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Tables

 

LIVRE VI.

 

PHILIPPE III DIT LE HARDI (AN 1270).

Philippe IV, DIT LE BEL (AN 1285)

LOUIS X, DIT LE HUTIN (AN 1314).

JEAN Ier (AN 1316).

PHILIPPE V, DIT LE LONG (AN 1361).

CHARLES IV, DIT LE BEL (AN 1322).

 

 

PHILIPPE III DIT LE HARDI (AN 1270).

 

Le jour que mourut saint Louis, Charles son frère, roi de Sicile, était venu à son secours avec une grande flotte. Il fut fort étonné qu'on ne donnât dans le camp aucune marque de joie à son arrivée ; mais il apprit bientôt avec beaucoup de douleur le malheur public, et l'extrême désolation de tous les Français.

Quoique la ville fût si pressée, qu'elle ne pouvait tenir longtemps, le nouveau roi impatient de venir prendre possession de son royaume, fit une trêve pour dix ans avec le roi de Tunis, à condition qu'il paierait les frais de la guerre ; qu'il permettrait aux chrétiens qui habitaient Tunis, d'exercer et de prêcher leur religion ; qu'il leur laisserait le commerce libre et sans impôts ; qu'il paierait à Charles, à cause de son royaume de Sicile, le même tribut qu'il avait accoutumé de payer au Pape, et qu'il relâcherait tous les prisonniers sans rançon. Voila, les conditions que Philippe accorda au roi de Tunis.

Ce prince très-religieux, et en cela grand imitateur de saint Louis, crut avoir pourvu par ce traité au bien de la religion, et avoir mis à couvert l'honneur de la France. Après il se mit en mer où il fut si cruellement battu de la tempête, qu'il perdit une grande quantité de ses vaisseaux avec toutes les richesses qu'il avait apportées. Sa flotte fut dispersée ci et là, et la reine sa femme qui était enceinte, tomba de cheval à Cosence où elle mourut. Alphonse son oncle mourut à Sienne (1271). Jeanne, femme d'Alphonse, fille de Raymond comte de Toulouse, ne survécut pas longtemps à son mari ; et Philippe, aussitôt qu'il fut arrivé en France, prit possession du comté de Toulouse.

En ce même temps Grégoire X tint un concile général à Lyon, où il fut résolu entre autres choses, que les cardinaux ne sortiraient point du conclave, qu'ils n'eussent élu le pape; ce qui fut ainsi ordonné, parce qu'ils avaient été deux ans à élire Grégoire lui-même. Les princes d'Allemagne résolurent d'élire toujours pour empereur un Allemand, et ils élurent Rodolphe, comte de Hapsbourg, en Suisse. C'est de lui qu'est venue la maison d'Autriche, et il fut le premier empereur de cette maison. On raconte de lui cette action d'une mémorable piété, qu'étant à cheval à la chasse, il rencontra un prêtre qui portait le Saint-Sacrement pendant la pluie, et au milieu de la boue à la campagne : il descendit aussitôt, et ayant fait monter le prêtre sur son cheval, il accompagna

 

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le Saint-Sacrement à pied jusqu'à l'église. Le prêtre touché de cette action lui donna mille bénédictions, et lui prédit que Dieu récompenserait sa dévotion. En effet, on attribua à cette pieuse action son élévation à l'empire, qui depuis a été souvent, et est encore à présent dans sa maison.

A l'égard de Philippe, il eut de grandes guerres contre l'Espagne, dont voici le sujet (1276). Henri le Gras, roi de Navarre, mourut, et laissa une fille au berceau, nommée Jeanne, qu'il mit sous la tutelle de sa femme, et ordonna qu'elle fût élevée auprès du roi de France ; mais les seigneurs du pays donnèrent d'autres tuteurs à la petite princesse. Les rois de Castille et d'Aragon qui avaient des prétentions sur la Navarre, tâchèrent de s'emparer de la fil le et du royaume. Ce qui obligea Philippe d'y envoyer Eustache de Beaumarchais qui lui soumit toute la Navarre.

Il arriva encore une nuire querelle entre la France et la Castille. Ferdinand prince de Castille étant mort, Sanche son frère se porta pour héritier de la couronne, quoique Ferdinand eût laissé deux fils de Blanche, fille de saint Louis, et qu'il fût dit par le contrat de mariage de cette princesse, que ses enfants succéderaient à la couronne, quand même Ferdinand mourrait avant son père Alphonse. Comme Sanche persécutait Blanche, et qu'Alphonse le favorisait ouvertement, jusqu'à refuser à sa belle-fille les choses nécessaires pour la vie, elle fut contrainte de se réfugier chez le roi son frère. Elle trouva la cour fort brouillée. Pierre Desbrosses, autrefois barbier de saint Louis, ayant été depuis élevé par Philippe à une puissance extraordinaire, avait entrepris de discréditer auprès de lui la reine Marie sa femme, afin qu'il n'y eût plus d'autorité qui fût au-dessus de la sienne. Pour cela il lui suscita un accusateur, qui soutint qu'elle avait fait empoisonner Louis, fils aîné de Philippe, qu'il avait eu de son premier mariage, et qui mourut en 1276.

Le duc de Brabant envoya un chevalier pour défendre l'innocence de la reine sa sœur, par un combat singulier ; mais l'accusateur l'ayant refusé, il fut pendu. Philippe, qui était faible et crédule, ne laissa pas de consulter des imposteurs, qui, par une fausse piété, s'étaient mis en réputation d'avoir le don de prophétie, et envoya même l'évêque de Bayeux à une béguine (c'était une espèce de religieuse), qu'on tenait instruite par révélation des choses les plus secrètes. L'évêque, qui était allié de Pierre Desbrosses, ne voulut jamais rien dire à la décharge de la reine, quoique la béguine l'eût justifiée ; mais comme il ne parlait pas franchement, le roi renvoya un autre évêque, qui lui rapporta la vérité que l'évêque de Bayeux lui avait cachée. Ce rapport rétablit le crédit de la reine, et diminua celui de Pierre Desbrosses, parce que Philippe connut que son ministre agissait avec artifice, et s'entendait avec d'autres pour le tromper.

