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DISCOURS SUR L'HISTOIRE UNIVERSELLE A MONSEIGNEUR LE DAUPHIN
AVANT-PROPOS Dessein général de cet ouvrage : sa division en trois parties (a).
PREMIÈRE PARTIE LES ÉPOQUES OU LA SUITE DES TEMPS (a).
PREMIÈRE ÉPOQUE. ADAM, OU LA CRÉATION. Premier âge du monde.
DEUXIÈME ÉPOQUE. NOÉ, OU LE DÉLUGE. Deuxième âge du monde.
TROISIÈME ÉPOQUE. LA VOCATION D'ABRAHAM : OU LE COMMENCEMENT DU PEUPLE DE DIEU
ET DE L'ALLIANCE. Troisième âge du monde.
QUATRIÈME ÉPOQUE. MOÏSE, OU LA LOI ÉCRITE. Quatrième âge da monde.
CINQUIÈME ÉPOQUE. LA PRISE DE TROIE. Quatrième âge du monde.
SIXIÈME ÉPOQUE. SALOMON, OU LE TEMPLE ACHEVÉ. Cinquième âge du monde.
SEPTIÈME ÉPOQUE. ROMULUS, OU ROME FONDÉE.
HUITIEME ÉPOQUE. CYRUS, OU LES JUIFS RÉTABLIS. Sixième âge du monde.
NEUVIÈME ÉPOQUE. SCIPION, OU CARTHAGE VAINCUE.
DIXIEME ÉPOQUE. NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST. Septième et dernier âge du monde.
ONZIÈME ÉPOQUE. CONSTANTIN, OU LA PAIX DE L'ÉGLISE.
DOUZIÈME ÉPOQUE. CHARLEMAGNE, OU L'ÉTABLISSEMENT DU NOUVEL EMPIRE.
Quand l'histoire serait inutile
aux autres hommes, il faudrait la faire lire aux princes. Il n'y a pas de
meilleur moyen de leur découvrir ce que peuvent les passions et les intérêts,
les temps et les conjonctures, les bons et les mauvais conseils. Les histoires
ne sont composées que des actions qui les occupent, et tout semble y être fait
pour leur usage. Si l'expérience leur est nécessaire pour acquérir cette
prudence qui fait bien régner, il n'est rien de plus utile à leur instruction
que de joindre aux exemples des siècles passés les expériences qu'ils font tous
les jours. Au lieu qu'ordinairement ils n'apprennent qu'aux dépens de leurs
sujets et de leur propre gloire, à juger des affaires dangereuses qui leur
arrivent : par le secours de l'histoire, ils forment leur jugement, sans rien
hasarder, sur les événements passés. Lorsqu'ils vaient jusqu'aux vices les plus
cachés des princes, malgré les fausses louanges qu'on leur donne pendant leur
vie, exposés aux yeux de tous les hommes, ils ont honte de la vaine joie que
leur cause la flatterie, et ils connaissent que la vraie gloire ne peut
s'accorder qu'avec le mérite.
D'ailleurs il serait honteux, je
ne dis pas à un prince, mais en général à tout honnête homme, d'ignorer le genre
humain, et
(a) Ire édit. : Dessein général de cet ouvrage.
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les changements mémorables que la suite des temps a faits
dans le monde. Si l’on n'apprend de l'histoire à distinguer les temps, on
représentera les hommes sous la loi de la nature ou sous la loi écrite, tels
qu'ils sont sous la loi évangélique ; ou parlera des Perses vaincus sous
Alexandre, comme on parle des Perses victorieux sous Cyrus ; on fera la Grèce
aussi libre du temps de Philippe que du temps de Thémistocle ou de Miltiade ; le
peuple romain aussi fier sous les empereurs que sous les consuls ; l'Eglise
aussi tranquille sous Dioclétien que sous Constantin; et la France agitée de
guerres civiles du temps de Charles IX et de Henri III, aussi puissante que du
temps de Louis XIV, où réunie sous un si grand roi, seule elle triomphe de toute
l'Europe.
C'est, Monseigneur, pour éviter
ces inconvénients que vous avez lu tant d'histoires anciennes et modernes. Il a
fallu avant toutes choses vous faire lire dans l'Ecriture l'histoire du peuple
de Dieu, qui fait le fondement de la religion. On ne vous a pas laissé ignorer
l'histoire grecque ni la romaine ; et ce qui vous était plus important, on vous
a montré avec soin l'histoire de ce grand royaume, que vous êtes obligé de
rendre heureux. Mais de peur que ces histoires et celles que vous avez encore à
apprendre ne se confondent dans voire esprit, il n'y a rien de plus nécessaire
que de vous représenter distinctement, mais en raccourci, toute la suite des
siècles.
Cette manière d'histoire
universelle est à l'égard des histoires de chaque pays et de chaque peuple, ce
qu'est une carte générale à l'égard des cartes particulières. Dans les cartes
particulières .vous voyez tout le détail d'un royaume, ou d'une province en
elle-même : dans les cartes universelles vous apprenez à situer ces parties du
monde dans leur tout; vous voyez ce que Paris ou l’Ile de France est dans le
royaume, ce que le royaume est dans l'Europe, et ce que l'Europe est dans
l'univers. Ainsi les histoires particulières représentent la suite des choses
qui sont arrivées à un peuple dans tout leur détail : mais afin de tout
entendre, il faut savoir le rapport que chaque histoire peut avoir avec les
autres; ce qui se fait par un abrégé où l'on voie comme d'un coup d'œil tout
l’ordre des temps.
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Un tel abrégé, Monseigneur, vous
propose un grand spectacle. Vous voyez tous les siècles précédents se développer
pour ainsi dire en peu d'heures devant vous : vous voyez comme les empires se
succèdent les uns aux autres, et comme la religion dans ses différents états se
soutient également depuis le commencement du monde jusqu'à notre temps.
C'est la suite de ces deux
choses, je veux dire celle de la religion et celle des empires, que vous devez
imprimer dans votre mémoire ; et comme la religion et le gouvernement politique
sont les deux points sur lesquels roulent les choses humaines, voir ce qui
regarde ces choses renfermé dans un abrégé, et en découvrir par ce moyen tout
l'ordre et toute la suite, c'est comprendre dans sa pensée tout ce qu'il y a de
grand parmi les hommes, et tenir pour ainsi dire le fil de toutes les affaires
de l’univers.
Comme donc en considérant une
carte universelle, vous sortez du pays où vous êtes né, et du heu qui vous
renferme, pour parcourir toute la terre habitable, que vous embrassez par la
pensée avec toutes ses mers et tous ses pays : ainsi en considérant l'abrégé
chronologique, vous sortez des bornes étroites de votre âge, et vous vous
étendez dans tous les siècles.
Mais de même que, pour aider sa
mémoire dans la connaissance des lieux, on retient certaines villes principales,
autour desquelles on place les autres, chacune selon sa distance : ainsi, dans
l'ordre des siècles, il faut avoir certains temps marqués par quelque grand
événement auquel on rapporte tout le reste.
C'est ce qui s'appelle Époque,
d'un mot grec qui signifie s'arrêter, parce qu'on s'arrête là, pour
considérer comme d'un heu de repos tout ce qui est arrivé devant ou après, et
éviter par ce moyen les anachronismes, c'est-à-dire cette sorte d'erreur qui
fait confondre les temps.
Il faut d'abord s'attacher à un
petit nombre d'époques, telles que sont dans les temps de l'histoire ancienne,
Adam, ou la création; Noé, ou le déluge; la vocation d'Abraham, ou le
commencement de l'alliance de Dieu avec les hommes ; Moïse, ou la loi écrite; la
prise de Troie; Salomon, ou la fondation du temple; Romulus, ou Rome bâtie;
Cyrus, ou le peuple de Dieu délivré de
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la captivité de Babylone; Scipion, ou Carthage vaincue; la
naissance de Jésus-Christ; Constantin, ou la paix de l'Eglise; Charlemagne, ou
l'établissement du nouvel empire.
Je vous donne cet établissement
du nouvel empire sous Charlemagne, comme la fin de l'histoire ancienne, parce
que c'est là que vous verrez finir tout à fait l'ancien empire romain. C'est
pourquoi je vous arrête à un point si considérable de l'histoire universelle. La
suite vous en sera proposée dans une seconde partie, qui vous mènera jusqu'au
siècle que nous voyons illustré par les actions immortelles du Roi votre père,
et auquel l'ardeur que vous témoignez à suivre un si grand exemple fait encore
espérer un nouveau lustre.
Après vous avoir expliqué (a) en
général le dessein de cet ouvrage, j'ai trois choses à faire pour en tirer toute
l'utilité que j'en espère.
Il faut premièrement, que je
parcoure avec vous les époques que je vous propose; et que vous marquant en peu
de mots les principaux événements qui doivent être attachés à chacune d'elles,
j'accoutume votre esprit à mettre ces événements dans leur place, sans y
regarder autre chose que l'ordre des temps. Mais comme mon intention principale
est de vous faire observer dans cette suite des temps, celle de la religion et
celle des grands empires : après avoir fait aller ensemble selon le cours des
années, les faits qui regardent ces deux choses, je reprendrai en particulier
avec les réflexions nécessaires, premièrement ceux qui nous font entendre la
durée perpétuelle de la religion, et enfin ceux qui nous découvrent les causes
des grands changements arrivés dans les empires.
Après cela, quelque partie de
l'histoire ancienne que vous lisiez, tout vous tournera à profit. Il ne passera
aucun fait dont vous n'aperceviez les conséquences. Vous admirerez la suite des
conseils de Dieu dans les affaires de la religion : vous verrez aussi
l'enchaînement des affaires humaines, et parla vous connaitrez avec combien de
réflexion et de prévoyance elles doivent être gouvernées.
(a) Note marg. de la Ire édit., : Dessein de ce premier
discours, qui est divisé en trois parties.
La première époque vous présente
d'abord un grand spectacle : Dieu qui crée le ciel et la terre par sa parole, et
qui fait l'homme à son image (An du m. 1. — Av. J.-C. 4004). C'est par où
commence Moïse le plus ancien des historiens, le plus sublime des philosophes,
et le plus sage des législateurs.
Il pose ce fondement tant de son
histoire que de sa doctrine, et de ses lois. Après il nous fait voir tous les
hommes renfermés en un seul homme, et sa femme même tirée de lui; la concorde
des mariages et la société du genre humain établie sur ce fondement ; la
perfection et la puissance de l'homme, tant qu'il porte l'image de Dieu en son
entier ; son empire sur les animaux; son innocence tout ensemble et sa félicité
dans le paradis, dont la mémoire s'est conservée dans l'âge d'or des poètes; le
précepte divin donné à nos premiers parents; la malice de l'esprit tentateur, et
son apparition sous la forme du serpent; la chute d'Adam et d'Eve, funeste à
toute leur postérité ; le premier homme justement puni dans tous ses enfants, et
le genre humain maudit de Dieu; la première promesse de la rédemption, et la
victoire future des hommes sur le démon qui les a perdus.
(129 — 3875) La terre commence à
se remplir, et les crimes s'augmentent. Caïn le premier enfant d'Adam et d'Eve,
fait voir au monde naissant la première action tragique ; et la vertu commence
dès lors à être persécutée par le vice (1). Là paraissent les moeurs contraires
des deux frères : l'innocence d'Abel, sa vie
1 Gen., IV, 1, 3, 4, 8.
(a) Ire édit. : Première partie de ce discours.
Les époques.
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pastorale, et ses offrandes agréables; celles de Caïn
rejetées, son avarice, son impiété, son parricide, et la jalousie mère des
meurtres ; le châtiment de ce crime, la conscience du parricide agitée de
continuelles frayeurs; la première ville bâtie par ce méchant, qui se cherchait
un asile contre la haine et l'horreur du genre humain ; l'invention de quelques
arts par ses enfants ; la tyrannie des passions, et la prodigieuse malignité du
cœur humain toujours porté à faire le mal ; la postérité de Seth fidèle à Dieu
malgré cette dépravation (987 — 3017), le pieux Henoch miraculeusement tiré du
monde qui n'était pas digne de le posséder; la distinction des enfants de Dieu
d'avec les enfants des hommes, c'est-à-dire de ceux qui vivaient selon l'esprit
d'avec ceux qui vivaient selon la chair; leur mélange et la corruption
universelle du monde : la ruine des hommes résolue par un juste jugement de Dieu
; sa colère dénoncée aux pécheurs par son serviteur Noé (1536—2468) ; leur
impénitence, et leur endurcissement puni enfin par le déluge (1656—2348); Noé et
sa famille réservés pour la réparation du genre humain.
Voilà ce qui s'est passé en 1656
ans. Tel est le commencement de toutes les histoires, où se découvrent la
toute-puissance, la sagesse et la bonté de Dieu : l'innocence heureuse sous sa
protection : sa justice à venger les crimes, et en même temps sa patience à
attendre la conversion des pécheurs : la grandeur et la dignité de l'homme dans
sa première institution : le génie du genre humain depuis qu'il fut corrompu :
le naturel de la jalousie, et les causes secrètes des violences et des guerres,
c'est-à-dire tous les fondements de la religion et de la morale.
Avec le genre humain, Noé
conserva les arts, tant ceux qui servaient de fondement à la vie humaine et que
les hommes savaient dès leur origine, que ceux qu'ils avaient inventés depuis.
Ces premiers arts que les hommes apprirent d'abord, et apparemment de leur
créateur, sont l'agriculture (1), l'art pastoral (2), celui de se vêtir (3), et
peut-être celui de se loger. Aussi ne voyons-nous pas le commencement de ces
arts en Orient, vers les lieux d'où le genre humain s'est répandu.
1 Gen., II, 15 ; III, 17, 18, 19; IV, 2.
— 2 Ibid., IV, 2. — 3 Ibid., III, 24.
266
La tradition du déluge universel
se trouve par toute la terre. L'arche où se sauvèrent les restes du genre
humain, a été de tout temps célèbre en Orient, principalement dans les lieux où
elle s'arrêta après le déluge. Plusieurs autres circonstances de cette fameuse
histoire se trouvent marquées dans les annales et dans les traditions des
anciens peuples (1) : les temps conviennent, et tout se rapporte autant qu'on le
pouvait espérer dans une antiquité si reculée.
(1656—2348) Près du déluge se
rangent le décroissement de la vie humaine (1657—2347) ; le changement dans le
vivre, et une nouvelle nourriture substituée aux fruits de la terre ; quelques
préceptes donnés à Noé de vive voix seulement (1757—2247) ; la confusion des
langues arrivée à la tour de Babel, premier monument de l'orgueil et de la
faiblesse des hommes ; le partage des trois enfants de Noé, et la première
distribution des terres.
La mémoire de ces trois premiers
auteurs des nations et des peuples s'est conservée parmi les hommes. Japhet qui
a peuplé la plus grande partie de l'Occident y est demeuré célèbre sous le nom
fameux d'Iapet. Cham et son fils Chanaan n'ont pas été moins connus parmi les
Egyptiens et les Phéniciens ; et la mémoire de Sem a toujours duré dans le
peuple hébreu, qui en est sorti.
Un peu après ce premier partage
du genre humain, Nemrod homme farouche, devient par son humeur violente le
premier des conquérants, et telle est l'origine des conquêtes. Il établit son
royaume à Babylone (2), au même heu où la tour avait été commencée, et déjà
élevée fort haut ; mais non pas autant que le souhaitait la vanité humaine.
Environ dans le même temps Ninive
1 Beros. Chald., Hist. Chald. Hieron.
Aegypt., Phœn. Hist. Mnas. Nic. Damasc., lib. XCVI. Abyd., de Med. et
Assyr. Apud Jos. Antiq. Jud. ; lib. I, c. IV, al. V, e lib.
I cont. Apion.; et Euseb., Prœp. evang., lib. IX, c. XI, XII. Plutarch.
Opusc. Plusne solert. terr. an aquat. animat. Lucian., de Dea Syr. — 2 Gen., X,
8-11.
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fut bâtie, et quelques anciens royaumes établis. Ils
étaient petits dans ces premiers temps, et on trouve dam» la seule Egypte quatre
dynasties ou principautés, celle de Thebes, celle de Thin, celle de Memphis, et
celle de Tonis : c'était la capitale de la Basse-Egypte. On peut aussi rapporter
à ce temps le commencement des lois et de la police des Egyptiens ; celui de
leurs pyramides qui durent encore, et celui des observations astronomiques
(1771—2233), tant de ces peuples que des Chaldéens. Aussi voit-on remonter
jusqu'à ce temps, et pas plus haut, les observations que les Chaldéens,
c'est-à-dire, sans contestation, les premiers observateurs des astres, donnèrent
dans Babylone à Callisthène pour Aristote (1).
Tout commence : il n'y a point
d'histoire ancienne où il ne paroisse, non-seulement dans ces premiers temps,
mais encore longtemps après (a), des vestiges manifestes de la nouveauté du
monde. On voit les lois s'établir, les mœurs se polir, et les empires se former.
Le genre humain sort peu à peu de l'ignorance; l'expérience l'instruit, et les
arts sont inventés ou perfectionnés. A mesure que les hommes se multiplient, la
terre se peuple de proche en proche : on passe les montagnes et les précipices ;
on traverse les fleuves, et enfin les mers; et on établit de nouvelles
habitations. La terre qui n'était au commencement qu'une forêt immense, prend
une autre forme : les bois abattus font place aux champs, aux pâturages, aux
hameaux, aux bourgades et enfin aux villes. On s'instruit à prendre certains
animaux, à apprivoiser les autres, et à les accoutumer au service. On eut
d'abord à combattre les bêtes farouches. Les premiers héros se signalèrent dans
ces guerres. Elles firent inventer les armes, que les hommes tournèrent après
contre leurs semblables : Nemrod le premier guerrier et le premier conquérant
est appelé dans l'Ecriture un fort chasseur (2). Avec les animaux l'homme sut
encore adoucir les fruits et les plantes ; il plia jusqu'aux métaux à son usage,
et peu à peu il y fit servir tonte la nature. Comme il était naturel que le
temps fît inventer beaucoup de choses, il devait aussi en faire
1 Porphyr., apud Simpl. in lib.
II ; Aristot, de Cœlo. — 2 Gen., X, 9.
(a) 1re édit. : Mais longtemps après.
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oublier d'autres, du moins à la plupart des hommes. Ces
premiers arts que Noé avait conservés, et qu'on voit aussi toujours en vigueur
dans les contrées où se fit le premier établissement du genre humain, se
perdirent à mesure qu'on s'éloigna de ce pays. Il fallut, ou les rapprendre avec
le temps, ou que ceux qui les avaient conservés les reportassent aux autres.
C'est pourquoi on voit tout venir de ces terres toujours habitées, où les
fondements des arts demeurèrent en leur entier, et là même on apprenait tous les
jours beaucoup de choses importantes. La connaissance de Dieu et la mémoire de
la création s'y conserva, mais elle allait s'affaiblissant peu à peu : les
anciennes traditions s'oubliaient et s'obscurcissaient, les fables qui leur
succédèrent n'en retenaient plus que de grossières idées ; les fausses divinités
se multipliaient ; et c'est ce qui donna heu à la vocation d'Abraham.
Quatre cent vingt-six ans après
le déluge, comme les peuples marchaient chacun en sa voie, et oubliaient celui
qui les avait faits, Dieu pour empêcher Je progrès d'un si grand mal, au milieu
de la corruption, commença à se séparer un peuple élu. Abraham fut choisi pour
être la lige et le père de tous les croyants (2083—1921). Dieu l'appela dans la
terre de Chanaan où il voulait établir son culte, et les enfants de ce
patriarche, qu'il avait résolu de multiplier comme les étoiles du ciel et comme
le sable de la mer. A la promesse qu'il lui fit de donner cette terre à ses
descendants, il joignit quelque chose de bien plus illustre; et ce fut cette
grande bénédiction qui devait être répandue sur tous les peuples du monde en
Jésus-Christ sorti de sa race. C'est ce Jésus-Christ qu'Abraham honore en la
personne du grand pontife Melchisédech qui le représente : c'est à lui qu'il
paye la dîme du butin qu'il avait gagné sur les rois vaincus ; et c'est par
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lui qu'il est béni (1). Dans des richesses immenses, et
dans une puissance qui égalait celle des rois, Abraham conserva les mœurs
antiques : il mena toujours une vie simple et pastorale, qui toutefois avait sa
magnificence, que ce patriarche faisait paraître principalement en exerçant
l'hospitalité envers tout le monde. Le ciel lui donna des hôtes (2148—1856) ;
les anges lui apprirent les conseils de Dieu ; il y crut, et parut en tout plein
de foi et de piété. De son temps Inachus le plus ancien de tous les rois connus
par les Grecs, fonda le royaume d'Argos. Après Abraham, on trouve Isaac son
fils, et Jacob son petit-fils, imitateurs de sa foi et de sa simplicité dans la
même vie pastorale. Dieu leur réitère aussi les mêmes promesses qu'il avait
faites à leur père, et les conduit comme lui en toutes choses (2245—1759). Isaac
bénit Jacob au préjudice d'Esaü son frère aîné; et trompé en apparence, en effet
il exécuta les conseils de Dieu, et régla la destinée de deux peuples. Esaü eut
encore le nom d'Edom, d'où sont nommés les Iduméens, dont il est le père. Jacob
que Dieu protégeait (a) excella en tout au-dessus d'Esaü. Un ange contre qui il
eut un combat plein de mystères, lui donna le nom d'Israël, d'où ses enfants
sont appelés les Israélites. De lui naquirent les douze patriarches, pères des
douze tribus du peuple hébreu : entre autres Lévi, d'où devaient sortir les
ministres des choses sacrées; Juda, d'où devait sortir avec la race royale le
Christ Roi des rois et Seigneur des seigneurs : et Joseph, que Jacob aima plus
que tous ses autres enfants. Là se déclarent de nouveaux secrets de la
providence divine. On y voit a vaut toutes choses l'innocence et la sagesse du
jeune Joseph toujours ennemie des vices, et soigneuse de les réprimer dans ses
frères ; ses songes mystérieux et prophétiques (2276—1728); ses frères jaloux,
et la jalousie cause pour la seconde fois d'un parricide : la vente de ce grand
homme : la fidélité qu'il garde à son maître, et sa chasteté admirable : les
persécutions qu'elle lui attire ; sa prison et sa constance (2287-1717) : ses
prédictions : sa délivrance miraculeuse:
1 Hebr., VII, 1, 2, 3 et seq.
(a) 1ère édit. : Et trompé en apparence; en
effet il exécuta les desseins de Dieu. Jacob que Dieu protégeait.
270
cette fameuse explication des songes de Pharaon (2289—1715)
: le mérite d'un si grand homme reconnu : son génie élevé et droit, et la
protection de Dieu qui le fait dominer partout où il est : sa prévoyance : ses
sages conseils, et son pouvoir absolu dans le royaume de la Basse-Egypte
(2298—1706) ; par ce moyen le salut de son père Jacob et de sa famille. Cette
famille chérie de Dieu s'établit ainsi dans cette partie de l'Egypte dont Tanis
était la capitale, et dont les rois prenaient tous le nom de Pharaon.
(2315—1689) Jacob meurt, et un peu devant sa mort il fait cette célèbre
prophétie, où découvrant à ses enfants l'état de leur postérité, il découvre eu
particulier à Juda le temps du Messie qui devait sortir de sa race. La maison de
ce patriarche devient un grand peuple en peu de temps : cette prodigieuse
multiplication excite la jalousie des Egyptiens : les Hébreux sont injustement
haïs, et impitoyablement persécutés (2433-1571). Dieu fait naître Moïse leur
libérateur, qu'il délivre des eaux du Nil, et le fait tomber entre les mains de
la fille de Pharaon : elle l'élève comme son fils, et le fait instruire dans
toute la sagesse des Egyptiens. En ces temps les peuples d'Egypte s'établirent
en divers endroits de la Grèce. La colonie que Cécrops amena d'Egypte fonda
douze villes, ou plutôt douze bourgs dont il composa le royaume d'Athènes
(2448—1556), et où il établit avec les lois de son pays les dieux qu'on y
adorait. Un peu après arriva le déluge de Deucalion dans la Thessalie, confondu
par les Grecs avec le déluge universel (1). Hellen fils de Deucalion régna en
Phtie pays de la Thessalie, et donna son nom à la Grèce. Ses peuples auparavant
appelés Grecs, prirent toujours depuis le no m d'Hellènes, quoique les Latins
leur aient conservé leur ancien nom. Environ dans le même temps Cadmus fils
d'Agénor transporta en Grèce une colonie de Phéniciens, et fonda la ville de
Thebes dans la Béotie. Les dieux de Syrie et de Phénicie entrèrent avec lui dans
la Grèce. Cependant Moïse s'avançait en âge (2473—1531). A quarante ans il
méprisa les richesses de la Cour d'Egypte; et touché des maux de ses frères les
Israélites, il se mit en péril pour les soulager. Ceux-ci loin de profiter de
son zèle et de son courage,
1 Marm. Arund., seu Aera Att.
271
l'exposèrent à la fureur de Pharaon, qui résolut sa perte.
