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LIVRE XVI. — HENRI II (AN 1547).

 

Dans les discours que François I fit en mourant à son fils, il lui recommanda par-dessus toutes choses de ne point rappeler le connétable, et de se servir des conseils du cardinal de Tournon et de l'amiral d'Annebaut. Il l'avertit aussi de se donner de garde de ceux de Guise, prévoyant qu'ils auraient un jour en main l'administration des affaires, et que, courageux et ambitieux comme ils étaient, ils pourraient porter leurs pensées jusqu'à l'autorité souveraine. Henri ne fut pas plutôt sur le trône, qu'il rappela le connétable ; mais le comte d'Aumale et Charles son frère, archevêque de Reims, qui avait grande part à la faveur, tâchèrent de s'en prévaloir, avant qu'il fût de retour. Ils obtinrent du roi que ceux qui possèderaient plusieurs charges seraient obligés d'opter.

Anne de Montmorency était tout ensemble et connétable et grand-maître , et le comte d'Aumale espérait être gratifié de la dignité que le connétable quitterait. Mais le roi, qui aimait Montmorency, et qui l'appelait son compère, lui conserva les deux charges, et le regarda comme son principal ministre. Il exécuta son règlement dans toute sa sévérité contre l'amiral, et en le chassant de la Cour, il l'obligea de quitter sa charge de maréchal de France, qu'il donna à Jacques d'Albon, seigneur de Saint-André, l'un des premiers barons de Dauphine.

Les ministres ne voyaient pas volontiers à la Cour douze cardinaux; pour les écarter, on leur ordonna d'aller à Rome, sous prétexte de l'élection d'un nouveau Pape, que la caducité de Paul III rendait prochaine. Il y en eut sept qui passèrent les monts, entre autres le cardinal de Tournon, exclu des conseils par un ordre exprès, et qui depuis ce temps fit son séjour ordinaire en Italie.

Pour remplir le nombre de quatre maréchaux de France, auquel le roi fixait cette charge, il ajouta aux trois qui étaient déjà, Robert de La Marck, gendre de Diane de Poitiers. Elle avait un absolu pouvoir,

 

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et on regarda comme une espèce d'enchantement l'amour aveugle qu'avait un roi de vingt-neuf ans, pour une femme de quarante, qui était en réputation de ne lui être pas fidèle. Elle fit donner la charge de grand-maître de l'artillerie à Charles de Cossé de Brissac, celui de tous les seigneurs qu'elle aimait le plus, et qui avait aussi le plus d'agrément.

Le maréchal de Biez fut disgracié. Le roi voulut qu'on fit le procès à lui et à Vervin son gendre, à qui il ne put pardonner d'avoir si aisément rendu Boulogne, ni au maréchal les longueurs de la campagne de 1546, qui paraissaient affectées; ainsi dans un nouveau règne toute la Cour fut renouvelée. Le chancelier fut le seul des grands officiers de l'Etat qui fut conservé, encore lui ôta-t-on les sceaux quelque temps après, quoiqu'il fût homme de grande vertu, et Henri donna tout à ses favoris, sans garder aucune mesure pour la mémoire du roi son père.

L'économie pratiquée dans les dernières années, après avoir acquitté toutes les dettes de l'Etat, avait encore laissé les coffres remplis. Henri, libéral par lui-même, excité par Diane, qui ne l'était pas moins, fit de grandes profusions, dont la plupart furent blâmées. Mais tout le monde loua le bien qu'il fit à Martin du Belley, digne d'être récompensé, et pour ses propres services, et pour ceux de Guillaume son frère, qui s'était ruinés en servant l'Etat.

Au commencement de ce règne, le Pape, qui appréhendait l'empereur, voulut s'appuyer de la France, et envoya un légat pour faire par quelque traité une étroite liaison avec le roi. L'amitié avait commencé par un mariage; Henri avait promis une fille naturelle qu'il avait eue de Diane, à Horace Farnèse, petit-fils du Pape. Il ne répondit rien sur le traité proposé, et il attendit à s'engager plus ou moins, selon la disposition des affaires.

La paix n'était pas sûre avec l'Angleterre, et sur quelque contestation pour les limites du Boulonnais, les Anglais s'étaient saisis les premiers des lieux qui étaient en dispute; mais ils en furent chassés, et on convint de garder ce qu'on tenait de part et d'autre. Cependant le roi résolut de se conserver les Ecossais, et envoya Léon Strossi avec des troupes pour soutenir la reine d'Ecosse contre ses sujets révoltés.

Durant ces temps-là l'empereur avait remporté de grands avantages sur les pro tes tans. Le comte palatin s'était soumis; l'électeur de Brandebourg les avait quittés ; une partie de cette armée prodigieuse de l'électeur de Saxe et du landgrave s'était dissipée durant l'hiver, et l'empereur commençait à être redoutable. La guerre s'était cependant continuée entre les deux cousins, et Maurice avait perdu quelques places, entre autres Meissen sur l'Elbe, où l'électeur demeura quelques jours en attendant l'occasion de quelque entreprise. Il n'y fut pas longtemps sans apprendre que l'empereur approchait. Comme il avait peu de troupes, et que les autres étaient encore dispersées dans leurs quartiers, il passa promptement l'Elbe sur le pont de bois de la place, qu'il

 

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brûla après son passage. Il s'était réservé un pont de bateaux qu'il pouvait rompre aisément, et s'en servait pour aller au fourrage, ou pour quelque outre dessein. Il borda la rivière de troupes et de canons auprès de Mulberg, et pour dèfendro son pont de bateaux, et pour empêcher le passage û l'empereur. Cependant il continua son chemin vers Vittemberg, qui était sa ville capitale, où il n'avait rien à craindre.

L'empereur arriva le 23 avril au bord de l'Elbe, vis-à-vis Mulberg; tout dépendait de la diligence. Les Espagnols se jetèrent dans l'Elbe, et pendant que les Saxons rompaient leur pont, ils allèrent jusqu'à l'autre bord, d'où ils ramenèrent les bateaux à force de bras du côté où était leur armée. De ceux-là et de ceux qu'avait l'empereur, on fit promptement un pont; mais comme le passage était trop long, l'empereur conduit par un paysan fit passer sa cavalerie, et passa lui-même au gué avec beaucoup de résolution. A trois bleues de là il rencontra l'électeur ; il le battit, le prit, lui fit faire son procès, et le fît condamner à perdre la tête. L'électeur se racheta en abandonnant ses plus fortes places et l'électoral à Maurice son cousin, sans pour cela sortir de prison.

Le landgrave étonné, et n'ayant aucune ressource, fut contraint de faire un accord honteux et ambigu, que l'empereur interpréta à son avantage. Il fallut venir demander pardon, et sur l'équivoque d'un moi allemand qui ne décidait pas bien si le landgrave serait absolument exempt de prison, ou s'il serait seulement exempt d'une prison perpétuelle, l'empereur le fit arrêter. Tout le parti fut abattu par une seule bataille; catholiques et protestants, tout plia. Ils furent taxés à de grandes sommes, les uns pour subvenir aux frais de la guerre, les autres pour châtiment de leur rébellion, et les comptes font foi que l'empereur amassa par ce moyen seize cent mille écus d'or. Ferdinand en leva davantage encore sur les Bohémiens, qui s'étaient mis du parti de l'électeur. Ces nouvelles fâchèrent la Cour de France : le roi écrivit aux princes et aux villes d'Allemagne, pour les exhorter à tenir ferme, et leur promit du secours.

Environ dans ce temps-là se fit son sacre, où le roi de Navarre, le duc de Vendôme, le duc de Guise, le duc de Nevers, le duc de Montpensier et le comte d'Aumale, représentèrent les six anciens pairs laïques ; et on remarque que le duc de Montpensier, quoique prince du sang, représenta seulement le comte de Flandre, quatrième pair, précédé par les ducs de Guise et de Nevers, dont la pairie était plus ancienne. Le roi François les avait érigées, et il avait aussi établi (mais auparavant) celle du duc de Vendôme, premier prince du sang. Cet ordre a depuis été changé, et on a jugé avec raison, que même au sacre des rois, où les pairs sont dans leur plus noble fonction, les princes du sang ne devaient pas entrer en comparaison avec les autres seigneurs. Pour ce qui est du roi de Navarre, sa qualité de roi lui donna la préséance. Au sortir de cette auguste cérémonie, le roi visita

 

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les environs de Boulogne, et il fit bâtir un fort sur une colline qui commandait son port, que les Anglais faisaient fortifier.

Lorsqu'il fut de retour à Saint Germain, il donna un étrange spectacle à la Cour. Gui de Chabot de Jarnac, et François de Vivonne de la Châtaigneraie s'étaient querellés pour des intrigues de femmes, et la Châtaigneraie avait reçu un démenti. Ils demanderont au roi la permission de se battre, et ce prince, oubliant les lois divines et humaines, non-seulement l'accorda, mais voulut être présent. On prépara un camp pour le combat, et des galeries autour pour placer la Cour. Le roi, qui aimait la Châtaigneraie, espérait que son adresse lui donnerait la victoire. Il y avait on effet beaucoup d'apparence, parce que Jarnac avait la fièvre, mais il donna un coup de revers si à propos, que son ennemi déjà blessé tomba par terre; il ne voulut jamais demander la vie, mais tout le monde accourut pour séparer les combattants. Ce secours, qui sauva le vaincu des mains de son ennemi, ne le sauva, pas de sa propre rage : la honte d'être battu dans une telle compagnie, et en présence du roi, lui rendait la vie odieuse ; jamais il ne voulut endurer qu'on bandât ses plaies, et il mourut désespéré. Un événement si tragique toucha tellement le roi, qu'il fit vœu de ne permettre jamais de duel, et eut peine à se pardonner à lui-même celui qu'il avait permis.

Il se conclut environ ce temps une trêve entre la France et l'Angleterre; et celle de Charles V avec Soliman, qui se négociait depuis six mois, fut arrêtée pour cinq ans entre les deux princes; mais Soliman voulut de lui-même y comprendre le roi, à qui il donna des titres plus illustres qu'à l'empereur. Le Pape reçut à Plaisance le plus grand de tous les outrages en la personne de Pierre-Louis Farnèse son fils. Il lui avait donné, à titre de duché, cette place et celle de Parme; mais il était tellement haï pour ses violences et ses débauches énormes, que ses sujets révoltés le tuèrent. Ferdinand de Gonzague, que l'empereur avait fait gouverneur de Milan à la place du marquis du Guast, nouvellement disgracié, fut appelé à Plaisance, dont on dit qu'il avait lui-même excité la sédition, et retint la place au nom de l'empereur. La colère du Pape fut extrême; il pressa le roi de déclarer la guerre à l'empereur, et ne rougit pas de lui proposer d'inviter le Turc dans le Milanais; mais le roi ne s'y trouva pas disposé, et Plaisance demeura à l'empereur.

Ce prince avait aussi des sujets de plainte contre le Pape, qui, après avoir ouvert le concile de Trente, de concert avec lui, tout d'un coup, sans lui on rien dire, l'avait transféré à Boulogne. Il était bien aise que cette vénérable assemblée se tint dans une place dont il fût le maître; et pour la tirer de Trente, on fit dire aux astrologues et aux médecins que la ville était menacée de peste; mais l'empereur, qui voyait qu'un concile tenu loin da l'Allemagne n'y serait jamais roçu, et deviendrait inutile à la réduction des protestons, lit déclarer au Pape, en plein

 

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consistoire, et aux Pères de Boulogne, qu'il serait obligé de protester de nullité de tout ce qui se ferait hors de Trente.

Le cardinal de Guise, c'était l'archevêque de Reims, à qui le Pape avait depuis peu envoyé le chapeau, aussi bien qu'au cardinal de Bourbon; ce cardinal remontra, de la part du roi, de quelle importance il était de ne point mécontenter les Allemands dans une demande si raisonnable. Mais le Pape ne voulait pas satisfaire l'empereur, jusqu'à ce qu'il lui eût fait raison de Plaisance, et ne craignit point de faire servir la religion à la politique.

Au milieu de ces dissensions, l'hérésie de Luther s'accroissait (1548). Elle fit de grands progrès dans la France, et le roi pour l'empêcher en vint aux extrémités. On se voyait à la veille d'une rupture avec l'empereur; il avait fait couper la tête à deux capitaines qui avaient mené des troupes d'Allemagne au roi, dans le temps qu'il fut sacré. L'empereur faisait venu Philippe son fils unique en Allemagne, dans le dessein, s'il pouvait, de le faire roi des Romains, et lui avait ordonné de passer par Gênes. On craignit en France quelque entreprise sur le Piémont, peut-être avait-on aussi quelque dessein sur le Milanais; ainsi le roi résolut de faire un voyage en Italie. Tout ce qu'il y fit fut de donner ordre à la fortification des places de Piémont, et durant ce temps, presque toute la Guyenne et les autres provinces voisines se soulevèrent au sujet de la gabelle que François I avait établie dans cette province. Cet impôt nouveau dans ces pays choquait tons les peuples; mais les vexations qu'exerçaient les commis et les officiers en le levant le rendaient plus insupportable.