Il envoya ensuite des ambassadeurs à Alphonse, roi de Castille,

 

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pour l'obliger de faire justice à Blanche et à ses enfants. Mais n'ayant pu l'obtenir, il s'avança jusqu'aux Pyrénées, avec une armée si puissante, qu'elle eût accablé toute la Castille, si Alphonse n'eût trouvé moyen de l'amuser par diverses négociations, pendant lesquelles il manqua de vivres, et fut obligé de s'en retourner, sans avoir fait autre chose.que d'affermir le pouvoir de Beaumarchais dans la Navarre. Pierre Desbrosses fut soupçonné d'avoir été d'intelligence avec Alphonse, pour faire perdre à Philippe l'occasion d'avancer ses affaires. Un jacobin apporta un paquet au roi où il y avait une lettre cachetée du sceau de Desbrosses. On ne dit pas ce qu'elle contenait ; mais après que le roi l'eut lue, Desbrosses fut arrêté et pendu.

En ce même temps, il arriva de grands mouvements en Sicile, dont il faut ici reprendre les causes de plus haut, et dès le temps de saint Louis. Frédéric II, empereur et roi de Sicile, avait laissé ce royaume à son fils Conrad (1263), après la mort duquel Mainfroi, fils bâtard de Frédéric, l'avait usurpé, abusant du bas âge de Conradin son neveu, fils de Conrad. Urbain IV, ayant résolu de chasser cet usurpateur, qui l'incommodait, lui et toute l'Italie, crut qu'il lui appartenait de disposer d'un royaume tenu en fief du saint Siège, et le donna à Charles duc d'Anjou, frère de saint Louis. Clément IV son successeur couronna Charles roi de Sicile (1265), à Saint-Jean de Latran, lui donnant en même temps la qualité de sénateur romain, de vicaire de l'empire en Italie, et de protecteur de la paix.

Mainfroi se prépara à se défendre ; les deux armées ennemies se rencontrèrent près de Bénévent. Il se donna un grand combat, où Mainfroi, abandonné des siens, fut battu el tué (1266). Ainsi Charles demeura possesseur des deux Siciles, c'est-à-dire, de l'île et du royaume de Naples; il releva les Guelfes, qui était le parti du Pape en Italie, et abattit les Gibelins, qui était celui de l'empereur. La guerre pour cela ne fut pas finie ; le jeune Conradin, duc de Souabe, vint avec une grande armée pour reprendre le royaume de son père, se plaignant que Mainfroi son oncle le lui avait enlevé par violence, et soutenant que le Pape n'avait pu en disposer à son préjudice. Il était accompagné de Frédéric, duc d'Autriche, son cousin.

Aussitôt que Charles eut appris que ces jeunes princes étaient entrés en Italie, il alla à leur rencontre, et les combattit dans l'Abruzze, auprès du lac de Célano (1269). Ils ne purent résister à un capitaine si expérimenté, ni à ses vieilles troupes si aguerries. Les princes contraints de prendre la fuite, et appréhendant d'être découverts, se déguisèrent en palefreniers. En cet état, ils arrivèrent à Asture, ville d'Italie, située sur le bord de la mer. Ils traitèrent avec un nautonier qui leur promit de les passer à Pise, ville qui leur était affidée; mais lui ayant donné une bague pour gage de son paiement, il soupçonna que c'était des personnes de qualité, et il en donna avis au gouverneur, qui aussitôt les fit arrêter. On ne fut pas longtemps à reconnaître les

 

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deux princes. Charles leur fit faire leur procès sur la plainte des communautés; et sans respect ni pour leur naissance, ni pour leur innocence, ni pour leur valeur, il les fit condamner à avoir la tête tranchée.

Pendant qu'on les menait au supplice, leur jeunesse, leur innocence et leur fermeté, tiraient les larmes des yeux de tous les spectateurs. Frédéric fut le premier exécuté. Conradin relevant sa tête la porta à son sein, et adressant la parole avec beaucoup de soupirs à ce cher parent : C'est moi, dit-il, qui vous ai causé une mort si malheureuse. Ensuite protestant qu'il mourait innocent, et qu'il avait un droit légitime sur la Sicile, il jeta son gantelet au milieu du peuple, ce qui était en ce temps la marque ordinaire du défi : et après avoir recommandé son âme à Dieu, il présenta courageusement la tête au bourreau. Ce gant fut relevé par un gentilhomme, et porté à Pierre roi d'Aragon, héritier de Conradin. Quant à Charles, il crut assez expier son crime en faisant mourir le bourreau qui avait coupé la tête aux deux princes; mais cela servit au contraire à faire voir combien son action était détestable, puisqu'il crut qu'il ne devait pas laisser la vie à celui qui n'avait fait qu'exécuter ses ordres.

Ce prince, ayant soumis tous ses ennemis dans la Sicile, songea aussi à se rendre maître de l'empire de Constantinople. Il avait épousé la fille de Baudouin empereur latin, et ainsi étant entré dans ses droits, il faisait fortement la guerre à Michel Paléologue empereur grec. Il avait encore acheté le litre de roi de Jérusalem, de Marie, fille de Jean de Brienne, qui se disait héritière de ce royaume, et il avait dessein de le conquérir. Nicolas III (1278), voyant l'ambition et la puissance de ce prince, conçut de la jalousie contre un voisin si formidable. En vain Charles, pour diminuer les défiances du Pape (1281), quitta les fibres de sénateur romain et de vicaire de l'empire, Nicolas persista toujours dans le dessein de le perdre ; il fut confirme dans sa résolution, sur ce que Charles avait refusé de donner une de ses filles au neveu de ce Pape, jugeant cette alliance indigne de lui.