Moïse se sauva d'Egypte en Arabie, dans la terre de Madian, où sa vertu toujours
secourable aux oppressés, lui fit trouver une retraite assurée. Ce grand homme
perdant l'espérance de délivrer son peuple, ou attendant un meilleur temps,
avait passé quarante ans à paître les troupeaux de son beau-père Jethro, quand
il vit dans le désert le buisson ardent, et entendit la voix du Dieu de ses
pères, qui le renvoyait en Egypte pour tirer ses frères de la servitude
(2513—1491). Là paraissent l'humilité, le courage et les miracles de ce divin
législateur ; l'endurcissement de Pharaon, et les terribles châtiments que Dieu
lui envoie ; la Pâque, et le lendemain le passage de la mer Rouge ; Pharaon et
les Egyptiens ensevelis dans les eaux, et l'entière délivrance des Israélites.
Les temps de la loi écrite
commencent (2313—1491). Elle mt donnée à Moïse 430 ans après la vocation
d'Abraham, 856 ans après le déluge, et la même année crue le peuple hébreu
sortit d'Egypte. Cette date est remarquable, parce qu'on s'en sert pour désigner
tout le temps qui s'écoule depuis Moïse jusqu'à Jésus-Christ. Tout ce temps est
appelé le temps de la loi écrite, pour le distinguer du temps précédent qu'on
appelle le temps de la loi de nature, où les hommes n'avaient pour se gouverner
que la raison naturelle et les traditions de leurs ancêtres.
Dieu donc ayant affranchi son
peuple de la tyrannie des Egyptiens pour le conduire en la terre où il veut être
servi, avant que de l'y établir, lui propose la loi selon laquelle il y doit
vivre, n écrit de sa propre main sur deux tables qu'il donne à Moïse au haut du
mont Sinaï, le fondement de cette loi, c'est-à-dire le Décalogue, ou les dix
commandements qui contiennent les premiers principes du culte de Dieu et de la
société humaine. Il dicte au même Moïse les autres préceptes, par lesquels il
établit le tabernacle,
272
figure du temps futur (1) ; l'arche où Dieu se montrait
présent par ses oracles, et où les tables de la loi étaient renfermées;
l’élévation d'Aaron frère de Moïse ; le souverain sacerdoce, ou le pontificat,
dignité unique donnée à lui et à ses enfants; les cérémonies de leur sacre, et
la forme de leurs habits mystérieux ; les fonctions des prêtres, enfants d'Aaron
; celles des lévites, avec les autres observances de la religion ; et ce qu'il y
a de plus beau, les règles des bonnes mœurs, la police et le gouvernement de son
peuple élu, dont il veut être lui-même le législateur. Voilà ce qui est marqué
par l'époque de la loi écrite. Après on voit le voyage continué dans le désert ;
les révoltes, les idolâtries, les châtiments, les consolations du peuple de
Dieu, que ce législateur tout-puissant forme peu à peu par ce moyen (2552—1452)
; le sacre d'Eléazar souverain pontife, et la mort de son père Aaron ; le zèle
de Phinées fils d'Eléazar, et le sacerdoce assuré à ses descendants par une
promesse particulière. Durant ces temps les Egyptiens continuent l'établissement
de leurs colonies en divers endroits, principalement dans la Grèce, où Danaüs
Egyptien, se fait roi d'Argos, et dépossède les anciens rois venus d'Inachus
(2553—1451). Vers la fin des voyages du peuple de Dieu dans le désert, on voit
commencer les combats, que les prières de Moïse rendent heureux. Il meurt, et
laisse aux Israélites toute leur histoire, qu'il avait soigneusement digérée dès
l'origine du monde jusques au temps de sa mort. Cette histoire est continuée par
l'ordre de Josué et de ses successeurs, On la divisa depuis en plusieurs livres
; et c'est de là que nous sont venus le livre de Josué, le livre des
Juges, et les quatre livres des Rois. L'histoire que Moïse avait
écrite, et où toute la loi était renfermée, tut aussi partagée en cinq livres
qu'on appelle Pentateuque, et qui sont le fondement de la religion. Après
la mort de l'homme de Dieu, on trouve les guerres de Josué (2559—1445), la
conquête et le partage de la Terre-Sainte, et les rébellions du peuple châtié et
rétabli à diverses fois. Là se voient les victoires d'Othoniel, qui le délivre
de la tyrannie do Chusan roi de Mésopotamie (2599-1403) ; et quatre-vingts ans
après celle d'Aod sur Eglon roi de Moab
1 Hebr., IX, 9, 13.
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(2679—1325). Environ ce temps Pélops, Phrygien fils de
Tantale règne dans le Péloponnèse, et donne son nom à cette fameuse contrée
(2682—1322). Bel roi des Chaldéens reçait de ces peuples les honneurs divins
(2699—1305). Les Israélites ingrats retombent dans la servitude. Jabin roi de
Chanaan les assujettit ; mais Debora la prophétesse qui jugeait le peuple, et
Barac fils d'Abinoem, défont Sisara, général des armées de ce roi (2719—1283).
Quarante ans après, Gédéon, victorieux, sans combattre, poursuit et abat les
Madianites (2759—1245). Abimelech son fils usurpe l'autorité par le meurtre de
ses frères (2768—1236), l'exerce tyranniquement, et la perd enfin avec la vie
(2817—1187). Jephté ensanglante sa victoire par un sacrifice qui ne peut être
excusé que par un ordre secret de Dieu, sur lequel il ne lui a pas plu de nous
rien faire connaître. Durant ce siècle, il arrive des choses très-considérables
parmi les Gentils. Car en suivant la supputation d'Hérodote (1) qui paraît la
plus exacte, il faut placer en ces temps, 514 ans devant Rome, et du temps de
Debora, Nimis fils de Bel, et la fondation du premier empire des Assyriens
(2737— 1267). Le siège en fut établi à Ninive, ville ancienne et déjà célèbre
(2), mais ornée et illustrée par Ninus. Ceux qui donnent 1300 ans aux premiers
Assyriens ont leur fondement dans l'antiquité de la ville ; et Hérodote qui ne
leur en donne que 520, ne parle que de la durée de l'empire qu'ils ont commencé
sous Ninus fils de Bel à étendre dans la haute Asie. Un peu après, et durant le
règne de ce conquérant, on doit mettre la fondation, ou le renouvellement de
l'ancienne ville de Tyr, que la navigation et ses colonies rendent si célèbre
(3) (2752—1252). Dans la suite, et quelque temps après Abimelech, on trouve les
fameux combats d'Hercule fils d'Amphitryon, et ceux de Thésée roi d'Athènes, qui
ne fit qu'une seule ville des douze bourgs de Cécrops, et donna une meilleure
forme au gouvernement des Athéniens. Durant le temps de Jephté, pendant que
Sémiramis veuve de Ninus, et tutrice de Ninyas, augmentait l'empire des
Assyriens par ses conquêtes, la célèbre ville de Troie déjà prise une fois par
les
1 Herod., lib. 1, c. 95. — 2 Gen., X,
11. — 3 Josue, XIX, 29; Joseph., Antiq., lib. VIII, cap. II.
274
Grecs sous Laomédon son troisième roi, fut réduite en
cendres; encore par les Grecs, sous Priam fils de Laomédon, après un siège de
dix ans (2820—1184).
(2820—1184). Cette époque de la
ruine de Troie, arrivée environ l'an 308 après la sortie d'Egypte, et 1164 ans
après le déluge, est considérable, tant à cause de l'importance d'un si grand
événement célébré par les deux plus grands poètes de la Grèce et de l'Italie,
qu'à cause qu'on peut rapporter à cette date ce qu'il y a de plus remarquable
dans les temps appelés fabuleux ou héroïques : fabuleux, à cause des fables dont
les histoires de ces temps sont enveloppées ; héroïques, à cause de ceux que les
poètes ont appelés les Enfants des dieux, et les Héros. Leur vie n'est pas
éloignée de cette prise. Car du temps de Laomédon père de Priam, paraissent tous
les héros de la toison d'or, Jason, Hercule, Orphée, Castor et Pollux, et les
autres qui sont connus (a); et du temps de Priam même, durant le dernier siège
de Troie, on voit les Achille, les Agamemnon, les Ménélas, les Ulysse, Hector,
Sarpédon fils de Jupiter, Enée fils de Vénus, que les Romains reconnaissent pour
leur fondateur, et tant d'autres, dont des familles illustres et des nations
entières ont fait gloire de descendre. Cette époque est donc propre pour
rassembler ce que les temps fabuleux ont de plus certain et de plus beau. Mais
ce qu'on voit dans l'histoire sainte est en toutes façons plus remarquable : la
force prodigieuse d'un Samson (2887—1177), et sa faiblesse étonnante; Héli
souverain pontife, vénérable par sa piété, et malheureux par le crime de ses
enfants (2888—1176); Samuel juge irréprochable, et prophète choisi de Dieu pour
sacrer les rois (2909— 4095) ; Saül premier roi du peuple de Dieu, ses
victoires, sa présomption à sacrifier sans les prêtres, sa désobéissance mal
excusée
(a) 1ère édit. ; Qui vous sont connus.
275
par le prétexte de la religion, sa réprobation, sa chute
funeste. En ce temps Codrus, roi d'Athènes, te dévoua à la mort pour le salut de
son peuple, et lut donna la victoire par sa mort. Ses enfants Médon et Nilée
disputèrent entre eux le royaume. A cette occasion les Athéniens abolirent la
royauté, et déclarèrent Jupiter le seul roi du peuple d'Athènes. Ils créèrent
des gouverneurs, ou présidents perpétuels, mais sujets à rendre compte de leur
administration. Ces magistrats furent appelés Archontes. Médon fils de Cedrus
fut le premier qui exerça cette magistrature, et elle demeura longtemps dans sa
famille. Les Athéniens répandirent leurs colonies dans cette partie de
l'Asie-Mineure qui fût appelée Ionie. Les colonies Italiennes se firent à peu
près dans le même temps, et toute l'Asie-Mineure se remplit de villes grecques
(3949—1055). Après Saül paraît un David, cet admirable berger, vainqueur du fier
Goliath, et de tous les ennemis du peuple de Dieu ; grand roi, grand conquérant,
grand prophète digne de chanter les merveilles de la toute-puissance divine;
homme enfin selon le cœur de Dieu, comme il le nomme lui-même, et qui par sa
pénitence a fait même tourner son crime à la gloire de son Créateur (2970—1031).
A ce pieux guerrier succéda son fils Salomon (2990—1014), sage, juste,
pacifique, dont les mains pures de sang furent jugées dignes de bâtir le temple
de Dieu (2992-1012).
Ce fut environ l'an 3000 du
monde, le 488 depuis la sortie d'Egypte ; et pour ajuster les temps de
l'histoire sainte avec ceux de la profane, 180 ans après la prise de Troie, 250
devant la fondation de Home, et 1000 ans devant Jésus-Christ, que Salomon acheva
ce merveilleux édifice (3000—1005). Il en célébra la dédicace avec une piété et
une magnificence extraordinaires. Cette célèbre action est suivie des autres
merveilles du règne de Salomon, qui finit par de honteuses faiblesses. Il
s'abandonne à l'amour
276
des femmes ; son esprit baisse, son cœur s'affaiblit, et sa
piété dégénère en idolâtrie (3001—1004). Dieu justement irrité l'épargne en
mémoire de David son serviteur ; mais il ne voulut pas laisser son ingratitude
entièrement impunie : il partagea son royaume après sa mort, et sous son fils
Roboam (3029—975). L'orgueil brutal de ce jeune prince lui fit perdre dix
tribus, que Jéroboam sépara de leur Dieu, et de leur roi. De peur qu'ils ne
retournassent au roi de Juda, il défendit d'aller sacrifier au temple de
Jérusalem ; et il érigea ses veaux d'or auxquels il donna le nom du Dieu
d'Israël, afin que le changement parût moins étrange. La même raison lui fit
retenir la loi de Moïse, qu'il interprétait à sa mode ; mais il en faisait
observer presque toute la police, tant civile que religieuse (1) ; de sorte que
le Pentateuque demeura toujours en vénération dans les tribus séparées.
Ainsi fut élevé le royaume
d'Israël contre le royaume de Juda. Dans celui d'Israël triomphèrent l'impiété
et l'idolâtrie. La religion souvent obscurcie dans celui de Juda ne laissa pas
de s'y conserver. En ces temps les rois d'Egypte étaient puissants. Les quatre
royaumes avaient été réunis sous celui de Thèbes. On croit que Sésostris ce
fameux conquérant des Egyptiens, est le Sésac roi d'Egypte, dont Dieu se servit
pour châtier l'impiété de Roboam (3035—971). Dans le règne d'Abiam fils de
Roboam, on voit la fameuse victoire que la piété de ce prince lui obtint sur les
tribus schismatiques (3087—917). Son fils Asa, dont la piété est louée dans
l'Ecriture, y est marqué comme un homme qui songeait plus dans ses maladies au
secours de la médecine, qu'à la bonté de Dieu (a). De son temps Amri roi
d'Israël bâtit Samarie (3080—924), où il établit le siège de son royaume. Ce
temps est suivi du règne admirable de Josaphat, où fleurissent la piété, la
justice, la navigation et l'art militaire (3090—914). Pendant qu'il faisait voir
au royaume de Juda un autre David, Achab et sa femme Jézabel qui régnaient en
Israël, joignaient à l'idolâtrie de Jéroboam toutes les impiétés des Gentils.
Ils périrent tous deux misérablement (3105—899). Dieu qui avait supporté
1 III Reg., XII, 32.
(a) 1re édit.: Qu'à la bonté de son Dieu.
277
leurs idolâtries, résolut de venger sur eux le sang de
Naboth qu'ils avaient fait mourir, parce qu'il avait refusé, comme l'ordonnait
la loi de Moïse, de leur vendre à perpétuité l'héritage de ses pères. Leur
sentence leur fut prononcée par la bouche du prophète Elie. Achab fut tué
quelque temps après, malgré les précautions qu'il prenait pour se sauver
(3107—897). Il faut placer vers ce temps la fondation de Carthage (3112—892),
que Didon venue de Tyr bâtit en un lieu où, à l'exemple de Tyr, elle pou-vait
trafiquer avec avantage, et aspirer à l'empire de la mer. Il est malaisé de
marquer le temps où elle se forma en république; mais le mélange des Tyriens et
des Africains fit qu'elle fut tout ensemble guerrière et marchande. Les anciens
historiens qui mettent son origine devant la ruine de Troie, peuvent faire
conjecturer que Didon l'avait plutôt augmentée et fortifiée, qu'elle n'en avait
posé les fondements. Les affaires changèrent de face dans le royaume de Juda
(3116—888). Athalia fille d'Achab et de Jézabel porta avec elle l'impiété dans
la maison de Josaphat. Joram fils d'un prince si pieux, aima mieux imiter son
beau-père que son père. La main de Dieu fut sur lui. Son règne fut court, et sa
fin fut affreuse (3119—885), Au milieu de ces châtiments, Dieu faisait des
prodiges inouïs, même en faveur des Israélites qu'il voulait rappeler à la
pénitence. Ils virent, sans se convertir, les merveilles d’Elie et d'Elisée, qui
prophétisèrent durant les règnes d'Achab et de cinq de ses successeurs. En ce
temps Homère fleurit (1), et Hésiode fleurissait trente ans avant lui. Les mœurs
antiques qu'ils nous représentent, et les vestiges qu'ils gardent encore, avec
beaucoup de grandeur, de l'ancienne simplicité, ne servent pas peu à nous faire
entendre les antiquités beaucoup plus reculées, et la divine simplicité de
l'Ecriture. Il y eut des spectacles effroyables dans les royaumes de Juda et
d'Israël (3120—88-4). Jézabel fut précipitée du haut d'une tour par ordre de
Jéhu. Il ne lui servit de rien de s'être parée : Jéhu la fit fouler aux pieds
des chevaux. Il fit tuer Joram roi d'Israël fils d'Achab ; toute la maison
d'Achab fut exterminée, et peu s'en fallut qu'elle n'entraînât celle des rois de
Juda dans sa ruine. Le
1 Marm. Arund.
278
roi Ochozias fils de Joram roi de Juda, et d'Athalie, fut
tué dans Samarie avec ses frères, comme allié et ami des enfants d'Achab.
Aussitôt que cette nouvelle fut portée à Jérusalem, Athalie résolut de faire
mourir tout ce qui restait de la famille royale, sans épargner ses enfants, et
de régner par la perte de tous les siens. Le seul Joas fils d'Ochozias, enfant
encore au berceau, fut dérobé à la fureur de son aïeule. Josabeth sœur
d'Ochozias, et femme de Joïada souverain pontife, le cacha dans la maison de
Dieu, et sauva ce précieux reste de la maison de David. Athalie qui le crut tué
avec tous les autres, vivait sans crainte. Lycurgue donnait des lois à
Lacédémone. Il est repris de les avoir faites toutes pour la guerre, à l'exemple
de Minos, dont il avait suivi les institutions, et d'avoir peu pourvu à la
modestie des femmes, pendant que pour faire des soldats, il obligeait les hommes
à une vie si laborieuse et si tempérante. Rien ne remuait en Judée contre
Athalie : elle se croyait affermie par un règne de six ans. Mais Dieu lui
nourrissait un vengeur dans l'asile sacré de son temple (3126—878). Quand il eut
atteint l'âge de sept ans, Joïada le fit connaître à quelques-uns des principaux
chefs de l'armée royale, qu'il avait soigneusement ménagés ; et assisté des
lévites, il sacra le jeune roi dans le temple. Tout le peuple reconnut sans
peine l'héritier de David et de Josaphat, Athalie accourue au bruit pour
dissiper la conjuration, fut arrachée de l'enclos du temple, et reçut le
traitement que ses crimes méritaient. Tant que Joïada vécut, Joas fit garder la
loi de Moïse. Après la mort de ce saint pontife, corrompu par les flatteries de
ses courtisans, il s'abandonna avec eux à l'idolâtrie (3164—840). Le pontife
Zacharie fils de Joïada, voulut les reprendre ; et Joas, sans se souvenir de ce
qu'il devait à son père, le fit lapider. La vengeance suivit de près (3165—839).
L'année suivante Joas battu par les Syriens, et tombé dans le mépris, fut
assassiné par les siens ; et Amasias son fils, meilleur que lui, fut mis sur le
trône (3179—825). Le royaume d'Israël abattu par les victoires des rois de
Syrie, et par les guerres civiles, reprenait ses forces sous Jéroboam II, plus
pieux que ses prédécesseurs. Ozias, autrement nommé Azarias,
1 Plat., de Rep., lib. VIII; de Leg., lib. I; Arist.,
Polit, lib. II, c. IX.
279
fils d'Amazias, ne gouvernait pas avec moins de gloire le
royaume de Juda (319—810). C'est ce fameux Ozias frappé de la lèpre, et tant de
fois repris dans l'Ecriture, pour avoir en ses derniers jours osé entreprendre
sur l'office sacerdotal ; et contre la défense de la loi, avoir lui-même offert
de l'encens sur l'autel des parfums. Il fallut le séquestrer, tout roi qu'il
était, selon la loi de Moïse : et Joatham son fils, qui fut depuis son
successeur, gouverna sagement le royaume. Sous le règne d'Ozias, les saints
prophètes, dont les principaux en ce temps furent Osée et Isaïe, commencèrent à
publier leurs prophéties par écrit et dans des livres particuliers, dont ils
déposaient les originaux dans le temple, pour servir de monument à la postérité.
Les prophéties de moindre étendue, et faites seulement de vive voix,
s'enregistraient selon la coutume dans les archives du temple avec l'histoire du
temps (3228—776). Les jeux olympiques institués par Hercule, et longtemps
discontinués, furent rétablis. De ce rétablissement sont venues les olympiades,
par où les Grecs comptaient les années. A ce terme finissent les temps que
VaiTon nomme fabuleux, parce que jusqu'à celte date les histoires profanes sont
pleines de confusion et de fables; et commencent les temps historiques, où les
affaires du monde sont racontées par des relations plus fidèles et plus
précises. La première olympiade est marquée par la victoire de Corèbe. Elles se
renouvelaient tous les cinq ans, et après quatre ans révolus. Là, dans
rassemblée de toute la Grèce, à Pise premièrement, et dans la suite à Elide, se
célébraient ces fameux combats, où les vainqueurs étaient couronnés avec des
applaudissements incroyables. Ainsi les exercices étaient en honneur, et la
Grèce devenait tous les jours plus forte et plus polie. L'Italie était encore
presque toute sauvage. Les rois latins de la postérité d'Enée régnaient à Albe.
Phul était roi d'Assyrie. On le croit père de Sardanapale, appelé, selon la
coutume des Orientaux, Sardan-Pul, c'est-à-dire Sardan fils de Phul. On croit
aussi que ce Phul, ou Pul, a été le roi de Ninive qui fit pénitence avec tout
son peuple à la prédication de Jouas (3233— 771). Ce prince attiré par les
brouilleries du royaume d'Israël,
1 Osée, I,1 ; Isa., I, 1.
280
venait l’envahir : mais apaisé par Manahem, il l'affermit
dans le trône qu'il venait d'usurper par violence, et reçut en reconnaissance un
tribut de mille talents. Sous son fils Sardanapale, et après Alcmaeon dernier
archonte perpétuel des Athéniens, ce peuple que son humeur conduisait
insensiblement à l'état populaire, diminua le pouvoir de ses magistrats, et
réduisit à dix ans l'administration des archontes. Le premier de cette sorte fut
Charops. Romulus et Rémus sortis des anciens rois d'Albe par leur mère Iha,
rétablirent dans le royaume d'Albe leur grand-père Numitor, que son frère
Amulius en avait dépossédé ; et incontinent après ils fondèrent Rome, pendant
que Joatham régnait en Judée.
Cette ville qui devait être la
maîtresse de l'univers, et dans la suite le siège principal de la religion, fut
fondée sur la fin de la troisième année de la sixième olympiade ( 3250—75-4 ) ;
430 ans environ après la prise de Troie, de laquelle les Romains croyaient que
leurs ancêtres étaient sortis, et 753 ans devant Jésus-Christ (an de Rome 1).
Romulus nourri durement avec les bergers, et toujours dans les exercices de la
guerre, consacra cette ville au dieu de la guerre, qu'on croyait son père (a)
(an de R. 6—avant J.-C. 748). Vers les temps de la naissance de Rome, arriva
parla mollesse de Sardanapale, la chute du premier empire des Assyriens. Les
Mèdes, peuple belliqueux, animés par les discours d'Arbace leur gouverneur,
donnèrent à tous les sujets de ce prince efféminé l'exemple de le mépriser. Tout
se révolta contre lui, et il périt enfin dans sa ville capitale, où il se vit
contraint à se brûler lui-même avec ses femmes, ses eunuques et ses richesses.
Des ruines de cet empire on voit sortir trois grands royaumes. Arbace ou Orbace,
que quelques-uns appellent Pharnace, affranchit les Mèdes, qui après une assez
longue anarchie eurent des rois très-puissants. Outre cela, incontinent après
Sardanapale , on voit paraître un nouveau royaume des Assyriens
(a) 1re édit. : Qu'il disait son père.
281
(7—747), dont Ninive demeura la capitale, et un royaume de
Babylone. Ces deux derniers royaumes ne sont pas inconnus aux auteurs profanes,
et sont célèbres dans l'histoire sainte. Le second royaume de Ninive est fondé
par Thilgath, ou Theglath fils de Phalasar, appelé pour cette raison
Theglathphalasar, à qui on donne aussi le nom de Ninus le Jeune. Baladan, que
les Grecs nomment Bélésis, établit le royaume de Babylone, où il est connu sous
le nom de Nabonassar. De là l'ère de Nabonassar, célèbre chez Ptolomée et les
anciens astronomes, qui comptaient leurs années par le règne de ce prince. Il
est bon d'avertir ici que ce mot d'ère signifie un dénombrement d'années
commencé à un certain point que quelque grand événement fait remarquer (14—740).
Achaz roi de Juda impie et méchant, pressé par Razin roi de Syrie, et par Phacee
fils de Romélias roi d'Israël, au lieu de recourir à Dieu qui lui suscitait ces
ennemis pour le punir, appela Theglathphalasar premier roi d'Assyrie ou de
Ninive, qui réduisit à l'extrémité le royaume d'Israël, et détruisit tout à fait
celui de Syrie : mais en même temps il ravagea celui de Juda qui avait imploré
son assistance. Ainsi les rois d'Assyrie apprirent le chemin de la Terre-Sainte,
et en résolurent la conquête (33—721). Ils commencèrent par le royaume d'Israël,
que Salmanasar fils et successeur de Theglathphalasar détruisit entièrement.