Ceux de Bordeaux s'emportèrent plus violemment que tous les autres. Ils massacrèrent Moneins, lieutenant de roi sous l'autorité du roi de Navarre, gouverneur de la province, et ils contraignirent les présidents et conseillers du parlement de se mettre à leur tête en habits de matelots. Cette révolte était d'autant plus dangereuse, qu'on avait à craindre l'Angleterre, dont ces peuples n'avaient pas encore tout à fait oublié la domination; ainsi on résolut de ne pousser pas les choses à l'extrémité, et on déclara d'abord qu'on ôterait la gabelle. Mais c'était autoriser la révolte, que de ne pas châtier les séditieux; et le parlement de Bordeaux, après avoir repris son autorité, en avait puni quelques-uns. Pour réprimer les autres, le roi envoya d'un côté le connétable, et de l'autre le duc d'Aumale, chacun avec une armée de quatre à cinq mille hommes. Il ne se peut rien de plus opposé que fut la conduite de ces deux hommes ; le duc prenait toutes les voies de douceur, et il semblait quelquefois qu'il songeait plutôt à gagner les peuples, qu'à les réprimer; mais le connétable, sévère et orgueilleux par lui-même,, étant de plus irrité par le massacre de Moneins, qui était son parent, vint à Bordeaux avec un esprit de rigueur. Il était gouverneur de Languedoc, et les troupes du duc d'Aumale l'ayant joint à Toulouse, il envoya de là une déclaration du roi à Bordeaux, par laquelle il

 

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pardonnait à tous ceux qui poseraient les armes dans quatre jours. Aussitôt toute la -ville fut apaisée; mais il fallait faire un exemple, et le connétable était d'humeur à le faire fort rigoureux. Il entra dans la ville par une brèche de trente toises qu’il fit faire dans la muraille. Il marcha en bataille par les rues avec le canon; il désarma les bourgeois, il les déclara séditieux et déchus de leurs privilèges, leur enjoignant de raser leur maison de ville, et de déterrer avec leurs ongles le corps du lieutenant de roi, pour lui faire des funérailles magnifiques ; plus de cent bourgeois furent condamnés à la mort ou aux galères, et on obligea la ville à de grandes sommes pour les soldats. Mais le roi, suivant les conseils du duc d'Aumale, fit grâce à la plupart des condamnés, rendit les privilèges aux bourgeois, et conserva l'hôtel de ville. Il revint ensuite à Lyon, et puis à Moulins, où Antoine de Bourbon, duc de Vendôme, épousa Jeanne d'Albret, fille de Henri, roi de Navarre.

La guerre était fort allumée entre l'Angleterre et l'Ecosse. Le roi tâchait d'empêcher les progrès des Anglais par les troupes qu'il envoyait en Ecosse ; mais comme les Ecossais ne manquaient pas de braves soldats, il fut soigneux principalement de leur envoyer de bons chefs. Par leur valeur et par leur conduite, la jeune reine, qui n'avait encore que six ans, fut mise entre les mains de Henri, pour être élevée à la cour de France. Les Anglais, qui la voulaient obstinément pour leur roi, furent frustrés de leur attente, et se ralentirent par les avantages que remportèrent nos troupes. Ce qui fut cause que les Ecossais demeurèrent fidèles alliés des Français, et leur confièrent leur reine, ce fut la crainte qu'ils curent d'altérer la religion en s'unissant avec les Anglais, Elle avait souffert de grands changements sous le règne du jeune Edouard; son tuteur Edouard Seimer, appelé protecteur d'Angleterre, était zwinglien, et fit appeler Pierre Martyr, ministre de Strasbourg, qui favorisait ce sentiment. On abolit les règlements de Henri VIII L'archevêque de Cantorbéry, qui penchait à l’hérésie de Luther, mêla dans la religion des pratiques et opinions luthériennes, et conserva l'épiscopat pour ne point priver son siège de la primatie.

Le roi arriva à Saint-Germain, où la reine accoucha le 3 de février 1549, d'un second fils nommé Louis. Ce que l'on remarque le plus dans cette naissance, ce furent les merveilleux pronostics des astrologues sur ce jeune prince. Catherine, qui croyait à ces imposteurs, les avait mis en vogue à la Cour, et ne s'en désabusa pas, quoique toutes leurs prédictions s'en fussent allées en fumée, par la mort de Louis dans le berceau. Le roi la fit couronner solennellement à Saint-Denis le 10 juin, et environ douze jours après, il fit son entrée dans Paris, où la reine ne différa guère à faire la sienne avec une pareille magnificence. On ne vit pendant quinze jours que tournais dans Paris; le roi se plaisait à ces exercices, où il montrait autant d'adresse et de bonne grâce

 

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qu'aucun de ses courtisans, dans tous les combats qui pouvaient se faire tant à pied qu'à cheval.

Ces divertissements furent suivis de cérémonies pieuses. On fit une procession générale pour l'extirpation des hérésies. Le roi y assista en personne, et vit, en s'en retournant à son palais des Tournelles, le supplice de quelques luthériens qu'on brûlait à la Grève : spectacle peu digne de sa présence; mais il crut imprimer par là dans l'esprit des peuples la haine qu'il avait pour l'hérésie. Il y avait quelque temps que ces supplices duraient avec beaucoup de rigueur. Ils furent cause que quelques cantons, et des principaux, ne voulurent point renouveler l'alliance, comme firent les autres, avec les Grisons et les alliés des Suisses. Le procès du maréchal de Biez et de Jacques de Coucy son gendre, seigneur de Vervin, fut achevé. Le maréchal fut dégradé de sa dignité, et condamné à une prison perpétuelle; mais Vervin eut la tête tranchée, pour avoir lâchement rendu Boulogne. Le maréchal, vieillard vénérable, eut ensuite sa liberté ; mais il mourut de chagrin quelque temps après.

La guerre continuait cependant entre l'Angleterre et l'Ecosse, et la division s'étant mise entre les Anglais, le roi envoya une armée vers Boulogne, pendant que Pierre Strozzi, avec douze galères, fermait le passage au secours. Strozzi battit la flotte anglaise, et le roi prit en personne quelques forts qui serraient la place de près; la saison trop avancée la sauva du siège. Au retour, le roi fit un règlement pour les gens de guerre, et empêcha les désordres qu'ils faisaient par tout le royaume, en doublant leur paie, et leur défendant de rien prendre sans payer.

Environ dans ce même temps le Pape mourut, et Octave son petit-fils, pour qui il travaillait tant, lui donna le coup de la mort. Comme son grand-père souhaitait qu'il prît Camérino, au lieu de Parme qu'il voulait rendre au saint Siège, cet emporté, non content d'avoir tâché de surprendre cette place, osa bien, après avoir manqué son coup, mander au Pape que s'il ne la lui donnait, il s'accorderait avec l'empereur. A la lecture de cette lettre le Pape s'évanouit, et mourut quelque temps après, avec un regret extrême de s'être tant tourmenté pour sa maison.

Le cardinal del Monte fut élu pape, et prit le nom de Jules III (1550). Par reconnaissance pour la mémoire de Paul, qui l'avait fait cardinal, aussitôt après son exaltation, il donna Parme à Octave, avec de grandes pensions pour la garder, et lui conserva ses dignités. Au retour de Rome, Jean, cardinal de Lorraine, mourut, et le cardinal de Guise prit le nom de cardinal de Lorraine.

Claude son père, premier duc de Guise, était mort un peu auparavant, et on remarque que ses funérailles furent célébrées avec des cérémonies semblables à celles qu'on faisait alors pour les rois. Cette maison croissait tous les jours en dignité et en crédit. Le cardinal de

 

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Lorraine s'élevait en faisant la cour à Diane, duchesse de Valentinois, avec des soumissions indignes de son caractère. Ce fut lui qui lui conseilla de se rendre la maîtresse des principales charges de l'Etat, en y mettant de ses créatures. Ensuite de ce conseil elle fit priver de sa charge le chancelier Olivier. On fit accroire à ce sage vieillard que sa vue qui baissait le rendait incapable de remplir ses devoirs, et on donna les sceaux à Bertrandi, premier président du parlement.

Les Anglais divisés entre eux faisaient la guerre faiblement contre la France, et désespérèrent de sauver Boulogne si incommodée de toutes parts. Ainsi ils firent la paix, et rendirent Boulogne à Henri, avec tous les forts et toutes les munitions, à condition qu'on leur donnerait quatre cent mille écus, dont le premier paiement se devrait faire en entrant dans la place. Ils rendirent aussi tout ce qu'ils tenaient en Ecosse ; ainsi la France eut dans cette paix tout ce qu'elle pouvait désirer, en procurant également ses avantages et ceux de ses alliés.

A peine cette guerre fut-elle finie, que l'Italie donna matière à en commencer une nouvelle avec l'empereur. Il prétendait que Parme et Plaisance étaient du duché de Milan ; et comme il avait déjà occupé Plaisance, il avait donné des ordres secrets à Ferdinand de Gonzague de chercher l'occasion de surprendre Parme , de sorte qu'il la tenait comme bloquée. Octave, qui tenait cette place du Pape, le pria d'augmenter l'argent qu'il lui donnait pour la défendre, ou de lui accorder la permission d'avoir recours au roi de France, à qui la maison Farnèse était alliée par le mariage d'Horace, frère d'Octave, avec la fille du roi et de la duchesse de Valentinois. Le Pape, pour se décharger de la dépense, dit au duc qu'il pourvût à sa sûreté comme il pourrait. Cette parole ne fut pas plutôt lâchée, qu'il demanda du secours au roi, qui, ravi de traverser le dessein de l'empereur, s'engagea sans peine à aider Octave d'hommes et d'argent, à condition qu'ils ne pourraient pas faire leur accord l'un sans l'autre.

L'empereur, voyant ses desseins manques (1551), elles François dans Parme, ne songea plus qu'à les en chasser. Il voulut pour cela se servir du Pape, et de Jean-Baptiste del Monte, son neveu, qui persuada facilement à son oncle qu'Octave n'avait traité avec la France, que pour se rendre indépendant du saint Siège, de sorte que le Pape, à qui l'empereur promettait toute assistance, sitôt qu'il aurait déclaré la guerre aux Farnèses, envoya Jean-Baptiste à Bologne pour la commencer. Il pria en même temps l'empereur, comme défenseur de l'Eglise, de le secourir dans cette guerre; c'est ce que l'empereur souhaitait le plus, et il voulait seulement qu'il ne parût pas qu'il entreprit de lui-même cette guerre. Il fit assiéger Parme par Gonzague, pendant que Jean-Baptiste partit de Bologne pour assiéger la Mirande, que Louis Pic, comte de Concorde, et seigneur de cette place, avait mise aussi sous la protection du roi.

 

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Pierre Strozzi avait eu ordre de se jeter dans Parme avec l'élite de ses troupes, et il rassura par sa présence les habitants étonnés. Mais Louis Pic, et Paule de Terme qui défendit avec lui la Mirande, s'étant trop avancés dans une sortie, furent coupés et contraints de se retirer -dans Parme. Le roi, ainsi engagé dans une guerre avec le Pape, fit défense de porter de l'argent à Rome, pour quelque chose que ce fût, et donna charge à Jacques Amiot, abbé de Bellosane, d'aller à Trente, où s'était recommencé le concile, pour y déclarer de sa part qu'étant empêché, par la guerre que le Pape lui faisait, d'envoyer les prélats de son royaume en cette assemblée, il ne la reconnaissait pas pour légitime. Aussi dans les lettres qu'il lui écrivait, il ne lui donnait pas le nom de concile, mais seulement celui d'assemblée de Trente.

La guerre n'était pas encore déclarée entre l'empereur et le roi; mais Henri, jeune et vigoureux, voyant l'empereur affaibli, même au-dessous de son âge, se promettait sur lui de grands avantages. D'ailleurs il avait un grand parti en Allemagne ; les princes étaient jaloux de l'excessive puissance de l'empereur, qui tenait depuis trois ans dans ses prisons deux des principaux princes de l'empire. Maurice surtout souffrait avec une extrême impatience la détention du landgrave son beau-père. Mais les obligations trop récentes qu'il avait à l'empereur le portaient à dissimuler, ce qu'il faisait avec tant d'adresse, que Charles lui confia le commandement de l'armée par laquelle il faisait assiéger la ville de Magdebourg, toute luthérienne, qu'il avait mise, pour ses révoltes, au ban de l'empire.

Cependant Maurice écoutait les propositions de Henri, et trainait en longueur le siège de Magdebourg, pour se donner le loisir de prendre toutes les mesures convenables. L'accord fut résolu et tenu secret ; les princes abandonnaient au roi Metz, Toul, Verdun, Cambray et Strasbourg. Il devait se joindre à eux pour défendre la liberté de l'empire, et obtenir celle des princes captifs ; le roi fournissait beaucoup d'argent ; les confédérés ne pouvaient entendre à la paix les uns sans les autres ; ils se donnaient réciproquement des otages, et ils devaient avec leur armée chercher l'empereur, quelque part qu'il fût. Il était encore à Augsbourg, où il tâchait vainement de persuader à son frère de céder à son fils Philippe la qualité de roi des Romains.

Cette division domestique donnait encore de l'espérance aux confédérés; ainsi le roi ne craignait point la rupture. Il consentit qu'elle commençât par la prise de quelques vaisseaux, que le baron de la Garde et Léon Strozzi firent vers la Flandre et la Catalogne. Il se plaignait de son côté que d'Andelot et Sipierre, officiers de son armée d'Italie, étaient retenus prisonniers dans le château de Milan. Les manifestes coururent de part et d'autre, et on en vint bientôt aux armes.

Brissac commandait dans le Piémont, où il avait été envoyé, à ce que disent quelques-uns, à la recommandation de la duchesse de

 

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Valentinois, qui était bien-aise de lui procurer un si bel emploi, et, selon quelques autres, par la jalousie que le roi avait de l’affection que lui portait cette duchesse. Quoi qu'il en soit, il commença dès lors à se signaler par des actions extraordinaires, étant par lui-même homme de grand mérite, et ayant avec lui plusieurs braves officiers, entre autres Blaise de Montluc, un des premiers hommes de son siècle. Les bons succès qu'eurent les Français dans ce pays, obligèrent Gonzague à laisser au marquis de Marignan le soin du siège de Parme, où l'empereur envoya de nouvelles troupes.