Dans celte disposition d'affaires, Jean, autrefois seigneur de Prochite, ennemi de Charles et de sa maison, homme entreprenant et artificieux, résolut de faire une conjuration contre les Français, sous prétexte de leurs violences et de leurs débauches ; et ayant découvert son dessein aux trois plus grands ennemis de Charles, qui étaient le Pape, Michel empereur grec, et Pierre roi d'Aragon, il les trouva très-disposés à y entrer. Par leur crédit, et par l'argent que l'empereur grec fournissait abondamment, il avait déjà gagné une infinité de personnes, lorsque le pape Nicolas mourut. Mais quoique Martin IV, qu'on avait élu à sa place (1282), favorisât le roi Charles duc d'Anjou, la partie était si bien fuite et le dessein si avancé, qu'il eut son effet. Ainsi le propre jour de Pâques, au premier coup de vêpres, qui était le signal qu'on avait donné aux conjurés, les Français furent égorgés à Palerme

 

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et dans toute la Sicile. Pour les reconnaître, on leur faisait prononcer une certaine parole italienne; et s'ils la prononçaient avec un air étranger et autrement que les naturels du pays, on les massacrait aussitôt, sans distinction d'âge, ni de condition, ni de sexe.

Durant cette sanglante exécution, Charles était en Toscane, occupé à de grands préparatifs contre l'empereur d'Orient. Quand il sut ce qui s'était passé en Sicile, irrité d'une action si barbare, il vint avec une puissante armée pour châtier la perfidie des Siciliens ; et il pressa si fort Messine, qu'elle allait se rendre, si Pierre d'Aragon n'eût trouvé, moyen de l'amuser. Ce fourbe lui proposa de terminer toute la querelle par un combat entre eux deux. Charles, qui était un prince vaillant, accepta le défi. On choisit le champ du combat en Guyenne, auprès de Bordeaux. Pierre par cet artifice éloigna l'armée qui pressait si vivement la Sicile (1283) ; Charles se trouva au rendez-vous au jour donné; mais Pierre n'y étant venu que le lendemain, s'en retourna aussitôt, et dit pour excuse que son ennemi s'était avancé avec une puissante armée, qui l'avait obligé de se retirer. Charles, indigné de ce qu'on s'était moqué de lui, vint en Provence, d'où il partit avec une grande armée navale pour retourner en Sicile.

Charles le Boiteux son fils n'eut pas la patience de l'attendre (1284), et donna un combat contre les lieutenants de Pierre d'Aragon, où ce jeune prince fut défait et pris, et mené ensuite à Palerme ; les Siciliens excitèrent Constance, fille de Mainfroi, et femme de Pierre, à venger sur ce jeune prince la mort de Conradin son cousin. Déjà il était condamné à mort, et on l'allait exécuter, lorsque Constance touchée de compassion lui pardonna; cette princesse se rendit autant recommandable par sa clémence, que Charles d'Anjou s'était rendu détestable par sa cruauté. Le jeune prince ne fut pas délivré pour cela. Il demeura quatre ans en prison, et n'en fut tiré que sous le règne de Philippe le Bel, aux conditions que nous rapporterons. Charles d'Anjou mourut peu après la prison de son fils, et laissa pour successeur de ses Etats ce malheureux captif.

Ce fut à peu près en ce temps-là, que Philippe maria Philippe son fils aine, qui était fort jeune, avec Jeanne, reine de Navarre et comtesse de Champagne, encore plus jeune que lui. Il leva en même temps une grande armée, pour mettre Charles de Valois, son second fils, en possession du royaume d'Aragon, que le pape Martin lui avait donné, après avoir excommunié Pierre. Il emporta d'abord, comme en passant, le comté de Roussillon, puis entrant dans la Catalogne et dans l'Aragon, il prit et pilla beaucoup de villes et de forteresses. Il s'attacha au siège de Gironne (1285), que Pierre tâchait de secourir de toutes ses forces. Raoul de Néelle , connétable de France, qui commandait l'armée de Philippe, ayant appris que Pierre s'était mis en embuscade avec quinze cents chevaux, et deux mille hommes de pied, et jugeant qu'un homme accoutumé à n'agir que par finesse, ne se résoudrait jamais à

 

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combattre à forces égales, s'avança avec trois cents chevaux, qui étaient l'élite de la noblesse de France.

Les Français brûlant du désir de venger leurs compatriotes qui avaient été massacrés en Sicile, se mêlèrent avec les Aragonais qui avaient plié dès le premier choc : mais ayant repris cœur, ils se soutinrent un peu jusqu'à ce qu'ils virent leur roi blessé. Ce prince ne laissait pas d'animer les siens en combattant vaillamment malgré sa blessure, et nos soldats de leur côté étaient résolus de mourir, plutôt que de ne point immoler les Aragonais aux Français indignement massacrés; mais enfin la mort de Pierre assura la victoire aux nôtres. Le gouverneur de Gironne, qui jusqu'alors avait fait une vigoureuse défense, ayant vu son maître mort, se rendit. La peste s'étant mise aussitôt après dans notre armée, et y faisant d'étranges ravages, Philippe fut contraint de se retirer. Il avait renvoyé la flotte étrangère qu'il tenait auparavant à sa solde, et Roger amiral d'Aragon l'ayant ramassée, il attaqua nos gens dans tous les ports avec ce secours. Les soldats les chassaient à coups d'épées, et les habitants à coups de pierres. Poussés de toutes parts, ils se retirèrent auprès du roi, et environnèrent sa litière.

Ce prince quoique malade et presque mourant, ne laissait pas d'encourager les siens de geste et de parole. Enfin les Aragonais furent repoussés, et notre armée ayant passé les monts Pyrénées, le roi arriva à Perpignan, où il mourut quelque temps après. Toutes ses conquêtes furent perdues, excepté le Roussillon, qui fut laissé à Jacques, roi de Majorque, à qui son frère Pierre l'avait enlevé : aussi ce roi de Majorque avait-il été le conducteur des Français dans cette expédition. Le règne de Philippe fut de quinze ans. Ses entrailles furent enterrées dans l'église de Narbonne, et ses os furent rapportés à Saint-Denis le 3 décembre 1285.

 

Philippe IV, DIT LE BEL (AN 1285)

 

Philippe IV, son fils aîné, surnommé le Bel, ramena l'armée et se fit sacrer à Reims, où Jeanne sa femme, reine de Navarre et comtesse de Champagne, fut couronnée avec lui. Il tint un parlement au commencement de sou règne, où Edouard I roi d'Angleterre se trouva en qualité de duc d'Aquitaine. Il demanda plusieurs choses tant pour lui-même , que pour le roi d'Aragon, au fils aine duquel il avait donné sa fille on mariage; n'ayant pu rien obtenir, il alla à Bordeaux, où il reçut les ambassadeurs des rois de Castille, d'Aragon et de Sicile. Cela donna lieu à Philippe de croire qu'il lui voulait faire la guerre; mais ce n'était pas son dessein, il ne pensait qu'a traiter de l'accommodement de Charles le Boiteux.