Osée roi d'Israël s'était fié au secours de Sabacon, autrement nommé Sua, ou
Soüs roi d'Ethiopie, qui avait envahi l'Egypte. Mais ce puissant conquérant ne
put le tirer des mains de Salmanasar. Les dix tribus où le culte de Dieu s'était
éteint, furent transportées à Ninive ; et dispersées parmi les Gentils s'y
perdirent tellement, qu'on ne peut plus en découvrir aucune trace. Il en resta
quelques-uns, qui furent mêlés parmi les Juifs, et firent une petite partie du
royaume de Juda ( 39—715 ). En ce temps arriva la mort de Romulus. Il fut
toujours en guerre, et toujours victorieux; mais au milieu des guerres, il jeta
les fondements de la religion et des lois. Une longue paix donna moyen à Numa
son successeur d'achever l'ouvrage (40—714). Il forma la religion, et adoucit
les mœurs farouches du peuple romain. De son temps les colonies venues de
Corinthe, et de quelques
282
autres villes de Grèce, fondèrent Syracuse en Sicile,
Crotone, Tarente, et peut-être quelques autres villes dans cette partie de
l'Italie, à qui de plus anciennes colonies grecques répandues dans tout le pays
avaient déjà donné le nom de Grande-Grèce. Cependant Ezechias le plus
pieux et le plus juste de tous les rois après David, régnait en Judée.
Sennachérib fils et successeur de Salmanasar, l'assiégea dans Jérusalem avec une
armée immense ( M—710) : elle périt en une nuit par la main d'un ange. Ezechias
délivré d'une manière si admirable servit Dieu, avec tout son peuple, plus
fidèlement que jamais. Mais après la mort de ce prince et sous son fils Manassès,
le peuple ingrat oublia Dieu, et les désordres se multiplièrent ( 56—698 ).
L'état populaire se formait alors parmi les Athéniens, et ils commencèrent à
choisir les archontes annuels, dont le premier fut Créon ( 67—687). Pendant que
l'impiété s'augmentait dans le royaume de Juda, la puissance des rois d'Assyrie,
qui devaient en être les vengeurs, s'accrut sous Asaraddon fils de Sennacherib
(73—681). Il réunit le royaume de Babylone à celui de Ninive, et égala dans la
grande Asie la puissance des premiers Assyriens (a). Les Mèdes commençaient
aussi à se rendre considérables. Déjocès leur premier roi, que quelques-uns
prennent pour l'Arphaxad nommé dans le livre de Judith (b), fonda la superbe
ville d'Ecbatanes, et jeta les fondements d'un grand empire. Ils l'avaient mis
sur le trône pour couronner ses vertus, et mettre fin aux désordres que
l'anarchie
(a) Passage supprimé: Sous son règne, les Cuthéens, peuples
d'Assyrie, depuis appelés Samaritains, furent envoyés pour habiter Samaria.
Ceux-ci joignirent le culte de Dieu avec celui des idoles, et obtinrent d'Asaraddon
un prêtre israélite qui leur apprît le service du Dieu du pays, c'est-à-dire les
observances de la loi de Moïse. Dieu ne voulut pas que son nom fût entièrement
aboli dans une terre qu'il avait donnée à son peuple, et il y laissa sa loi en
témoignage. Mais leur prêtre ne leur donna que les livres de Moïse, que les dix
tribus révoltées avaient retenus dans leur schisme. Les Ecritures composées
depuis par les prophètes qui sacrifiaient dans le temple, étaient détestées
parmi eux ; et c'est pourquoi les Samaritains ne reçoivent encore aujourd'hui
que le Pentateuque.
Pendant qu'Asaraddon et les
Assyriens s'établissaient si puissamment dans la grande Asie, les Mèdes
commençaient aussi... Dans une addition qu'on trouvera plus loin , Dossuet
reproduit la plus grande partie de ce passage, et rassemble sous un seul point
de vue tout ce qui regarde les Samaritains.— (b) 1re édit.: Déjocès
leur premier roi, nommé Arphaxad dans l'Ecriture.
283
causait parmi eux (1). Conduits par un si grand roi, ils se
soutenaient contre leurs voisins, mais ils ne s'étendaient pas. Rome
s'accroissait, mais faiblement ( 83—671). Sous Tullus Hostilius, son troisième
roi, et par le fameux combat des Horaces et des Curiaces, Albe fut vaincue et
ruinée : ses citoyens incorporés à la ville victorieuse, l'agrandirent et la
fortifièrent. Romulus avait pratiqué le premier ce moyen d'augmenter la ville,
où il reçut les Sabins et les autres peuples vaincus. Ils oubliaient leur
défaite , et devenaient des sujets affectionnes. Rome en étendant ses conquêtes
réglait sa milice ; et ce fut sous Tullus Hostilius qu'elle commença à apprendre
cette belle discipline qui la rendit dans la suite maîtresse de l'univers. Le
royaume d'Egypte affaibli par ses longues divisions, se rétablissait sous
Psammétique (84—670). Ce prince qui devait son salut aux Ioniens et aux Cariens,
les établit dans l'Egypte fermée jusqu'alors aux étrangers. A cette occasion les
Egyptiens entrèrent en commerce avec les Grecs ; et depuis ce temps aussi
l'histoire d'Egypte, jusque-là mêlée de fables pompeuses par l'artifice des
prêtres, commence, selon Hérodote (2), à avoir de la certitude. Cependant les
rois d'Assyrie devenaient de plus en plus redoutables à tout l'Orient (97—657).
Saosduchin, fils d'Asaraddon, qu'on croit être le Nabuchodonosor du livre de
Judith, défit en bataille rangée Arphaxad roi des Mèdes, quel qu'il sait
(98—656). Si ce n'est pas Déjocès lui-même premier fondateur d'Ecbatanes, ce
peut être Phraorte ou Aphraarte son fils qui en éleva les murailles. Enflé de sa
victoire, le superbe roi d'Assyrie entreprit de conquérir toute la terre (a).
Dans ce dessein il passa l’Euphrate, et ravagea fout jusqu'en Judée. Les Juifs
avaient irrité Dieu, et s'étaient abandonnés à l'idolâtrie à l'exemple de
Manassès ; mais ils avaient fait pénitence avec ce prince : Dieu les prit aussi
en sa protection. Les conquêtes de Nabuchodonosor et d'Holopherne son général,
furent tout à coup arrêtées par la main d'une femme. Déjocès quoique battu par
les Assyriens, laissa son royaume en état de s'accroître sous ses
1 Hérode lib. I, cap. XCVI. — 2 Herod., lib. II, cap. CLIV.
(a) Ire édit.: Saosduchin fils d'Asaraddon, appelé
Nabuchodonosor dans le livre de Judith, défit en bataille rangée Arphaxad roi
des Mèdes. Enflé de ce succès, il entreprit de conquérir toute la terre.
284
successeurs. Pendant que Phraorte son fils, et Cyaxare fils
de Phraorte subjuguaient la Perse, et poussaient leurs conquêtes dans
l'Asie-Mineure jusques aux bords de l'Halis, la Judée vit passer le règne
détestable d'Amon ( 111—643) fils de Manassès; et Josias fils d'Amon, sage dès
l'enfance, travaillait à réparer les désordres causés par l'impiété des rois ses
prédécesseurs (113—641). Rome qui avait pour roi Ancus Marcius, domptait
quelques Latins sous sa conduite ; et continuant à se faire des citoyens de ses
ennemis, elle les renfermait dans ses murailles. Ceux de Veïes, déjà affaiblis
par Romulus, firent de nouvelles pertes (128—626). Ancus poussa ses conquêtes
jusqu'à la mer voisine, et bâtit la ville d'Ostie à l'embouchure du Tibre. En ce
temps le royaume de Babylone fut envahi par Nabopolassar. Ce traître que
Chinaladan autrement Sarac avait fait général de ses armées contre Cyaxare roi
des Mèdes, se joignit avec Astyage fils de Cyaxare, prit Chinaladan dans Ninive,
détruisit cette grande ville si longtemps maîtresse de l'Orient, et se mit sur
le trône de son maître. Sous un prince si ambitieux Babylone s'enorgueillit. La
Judée dont l'impiété croissait sans mesure, avait tout à craindre ( 130—624 ).
Le saint roi Josias suspendit pour un peu de temps, par son humilité profonde,
le châtiment que son peuple avait mérité; mais le mal s'augmenta sous ses
enfants (144—610 ). Nabuchodonosor ÏI plus terrible que son père Nabopolassar,
lui succéda ( 147—607). Ce prince nourri dans l'orgueil, et toujours exercé à la
guerre, fit des conquêtes prodigieuses en Orient et en Occident ; et Babylone
menaçait toute la terre de la mettre en servitude. Ses menaces eurent bientôt
leur effet à l'égard du peuple de Dieu. Jérusalem fut abandonnée à ce superbe
vainqueur, qui la prit par trois fois : la première au commencement de son
règne, et la quatrième année du règne de Joakim, d'où commencent les
soixante-dix ans de la captivité de Babylone, marqués par le prophète Jérémie
(1) : la seconde sous Jéchonias, ou Joachim fils de Joakim ( 155—599 ) ; et la
dernière sous Sedecias, où la ville fut renversée de fond en comble, le temple
réduit en cendres, et le roi mené captif à Babylone avec Saraïa
1 Jerem., XXV, 11,12; XXIX, 10.
285
souverain pontife et la meilleure partie du peuple
(156—598). Les plus illustres de ces captifs furent les prophètes Ezéchiel et
Daniel. On compte aussi parmi eux les trois jeunes hommes que Nabuchodonosor ne
put forcer à adorer sa statue, ni les consumer par les flammes. La Grèce était
florissante, et ses sept sages se rendaient illustres (160—594), Quelque temps
devant la dernière désolation de Jérusalem, Solon l'un de ces sept sages donnait
des lois aux Athéniens, et établissait la liberté sur la justice : les Phocéens
d'Ionie menaient à Marseille leur première colonie (176—578). Tarquin l'Ancien
roi de Rome, après avoir subjugué une partie de la Toscane, et orné la ville de
Rome par des ouvrages magnifiques, acheva son règne. De son temps les Gaulois
conduits par Bellovèse, occupèrent dans l'Ilalie tous les environs du Pô,
pendant que Ségovèse son frère mena bien avant dans la Germanie un autre essaim
de la nation (188—366). Servius Tuilius successeur de Tarquin, établit le cens,
ou le dénombrement des citoyens distribués en certaines classes, par où cette
grande ville se trouva réglée comme une famille particulière. Nabuchodonosor
embellissait Babylone, qui s'était enrichie des dépouilles de Jérusalem et de
l'Orient. Elle n'en jouit pas longtemps. Ce roi qui l'avait ornée avec tant de
magnificence, vit en mourant la perte prochaine de celte superbe ville (1)
(192—362). Son fils Evilmerodac, que ses débauches rendaient odieux, ne dura
guère, et fut tué par Nériglissor son beau-frère, qui usurpa le royaume
(194—560). Pisistrate usurpa aussi dans Athènes l'autorité souveraine qu'il sut
conserver trente ans durant, parmi beaucoup de vicissitudes, et qu'il laissa
même à ses enfants. Nériglissor ne put souffrir la puissance des Mèdes, qui
s'agrandissaient en Orient, et leur déclara la guerre. Pendant qu'Astyage fils
de Cyaxare I se préparait à la résistance, il mourut, et laissa cette guerre à
soutenir à Cyaxare II son fils, appelé par Daniel Darius le Mède. Celui-ci nomma
pour général de son armée Cyrus fils de Mandane sa sœur et de Cambyse roi de
Perse, sujet à l'empire des Mèdes (195—559). La réputation de Cyrus qui s'était
signalé en diverses guerres sous Astyage son grand-père, réunit
1 Abyd. apud Euseb., Praep. evang., lib. IX, cap. XLI.
286
la plupart des rois d'Orient sous les étendards de Cyaxare.
Il prit dans sa ville capitale Crésus roi de Lydie, et jouit de ses richesses
immenses : il dompta les autres alliés des rois de Babylone (206— 848), et
étendit sa domination non-seulement sur la Syrie, mais encore bien avant dans
l’Asie-Mineure (211—543). Enfin il marcha contre Babylone : il la prit
(216—538), et la soumit à Cyaxare son oncle, qui n'étant pas moins touché de sa
fidélité que de ses exploits, lui donna sa fille unique et son héritière en
mariage. (217—537). Dans le règne de Cyaxare, Daniel déjà honoré sous les règnes
précédents de plusieurs célestes visions où il vit passer devant lui en figures
si manifestes tant de rois et tant d'empires, apprit par une nouvelle révélation
ces septante fameuses semaines, où les temps du Christ et la destinée du peuple
juif sont expliqués. C'était des semaines d'années, si bien qu'elles contenaient
quatre cent quatre-vingt-dix ans ; et cette manière de compter était ordinaire
aux Juifs, qui observaient la septième année aussi bien que le septième jour
avec un repos religieux (218—536). Quelque temps après cette vision, Cyaxare
mourut aussi bien que Cambyse père de Cyrus ; et ce grand homme, qui leur
succéda, joignit le royaume de Perse obscur jusqu'alors au royaume des Mèdes si
fort augmenté par ses conquêtes. Ainsi il fut maître paisible de tout l'Orient,
et fonda le plus grand empire qui eût été dans le monde. Mais ce qu'il faut le
plus remarquer pour la suite de nos époques, c'est que ce grand conquérant dès
la première année de son règne, donna son décret pour rétablir le temple de Dieu
en Jérusalem, et les Juifs dans la Judée.
Il faut un peu s'arrêter en cet
endroit, qui est le plus embrouillé de toute la chronologie ancienne, par la
difficulté de concilier l'histoire profane avec l'histoire sainte. Vous aurez
sans doute, Monseigneur, déjà remarqué que ce que je raconte de Cyrus est fort
différent de ce que vous en avez lu dans Justin; qu'il ne parle point du second
royaume des Assyriens, ni de ces fameux rois d'Assyrie et de Babylone, si
célèbres dans l'histoire sainte; et qu'enfin mon récit ne s'accorde guère avec
ce que nous raconte cet auteur des trois premières monarchies, de celle des
Assyriens finie en la personne de Sardanapale, de celle des Mèdes
287
finie en la personne d’Astyage grand-père de Cyrus, et de
celle des Perses commencée par Cyrus et détruite par Alexandre.
Vous pouvez joindre à Justin,
Diodore avec la plupart des auteurs grecs et latins, dont les écrits nous sont
restés, qui racontent ces histoires d'une autre manière que celle que j'ai
suivie, comme plus conforme à l'Ecriture.
Mais ceux qui s'étonnent de
trouver l'histoire profane en quelques endroits peu conforme à l'histoire
sainte, devaient remarquer en même temps qu'elle s'accorde encore moins avec
elle-même. Les Grecs nous ont raconté les actions de Cyrus en plusieurs manières
différentes. Hérodote en remarque trois outre celle qu'il a suivie (1), et il
ne dit pas qu'elle sait écrite par des auteurs plus anciens ni plus recevables
que les autres. Il remarque encore lui-même (2) que la mort de Cyrus est
racontée diversement, et qu'il a choisi la manière qui lui a paru la plus
vraisemblable sans l'autoriser davantage. Xénophon qui a été en Perse au service
du jeune Cyrus frère d'Artaxerxès nommé Mnémon, a pu s'instruire de plus près de
la vie et de la mort de l'ancien Cyrus dans les annales des Perses et dans la
tradition de ce pays; et pour peu qu'on sait instruit de l'antiquité, on
n'hésitera pas à préférer avec saint Jérôme (3) Xénophon un si sage philosophe,
aussi bien qu'un si habile capitaine, à Ctésias auteur fabuleux (a) que la
plupart des Grecs ont copié, comme Justin et les Latins ont fait les Grecs; et
plutôt même qu'Hérodote, quoiqu'il sait très-judicieux. Ce qui me détermine à ce
choix, c'est que l'histoire de Xénophon plus suivie et plus vraisemblable en
elle-même, a encore cet avantage qu'elle est plus conforme à l'Ecriture, qui par
son antiquité et par le rapport des affaires du peuple juif avec celles de
l'Orient, mériterait d'être préférée à toutes les histoires grecques, quand
d'ailleurs on ne saurait pas qu'elle a été dictée par le Saint-Esprit.
1 Hérod., lib. I, cap. XCV. — 2 Ibid.,
cap. CXIV. — 3 Hier, in Dan., cap. V.
(a) Ire édit., depuis la fin du dernier alinéa
jusqu'ici.;... Qui racontent ce histoires d'une autre manière que celle que j'ai
suivie. Pour ce qui regarde Cyrus, les auteurs profanes ne sont point d'accord
sur son histoire : mais j'ai cru devoir plutôt suivre Xénophon avec saint
Jérôme, que Ctésias auteur fabuleux.
288
Quant aux trois premières
monarchies, ce qu'en ont écrit la plupart des Grecs a paru douteux aux plus
sages de la Grèce. Platon fait voir en général, sous le nom des prêtres
d'Egypte, que les Grecs ignoraient profondément les antiquités (1) ; et Aristote
a rangé parmi les conteurs de fables (2) ceux qui ont écrit les Assyriaques.
C'est que les Grecs ont écrit
tard ; et que voulant divertir par les histoires anciennes la Grèce toujours
curieuse, ils les ont composées sur des mémoires confus, qu'ils se sont
contentés de mettre dans un ordre agréable, sans se trop soucier de la vérité.
Et certainement la manière dont
on arrange ordinairement les trois premières monarchies est visiblement
fabuleuse. Car après qu'on a fait périr sous Sardanapale l'empire des Assyriens,
on fait paraître sur le théâtre les Mèdes, et puis les Perses ; comme si les
Mèdes avaient succédé à toute la puissance des Assyriens, et que les Perses se
tussent établis en ruinant les Mèdes.
Mais au contraire il paraît
certain (a) que lorsque Arbace révolta les Mèdes contre Sardanapale, il ne fit
que les affranchir, sans leur soumettre l'empire d'Assyrie. Hérodote distingue
le temps de leur affranchissement d'avec celui de leur premier roi Déjocès (3);
et selon la supputation des plus habiles chronologistes, l'intervalle entre ces
deux temps doit avoir été. environ de quarante ans. Il est d'ailleurs constant
(b) par le témoignage uniforme de ce grand historien et de Xénophon (4), pour ne
point ici parler des autres, que durant les temps qu'on attribue à l'empire des
Mèdes, il y avait en Assyrie des rois très-puissants que tout l'Orient
redoutait, et dont Cyrus abattit l'empire par la prise de Babylone.
Si donc la plupart des Grecs et
les Latins qui les ont suivis ne parlent pas de ces rois babyloniens ; s'ils ne
donnent aucun rang à ce grand royaume parmi les premières monarchies dont ils
1 Plat. in Tim. — 2 Aristot.
Polit., lib. V. cap. X.— 3 Herod. lib. I, cap. XCVI.
— 4 Herod., lib. I ; Xenopb. Cyrop. lib. V, VI. etc.
(a) Il est certain. — (b)1re Edit. : Hérodote,
suivi en cela par les plus habiles chronologistes, fait paraître leur premier
roi Déjocès cinquante ans après leur révolte; il est d'ailleurs constant....
289
racontent la suite ; enfin si nous ne voyons presque rien
dans leurs ouvrages de ces fameux rois Theglathphalasar, Salmanasar, Sennacherib,
Nabuchodonosor, et de tant d'autres si renommés dans l'Ecriture et dans les
histoires orientales : il le faut attribuer, ou à l'ignorance des Grecs plus
éloquents dans leurs narrations que curieux dans leurs recherches, ou à la perte
que nous avons faite de ce qu'il y avait de plus recherché et de plus exact dans
leurs histoires.
En effet Hérodote avait promis
une histoire particulière des Assyriens que nous n'avons pas , sait qu'elle ait
été perdue, ou qu'il n'ait pas eu le temps de la faire ; et on peut croire d'un
historien si judicieux qu'il n'y aurait pas oublié les rois du second empire des
Assyriens, puisque même Sennachérib qui en était l'un, se trouve encore nommé
dans les livres que nous avons de ce grand auteur (2), comme roi des Assyriens
et des Arabes.
Strabon qui vivait du temps
d'Auguste, rapporte (3) ce que Mégasthène, auteur ancien et voisin des temps
d'Alexandre, avait laissé par écrit sur les fameuses conquêtes de Nabuchodonosor
roi des Chaldéens, à qui il fait traverser l'Europe, pénétrer l'Espagne, et
porter ses armes jusqu'aux colonnes d'Hercule. Elien nomme Tilgamus roi
d'Assyrie (4), c'est-à-dire sans difficulté le Tilgath ou le Teglath de
l'histoire sainte; et nous avons dans Ptolomée un dénombrement des princes qui
ont tenu les grands empires, parmi lesquels se voit une longue suite de rois
d'Assyrie inconnus aux Grecs, et qu'il est aisé d'accorder avec l'histoire
sacrée.
Si je voulait rapporter ce que
nous racontent les annales des Syriens, un Bérose, un Abydénus, un Nicolas de
Damas, je ferais un trop long discours. Josèphe et Eusèbe de Césarée nous ont
conservé les précieux fragments de tous ces auteurs (5), et d'une infinité
d'autres qu'on avait entiers de leurs temps, dont le témoignage confirme ce que
nous dit l'Ecriture sainte touchant les antiquités orientales, et en particulier
touchant les histoires assyriennes.
1 Herod., lib. I, cap. 106,184.— 2
Herod., lib. II, cap. 141. — 3 Strab., lib. XV, init. — 4 Aelian., Hist. anim.,
lib. XII, cap. 21.— 5 Joseph., Antiq., lib IX, cap. ult., et lib. X, cap.
11 ; lib. I Cont. Apion ; Euseb., Prap. evang., lib. IX.
290
Pour ce qui est de la monarchie
des Mèdes, que la plupart des historiens profanes mettent la seconde dans le
dénombrement des grands empires, comme séparée de celle des Perses, il est
certain que l'Ecriture les unit toujours ensemble ; et vous voyez, Monseigneur,
qu'outre l'autorité des Livres saints, le seul ordre des faits montre que c'est
à cela qu'il faut s'en tenir.
Les Mèdes avant Cyrus, quoique
puissants et considérables, étaient effacés par la grandeur des rois de
Babylone. Mais Cyrus ayant conquis leur royaume par les forces réunies des Mèdes
et des Perses, dont il est ensuite devenu le maître par une succession légitime,
comme nous l'avons remarqué après Xénophon, il paraît que le grand empire dont
il a été le fondateur a dû prendre son nom des deux nations : de sorte que celui
des Mèdes et celui des Perses ne sont que la même chose, quoique la gloire de
Cyrus y ait fait prévaloir le nom des Perses.
On peut encore penser qu'avant
la guerre de Babylone, les rois des Mèdes ayant étendu leurs conquêtes du côté
des colonies de l’Asie-Mineure, ont été par ce moyen célèbres parmi les Grecs,
qui leur ont attribué l'empire de la grande Asie, parce qu'ils ne connaissaient
qu'eux de tous les rois d'Orient. Cependant les rois de Ninive et de Babylone,
plus puissants, mais plus inconnus à la Grèce, ont été presque oubliés dans ce
qui nous reste d'histoires grecques ; et tout le temps qui s'est écoulé depuis
Sardanapale jusqu'à Cyrus a été donné aux Mèdes seuls.
Ainsi il ne faut plus tant se
donner de peine à concilier en ce point l'histoire profane avec l'histoire
sacrée. Car quant à ce qui regarde le premier royaume des Assyriens, l'Ecriture
n'en dit qu'un mot en passant, et ne nomme ni Ninus fondateur de cet empire, ni
à la réserve de Phul, aucun de ses successeurs, parce que leur histoire n'a rien
de commun avec celle du peuple de Dieu. Pour les seconds Assyriens, la plupart
des Grecs ou les ont entièrement ignorés, ou pour ne les avoir pas assez connus,
ils les ont confondus avec les premiers.
Quand donc on objectera ceux des
auteurs grecs qui arrangent à leur fantaisie les trois premières monarchies, et
qui font succéder les Mèdes à l'ancien empire d'Assyrie sans parler du nouveau
291
que l'Ecriture fait voir si puissant, il n'y a qu'à
répondre qu'ils n'ont point connu cette partie de l'histoire ; et qu'ils ne sont
pas moins contraires aux plus curieux et aux mieux instruits des auteurs de leur
nation, qu'à l'Ecriture.
Et ce qui tranche en un mot
toute la difficulté, les auteurs sacrés plus voisins par les temps et par les
lieux des royaumes d'Orient, écrivant d'ailleurs l'histoire d'un peuple dont les
affaires sont si mêlées avec celles de ces grands empires, quand ils n'auraient
que cet avantage, pourraient faire taire les Grecs et les Latins qui les ont
suivis.
Si toutefois on s'obstine à
soutenir cet ordre célèbre des trois premières monarchies, et que pour garder
aux Mèdes seuls le second rang qui leur est donné, on veuille leur assujettir
les rois de Babylone, en avouant toutefois qu'après environ cent ans de
sujétion, ceux-ci se sont affranchis par une révolte : on sauve en quelque façon
la suite de l'histoire sainte, mais on ne s'accorde guère avec les meilleurs
historiens profanes, auxquels l'histoire sainte est plus favorable en ce qu'elle
unit l'empire des Mèdes à celui des Perses.