La guerre ne tarda pas à s'allumer de toutes ports. Le duc de Vendôme, gouverneur de Picardie, et François de Clèves, duc de Nevers, gouverneur de Champagne, faisaient diverses entreprises du côté des Pays-Bas, et de la Lorraine, qui favorisait l'empereur. Christine, fille de sa sœur, et de Christiern, roi de Danemark, avait épousé le dernier duc, et Charles, qui régnait alors, jeune enfant de neuf ans, était sorti de ce mariage.

Le Pape, qui commençait à, s'ennuyer de la guerre, envoyait en vain des légats aux deux princes pour faire la paix. Les choses étaient déjà trop engagées ; Parme, que Pierre Strozzi croyait avoir délivrée par quelques avantages, se trouva tellement pressée par la faim, depuis sou départ, que Marignan espérait de la réduire bientôt ; mais Henri se promettait de plus grandes choses.

L'empereur semblait ne penser qu'à, avancer le concile et la prise de Magdebourg. Cette place se rendit enfin , et Maurice la traita si doucement, qu'on crut avec raison qu'elle se rendait de concert. Elle faisait en apparence de grandes soumissions à l'empereur; mais au fond sa liberté et sa religion lui étaient conservées entières. Maurice gagna ses habitants, et sut gagner tout ensemble l'armée qu'il commandait depuis si longtemps. Il redemanda son beau-père à l'empereur; Albert de Brandebourg, le comte palatin, et les autres princes se joignirent à celle demande ; on ne parlait eu Allemagne que de la liberté des princes. Les confédérés joignirent des troupes à celles que Maurice avait déjà, et il marcha ouvertement contre l'empereur. Augsbourg lui ayant ouvert ses portes, les prélats assemblés à Trente furent si épouvantes, qu'ils se retirèrent, et le concile fut suspendu.

Henri s'avança en Allemagne, où tout cédait aux confédérés. Maurice tenta vainement les voies d'accommodement avec Ferdinand ; leur conférence se rompit bientôt, mais on convint de se rendre quelque temps après à Passau pour y reprendre le traité. Cependant l'empereur ramassait ses troupes au bas des Alpes, et fit occuper les passages par où l'électeur venait à lui, mais ses troupes furent battues; Maurice, sons perdre de temps, prit Erberg, forteresse presque inaccessible. A la première nouvelle de cette prise imprévue, l'empereur, qui était à Innsbruck avec son frère Ferdinand, tira de prison Jean Frédéric, et lui ordonna de le suivre. Il partit en même temps par un temps

 

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horrible ; Maurice le serrait de près, et il entra dans Innsbruck la même nuit que l'empereur en sortit avec tant de précipitation ; sa retraite fut à Villac, petite place de la Carinthie. On ne sait comment un prince si prévoyant se laissa ainsi surprendre sa grande puissance lui faisait croire que tout était en sûreté. Il fut bien étonné quand il vit un peu après le roi en campagne se rendre maître en un moment de beaucoup de places, et mener aux confédérés une redoutable armée. Elle fut précédée d'un manifeste répandu par toute l'Allemagne, où le roi allait, invité par un grand nombre de princes, pour la tirer de la servitude où la mettait l'empereur, et pour délivrer les princes captifs.

Sur le point de partir, il envoya devant lui le connétable, qui augmentent tous les jours en considération et en dignité. Le roi venait d'ériger en duché et pairie sa terre de Montmorency ; et c'est le premier gentilhomme qui ait eu en France un tel honneur. Le connétable avait avec lui quinze mille hommes de pied, quinze cents gendarmes, deux mille chevau-légers, et autant d'arquebusiers à cheval. La ville de Toul lui ouvrit ses portes ; le roi le suivait de près, mais la maladie de la reine l'arrêta quelque temps à Joinville, où la mère du duc de Lorraine le vint saluer.

Cependant le connétable s'approcha de Metz, et le cardinal de Lenoncourt, évêque de celle ville, fit en sorte qu'on y résolut de recevoir le connétable avec deux compagnies de gens de pied. Il prit quinze cents hommes d'élite, dont il composa ces deux compagnies ; les habitants s'avisèrent trop tard de fermer leurs portes, et toutes les troupes entrèrent. Un peu après (1552), le roi se rendit à Toul, et alla ensuite à Nancy; d'où il fit conduire le jeune duc auprès du Dauphin, qu'il avait laissé à Reims. Christine sa mère fut renvoyée en Flandre, et Nicolas, comte de Vaudemont, son oncle, en qui le roi avait beaucoup de confiance, fut laissé gouverneur de Lorraine.

Le roi vint à Metz, où il donna une pleine satisfaction aux habitants, et régla si bien les gens de guerre, qu'il n'y eut depuis aucune plainte. Comme il ne s'arrêtait pas longtemps dans un endroit, l'Alsace le vit bientôt ; mais on eut beau parler à ceux de Strasbourg de la liberté de l'empire, ils refusèrent honnêtement leurs portes. Les autres villes le reçurent, et il était prêt à entrer plus avant dans l'Allemagne, quand les princes, et ceux mêmes de son parti, jaloux de sa trop grande puissance, le prièrent de se porter à la paix. Ce fut la qu'il apprit que la protection qu'il donnait au duc de Parme avait eu un heureux succès. Le cardinal de Tournon obtint du Pape qu'il le laisserait en repos, et que le siège de Parme serait levé. Jean-Baptiste, neveu du Pape, fut tué dans une sortie devant la Mirande, périssant ainsi dans une guerre qu'il avait lui-même excitée.

Durant que le roi était en Allemagne, la Champagne eut beaucoup à souffrir : le roi, qui voyait que les princes de l'empire se ralentissaient, et que l'électeur Maurice renouait le traité de paix avec Ferdinand,HENRI II.

 

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ne s'engagea pas davantage, et après avoir nommé un ambassadeur pour se trouver en son nom à l'assemblée de Passau, où devait se traiter l'accommodement, il apprit que les impériaux, après s'être emparés de Stenay, faisaient des courses vers la Champagne, et même jusqu'à Chalons.

Il partagea son armée en trois, et ayant envoyé deux corps dans cette province, il repassa la Meuse avec le troisième. En passant il se rendit maître de Stenay, abandonné par les ennemis ; il entra ensuite dans le Luxembourg, où il prit d'assaut le fort château de Roc-de-Mars, dans lequel la noblesse et les dames du pays s'étaient réfugiées. Ils n'attendaient plus que les dernières extrémités, quand l'ordre du roi survenu arrêta les soldats, qui commençaient le pillage. Damvilliers lui ouvrit ses portes ; le comte de Mansfeld, abandonné des siens dans Yvoy, dont il était gouverneur, fut pris avec sa place. Monlmédy se rendit, et le maréchal de La Marck, ayant obtenu du roi quelques troupes, reprit Bouillon, dont l'empereur avait dépouillé sa maison trente ans auparavant, pour le donner à l'évêque de Liège, qui avait des prétentions sur ce duché.

Le roi sut environ dans le même temps que le cardinal de Lorraine lui avait soumis Verdun, ville de l'empire, aussi bien que Metz et Toul. Il commandait dans ces villes à titre de protecteur, et on en fit une province qu'on appela les Trois-Evêchés. Le roi prit encore la ville et le château de Chimay, et retourna dans son royaume, d'où il avait été absent trois mois et demi. Ces conquêtes coûtèrent cher à la France ; outre les ravages que les impériaux avaient faits dans la Champagne, Van Rossem, maréchal de Clèves, était entré dans la Picardie et dans le Ponthieu, où il avait saccagé beaucoup de villes, et ne pouvant en garder aucune, il y mettait le feu; l'épouvante vint jusqu'à Paris, où l'on n'avait point d'armée à lui opposer, parce que celle du roi était composée de toute l'élite des troupes.

Cependant l'électeur de Saxe n'oubli ait rien pour faire sa paix. Il craignait toujours que l'empereur ne s'accommodât avec son cousin Jean Frédéric, et cette raison ne le touchait pas moins que la délivrance de son beau-père. On était assemblé à Passau, où le roi des Romains recevait les propositions pour l'empereur; Maurice avait obligé le roi à y envoyer un ambassadeur; c'était Jean du Fresne, évêque de Bayonne , homme véhément, qui parlait avec aigreur contre Charles, sur ce qu'il avait rompu l'ancienne alliance entre les Français et les Allemands, avantageuse aux deux nations. Les réponses de l'empereur n'étaient pas moins aigres ; les traités de François avec les Turcs y étaient souvent répétés, et Il y avait peu d'apparence que la paix se conclût entre les deux rois.

Après beaucoup de difficultés, les affaires d'Allemagne s'ajustèrent. Les princes devaient poser les armes; le landgrave devait être mis en liberté; l'empereur devait convoquer une diète pour régler les différents

 

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de la religion, et il promettait en attendant de n'inquiéter personne sur ce sujet. Pour ce qui était du roi, dont on ne voulait pas mêler les intérêts avec ceux de l'Allemagne, il fut dit que s'il avait quelque chose à prétendre de l'empereur, il pouvait lui expliquer ses intentions par Maurice, qui lui en ferait le rapport.

Ce prince par ce moyen conservait ses liaisons avec le roi, et fît connaître à l'évêque de Bayonne qu'il se pourrait faire dans quelque temps de nouveaux mouvements dans l'Allemagne. Le landgrave fut mis en liberté; le duc Jean Frédéric, qui était toujours observé à la suite de la Cour, eut sa liberté toute entière, et se retira dans sa maison. Pour Albert de Brandebourg, dès qu'il vit que les affaires tendaient à la paix, il se sépara d'avec les princes, et continua avec plus de furie que jamais, la guerre qu'il faisait aux catholiques, principalement aux évêques. Le roi, tout indigné qu'il était contre les princes, qui s'étaient accommodés sans lui, au préjudice des traités, ne laissa pas de leur envoyer généreusement leurs otages.

Environ ce temps il perdit Hesdin, qu'il ne tarda guère à reprendre; les troupes de l'empereur s'étaient assemblées de divers côtés, et outre que le duc d'Albe lui avait amené ce qu'il avait de meilleurs soldats, il grossit encore son armée de celle des princes. Il était outré de la perte de Metz, et il avait résolu de faire les derniers efforts pour la réparer. Pendant qu'il se préparait à cette entreprise, il eut des nouvelles fâcheuses d'Italie. Le roi avait de grands desseins sur Naples, où il tâchait d'attirer les Vénitiens et d'autres princes, et les Turcs avaient paru sur la côte pour les favoriser; mais il avait besoin d'une place dans le cœur de l'Italie, et il n'y en avait point qui lui fût plus propre que Sienne. Cette ville longtemps partagée en quatre grandes factions, était enfin tombée par ses divisions entre les mains des Espagnols; mais ce peuple inquiet ne demeura pas longtemps tranquille au milieu des mauvais traitements qu'il en recevait; et encore qu'ils eussent bâti une citadelle, les habitants ne laissèrent pas de se révolter. Le petit nombre des Espagnols leur en donna la pensée; la garnison eut peine à se sauver dans la citadelle; tout ce qu'il y avait de Français dans les environs vinrent au secours des Siennois, et demeurèrent les maîtres dans la place, dont la citadelle ne tint guère, et fut rasée. L'empereur n'était pas en état d'apporter du remède à ce mal, la révolte des princes lui avait fait rappeler ses troupes d'Italie, et le dessein du siège de Metz ne lui permit pas de les renvoyer.

Le roi avait pourvu à la sûreté de Metz, autant que le peu de temps avait pu le permettre; il avait envoyé le duc de Guise avec des troupes, mais la place était faible par beaucoup d'endroits; le duc fut oblige de ruiner les faubourgs de la ville, et l'abbaye de Saint-Arnoul, illustre parla sépulture de Louis le Débonnaire et de plusieurs autres princes de la maison de Charlemagne. On travaillait sans relâche  aux fortifications: le duc portait lui-même la hotte, et animait les soldats et les

 

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habitants : le jeune duc d'Enghien, et le prince de Condé son frère, s'étaient jetés dans la place avec beaucoup de noblesse, et l'empereur y était attendu sans crainte. La saison était avancée; il arriva à Strasbourg environ le 15 septembre, et ne put commencer le siège que le 22 d'octobre. Il demeura à Thionville, incommodé de la goutte, et laissa le commandement au duc d'Albe.

Le prince Albert de Brandebourg, secrètement d'accord avec l'empereur, tâcha de surprendre Metz, sous prétexte de s'accorder avec les Français. Le duc de Guise découvrit bientôt ses artifices; mais Français, duc d'Aumale, croyant les surprendre, fut lui-même battu et pris. Un peu après, Albert se rendit au siège avec six mille hommes de pied et seize cents chevaux ; il eut son quartier séparé de l'armée impériale; l'empereur se fit porter au siège le 20 de novembre; la brèche fut faite en peu de jours, mais derrière le mur ruiné, le duc de Guise avait élevé un nouveau rempart. Par le bon ordre qu'il avait donné d'abord à la distribution des vivres, il ne craignit point d'en manquer, et il fit savoir au roi qu'il pouvait employer où il lui plairait les troupes destinées au secours de Metz, assuré que la place se soutien droit toute seule. En effet, le roi envoya le duc de Vendôme mettre le siège devant Hesdin, qu'il reprit malgré l'hiver.

