANÇOIS DE SALIGNAC DE LA MOTHE FÉNELON, archevêque de Cambray,  Pour la publication de la Constitution de notre saint Père le Pape, portant condamnation du livre intitulé : Explication des Maximes des Saints (a).

 

François, par la miséricorde de Dieu, etc., à tout le clergé tant séculier que régulier, et à tous les fidèles de notre diocèse, salut et bénédiction en Notre-Seigneur.

 

(a) Après la condamnation de son livre, Fénelon publia un mandement pour l'acceptation du bref ou de la Constitution pontificale. Ce mandement, nous l'avons donné précédemment, vol. XX, p. 503. Plus tard, après l'assemblée générale de 1700, tous les évêques donnèrent aussi, dans le même but, des Instructions pastorales à leurs diocésains. Fénelon fut obligé de suivre leur exemple, et c'est alors qu'il donna le mandement qu'on va lire. « M. l'archevêque de Cambray, dit l'abbé Ledieu dans une note, n'a publié ce second mandement, au sujet de la condamnation de son livre, qu'après un ordre qui lui fut donné de la part du roi, de se conformer à tous les autres évêques, lesquels, en exécution des délibérations prises dans leurs assemblées provinciales, avaient ordonné par tous les diocèses la publication de la Constitution d'Innocent XII. »

 

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Quoiqu'il ne reste à aucun de vous, mes très-chers Frères, rien à apprendre touchant la Constitution de notre saint Père le Pape, en forme de bref, dont nous vous instruisîmes par notre Mandement du 9 avril 1699, et que nous fîmes ensuite insérer tout du long dans le procès-verbal de notre assemblée provinciale, répandu par nos soins dans tous les Pays-Bas, nous voulons bien néanmoins, pour plus grande précaution, vous le rapporter ici traduit en français.

(Suit le bref tout entier en langue française).

Vous savez, mes très-chers Frères, que par notre premier Mandement nous avons adhéré audit Bref simplement, absolument, sans ombre de restriction, condamnant avec les mêmes qualifications tout ce qui y est condamné, et défendant la lecture du livre sous les mêmes peines. C'est pourquoi nous n'avons rien à ajouter audit Mandement ; et comme nous avons déjà fait enregistrer ledit Bref au greffe de notre offlcialité, il ne nous reste qu'à ordonner que, conformément à la délibération de notre assemblée provinciale et à la Déclaration du roi qui l'a suivie, le présent Mandement, avec le Bref qui y est inséré, sera lu d'un bout à l'autre dans toutes les églises de ce diocèse, et que, selon notre premier Mandement, les exemplaires du livre, s'il y en avait encore quelqu'un dans les mains des fidèles, nous serons  rapportés sans aucun retardement. Fait à Lessines, dans le cours de nos visites, le 30 septembre 1700.

 

Signé François, archevêque duc de Cambray.

Par Monseigneur,

DES ANGES, secrétaire.

 

LETTRE DXXIX.  M.  LE VRAY A  BOSSUET. Dijon, 14 mai 1703.

 

MONSEIGNEUR ,

On a été mortifié d'apprendre que Votre Grandeur se soit donné la peine d'écrire à Dijon pour demander l'histoire du

 

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quillotisme qui y paraît depuis quelque temps, au lieu qu'on aurait dû vous prévenir sur cela. Comme toute l'Europe sait le zèle que vous avez fait paraître pour détruire l'infâme secte des quiétistes, on avait bien cru qu'il serait à propos que vous fussiez instruit des désordres qu'elle a faits en Bourgogne et de l'appui qu'elle a trouvé à Dijon, afin que vous puissiez, Monseigneur, employer votre crédit pour arrêter le cours de ces désordres qui ne continuent que trop encore à présent, et pour faire cesser le scandale qu'ils causent aux gens de bien.

Le livre que Votre Grandeur a demandé avait paru bien propre à vous découvrir fidèlement la vérité de tout ce qui s'est passé ici sur cette matière ; car de l'aveu des principaux juges et du rapporteur lui-même, les faits rapportés dans ce livre sont tous très-véritables, et ils sont adoucis plutôt qu'exagérés. Il en est de même pour la doctrine : on a plutôt cherché à retrancher des dépositions qu'à y ajouter. Mais, Monseigneur, comme ce livre a été écrit fort à la hâte, quoiqu'il soit venu un peu tard, et que ce n'est proprement qu'un factum plutôt qu'une histoire, qui demanderait d'être travaillé avec plus d'art et plus de finesse, on n'a pas cru que cet ouvrage fût digne de vous être présenté, ni qu'un auteur de votre mérite, habitué à écrire si poliment et si solidement, pût avoir du goût à lire un ramas assez mal digéré de faits trop peu considérables pour avoir place dans une histoire. Voilà, Monseigneur, ce qui a fait perdre la pensée qu'on avait eue d'abord d'envoyer ce livre à Votre Grandeur, et de la prier de vouloir bien se servir des connaissances qu'elle en tirerait, pour empêcher que le libertinage de certains directeurs ne nuise plus longtemps à l'Eglise à la faveur d'une doctrine pernicieuse dont ils se couvrent.