Il reste encore à vous découvrir
une des causes de l'obscurité de ces anciennes histoires. C'est que comme les
rois d'Orient prenaient plusieurs noms, ou si vous voulez plusieurs titres, qui
ensuite leur tenaient lieu de nom propre, et que les peuples les traduisaient ou
les prononçaient différemment, selon les divers idiomes de chaque langue, des
histoires si anciennes dont il reste si peu de bons mémoires, ont dû être par là
fort obscurcies. La confusion des noms en aura sans doute beaucoup mis dans les
choses mêmes et dans les personnes ; et de là vient la peine qu'on a de situer
dans l'histoire grecque les rois qui ont eu le nom d'Assuérus, autant inconnu
aux Grecs que connu aux Orientaux.
Qui croirait en effet que
Cyaxare fût le même nom qu'Assuérus, composé du mot Ky, c'est-à-dire seigneur,
et du mot Axare, qui revient manifestement à Axuérus, ou Assuérus ? Trois ou
quatre princes ont porté ce nom, quoiqu'ils en eussent encore d'autres. Ainsi il
n'y a nul doute que Darius le Mède ne puisse
292
avoir été un Assuérus ou Cyaxare : et tout cadre à lui
donner un de ces deux noms (a). Si on n'était averti que Nabuchodonosor,
Nabucodrosor, et Nabocolassar, ne sont que le même nom ou que le nom du même
homme, ou aurait peine à le croire ; et cependant la chose est certaine. C'est
un nom tiré de Nabo un des dieux que Babylone adorait, et qu'on insérait dans
les noms des rois en différentes manières. Sargon est Sennacherib (b); Ozias est
Azarias; Sedecias est Mathanias ; Joachas s'appelait aussi Sellum : on croit que
Sous ou Sua est le même que Sabacon roi d'Ethiopie : Asaraddon (c) qu'on
prononce indifféremment Esar-Haddon ou Asorhaddan, est nommé Asenaphar par les
Cuthéens (1) : on croit que Sardanapale est le même que quelques historiens ont
nommé Sarac : et par une bizarrerie dont on ne sait point l'origine, ce même roi
se trouve nommé par les Grecs Tonos-Concoléros. Nous avons déjà remarqué que
Sardanapale était vraisemblablement Sardan, fils de Phul ou Pul. Mais qui sait
si ce Pul ou Phul dont il est parlé dans l'histoire sainte (2), n'est pas le
même que Phalasar ? Car une des manières de varier ces noms était de les
abréger, de les allonger, de les terminer en diverses inflexions selon le génie
des langues. Ainsi Theglath-Phalasar, c'est-à-dire Theglath fils de Phalasar,
pourrait être un des fils de Phul, qui plus vigoureux que son frère Sardanapale,
aurait conservé une partie de l'empire qu'on aurait ôté à sa maison ? On
pourrait faire une longue liste des Orientaux dont chacun a eu, dans les
histoires, plusieurs noms différents : mais il suffit d'être instruit en général
de cette coutume. Elle n'est pas inconnue aux Latins, parmi lesquels les titres
et les adoptions ont multiplié les noms en tant de sortes. Ainsi le titre
d'Auguste et celui d'Africain Font devenus les noms propres de César Octavien et
des Scipions : ainsi les Nérons ont été Césars. La chose n'est pas douteuse, et
une plus longue discussion d'un fait si constant est inutile (d).
1 Esdr., IV, 2, 10. — 2 IV Reg., XV, 19; I
Paral., V, 26.
(a) 1re édit. : A lui en donner encore d'autres.
— (b) .....Et cependant il est
certain, Sargon est Sennacherib. — (c)..... S'appelait
aussi Sellum; Asaraddon
qu'on prononce.....— (d) Vous est inutile.
293
Pour ceux qui s'étonneront de ce
nombre infini d'années que les Egyptiens se donnent eux-mêmes, je les renvoie à
Hérodote qui nous assure précisément, comme on vient de voir, que leur histoire
n'a de certitude que depuis le temps de Psammitique (1) : c'est-à-dire six ou
sept cents ans avant Jésus-Christ. Que si l'on se trouve embarrassé de la durée
que le commun donne au premier empire des Assyriens, il n'y a qu'à se souvenir
qu'Hérodote l'a réduite à cinq cent vingt ans (2), et qu'il est suivi par Denys
d'Halicarnasse le plus docte des historiens, et par Appien. Et ceux qui après
tout cela se trouvent trop resserrés dans la supputation ordinaire des années,
pour y ranger à leur gré tous les événements et toutes les dates qu'ils croiront
certaines, peuvent se mettre au large tant qu'il leur plaira dans la supputation
des Septante que l'Eglise leur laisse libre, pour y placer à leur aise tous lés
rois qu'on veut donner à Ninive, avec toutes les années qu'on attribue à leur
règne ; toutes les dynasties des Egyptiens, en quelque sorte qu'ils les veulent
arranger; et encore toute l'histoire de la Chine, sans même attendre, s'ils
veulent, qu'elle sait plus éclaircie (a).
Je ne prétends plus,
Monseigneur, vous embarrasser dans la suite des difficultés de chronologie, qui
vous sont très-peu nécessaires. Celle-ci était trop importante pour ne la pas
éclairai en cet endroit; et après vous en avoir dit ce qui suffit à notre
dessein, je reprends la suite de nos époques.
(218—536). Ce fut donc 218 ans
après la fondation de Rome, 536 ans avant Jésus-Christ, après les soixante-dix
ans de la captivité de Babylone, et la même année que Cyrus fonda l'empire des
Perses, que ce prince choisi de Dieu pour être le libérateur de son peuple, et
le restaurateur de son temple, mit la main à ce
1 Hérod., lib. II, cap. 155. — 2 Lib. I, cap. 95.
(a) Tout l'alinéa mangue dans la 1re édition.
294
grand ouvrage. Incontinent après la publication de son
ordonnance. Zorobabel accompagné de Jésus fils de Josédec, souverain pontife,
ramena les captifs, qui rebâtirent l'autel, et posèrent les fondements du second
temple (219—535). Les Samaritains jaloux de leur gloire, voulurent prendre part
à ce grand ouvrage ; et sous prétexte qu'ils adoraient le Dieu d'Israël,
quoiqu'ils en joignissent le culte à celui de leurs faux dieux, ils prièrent
Zorobabel de leur permettre de rebâtir avec lui le temple de Dieu h Mais les
enfants de Juda qui détestaient leur culte mêlé, rejetèrent leur proposition.
Les Samaritains irrités traversèrent leur dessein par toute sorte d'artifices et
de violences. Environ ce temps Servius Tullius, après avoir agrandi la ville de
Rome, conçut le dessein de la mettre en république (221—533). Il périt au milieu
de ces pensées par les conseils de sa fille, et par le commandement de Tarquin
le Superbe son gendre. Ce tyran envahit le royaume, où il exerça durant un long
temps toute sorte de violences. Cependant l'empire des Perses allait croissant :
outre ces provinces immenses de la grande Asie, tout ce vaste continent de
l'Asie inférieure leur obéit ; les Syriens et les Arabes furent assujettis ;
l'Egypte si jalouse de ses lois reçut les leurs (229— 525). La conquête s'en fit
par Cambyse fils de Cyrus. Ce brutal ne survécut guère à Smerdis son frère,
qu'un songe ambigu lui fit tuer en secret (232—522). Le mage Smerdis régna
quelque temps sous le nom de Smerdis frère de Cambyse : mais sa fourbe fut
bientôt découverte. Les sept principaux seigneurs conjurèrent contre lui, et
l'un d'eux fut mis sur le trône (233—521). Ce fut Darius fils d'Hystaspe, qui
s'appelait dans ses inscriptions le meilleur et le mieux fait de tous les hommes
(2). Plusieurs marques le font reconnaître pour l’Assuérus du livre d'Esther,
quoiqu'on n'en convienne pas. Au commencement de son règne le temple fut achevé
, après diverses interruptions causées par les Samaritains (3). Une haine
irréconciliable se mit entre les deux peuples, et il n'y eut rien de plus opposé
que Jérusalem et Samarie. C'est du temps de Darius que commence la liberté de
Rome et d'Athènes, et la grande gloire de la Grèce (241—513). Harmodius
1 I Esdr., IV, 2 , 3. — 2 Herod., lib. IV, cap. 91. — 3 I
Esdr., V, VI.
295
et Aristogiton Athéniens délivrent leur pays d’Hipparque
fils de Pisistrate, et sont tués par ses gardes. Hippias frère d'Hipparque tâche
en vain de se soutenir. II est chassé : la tyrannie des Pisistratides est
entièrement éteinte (244—510); Les Athéniens affranchis dressent des statues à
leurs libérateurs, et rétablissent l'état populaire. Hippias se jette entre les
bras de Darius, qu'il trouva déjà disposé à entreprendre la conquête de la
Grèce, et n'a plus d'espérance qu'en sa protection. Dans le temps qu'il fut
chassé, Rome se défît aussi de ses tyrans. Tarquin le Superbe avait rendu par
ses violences la royauté odieuse : l'impudicité de Sexte son fils acheva de la
détruire (245—509). Lucrèce déshonorée se tua elle-même : son sang et les
harangues de Brutus animèrent les Romains. Les rois furent bannis, et l'empire
consulaire fut établi suivant les projets de Servius Tullius : mais il fut
bientôt affaibli par la jalousie du peuple. Dès le premier consulat P. Valérius
consul, célèbre par ses victoires, devint suspect à ses citoyens ; et il fallut
pour les contenter établir la loi qui permit d'appeler au peuple du sénat et des
consuls dans toutes les causes où il s'agissait de châtier un citoyen. Les
Tarquins chassés trouvèrent des défenseurs : les rois voisins regardèrent leur
bannissement comme une injure faite à tous les rois; et Porsesma roi des Gusiens,
peuples d'Etrarie, prit les armes contre Rome (247— 507J. Réduite à l'extrémité
et presque prise, elle fut sauvée par la valeur d'Horafcius Codés. Les Romains
firent des prodiges pour leur liberté : Scévok, jeune citoyen, se brûla la main
qui avait manqué Porsenna ; délie, une jeune fille, étonna ce prince par sa
hardiesse; Porsenna laissa Rome en paix, et les Tarquins demeurèrent sans
ressource (254 — 500). Hippias pour qui Darius se déclara, avait de meilleures
espérances. Toute la Perse se remuait en sa faveur, et Athènes était menacée
d'une grande guerre (261 — 493). Durant que Darius en faisait les préparatifs,
Rome qui s'était si bien défendue contre les étrangers, pensa périr par
elle-même : la jalousie s'était réveillée entre les patriciens et le peuple : la
puissance consulaire, quoique déjà modérée par la loi de P. Valérius, parut
encore excessive à ce peuple trop jaloux de sa liberté. Il se retira au mont
Aventin : les conseils violents
296
furent inutiles : le peuple ne put être ramené que par les
paisibles remontrances de Ménénius Agrippa ; mais il fallut trouver des
tempéraments, et donner au peuple des tribuns pour le défendre contre les
consuls. La loi qui établit cette nouvelle magistrature fut appelée la loi
sacrée, et ce fut là que commencèrent les tribuns du peuple. Darius avait enfin
éclaté contre la Grèce. Son gendre Mardonius, après avoir traversé l'Asie,
croyait accabler les Grecs par le nombre de ses soldats : mais Miltiade défit
cette armée immense dans la plaine de Marathon, avec dix mille Athéniens
(264—490). Rome battait tous ses ennemis aux environs, et semblait n'avoir à
craindre que d'elle-même (265—489). Coriolan zélé patricien et le plus grand de
ses capitaines, chassé, malgré ses services, par la faction populaire, médita la
ruine de sa patrie, mena les Volsques contre elle, la réduisit à l'extrémité, et
ne put être apaisé que par sa mère (266—488). La Grèce ne jouit pas longtemps du
repos que la bataille de Marathon lui avait donné (274—480). Pour venger
l'affront de la Perse et de Darius, Xerxès son fils et son successeur, et
petit-fils de Cyrus par sa mère Atosse, attaqua les Grecs avec onze cent mille
combattants (d'autres disent dix-sept cent mille), sans compter son armée navale
de douze cents vaisseaux. Léonidas roi de Sparte, qui n'avait que trois cents
hommes, lui en tua vingt mille au passage des Thermopyles, et périt avec les
siens. Par les conseils de Thémistocle Athénien, l'armée navale de Xerxès est
défaite la même année, près de Salamine. Ce prince repasse l'Hellespont avec
frayeur ; et un an après son armée de terre, que Mardonius commandait, est
taillée en pièces auprès de Platée, par Pausa-nias roi de Lacédémone, et par
Aristide Athénien, appelé le Juste (275—479). La bataille se donna le matin ; et
le soir de cette fameuse journée, les Grecs Ioniens qui avaient secoué le joug
des Perses, leur tuèrent trente mille hommes dans la bataille de Mycale, sons la
conduite de Léotychides. Ce général, pour encourager ses soldats, leur dit que
Mardonius venait d'être défait dans la Grèce. La nouvelle se trouva véritable,
ou par un effet prodigieux de la renommée, ou plutôt par une heureuse rencontre
; et tous les Grecs de l'Asie-Mineure se mirent en liberté; Cette nation
207
remportait partout de grands avantages; et un peu
auparavant les Carthaginois, puissants alors, furent battus dans la Sicile, où
ils voulaient étendre leur domination à la sollicitation des Perses. Malgré ce
mauvais succès, ils ne cessèrent depuis de faire de nouveaux desseins sur une
île si commode à leur assurer l'empire de la mer, que leur république affectait.
La Grèce le tenait alors, mais elle ne regardait que l'Orient et les Perses
(277—477). Pausanias venait d'affranchir l'Ile de Chypre de leur joug, quand il
conçut le dessein d'asservir son pays (278—476). Tous ses projets furent vains,
quoique Xerxès lui promît tout : le traître fut trahi par celui qu'il aimait le
plus, et son infâme amour lui coûta la vie. La même année Xerxès fut tué par
Artaban son capitaine des gardes (1), sait que ce perfide voulût occuper le
trône de son maître, ou qu'il craignit les rigueurs d'un prince dont il n'avait
pas exécuté assez promptement les ordres cruels (280— 474). Artaxerxe à la
Longue-Main son fils commença son règne, et reçut peu de temps après une lettre
de Thémistocle, qui, proscrit par ses concitoyens, lui offrait ses services
contre les Grecs (281—473). II sut estimer autant qu'il devait un capitaine si
renommé, et lui fit un grand établissement malgré la jalousie des satrapes
(287—467). Ce roi magnanime protégea le peuple juif (2); et dans sa vingtième
année, que ses suites rendent mémorable, il permit à Nehemias de rétablir
Jérusalem avec ses murailles (3) (300—454). Ce décret d'Artaxerxe diffère de
celui de Cyrus, en ce que celui de Cyrus regardait le temple, et celui-ci est
fait pour la ville. A ce décret prévu par Daniel, et marqué dans sa prophétie
(4), les quatre cent quatre-vingt-dix ans de ses semaines commencent. Cette
importante date a de solides fondements. Le bannissement de Thémistocle est
placé dans la Chronique d'Eusèbe à la dernière année de la 76e olympiade, qui
revient à l'an 280 de Rome. Les autres chronologistes le mettent un peu
au-dessous : la différence est petite, et les circonstances du temps assurent la
date d'Eusèbe. Elles se tirent de Thucydide, historien très-exact ; èt ce grave
auteur contemporain presque, aussi bien que
1 Arist, Polit., lib. V, cap. 10. — 2 I
Esdr., VII, VIII. — 3 I Esdr., I, 1 ; VI, 3 ; II Esdr., II, 1, 2. — 4 Dan., IX,
25.
298
concitoyen de Thémistocle, lui fait écrire sa lettre au
commencement du règne d'Artaxerxe (1). Cornélius Népos auteur ancien et
judicieux autant qu'élégant, ne veut pas qu'on doute de cette date après
l'autorité de Thucydide (2) : raisonnement d'autant plus solide, qu'un autre
auteur plus ancien encore que Thucydide s'accorde avec lui. C'est Charon de
Lampsaque cité par Plutarque (3); et Plutarque ajoute lui-même que les Annales ,
c'est-à-dire celles de Perse, sont conformes à ces deux auteurs. Il ne les suit
pourtant pas, mais il n'en dit aucune raison ; et les historiens qui commencent
huit ou neuf ans plus tard le règne d'Artaxerxe ne sont ni du temps, ni d'une si
grande autorité. Il paraît donc indubitable qu'il en faut placer le commencement
vers la fin de la 76e olympiade, et approchant de l'année 280 de
Rome, par où la vingtième année de ce prince doit arriver vers la fin de la 81°
olympiade, et environ l'an 300 de Rome. Au reste ceux qui rejettent plus bas le
commencement d'Artaxerxe, pour concilier les auteurs, sont réduits à conjecturer
que son père l'avait du moins associé au royaume quand Thémistocle écrivit sa
lettre ; et en quelque façon que ce soit, notre date est assurée. Ce fondement
étant posé, le reste du compte est aisé à faire, et la suite le rendra sensible.
Après le décret d'Artaxerxe les Juifs travaillèrent à rétablir leur ville et ses
murailles, comme Daniel l'avait prédit à Nehemias conduisit l'ouvrage avec
beaucoup de prudence et de fermeté au milieu de la résistance des Samaritains,
des Arabes et des Ammonites. Le peuple fit un effort, et Eliasib souverain
pontife, l'anima par son exemple. Cependant les nouveaux magistrats qu'on avait
donnés au peuple romain, augmentaient les divisions de la ville ; et Rome,
formée sous des rois, manquait des lois nécessaires à la bonne constitution
d'une république. La réputation de la Grèce plus célèbre encore par son
gouvernement que par ses victoires, excita les Romains à se régler sur son
exemple. Ainsi ils envoyèrent des députés pour rechercher les lois des villes de
Grèce, et surtout celles d'Athènes plus conformes à Pétat de la république
(303—451). Sur ce modèle,
1 Thucyd., lib. I.— 2 Corn. Nep., in
Themist., cap. 9.— 3 Plutarch., in Themist. — 4 Dan., IX, 25.
299
dix magistrats absolus qu'on créa l'année d'après sous le
nom de décemvirs, rédigèrent les lois des Douze Tables, qui sont le fondement du
Drait romain (304—450). Le peuple ravi de l'équité avec laquelle ils les
composèrent, leur laissa empiéter le pouvoir suprême, dont ils usèrent
tyranniquement. Il se fit alors de grands mouvements par l'intempérance d'Appius
Clodius un des décemvirs, et par le meurtre de Virginie, que son père aima mieux
tuer de sa propre main que de la laisser abandonnée à la passion d'Appius
(305—449). Le sang de cette seconde Lucrèce réveilla le peuple romain, et les
décemvirs furent chassés. Pendant que les lois romaines se formaient sous les
décemvirs, Esdras docteur de aloi, et Nehemias gouverneur du peuple de Dieu
nouvellement rétabli dans la Judée, réformaient les abus, et faisaient observer
la loi de Moïse qu'ils observaient les premiers (1). Un des principaux articles
de leur réformation fut d'obliger tout le peuple et principalement les prêtres,
à quitter les femmes étrangères qu'ils avaient épousées contre la défense de la
loi. Esdras mit en ordre les Livres saints, dont il fit une exacte révision, et
ramassa les anciens mémoires du peuple de Dieu pour en composer les deux, livres
des Parctlipomènes ou Chroniques, auxquelles il ajouta l'histoire de son temps,
qui fut achevée par Nehemias. C'est par leurs livres que se termine cette longue
histoire que Moïse avait commencée, et que les auteurs suivants continuèrent
sans interruption jusqu'au rétablissement de Jérusalem. Le reste de l'histoire
sainte n'est pas écrit dans la même suite. Pendant qu'Esdras et Nehemias
faisaient la dernière partie de ce grand ouvrage, Hérodote que les auteurs
profanes appellent le père de l'histoire, commençait à écrire. Ainsi les
derniers auteurs de l'histoire sainte se rencontrent avec le premier auteur de
l'histoire grecque ; et quand elle commence, celle du peuple de Dieu, à la
prendre seulement depuis Abraham, enfermait déjà quinze siècles. Hérodote
n'avait garde de parler des Juifs dans l'histoire qu'il nous a laissée ; et les
Grecs n'avaient besoin d'être informés que des peuples que la guerre, le
commerce ou un grand éclat leur faisait connaître. La Judée qui commençait à
peine à se relever de sa ruine, n'attirait
1 Esdr., XIII; Deut., XXIII, 3.
300
pas les regards. Ce fut dans des temps si malheureux que la
langue hébraïque commença à se mêler de langage chaldaïque, qui était celui de
Babylone durant le temps que le peuple y fut captif; mais elle était encore
entendue, du temps d'Esdras, de la plus grande partie du peuple, comme il paraît
par la lecture qu'il fit faire des livres de la loi « hautement et
intelligiblement en présence de tout le peuple, hommes et femmes en grand
nombre, et de tous ceux qui pouvaient entendre, et tout le monde entendait
pendant la lecture (1) » Depuis ce temps peu à peu elle cessa d'être vulgaire
(a). Durant la captivité, et ensuite par le commerce qu'il fallut avoir avec les
Chaldéens, les Juifs apprirent la langue chaldaïque assez approchante de la
leur, et qui avait presque le même génie. Cette raison leur fit changer
l'ancienne figure des lettres hébraïques, et ils écrivirent l'hébreu avec les
lettres des Chaldéens plus usitées parmi eux, et plus aisées à former. Ce
changement fut aisé entre deux langues voisines dont les lettres étaient de même
valeur, et ne différaient que dans la figure. Depuis ce temps on ne trouve
l'Ecriture sainte parmi les Juifs qu'en caractères chaldaïques (b).
J'ai dit que l'Ecriture ne se
trouve parmi les Juifs qu'en ces caractères. Mais on a trouvé de nos jours entre
les mains des Samaritains, un Pentateuque en anciens caractères hébraïques tels
qu'on les voit dans les médailles et dans tous les monuments des siècles passés.
Ce Pentateuque ne diffère en rien de celui des Juifs, si ce n'est qu'il y a un
endrait falsifié en faveur du culte public, que les Samaritains soutenaient que
Dieu avait établi sur la montagne de Garizim près de Samarie, comme les Juifs
soutenaient que c'était dans Jérusalem. Il y a encore quelques différences,
1 II Esdr., VIII, 5, 6, 8.
(a) 1re édit. : Ce fut dans des temps si malheureux que la
langue hébraïque cessa d'être vulgaire. — (b) Les quatorze alinéas suivants,
jusqu'à ces mots : Les Juifs vivaient avec douceur, forment l'addition
manuscrite dont ou a parlé plus haut, sur les Samaritains; longtemps les
éditions n'ont eu pour tout cela que ceci :... « qu'en lettres chaldaïques; mais
les Samaritains retinrent toujours l'ancienne manière d'écrire. Leurs
descendants ont persévéré dans cet usage jusqu'à nos jours , et nous ont par ce
moyen conservé le Pentateuque qu'on appelle samaritain, en anciens caractères
hébraïques, tels qu'on les trouve dans les médailles et dans les monuments des
siècles passés. »
301
mais légères. Il est constant que les anciens Pères, et
entre autres Eusèbe et saint Jérôme, ont vu cet ancien Pentateuque samaritain,
et qu'on trouve dans celui que nous avons tous les caractères de celui dont ils
ont parlé.
Pour entendre parfaitement les
antiquités du peuple de Dieu, il faut ici en peu de mots faire l'histoire des
Samaritains et de leur Pentateuque (an du m. 3029—av. J.-C. 975). Il faut pour
cela se souvenir qu'après Salomon, et en punition de ses excès, sous Roboam son
fils, Jéroboam sépara dix tribus du royaume de Juda, et forma le royaume
d'Israël dont la capitale fut Samarie (3080—924).
Ce royaume ainsi séparé ne sacrifia plus dans le temple de
Jérusalem, et rejeta toutes les Ecritures faites depuis David et Salomon, sans
se soucier non plus des ordonnances de ces deux rois, dont l'un avait préparé le
temple et l'autre l'avait construit et dédié.
Rome fut fondée l'an du monde
3250; et trente-trois ans après, c'est-à-dire l'an du monde 3283, les dix tribus
schismatiques furent transportées à Ninive, et dispersées parmi les gentils.
Sous Asaraddon roi d'Assyrie les
Cuthéens furent envoyés pour habiter Samarie (1) (an de R. 77—av. J.-C. 677).