Les vivres manquaient à l'empereur, les continuelles sorties des assiégés avaient beaucoup diminué son armée, et les maladies survenues achevaient de la ruiner: il songeait à lever le siège; mais il ne put se résoudre à la retraite, sans avoir fait un dernier effort. Il mit son armée en bataille devant la brèche; et contre l'avis de tous ses chefs, qui l'avertissaient qu'il allait recevoir un grand affront, il commanda d'aller à l'assaut; mais en même temps le duc de Guise parut sur la brèche la pique à la main, et toute la noblesse qui le suivait fit si bonne contenance, que l'empereur ne put jamais faire marcher ses soldats. Il se plaignit en vain qu'il était abandonné dans l'occasion la plus importante de sa vie, il fallut peu après lever honteusement le siège. Les nôtres d'abord poursuivirent les ennemis, et en tuèrent quelques-uns; mais ils furent touchés du spectacle de tant de malades et de mourants qu'ils trouvèrent répandus de toutes parts. Ils enterrèrent les morts, ils mirent les malades dans des bateaux, pour les envoyer à Thionville, et portèrent dans la ville ceux qui n'avaient pu souffrir la fatigue du chemin. Le duc de Guise en prit autant de soin qu'il eût fait de ses propres soldats, et il fit autant louer son humanité, qu'il avait fait admirer sa valeur. On tient que l'empereur perdit trente mille hommes dans ce siège.

Le duc, comblé de gloire pour avoir ruiné une si puissante armée, et avoir arrêté un prince presque toujours victorieux, rendit à Dieu tout l'honneur d'un événement si glorieux, et en reconnaissance d'un si grand succès, il tourna tous ses soins à exterminer l'hérésie dans Metz. On ne parlait dans toute la France et parmi les étrangers que des

 

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vertus du duc de Guise. Avec tous les malheurs de cette campagne, l'empereur se vil encore à la veille de perdre le royaume de Naples; la flotte qui avait paru sous le corsaire Dragut, était de cent vingt-trois vaisseaux, et il avait remporté quelque avantage sur André Doria. Le prince de Salerne, seigneur napolitain, qui avait quitté l'empereur, devait se joindre à lui avec trente-cinq galères qu'il amenait de Marseille, il arriva un moment trop tard ; le corsaire perdit patience, et ne voulut jamais retourner vers Naples. Ce malentendu sauva la place, où le peuple était disposé au soulèvement; le vice-roi n'y avait trouvé d'autre remède que de défendre, sur peine de la vie, de prononcer seulement le nom du roi de France et du prince de Salerne. On connut la politique des Turcs, qui voulaient entretenir la guerre (1553), et amuser Henri, mais non pas le rendre puissant en Italie, d'où il aurait bientôt fait trembler la Grèce. Le corsaire promit de revenir l'année suivante, et passa l'hiver à Chio.

L'Allemagne était agitée par les ravages qu'y faisait Albert; et l'empereur, qui s'en servait pour balancer la puissance de Maurice, ne répondit pas nettement aux plaintes qu'on faisait contre lui ; mais Maurice lui-même lui déclara la guerre. Il y eut une sanglante bataille dans laquelle Maurice fut blessé; la victoire lui demeura, il mourut peu après de ses blessures. Comme il n'avait point d'enfons, Auguste son frère lui succéda suivant les conventions. L'empereur n'ayant plus rien à ménager en faveur d'Albert, l'abandonna aux rigueurs delà chambre de Spire, qui proscrivit ses biens et sa vie.

Environ dans ce même temps, Thérouanne, la plus forte place de Picardie, négligée par le roi, qui méprisait alors l'empereur, fut assiégée et bientôt prise. On ne songeait à la Cour qu'à se divertir, et ce ne fut qu'à l'extrémité qu'on envoya à Thérouanne, François de Montmorency, fils du connétable. Après s'être défendu autant que le permettait le mauvais état de la place; pendant qu'il parlementait sans avoir pris ses sûretés, il se trouva tout d'un coup entre les mains des impériaux : la ville fut ruinée de fond en comble, et ne s'est jamais relevée.

A ce coup la Cour se réveilla; Robert de La Marck, maréchal de France, courut à Hesdin, qui était menacé par les impériaux. Emmanuel Philibert, prince de Piémont, fit le siège ; le maréchal avait avec lui l'élite de la noblesse, peu entendue, aussi bien que lui ; il capitula bientôt, mais comme on traitait, le feu prit par hasard à une mine qu'il avait faite sous les assiégeants ; ils firent aussitôt jouer les leurs, et se jetèrent par les brèches de tous côtés dans la place, avec tant d'impétuosité, que La Marck fut pris avec toute la noblesse; toute la garnison fut taillée en pièces, et la place entièrement rasée. Les ennemis, enflés de tant de succès, croyaient emporter Dourlens avec la même facilité; mais le connétable, qui avait ramassé des troupes en diligence, les en empêcha, et attira le prince d'Arscot dans une embuscade,

 

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où il fut pris après avoir perdu huit cents hommes. Le roi vint en personne à l'armée bientôt après ; quoiqu'elle fut forte, elle ne lit aucun exploit, et le roi la ramena au mois de décembre.

En Italie, les Français défendirent Sienne contre les négociations et les entreprises de Côme, duc de Florence, et Montalcino, contre les Espagnols qui l'assiégeaient. La flotte des Turcs obligea Garcias de Tolède à ramener ses troupes à Naples ; mais Dragut apparemment n'en voulait point à cette place, qui eût donné aux Français trop d'avantage. On se jeta sur l'île du Corso, dont le roi se prétendait maître, comme seigneur de Gênes, à qui cette lie appartenons on prit la plupart des places de cette île. André Doria, âgé de quatre-vingt-un ans, étant survenu, on reprit quelques-unes des plus importantes, et le baron de La Garde, qui avait assiégé Calvi, leva le siège. Voilà tout ce qu'opéra cette grande armée ottomane, à laquelle celle de France s'était jointe; c'était quelque chose d'occuper Doria, qui serait tombé sur la Provence, ou se serait tourné du côté de Sienne.

Cependant la mort d'Edouard, roi d'Angleterre, causa de grands troubles dans ce royaume. Il n'avait que dix-sept ans quand il mourut, et Jean Dudley, duc de Northumberland, pouvait tout dans le royaume. Il persuada au jeune roi qu'il devait déshériter ses deux sœurs : Marie, comme fille de Catherine, répudiée; et Elisabeth, comme descendue d'Anne de Doulen, condamnée pour adultère. Il faisait appeler à la succession Jeanne de Suffolk, sortie d'une sœur de Henri VIII. En effet, elle fut reconnue dans le parlement; mais il n'est pas aisé d'ôter le droit aux héritiers véritables.

Marie, avec une armée de quatre mille hommes, et l'autorité que lui donnait sa naissance, se rendit maîtresse du royaume, et lit couper la tête à la malheureuse Jeanne de Suffolk, qui n'avait fait d'autre crime que celui de s'être laissé couronner. Mario songea aussitôt à rétablir la religion catholique, et fit résoudre qu'on recevrait  dans le royaume le cardinal Polus, légat du saint Siège. II était du sang royal, et n'était point engagé dans les ordres; ainsi comme il s'agissait de donner un mari à la reine, il prétendit à cet honneur ; mais l'empereur l'avait prévenue en faveur de son fils Philippe, à qui il donna le titre de roi de Naples, et la reine crut qu'elle serait plus absolue en épousant un prince étranger, à qui en effet les Anglais imposèrent de dures conditions. Ainsi l'affaire fut conclue, et l'ambition d'avoir une nouvelle couronne, fit que l'empereur ne rougit pas de donner son fils unique, encore jeune, et qui n'avait qu'un seul fils, à une reine âgée de prés de quarante ans. La reine d'Angleterre s'entremit de la paix, et tâcha du moins d'obtenir une trêve; l'empereur, qui se sentait affaibli, la souhaitait; mais par la même raison le roi ne la voulait pas, et il entra dans les Pays-Bas avec une puissante armée.

Le connétable prit Mariembourg, bâtie par Marie, reine de Hongrie, qui avait été touchée de l'agrément de ce lieu propre à la chasse. Il fit

 

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fortifier en même temps Rocroy, pour faciliter le passage de cette place à celles de France. Bouvines fut enlevée d'assaut; ceux de Dinan payèrent bien cher une parole insolente et brutale qu'ils dirent contre le roi, qui leur demandait seulement la neutralité. En même temps qu'ils capitulèrent, les Allemands entrèrent de force dans leur ville, et l'autorité du roi ne put les garantir tout à fait de leurs violences. Ces mauvais succès, et le peu de troupes que l'empereur avait à nous opposer le jetèrent dans une profonde mélancolie; il forma le dessein d'abandonner Bruxelles et de se retirer dans Anvers. Par un meilleur conseil il se résolut de se mettre en campagne avec huit mille hommes, et de jeter du monde dans Namur; il sauva par là cette place que le roi avait assiégée ; mais comme son armée n'était pas égale à celle de France, Henri, maître de la campagne, prit et rasa quantité de villes et châteaux. Après avoir couru le Brabant, le Hainaut et le Cambrésis, il mit le siège devant Renty, place située dans un marécage, qui incommodait tout le Boulonnais.

Cependant le grand duc de Toscane, se trouvant incommodé du voisinage des Français, résolut d'employer toutes ses forces pour les chasser de Sienne. Il donna une de ses filles à Fabiano, neveu du Pape, pour n'être point traversé de ce côté-là, et il fit un traité avec l'empereur, par lequel il promettait de lui rendre la place, en lui remboursant les frais qu'il aurait faits dans cette guerre. Le cardinal de Ferrare, qui faisait les affaires du roi en ces pays, l'avertit des desseins de Côme, et le roi crut y pourvoir en envoyant Pierre Strozzi, fait depuis peu maréchal de France. Les Strozzi étaient ennemis jurés des Médicis; Côme avait fait mourir le père de Pierre, et banni de Florence tous ceux de ce nom.

Lorsque Côme vit arriver un tel homme en Italie, il crut qu'on avait de secrets desseins pour rétablir la liberté des Florentins, et s'échauffa encore davantage à cette guerre. Pierre de son côté fit tout avec passion contre l'ennemi de sa famille, et les affaires du roi n'en allèrent pas mieux. Il rendit pourtant d'abord un service considérable : il fit entendre au Pape que le roi ne prétendait autre chose que de défendre la liberté qu'il avait procurée à Sienne, et lui ôta tellement toute la jalousie des armes françaises, qu'il continua sans difficulté pour deux ans la trêve avec le roi.

Cependant Côme avait donné la conduite de cette guerre à Jean de Médequin, marquis de Marignan. Il ne songeait qu'à affamer la ville, et à lui couper les eaux, en occupant les collines, dont le pays est rempli, et en prenant les places des environs. Par ce moyen, la ville, quoique munie de toutes choses, se trouva peu à peu à l'étroit. La mésintelligence du cardinal de Ferrare avec Strozzi, obligea le roi à envoyer Blaise de Montluc, pour avoir soin des affaires pendant que Strozzi serait obligé à être dehors. Il sortit pour occuper quelques postes. par où il espérait fermer aux ennemis le chemin des vivres,

 

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et Marignan, pour l'attirer au combat, vint assiéger Marciano, petite place assez importante, auprès de laquelle il était campé. Strozzi qui était plus faible, résolut de se retirer; mais Montluc, qui apprit à Sienne qu'il voulait faire sa retraite en plein jour, prévit qu'il serait battu, et y prépara les Siennois. Il ne se trompa pas dans sa pensée : le marquis prit ses avantages, tailla en pièces quatre mille hommes, fit beaucoup de prisonniers, et remporta cent étendards. Strozzi fut blessé, et eut peine à se retirer avec les restes de ses troupes.

La prévoyance de Montluc fut cause que tous les Siennois apprirent cette nouvelle sans en être émus ; mais il ne put en empêcher les suites fâcheuses. Il tomba dangereusement malade, et Lansac, qui se pressa de venir de Rome pour tenir sa place, fut pris en passant par les ennemis. Cette nouvelle arriva peu de jours après à l'empereur, pour le consoler d'une perte qu'il venait de faire.

Pendant le siège de Renty, il s'était approché de notre armée, et se tenait en sûreté dans son camp , en attendant un grand secours d'Allemagne. Avant qu'il fût arrivé, le roi souhaita d'en venir aux mains avec lui, et le connétable tâcha plusieurs fois de l'attirer au combat. Il vint enfin attaquer un bois qui couvrait notre armée, où le duc de Guise avait jeté trois cents arquebusiers, choisis dans toutes les troupes; cependant ils furent chassés : les impériaux gagnèrent le bois, et mirent en fuite notre cavalerie légère. Ils s'en retournaient comme victorieux, assez négligemment, quand Gaspard de Saulx de Tavannes fondit tout d'un coup sur eux avec quelque gendarmerie ; cette attaque imprévue les mit en désordre, ils perdirent plus de deux mille hommes, avec une partie de leurs canons ; et les nôtres avec peu de perte recouvrèrent le bois perdu. Tavannes revenait triomphant, l'épée encore sanglante à la main : le roi qui le vit en cet état l'embrassa, et s'ôta du coup le collier de l'ordre, pour en honorer un si vaillant homme.

On tient que Gonzagua seul empêcha l'empereur de décamper : l'empereur l'avait fait venir du Milanais, dont il avait donné le gouvernement à Lopez Suarès de Figueroa. Les Français firent sonner haut cet avantage; mais le roi ne laissa pas de lever le siège, faute de vivres. Il se donna une triste consolation, qui fut d'envoyer auparavant défier l'empereur, et de se tenir trois heures en bataille, au même lieu où le combat s'était donné, ensuite il se retira; l'empereur, pressé de la goutte, en fit autant un peu après. Le reste de la campagne se passa à brûler quelques villages de part et d'autre.