Quoique ce soit là le motif qu'on s'est proposé en donnant cet ouvrage au public, quelques ecclésiastiques intéressés à cacher la vérité ont attribué des intentions bien différentes à l'auteur, et n'ont rien épargné pour faire croire que le livre était pernicieux et détestable, dans l'espérance qu'ils empêcheraient par là qu'on ne le lût, et qu'on n'y découvrît ce qu'ils ont grand intérêt de tenir caché. C'est dans ces vues qu'ils ont écrit fortement à

 

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l'évêque de Langres, et que l'ayant même été trouver dans son séminaire, ils ont obtenu de ce prélat l'ordonnance qu'on vous aura envoyée avec ce livre. Votre Grandeur en jugera sainement en la lisant, et il n'y a rien à lui en dire; elle verra bien que si le livre était condamné sur les raisons ou plutôt sur les prétextes qu'on en apporte, il faudrait condamner saint Augustin, saint Epiphane et les autres Pères qui ont écrit les abominations des gnostiques et des autres anciens hérétiques, ces Pères ayant jugé qu'il fallait découvrir ces sortes de poisons, afin que les connaissant on ne s'y laissât pas surprendre.

On peut seulement vous assurer, Monseigneur, que l'ordonnance de M. l'évêque de Langres n'a pas été reçue à Dijon avec tout le respect qui est dû à ce qui vient de Nosseigneurs les évêques, et qu'il serait à souhaiter qu'elle n'eût pas été faite, plutôt que d'avoir eu si peu de succès. Le parlement dit qu'il y a de l'abus, d'autres gens pensent y voir d'autres défauts. L'on s'accorde assez à dire que les motifs pour lesquels elle a été faite, ne paraissent pas des plus purs, et que M. l'évêque de Langres aurait mieux fait de travailler efficacement à corriger ou à changer ses officiers ecclésiastiques, et à punir les dérèglements de quelques-uns de ses prêtres, que de chercher à couvrir les désordres des uns et des autres. Un de Messieurs du parlement parlant l'autre jour du livre et de l'ordonnance, disait assez agréablement : Voici quelque chose d'assez étrange : le livre, dit-on, est détestable, abominable et ne peut venir que d'un scélérat ; cependant il attaque l'hérésie et ses fauteurs, et défend la religion. L'ordonnance vient d'un évêque; et pourtant elle soutient les ennemis de la religion, et se déchaîne contre ceux qui les combattent.

Elle vient bien moins de l'évêque de Langres que de ses officiers, gens fort verreux. Cependant tout cela redouble le scandale que cause déjà la présence d'un nommé Quillot. Les gens de bien sont indignés de le voir se montrer partout insolemment, assister à des conférences, paraître à l'autel et dans les fonctions ecclésiastiques aussi hardiment que si on n'était pas convaincu dans le monde de ses désordres, et que si on ne savait pas que cinq des plus habiles et des plus intègres de Messieurs du

 

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parlement l'ont condamné au feu, d'autres aux galères perpétuelles, comme Votre Grandeur le pourra voir dans l'histoire. L'impunité qu'il a trouvée à la faveur de ses protecteurs et de ses protectrices a causé bien du mal à Dijon et dans les diocèses voisins, en particulier dans celui de Besançon, où l'on se plaint que beaucoup d'ecclésiastiques donnent dans le quiétisme depuis ce temps-là. On assure constamment qu'il y a encore à Dijon plusieurs directeurs qui enseignent et qui pratiquent ce que cette secte a de plus abominable. Mais on sait que bien des gens n'osent parler ouvertement, parce que les supérieurs veulent dissimuler et même ignorer ces désordres ; ce qui est le moyen le plus propre de donner lieu à l'hérésie de se nourrir et de s'étendre secrètement.

Puisque vous désirez. Monseigneur, vous instruire de cette affaire par le livre que Votre Grandeur a demandé et qu'on lui a envoyé, on espère que votre zèle pour les intérêts de l'Eglise vous portera à faire cesser le scandale. Et il semble que le moyen le plus propre quant à présent, serait que Votre Grandeur voulût bien suggérer au roi d'éloigner Quillot de Dijon, ou même de le faire enfermer, afin qu'il ne puisse plus gâter personne, ni autoriser par son impunité les autres mauvais prêtres qui se sont rassurés depuis le succès de son affaire...

On espère, Monseigneur, que Votre Grandeur voudra bien faire quelque attention à ce qu'on a l'honneur de lui écrire. Si elle se défiait tant soit peu de ce qui lui vient d'un inconnu, elle pourrait s'adresser à M. Malteste, ancien conseiller, qui a été rapporteur de cette affaire, ou à M. de Maillard, qui l'a instruite comme commissaire, ou à tel autre qu'il lui plairait, pourvu qu'il ne fût pas du parti quiétiste, qui est assurément très-nombreux pour différentes raisons. Si par son crédit elle daignait contribuer à délivrer Dijon de cette maudite secte, toute la ville lui en serait redevable ; et cette obligation, quoique commune, redoublerait en moi le profond respect avec lequel je suis,

Monseigneur, de votre Grandeur, le très-humble et très-obéissant serviteur,

 

LEVRAY.

 

FIN DES LETTRES SUR L'AFFAIRE DU QUIÉTISME.

 

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