C’étaient des peuples d'Assyrie, qui furent depuis appelés Samaritains. Ceux-ci
joignirent le culte de Dieu avec celui des idoles, et obtinrent d'Asaraddon un
prêtre israélite qui leur apprit le service du dieu du pays, c'est-à-dire les
observances de la loi de Moïse. Mais leur urètre ne leur donna gue les livres de
Moïse dont les dix tribus révoltées avaient conservé la vénération, sans y
joindre d'autres livres saints, pour les raisons que l'on vient de voir.
Ces peuples ainsi instruits ont
toujours persisté dans la haine que les dix tribus avaient contre les Juifs; et
lorsque Cyrus permit aux Juifs de rétablir le temple de Jérusalem (219—535), les
Samaritains traversèrent autant qu'ils purent leur dessein », en faisant
semblant néanmoins d'y vouloir prendre part, sous prétexte qu'ils adoraient le
Dieu d'Israël, quoiqu'ils en joignissent le culte avec celui de leurs fausses
divinités. Ils persistèrent toujours à traverser les desseins des Juifs
1 IV Reg., XVII, 24; I Esdr., IV, 2. — 3 Ibid., IV, 2, 3.
302
qu'ils rebâtissaient leur ville sous la conduite de
Nehemias; et les deux nations furent toujours ennemies.
On voit ici la raison pourquoi
ils ne changèrent pas avec les Juifs les caractères hébreux en caractères
chaldaïques. Ils n'avaient garde d'imiter les Juifs, non plus qu'Esdras leur
grand docteur, puisqu'ils les avaient en exécration : c'est pourquoi leur
Pentateuque se trouve écrit en anciens caractères hébraïques, ainsi qu'il a été
dit.
Alexandre leur permit de bâtir
le temple de Garizim (421-333). Manassès frère de Jaddus souverain pontife des
Juifs, qui embrassa le schisme des Samaritains, obtint la permission de bâtir ce
temple; et c'est apparemment sous lui qu'ils commencèrent à quitter le culte des
faux dieux, ne différant d'avec les Juifs qu'en ce qu'ils le voulaient servir,
non point dans Jérusalem comme Dieu l'avait ordonné, mais sur le mont Garizim.
On voit ici la raison pourquoi
ils ont falsifié dans leur Pentateuque l'endrait où il est parlé de la montagne
de Garizim, dans le dessein de montrer que cette montagne était bénite de Dieu
et consacrée à son culte, et non pas Jérusalem.
La haine entre les deux peuples
subsista toujours : les Samaritains soutenaient que leur temple de Garizim
devait être préféré à celui de Jérusalem. La contestation fut émue devant
Ptolémée Philométor, roi d'Egypte. Les Juifs qui avaient pour eux la succession
et la tradition manifeste, gagnèrent leur cause par un jugement solennel (1).
(587—167). Les Samaritains, qui
durant la persécution d'Antiochus et des rois de Syrie se joignirent toujours à
eux contre les Juifs, furent subjugués par Jean Hircan (624—130) fils de Simon,
qui renversa leur temple de Garizim, mais qui ne les put empêcher de continuer
leur service sur la montagne où il était bâti, ni réduire ce peuple opiniâtre à
venir adorer dans le temple de Jérusalem.
De là vient que du temps de
Jésus-Christ, on voit encore les Samaritains attachés au même culte, et
condamnés par Jésus-Christ (2).
1 Joseph., Ant., XIII, cap. VI, al.
III. — 2 Joan., IV, 23.
303
Ce peuple a toujours subsisté
depuis ce temps-là, en deux ou trois endroits de l'Orient. Un de nos voyageurs
l'a connu, et nous en a rapporté le texte du Pentateuque qu'on appelle
Samaritain, dont on voit à présent l'antiquité ; et on entend parfaitement
toutes les raisons pour lesquelles il est demeuré en l'état où nous le voyons.
Les Juifs vivaient avec douceur
sous l'autorité d'Artaxerxe. Ce prince réduit par Cimon fils de Miltiade,
général des Athéniens, à faire une paix honteuse, désespéra de vaincre les Grecs
parla force, et ne songea plus qu'à profiter de leurs divisions. Il en arriva de
grandes entre les Athéniens et les Lacédémoniens. Ces deux peuples jaloux l'un
de l'autre, partagèrent toute la Grèce (323—431 ). Pericles Athénien commença la
guerre du Péloponèse, durant laquelle Théramène, Thrasybule et Alcibiade
Athéniens se rendent célèbres. Brasidas et Myndare Lacédémoniens y meurent en
combattant pour leur pays. Cette guerre dura vingt-sept ans, et finit à
l'avantage de Lacédémone, qui avait mis dans son parti Darius nommé le Bâtard,
fils et successeur d'Artaxerxe. Lysandre général de l'armée navale des
Lacédémoniens prit Athènes, et en changea le gouvernement (330—-104). Mais la
Perse s'aperçut bientôt qu'elle avait rendu les Lacédémoniens trop puissants. Us
soutinrent le jeune Cyrus dans sa révolte contre Artaxerxe (353—401) son aîné,
appelé Mnémon à cause de son excellente mémoire, fils et successeur de Darius.
Ce jeune prince sauvé de la prison et de la mort par sa mère Parysatïs, songe à
la vengeance, gagne les satrapes par ses agréments infinis, traverse
l'Asie-Mineure, va présenter la bataille au roi son frère dans le cœur de son
empire, le blesse de sa propre main, et se croyant trop tôt vainqueur, périt par
sa témérité. Les dix mille Grecs qui le servaient font celte retraite étonnante,
où commandait à la fin Xénophon grand philosophe et grand capitaine, gui en a
écrit l'histoire. Les Lacédémoniens continuaient à attaquer l'empire des Perses,
qu'Agésilas roi de Sparte, fit trembler dans l’Asie-Mineure (358—396) : mais les
divisions de la Grèce le rappelèrent en son pays. En ce temps la ville de Véïes
qui égalait presque la gloire de Rome, après un siège de dix ans et beaucoup
304
de divers succès, fut prise parles Romains sous la conduite
de Camille. Sa générosité lui fit encore une autre conquête (360— 394). Les
Falisques qu'il assiégeait se donnèrent à lui, touchés de ce qu'il leur avait
renvoyé leurs enfants, qu'un maître d'école lui avait livrés. Rome ne voulait
pas vaincre par des trahisons, ni profiter de la perfidie d'un lâche qui abusait
de l'obéissance d'un âge innocent. Un peu après les Gaulois Sénonois entrèrent
en Italie, et assiégèrent Clusium. Les Romains perdirent contre eux la fameuse
bataille d'Allia (363—391). Leur ville fut prise et brûlée (364—390). Pendant
qu'ils se défendaient dans le Capitule, leurs affaires furent rétablies par
Camille qu'ils avaient banni. Les Gaulois demeurèrent sept mois maîtres de Rome
; et appelés ailleurs par d'autres affaires, ils se retirèrent chargés de butin
(1). Durant les brouilleries de la Grèce, Epaminondas Thébain se signala par son
équité et par sa modération, autant que par ses victoires (383—371). On remarque
qu'il avait pour règle de ne mentir jamais, même en riant. Ses grandes actions
éclatent dans les dernières années de Mnémon et dans les premières d'Ochus. Sous
un si grand capitaine, les Thébains sont victorieux, et la puissance de
Lacédémone est abattue. Celle des rois de Macédoine commence avec Philippe père
d'Alexandre le Grand (395—359). Malgré les oppositions d'Ochus et d'Arsès son
fils rois de Perse, et malgré les difficultés plus grandes encore que lui
suscitait dans Athènes l'éloquence de Démosthène puissant défenseur de la
liberté, ce prince victorieux durant vingt ans, assujettit toute la Grèce, où la
bataille de Chéronée qu'il gagna sur les Athéniens et sur les alliés, lui donna
une puissance absolue (416—338). Dans cette fameuse bataille, pendant qu'il
rompait les Athéniens, il eut la joie de voir Alexandre à l'âge de dix-huit ans
enfoncer les troupes thébaines de la discipline d'Epaminondas, et entre autres
la troupe Sacrée qu'on appelait des Amis, qui se croyait invincible. Ainsi
maître de la Grèce, et soutenu par un fils d'une si grande espérance, il conçut
de plus hauts desseins, et ne médita rien moins que la ruine des Perses contre
lesquels il fut déclaré capitaine général (417—337). Mais leur perte était
réservée à
1 Polyb., lib. I, cap. VI; lib. II, cap.
XVIII, XXII.
305
Alexandre (418—336). Au milieu des solennités d'un nouveau
mariage, Philippe fut assassiné par Pausanias jeune homme de bonne maison, à qui
il n'avait pas rendu justice. L'eunuque Bagoas tua dans la même année Arsès roi
de Perse, et fit régner à sa place Darius fils d'Arsame, surnommé Codomanus. Il
mérite par sa valeur qu'on se range à l'opinion, d'ailleurs la plus
vraisemblable, qui le fait sortir de la famille royale. Ainsi deux rois
courageux commencèrent ensemble leur règne, Darius fils d'Arsame, et Alexandre
fils de Philippe. Ils se regardaient d'un œil jaloux, et semblaient nés pour se
disputer l'empire du monde. Mais Alexandre voulut s'affermir avant que
d'entreprendre son rival. Il vengea la mort de son père; il dompta les peuples
rebelles qui méprisaient sa jeunesse; il battit les Grecs qui tentèrent
vainement de secouer le joug; et ruina Thebes (419—335) où il n'épargna que la
maison et les descendants de Pindare, dont la Grèce admirait les odes. Puissant
et victorieux, il marche après tant d'exploits à la tête des Grecs contre Darius
(420—334), qu'il défait en trois batailles rangées (421—333), entre triomphant
dans Babylone et dans Suse (423—331), détruit Persepolis ancien siège des rois
de Perso (424—330), pousse ses conquêtes jusqu'aux Indes (427—327), et vient
mourir à Babylone âgé de trente-trois ans (430—324).
De son temps (421—333) Manassès,
frère de Jaddas souverain pontife, excita des brouilleries parmi les Juifs. Il
avait épousé la fille de Sanaballat Samaritain, que Darius avait fait satrape de
ce pays. Plutôt que de répudier celte étrangère, à quoi le conseil de Jérusalem
et son frère Jaddus voulaient l'obliger, il embrassa le schisme des Samaritains.
Plusieurs Juifs, pour éviter de pareilles censures, se joignirent à lui. Dès
lors il résolut de bâtir un temple près de Samarie sur la montagne de Garizim,
que les Samaritains croyaient bénite, et de s'en faire le pontife. Son beau-père
très-accrédité auprès de Darius, l'assura de la protection de ce prince, et les
suites lui furent encore plus favorables. Alexandre s'éleva (422—332) :
Sanaballat quitta son maître, et mena des troupes au victorieux durant le siège
de Tyr. Ainsi il obtint tout ce qu'il voulut; le temple de Garizim fut bâti, et
l'ambition
306
de Manassès fut satisfaite. Les Juifs cependant, toujours
fidèles aux Perses, refusèrent à Alexandre le secours qu'il leur demandait. Il
allait à Jérusalem, résolu de se venger; mais il fut changé à la vue du
souverain pontife, qui vint au-devant de lui avec les sacrificateurs revêtus de
leurs habits de cérémonie, et précédés de tout le peuple habillé de blanc. On
lui montra des prophéties qui prédisaient ses victoires : c'était celles de
Daniel. Il accorda aux Juifs toutes leurs demandes, et ils lui gardèrent la même
fidélité qu'ils avaient toujours gardée aux rois de Perse.
Durant ces conquêtes (428, 429, 430), Rome était aux mains
avec les Sarrinites ses voisins, et avait une peine extrême à les réduire malgré
la valeur et la conduite de Papirius Cursor, le plus illustre de ses généraux.
Après la mort d'Alexandre, son empire fut partagé (430—324). Perdiccas, Ptolomée
fils de Lagus, Antigonus, Seleucus, Lysimaque, Antipater et son fils Cassander,
en un mot tous ses capitaines nourris dans la guerre sous un si grand
conquérant, songèrent à s'en rendre maîtres par les armes (430, 436, 438) : ils
immolèrent à leur ambition toute la famille d'Alexandre (433, 445), son frère,
sa mère, ses femmes, ses enfants, et jusqu'à ses sœurs : on ne vit que des
batailles sanglantes et d'effroyables révolutions. Au milieu de tant de
désordres, plusieurs peuples de l’Asie-Mineure et du voisinage s'affranchirent,
et formèrent les royaumes de Pont, de Bithynie et de Pergame. La bonté du pays
les rendit ensuite riches et puissants. L'Arménie secoua aussi dans le même
temps h joug des Macédoniens, et devint un grand royaume. Les deux Mithridnte
père et fils fondèrent celui de Cappadoce. Mais les deux plus puissantes
monarchies qui se soient élevées alors furent celle d'Egypte fondée par Ptolomée
(431—323) fils de Lagus, d'où viennent les Lagides; et celle d'Asie ou de Syrie
fondée par Seleucus (442—312), d'où viennent les Séleucides. Celle-ci comprenait
outre la Syrie, ces vastes et riches provinces de la haute Asie, qui composaient
l'empire des Perses : ainsi tout l'Orient reconnut la Grèce, et en apprit le
langage. La Grèce elle-même était opprimée par les capitaines d'Alexandre. La
Macédoine son ancien royaume, qui donnait des maîtres à l'Orient, était en proie
au premier venu.
307
Les enfants de Cassander se coassèrent les uns les autres
de ce royaume. Pyrrhus roi des Epirotes (458—296), qui en avait occupé une
partie, fut chassé par Démétrius Poliorcète (460—294) fils d'Anligonus, qu'il
chassa aussi à son tour (465—289) : il est lui-même chassé encore une fois par
Lysimaque (468—286), et Lysimaque par Seleucus, que Ptolomée Céraunus chassé
d'Egypte par son père Ptolomée I (473—281), tua en traître malgré ses bienfaits
(474—280). Ce perfide n'eut pas plutôt envahi la Macédoine qu'il fut attaqué par
les Gaulois, et périt dans un combat qu'il leur donna (475—279). Durant les
troubles de l'Orient ils vinrent dans l'Asie-Mineure conduits par leur roi
Brennus, et s'établirent dans la Gallo-Grèce ou Galatie nommée ainsi de leur
nom, d'où ils se jetèrent dans la Macédoine qu'ils ravagèrent, et firent
trembler toute la Grèce. Mais leur armée périt dans l'entreprise sacrilège du
temple de Delphes (476—278). Cette nation remuait partout, et partout elle était
malheureuse. Quelques années devant l'affaire de Delphes (471—283), les Gaulois
d'Italie, que leurs guerres continuelles et leurs victoires fréquentes rendaient
la terreur des Romains, furent excités contre eux par les Samnites, les Brutiens
et les Etruriens (1). Ils remportèrent d'abord une nouvelle victoire, mais ils
en souillèrent la gloire en tuant des ambassadeurs. Les Romains indignés
marchent contre eux, les défont, entrent dans leurs ferres où ils fondent une
colonie (472—282), les battent encore deux fois, en assujettissent une partie,
et réduisent l'autre à demander la paix. Après que les Gaulois d'Orient eurent
été chassés de la Grèce (477—277), An Ligemus Gonatas fils de Démétrius
Poliorcète, qui régnait depuis douze ans dans la Grèce, mais fort peu paisible,
envahit sans peine la Macédoine. Pyrrhus était occupé ailleurs. Chassé de ce
royaume, il espéra de contenter son ambition par la conquête de l'Italie, où il
fut appelé par les Tarentins (474—280). La bataille que les Romains venaient de
gagner sur eux et sur les Samnites ne leur laissait que cette ressource. Il
remporta contre les Romains des victoires qui le ruinaient (475—279). Les
éléphants de Pyrrhus les étonnèrent : mais le consul Fabrice fit bientôt voir
1 Polyb., lib, II, cap. XX.
303
aux Romains que Pyrrhus pouvait être vaincu. Le roi et le
consul semblaient se disputer la gloire de la générosité, plus encore que celle
des armes : Pyrrhus rendit au consul tous les prisonniers sans rançon, disant
qu'il fallait faire la guerre avec le fer, et non point avec l'argent ; et
Fabrice renvoya au roi son perfide médecin (4-76—278), qui était venu lui offrir
d'empoisonner son maître. En ces temps la religion et la nation judaïque
commencent à éclater parmi les Grecs. Ce peuple bien traité par les rois de
Syrie, vivait tranquillement selon ses lois. Antiochus surnommé le Dieu,
petit-fils de Seleucus, les répandit dans l'Asie-Mineure, d'où ils s'étendirent
dans la Grèce, et jouirent partout des mêmes droits et de la même liberté que
les autres citoyens (1). Ptolomée fils de Lagus, les avait déjà établis en
Egypte. Sous son fils Ptolomée Philadelphe (477—277) leurs Ecritures furent
tournées en grec, et on vit paraître cette célèbre version appelée la version
des Septante. C'était de savants vieillards qu'Eléazar souverain pontife envoya
au roi, qui les demandait. Quelques-uns veulent qu'ils n'aient traduit que les
cinq livres de la loi. Le reste des livres sacrés pourrait dans la suite avoir
été mis en grec pour l'usage des Juifs répandus dans l'Egypte et dans la Grèce
(2), où ils oublièrent non-seulement leur ancienne langue qui était l'hébreu,
mais encore le chaldéen que la captivité leur avait appris. Ils se firent un
grec mêlé d'hébraïsmes qu'on appelle le langage hellénistique : les Septante et
tout le Nouveau Testament est écrit en ce langage. Durant cette dispersion des
Juifs leur temple fut célèbre par toute la terre, et tous les rois d'Orient y
présentaient leurs offrandes. L'Occident était attentif à la guerre des Romains
et de Pyrrhus. Enfin ce roi fut défait par le consul Curius (479—275), et
repassa en Epire. Il n'y demeura pas longtemps en repos, et voulut se
récompenser sur la Macédoine des mauvais succès d'Italie (480—274). Antigonus
Gonatas fut renfermé dans Thessalonique, et contraint d'abandonner à Pyrrhus
tout le reste du royaume. Il reprit cœur pendant que Pyrrhus inquiet et
ambitieux faisait la guerre aux Lacédémomens et aux Argiens (482—272). Les deux
rois ennemis furent introduits dans
1 Joseph., Antiq., lib. XII, cap. III. —
2 Ibid., lib. I, Proœm., et lib. XI, cap. II.
309
Argos en même temps par deux cabales contraires, et par
deux portes différentes. Il se donna dans la ville un grand combat : une mère
qui vit son fils poursuivi par Pyrrhus qu'il avait blessé, écrasa ce prince d'un
coup de pierre. Antigonus défait d'un tel ennemi rentra dans la Macédoine, qui
après quelques changements demeura paisible à sa famille. La ligue des Achéens
l'empêcha de s'accroître. C'était le dernier rempart de la liberté de la Grèce,
et ce fut elle qui en produisit les derniers héros avec Aratus et Philopœmen.
Les Tarentins que Pyrrhus entretenait d'espérance, appelèrent les Carthaginois
après sa mort. Ce secours leur fut inutile : ils furent battus avec les Brutiens
et les Samnites leurs alliés. Ceux-ci, après soixante-douze ans de guerre
continuelle, furent forcés à subir le joug des Romains. Tarente les suivit de
près : les peuples voisins ne tinrent pas : ainsi tous les anciens peuples
d'Italie furent subjugués. Les Gaulois souvent battus, n'osaient remuer. Après
quatre cent quatre-vingts ans de guerre, les Romains se virent les maîtres en
Italie, et commencèrent à regarder les affaires du dehors (1) : ils entrèrent en
jalousie contre les Carthaginois trop puissants dans leur voisinage par les
conquêtes qu'ils faisaient dans la Sicile, d'où ils venaient d'entreprendre sur
eux et sur l'Italie, en secourant les Tarentins. La république de Carthage
tenait les deux côtes de la mer Méditerranée. Outre celle d'Afrique qu'elle
possédait presque toute entière, elle s'était étendue du côté d'Espagne par le
détroit. Maîtresse de la mer et du commerce, elle avait envahi les îles de Corse
et de Sardaigne. La Sicile avait peine à se défendre, et l'Italie était menacée
de trop près pour ne pas craindre. De là les guerres Puniques (490—264), malgré
les traités mal observés de part et d'autre. La première apprit aux Romains à
combattre sur la mer (494—260). Ils furent maîtres d'abord dans un art qu'ils ne
connaissaient pas; et le consul Duilius qui donna la première bataille navale,
la gagna. Regulus soutint cette gloire, et aborda en Afrique où il eut à
combattre ce prodigieux serpent, contre lequel il fallut employer toute son
armée. Tout cède : Carthage réduite à l'extrémité, ne se sauve que par le
secours de Xantippe
1 Polyb., lib. I, cap. XII; lib. II, cap. I.
310
Lacédémonien. Le général romain est battu et pris (499—255)
; mais sa prison le rend plus illustre que ses victoires. Renvoyé sur sa parole
pour ménager l’échange des prisonniers, il vient soutenir dans le sénat la loi
qui ôtait toute espérance à ceux qui se laissaient prendre, et retourne à une
mort assurée. Deux épouvantables naufrages contraignirent les Romains
d'abandonner de nouveau l'empire de la mer aux Carthaginois. La victoire demeura
longtemps douteuse entre les deux peuples, et les Romains furent prêts à céder :
mais ils réparèrent leur flotte. Une seule bataille décida, et le consul
Lutatius acheva la guerre (513— 241). Carthage fut obligée à payer tribut, et à
quitter avec la Sicile toutes les îles qui étaient entre la Sicile et l'Italie.
Les Romains gagnèrent cette île toute entière, à la réserve de ce qu'y tenait
Hiéron roi de Syracuse, leur allié (1). Après la guerre achevée, les
Carthaginois pensèrent périr par le soulèvement de leur armée. Ils l'avaient
composée, selon leur coutume, de troupes étrangères, qui se révoltèrent pour
leur paye. Leur cruelle domination fit joindre à cas troupes mutinées presque
toutes les villes de leur empire, et Carthage étroitement assiégée était perdue
sans Amilcar surnommé Barcas. Lui seul avait soutenu la dernière guerre. Ses
citoyens lui durent encore la victoire qu'ils remportèrent sur les rebelles
(516—238) : il leur en coûta la Sardaigne, que la révolte de leur garnison
ouvrit aux Romains (2). De peur de s'embarrasser avec eux dans une nouvelle
querelle, Carthage céda malgré elle une île si importante, et augmenta son
tribut. Elle songeait à rétablir en Espagne son empire ébranlé par la révolte
(524—230) : Amilcar passa dans cette province avec son fils Annibal âgé de neuf
ans, et y mourut dans une bataille. Durant neuf ans qu'il y fit la guerre avec
autant d'adresse que de valeur, son fils se formait sous un si grand capitaine,
et tout ensemble il concevait une haine implacable contre les Romains. Son allié
Asdrubal fut donné pour successeur à son père. Il gouverna sa province avec
beaucoup de prudence, et y bâtit Carthage la Neuve qui tenait l'Espagne en
sujétion. Les Romains étaient occupés dans la guerre contre Teuta reine d'illyrie,
1 Polyb., lib. I, cap. 62; 63, lib. II
cap. 1. — 2 Ibid., cap. 79, 83, 88.
311
qui exerçait impunément la piraterie sur toute la côte.
Enflée du butin qu'elle faisait sur les Grecs et sur les Epirotes, elle méprisa
les Romains, et tua leur ambassadeur. Elle fut bientôt accablée (525—229) : les
Romains ne lui laissèrent qu'une petite partie de l'Illyrie, et gagnèrent l'île
de Corfou (526—228), que cette reine avait usurpée. Ils se firent alors
respecter en Grèce par une solennelle ambassade, et ce fut la première fois
qu'on y connut leur puissance. Les grands progrès d'Asdrubal leur donnaient de
la jalousie : mais les Gaulois d'Italie les empêchaient de pourvoir aux affaires
de l'Espagne (1). Il y avait quarante-cinq ans qu'ils demeuraient en repos. La
jeunesse qui s'était élevée durant ce temps ne songeait plus aux pertes passées,
et commençait à menacer Rome (2). Les Romains pour attaquer avec sûreté de si
turbulents voisins, s'assurèrent des Carthaginois. Le traité fut conclu avec
Asdrubal qui promit de ne passer point au delà de l'Ebre (630—224). La guerre
entre les Romains et les Gaulois se fit avec fureur de part et d'autre : les
Transalpins se joignirent aux Cisalpins : tous furent battus. Concolitanus un
des rois gaulois, fut pris dans la bataille : Anéroestus un autre roi se tua
lui-même. Les Romains victorieux passèrent le Pô pour la première fois, résolus
d'ôter aux Gaulois les environs de ce fleuve dont ils étaient en possession
depuis tant de siècles. La victoire les suivit partout : Milan fut pris; presque
tout le pays fut assujetti (534— 220). En ce temps Asdrubal mourut; et Annibal,
quoiqu'il n'eût encore que vingt-cinq ans, fut mis à sa place. Dès lors on
prévit la guerre. Le nouveau gouverneur entreprit ouvertement de dompter
l'Espagne, sans aucun respect des traités. Rome alors écouta les plaintes de
Sagonte son alliée (535—219). Les ambassadeurs romains vont à Carthage. Les
Carthaginois rétablis n'étaient plus d'humeur à céder. La Sicile ravie de leurs
mains, la Sardaigne injustement enlevée, et le tribut augmenté, leur tenaient au
cœur. Ainsi la faction qui voulait qu'on abandonnât Annibal, se trouva faible.