Enfin ce jeune prince, après avoir été prisonnier quatre ans, fut

 

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relâché à ces conditions, qu'il paierait vingt mille livres d'argent; qu'il ferait en sorte que le Pape investirait l'Aragonais du royaume de Sicile; et que Charles de Valois se désisterait des prétentions qu'il avait sur le royaume d'Aragon. Quand il fut en liberté, il ne se crut point obligé à tenir les promesses qu'on avait extorquées de lui pendant sa prison ; au contraire il se fit couronner roi de Sicile par le Pape, et obligea Charles de Valois son cousin à soutenir ses droits contre la maison d'Aragon.

La guerre dura longtemps; mais enfin, après plusieurs négociations. Alphonse roi d'Aragon étant mort sans enfants (1291), la paix fut faite avec Jacques roi de Sicile, son frère, à condition que la France lui abandonnerait l'Aragon, et qu'il laisserait à la maison d'Anjou tout le royaume de Sicile. Jacques tint si fidèlement son traité, que Frédéric son frère s'étant fait élire roi par les Siciliens, il se joignit avec Charles le Boiteux pour le réduire. La guerre continua quelque temps ; par le traité qui fut fait ensuite, la Sicile de deçà le Phare (c'est le royaume de Naples), demeura à Charles, et celle de delà le Phare, c'est-à-dire l'île, fut laissée à Frédéric.

Charles le Boiteux mourut fort regretté des siens à cause de sa bonté et de sa justice. Charles Martel son fils aîné fut roi de Hongrie, à cause de Marie sa mère, sœur de Ladislas IV, et héritière de ce royaume ; il mourut avant son père. Après sa mort (1299), son fils Charles II, appelé vulgairement Carobert, lui avait succédé au royaume de Hongrie, et son grand-père Charles le Boiteux étant mort aussi, il voulut prendre possession de celui de Naples. Robert son oncle, troisième fils de Charles le Boiteux, le lui disputa, et l'emporta contre lui. Par cette branche d'Anjou, la maison de France a régné longtemps en Hongrie et à Naples.

J'ai voulu représenter tout de suite en peu de paroles les affaires des princes d'Anjou et de la Sicile, afin de raconter sans interruption celles de Philippe le Bel. Il eut une grande guerre contre le roi d'Angleterre (1203), dont les commencements furent très-petits. Deux mariniers, dont l'un était Normand et l'autre Anglais, eurent querelle ensemble. Chacun d'eux engagea ceux de sa nation dans sa querelle, et enfin les deux rois s'en mêlèrent. A l'occasion de cette guerre, on mit de nouveaux impôts qu'on appela subsides, et qui firent beaucoup crier les peuples.

Raoul de Néelle, connétable de France, entra dans la Guyenne, prit plusieurs places, et même Bordeaux. Edouard, pour se soutenir contre Philippe, engagea dans son parti l'empereur Adolphe, et Gui de Dampierre comte de Flandre, en lui faisant espérer qu'il marierait le prince de Galles, son fils aîné, à la fille de ce comte. L'empereur envoya défier Philippe avec hauteur; mais le roi, pour lui marquer le mépris qu'il faisait de ses menaces, lui envoya pour toute réponse un papier blanc.

 

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A l'égard du comte de Flandre, Philippe l'ayant invité à le venir trouver à Paris, il le fît arrêter avec sa femme et sa fille ; il renvoya quelque temps après le père et la mère, et garda la fille. Comme Edouard lui suscitait beaucoup d'ennemis, lui aussi de son côté souleva contre Edouard ses sujets de Galles, et lui mit sur les bras Jean de Bailleul, roi d'Ecosse. Quant à l'empereur, Philippe l'embarrassa de tant d'affaires en Allemagne, qu'il ne put jamais rien entreprendre. Quelques-uns ajoutent qu'il l'apaisa en lui faisant donner de l'argent sous main.

Le roi d'Angleterre n'eut pas beaucoup de peine à mettre ceux de Galles à la raison; il défit aussi le roi d'Ecosse eu bataille rangée, et l'ayant fait prisonnier, il le contraignit de lui rendre hommage de son royaume ; mais il ne put résister aux Français en Guyenne, ses troupes y furent toujours battues, et il perdit presque toutes ses places, en ayant à peine sauvé quelques-unes des plus importantes, où il y avait bonne garnison.

Nos affaires n'allaient pas moins heureusement en Flandre (1297). Robert comte d'Artois, général de l'armée de France, prit Lille, et défit une armée de seize mille hommes. Le comte de Bar, sollicité par le roi d'Angleterre, entra dans la Champagne. La reine qui avait un courage héroïque, marcha en personne pour défendre son pays. Le comte effrayé lui demanda pardon, et se rendit son prisonnier. Aussitôt elle envoya ses troupes en Flandre, au roi son mari, qui, fortifié de ce secours, prit Fumes, et Bruges. Il donna ensuite le commandement des troupes qui étaient en Flandre à Charles de Valois son frère, un des plus renommés capitaines de son temps, qui poussa plus loin les conquêtes, et acheva de subjuguer tout le pays. Le comte se retira à G and, n'ayant plus que cette place, où Charles le pressa si fort, qu'il le contraignit de se remettre entre ses mains, lui promettant toutefois de faire sa paix avec Philippe ; mais il n'en put rien obtenir.

La Flandre ne demeura pas longtemps soumise. Les peuples fatigues des mauvais Irai le mens que leur faisait le gouverneur que le roi leur avait donné, se révoltèrent, et mirent à leur tête un boucher et un tisserand borgne qu'ils avaient tiré de prison. Sous de tels chefs, ils conjurèrent contre les Français et les massacrèrent. Pour réduire ces rebelles, Philippe leva une armée de quatre-vingt mille hommes; mais le roi d'Angleterre trouva moyen de rendre un si grand appareil inutile, en disant à sa femme, que si Philippe son frère hasardait un combat, il serait trahi, sans toutefois lui découvrir par qui. Cet avis ayant été communiqué à Philippe, ce prince entra en défiance de tous ses chefs, et revint sans avoir rien fait. Charles d'Artois (1) alla ensuite (1302) commander en Flandre avec

 

1 Il y a ici une erreur de nom. Le comte d'Artois qui périt à Courtray, s'appelait Robert, deuxième du nom, et était fils de Robert I, frère de saint Louis, tué en Egypte. Voyez l'Art de vérifier les dates, et les autres historiens. (Edit. de Vers.)