En Italie, Strozzi, un peu après sa défaite, malgré l'incommodité que lui causait sa blessure, rassembla ses troupes, et fit entrer des vivres dans la ville, à travers les ennemis. Ce fut un faible secours contre la disette qui commençait à y être extrême; car les ennemis étaient maîtres de presque toutes les places de l'Etat de Sienne, et coupaient les vivres de tous côtés. L'armée navale des Turcs s'était retirée de bonne heure, selon sa coutume, après avoir facilité à Terme

 

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la prise de toutes les places de l'île de Corse, excepté Calvi. Par celle retraite, les impériaux furent en liberté de donner du secours à Marignan, qui pressa de plus en plus la place.

Ce fut alors que Montluc eut besoin de toute sa vigueur, pour encourager les Siennois presque accablés : il les assembla, et avec son éloquence brusque et militaire, il les émut tellement, qu'ils jurèrent de souffrir plutôt les dernières extrémités de la faim, que de manquer à leur liberté ; la garnison prit une semblable résolution, et dès-lors Montluc commença à donner le pain par mesuré, avec une grande épargne. Par ce moyen le siège tirait en longueur, et Côme, qui sentait avec regret ses finances s'épuiser, pressa Marignan d'agir par force. Tandis qu'il disposait ses batteries, la propre nuit de Noël il fit tenter l'escalade, et surprit une porte de la ville, avec une tour qui en était proche. Montluc averti soupçonna d'abord de l'intelligence, et pour empêcher ceux qui en étaient de remuer, il allait criant par toutes les rues que l'ennemi était repoussé (1555). Ainsi tout fut paisible au dedans , et par la vigueur de Montluc, Marignan fut contraint de se retirer avec perte de six cents hommes ; Montluc en perdit à peine cinquante.

Cependant, le maréchal de Brissac, qui voyait le Piémont en sûreté, et qui avait en ce pays seize mille hommes des meilleures troupes de France, fit un dessein pour délivrer Sienne. La Cour ne l'agréa point. Le connétable n'aimait pas Montluc, créature du duc de Guise, ni Brissac, qui avait été mis dans le Piémont malgré lui, dans un temps qu'il songeait à procurer ce gouvernement à Gaspard de Coligny son neveu. Ainsi le maréchal fut privé de la gloire qu'il espérait; mais il se rendit recommandable par la prise d'Ivrée. Il sut un peu après que le gouverneur du Milanais était dans Casai, où il faisait le carnaval à, la mode du pays, avec des réjouissances extraordinaires. Un des habitants lui découvrit un endroit secret, par où il pouvait entrer dans la place. Il y vint, il la surprit : le gouverneur se jeta dans la citadelle ; mais il y fut pris en quatre jours, avec toute la noblesse qui l'accompagnait.

Sienne dépérissait tous les jours; Montluc était contraint de retrancher les vivres. A la fin il fallut traiter, mais Montluc ne voulut jamais être nommé dans la capitulation, ni qu'elle se fit au nom du roi. Les Siennois se mirent sous la protection de l'empire, à condition que l'empereur n'y pourrait faire bâtir de citadelle, et qu'en ordonnant du gouvernement de leur ville, il leur conserverait leur liberté et leurs privilèges. Cela leur fut promis, mais mal exécuté par l'empereur. On accorda à Montluc et aux Français tout ce qu'ils voulurent : et une grande partie des habitants, qui prévirent les malheurs de leur ville, et en sortirent avec lui le 21 avril.

Un peu auparavant, le Pape était mort, Maroel Cervin, qui prit le nom de Marcel II, homme d'un rare mérite et d'une profonde érudition,

 

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ne tint ce siège que vingt-deux jours. Jean-Pierre Caraffe, gentilhomme napolitain, d'une maison qualifiée, fut élu, et prit le nom de Paul IV. Les Turcs étaient venus à leur ordinaire, et n'avaient pas empêché qu'André Doria obligeât Terme à lever le siège de Calvi. Ils regardaient froidement nos gens aller à l'assaut, sans se remuer, et après un certain temps ils se retiraient dans leurs ports. Le marquis de Marignan continua la conquête de l'Etat de Sienne, et en prenant Porto-Hercole, il nous ôta toute la communication par mer avec l'Italie, ce qui ruina sans ressource nos affaires de Toscane.

Celles de Piémont prospéraient tous les jours de plus en plus sous le maréchal de Brissac. Il prit entre autres places Saint-Sauveur et Valence dans le Milanais : il assiégeait lentement Vulpian, place importante du Piémont, quand Alvarès de Tolède, duc d'Albe, après avoir rassemblé trente mille hommes de pied et six mille chevaux, entra dans cette province, d'où il se vantait de chasser les Français en trois semaines. Le maréchal n'était pas, de moitié près, si fort que lui ; aussi ne s'opiniâtra-t-il pas au siège qu'il avait commencé; mais il se résolut de laisser passer les premiers efforts du duc d'Albe, et de consumer ses forces : après quoi il se promettait d'achever heureusement son entreprise. Le duc prit d'abord Frassinète, place sur le Pô, dont il fit pendre le gouverneur, tailler en pièces la garnison italienne, et mettre les Français aux galères, pour avoir osé, étant trop faibles, résister à une armée si puissante. Ensuite il mil le siège devant Santia, et quoiqu'il y eût brèche, il n'osa jamais donner l'assaut. Ses troupes dépérirent devant cette place, que le maréchal de Brissac avait pris soin de fortifier, et au bout de quinze jours il leva le siège. Brissac le voyant assez affaibli, pour n'oser rien entreprendre, commença à se remettre en campagne. Il assiégea de nouveau Vulpian, et l'obligea de se rendre, après avoir battu le secours que le duc d'Albe y envoya.

Le Piémont était dans ce temps l'école où la jeune noblesse de France allait apprendre la guerre. Sur le bruit qui se répandit qu'il devait y avoir une bataille, le duc d'Enghien et le prince de Condé, Montluc, et une infinité d'autres gentilshommes se rendirent auprès de Brissac : renforcé d'un tel secours, il assiégea Monte-Calvo, qu'il prit à la vue du duc d'Albe.

Il se tenait cependant une conférence pour la paix, que la reine d'Angleterre et le cardinal Polus avaient procurée. La séance était magnifique : elle se tint sous des tentes, entre Gravelines et Ardres. Les premiers hommes de France et d'Espagne s'y trouvèrent. Le cardinal Polus représentait la reine d'Angleterre, médiatrice; mais le Pape, au lieu de travailler à la paix, faisait proposer au roi la conquête du royaume de Naples. Le cardinal Caraffe son neveu lui mettait cette pensée dans l'esprit, et se promettait par ce moyen d'acquérir à sa maison quelque principauté considérable. L'affaire fut disputée dans le conseil ; le connétable remontrait le péril d'une telle guerre, et le peu de

 

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sûreté qu'on avait trouvé dans de semblables entreprises avec les papes, qui sortaient toujours d'affaire quand ils voulaient. Il ajoutait que, puisqu'on traitait la paix dans une assemblée si solennelle, il fallait du moins attendre le succès de cette négociation, avant que de s'engager avec le Pape ; mais le cardinal de Lorraine, qui espérait de grands établissements pour sa famille dans le royaume de Naples, et qui voulait, en tout cas, procurer à son frère un emploi considérable, faisait voir l'entreprise infaillible. Le roi penchait vers cette opinion, ce qui fit que le connétable la combattit faiblement : assez content d'ailleurs de voir les princes de Lorraine loin de la Cour, où ils faisaient ombrage à sa puissance, et espérant que le mauvais succès de cette entreprise tournerait à leur ruine. Voilà comme, sous les princes trop faciles, les affaires se décident par des intérêts particuliers.

Le cardinal fut envoyé à Rome pour négocier cette affaire. Il conclut la ligue avec le Pape. Le royaume de Naples fut partagé entre lui et un des enfants puînés du roi. Les conditions de l'investiture furent marquées, et il fut arrêté entre autres choses, que le nouveau roi de Naples ne pourrait être ni empereur, ni roi de France, ni duc de Milan, sans renoncer à ce royaume. On devait commencer la guerre par Côme de Médicis, et remettre les Florentins en liberté; mais la saison étant avancée, et les troupes n'étant pas prèles, on remit l'entreprise à l'année suivante.

Pendant que ces choses se traitaient, l'empereur donna à l'univers un grand spectacle ; quoiqu'il fût dans un âge où les hommes ont accoutumé de conserver beaucoup de forces, n'ayant encore que cinquante-six ans; néanmoins par sa constitution naturelle, il se sentait faible et incapable d'agir avec sa vigueur ordinaire. Il se voyait en tête Henri II, ambitieux et guerrier, à la force de son âge, et en état de ne lui laisser aucun repos, ni dans les Pays-Bas, ni en Allemagne, ni en Italie. Les pertes considérables qu'il avait faites de tous côtés l'avertissaient que la fortune l'abandonnait avec la vigueur, et qu'il était temps de tourner ses soins à une autre vie. Touché de ces pensées, le 21 octobre il entra dans l'assemblée des états-généraux des Pays-Bas, qu'il avait convoqués à Bruxelles, marchant entre Philippe son fils, et Marie, reine de Hongrie, sa sœur. Eléonore, reine de France, qui depuis la mort de Français, s'était retirée vers son frère, et Maximilien, roi de Bohême, fils de Ferdinand, prirent leur séance avec lui. Le nombre des grands seigneurs et la foule du peuple était infinie; là il fit déclarer par un de ses principaux conseillers, qu'après avoir infatigablement travaillé dès sa première jeunesse au bien de l'Eglise et de ses Etals, il était résolu de ne plus penser qu'à sa conscience, et de laisser le fardeau de tant de royaumes sur des épaules plus fortes. Ensuite il parla lui-même, et expliqua en peu de paroles le dessein qu'il avait eu, il y avait déjà longtemps, de se retirer, et qu'il n'en avait été retenu que par la jeunesse de son fils. Il témoigna à ses peuples un

 

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regret extrême de ne leur point laisser la paix en les quittant; il en rejeta la faute sur le roi de France, et les assura qu'ils pouvaient bien espérer de cette guerre, pourvu qu'ils gardassent à leur nouveau roi la même fidélité qu'ils lui avaient toujours conservée.

Alors il se tourna vers son fils, à qui il recommanda en un mot la foi catholique, et le soin de ses sujets, particulièrement de ceux des Pays-Bas. A ces mots Philippe se prosterna à ses pieds ; l'empereur, que la goutte empêchait de se remuer, fit un effort pour l'embrasser, et le déclara prince des Pays-Bas; toute rassemblée fondait en larmes. Un mois après, l'empereur dans la même compagnie, se déposséda de tous ses royaumes : il se réserva l'empire quelque temps, dans l'espérance d'obtenir de son frère Ferdinand qu'il en assurât la succession à Philippe.

La reine de Hongrie quitta en même temps le gouvernement des Pays-Bas qu'elle avait depuis vingt-cinq ans, et il fut donné à Emmanuel-Philibert, duc de Savoie. L'empereur n'attendait plus qu'un temps plus commode, et la dernière réponse de son frère pour retourner en Espagne où il avait choisi sa retraite, dans le monastère de Saint-Just, vers la frontière de Portugal.

En ce temps Henri d'Albret mourut (1556), et Antoine de Bourbon, qui avait épousé sa fille unique, lui succéda tant au royaume de Navarre, qu'au gouvernement de Guyenne. Celui de Picardie, qu'il avait auparavant, fut donné à Coligny, qui était déjà élevé à la charge d'amiral par la mort d'Annebaut.

La conférence pour la paix durait encore, et la renie d'Angleterre, qui n'espérait pas qu'on la pût conclure, se contenta de ménager une trêve de cinq ans. Elle ne dura pas longtemps; le Pape envoya en France le cardinal Caraffe son neveu, en apparence pour réconcilier le roi avec l'empereur, mais en effet pour rompre la trêve, comme contraire au traité fait pour le royaume de Naples. Sa présence et l'adresse qu'il eut de faire agir le duc de Guise de concert avec la duchesse de Valentinois, achevèrent de déterminer le roi à la guerre, malgré le traité qu'il venait de jurer. Le cardinal, par son pouvoir de légat, le dispensa de son serment, et les intrigues de la Cour firent qu'il se contenta de cette illusion.

Le Pape, assuré des armes de France, commença à se déclarer en Italie, sous prétexte de se venger des Colonnes, ses ennemis; mais en fortifiant Palliano qu'il leur avait enlevé, comme cette place avoisinait Naples, il donna sujet au duc d'Albe de pénétrer ses desseins. Le duc eut ordre de se plaindre, et de prévenir le Pape par une attaque vigoureuse. Il obéit promptement, et ayant rempli de troupes toute la campagne de Rome, il jeta le trouble dans la ville même; la crainte qu'il eut que ses soldats ne se débandassent, l'empêcha de s'en saisir et de la piller. Il prit Ostie avec quelques autres places presque sans résistance, et la trêve, qui fut faite sur quelques propositions de paix,

 

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lui donna le temps de fortifier les places du royaume de Naples. La trêve étant expirée, le Pape reprit Ostie et les places qu'il avait perdues ; mais il n'était pas en état de résister longtemps aux forces d'Espagne. Le roi songea à le secourir, et pendant que l'empereur était encore en Flandre, il envoya des ambassadeurs à. ce prince et au roi Philippe, pour les prier de ne point inquiéter le Pape ni les siens. Les deux princes jugèrent bien que la guerre suivrait de près cette ambassade.

L'empereur, impatient d'exécuter son dessein, après avoir connu qu'il n'y avait rien à espérer de son frère, envoya aux électeurs sa renonciation à l'empire, et partit vers la fin du mois de septembre, laissant à son fils à démêler les affaires qui se commençaient. Il arriva heureusement en Espagne, et vit en passant son petit-fils Charles, dont le mauvais naturel qui commençait à se déclarer, lui donna peu d'espérance de ce jeune prince. Il se renferma ensuite dans Saint-Just, où, au lieu de tant de richesses, et d'une Cour si nombreuse, il ne s'était réservé que douze officiers, et cent mille écus, encore eut-il le déplaisir de voir les paie-mens retardés. Il s'en plaignit modestement; et c'est ce qui fit dire qu'il se repentit d'avoir cédé ses royaumes à un fils ingrat; mais il est constant qu'il ne dit aucune parole, ni ne fit aucune action dans le reste de sa vie qui témoignât de l'inquiétude.