Ce général songeait à tout. De secrètes ambassades l'avaient assuré des Gaulois
d'Italie, qui n'étant plus en état de rien entreprendre par leurs propres
forces, embrassèrent
1 Polyb., lib. II, cap. 12, 22. — 2
Ibid., cap. 21.
312
cette occasion de se relever. Annibal traverse l’Ebre, les
Pyrénées, toute la Gaule transalpine, les Alpes, et tombe comme en un moment sur
l'Italie. Les Gaulois ne manquent point de fortifier son armée, et font un
dernier effort pour leur liberté. Quatre batailles perdues font croire que Rome
allait tomber (536—218). La Sicile prend le parti du vainqueur (537—217).
Hiéronyme roi de Syracuse se déclare contre les Romains (538—216) : presque
toute l'Italie les abandonne (539—215) ; et la dernière ressource de la
république semble périr en Espagne avec les deux Scipions (542—212). Dans de
telles extrémités, Rome dut son salut à trois grands hommes. La constance de
Fabius Maximus, qui se mettant au-dessus des bruits populaires, faisait la
guerre en retraite, fut un rempart à sa patrie. Marcellus qui fit lever le siège
de Noie (540—214) et prit Syracuse (542—212), donnait vigueur aux troupes par
ses actions. Mais Rome qui admirait ces deux grands hommes, crut voir dans le
jeune Scipion quelque chose de plus grand. Les merveilleux succès de ses
conseils confirmèrent l'opinion qu'on avait qu'il était de race divine., et
qu'il conversait avec les dieux. A l’âge de vingt-quatre ans il entreprend
d'aller en Espagne (543—211), où son père et son oncle venaient de périr : il
attaque Carthage la Neuve (541—210), comme s'il eût agi par inspiration, et ses
soldats l'emportent d'abord. Tous ceux qui le voient sont gagnés au peuple
romain : les Carthaginois lui quittent l'Espagne (548—206) : à son abord en
Afrique les rois se donnent à lui : Carthage tremble à son tour, et voit ses
armées défaites (551—203) : Annibal victorieux durant seize ans est vainement
rappelé, et ne peut défendre sa patrie (552—202) : Scipion y donne la loi : le
nom d'Africain est sa récompense : le peuple romain ayant abattu les Gaulois et
les Africains, ne voit plus rien à craindre, et combat dorénavant sans péril.
Au milieu de la première guerre punique, Théodote
gouverneur de la Bactrienne enleva mille villes à Antiochus (504—250)-appelé le
Dieu, fils d'Antiochus Soter, roi de Syrie. Presque tout l'Orient suivit cet
exemple. Les Parthes se révoltèrent sous la conduite d'Arsace chef de la maison
des Arsacides, et fondateur d'un empire qui s'étendit peu à peu dans toute la
haute Asie.
313
Les rois de Syrie et ceux
d'Egypte, acharnés les uns contre les autres, ne songeaient qu'à se ruiner
mutuellement, ou parla force, ou par la fraude. Damas et son territoire, qu'on
appelait Cœlé-Syrie, ou la Syrie basse, et qui (a) confinait aux royaumes, fut
le sujet de leurs guerres, et les affaires de l'Asie étaient entièrement
séparées de celles de l'Europe.
Durant tous ces temps la
philosophie florissait dans la Grèce. La secte des philosophes italiques, et
celle des ioniques, la remplissaient de grands hommes, parmi lesquels il se mêla
beaucoup d'extra va gans, à qui la Grèce curieuse ne laissa pas de donner le nom
de philosophes. Du temps de Cyrus et de Cambyse, Pythagore commença la secte
italique dans la Grande-Grèce, aux environs de Naples. A peu près dans le même
temps Thaïes Milésien forma la secte ionique. De là sont sortis ces grands
philosophes, Heraclite, Démocrite, Empédocle, Parménides; Anaxagore, qui un peu
avant la guerre du Péloponèse lit voir le monde construit par un esprit éternel
; Sociale, qui un peu après ramena la philosophie à l'étude des bonnes mœurs, et
fut le père de la philosophie morale; Platon son disciple, chef de l'Académie;
Arislote disciple de Platon et précepteur d'Alexandre chef des péripatéticiens ;
sous les successeurs d'Alexandre, Zénon nommé Ciltien, d'une ville de l'île de
Chypre où il était né, chef des stoïciens ; et Epicure Athénien, chef des
philosophes qui portent son nom, si toutefois on peut nommer philosophes ceux
qui m'aient ouvertement la Providence, et gui, ignorant ce que c'est que le
devoir, définissaient la vertu par le plaisir. On peut compter parmi les plus
grands philosophes Hyppocrate le père de la médecine, qui éclata au milieu des
autres dans ces heureux temps de la Grèce. Les Romains avaient dans le même
temps une autre espèce de philosophie, qui ne consistait point en disputes ni en
discours, mais dans la frugalité, dans la pauvreté, dans les travaux de la vie
rustique et dans ceux de la guerre, où ils faisaient leur gloire de celle de
leur patrie et du nom romain ; ce qui les rendit enfin maîtres de l'Italie et de
Carthage.
(a) 1ère édit. : Qu'on appelait Cœlé-Syrie, et
qui.
314
L'an 552 de la fondation de Rome
( 552—202 ), environ 250 ans après celle de la monarchie (a) des Perses, et 202
ans avant Jésus-Christ, Carthage fut assujettie aux Romains. Annibal ne laissent
pas sous main de leur susciter des ennemis partout où il pouvait : mais il ne
fit qu'entraîner tous ses amis anciens et nouveaux dans la ruine de sa patrie et
dans la sienne. Par les victoires du consul Flaminius (556—198), Philippe roi de
Macédoine allié des Carthaginois, fut abattu (558—196), les rois de Macédoine
réduits à l'étroit, et la Grèce affranchie de leur joug. Les Romainlr
entreprirent de faire périr Annibal, qu'ils trouvaient encore redoutable après
sa perte (559—195). Ce grand capitaine réduit à se sauver de son pays, remua
l'Orient contre eux, et attira leurs armes en Asie. Par ses puissants
raisonnements, Antiochus surnommé le Grand, roi de Syrie, devint jaloux de leur
puissance (561—193), et leur fit la guerre : mais il ne suivit pas en la faisant
les conseils d'Ànnibal, qui l'y avait engagé. Battu par mer et par terre, il
reçut la loi que lui imposa le consul Lucius Scipio frère de Scipion l'Africain,
et il fut renfermé dans le mont Taurus. Annibal réfugié chez Prusias (572—182)
roi de Bithynie, échappa aux Romains par le poison. Ils sont redoutés par toute
la terre, et ne veulent plus souffrir d'autre puissance que la leur. Les rois
étaient obligés de leur donner leurs enfants pour otage de leur foi. Antiochus
depuis appelé l'Illustre ou Epiphanes, second fils d'Antiochus le Grand, roi de
Syrie, demeura longtemps à Rome en cette qualité : mais sur la fin du règne de
Seleucus Philopator ( 578—176 ) ) son frère aîné, il fut rendu : et les Romains
voulurent avoir à sa place Démétrius Soter fils du roi, alors âgé de dix ans
(579—175). Dans ce contre-temps. Seleucus mourut; et Antiochus usurpa le royaume
sur son neveu. Les Romains étaient appliqués aux affaires de la Macédoine, où
Persée inquiétait ses
(a) 1ère édit. : Après la fondation de la
monarchie...
315
voisins, et ne voulait plus s'en tenir aux conditions
imposées au roi Philippe son père. Ce fut alors que commencèrent les
persécutions du peuple de Dieu (581—173). Antiochus l’Illustre régnait comme un
furieux : il tourna toute sa fureur contre les Juifs, et entreprit de ruiner le
temple, la loi de Moïse, et toute la nation (583—171). L'autorité des Romains
l'empêcha de se rendre maître de l'Egypte. Us faisaient la guerre à Persée, qui
plus prompt à entreprendre qu'à exécuter, perdait ses alliés par son avarice, et
ses armées par sa lâcheté. Vaincu par le consul Paul Emile ( 586—168), il fut
contraint de se livrer entre ses mains. Genlius roi de l’Illyrie son allié,
abattu en trente jours par le préteur Anicius, venait d'avoir un sort semblable.
Le royaume de Macédoine, qui avait duré sept cents ans, et avait près de deux
cents ans donné des maîtres, non-seulement à la Grèce, mais encore à tout
l'Orient, ne fut plus qu'une province romaine. Les fureurs d’ Antiochus s
augmentaient contre le peuple de Dieu. On voit paraître alors la résistance de
Mathathias sacrificateur (587— 167), de la race de Phinées, et imitateur de son
zèle; les ordres qu'il donne en mourant pour le salut de son peuple (388—166) ;
les victoires de Judas le Macbabée son fils, malgré le nombre infini des ennemis
; l'élévation de la famille des Asmonéens, ou des Machabées ; la nouvelle
dédicace du temple que les Gentils avaient profané (589—165); Je gouvernement
(a) de Judas (590—164), et la gloire du sacerdoce rétablie ; la mort d'Antiochus
digne de son impiété et de son orgueil ; sa fausse conversion durant sa dernière
maladie, et l'implacable colère de Dieu sur ce roi superbe. Son fils Antiochus
Eupator encore en bas âge, lui succéda, sous la tutelle de Lysias son
gouverneur. Durant cette minorité Démétrius Soter, qui était en otage à Rome,
crut se pouvoir rétablir; mais il ne put obtenir du sénat d'être renvoyé dans
son royaume : Ja politique romaine aimait mieux un roi enfant (591— 163 J. Sous
Antiochus Eupator, la persécution du peuple de Dieu et les victoires do Judas le
Machabée continuent (592—102 ). La division se met dans le royaume de Syrie.
Démétrius s'échappe de Rome : les peuples le reconnaissent ; le jeune Antiochus
est
(a) 1ère édit. : Le pontificat de Judas.
316
tué avec Lysias son tuteur. Mais les Juifs ne sont pas
mieux traités sous Démétrius que sous ses prédécesseurs; il éprouve le même sort
; ses généraux sont battus par Judas le Machabée ; et la main du superbe Nicanor,
dont il avait si souvent menacé le temple, y est attachée ( 593—161). Mais un
peu après, Judas, accablé par la multitude, fut tué en combattant avec une
valeur étonnante. Son frère Jonathas succède à sa charge, et soutient sa
réputation. Réduit à l'extrémité, son courage ne l'abandonna pas. Les Romains,
ravis d'humilier les rois do Syrie, accordèrent aux Juifs leur protection ; et
l'alliance que Judas avait envoyé leur demander fut accordée, sans aucun secours
toutefois : mais la gloire du nom romain ne laissait pas d'être un grand support
au peuple affligé. Les troubles de la Syrie croissaient tous les jours.
Alexandre Balas, qui se vantait d'être fils d'Antiochus l'Illustre , fut mis sur
le trône par ceux d'Antioche (600—154), Les rois d'Egypte, perpétuels ennemis de
la Syrie, se mêlaient dans ses divisions pour en profiter. Ptolomée Philométor
soutint Balas. La guerre fut sanglante : Démétrius Soter y fut tué ( 604—150 ),
et ne laissa pour venger sa mort, que deux jeunes princes encore en bas âge,
Démétrius Nicator et Antiochus Sidétès. Ainsi l'usurpateur demeura paisible, et
le roi d'Egypte lui donna sa fille Cléopâtre en mariage. Balas, qui se crut
au-dessus de tout, se plongea dans la débauche, et s'attira le mépris de tous
ses sujets. En ce temps Philométor jugea le fameux procès que les Samaritains
firent aux Juifs (604—150). Ces schismatiques toujours opposés au peuple de
Dieu, ne manquaient point de se joindre à leurs ennemis ; et pour plaire à
Antiochus l'Illustre leur persécuteur, ils avaient consacré leur temple de
Garizim à Jupiter Hospitalier (587—167) (1). Malgré cette profanation, ces
impies ne laissèrent pas de soutenir quelque temps après à Alexandrie devant
Ptolomée Philométor, que ce temple devait l'emporter sur celui de Jérusalem. Les
parties contestèrent devant le roi, et s'engagèrent de part et d'autre à peine
de la vie à justifier leurs prétentions par les termes do la loi de Moïse ». Les
Juifs gagnèrent
1 II Machab., VI, 2; Joseph., Antiq., lib. XII, cap. 7, al
5. — 2 Ibid., lib. XIII, cap. 6, al. 5.
317
leur cause, et les Samaritains furent punis de mort selon
la convention. Le même roi permit à Onias de la race sacerdotale, de bâtir en
Egypte le temple d'Héliopolis, sur le modèle de celui de Jérusalem (1) :
entreprise qui fut condamnée par tout le conseil des Juifs, et jugée contraire à
la loi. Cependant Carthage remuoit, et souffrait avec peine les lois que Scipion
l'Africain lui avait imposées. Les Romains résolurent sa perte totale, et la
troisième guerre punique fut entreprise (606—148). Le jeune Démétrius Nicator
sorti de l'enfance songeait à se rétablir sur le trône de ses ancêtres, et la
mollesse de l'usurpateur lui faisait tout espérer. A son approche Balas se
troubla : son beau-père Philométor se déclara contre lui ( 608—146 ), parce que
Balas ne voulut pas lui laisser prendre son royaume : l'ambitieuse Cléopâtre sa
femme le quitta pour épouser son ennemi, et il périt enfin de la main des siens
après la perte d'une bataille. Philométor mourut peu de temps après des
blessures qu'il y reçut, et la Syrie fut délivrée de deux ennemis. On vit tomber
en ce même temps deux grandes villes. Carthage fut prise et réduite en cendres
par Scipion Emilien, qui confirma par celte victoire le nom d'Africain dans sa
maison, et se montra digne héritier du grand Scipion son aïeul. Corinthe eut la
même destinée, et la république ou la ligue des Achéens périt (a) avec elle. Le
consul Mummius ruina de fond en comble cette ville, la plus voluptueuse de la
Grèce et la plus ornée, il en transporta à Rome les incomparables statues, sans
en connaître le prix. Les Romains ignoraient les arts de la Grèce, et se
contenaient de savoir la guerre, la politique et l’agriculture.
Durant les troubles de Syrie les
Juifs se fortifièrent : Jonathas se vit recherché des deux partis, et Nicator
victorieux le traita de frère (610—144). lien fut bientôt récompensé. Dans une
sédition, les Juifs accourus le tirèrent d'entre les mains des rebelles.
Jonathas fut comblé d'honneurs : mais quand le roi se crut assuré, il reprit les
desseins de ses ancêtres, et les Juifs furent tourmentés comme auparavant. Les
troubles de Syrie recommencèrent ;
1 Joseph., Antiq., lib. XIII, cap. 6, al. 5.
(a) 1ère édit. : La république des Achéeus
périt.
318
Diodote surnommé Tryphon, éleva un fils de Balas qu'il
nomma Antiochus le Dieu, et lui servit de tuteur pendant son bas âge. L'orgueil
de Démétrius souleva les peuples : toute la Syrie était en feu (611—J43) :
Jonathas sut profiter de la conjoncture, et renouvela l'alliance avec les
Romains. Tout lui succédoit, quand Tryphon par un manquement de parole le fit
périr avec ses enfants. Son frère Simonie plus prudent et le plus heureux des
Machabées, lui succéda ; et les Romains le favorisèrent, comme ils avaient fait
ses prédécesseurs. Tryphon ne fut pas moins infidèle à son pupille Antiochus
qu'il l'avait été à Jonathas. Il fit mourir cet enfant par le moyen des
médecins, sous prétexte de le faire tailler de la pierre qu'il n'avait pas, et
se rendit maître d'une partie du royaume. Simon prit le parti de Démétrius
Nicator roi légitime; et après avoir obtenu de lui la liberté de son pays, il la
soutint par les armes contre le rebelle Tryphon. Les Syriens furent chassés delà
citadelle qu'ils tenaient dans Jérusalem (612— 142), et ensuite de toutes les
places de la Judée. Ainsi les Juifs affranchis du joug des Gentils parla valeur
de Simon, accordèrent les droits royaux à lui et à sa famille, et Démétrius
Nicator consentit à ce nouvel établissement. Là commence le nouveau royaume du
peuple de Dieu, et la principauté des Asmonéens toujours jointe au souverain
sacerdoce. En .ces temps l'empire des Parthes s'étendit sur la Bactrienne et sur
les Indes par les victoires de Mithridate le plus vaillant des Arsacides.
Pendant qu'il s'avançait vers l'Euphrate (613—141), Démétrius Nicator appelé par
les peuples de cette contrée que Mithridate venait de soumettre, espérait de
réduire à l'obéissance les Parthes que les Syriens traitaient toujours de
rebelles. Il remporta plusieurs victoires ; et prêt à retourner dans la Syrie
pour y accabler Tryphon, il tomba dans un piège qu'un général de Mithridate lui
avait tendu : ainsi il demeura prisonnier des Parthes. Tryphon qui se croyait
assuré par le malheur de ce prince, sévit tout d'un coup abandonné des siens
(614—140). Ils ne pouvaient plus souffrir son orgueil. Durant la prison de
Démétrius leur roi légitime, ils se donnèrent à sa femme Cléopâtre et à ses
enfants; mais il fallut chercher un défenseur à ces princes encore en bas âge.
Ce
319
soin regardait naturellement Antiochus Sidétès frère de
Démétrius : Cléopàtre le ht reconnaître dans tout le royaume. Elle fit plus :
Phraatc frère et successeur de Mithridale, traita Nicator en roi, et lui donna
sa fille Rodogune en mariage. En haine de cette rivale, Cléopàtre à qui elle
ôtait la couronne avec son mari épousa Antiochus Sidélès, et se résolut à régner
par toute sorte de crimes. Le nouveau roi attaqua Tryphon (615—139) : Simon se
joignit à lui dans cette entreprise, et le tyran, forcé dans toutes ses places,
finit comme il le méritait. Antiochus maître du royaume oublia bientôt les
services que Simon lui avait rendus dans cette guerre, et le fit périr
(619—135). Pendant qu'il ramassait contre les Juifs toutes les forces de la
Syrie, Jean Hyrcan fils de Simon succéda au pontificat de son père, et tout le
peuple se soumit à lui. Il soutint le siège dans Jérusalem avec beaucoup de
valeur ; et la guerre qu'Antiochus méditait contre les Parthes pour délivrer son
chef captif, lui fit accorder aux Juifs des conditions supportables. En même
temps que cette paix se conclut, les Romains qui commençaient à être trop
riches, trouvèrent de redoutables ennemis dans la multitude effroyable de leurs
esclaves. Eunus esclave lui-même, les souleva en Sicile ; et il fallut employer
à les réduire toute la puissance romaine. Un peu après (621—133), la succession
d'Attalus roi de Pergame, qui fit par son testament le peuple romain son
héritier, mit la division dans la ville. Les troubles des Gracques commencèrent.
Le séditieux tribunat de Tibérius Gracchus un des premiers hommes de Rome, le
fit périr : tout le sénat le tua par la main de Scipion Nasica, et ne vit que ce
moyeu d'empêcher la dangereuse distribution d'argent dont cet éloquent tribun
flattait le peuple. Scipion Emilien rebâtissait la discipline militaire ; et ce
grand homme qui avait détruit Carthage, ruina encore en Espagne Numance la
seconde terreur des Romains (622—132). Les Parthes se trouvèrent faibles contre
Sidétès : ses troupes, quoique corrompues par un luxe prodigieux, eurent un
succès surprenant. Jean Hyrcan qui l'avait suivi dans cette guerre avec ses
Juifs, y signala sa valeur, et fit respecter la religion judaïque (1), lorsque
l'armée s'arrêta pour lui
1 Nic. Damasc. apud Joseph., Antiq.,
lib. XIII, cap. 10 al. 8.
320
donner le loisir de célébrer un jour de fête (a). Tout
cédait, et Phraate vit son empire réduit à ses anciennes limites ; mais loin de
désespérer de ses affaires, il crut que son prisonnier lui servirait à les
rétablir, et à envahir la Syrie. Dans cette conjoncture, Démétrius éprouva un
sort bizarre. Il fut souvent relâché, et autant de fois retenu suivant que
l'espérance ou la crainte prévalaient dans l'esprit de son beau-père ; en un un
moment heureux, où Phraate ne vit de ressource que dans la diversion qu'il
voulait faire en Syrie par son moyen, le mit tout à fait en liberté. A ce moment
le sort tourna (624—130) : Sidétès qui ne pouvait soutenir ses effroyables
dépenses que par des rapines insupportables, fut accablé tout d'un coup par un
soulèvement général des peuples, et périt avec son armée tant de fois
victorieuse. Ce fut en vain que Phraate fit courir après Démétrius : il n'était
plus temps ; ce prince était rentré dans son royaume. Sa femme Cléopâtre qui ne
voulait que régner, retourna bientôt avec lui, et Rodogune fut oubliée. Hyrcan
profita du temps : il prit Sichem aux Samaritains, et renversa de fond en comble
le temple de Garizim, deux cents ans après qu'il avait été bâti par Sanaballat.
Sa ruine n'empêcha pas les Samaritains de continuer leur culte sur cette
montagne, et les deux peuples demeurèrent irréconciliables. L'année d'après
toute l'Idumée unie par les victoires d'Hyrcan au royaume de Judée, reçut la loi
de Moïse avec la circoncision (625 —129). Les Romains continuèrent leur
protection à Hyrcan, et lui firent rendre les villes que les Syriens lui avaient
ôtées. L'orgueil et les violences de Démétrius Nicator ne laissèrent pas la
Syrie longtemps tranquille. Les peuples se révoltèrent (626— 128). Pour
entretenir leur révolte, l'Egypte ennemie leur donna un roi : ce fut Alexandre
Zébina fils de Balas (629—125). Démétrius fut battu ; et Cléopâtre qui crut
régner plus absolument sous, ses enfants que sous son mari, le fit périr. Elle
ne traita pas mieux son fils aîné Seleucus, qui voulait régner malgré elle
(630—124). Son second fils Antiochus appelé Grypus, avait défait les rebelles,
et revenait victorieux : Cléopâtre lui présenta en cérémonie la coupe
empoisonnée , que son fils averti de ses desseins
(a) 1re édit. : Le jour du repos.
321
pernicieux, lui fit avaler (633—121). Elle laissa en
mourant une semence éternelle de divisions entre les enfants qu'elle avait eus
des deux frères, Démétrius Nicator et Antiochus Sidétès. La Syrie ainsi agitée
ne fut plus en état de troubler les Juifs. Jean Hyrcan prit Samarie, et ne put
convertir les Samaritains (645— 109). Cinq ans après il mourut (650—104) : la
Judée demeura paisible à ses deux enfants Aristobule et Alexandre Jannée (651—
103), qui régnèrent l'un après l'autre sans être incommodés des rois de Syrie.
Les Romains laissaient ce riche royaume se consumer par lui-même, et
s'étendaient du côté de l'Occident (629— 125). Durant les guerres de Démétrius
Nicator et de Zébina, ils commencèrent à s'étendre au delà des Alpes (630—124) ;
et Sextius vainqueur des Gaulois nommés Saliens, établit dans la ville d'Aixune
colonie qui porte encore son nom (631—123). Les Gaulois se défendaient mal.
Fabius dompta les Allobroges et tous les peuples voisins (633—121) ; et la même
année que Grypus fît boire à sa mère le poison qu'elle lui avait préparé, la
Gaule Narbonnaise réduite en province reçut le nom de province romaine.
Ainsi
l'empire romain s'agrandissait, et occupait peu. à peu toutes les terres et
toutes les mers du monde connu. Mais autant que la face delà république
paraissait belle au dehors par les conquêtes, autant était-elle défigurée par
l'ambition désordonnée de ses citoyens, et par ses guerres intestines. Les plus
illustres des Romains devinrent les plus pernicieux au bien public. Les deux
Gracques en flattant le peuple, commencèrent les divisions qui ne finirent
qu'avec la république. Caïus frère de Tibérius ne put souffrir qu'on eût fait
mourir un si grand homme d'une manière si tragique. Animé à la vengeance par des
mouvements qu'on crut inspirés par l'ombre de Tibérius, il arma tous les
citoyens les uns contre les autres ; et à la veille de tout détruire, il périt
d'une mort semblable à celle qu'il voulait venger. L'argent faisait tout à Rome
(635, 640,641). Jugurtha roi de Numidie, souillé du meurtre de ses frères que le
peuple romain protégeait, se défendit plus longtemps par ses largesses que par
ses armes; et Marius qui acheva de le vaincre, ne put parvenir au commandement
qu'en animant le peuple contre la noblesse (648—106). Les
322
esclaves armèrent encore une fois dans la Sicile (651—103),
et leur seconde révolte ne coûta pas moins de sang aux Romains que la première.