 

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Raoul de Néelle, connétable de France. Les Flamands avaient assiégé Courtray, et s'étaient comme enterrés dons de profonds retranchements, résolus de se bien défendre. Charles d'Artois ne laissa pas d'entreprendre de forcer leur camp. Raoul de Néelle s'y opposait; mais Charles le traitant de traître et de lâche, marcha aux ennemis avec plus d'emportement que de prudence. Le connétable combattant vaillamment fut tué. Charles porta aussi la peine de sa témérité, étant demeuré sur la place avec douze mille Français. Les rebelles furent bientôt châtiés par l'heureux succès de la bataille de Mons-en-Puelle, où les Français remportèrent une victoire complète sur les Flamands, qui y perdirent vingt-cinq mille hommes. Leur opiniâtreté indomptable ne se rendit point pour cela. Le roi y retourna en personne, et fut surpris dans son camp ; mais s'étant mis aussitôt à la tête du peu de monde qui était autour de lui, les autres se rassemblèrent de tous côtés à son quartier, et les Flamands furent repoussés avec grande perte.

Cependant le roi d'Angleterre, qui, pressé par les Français, avait d'abord fait une trêve, l'ayant renouvelée et prolongée plusieurs fois, conclut enfin la paix. On lui rendit les places qu'on lui avait prises en Guyenne ; il abandonna les Flamands, et remit en liberté Jean de Bailleul roi d'Ecosse, que ses sujets ne voulurent plus reconnaître, le jugeant indigne de régner, comme un homme qui avait ployé le genou devant le roi d'Angleterre, et lui avait fait hommage.

Quant aux Flamands, quoique battus en tant de rencontres, ils furent si opiniâtres, qu'ils envoyèrent prier le roi (1304), ou de leur donner encore un dernier combat, ou de leur accorder la paix, en leur conservant leurs privilèges. Philippe aima mieux accepter cette dernière condition, que de hasarder une bataille contre des hommes désespérés. Il relâcha le comte de Flandre, et la paix fut faite à condition que les places qui sont au deçà de la Lys demeureraient aux Français, avec Lille et Douay, en attendant que le comte se fût entièrement accommodé avec Philippe, et que les Flamands lui eussent payé huit cent mille livres. Ce fut en ce temps qu'éclatèrent les inimitiés qui avaient commencé depuis longtemps entre Boniface VIII et Philippe le Bel.

Comme ce Pape parvint au pontificat avec une adresse extraordinaire (1294), il faut ici raconter les commencements de son élévation. Il était cardinal sous le pape saint Pierre Célestin; on le tenait très-habile dans les affaires, et autant homme de bien que savant. Mais son ambition ternissait l'éclat de tant de belles qualités, et comme il avait une grande réputation, il savait bien qu'on le ferait Pape, si Célestin quittait la place. Ce bon Pape était plus saint qu'il n'était habile Bénédict Cajétan l'aborde (c'était le nom du cardinal), il lui représente qu'il n'avait pas les qualités nécessaires pour soutenir le fardeau des

 

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affaires ecclésiastiques, et qu'il ferait chose plus agréable à Dieu de retourner dans sa solitude d'où il avait été élevé à la papauté. Persuadé par ces raisons, il abdiqua le pontificat, et on fit Pape le cardinal qui prit le nom de Boniface. Comme il s'était élevé par ambition à une charge si haute et si sainte, il en faisait les fonctions avec un orgueil extrême. Mais si ce pape était hautain, Philippe n'était pas endurant. C’est ce qui fit naître entre eux de grandes haines, dont il n'est pas aisé de marquer des causes déterminées; il arrivait tous les jours des choses qui aigrissaient l'esprit du roi.

Dans le temps que Philippe avait, comme nous avons déjà dit, délivré de prison le comte de Flandre, en y retenant sa fille, le Pape, choisi pour arbitre par les deux parties, ordonna que la fille du comte lui serait rendue, et prononça la sentence avec beaucoup de faste en plein consistoire. Le roi en fut offensé, parce qu'il crut que le Pape s'était voulu donner de l'autorité et de la gloire, au préjudice de la majesté royale. D'ailleurs les Sarrasins profitant de nos divisions, avaient pris Acre, c'est-à-dire la seule place importante qui restait aux Latins dans la Syrie. Le Pape fut touché, comme il devait, de la perte de cette ville, et il crut qu'il était de son devoir d'exciter les chrétiens à la reprendre. Mais par sa fierté naturelle il le fit d'une manière trop impérieuse. Il ordonna aux rois de France et d'Angleterre qui étaient alors en guerre (1296), de faire d'abord une trêve, et ensuite de s'accorder, pour tourner leurs armes contre les ennemis de la foi ; il ajouta de grandes menaces s'ils n'obéissaient ; ce que Philippe trouva très-mauvais, parce que, dans les affaires politiques, le Pape doit traiter avec les rois par voie d'exhortation et de conseil, et non par commandements et par menaces.

Le Pape, non content de cela, envoya en France Bernard de Saisset, évêque de Pamiers, qui, prenant l'esprit de celui qui l'avait envoyé, traitait Philippe son souverain, d'une manière fort hautaine. Le roi, ayant oui dire que cet évêque parlait de lui en termes injurieux, le fit arrêter (1301). Le Pape convoqua tous les évêques de France à Rome, pour résoudre dans un concile les moyens de s'opposer aux entreprises que faisait Philippe contre l'autorité ecclésiastique. Le roi leur défendit de sortir du royaume, et défendit aussi d'en transporter de l'or et de l'argent. En même temps, à la prière du clergé, il remit l'évêque de Pamiers entre les mains de l'archevêque de Narbonne, son métropolitain. Le clergé et la noblesse assemblés, écrivirent au Pape, que dans le temporel ils ne reconnaissaient que le roi pour souverain. Mais comme on se lassait d'avoir querelle avec un pape (1303), quelques-uns soutinrent que Boniface ne l'était pas, parce qu'il était simoniaque, magicien et hérétique; ce qu'ils offrirent de prouver devant le concile général, et le roi promit d'en procurer au plus tôt la convocation.

