Livre III
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Tables

 

LIVRE III.

 

LOUIS III et CARLOMAN (AN 879).

CHARLES III, dit LE GRAS (AN 885).

EUDES (AN 888).

CHARLES IV, dit LE SIMPLE (AN 898).

ROBERT (AN 922).

RAOUL (AN 923).

LOUIS IV, D'OUTREMER (AN 936).

LOTHAIRE (AN 954).

LOUIS V, dit LE FAINÉANT (AN 986).

 

 

LOUIS III et CARLOMAN (AN 879).

 

La maison de Charlemagne, déjà abaissée dès le temps de Charles le Chauve, tomba peu à peu dans les règnes suivants. Louis le Bègue, prêt à mourir, et laissant sa femme enceinte, recommanda l'enfant qu'elle portait aux grands du royaume, principalement à l'abbé Hugues, frère de Robert le Fort, qui dès le temps de Charles le Chauve avait une grande autorité, et les pria que si la reine avait un fils, ils le missent sur le trône de ses ancêtres. Peu après la reine accoucha d'un prince qu'on appela Charles; mais les seigneurs français ne purent se résoudre à donner le nom de roi à cet enfant, quoique quelques-uns semblassent le vouloir favoriser : ainsi ils firent rois Louis et Carloman, l'un de Neustrie, et l'autre de Bourgogne et d'Aquitaine, et les firent sacrer et couronner à l'abbaye de Ferrieres, par Ansegise, archevêque de Sens. Ils étaient à la vérité enfants de Louis le Bègue ;

 

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mais d'un mariage qui avait été rompu, parce qu'il avait été fait sans le consentement de son père.

Boson, que Charles le Chauve avait élevé à une haute puissance, et qui s'était révolté contre lui, comme nous l'avons remarqué en son lieu, se fit déclarer roi de Bourgogne. Ce fut à Mantale, auprès de Vienne, qu'il reçut la couronne, par les mains de vingt-deux prélats, tant archevêques qu'évêques, parmi lesquels étaient les archevêques de Vienne, de Lyon, d'Aix, d'Arles, de Tarentaise et de Besançon, et les évêques de Grenoble, de Marseille, de Maçon, de Viviers, d'Usez, de Lausanne, et autres. Hugues, fils de Lothaire et de Valdrade, ravageait aussi la Lorraine, qu'il prétendait être à lui. Il fut d'abord vaincu en bataille rangée par les deux frères, et par les lieutenants de Louis roi de Germanie. Boson ayant été ensuite défait par Louis et Carloman rois de France, et par Charles le Gras, se retira à Vienne, ville considérable sur le Rhône, qui aussitôt fut attaquée par ces trois rois.

Pendant qu'on, assiégeait cette ville (881), Charles le Gras alla en Italie, où il avait déjà été couronné roi de Lombardie, et fut couronné empereur par le pape Jean VIII. Ensuite son frère Louis le Germanique étant mort sans laisser de fils, il retourna en Germanie, pour se mettre en possession de son royaume. Louis, roi de Neustrie, quitta aussi le siège de Vienne, pour s'opposer aux Normands, qui faisaient des courses dans la France, et ayant remporté une grande victoire, il mourut quelque temps après. Ainsi les deux royaumes, c'est-à-dire, celui de Bourgogne aussi bien que celui de Neustrie, furent en la puissance de Carloman. Il laissa au siège de Vienne Richard, frère de Boson, son lieutenant, et marcha contre les Normands.

Comme il était à Autun, Richard, victorieux et maître de Vienne, lui amena la femme et la fille de Boson : celui-ci néanmoins trouva moyen de rentrer dans ses Etats, dont il fit hommage en 882 à Charles le Gras, et mourut à Vienne en 887. Quant à Carloman, tourmenté aussi bien que l'empereur son cousin, par les courses des Normands, ils rachetèrent par beaucoup d'argent le pillage de leur pays. Carloman ne vécut pas longtemps après, ayant été tué en 884 à la chasse, dans la forêt d'Iveline, par un sanglier, ou à ce que disent quelques-uns, par un des chasseurs qui tirait contre la bêle; il fut enterré à Saint-Denis.