Marius battit les Teutons (652—102), les Cimbres et les autres peuples du Nord,
qui pénétraient dans les Gaules, dans l'Espagne et dans l'Italie. Les victoires
qu'il en remporta furent une occasion de proposer de nouveaux partages de terres
(654—100) : Métellus qui s'y opposait fut contraint de céder au temps ; et les
divisions ne furent éteintes que par le sang de Saturninus tribun du peuple
(660—94). Pendant que Rome protégeait la Cappadoce contre Mithridate roi de Pont
(666—88), et qu'un si grand ennemi cédait aux forces romaines (668—86) avec la
Grèce qui était entrée dans ses intérêts, l'Italie exercée aux armes par tant de
guerres soutenues ou contre les Romains, ou avec eux, mit leur empire en péril
par une révolte universelle (663—91). Rome se vit déchirée dans les mêmes temps
par les fureurs de Marius et de Sylla (666, 667 et suiv.), dont l'un avait fait
trembler le Midi et le Nord, et l'autre était le vainqueur de la Grèce et de
l'Asie. Sylla qu'on nommait l'Heureux, le fut trop contre sa patrie, que sa
dictature tyrannique mit en servitude (672—82). Il put bien quitter
volontairement la souveraine puissance (675—79) ; mais il ne put empêcher
l'effet du mauvais exemple. Chacun voulut dominer (680—74). Sertorius zélé
partisan de Marius se cantonna dans l'Espagne, et se ligua avec Mithridate
(681—73). Contre un si grand capitaine la force fut inutile ; et Pompée ne put
réduire ce parti qu'en y mettant la division. Il n'y eut pas jusqu'à Spartacus
gladiateur, qui ne crût pouvoir aspirer au commandement. Cet esclave ne fit pas
moins de peine aux préteurs et aux consuls que Mithridate en faisait à Lucullus
(683—71). La guerre des gladiateurs devint redoutable à la puissance romaine :
Crassus avait peine à la finir, et il fallut envoyer contre eux le grand Pompée
(686—68). Lucullus prenait le dessus en Orient. Les Romains passèrent l'Euphrate
: mais leur général invincible contre l'ennemi, ne put tenir dans le devoir ses
propres soldats. Mithridate souvent battu sans jamais perdre courage, se
relevait ; et le bonheur dé Pompée semblait nécessaire à terminer cette guerre
(687—67). Il venait de purger
323
les mers des pirates qui les infestaient depuis la Syrie
jusqu'aux colonnes d'Hercule, quand il fut envoyé contre Mithridate. Sa gloire
parut alors élevée au comble. Il achevait de soumettre ce vaillant roi,
l'Arménie où il s'était réfugié, l’Ibérie et l'Albanie qui le soutenaient
(689—65), la Syrie déchirée par ses factions, la Judée où la division des
Asmonéens ne laissa à Hyrcan II fils d'Alexandre Jannée qu'une ombre de
puissance (691—63), et enfin tout l'Orient : mais il n'eût pas eu où triompher
de tant d'ennemis sans le consul Cicéron, qui sauvait la ville des feux que lui
préparait Catilina suivi de la plus illustre noblesse de Rome. Ce redoutable
parti fut ruiné par l'éloquence de Cicéron, plutôt que par les armes de C.
Antonius son collègue. La liberté du peuple romain n'en fut pas plus assurée.
Pompée régnait dans le sénat, et son grand nom le rendait maître absolu de
toutes les délibérations. Jules César en domptant les Gaules (696—58 et suiv. ),
fit à sa patrie la plus utile conquête qu'elle eût jamais faite. Un si grand
service le mit en état d'établir sa domination dans son pays. Il voulut
premièrement égaler, et ensuite surpasser Pompée. Les immenses richesses de
Crassus lui firent croire qu'il pourrait partager la gloire de ces deux grands
hommes, comme il partageait leur autorité (700—54). Il entreprit témérairement
la guerre contre les Parthes, funeste à lui et à sa patrie (701—33). Les
Arsacides vainqueurs insultèrent par de cruelles railleries à l'ambition des
Romains, et à l'avarice insatiable de leur général. Mais la honte du nom romain
ne fut pas le plus mauvais effet de la défaite de Crassus. Sa puissance
contrebalançait celle de Pompée et de César, qu'il tenait unis comme malgré eux.
Par sa mort, la digue qui les retenait fut rompue (705—49). Les deux rivaux, qui
avaient en main toutes les forces de la république, décidèrent leur querelle à
Pharsale par une bataille sanglante (706—48). César victorieux parut en un
moment par tout l'univers, en Egypte, en Asie, en Mauritanie, en Espagne :
vainqueur de tous côtés, il fut reconnu comme maître à Rome et dans tout
l'empire (707—47). Brutus et Cassius crurent affranchir leurs citoyens en le
tuant comme un tyran malgré sa clémence (708—46). Rome retomba entre les mains
de Marc-Antoine (709—45),
324
de Lépide et du jeune César Octavien (710—44), petit-neveu
de Jules César et son fus par adoption ; trois insupportables tyrans, dont le
triumvirat et les proscriptions font encore horreur en les lisant (711—43). Mais
elles furent trop violentes pour durer longtemps. Ces trois hommes partagent
l'empire (712—42). César garde l'Italie; et changeant incontinent en douceur ses
premières cruautés, il fait croire qu'il y a été entraîné par ses collègues. Les
restes de la république périssent avec Brutus et Cassius (718—36). Antoine et
César, après avoir ruiné Lépide, se tournent l'un contre l'autre (722—32). Toute
la puissance romaine se met sur la mer. César gagne la bataille Actiaque
(723—31) : les forces de l'Egypte et de l'Orient qu'Antoine menait avec lui,
sont dissipées : tous ses amis l'abandonnent et même sa Cléopâtre pour laquelle
il s'était perdu (724—30). Hérode Iduméen qui lui devait tout, est contraint de
se donner au vainqueur, et se maintient par ce moyen dans la possession du
royaume de Judée, que la faiblesse du vieux Hyrcan avait fait perdre entièrement
aux Asmonéens. Tout cède à la fortune de César : Alexandrie lui ouvre ses portes
: l'Egypte devient une province romaine : Cléopâtre qui désespère de la pouvoir
conserver, se tue elle-même .après Antoine : Rome tend les bras à César
(727—27), qui demeure sous le nom d'Auguste et sous le titre d'empereur seul
maître de tout l'empire (730—24). Il dompte vers les Pyrénées, les Cantabres et
les Asturiens révoltés (732—22) : l'Ethiopie lui demande la paix (734—20) : les
Parthes épouvantés lui renvoient les étendards pris sur Crassus avec tous les
prisonniers romains : les Indes recherchent son alliance : ses armes se font
sentir aux Rhètes ou Grisons (739—15), que leurs montagnes ne peuvent défendre :
la Pannonie le reconnaît (742—12) : la Germanie le redoute, et le Veser reçoit
ses lois (747—7). Victorieux par mer et par terre, il ferme le temple de Janus
(753). Tout l'univers vit en paix sous sa puissance, et Jésus-Christ vient au
monde (754).
328
Nous voilà enfin arrivés à ces
temps tant désirés par nos pères, de la venue du Messie (1). Ce nom veut dire le
Christ ou l'Oint du Seigneur ; et Jésus-Christ le mérite comme Pontife, comme
Roi et comme Prophète. On ne convient pas de l'année précise où il vint au
monde, et on convient que sa vraie naissance devance de quelques années notre
ère vulgaire, que nous suivrons pourtant avec tous les autres pour une plus
grande commodité. Sans disputer davantage sur l'année de la naissance de
Notre-Seigneur, il suffit que nous sachions qu'elle est arrivée environ l'an
4000 du monde. Les uns la mettent un peu auparavant, les autres un peu après, et
les autres précisément en cette année : diversité qui provient autant de
l'incertitude des années du monde, que de celle de la naissance de
Notre-Seigneur. Quoi qu'il en soit, ce fut environ ce temps, mille ans après la
dédicace du temple, et l'an 754 de Rome, que Jésus-Christ Fils de Dieu dans
l'éternité, fils d'Abraham et de David dans le temps, naquit d'une vierge. Cette
époque est la plus considérable de toutes, non-seulement par l'importance d'un
si grand événement, mais encore parce que c'est celle d'où il y a plusieurs
siècles que les chrétiens commencent à compter leurs années. Elle a encore ceci
de remarquable, qu'elle concourt à peu près avec le temps où Rome retourne à
l'état monarchique sous l'empire paisible d'Auguste. Tous les arts fleurirent de
son temps, et la poésie latine fut portée à sa dernière perfection par Virgile
et par Horace, que ce prince n'excita pas seulement par ses bienfaits, mais
encore en leur donnant un libre accès auprès de lui. La naissance de
Jésus-Christ fut suivie de près de la mort d'Hérode. Son royaume fut partagé
entre ses enfants, et le principal partage (8) ne tarda pas à tomber entre les
mains des Romains. Auguste acheva son règne avec beaucoup de gloire. Tibère
qu'il avait adopté lui succéda sans contradiction (14), et l'empire fut reconnu
pour héréditaire dans la
326
maison des Césars. Rome eut beaucoup à souffrir de la
cruelle politique de Tibère : le reste de l'empire fut assez tranquille.
Germanicus neveu de Tibère apaisa les armées rebelles, refusa l'empire, battit
le fier Arminius (16), poussa ses conquêtes jusqu'à l'Elbe (17); et s'étant
attiré avec l'amour de tous les peuples la jalousie de son oncle, ce barbare le
fit mourir ou de chagrin ou par le poison (19). A la quinzième année de Tibère
saint Jean-Baptiste paraît (28) : Jésus-Christ se fait baptiser par ce divin
Précurseur (30) : le Père éternel reconnaît son Fils bien-aimé par une voix qui
vient d'eu haut : le Saint-Esprit descend sur le Sauveur, sous la figure
pacifique d'une colombe : toute la Trinité se manifeste. Là commence avec la
soixante-dixième semaine de Daniel la prédication de Jésus-Christ. Cette
dernière semaine était la plus importante et la plus marquée. Daniel l'avait
séparée des autres comme la semaine où l'alliance devait être confirmée, et au
milieu de laquelle les anciens sacrifices devaient perdre leur vertu (1). Nous
la pouvons appeler la semaine des mystères. Jésus-Christ y établit sa mission et
sa doctrine par des miracles innombrables , et ensuite par sa mort (33). Elle
arriva la quatrième année de son ministère, qui fut aussi la quatrième année de
la dernière semaine de Daniel, et cette grande semaine se trouve de cette sorte
justement coupée au milieu par cette mort.
Ainsi le compte des semaines est
aisé à faire, ou plutôt il est tout fait. Il n'y a qu'à ajouter à quatre cent
cinquante-trois ans, qui se trouveront depuis l'an 300 de Rome et le vingtième
d'Artaxerxe, jusqu'au commencement de l'ère vulgaire, les trente ans de cette
ère qu'on voit aboutir à la quinzième année de Tibère et au baptême de
Notre-Seigneur; il se fera de ces deux sommes quatre cent quatre-vingt-trois ans
: des sept ans qui restent encore pour en achever quatre cent quatre-vingt-dix,
le quatrième qui fait le milieu, est celui où Jésus-Christ est mort, et tout ce
que Daniel a prophétisé est visiblement renfermé dans le terme qu'il s'est
prescrit. On n'aurait pas même besoin de tant de justesse , et rien ne force à
prendre dans cette extrême rigueur le milieu marqué par Daniel. Les plus
difficiles se contenteraient de
1 Dan., IX, 27.
327
le trouver en quelque point que ce fût entre les deux
extrémités : ce que je dis, afin que ceux qui croiraient avoir des raisons pour
mettre un peu plus haut ou un peu plus bas le commencement d'Artaxerxe, ou la
mort de Notre-Seigneur, ne se gênent pas dans leur calcul, et que ceux qui
voudraient tenter d'embarrasser une chose claire par des chicanes de
chronologie, se défassent de leur inutile subtilité.
Voilà (a) ce qu'il faut savoir pour ne se point embarrasser
des auteurs profanes, et pour entendre autant qu'on en a besoin les antiquités
judaïques. Les autres discussions de chronologie sont ici fort peu nécessaires.
Qu'il faille mettre de quelques années plus tôt ou plus tard la naissance de
Notre-Seigneur, et ensuite prolonger sa vie un peu plus ou un peu moins, c'est
une diversité qui provient autant des incertitudes des années du monde que de
celles de Jésus-Christ. Et quoi qu'il en soit, un lecteur attentif aura déjà pu
reconnaître qu'elle ne fait rien à la suite ni à l'accomplissement des conseils
de Dieu, n faut éviter les anachronismes qui brouillent l'ordre des affaires, et
laisser les sa vans disputer des autres.
Quant à ceux qui veulent
absolument trouver dans les histoires profanes les merveilles de la vie de
Jésus-Christ et de ses apôtres, auxquelles le monde ne voulait pas croire, et
qu'au contraire il entreprenait de combattre de toutes ses forces, comme une
chose qui le condamnait, nous parlerons ailleurs de leur injustice. Nous verrons
aussi qu'il se trouve dans les auteurs profanes plus de vérités qu'on ne croit
favorables au christianisme : et je donnerai seulement ici pour exemple
l'éclipsé arrivée au crucifiement de Notre-Seigneur.
Les ténèbres qui couvrirent
toute la face de la terre en plein midi, et au moment que Jésus-Christ fut
crucifié (1), sont prises pour une éclipse ordinaire par les auteurs païens, qui
ont remarqué ce mémorable événement (2). Mais les premiers chrétiens qui en ont
parlé aux Romains comme d'un prodige marqué non-seulement
1 Matth,, XXVII, 45. — 2 Phleg., XIII
Olymp. Thall. Hist., 3.
(a) Cet alinéa et celui qui le suit jusqu'à ces mots : Les
ténèbres qui couvrirent, renferment une addition laissée par l'auteur en
manuscrit.
328
par leurs auteurs, mais encore par les registres publics
(1), ont fait voir que ni au temps de la pleine lune où Jésus-Christ était mort,
ni dans toute Tannée où cette éclipse est observée, il ne pouvait en être arrivé
aucune qui ne fût surnaturelle. Nous avons les propres paroles de Phlégon
affranchi d'Adrien, citées dans un temps où son livre était entre les mains de
tout le monde, aussi bien que les Histoires syriaques de Thallus qui l'a suivi ;
et la quatrième année de la 202e olympiade marquée dans les Annales
de Phlégon, est constamment celle (a) de la mort de Notre-Seigneur.
Pour achever les mystères,
Jésus-Christ sort du tombeau le troisième jour ; il apparaît à ses disciples ;
il monte aux cieux en leur présence; il leur envoie le Saint-Esprit; l'Eglise se
forme; la persécution commence ; saint Etienne est lapidé ; saint Paul est
converti. Un an après Tibère meurt. Caligula son petit-neveu, son fils par
adoption et son successeur (37), étonne l'univers par sa folie cruelle et
brutale : il se fait adorer (40), et ordonne que sa statue sait placée dans le
temple de Jérusalem. Chéréas délivre le monde de ce monstre (41). Claudius règne
malgré sa stupidité. Il est déshonoré par Messaline sa femme (48), qu'il
redemande après l'avoir fait mourir (49). On le remarie avec Agrippine fille de
Germanicus (50). Les apôtres tiennent le concile de Jérusalem (2), où saint
Pierre parle le premier, comme il fait partout ailleurs. Les Gentils convertis y
sont affranchis des cérémonies de la loi. La sentence en est prononcée au nom du
Saint-Esprit et de l'Eglise. Saint Paul et saint Barnabé portent le décret du
concile aux églises, et enseignent aux fidèles à s'y soumettre (3). Telle fut la
forme du premier concile. Le stupide empereur déshérita son fils Britannicus, et
adopta Néron fils d'Agrippine (54). En récompense elle empoisonna ce trop facile
mari. Mais l'empire de son fils ne lui fut pas moins funeste a elle-même qu'à
tout le reste de la république (58, 60, 62, 63, etc.). Corbulon
1 Tertull., Apol., cap. 21 ; Orig., cont.
Cels., lib. II, n. 33 ; et tractat. XXXV in Matth.,
n. 134; Euseb. et Hieron. in Chron. Jul. Afric., Chron. — 2 Act.,
XV, 7. — 3 Ibid., XVI, 4.
(a) 1ère édit. : Est celle.
329
fit tout l'honneur de ce règne par les victoires qu'il
remporta sur les Parthes et sur les Arméniens. Néron commença dans le même temps
la guerre contre les Juifs, et la persécution contre les chrétiens (66). C'est
le premier empereur qui ait persécuté l'Eglise (67). Il fit mourir à Rome saint
Pierre et saint Paul. Mais comme dans le même temps il persécutait tout le genre
humain, on se révolta contre lui de tous côtés : il apprit que le sénat l'avait
condamné (68), et se tua lui-même (69). Chaque armée fit un empereur : la
querelle se décida auprès de Rome, et dans Rome même par d'effroyables combats.
Galba, Othon et Vitellius y périrent : l'empire affligé se reposa sous Vespasien
(70). Mais les Juifs furent réduits à l'extrémité : Jérusalem fut prise et
brûlée. Tite fils et successeur de Vespasien donna au monde une courte joie (79)
; et ses jours qu'il croyait perdus quand ils n'étaient pas marqués de quelque
bienfait, se précipitèrent trop vite. On vit revivre Néron en la personne de
Domitien. La persécution se renouvela. Saint Jean sorti de l'huile bouillante
(93) fut relégué dans l'île de Patmos, où il écrivit son Apocalypse. Un peu
après il écrivit son Evangile, âgé de quatre-vingt-dix ans (95), et joignit la
qualité d'évangéliste à celle d'apôtre et de prophète. Depuis ce temps les
chrétiens furent toujours persécutés, tant sous les bons que sous les mauvais
empereurs. Ces persécutions se faisaient, tantôt par les ordres des empereurs,
et par la haine particulière des magistrats, tantôt par le soulèvement des
peuples, et tantôt par des décrets prononcés authentiquement dans le sénat sur
les rescrits des princes, ou en leur présence. Alors la persécution était plus
universelle et plus sanglante ; et ainsi la haine des infidèles toujours
obstinée à perdre l'Eglise, s'excitait de temps en temps elle-même à de
nouvelles fureurs. C'est par ces renouvellements de violence que les historiens
ecclésiastiques comptent dix persécutions sous dix empereurs. Dans de si longues
souffrances, les chrétiens ne firent jamais la moindre sédition. Parmi tous les
fidèles, les évêques étaient toujours les plus attaqués. Parmi toutes les
églises, l'Eglise de Rome fut persécutée avec le plus de violence; et les papes
confirmèrent souvent par leur sang (a)
(a) Et trente papes confirmèrent par leur sang.
330
l'Evangile qu'ils annonçaient à toute la terre. Domitien
est tué : l'empire commence à respirer sous Nerva. Son grand âge (96) ne lui
permet pas de rétablir les affaires : mais pour faire durer le repos public, il
choisit Trajan pour son successeur (97). L'empire tranquille au dedans et
triomphant au dehors, ne cesse d'admirer un si bon prince (98). Aussi avait-il
pour maxime, qu'il fallait que ses citoyens le trouvassent tel qu'il eût voulu
trouver l'empereur s'il eût été simple citoyen. Ce prince dompta les Daces ( 102
) et Décébale leur roi ; étendit ses conquêtes en Orient (106) ; donna un roi
aux Parthes, et leur fît craindre la puissance romaine (115, 116) : heureux que
l'ivrognerie et ses infâmes amours, vices si déplorables dans un si grand
prince, ne lui aient rien fait entreprendre contre la justice. A des temps si
avantageux pour la république (117), succédèrent ceux d'Adrien mêlés de bien et
de mal (120). Ce prince maintint la discipline militaire (123), vécut lui-même
militairement et avec beaucoup de frugalité, soulagea les provinces (125), fit
fleurir les arts, et la Grèce qui en était la mère. Les Barbares furent tenus en
crainte par ses armes et par son autorité (126). Il rebâtit Jérusalem (130) à
qui il donna son nom, et c'est de là que lui vient le nom d'Aelia ; mais il en
bannit les Juifs toujours rebelles à l'empire (135). Ces opiniâtres trouvèrent
en lui un impitoyable vengeur. Il déshonora par ses cruautés et par ses amours
monstrueuses un règne si éclatant (131). Son infâme Antinous dont il fit un
dieu, couvre de honte toute sa vie. L'empereur sembla réparer ses fautes, et
rétablir sa gloire effacée, en adoptant Antonin le Pieux (138), qui adopta
Marc-Aurèle le Sage et le Philosophe. En ces deux princes paraissent deux beaux
caractères. Le père toujours en paix (139—161), est toujours prêt dans le besoin
à faire la guerre : le fils est toujours en guerre, toujours prêt à donner la
paix à ses ennemis et à l'empire. Son père Antonin lui avait appris qu'il valait
mieux sauver un seul citoyen que de défaire mille ennemis. Les Parthes et les
Marcomans (162) éprouvèrent la valeur de Marc-Aurèle : les derniers (169)
étaient des Germains que cet empereur achevait de dompter quand il mourut (180).
Par la vertu des deux Antonin, ce nom devint les délices des Romains.
331
La gloire d'un si beau nom ne lui effacée, ni par la
mollesse de Lucius Verus frère de Marc-Aurèle et son collègue dans l'empire, ni
par les brutalités de Commode son fils et son successeur. Celui-ci indigne
d'avoir un tel père, en oublia les enseigne-mens et les exemples. Le sénat et
les peuples le détestèrent : ses plus assidus courtisans et sa maîtresse le
firent mourir. Son successeur Pertinax (192), vigoureux défenseur de la
discipline militaire, se vit immolé à la fureur des soldats licencieux (193),
qui l'avaient un peu auparavant élevé malgré lui à la souveraine puissance.
L'empire mis a l'encan par l'armée, trouva un acheteur. Le jurisconsulte Didius
Julianus hasarda ce hardi marché : il lui en coûta la vie (194-, 195, 498, etc.)
; Sévère Africain le fit mourir, vengea Pertinax, passa d'Orient en Occident,
triompha en Syrie, en Gaule et dans la Grande-Bretagne (207, 209). Rapide
conquérant, il égala César par ses victoires ; mais il n'imita pas sa clémence.
Il ne put mettre la paix parmi ses enfants. Bassien ou Caracalla (208) son fils
aîné, faux imitateur d'Alexandre, aussitôt après la mort de son père, tua son
frère Géta (211, 212) empereur comme lui, dans le sein de Julie leur mère
commune, passa sa vie dans la cruauté et dans le carnage, et s'attira à lui-même
une mort tragique. Sévère lui avait gagné le cœur des soldats et des peuples en
lui donnant le nom d'Antonin ; mais il n'en sut pas soutenir la gloire. Le
Syrien Héliogabale (218), ou plutôt Alagabale son fils, ou du moins réputé comme
tel, quoique le nom d'Antonin lui eût donné d'abord le cœur des soldats et la
victoire sur Macrin, devint aussitôt après par ses infamies l'horreur du genre
humain, et se perdit lui-même. Alexandre Sévère (222) fils de Marnée, son parent
et son successeur, vécut trop peu pour le bien du monde. Il se plaignait d'avoir
plus de peine à contenir ses soldats qu'à vaincre ses ennemis. Sa mère qui le
gouvernait fut cause de sa perte, comme elle l'avait été de sa gloire (233).
Sous lui Artaxerxe Persien tua son maître Artaban(235) dernier roi des Parthes,
et rétablit l'empire des Perses en Orient.
En ces temps l'Eglise encore
naissante remplissait toute la terre (2); et non-seulement l'Orient, où elle
avait commencé, c'est-
1 Tertull., adver. Jud., cap. 7; Apolog.,
cap. 37.
332
à-dire la Palestine, la Syrie, l'Egypte, l'Asie-Mineure et
la Grèce; mais encore dans l'Occident, outre l'Italie, les diverses nations des
Gaules, toutes les provinces d'Espagne, l’Afrique, la Germanie, la
Grande-Bretagne dans les endroits impénétrables aux armes romaines ; et encore
hors de l'empire, l'Arménie, la Perse, les Indes, les peuples les plus barbares,
les Sarmates, les Daces, les Scythes, les Maures, les Gétuliens, et jusqu'aux
îles les plus inconnues. Le sang de ses martyrs la rendait féconde. Sous Trajan,
saint Ignace évêque d'Antioche fut exposé aux bêtes farouches (107).