La guerre s'allumait de tous côtés : le duc de Guise passa les Alpes, malgré l'hiver, pour s'opposer au duc d'Albe, et l'amiral eut ordre de se tenir prêt pour entrer à l'improviste dans la Flandre. Le commandement de l'armée destinée contre le royaume de Naples avait été promis à Hercule d'Este, duc de Ferrare, qui était entré dans la figue, et le duc de Guise son gendre, lui présenta à pied, de la part du roi, le bâton de commandement que ce prince reçut à cheval.

Le Milanais fut alors en grand péril (1557); le cardinal de Trente qui y commandait n'avait aucune provision, elle maréchal de Brissac était d'avis qu'on l'attaquât. L'intérêt du duc de Ferrare, qui ne voulait point s'éloigner de son pays, le fit entrer dans ce sentiment; mais les ordres du roi portaient qu'on marchât vers le royaume de Naples, et les princes de Lorraine eux-mêmes l'avaient ainsi souhaité, pour contenter les Caraffes, avec qui ils agissaient de concert. Cette résolution leur fit perdre les troupes du duc de Ferrare, qui avait six mille hommes de pied et huit cents chevaux.

Dans le temps même que la guerre commença en Italie, l'amiral tâcha vainement de prendre Douay; il prit Lens dans l'Artois, et la pilla. Les Espagnols se récriaient contre l'infidélité de Henri, qui violait la trêve saintement jurée ; on s'excusait comme on pouvait, sous le vain prétexte de défendre le Pape, à quoi on joignait des plaintes aussi frivoles contre les Espagnols.

Au reste, quoique Henri fût agresseur, il n'en avait pas donné meilleur ordre à ses affaires. Tout ce qu'il y avait de plus belles troupes

 

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passa en Italie avec le duc de Guise, sans compter celles qu’avaient Brissac en Piémont, et Montluc dans la Toscane ; ainsi on était fort faible du côté des Pays-Bas. Mais quoique le duc de Guise eût l'élite de la milice de France, il ne trouva pas en Italie les facilités qu'il y avait espérées ; il fut à Rome saluer le Pape, dont les troupes joignirent les nôtres : tous ensemble prirent Campli de force, et y firent des désordres inouïs. Le duc mit le siège devant Civitelle, place forte de l'Abruzze, qu'il fut contraint d'abandonner par l'approche du duc d'Albe, plus fort que lui ; là commencèrent les plaintes qu'il fit des Caraffes, qui ne lui avaient pas fourni les troupes qu'ils avaient promises : ainsi il se vit réduit à demeurer sans rien faire.

Montluc n'avançait pas davantage dans la Toscane, et Brissac demeurait en repos faute de troupes. Le duc de Ferrare, qui faisait la guerre dans son voisinage, eut beaucoup à souffrir dans ses Etats, et du côté de l'Espagne, et du côté du grand-duc. Ce prince sut si bien profiter de la conjoncture, ét se rendre nécessaire à Philippe, qu'il lui céda la ville de Sienne, dans la peur qu’il eut qu'il ne se joignit avec le Pape. Les Espagnols se réservèrent Porto-Hercole, Orbitelle, et quelques autres places.

La Picardie dénuée fut cependant sur le bord de sa ruine : avant que de l'attaquer, Philippe passa la mer, pour obliger la reine sa femme à lui donner du secours ; elle s'y résolut, et quoique les Anglais fissent si peu d'état de Philippe, qu'au lieu de l'appeler leur roi, ils ne l'appelaient seulement que le mari de la reine, néanmoins la haine invétérée qu’ils avaient contre les Français, les fit consentir à leur déclarer la guerre. Pour faire une diversion de ce côté-là, la régente d'Ecosse, sœur du duc de Guise, le porta à attaquer l'Angleterre. Elle eut peine à y obliger les Ecossais; et après les y avoir engagés, moins par autorité que par adresse, pour affaiblir l'autorité du conseil d'Etat, elle conclut le mariage de la jeune reine, qui était toujours en France, avec le Dauphin.

En même temps que l'Angleterre se fut déclarée, Philippe repassa dans les Pays-Bas, et fit marcher, sous la conduite du duc de Savoie, une armée de trente-cinq mille hommes de pied et de douze mille chevaux ; on y attendait encore huit mille Anglais, qui devaient débarquer au premier jour. Le duc fit semblant d'abord d'assiéger Rocroy, où il reçut quelque perte ; ensuite, après avoir menacé plusieurs autres places, il vint tomber tout d'un coup sur Saint-Quentin, ville importante, mais en mauvais état, et dont la garnison était faible. L'amiral ne l'ignorait pas, et c'est pourquoi, dès le premier vent qu'il eut de la marche des ennemis, il se jeta d'abord dans la place, avec ce qu’il put ramasser de troupes, quoique le duc de Savoie se fût déjà saisi d'un des faubourgs : il le reprit à son arrivée, et rassura les habitants. Comme il n'avait point encore vu de siège, il voulut que les capitaines expérimentés lui dissent librement leurs avis, et il sut en profiter. Le

 

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connétable vint en diligence à l'armée, que commandait le duc de Nevers, et s'approcha de Saint-Quentin : d'Andelot, frère de Coligny, tenta le secours par un endroit qui n'était pas encore occupé ; il y perdit la plupart de ses gens, et les Anglais survenus achevèrent de bloquer la place. On pouvait pourtant encore y jeter du secours par le marais, où il y avait de petits sentiers et divers canaux. Le connétable , après avoir reconnu ce passage, y amena toutes les troupes le jour de Saint-Laurent, et y fit conduire des bateaux. D'Andelot devait commander le secours, et pour lui faciliter l'entrée de la place, on amusa l'ennemi par une fausse attaque, pendant laquelle le canon ne cessa de tirer; il y avait trop peu de bateaux, et les soldats s'y étant jetés en foule, en enfoncèrent quelques-uns dans l'eau et dans la boue, où ils périrent : d'Andelot ne laissa pas de passer, et de mener à la ville un rafraîchissement considérable.

Le connétable, ayant exécuté le dessein pour lequel il était venu, ne songeait plus qu'à faire retraite, quand il se vit tout d'un coup coupé par les ennemis. Le comte d'Egmond, qui commandait la cavalerie espagnole, tomba sur la nôtre, et la mit d'abord en fuite ; l'infanterie résista longtemps an duc de Savoie, quoique plus fort de moitié, mais enfin elle fut mise en déroute ; le connétable blessé dans la mêlée fut pris en donnant des ordres, et tâchant de se rallier : les ducs de Montpensier et de Longueville, le maréchal de Saint-André, et le rhingrave colonel des Allemands eurent le pareil sort : nous perdîmes deux mille cinq cents hommes, et les ennemis quatre-vingts ou cent tout au plus ; mais ce qui rendit notre perte considérable fut la mort de François de Bourbon, frère du prince de Condé, et de six cents gentilshommes. Le nombre des prisonniers fut infini, et la défaite si grande, que de douze mille hommes de pied, à peine en resta-t-il quatre mille, la plupart blessés et sans armes.

Au bruit d'une déroute si effroyable, la France se crut à la veille de sa perte; le roi, qui s'était avancé à Compiègne, retourna en diligence à Paris, où l'on attendait à toute heure l'ennemi victorieux, sans avoir aucune force à lui opposer. Le duc de Savoie et tous les chefs étaient d'avis d'y marcher; on dit même que l'empereur, quand il apprit la défaite, demanda si son fils était à Paris. Mais les circonspections de Philippe ne lui permirent pas un tel dessein ; il dit qu'il ne fallait pas laisser Saint-Quentin derrière : il se contenta de se rendre au siège pour le hâter; mais le temps qu'il y fallut mettre donna le temps à Henri de se reconnaître. Le duc de Nevers, qui commandait l'armée, et le prince de Condé pourvurent à la sûreté de la frontière, avec le reste des troupes. Paris donna au roi trois cent mille livres, les autres villes suivirent son exemple : cinquante seigneurs s'offrirent à garder à leurs dépens cinquante places, et le roi éprouva que rien ne peut égaler le zèle des Français pour leur prince et pour leur patrie. On rougit encore de penser que Henri se crut si dénué, qu'il demanda de l'argent

 

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même au Turc, qui le refusa, et lui promit des troupes pour l'année suivante. On avait un secours plus présent, on leva quatorze mille Suisses et huit mille Allemands, tous .les gentilshommes et tous les Français qui avaient été officiers dans les dernières campagnes eurent ordre de se rendre à Laon.

Le duc de Guise fut mandé avec les troupes d'Italie. Toute la France, et le roi même, regardaient ce prince comme leur unique espérance; le Pape n'en avait pas moins affaire : ses généraux battus, et le duc d'Albe victorieux à la vue de Rome, l'avait mis en état de tout craindre, et il venait d'appeler le duc de Guise auprès de lui, quand il reçut ordre de revenu en France. Tout ce que put faire ce prince fut de lui conseiller de faire sa paix; il y consentit après beaucoup de plaintes; et les Espagnols qui trouvaient mutile d'être en guerre avec le saint Siège, lui rendirent toutes ses places, à condition de renoncer à ses traités avec la France.

Cependant Philippe pressait Saint-Quentin, et quoique Coligny désespérât de le sauver, il faisait les derniers efforts pour donner du temps au roi ; ses murailles étaient abattues par onze endroits, il n'avait que huit cents hommes de guerre, qu'il distribua sur les brèches, et disposa le peuple aux autres quartiers des murailles, pour empêcher l'escalade. Enfin, après avoir donné à la place durant six jours des alarmes continuelles, les ennemis en vinrent le 27 août à un assaut général, et entrèrent par trois différents endroits; tout fut mis au pillage, l'amiral fut pris en défendant une tour qui avait été abandonnée : son frère d'Andelot ne laissa pas de résister longtemps dans son poste; il fut pris à la fin avec tous les siens, mais il s'échappa bientôt de prison.

Il ne fallait plus songer à Paris, l'occasion en était perdue, et le roi l'avait rassuré. Philippe prit le Catelet, Noyon et Chauny; mais cependant son armée s'affaiblissait; les Anglais mécontents le quittèrent : les Allemands prirent parti parmi nos troupes, et Philippe s'en retourna à Bruxelles sans avancer davantage ; mais les Anglais prirent Ham. Cependant le duc de Guise avait déjà passé les Alpes; le premier effet de son approche fut de chasser de la Bresse le baron de Polleville, qui avait fait une entreprise sur le Lyonnais, où il avait quelque intelligence : il était déjà campé autour de Bourg, avec dix mille hommes de pied et douze cents chevaux. Le duc mit du monde dans la place, et distribua des troupes dans tout le pays, en sorte que Polleville n'eut autre parti à prendre que celui de se retirer en diligence; ce bon succès redoubla l'impatience avec laquelle le roi et toute la Cour attendaient le duc de Guise.

Aussitôt qu'il fut arrivé, on tint un conseil, où ce prince proposa d'abord le siège de Calais; c'était la seule prise qui pouvait réparer toutes nos pertes, et le roi ne pouvait rien faire ni de plus glorieux ni de plus utile, que de chasser les Anglais d'une place qui leur ouvrait le royaume. On savait qu'elle était en mauvais état, et la grandeur du

 

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dessein donnait lieu à la surprise : on suivit le projet qu'avait dressé l'amiral avant sa prison, pour reprendre cette place que les Anglais tenaient depuis deux cents ans, sans qu'on eût jamais songé à la regarder depuis la folle entreprise de Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Mais l'importance était d'agir si secrètement, que les ennemis ne songeassent point à y jeter du secours; pour cela on partagea l'armée en deux; le duc de Nevers fit une grande marche, comme s'il eût voulu entrer dans le Luxembourg, et aussitôt les ennemis y jetèrent la plupart de leurs troupes : l'autre partie de l'armée, conduite par le duc de Guise, se présenta sur les frontières de Picardie, comme pour fermer le passage au secours que les Espagnols pourraient amener dans leurs nouvelles conquêtes. Tout d'un coup le duc de Nevers lui envoya toutes ses troupes à Amiens; le duc de Guise s'avança vers Doullens, feignant d'y vouloir faire entrer un convoi; il passa de là dans le Boulonnais, comme pour en assurer les places; et enfin le premier de janvier 1558, il vint à l'improviste camper devant Calais.

Les Etats généraux du royaume se tenaient cependant à Paris, où le roi les avait convoqués, pour leur demander quelque secours extraordinaire dans un besoin si pressant : la nouvelle du siège de Calais les remplit d'autant plus de joie, qu'en même temps qu'ils l'apprirent, ils surent que le duc de Guise avait emporté un fort qui défendait une levée, repoussé une sortie, et pris le Risban, forteresse qui commande au port, il ne tarda pas à attaquer la citadelle, qui fut prise d'assaut, le jour même qu'on dressa les batteries : deux fois les ennemis firent leurs efforts pour la reprendre, et deux fois ils furent battus, de sorte que le gouverneur de la ville, désespérant de se pouvoir défendre, après la perte irrémédiable de la citadelle, demanda à capituler. La garnison avait la liberté de se retirer en Angleterre; mais le gouverneur et cinquante des principaux habitants restaient prisonniers, et on laissait dans la place toute l'artillerie, avec toutes les munitions, tant de bouche que de guerre. Ce traité fut fait le dix de janvier, et une place si importante fut réduite en très-peu de jours.