 

CHARLES III, dit LE GRAS (AN 885).

 

Il semblait que le jeune prince Charles devait être appelé à la succession du royaume, après la mort de ses frères; mais comme il n'était pas encore propre aux affaires, à cause de son bas âge (car à peine avait-il sept ans), les grands mirent le royaume entre les mains de

 

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l'empereur Charles le Gros,, qui se vit par ce moyen en possession de tout l'empire de Charlemagne. Le jeune Charles cependant demeura sous la conduite de l'abbé Hugues, à qui l'empereur Charles confirma le gouvernement de cette partie de la France qui est entre la Seine et la Loire, et qu'on appelait le duché de France, dont Paris était la capitale. Charles le Gras, prince d'un génie médiocre, ne sut point tirer parti de la possession de tant de royaumes, pour faire quelque action digne de la puissance dont il était revêtu.

Si on loue son zèle pour la religion, sa doctrine et quelques autres bonnes qualités, on raconte aussi de lui quelques actions honteuses, auxquelles il se laissa aller par de mauvais conseils; car Godefroy, général des Normands, et ensuite Hugues, fils de Lothaire et de Valdrade, étant venus le voir sur sa parole, Henri, duc de Saxe, lui persuada de faire mourir l'un, et de mettre l'autre dans un monastère, après lui avoir crevé, les yeux. Les Normands irrités, attaquèrent Paris en 886, et firent tous leurs efforts pour s'en rendre maîtres. Ce siège, qui dura près d'un an. donna le temps à l'empereur de venir au secours des Parisiens, qui ne durent leur salut qu'à la bravoure du comte Eudes, qui fut roi peu de temps après, et au courage de l'évêque de Paris Gozelin, et de plusieurs seigneurs qui s'y étaient renfermés. Charles, au lieu de les seconder, aima mieux obliger les Normands à lever le siège, moyennant sept cents livres d'argent qu'il leur fit accorder, avec la liberté d'aller ravager une partie de la Bourgogne, dont il était mécontent, jusqu'au mois de mars 887, qu'ils devaient s'en retourner chez eux.

Ainsi ce prince, méprisé partout, étant retourné en Allemagne sur la fin de l'an 886, la souveraine puissance lui fut ôtée, et donnée par l'assemblée des seigneurs allemands à Arnould, bâtard de Carloman roi de Bavière, que son père avait fait duc de Carinthie. Charles ne fut pas moins méprisé en France : ainsi, destitué de tout secours, manquant de toutes choses, et même de celles qui sont nécessaires pour la vie, il obtint à peine d'Arnoul quelques villages pour sa subsistance; et un si grand empereur mourut enfin peu de temps après, accablé de pauvreté et de douleur, au mois de janvier 888.

 

EUDES (AN 888).

 

L'empereur Charles le Gras étant mort sans enfants, il ne restait plus, de la race de Charlemagne aucun mâle, né en légitime mariage, que Charles, fils de Louis le Bègue. Les Neustriens cependant, que dans la suite on appela absolument les François, de peur de se soumettre à un enfant, aimèrent mieux élire pour roi Eudes, fils de Robert le Fort. Cependant Guy comte de Spolète, et Bérenger duc de Frioul, descendus

 

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par femmes de la maison de Charlemagne, se rendirent maîtres de l'Italie, l'un comme empereur, l'autre comme roi des Lombards. Bérenger chassé par Guy, se retira chez Arnoul roi de Germanie, et l'Italie demeura à Guy fort peu paisible. L'autorité d'Eudes n'était pas mieux établie en France ; car le royaume fut partagé sous ce prince ; la plupart des ducs et des comtes, et même les évêques de quelques villes, qui étaient puissants, se regardaient dans leurs départements comme princes souverains, en rendant seulement hommage au roi.