Cependant il déclara qu'il appelait au saint Siège, qu'il prétendait

 

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vacant, et an concile universel, de tout ce que le Pape avait ordonné ou ordonnerait contre lui. Le Pape, qui de son coté avait déjà excommunié le roi. préparait de plus grandes choses ; il songeait à publier une bulle par laquelle il le privait de son royaume, et le donnait au premier occupant, ce qu'il espérait faire exécuter par l'empereur Albert d'Autriche. Mais ce grand dessein rat sans effet. ; car s'étant retiré à Anagni, qui était son pays, et où il croyait être plus en sûreté pendant la publication de sa butte, Guillaume de Nogaret, gentilhomme français, joint avec les Colonnes (c'étaient des seigneurs romains d'une noblesse fort ancienne, que le Pape avait bannis et maltraités), gagna les Anagniens par argent, et entra dans le palais du Pape avec les soldats que lui et Sciarra Colonne avaient ramassés.

Le Pape ayant appris celte nouvelle, se fit revêtir de ses habits pontificaux, et parut avec beaucoup de constance et de majesté. D'abord qu'il vit Nogaret : « Courage, dit-il, sacrilège ; frappe le pontife, suis l'exemple de tes ancêtres les Albigeois : », car Nogaret était descendu de parons infectés de celte hérésie. Quoiqu'il eût résolu de se saisir de la personne du Pape pour le mener, disait-il, au concile général, cependant retenu par sa présence, et par le respect de sa dignité, il n'osa pas mettre la main sur lui, et se contenta de le faire garder. A peine s'était-il retiré, que les Anagniens se repentirent de leur perfidie, et relâchèrent le Pape, qui, étant retourné à Rome, mourut trente jours après. Benoît XI loi succéda, et ne tint le siège que huit mois. Il révoqua quelques bulles de sou prédécesseur, injurieuses à Philippe.

Bertrand Got, archevêque de Bordeaux, fut élu a. sa place, et prit le nom de Clément V (1305). On le croyait ennemi de Philippe ; mais ce prince le ménagea si bien, qu'il l'obligea de s'arrêter en France. Il se fit couronner à Lyon, et tint le siège à Avignon, où ses successeurs demeurèrent fort longtemps, ce qui causa de grands maux à l'Eglise et au royaume. Il tint un concile général à Vienne (1311), où le roi assista à la droite du Pape, mais sur un siège plus bas. Clément refusa d'y condamner la mémoire de Boniface VIII, quelque instance que le roi lui en pût faire ; il cassa seulement toutes les bulles qu'il avait données contre la France, et ordonna qu'on ne remuerait jamais rien contre le roi, pour la violence faite à Boniface ; et Nogaret se contenta de l'absolution qui lui avait été donnée, à condition qu'il irait à la guerre contre les infidèles.

Dans ce même concile, à la poursuite de Philippe, on condamna les templiers. C'étaient des chevaliers de noble extraction, qui faisaient profession de faire continuellement la guerre contre les infidèles, et la faisaient en effet avec beaucoup de valeur et de succès. On les accusait de crimes énormes, qu'ils avouèrent à la torture, et qu'ils nièrent au supplice. Cependant on les brûlait vifs à petit feu, avec une cruauté inouïe, et on ne sait s'il n'y eut pas plus d'avarice et de vengeance, que de justice dans cette exécution. Ce qui est constant, c'est que ces

 

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chevaliers, par trop de richesses et de puissance, étaient devenus extraordinairement orgueilleux et dissolus. Cet ordre fut éteint par l'autorité du concile de Vienne. Leurs trésors furent confisqués au roi ; leurs terres, et les biens qu'ils avaient en fonds, furent donnés aux hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem, qu'on a appelés depuis les chevaliers de Malte. Ceux-là, après la prise d'Acre, se retirèrent premièrement en Chypre, et ensuite ayant pris sur les Turcs, Rhodes, cette île célèbre, ils la défendirent vaillamment contre eux, avec le secours d'Amédée V duc de Savoie. Cette action fut de grand éclat, car la puissance des Turcs commençait en ce temps à devenir plus redoutable que jamais. Ce fut vers l'an 1300, qu'Osman ou Othoman, leur premier empereur , ayant fait de grandes conquêtes, établit le siège de son empire à Pruse, ville de Bithynie. De là est sortie cette superbe maison othomane  qui étend tous les jours le vaste empire qu'elle possède en Asie, en Afrique, et en Europe.

Un peu avant le concile de Vienne, Louis, fils ainé de Philippe, fui couronné roi de Navarre à Pampelune, ce royaume lui étant échu par la mort de la reine Joanne, sa mère, décédée le 9 avril de l’année 1304. Cette princesse fut renommée par sa vertu, et tellement favorable aux gens de lettres, qu'elle fonda dans l'université de Paris un collège célèbre, qu'on appelle le collège de Navarre, d'où il est sorti un grand nombre de personnes illustres en toutes sortes de sciences» et principalement en théologie. Cet exemple doit porter les princes à aimer et à protéger les lettres, puisque même on voit une femme prendre tant de soin de les avancer.

La guerre de Flandre se renouvela (1312) parce que le comte Robert prétendait qu'on lui devait rendre Lille, Douay et Orchies, et que les habitants du pays refusaient de payer les sommes à quoi ils s'étaient engagés par le traité de paix. Philippe fit des levées extraordinaires d'hommes et d'argent pour cette guerre. Elles furent inutiles parce qu'Enguerrand de Marigny, qui avait le principal crédit auprès du roi, gagné à ce que l'on dit par argent, le fit consentir à une trêve. Philippe avait trois fils de Jeanne sa femme, Louis, Philippe et Charles. Leurs femmes furent accusées d'adultère en plein parlement, le roi y séant. Marguerite, femme de l'aîné, et Blanche, femme du troisième, furent convaincues ; on les renferma dans un château, où Marguerite mourut quelque temps après. Jeanne, femme du second, fut renvoyée de l'accusation, ou par sa propre innocence, ou par la bonté, ou par la prudence de son mari. Les galants furent écorchés tout vifs, traînés à travers les champs, et enfin décapités.