Un si grand succès porta les Etals à accorder au roi les trois millions qu'il demandait, et il promit de son côté de soulager le peuple après la guerre. A peine Calais était-il rendu, qu'on vit paraître en mer un grand secours qui se retira, et le duc de Guise, sans perdre de temps, vint assiéger Guines : la ville fut prise du premier assaut; mais comme nos gens s'amusaient au pillage, les ennemis survenus la reprirent, y mirent le feu, et se retirèrent dans la citadelle : ils n'y tinrent pas longtemps, et le duc de Guise eut la gloire de chasser entièrement du royaume ces ennemis implacables en trois semaines. La douleur de la reine Marie fut telle, qu'elle en tomba malade.

Le roi, charmé de cette conquête, fut voir Calais avec le Dauphin. Il revint bientôt à Paris pour célébrer le mariage de ce jeune prince avec Marie Stuart, reine d'Ecosse : on demanda aux ambassadeurs écossais

 

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la couronne qu'on appelait conjugale dans leur pays, et les autres marques de la royauté pour le Dauphin ; ils n'avaient pas le pouvoir de les accorder; mais les ambassadeurs de France les obtinrent facilement du parlement d'Ecosse, et François fut appelé le roi Dauphin.

Ce mariage augmenta le lustre et le crédit de la maison de Lorraine, et le duc de Guise, ravi de voir sa nièce si élevée, eut encore là-satisfaction de servir comme grand-maître dans cette cérémonie. Ce ne fut pas une petite mortification au connétable dans sa prison, de voir faire sa charge à son concurrent, dont la gloire et le pouvoir s'accroissaient pendant son absence. C'est ce qui lui fit concevoir le dessein de faire la paix à quelque prix que ce fût; il en jeta quelques propos dans les Pays-Bas, et il obtint permission d'en venir faire la proposition au roi, qui lui permit de suivre l'affaire, et lui témoigna au surplus les mêmes bontés. La duchesse de Valentinois, avec laquelle il s'unit par des mariages, entretenait le roi dans cette bonne disposition pour lui.

Cependant le duc de Guise profitait de sa prison pour se rendre de plus en plus nécessaire par ses services. Aussitôt que les troupes se furent rafraîchies, il alla dans le Luxembourg, où il assiégea Thionville. Le maréchal de Strozzi fut tué dans la tranchée, et son bâton fut donné à Paul de Termes, que le roi venait de faire gouverneur de Calais. Thionville ne tint pas longtemps : cette place se rendit sur la fin de juin, et Montluc surprit le château d'Arlon. Dès le commencement du mois, le maréchal de Termes était entré dans la Flandre, où le duc devait le suivre de près. Il avait un petit corps de cinq mille hommes de pied, et de quinze cents chevaux, avec lequel, après avoir pris Mardick, il vint assiéger Dunkerque, laissant Gravelines et Bourbourg à dos ; il prit cette place en quatre jours, et attiré par ce succès, il assiégea Berg-Saint-Vinox.

Cette entreprise lui réussit encore; mais comme le duc de Guise tarda plus longtemps qu'il ne pensait dans le Luxembourg, le maréchal sentit bien qu'il s'était trop engagé. Le roi d'Espagne envoya le comte d'Egmont, à qui il donna douze mille hommes, avec ordre de se poster entre Dunkerque et Calais. Termes songea trop tard à se retirer; le comte d'Egmont, déjà redouté par nos gens depuis la bataille de Saint-Quentin, l'attaqua comme il marchait le long de la mer : le maréchal, qui se vit environné dans le pays ennemi, tâcha vainement de s'échapper ; il fallut en venir aux mains, l'infanterie gasconne soutint longtemps le combat, les Allemands étant demeurés spectateurs; malgré leur lâcheté, la victoire était encore incertaine, mais dix vaisseaux anglais qui passaient par hasard vers Gravelines, virent de loin le combat, et vinrent tirer sur nos gens, qui attaques d'un côté d'où ils ne croyaient pas avoir rien à craindre, perdirent courage. Le maréchal, dangereusement blessé, fut pris avec tous les chefs, et toute l'armée périt; cette défaite rompit les desseins du duc de Guise sur la Flandre. La flotte du Grand-Seigneur qui avait paru vers Gènes avec la nôtre,

 

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faisait trembler toute l'Italie : elle menaçait Savone; mais les Génois détournèrent ce coup, par les présents qu'ils firent au bacha, et négocièrent si heureusement, qu'ils obtinrent la liberté du commerce dans le Levant. L'armée turque vint se rafraîchir en Provence, d'où elle alla avec la nôtre dans l'île de Minorque; elle y prit la citadelle, et s'en retourna vers le commencement d'août, sans rien entreprendre de plus.

Cependant le parti des huguenots se fortifiait en France; toute la maison de Coligny en était, jusqu'au cardinal Odet de Chatillon, frère de l'amiral, évêque de Beauvais. Comme ils étaient parents et créatures du connétable, par cette même raison ils étaient haïs de toute la maison de Guise. Le cardinal de Lorraine, assez porté de lui-même contre les huguenots par son caractère, et contre les Coligny par les intérêts de sa maison, fut échauffé dans ses sentiments par des conférences secrètes, qu'il eut avec Antoine Pérenot, évêque d'Arras, un des principaux ministres du roi d'Espagne.

Ce prélat était venu en France avec la duchesse de Lorraine, qui y avait négocié le mariage de son fils avec Claude, fille du roi. Il eut souvent occasion dans ce voyage d'entretenir le cardinal de Lorraine, à qui il représenta qu'il devait, autant pour sa conscience, que pour la gloire de sa maison, entreprendre la destruction de l'hérésie, où celle des Coligny se trouvait enveloppée ; que pour venir à bout de ce dessein, il fallait qu'il procurât la paix entre la France et l'Espagne, après quoi Philippe aiderait la maison de Guise à se rendre la plus puissante de France. Cest ainsi que cet habile ministre ménageait les intérêts de son maître, e.t lui gagnait des créatures pour lui procurer une paix avantageuse. Le cardinal écouta avec ardeur ces propositions, et on tient que ce fut alors que commença la liaison qui dans la suite fut si étroite entre les Guisards et l'Espagne; il ne fut pas malaisé au cardinal d'animer le roi contre les huguenots, dont il connaissait les pernicieux desseins. II se souvenait que du temps de la défaite de Saint-Quentin, ils avaient voulu profiter du malheur public, et qu'ils avaient commencé de s'assembler dans Paris pour faire leur cène : ceux qui s'étaient trouvés dans cette assemblée furent condamnés rigoureusement; mais l'entremise des cantons protestants adoucit la colère du roi. Il nourrissait cependant dans le cœur une aversion implacable contre ce parti, qui ne menaçait pas moins l'Etat que l'Eglise.

Le cardinal de Lorraine ne manquait pas d'exciter son zèle, et cherchait l'occasion de l'aigrir contre la maison de Chatillon. D'Andelot était celui qui se déclarait le plus huguenot; son humeur franche et guerrière ne lui permettait pas de dissimuler, de sorte que le cardinal le rendit aisément suspect au roi. Mais le roi, pour s'éclaircir davantage, résolut de l'interroger lui-même; il n'avait point dessein de le perdre, car il le considérait comme un homme de service qui méritait d'être ménagé; aussi le roi le fit-il avertir de répondre modestement,

 

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quand il lui demanderait son sentiment sur la messe ; mais d'Andelot n'était pas d'humeur à se contraindre, et parla hautement selon les sentiments de Calvin. Le roi fut touché de voir un si brave gentilhomme, et qui avait tant d'honneur, ainsi séduit par la nouveauté, et emporté d'un faux zèle; il fut indigné de sa réponse jusqu'à l'emportement; il l'envoya sur l'heure en prison, et lui ôta sa charge de colonel de l'infanterie, qui fut donnée à Montluc, créature de la maison de Guise. Ainsi le cardinal eut l'avantage de se défaire d'un ennemi, et de placer un ami fidèle. Quand les hommes ont commencé de se laisser prendre à l'appât de la nouveauté, les châtiments les excitent plutôt qu'ils ne les arrêtent.

Les huguenots, non contents de continuer leurs assemblées, les firent plus publiques que jamais; on leur entendait chanter des psaumes en français, et beaucoup parmi le peuple se joignaient à eux. La reine de Navarre, séduite depuis longtemps, eut le crédit d'entraîner son mari à ces assemblées qui durèrent plusieurs jours, et que le roi ne put empêcher qu'en les défendant sur peine de la vie.

Un peu après il se rendit à son armée des Pays-Bas, une des plus belles et des plus nombreuses qui fût jamais sortie de France. Celle que le roi d'Espagne lui opposa n'était pas moindre, et il y était en personne, mais on n'entreprenait rien de part ni d'autre ; le connétable et le maréchal de Saint-André travaillaient toujours à la paix, dont ils étaient secrètement d'accord avec les Espagnols, à qui ils faisaient de grands avantages ; mais il fallait beaucoup de ménagements pour y faire venir le roi. Le connétable ne voulut point se charger seul de l'affaire, et fit nommer plusieurs députés, parmi lesquels était le cardinal de Lorraine.

L'assemblée se tenait à l'abbaye de Cercamp, dans le Cambrésis. Le duc et la duchesse de Lorraine étaient reconnus pour médiateurs, et portaient les paroles de part et d'autre; comme on voyait les affaires assez disposées, les deux rois congédièrent leurs troupes, et d'un consentement tacite, il y eut une espèce de suspension d'armes. Il ne se faisait rien non plus en Italie, où Brissac, laissé sans argent, perdait son crédit; le duc de Savoie espérait un prompt rétablissement, et dans cette espérance, il travaillait, autant qu'il pouvait, à l'avancement de la paix.

Durant qu'elle se traitait, Charles-Quint mourut dans sa retraite de Saint-Just, où il avait passé environ deux ans en grande tranquillité, occupé de la mort et du soin de son salut. Il mêlait à ses pensées sérieuses quelques divertissements innocents. Un peu avant sa mort, à l'occasion de l'anniversaire de la reine Jeanne sa mère, il eut la pensée de célébrer ses propres funérailles. Il se regardait déjà comme mort au monde; une comète avait paru, et il l'avait prise pour un pronostic de sa mort prochaine. Les princes auront toujours cette vanité de croire que leur destinée doive être marquée dans les astres ; et l'ignorance

 

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humaine ne cessera jamais de chercher des mystères politiques, même dans le cours de la nature.

Charles V avait un pronostic plus proche et plus certain de sa mort, c'étaient ses infirmités qui redoublaient tous les jours. Il fit donc faire son service mortuaire, et y assista avec une contenance qui fit bien voir qu'il était accoutumé à la pensée de la mort. Quelque temps après une lièvre lui survint, et il mourut le 21 septembre, âgé de cinquante-neuf ans. Il n'eut pas la consolation de voir la paix conclue ; l'affaire de Calais en faisait la principale difficulté : ni le roi ne voulait la rendre, ni la reine d'Angleterre la relâcher. Sa mort, arrivée le 13 novembre, leva cet obstacle; elle finit tristement ses jours, outrée de la perle de cette place, et accablée du chagrin que lui causaient les dédains du roi son mari. Par sa mort les espérances de rétablir en Angleterre la foi catholique se perdirent ; sa sœur Elisabeth, qui lui succéda, fut déterminée par son intérêt à embrasser la religion protestante.

La reine dauphine prit le litre de reine d'Angleterre, par ordre de son beau-père. On soutenait en France qu'Elisabeth n'était pas légitime, étant sortie d'un mariage réprouvé par l'Eglise. Le Pape entra dans ce sentiment, et traita Elisabeth comme illégitime; ainsi, pour défendre sa naissance, elle persista dans le schisme, et commença son règne en cassant ce qui s'était fait en faveur de la religion dans le précédent. Philippe songea à l'épouser, ou à la faire épouser à son cousin Maximilien, fils de l'empereur. L'affaire ne réussit pas; et les Anglais, rebutés des étrangers, avaient obligé leur reine par serment à n'en prendre aucun pour mari.

La mort de la reine Marie interrompit pour quelque temps la négociation de la paix; on était pourtant convenu de continuer la suspension d'armes, et les députés se rassemblèrent au commencement de février 1559. Les deux rois souhaitaient ardemment la paix, et une des raisons qui les y portait, était le désir d'abattre les protestants : ils avaient commencé à troubler les Pays-Bas; Philippe, pour s'opposer à ce parti, avait obtenu du Pape l'érection de plusieurs nouveaux évêchés et archevêchés. Cambray, ville épiscopale, fut soustraite à l'archevêché de Reims, et érigée en métropole, à laquelle on avait soumis les évêchés d'Arras et de Tournay, pareillement démembrés de Reims. On dit que le cardinal de Lorraine, par la secrète union qu'il avait avec l'Espagne, laissa faire cette érection sans s'y opposer. Ces nouveaux établissements firent un effet étrange; les peuples s'imaginèrent qu'on voulait établir l'inquisition, comme on avait tenté depuis peu à Naples, où la crainte de ce nouveau joug avait causé une sédition furieuse. Comme on avait pris des abbayes pour fonder ces nouveaux évêchés, les abbés irrités entretenaient les peuples en mauvaise humeur, et les protestants se mêlèrent secrètement dans ces désordres pour les fomenter; ainsi Philippe était ù la veille de voir naître la guerre, civile dans ces pays naturellement disposés à la révolte.