Les Normands, quoique souvent réprimés, se jetaient en France en plus grand nombre, et avec une plus grande hardiesse ; les sentiments des seigneurs étaient partagés; peu étaient obéissants au roi, parce que Charles, qui était déjà devenu grand, en attirait la plupart dans son parti. Enfin, comme ils étaient sur le point de le mettre sur le trône de ses ancêtres, Eudes partagea avec lui (893), de son bon gré, le royaume dont il retint une partie, qu'il commanda même, en mourant, qu'on lui rendît tout entier.

 

CHARLES IV, dit LE SIMPLE (AN 898).

 

L'autorité des grands, qui s'était augmentée plus qu'il ne fallait sous les règnes précédents, s'accrut jusqu'à un tel point durant le règne de Charles, qu'elle abattit presque entièrement toute la puissance royale : Charles avait fortement attaqué le royaume de Lorraine, et avait déjà porté jusqu'à Worms ses armes victorieuses, lorsque les grands du royaume, ayant peur qu'il ne les mît à la raison, s'il remportait la victoire et n'affaiblît la puissance qu'ils voulaient non-seulement conserver pour eux, mais encore laisser dans leur famille, prirent les armes contre lui.

 

ROBERT (AN 922).

 

Ils firent roi Robert, frère d'Eudes, et ôtèrent le royaume à Charles. Ils se plaignaient qu'il était tout à fait livré à Aganon, homme de basse naissance, qui les traitait avec mépris. C'est le prétexte qu'ils donnèrent à leur rébellion. Hervé, archevêque de Reims, demeura seul fidèle, et Charles fut bientôt rétabli par son assistance; mais il ne se soutint pas longtemps : car Hugues, fils de Robert, demanda au roi l'abbaye de Chelles, que ses ancêtres avaient tenue, et le roi la donna à Aganon, au préjudice de Hugues. De là il s'éleva de nouveaux troubles, et les guerres civiles se rallumèrent. Enfin, le parti contre le roi fut si puissant, que Robert fut couronné roi à Reims, par ce même Hervé, qui

 

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avait rendu à Charles de si grands services. Le roi, qui était alors en Lorraine, ayant appris ces nouvelles, retourna promptement en France. On donna une grande bataille, où Robert mourut percé d'un coup de lance, en combattant au premier rang, et, comme quelques-uns disent, de la propre main de Charles. La puissance du parti ne fut pas ruinée par la mort de Robert.

 

RAOUL (AN 923).

 

Hugues son fils se mit à la tête des rebelles ; et si la jalousie des grands l'empêcha de prendre lui-même le nom de roi, il eut assez de crédit pour élever à la royauté Raoul duc de Bourgogne, qui avait épousé sa sœur Emme. Charles fut abandonné des siens, et contraint d'implorer le secours de Henri l'Oiseleur, roi d'Allemagne, en lui offrant le royaume de Lorraine. Henri, attiré par cette espérance, lui envoya un secours considérable. Raoul, Hugues et les autres seigneurs n'étant pas assez puissants pour sortir de ce péril par la force, s'en tirèrent par la tromperie. Hébert, comte de Vermandois, qui était le principal soutien du parti, homme capable d'imaginer et de conduire une fourberie, alla trouver Charles, et lui promit de lui livrer Péronne, place forte sur la Somme, comme un gage de sa fidélité.

Charles, qui ne soupçonnait rien, n'y fut pas plutôt entré, qu'on l'arrêta ; de là on l'emmena prisonnier à Château-Thierry. Ogine sa femme s'enfuit chez son frère Aldestan, roi d'Angleterre. Raoul, par ce moyen, demeura le maître en France ; mais le traître Hébert demanda Laon pour la récompense de son crime. Raoul lui refusant cette place, il fit semblant de délivrer Charles, et le mena de ville en ville, le montrant au peuple comme libre. Enfin, Laon lui fut donné, et il remit ce pauvre prince en prison, où il mourut accablé de douleur ; roi très-malheureux, qui ne manqua point de cœur, ni de résolution à la guerre ; mais qui eut le nom de Simple, à cause de son excessive facilité.