Au reste, le règne de Philippe fut plein de séditions et de révoltées parce que le pou pie et le clergé furent fort chargés ; à cause aussi qu'on haussait et baissait les monnaies à contre-temps, et même qu'on les fabriquait de bas aloi, ce qui causait de grandes pertes aux particuliers, et ruinait tout le commerce. Le roi alla en personne en Languedoc

 

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et en Guyenne, pour apaiser les mouvements de ces provinces; ce qu'il lit en caressant la noblesse et en traitant doucement les villes.

Les révoltes des Parisiens furent poussées plus loin ; car ils pillèrent la maison d'Etienne Barbette, trésorier de Philippe. Ils osèrent bien l'assiéger lui-même dans sa maison, et l'environnèrent avec de grands cris. Les ministres du roi trouvèrent moyen d'apaiser ces mutins, et après on châtia les plus coupables. Philippe réunit â la couronne la ville de Lyon, et érigea en 1307 la seigneurie de cette ville, qui n'était qu'une baronie, en comté, qu'il laissa avec la justice à l'archevêque et au chapitre de Saint-Jean. C'est là l'origine du titre de comtes de Lyon que prennent les chanoines de cette église. Les comtés d'Angoulême et de la Marche lui furent aussi cédés par Marie de Lusignan ; et il érigea, en 1297, la Bretagne en duché-pairie. On a cru que c'était lui qui avait rendu le parlement de Paris sédentaire, l'ayant établi dans son palais, où il rend encore la justice, quoique quelques autres attribuent cet établissement à son fils. Il fut le premier qui environna de murs le palais, et qui ajouta des bâtiments au Louvre, qui a depuis été rebâti et augmenté par ses successeurs avec tant de magnificence. En mourant il recommanda à son fils de ne point charger les peuples comme il avait fait lui-même. Mais ces avertissements, que les princes donnent souvent à l'extrémité de la vie, ont peu d'effet, parce qu'ils ne réparent point les désordres passés, et qu'ils ne sont plus en état d'empêcher les maux à venir. Il mourut à Fontainebleau en 1314.

 

LOUIS X, DIT LE HUTIN (AN 1314).

 

Quoique Louis, dit Hulin, c'est-à-dire opiniâtre et vaillant, eût commencé à prendre connaissance des affaires dès le vivant de son père, Charles de Valois son oncle avait presque l'autorité toute entière. Il entreprit d'abord Enguerrand de Marigny, qu'il avait haï dès le règne précédent, parce que dans un grand procès survenu entre deux familles très-considérables, il avait pris parti contre ceux que Charles protégeait. Il commença par lui faire rendre compte du maniement des finances, et lui demanda devant le roi ce qu'étaient devenues ces grandes sommes d'argent qu'on avait levées sur le peuple ; et il lui répondit qu'il lui en avait donné la meilleure partie. Charles lui ayant dit qu'il avait menti, Enguerrand eut la hardiesse de répondre que c'était lui-même.

Cette réponse ayant aigri la haine de Charles, Enguerrand fut arrêté dans sa maison à Paris, et mis en prison dans le château du Louvre, dont il était gouverneur. On différa le jugement, parce qu'on n'avait pas de quoi le convaincre. Cependant, on trouva chez sa femme plusieurs

 

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images de cire par lesquelles elle prétendent, sur la foi des magiciens, qu'elle pourrait faire mourir le roi. On la prit et on l'étrangla. Enguerrand fut condamné au même supplice, et les statues qui lui avaient été dressées furent abattues.

Quelque temps après, Charles fut attaqué d'une grande maladie, qu'il prit pour un châtiment de ce qu'il avait fait mourir Enguerrand de Marigny, soit qu'il le crût innocent, soit qu'il sentit qu'il l'avait poursuivi plutôt par vengeance que par justice. Ainsi il n'oublia rien pour faire satisfaction à sa mémoire. En ce temps la trêve de Flandre étant finie, pendant que le comte de Hainaut ravageait le pays situé le long de l'Escaut, Louis attaqua Courtray. Mais les pluies continuelles le contraignirent de lever le siège. Après ce siège levé, il mourut en 1316, et laissa sa femme Clémence, grosse environ de quatre mois. Il avait eu de sa première femme, Marguerite de Bourgogne, une fille nommée Jeanne, qui fut reine de Navarre : les parons maternels de cette princesse soutenaient que la France devait être à elle, si la reine accouchait d'une fille.

 

JEAN Ier (AN 1316).

 

En attendant les couches de la reine, Philippe, frère du roi défunt, fut déclaré régent du royaume. Clémence au bout de cinq mois accoucha d'un fils nommé Jean, qui ne vécut que huit jours, et après un règne si court, malgré les prétentions de Jeanne, Philippe fut reconnu pour roi par le commun consentement des pairs et des seigneurs, qui, selon la loi Salique, et la coutume ancienne, toujours observée depuis Mérovée, jugèrent que les femelles n'étaient pas capables de succéder.

 

PHILIPPE V, DIT LE LONG (AN 1361).

 

Philippe, pour apaiser Eudes, duc de Bourgogne, qui avait appuyé le parti de Jeanne, lui donna en 1318 sa fille en mariage, et retint le royaume de Navarre, dont Jeanne était héritière. Enfin, après plusieurs trêves, la paix de Flandre fut faite par l'entremise du Pape, à condition que les Flamands paieraient au roi cent mille écus d'or, en vingt paie-mens égaux : Lille, Orchies, et Douay demeurèrent entre les mains des Français, pour sûreté du paiement. En ce temps les villes de Flandre s'étaient rendues fort puissantes, et le comte y avait peu d'autorité.