 

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Henri ne craignait pas moins les huguenots, et l'intérêt qu'avaient les deux princes à détruire un parti qui menaçait leur autorité, les portait à s'unir ensemble. Philippe agissait auprès de l'empereur, pour l'obliger à se rendre facile; déjà l'affaire des trois évêchés était secrètement accordée ; et Ferdinand, qui les redemandait pour la forme, avait fait dire à l'oreille à nos ambassadeurs que cette prétention n'empêcherait pas la paix avec l'empire. Elisabeth de son côté était bien aisé d'être en repos au commencement de son règne, et de mettre fin aux prétentions de la reine dauphine, qui, appuyées par la France, pouvaient troubler l'Angleterre encore assez agitée; ainsi elle consentit à laisser Calais pour huit ans au roi, qui s'obligeait au bout de ce temps de rendre cette ville, sous peine de payer cinq cent mille écus à l'Angleterre.

La paix d'Angleterre étant faite, celle d'Espagne n'eut plus de difficulté. Pour ravoir Saint-Quentin, le Catelet et Ham, le roi rendit Mariembourg, Damvilliers, Yvoy, Montmédy dans le Luxembourg, Valence, et plusieurs châteaux dans le Milanais, Hesdin dans l'Artois : toutes les places qu'il avait dans la Toscane et dans l'île de Corse; toute la Bresse, toute la Savoie, tout le Piémont, excepté quatre ou cinq villes, parmi lesquelles étaient Turin et Pignerol, qu'il se résorbait, jusqu'à ce qu'on lui eût fait raison de la succession de sa grand'mère. Enfin, il donna environ deux cents places pour trois; voilà ce que lui coûta son favori, et il n'eut pas honte de le racheter à ce prix ; le château de Bouillon, que Robert de La Mark avait repris sur l'évêque de Liège, fut rendu à l'évêché. Cette poix fut conclue le troisième d'avril, et le roi promit sa fille Isabelle âgée de onze ans, au roi d'Espagne, et sa sœur Marguerite, qui en avait trente-un, au duc de Savoie.

Environ ce temps, la contestation pour la préséance était fort échauffée à Venise entre les ambassadeurs de France et d'Espagne. Jamais les Espagnols n'avaient songé à la disputer à la France; mais comme Charles V était tout ensemble empereur et roi d'Espagne, ses ambassadeurs avaient le pas sans difficulté, et ceux de France n'avaient aucune occasion d'exercer la prééminence qui appartient naturellement au plus noble et au plus ancien de tous les royaumes chrétiens. Après la retraite de Charles, Philippe tâcha de continuer par adresse sa possession, et laissa à Venise le même ambassadeur qui avait servi sons son père; on lui conserva même le titre d'ambassadeur de l'empereur, encore que Charles eût déjà fait sa renonciation ; mais l'ambassadeur de France sut bien remarquer cet artifice, et déclara au sénat qu'il ne prétendait plus céder. On craignait que cette querelle ne se décidât par la force ouverte; et le sénat, qui était bien aise de n'en point venir à une décision, de peur de mécontenter l'un des deux rois, empêcha longtemps leurs ambassadeurs de se trouver aux cérémonies. Il espérait que le Pape déciderait la chose, et il ne cherchait qu'à gagner du temps; mais l'ambassadeur de France eut ordre de déclarer à la république

 

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qu'il allait se retirer, si on ne lui faisait justice, et que le roi son maître saurait bien maintenir son rang. Alors le sénat pressé consulta ses registres, où la préséance des rois très-chrétiens était établie sans aucun doute, comme étant les souverains du royaume le plus ancien de la chrétienté ; ainsi il prononça en leur faveur.

Après que la paix fut conclue, toute la Cour se tournai t aux plaisirs et à la mollesse. Le connétable qui avait soixante-dix ans, et à qui la guerre avait presque toujours été malheureuse, ne songeait plus qu'au repos. Pour le roi, il était touché de la gloire, mais celle dont il se piquait, d'amant parfait, étouffait tous les autres sentiments, et les périls où il avait vu son royaume, quoiqu'il en fût heureusement sorti, lui faisaient craindre de nouvelles guerres. On prit alors dans le conseil deux grandes résolutions : l'une d'abandonner les affaires d'Italie, ton-jours funestes à la France; et l'autre de renoncer à l'alliance du Turc, honteuse par elle-même, et en effet peu utile. Le roi fit déclarer publiquement à la diète d'Augsbourg ses sentiments sur les Turcs. Soliman en fut étonné, mais sa politique ne lui permit pas de témoigner tout le mécontentement qu'il en avait, et il ne laissa pas de lui-même, dans le traité qu'il fit avec Ferdinand, de l'obliger à demeurer ami de la France.

        Le royaume étant ainsi tranquille., et n'ayant rien à craindre du dehors, le roi songeait à prévenir les partis qui pouvaient se former au dedans. Il avait toujours craint les protestants, qu'il voyait hardis, opiniâtres, et capables de tout entreprendre, s'ils en trouvaient l'occasion. Il résolut de les exterminer, et il était confirmé dans sa résolution par la duchesse de Valentinois, sait qu'elle se piquât, au milieu des désordres de sa vie, de donner quelques marques de religion ; ou soit, comme on le disait alors, qu'elle eût intérêt à perdre les protestants, dont elle avait obtenu la confiscation. Il y en avait dans le parlement, et le roi, qui les souffrait avec une extrême impatience, résolut de commencer par eux le châtiment exemplaire qu'il voulait faire des autres. On préparait le palais pour les noces de la princesse Elisabeth, et le parlement se tenait aux Augustins.

Ce fut là qu'on délibéra sur les ordres que le roi avait envoyés de punir sévèrement ces sectaires, en commençant par les conseillers qui seraient convaincus d'hérésie. Gomme on allait opiner, le roi, qui voulait connaître ceux qui étaient hérétiques, et voir lui-même de quelle sorte chacun se conduirait dans cette affaire, vint tout à coup prendre sa séance. Plusieurs ne laissèrent pas de soutenir en sa présence qu'il fallait adoucir les peines contre les hérétiques, jusqu'à ce qu'on eût terminé les affaires de la religion par un concile général. Ils ne purent s'empêcher de faire connaitre leur pente pour leurs nouvelles opinions, et le roi les ayant ouïs, déclara tout haut qu'il voyait bien que les rapports qu'on lui avait faits étaient véritables, et qu'il y en avait dans son Parlement qui méprisaient l'autorité du Pape et la sienne; qu'il

 

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avait sujet de se réjouir que le nombre on lut petit, mais que leur désobéissance leur serait funeste ; ayant dit ces mots, il se lova, et donna ordre an connétable de faire arrêter ceux dont il lui mit le liste en main. Gilles le Maitre, premier président, en avait présenté le mémoire au roi ; Gabriel de Montgomery, l'un des capitaines des gardes, les fit conduire à le Bastille, et le roi nomma des commissaires pour les juger.

Le premier à qui on fit le procès, fut Anne du Bourg, conseiller clerc, qui fut déclaré hérétique par l'évêque de Parts, dégradé du caractère de diacre, et livré au bras séculier. Il différa son supplice par l'appel qu'il interjeta à l'archevêque de Sens et à l'archevêque de Lyon, comme primats. Les princes de Lorraine étaient ceux qui se déclaraient le plus haut pour le supplice des hérétiques. Ou remarquait dans leur zèle de l'ostentation, et un désir de gagner l'amour des peuples, comme catholiques zélés.

Le jour destiné pour la célébration du mariage approchait: toute la France était en joie, tant pour le poix, que pour les noces qui se préparaient avec une magnificence digne des deux plus grands rois de l'univers. Ce fut le 27 juin que le duc d'Albe. épousa, au nom de son maître, dans Notre-Dame de Paris, selon la coutume, la jeune princesse qui attirait les yeux et l'admiration de tout le monde par sa bonne grâce ; ce jour et les deux suivants devaient se passer dans des jeux et des carrousels, on ne parlait que de tournais, les lices étaient préparées vers le palais royal des Tournelles, et le roi, très-adroit dans cet exercice, devait courre en présence de toutes les dames et de tout le peuple. Il avait rompu plusieurs lances, et avait fait admirer son adresse.

Le dernier jour du tournai, qui fut le 20 juin, quoiqu'il eût déjà couru plusieurs fois, et que tout le monde le priât de se donner du repos, il voulut encore rompre une lance, la visière ouverte, contre le comte de Montgomery, le plus adroit seigneur de la Cour. Il fallut un commandement absolu pour obliger le comte à cette course. A la fin il monte à cheval à regret; les chevaliers partent avec une vitesse et une vigueur incroyable, et le comte ayant rompu sa lance contre le plastron du roi, l'atteignit au-dessus de l'œil droit du tronçon qui lui restait à la main. On voit en même temps le roi chanceler sur son cheval, les siens accourent pour le soutenir; la reine et toute la Cour s'approchent avec frayeur: on le trouva sans parole et sans connaissance, et on l'emporta en cet état au palais des Tournelles. Les médecins le condamnèrent d'abord; Philippe, qui était à Bruxelles, lui envoya le sien en diligence, l'un des plus habiles de son temps : il fut de l'avis des autres, et jugea tous les remèdes inutiles ; alors toute la Cour commença à se remuer, et à se remplir de sourdes pratiques.

La reine Catherine s'attirait peu à peu toute l'autorité, par le pouvoir qu'elle avait sur son fils, toujours infirme, et qui n'avait que seize ans. Elle ne s'était mêlée jusque-là d'aucune affaire, et n'avait conservé

 

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une apparence de crédit que par l'extrême complaisance, ou plutôt par la soumission qu'elle avait pour la duchesse de Valentinois. Elle couvrait par ces belles apparences la haine implacable qu'elle avait contre elle ; mais l'état où était le roi lui fit prendre d'autres pensées.

Les princes de Guise ne s'oubliaient pas; ils ménageaient le jeune prince par la reine Dauphiné, sa femme, agréable et insinuante. Ils tâchaient aussi de gagner Catherine par toutes sortes de soumissions; elle avait besoin de s'appuyer contre les princes du sang, mais elle balançait entre ceux de Guise et le connétable ; elle les haïssait les uns et les autres, comme amis et alliés de sa rivale. Les princes de Guise lui promirent de l'abandonner, et le connétable, qui n'avait point dételles souplesses, succomba bientôt : outre cela elle trouvait les princes de Guise déjà établis par le moyen de leur nièce, et elle avait des sujets particuliers de chagrin contre le connétable, qui avait souvent conseillé au roi de la répudier, avant qu'elle eût des enfants; ainsi après les protestations des princes de Guise, qui l'assuraient d'une entière obéissance, elle fit avec eux une étroite liaison.

Le connétable eut recours au roi de Navarre, premier prince du sang, qui demeurait ordinairement dans le Béarn, ou dans son gouvernement de Guyenne. Mécontent de la Cour, qui avait conclu la paix avec l'Espagne, sans songer à lui faire rendre aucune justice sur son royaume qu'on lui usurpait, il n'était occupé que des soins de s'y rétablir. Aussitôt après la blessure du roi, il reçut un courrier du connétable, qui le pressait de venir promptement prendre sa place dans les conseils. Louis, prince de Condé, frère de ce roi, était à la Cour, résolu de tout tenter pour maintenir l'autorité des princes du sang ; mais il avait besoin de son aîné pour agir, et il l'attendait avec impatience.

Durant tous ces mouvements, chacun attendait pour se déclarer que le roi eût rendu le dernier soupir. Le malheureux prince était dans son lit comme mort, sans connaissance et presque sans mouvement. On se hâta avant qu'il mourût de faire sans cérémonie le mariage du duc de Savoie avec sa sœur; enfin, après avoir été onze jours dans cet état déplorable, sans que durant tout ce temps on pût trouver un moment pour le faire penser à lui, il expira au commencement de sa quarante-unième année, et la douzième d'un règne qu'une fin si tragique rendit funeste.

Aussitôt après sa mort, le duc de Guise, accompagné de quelques autres princes, fut rendre son hommage au nouveau roi qu'il emmena avec la reine sa mère au château du Louvre, laissant le connétable aux Tournelles, pour faire les honneurs du corps. Ils étaient bien aises de l'attacher à un emploi qui demandait une extrême assiduité, pour avoir le loisir de s'affermir, et de faire toutes leurs intrigues loin de ses yeux.

        Henri II laissait quatre fils dans une extrême jeunesse : François, qui lui succéda; Charles, duc d'Orléans; Henri, duc d'Anjou; et François,

 

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duc d'Alençon. De trois filles qu'il avait, Elisabeth venait d'épouser le roi d'Espagne, à qui on la devait bientôt conduire ; Claude avait épousé Charles III duc de Lorraine; Marguerite, la plus jeune, mais qui n'était pas la moins accomplie, restait seule sous la conduite de la reine sa mère. On remarqua que ce prince qui avait permis un duel à son avènement à la couronne, périt dans un duel de divertissement. On vanta aussi beaucoup la prédiction d'un astrologue, qui avait dit, à ce qu'on prétend, qu'il serait tué en duel. Mais les gens sages se moquent de ces pronostics, qui ne réussissent que par hasard, ou qu'on invente après coup.

        Il est constant qu'il avait l'esprit agréable, une douce conversation, une facilité merveilleuse, de la bonté pour ses domestiques, et de la libéralité. Il n'était pas sans quelque amour pour les belles-lettres, et son règne fut fertile en poètes français, pour lesquels il témoignait de l'estime ; mais toutes les poésies ne chantaient que les plaisirs et l'amour, qu'on célébrait comme la seule vertu héroïque. Ainsi la jeunesse se corrompait par cette lecture, et négligeait les belles études; les filles mêmes perdaient la honte, et s'accoutumaient à la licence. C'était une des maximes de la Cour qu'il n'y avait point de politesse sans cette passion, et qu'il fallait nécessairement servir une dame pour être honnête homme. Les dames se piquaient aussi d'avoir des amans, et tout tendait à la corruption et à la mollesse.

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