Sous ce prince, Rollon, duc de Normandie, illustre en paix et en guerre, très-équitable législateur de sa nation, prit Rouen, et se fit instruire de là religion chrétienne par Francon, qui en était archevêque : il obtint premièrement une trêve, ensuite une paix solide, et cette partie de la Neustrie qu'on appelle maintenant Normandie, dont il fit hommage au roi. Charles lui donna sa fille Gisèle en mariage., et lui accorda que les ducs de Normandie recevraient l'hommage de la Bretagne, à condition de le rapporter à la couronne de France.

Il faut dire maintenant en peu de paroles ce qui arriva aux restes de la maison de Charlemagne en Allemagne et en Italie, durant le règne de Charles le Simple. Nous avons dit que l'Allemagne, dès le vivant de

 

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Charles le Gras s’était soumise au pouvoir d’Arnoul, bâtard de Carloman roi de Bavière, et que Bérenger, chassé d’Italie, s’était réfugié auprès de lui.

Arnoul entreprit de le protéger, et alla en Lombardie, d'où il chassa Guy, qui s'en était rendu le maître, et rétablit Bérenger. Ayant repassé en Allemagne, il tint une assemblée à Worms, où Zuintibolde, son bâtard, fut déclaré roi de Lorraine. Rappelé une seconde fois en Italie par le pape Formose, il prit Rome, et on lièvre fat In cause «fane prise si considérable : car s'en étant levé un devant le camp, tous les soldats se mirent à le poursuivre du coté de la ville, où il s’enfuyait. Ceux qui gardaient les murailles crurent que toute l'armée venait à l'assaut et à l'escalade : la terreur les ayant pris tout à coup, sis mirent bas les armes, et laissèrent la ville sans défense, à la merci des Allemands, qui montèrent de tous côtés sur les murailles. Arnoul, maître de Rome, roi couronné empereur parle pape Formose, l’an 896. Ensuite il tenta vainement de reprendre la Lombardie que Lambert, fils de Guy, avait recouvrée, et de se défaire de Bérenger par trahison : l'horreur que l'on conçut de cette dernière action le fit chasser d'Italie.

Lambert, après sa retraite, fut déclaré empereur, et Bérenger fut longtemps en guerre avec lui. Il fut fait empereur lui-même, après que Lambert fut mort : et régna jusqu'à la dernière vieillesse, dans une grande diversité de bonne et de mauvaise fortune. Enfin il finit sa vie par une mort malheureuse, et fut tué par les siens. Apres sa mort, l'Italie, agitée de guerres civiles, et envahie par des rois qui se chassaient les uns les autres, fut également ravagée par les victorieux et par les vaincus.

Cependant Arnould étant mort en Allemagne (899), Louis, son fils, âgé de sept ans, fut couronné et mis en la garde d'Othon, due de Saxe, son beau-frère. Il eut ensuite non-seulement le royaume d'Allemagne, mais encore celui de Lorraine : car Zuintibolde, adonné à ses plaisirs et à la débauche, se laissait gouverner par les femmes et donnait à leur gré les charges aux personnes de la plus basse naissance, an grand mépris de la noblesse. Parla il s'attira la haine publique; ses sujets lui firent la guerre, et il fut abandonné par les siens. Il s'en vengea en ravageant tout pur le fer et par le feu, avec une haine implacable. Ceux dont il avait ruiné les terres et brûlé, les maisons, poussés au désespoir, appelèrent Louis, et prirent les armes de toutes parts. On en vint à une grande bataille, où Zuintibolde fut vaincu et lue.