Quelque temps après il s'éleva en France (1320) une grande peste, et la corruption était si universelle, qu'on mourait auprès des fontaines aussitôt qu'on avait bu de leurs eaux. Les Juifs furent accusés de les

 

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avoir empoisonnées, et on crut trop facilement ce qui se disait contre une nation odieuse, quoiqu'il fût avancé sans preuve. Ils avaient été chassés du temps de Philippe le Bel, et rappelés pendant le règne de Louis Butin. Sous Philippe le Long on les fit mourir par toutes sortes de supplices; et ils en furent si effrayés, que plusieurs d'entre eux qui étaient en prison se résolurent à se tuer les uns les autres. Celui qui resta le dernier, ayant rompu un barreau, attacha un cordeau à la fenêtre, où ayant passé sa tête, il se laissait aller pour s'étrangler ; le cordeau ayant manqué, il tomba dans le fossé encore vivant, de sorte qu'étant repris, il fut pendu. Le règne de Philippe fut court; il mourut sans enfants mêles en 1321, et quoiqu'il laissât plusieurs filles, le royaume ne fut pas disputé A Charles le Bel son frère, qui prit aussi le titre de roi de Navarre.

 

CHARLES IV, DIT LE BEL (AN 1322).

 

Au commencement de son règne, il épousa Marie de Luxembourg, qui ne vécut pas longtemps, ayant répudié Blanche, sa première femme, convaincue d'adultère, ainsi qu'il a été dit. Il déclara la guerre à Edouard II roi d'Angleterre, parce qu'il voulut protéger son sénéchal, qui faisait fortifier un château sur les frontières de Guyenne, malgré les défenses du roi, souverain seigneur de ce pays. Il envoya Charles de Valois en Guyenne ( 1325 ), qui la prit toute, excepté Bordeaux, et contraignit le gouverneur d'abandonner presque toute la province. Isabelle, reine d'Angleterre, et sœur de Charles, vint en France pour accommoder l'atTaire, et la traita si adroitement, qu'elle obtint du roi son frère l'investiture du duché d'Aquitaine pour son fils ; ainsi elle s'en retourna avec beaucoup de satisfaction. Charles de Valois mourut, après avoir fait justifier Enguerrand de Marigny, et avoir obtenu son corps, qu'il fil enterrer honorablement.

Cependant les affaires se brouillaient étrangement en Angleterre (1326) ; Hugues Spencer le Jeune, favori du roi Edouard, gouvernait absolument ce prince ; et son père, de même nom que lui, avait toute l'autorité. Il persuada au roi que les seigneurs voulaient entreprendre contre sa personne, de sorte que dans un seul parlement, il fit prendre vingt-deux barons, et les fit tous décapiter sans connaissance de cause. Les mêmes Spencers semèrent aussi la division entre le roi et la reine, ce qui obligea Isabelle de se réfugier auprès de Charles son frère. Au commencement il lui promit tout ce qu'elle pourrait désirer; mais Spencer répandit tant d'argent, qu'il gagna ceux qui avaient le plus de pouvoir à la cour, et fit si bien que le roi défendit à tout le monde de secourir sa soeur. Chassée de France, elle passa en Hainaut, où Jean, frère de Guy comte de Hainaut, s'offrit de l’accompagner en Angleterre

 

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avec beaucoup de noblesse. Avec ce secours elle repassa la mer, et les seigneurs se joignirent à elle.

Le roi était à Bristol, ville très-considérable par ses fortifications, par sa citadelle, et par son port. Spencer le père était dans la ville avec le comte d'Arondel. Le roi et Spencer le fils s'étaient renfermés dans le château. La reine assiégea la ville, et comme les habitants demandèrent à capituler, elle ne les voulut recevoir qu'à condition qu'ils lui livreraient Spencer. Elle lui fit faire son procès, et ce vieillard décrépit, âgé de quatre-vingt-dix ans, fut décapité à la porte du château, en présence de son fils et du roi même. Comme ce prince voulut se sauver dans un esquif avec son favori Spencer, ils furent pris tous deux, et mis entre les mains de la reine. On arracha le cœur à Spencer, ce qui est en Angleterre le supplice ordinaire des traîtres ; son corps fut mis en quatre quartiers : le parlement fut assemblé : et le roi, ayant été accusé de plusieurs crimes, fut déclaré indigne de régner. On l'enferma dans un château, où il était servi honorablement, mais sans avoir aucune autorité. On mit à sa place son fils Edouard III, qui a tourmenté la France par tant de guerres.

Charles cependant continuait à gouverner le royaume avec beaucoup de prudence et de vertu. De son temps les lois et les lettres fleurirent dans le royaume. Il fit exercer la justice avec beaucoup d'exactitude et de sévérité ; et c'est ce qui l'obligea à faire punir un allié de Jean XXII, nommé Jourdain, seigneur de l'Ile, en Aquitaine, parce que lui ayant pardonné beaucoup de fois, à la recommandation du Pape, il retombait toujours dans les mêmes crimes ; mais parmi tant de bonnes actions , il fut blâmé de ne prendre pas assez de soin de soulager ses sujets, qui étaient chargés d'impôts, et de ce qu'ayant empêché une imposition que le Pape voulait faire sur le clergé de France, il y consentit enfin, à condition qu'il en aurait sa part.

Ce prince mourut trop tôt (1388), et laissa sa troisième femme, Jeanne d'Evreux, grosse de quatre ou cinq mois. C'est ainsi que finit la postérité de Philippe le Bel, elle passa comme une ombre; ses trois fils qui promettaient une nombreuse famille, se succédèrent l'un à l'autre en moins de quatorze ans, et moururent tous sans laisser d’enfants mâles. En attendant les couches de la reine, Philippe de Valois, cousin germain du roi défunt, eut la régence du consentement de tous les pairs et barons du royaume, qui n'eurent aucun égard à la demande qu'en fit Edouard III roi d'Angleterre. La reine étant accouchée d'une fille le 1er avril 1328, Edouard prétendit encore que le royaume lui appartenait du côté de sa mère Isabelle, parce qu'il était mâle, et le plus proche parent du défunt. Les pairs et les seigneurs jugèrent que le royaume de France était d'une si grande noblesse, que les femmes ne pouvant y avoir de droit, ne pouvaient aussi en transmettre aucun à leurs descendants. Edouard acquiesça au jugement, et Philippe fut reconnu roi.

 

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