Louis fut maître du royaume, et mourut lui-même un peu après, âgé de près de vingt ans, sans laisser aucun , enfant mâle. De deux filles qu'il avait eues, l’une fut mariée à Conrad duc de Franconie, et l'autre à Henri, fils d'Othon duc de Saxe. Par le conseil de cet Othon , Conrad fut déclaré roi d'Allemagne, d'où Henri, fils d'Othon, entreprit de le chasser. Conrad, défait et vaincu dans cette guerre, y reçut dans

 

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une bataille une blessure mortelle, et fit porter les marques de la royauté à Henri son ennemi, surnommé l'Oiseleur.

Ainsi la ligne masculine de Charlemagne manqua en Allemagne aussi bien qu'en Italie, et même les derniers restes d'une maison si puissante y furent éteints peu à peu. D'autres occupèrent les royaumes vacants, et les séparèrent en plusieurs parties. Mais il faut reprendre le fil de notre histoire.

Charles le Simple étant mort (929), Raoul régna un peu plus tranquillement, et il remporta même une grande victoire sur les Normands. Toutefois son autorité ne fut pas assez grande pour empêcher les guerres sanglantes que les seigneurs se faisaient les uns aux autres. Il eut une peine extrême à mettre d'accord Hugues et Hébert, et mourut peu de temps après.

 

LOUIS IV, D'OUTREMER (AN 936).

 

Les affaires étaient en tel état, que Hugues aurait pu faire roi celui qu'il aurait jugé à propos : la jalousie des grands l'empêcha de se le faire lui-même. Ainsi il fit revenir d'Angleterre Louis, qui pour cette raison fut appelé d'Outremer, afin d'avoir un roi qui fût tout à fait dans sa dépendance. Ce prince, fils de Charles le Simple, voulut recouvrer la Normandie par de très-mauvais artifices: car Guillaume, duc de Normandie, fils de Rollon, ayant été assassiné par Arnoul, comte de Flandre, et ayant laissé son fils Richard encore en bas âge, Louis l’emmena à Laon, sur l'espérance qu'il donna aux Normands de le faire mieux élever qu'il ne le serait dans son pays. Il se préparait, disent quelques auteurs, à lui brûler les jarrets, afin qu'étant estropié et boiteux, il fût jugé incapable de régner et de commander les armées; mais son gouverneur en ayant été averti l'emporta à Senlis, dans un panier couvert d'herbes, chez Bernard son oncle maternel. Louis entra à main armée dans la Normandie ; les Normands allèrent à sa rencontre, et les deux armées s'étant trouvées en présence, il y eut une grande bataille dans laquelle le roi fut battu et fait prisonnier.

Hugues convoqua aussitôt le parlement, où il dit en pleine assemblée beaucoup de choses en faveur de l'autorité royale : il fut résolu, par son avis, que le roi serait tiré de prison en donnant son second fils pour sûreté, que le jeune Richard serait rétabli dans ses Etats. Là condition fut acceptée par les Normands, et Hugues reçut Louis de leurs mains : mais il ne le voulut jamais mettre en liberté qu'il ne lui donnât auparavant la ville de Laon. Il fut contraint de le faire; mais il la reprit peu de temps après, par le moyen des grands secours qu'il avait fait venir d'Allemagne. Il fit ensuite la guerre très-longtemps

 

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contre Hugues, dont il ne put abattre la puissance, quelque effort qu'il fit pour cela.

Sa mère Ogine épousa Hébert comte de Troyes, fils de ce Hébert comte de Vermandais, qui avait trompé Charles le Simple par une trahison honteuse, et qui, troublé dans sa conscience du remords d'un si grand crime, mourut comme un désespéré. A l'égard du roi, il fit la paix avec Hugues, après beaucoup de combats. Il ne jouit pas longtemps de ce repos : car il tomba de cheval étant à la chasse, pendant qu'il poussait après un loup à toute bride, et mourut peu de temps après, brisé par cette chute.

 

LOTHAIRE (AN 954).

 

Hugues, en la puissance duquel étaient les affaires, aima mieux élever à la royauté Lothaire, fils aîné de Louis, qui était encore enfant, que d'exciter contre soi la haine des grands, en prenant le titre de roi, qui lui eût attiré l'envie ; mais il n'en demeura pas moins pour cela maître du royaume, et Gerberge, mère de Lothaire, n'était pas en état de lui refuser ce qu'il souhaitait. Il possédait les plus belles charges, et avait les gouvernements les plus considérables : il était duc de France et de Bourgogne, et obtint encore le duché d'Aquitaine. Il mourut dans les premières années du règne de Lothaire. On dit de lui qu'il régna vingt ans sans être roi : il fut appelé le Blano, à cause de son teint ; Grand, à cause de sa taille et de son pouvoir; et Abbé, à cause des abbayes de Saint-Denis, de Saint-Germain des Prés, et de Saint-Martin de Tours, qu'il possédait.

Hugues son fils succéda à sa puissance et à ses charges, dont il fit hommage au roi, et il augmenta encore en richesses et en nouveaux titres d'honneur. En ce même temps il s'alluma une furieuse guerre entre Othon roi d'Allemagne, et Lothaire. Ce dernier, ayant avancé ses troupes jusqu'à Aix-la-Chapelle, pensa surprendre Othon, comme il était à table : il s'échappa en prenant la fuite avec les seigneurs qui l'accompagnaient. Othon à son retour courut presque toute la France avec une grande armée, et s'approcha de Montmartre, montagne auprès de Paris, où il voulait, disait-il, chanter un Alléluia. Il fit porter cette parole a, Hugues Capet, qui ne perdit pas de temps, et marcha contre ce prince, qui le menaçait. Il lui tua une grande quantité de soldats, et le mit en fuite. Peu après Lothaire mourut, et laissa son fils Louis, âgé de dix-neuf ans, sous la conduite de Hugues. Charles son frère était regardé comme l'ennemi du royaume de France : car le roi Othon ne l'avait créé duc de Lorraine, que pour défendre cette frontière des Allemands contre les François.

 

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LOUIS V, dit LE FAINÉANT (AN 986).

 

Aussitôt que Lothaire fut mort, son fils Louis, qui avait été couronné du vivant de son père en 979, et marié avec Blanche, fille d'un seigneur d'Aquitaine, fut reconnu roi par tous les grands de l'Etat (989) ; mais son règne ne fut pas long : il fut empoisonné, à ce qu'on dit, par sa femme Blanche, après avoir régné un an et quatre mois. Lorsque Louis V mourut, il ne restait plus de princes de la race de Louis le Débonnaire, que Charles duc de Lorraine, frère du roi Lothaire : Charles était haï des seigneurs français, parce qu'il passait sa vie en Allemagne au mépris de la France, et qu'il avait mieux aimé faire hommage au roi Othon, pour cette partie du royaume de Lorraine qu'il possédait, qu'au roi Lothaire son frère, contre qui il fut souvent en guerre, et dont il ravagea plusieurs fois les Etats.

Hugues Capet profitant donc habilement de ces sujets de haine, s'était préparé un chemin pour parvenir à la souveraine puissance, à laquelle son grand-oncle Eudes et son grand-père Robert avaient été élevés par les suffrages des grands de la nation.

J'ai déjà remarqué que depuis le règne de Charles le Chauve, les seigneurs avaient commencé à faire succéder leurs enfants dans les duchés et comtés dont ils étaient possesseurs; et cela était passé en coutume, lorsque Hugues Capet parvint au trône.

Ce prince, neveu par sa mère de l'empereur Othon I, était le plus puissant seigneur du royaume de France, qui comprenait alors tous les pays renfermés entre l'Océan et les rivières de l'Escaut, de la Meuse, de la Saône, et du Rhône, et s'étendait au delà des Pyrénées; la Catalogne et le Roussillon en formaient aussi une partie, il possédait en propre toutes les terres du duché de France, qui avaient d'abord été données à Robert le Fort son bisaïeul; aussi Hugues le Grand était-il appelé prince des François, des Bourguignons, des Bretons et des Normands, parce que ce grand gouvernement comprenait dans son origine toutes ces provinces. Les successeurs de Robert le Fort, qui possédèrent le duché de France, conservèrent un droit de prééminence sur ceux qui furent ducs ou comtes immédiats de ces pays : c'est pour cela que les ducs de Normandie, quoiqu'ils n'aient jamais fait hommage qu'aux rois, appelaient cependant les ducs de France leurs seigneurs, comme fit Richard I duc de Normandie, à l'égard de Hugues Capet, avant même l'élévation de ce prince au trône des François. La Haute-Bretagne était aussi dans la mouvance de ce duché, comme on le voit par la donation que les ducs Robert et Hugues le Grand firent de ce pays aux Normands de la Loire. Quant à la Bourgogne, elle était alors possédée par Eudes-Henri, frère de Hugues Capet : le roi Robert, neveu d'Eudes-Henri, s'en empara après sa mort comme d'un bien héréditaire ;

 

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enfin, les comtés d'Anjou et de Chartres relevaient aussi du duché de France.

Hugues Capet jouissant donc d'une si haute considération dans le royaume au milieu duquel étaient situés ses Etats, il n'est pas étonnant qu'ayant déjà eu un grand-oncle (Eudes) et un grand-père (Robert) rois de France, on eût jeté les yeux sur lui pour le faire roi, à l'exclusion de Charles duc de Lorraine.

Au reste, son élévation par les grands n'était pas un fait nouveau; on en avait vu auparavant plus d'un exemple dans la vaste monarchie de Charlemagne : plusieurs princes qui n'étaient point de la race de ce grand empereur avaient pris le titre de roi dans l'Italie et dans l'Allemagne.

On a vu que Boson, beau-frère de Charles le Chauve, avait été déclaré roi de la Bourgogne cis-jurane ou d'Arles, par les évêques et les seigneurs de ce pays. Rodolphe, fils de Conrad comte de Paris, parent de Hugues Capet, s'était établi dans la Bourgogne trans-jurane, et avait pris le nom de roi : il aurait fait la même chose dans le royaume de Lorraine, si l'empereur Arnoul ne s'y était opposé : ainsi lorsque les grands du royaume de France se choisirent un nouveau roi dans la personne de Hugues Capet, cela ne parut pas si étrange qu'il nous le paraît aujourd'hui (1) : ce fut aux mêmes conditions qu'ils avaient choisi les rois de la première et de la seconde race, c'est-à-dire, à condition que la couronne passerait à leurs descendants en ligne masculine, conformément au système de leur gouvernement. Car, comme le disait Foulques, archevêque de Reims, à l'empereur Arnould, c'était une chose connue à toutes les nations, que la couronne de France était héréditaire, et que les enfants y succédaient à leurs pères. Telle est l'origine et la splendeur de la maison de Hugues Capet, dont la postérité règne depuis sept cents ans dans la monarchie des François, et qui a donné des rois à l'Italie, à la Pologne, à la Hongrie, à la Navarre, et des empereurs à Constantinople.

 

1 On sait que chacune des trois races des rois de France n'avait aucun droit à le couronne, avant l'élection des rois qui en sont les chefs. Mais, dès là que les Français la leur ont mise sur la tête, c'a toujours été à condition qu'elle passerait à leurs descendants, en ligne masculine, conformément au système de leur gouvernement , comme on l'a vu dans les deux premières races, et comme on le verra encore dans l'histoire des successeurs de Hugues Capet

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