Marc-Aurèle, malheureusement prévenu des calomnies dont on chargeait le
christianisme, fit mourir saint Justin le philosophe (163), et l'apologiste de
la religion chrétienne. Saint Polycarpe évêque de Smyrne, disciple de saint
Jean, à l'âge de quatre-vingts ans fut condamné au feu sous le même prince
(167). Les saints martyrs de Lyon et de Vienne (177) endurèrent des supplices
inouïs, à l'exemple de saint Photin (1) leur évêque âgé de quatre-ving-dix ans.
L'Eglise gallicane remplit tout l'univers de sa gloire. Saint Irénée (202)
disciple de saint Polycarpe, et successeur de saint Photin, imita son
prédécesseur, et mourut martyr sous Sévère avec un grand nombre de fidèles de
son église. Quelquefois - la persécution se ralentissait. Dans une extrême
disette d'eau que Marc-Aurèle souffrit en Germanie (174), une légion chrétienne
obtint une pluie capable d'étancher la soif de l'armée, et accompagnée de coups
de foudre qui épouvantèrent ses ennemis. Le nom de Foudroyante fut donné ou
confirmé à la légion par ce miracle. L'empereur en fut touché, et écrivit au
sénat en faveur des chrétiens. A la fin ses devins lui persuadèrent d'attribuer
à ses dieux et à ses prières un miracle que les païens ne s'avisaient pas
seulement de souhaiter. D'autres causes suspendaient ou adoucissaient
quelquefois la persécution pour un peu de temps : mais la superstition, vice que
Marc-Aurèle ne put éviter, la haine publique, et les calomnies qu'on imposait
aux chrétiens, prévalaient bientôt. La fureur des païens se rallumait, et tout
l'empire ruisselait du sang des martyrs. La doctrine accompagnait les
souffrances. Sous Sévère (215), et un peu après,
1 Ou Pothin.
333
Tertullien prêtre de Carthage éclaira l'Eglise par ses
écrits, la défendit par une admirable Apologétique, et la quitta enfin
aveuglé par une orgueilleuse sévérité, et séduit par les visions du faux
prophète Montanus. A peu près dans le même temps le saint prêtre Clément
Alexandrin déterra les antiquités du paganisme pour le confondre. Origène fils
du saint martyr Léonide se rendit célèbre par toute l'Eglise dès sa première
jeunesse, et enseigna de grandes vérités qu'il mêlait de beaucoup d'erreurs. Le
philosophe Ammonius fit servir à la religion la philosophie platonicienne, et
s'attira le respect même des païens. Cependant les valentiniens, les gnostiques,
et d'autres sectes impies, combattaient l'Evangile par de fausses traditions :
saint Irénée leur opposa la tradition et l'autorité des églises apostoliques,
surtout de celle de Rome fondée par les apôtres saint Pierre et saint Paul, et
la principale de toutes (1). Tertullien fait la même chose (2). L'Eglise n'est
ébranlée ni par les hérésies, ni par les schismes, ni par la chute de ses
docteurs les plus illustres. La sainteté de ses mœurs est si éclatante, qu'elle
lui attire les louanges de ses ennemis.
Les affaires de l'empire se
brouillaient d'une terrible manière. Après la mort d'Alexandre (235), le tyran
Maximin qui l'avait tué se rendit le maître, quoique de race gothique. Le sénat
lui opposa quatre empereurs, qui périrent tous en moins de deux ans. Parmi eux
étaient les deux Gordien père et fils (236—237), chéris du peuple romain. Le
jeune Gordien leur fils (238), quoique dans une extrême jeunesse, montra une
sagesse consommée, défendit à peine contre les Perses l'empire affaibli par tant
de divisions. Il avait repris sur eux beaucoup de places importantes (242). Mais
Philippe Arabe tua un si bon prince (244) ; et de peur d'être accablé par deux
empereurs que le sénat élut l'un après l'autre, il fit une paix honteuse avec
Sapor roi de Perse (245). C'est le premier des Romains qui ait abandonné par
traité quelques terres de l'empire. On dit qu'il embrassa la religion chrétienne
dans un temps où tout à coup il parut meilleur, et il est vrai qu'il fut
favorable aux chrétiens. En haine de cet empereur, Dèce qui le
1 Iren., adv. Hœr., lib. III, cap. I, 2, 3.— 2 De Praesc.,
adv. Hœr., cap. 36.
334
tua (249) renouvela la persécution avec plus de violence
que jamais (1). L'Eglise s'étendit de tous côtés, principalement dans les Gaules
(2), et l'empire perdit bientôt Dèce qui le défendait vigoureusement. Gallus et
Volusien passèrent bien vite (251) : Emilien ne fit qu'apparaître : la
souveraine puissance fut donnée à Valérien (254), et ce vénérable vieillard y
monta par toutes les dignités. Il ne fut cruel qu'aux chrétiens. Sous lui le
pape saint Etienne (257), et saint Cyprien évêque de Carthage (258), malgré
toutes leurs disputes qui n'avaient point rompu la communion (256), reçurent
tous deux la même couronne. L'erreur de saint Cyprien qui rejetait le baptême
donné par les hérétiques, ne nuisit ni à lui, ni à l'Eglise. La tradition du
saint Siège se soutint par sa propre force contre les spécieux raisonnements, et
contre l'autorité d'un si grand homme, encore que de si grands hommes
défendissent la même doctrine. Une autre dispute fit plus de mal. Sabellius
confondit ensemble les trois personnes divines (257), et ne connut en Dieu
qu'une seule personne sous trois noms. Cette nouveauté étonna l'Eglise, et saint
Denis évêque d'Alexandrie découvrit au pape Sixte II les erreurs de cet
hérésiarque (3). Ce saint pape suivit de près au martyre saint Etienne, son
prédécesseur : il eut la tête tranchée, et laissa un plus grand combat à
soutenir à son diacre saint Laurent. C'est alors qu'on voit commencer
l'inondation des Barbares. Les Bourguignons et d'autres peuples germains, les
Goths (258, 259, 260), autrefois appelés les Gètes, et d'autres peuples qui
habitaient vers le Pont-Euxin et au delà du Danube entrèrent dans l'Europe :
l'Orient fut envahi par les Scythes asiatiques et par les Perses. Ceux-ci
défirent Valérien, qu'ils prirent ensuite par une infidélité ; et après lui
avoir laissé achever sa vie dans un pénible esclavage, ils l'écorchèrent pour
faire servir sa peau déchirée de monument à leur victoire (261). Gallien son
fils et son collègue acheva de tout perdre par sa mollesse. Trente tyrans
partagèrent l'empire (264). Odonat roi de Palmyre ville ancienne, dont Salomon
est le fondateur , fut le plus illustre de tous : il sauva les provinces
d'Orient
1 Euseb., Hist. eccl., lib. VI cap. 39.
— 2 Greg. Tur., Hist. Franc., lib. I, cap. 28. — 3 Euseb., Hist. eccl.,
lib. VII , cap 6.
335
des mains des Barbares, et s'y fit reconnaitre. Sa femme
Zénobie marchait avec lui à la tête des armées, qu'elle commanda seule après sa
mort, et se rendit célèbre par toute la terre pour avoir joint la chasteté avec
la beauté, et le savoir avec la valeur. Claudius II et Aurélien après lui (268),
rétablirent les affaires de l'empire. Pendant qu'ils abattaient les Goths (270)
avec les Germains par des victoires signalées, Zénobie conservait à ses enfants
les conquêtes de leur père. Cette princesse penchait au judaïsme. Pour
l'attirer, Paul de Samosate évêque d'Antioche, homme vain et inquiet, enseigna
son opinion judaïque sur la personne de Jésus-Christ, qu'il ne faisait qu'un pur
homme (1). Après une longue dissimulation d'une si nouvelle doctrine, il fut
convaincu et condamné au concile d'Antioche. La reine Zénobie soutint la guerre
contre Aurélien (273), qui ne dédaigna pas de triompher d'une femme si célèbre
(274). Parmi de perpétuels combats, il sut faire garder aux gens de guerre la
discipline romaine, et montra qu'en suivant les anciens ordres et l'ancienne
frugalité, on pouvait faire agir de grandes armées au dedans et au dehors, sans
être à charge à l'empire. Les Francs commençaient alors à se faire craindre (2).
C'était une ligue de peuples germains, qui habitaient le long du Rhin. Leur nom
montre qu'ils étaient unis par l'amour de la liberté. Aurélien les avait battus
étant particulier, et les tint en crainte étant empereur. Un tel prince se fit
haïr par ses actions sanguinaires. Sa colère trop redoutée lui donna la mort
(275). Ceux qui se croyaient en péril le prévinrent, et son secrétaire menacé se
mit à la tête de la conjuration. L'armée, qui le vit périr par la conspiration
de tant de chefs, refusa d'élire un empereur, de peur de mettre sur le trône un
des assassins d'Aurélien ; et le sénat rétabli dans son ancien droit, élut
Tacite. Ce nouveau prince était vénérable par son âge et par sa vertu ; mais il
devint odieux par les violences d'un parent à qui il donna le commandement de
l'armée, et périt avec lui dans une sédition le sixième mois de son règne (276).
Ainsi
1 Euseb., Hist. eccl., lib. VII, cap. 27 et seq.; Athan.,
de Synod., n. 26, 13; Theodor., Haer, Fab. lib. II, cap. S ;
Niceph., lib. VI, cap. 27. — 2 Hist. Aug. Aurel., cap. 7; Flor., cap. 2; Prob.,
cap, 11, 12; Firm., etc. cap. 13.
336
son élévation ne fit que précipiter le cours de sa vie. Son
frère Florian prétendit l'empire perdrait de succession, comme le plus proche
héritier. Ce droit ne fut pas reconnu : Florian fut tué, et Prohus forcé par les
soldats à recevoir l'empire, encore qu'il les menaçât de les faire vivre dans
l'ordre. Tout fléchit sous un si grand capitaine : les Germains et les Francs
qui voulaient entrer dans les Gaules (277), furent repoussés (278) ; et en
Orient aussi bien qu'en Occident, tous les Barbares respectèrent les armes
romaines (280). Un guerrier si redoutable aspirait à la paix, et fit espérer à
l'empire de n'avoir plus besoin de gens de guerre (282). L'armée se vengea de
cette parole, et de la règle sévère que son empereur lui faisait garder. Un
moment après étonnée de la violence qu'elle exerça sur un si grand prince, elle
honora sa mémoire , et lui donna pour successeur Carus qui n'était pas moins
zélé que lui pour la discipline. Ce vaillant prince vengea son prédécesseur
(283), et réprima les Barbares à qui la mort de Pronus avait rendu le courage.
Il alla en Orient combattre les Perses avec Numérien son second fils, et opposa
aux ennemis du côté du Nord son fils aîné Carinus qu'il fit césar. C'était la
seconde dignité, et le plus proche degré pour parvenu à l'empire. Tout l'Orient
trembla devant Carus : la Mésopotamie se soumit ; les Perses divisés ne purent
lui résister. Pendant que tout lui cédait, le Ciel l'arrêta par un coup de
foudre. A force de le pleurer, Numérien fut prêt à perdre les yeux. Que ne fait
dans les cœurs l'envie de régner ! Loin d'être touché de ses maux, son beau-père
Aper le tua (284); mais Dioclétien vengea sa mort, et parvint enfin à l'empire
qu'il avait désiré avec tant d'ardeur. Carinus se réveilla (285) malgré sa
mollesse, et battit Dioclétien : mais en poursuivant les fuyards, il fut tué par
un des siens dont il avait corrompu la femme. Ainsi l'empire fut défait du plus
violent et du plus perdu de tous les hommes. Dioclétien gouverna avec vigueur,
mais avec une insupportable vanité. Pour résister à tant d'ennemis qui
s'élevaient de tous côtés au dedans et au dehors, il nomma Maximien empereur
(286) avec lui, et sut néanmoins se conserver l'autorité principale. Chaque
empereur fit un césar (291). Constantius Chlorus et Galérius furent élevés à ce
haut
337
rang. Les quatre princes soutinrent à peine le fardeau de
tant de guerres. Dioclétien fuit Home qu'il trouvait trop libre, et s'établit à
Nicomédie (297) où il se fit adorer à la mode des Orientaux. Cependant les
Perses vaincus par Galérius, abandonnèrent aux Romains de grandes provinces et
des royaumes entiers. Après de si grands succès, Galérius ne veut plus être
sujet, et dédaigne le nom de césar. Il commence par intimider Maximien. Une
longue maladie avait fait baisser l'esprit de Dioclétien, et Galérius, quoique
son gendre, le força de quitter l'empire (1). Il fallut que Maximien suivît son
exemple.
Ainsi l'empire vint entre les
mains de Constantius Chlorus et de Galérius (304) ; et deux nouveaux césars,
Sévère et Maximin, furent créés en leur place par les empereurs qui se
déposaient. Les Gaules, l'Espagne et la Grande-Bretagne furent heureuses, mais
trop peu de temps sous Constantius Chlorus. Ennemi des exactions et accusé par
là de ruiner le fisc, il montra qu'il avait des trésors immenses dans la bonne
volonté de ses sujets. Le reste de l'empire souffrait beaucoup sous tant
d'empereurs et tant de césars : les officiers se multipliaient avec les princes
: les dépenses et les exactions étaient infinies. Le jeune Constantin fils de
Constantius Chlorus se rendait illustre (2) : mais il se trouvait entre les
mains de Galérius. Tous les jours cet empereur jaloux de sa gloire, l'exposait à
de nouveaux périls. Il lui fallait combattre les bêtes farouches par une espèce
de jeu : mais Galérius n'était pas moins à craindre qu'elles. Constantin échappé
de ses mains, trouva son père expirant (306). En ce temps Maxence fils de
Maximien et gendre de Galérius, se fit empereur à Rome malgré son beau-père ; et
les divisions intestines se joignirent aux autres maux de l'état. L'image de
Constantin qui venait de succéder à son père, portée à Rome selon la coutume, y
fut rejetée par les ordres de Maxence. La réception des images était la forme
ordinaire de reconnaître les nouveaux princes. On se prépare à la guerre de tous
côtés. Le césar Sévère que Galérius envoya contre Maxence (307), le fit Sembler
dans Rome (3). Pour se donner
1 Euseb., Hist. eccl.,lib. VIII, cap. 13; Orat. Const.ad
San. cœt.,25; Lac., de Morte persec., cap. 17, 18. — 9 Lad., lib. cit. cap. 24.
—5 Idem., cap. 26, 27.
338
de l'appui dans sa frayeur, il rappela son père Maximien.
Le vieillard ambitieux quitta sa retraite où il n'était qu'à regret ; et tâcha
en vain de retirer Dioclétien son collègue du jardin qu'il cultivait à Salone.
Au nom de Maximien empereur pour la seconde fois, les soldats de Sévère le
quittent. Le vieil empereur le fait tuer ; et en même temps pour s'appuyer
contre Galérius, il donne à Constantin sa fille Fauste. Il fallait aussi de
l'appui à Galérius après la mort de Sévère ; c'est ce qui le fit résoudre à
nommer Licinius empereur (1) : mais ce choix piqua Maximin, qui en qualité de
césar se croyait plus proche du suprême honneur. Rien ne put lui persuader de se
soumettre à Licinius, et il se rendit indépendant dans l'Orient. Il ne restait
presque à Galérius que l'Illyrie, où il s'était retiré après avoir été chassé
d'Italie. Le reste de l'Occident obéissait à Maximien, à son fils Maxence et à
son gendre Constantin. Mais il ne voulait non plus pour compagnons de l'empire,
ses enfants que les étrangers. Il tâcha de chasser de Rome son fils Maxence, qui
le chassa lui-même. Constantin qui le reçut dans les Gaules, ne le trouva pas
moins perfide. Après divers attentats, Maximien fit un dernier complot, où il
crut avoir engagé sa fille Fauste contre son mari. Elle le trompait ; et
Maximien qui pensait avoir tué Constantin (312) en tuant l'eunuque qu'on avait
mis dans son lit, fut contraint de se donner la mort à lui-même. Une nouvelle
guerre s'allume ; et Maxence, sous prétexte de venger son père, se déclare
contre Constantin qui marche à Rome avec ses troupes (2). En même temps il fait
renverser les statues de Maximien : celles de Dioclétien qui y étaient jointes
eurent le même sort. Le repos de Dioclétien fut troublé de ce mépris, et il
mourut quelque temps après, autant de chagrin que de vieillesse.
En ces temps, Rome toujours
ennemie du christianisme, fit un dernier effort pour l'éteindre, et acheva de
l'établir. Galérius marqué par les historiens comme l'auteur de la dernière
persécution (3), deux ans devant qu'il eût obligé Dioclétien à quitter
1 Lact. de Mort, persec., cap. 28 - 32. — 2 Ibid., cap. 42,
43. — 3 Euseb., Hist.eccl.L, lib. VIII, cap. 16; de Vita Constant., lib. 1, cap.
57; Lact., de Morte persec., cap. 9 et seq.
339
l'empire, le contraignit à faire ce sanglant édit (302) qui
ordonnait de persécuter les chrétiens plus violemment que jamais. Maximien qui
les haïssait, et n'avait jamais cessé de les tourmenter, animait les magistrats
et les bourreaux : mais sa violence, quelque extrême qu'elle fût, n'égalait
point celle de Maximin et de Galérius. On inventait tous les jours de nouveaux
supplices. La pudeur des vierges chrétiennes n'était pas moins attaquée que leur
foi. On recherchait les livres sacrés avec des soins extraordinaires pour en
abolir la mémoire; et les chrétiens n'osaient les avoir dans leurs maisons, ni
presque les lire. Ainsi après trois cents ans de persécution, la haine des
persécuteurs devenait plus âpre. Les chrétiens les lassèrent par leur patience.
Les peuples, touchés de leur sainte vie, se convertissaient en foule. Galérius
désespéra de les pouvoir vaincre (311). Frappé d'une maladie extraordinaire, il
révoqua ses édits, et mourut de la mort d'Antiochus avec une aussi fausse
pénitence. Maximin continua la persécution : mais Constantin le Grand (312),
prince sage et victorieux, embrassa publiquement le christianisme.
Cette célèbre déclaration de
Constantin arriva l'an 312 de Notre-Seigneur. Pendant qu'il assiégeait Maxence
dans Rome, une croix lumineuse lui parut en l'air devant tout le monde avec une
inscription qui lui promettait la victoire : la même chose lui est confirmée
dans un songe. Le lendemain il gagna cette célèbre bataille qui défît Rome d'un
tyran, et l'Eglise d'un persécuteur (313). La croix fut étalée comme la défense
du peuple romain et de tout l'empire. Un peu après Maximin fut vaincu par
Licinius qui était d'accord avec Constantin, et il fit une fin semblable à celle
de Galérius. La paix fut donnée à l'Eglise. Constantin la combla d'honneurs (a).
La victoire le suivit partout, et les Barbares furent réprimés, tant par lui que
par ses enfants (315). Cependant Licinius se brouille avec lui, et renouvelle la
persécution.
(a) 1re Edit. : D'honneurs et de biens.
340
Battu par mer et par terre, il est contraint de quitter
l'empire (324), et enfin de perdre la vie. En ce temps (325) Constantin assembla
à Nicée en Bithynie le premier concile général, où trois cent dix-huit évoques
qui représentaient toute l'Eglise, condamnèrent le prêtre Arius ennemi de la
divinité du Fils de Dieu, et dressèrent le symbole où la consubstantialité du
Père et du Fils est établie. Les prêtres de l'Eglise romaine envoyés par le pape
saint Silvestre, précédèrent tous les évêques dans cette assemblée ; et un
ancien auteur grec (1) compte parmi les légats du saint Siège le célèbre Osius
évêque de Cordoue, qui présida au concile. Constantin y prit sa séance, et en
reçut les décisions comme un oracle du ciel. Les ariens cachèrent leurs erreurs,
et rentrèrent dans ses bonnes grâces en dissimulant. Pendant que sa valeur
maintenait l'empire dans une souveraine tranquillité (326), le repos de sa
famille fut troublé par les artifices de Fauste sa femme. Crispe fils de
Constantin, mais d'un autre mariage, accusé par cette marâtre de l'avoir voulu
corrompre, trouva son père inflexible. Sa mort fut bientôt vengée. Fauste
convaincue fut suffoquée dans le bain. Mais Constantin déshonoré par la malice
de sa femme, reçut en même temps beaucoup d'honneurs par la piété de sa mère.
Elle découvrit dans les ruines de l'ancienne Jérusalem la vraie croix féconde en
miracles. Le saint sépulcre fut aussi trouvé. La nouvelle ville de Jérusalem
qu'Adrien avait fait bâtir, la grotte où était né le Sauveur du monde, et tous
les saints lieux furent ornés de temples superbes par Hélène et par Constantin.
Quatre ans après (330) l'empereur rebâtit Byzance, qu'il appela Constantinople,
et en fit le second siège de l'empire. L'Eglise paisible sous Constantin fut
cruellement affligée en Perse. Une infinité de martyrs signalèrent leur foi.
L'empereur tâcha en vain d'apaiser Sapor (336), et de l'attirer au
christianisme. La protection de Constantin ne donna aux chrétiens persécutés
qu'une favorable retraite. Ce prince béni de toute l'Eglise, mourut plein de
joie et d'espérance (337), après avoir partagé l'empire entre ses trois fils
Constantin, Constance et Constant.
1 Gel. Cyzic, Hist. conc. Nic., lib. II,
cap. 6, 27; Conc. Labb., tom. II, col. 158, 227.
341
Leur concorde fut bientôt troublée. Constantin périt dans
la guerre (340) qu'il eut avec son frère Constant pour les limites de leur
empire. Constance et Constant ne furent guère plus unis. Constant soutint la foi
de Nicée, que Constance combattait. Alors l'Eglise admira les longues
souffrances de saint Athanase patriarche d'Alexandrie et défenseur du concile de
Nicée. Chassé de son siège par Constance, il fut rétabli canoniquement par le
pape saint Jules I, dont Constant appuya le décret (341) (1). Ce bon prince ne
dura guère. Le tyran Magnence le tua par trahison (350) : mais tôt après vaincu
par Constance, il se tua lui-même (351). Dans la bataille où ses affaires furent
ruinées (353), Valens évêque arien, secrètement averti par ses amis, assura
Constance que l'armée du tyran était en fuite, et fit croire au faible empereur
qu'il le savait par révélation. Sur cette fausse révélation Constance se livre
aux ariens. Les évêques orthodoxes sont chassés de leurs sièges : toute l'Eglise
est remplie de confusion et de trouble : la constance du pape Libère cède aux
ennuis de l'exil : les tourments font succomber le vieil Osius (357), autrefois
le soutien de l'Eglise. Le concile de Rimini (359) si ferme d'abord, fléchit à
la fin par surprise et par violence : rien ne se fait dans les formes :
l'autorité de l'empereur est la seule loi : mais les ariens qui font tout par
là, ne peuvent s'accorder entre eux, et changent fous les jours leur symbole :
la foi de Nicée subsiste : saint Athanase, et saint Hilaire évêque de Poitiers,
ses principaux défenseurs, se rendent célèbres par foute la ferre. Pendant que
l'empereur Constance occupé des affaires de l'arianisme, faisait négligemment
celles de l'empire, les Perses remportèrent de grands avantages (357, 358, 359).
Les Allemands et les Francs tentèrent de toutes parts l'entrée des Gaules :
Julien parent de l'empereur les arrêta, et les battit. L'empereur lui-même défit
les Sarmates, et marcha contre les Perses. Là paraît la révolte de Julien contre
l'empereur (360), son apostasie, la mort de Constance (361), le règne de Julien,
son gouvernement équitable, et le nouveau genre de persécution qu'il fit
souffrir à l'Eglise. Il en entretint les divisions; il exclut les chrétiens
non-seulement des
1 Socr., Hist. eccl, lib. II, cap. 15; Sozom., lib. III,
cap. 8.
342
honneurs , mais des études ; et en imitant la sainte
discipline de l'Eglise j il crut tourner contre elle ses propres armes. Les
supplices furent ménagés, et ordonnés sous d'autres prétextes que celui de la
religion. Les chrétiens demeurèrent fidèles à leur empereur : mais la gloire
qu'il cherchait trop, le fit périr (363) ; il fut tué dans la Perse, où il
s'était engagé témérairement. Jovien son successeur, zélé chrétien, trouva les
affaires désespérées, et ne vécut que pour conclure une paix honteuse (364).
Après lui Valentinien fit la guerre en grand capitaine (366, 367, 368, 370,
etc.) : il y mena son fils Gratien dès sa première jeunesse, maintint la
discipline militaire, battit les Barbares, fortifia les frontières de l'empire,
et protégea en Occident la foi de Nicée. Valens son frère, qu'il fît son
collègue, la persécutait en Orient ; et ne pouvant gagner ni abattre saint
Basile et saint Grégoire de Nazianze, il désespérait de la pouvoir vaincre.
Quelques ariens joignirent de nouvelles erreurs aux anciens dogmes de la secte.
Aérius prêtre arien est noté dans les écrits des saints Pères comme l'auteur
d'une nouvelle hérésie (1), pour avoir égalé la prêtrise à l'épiscopat, et avoir
jugé inutiles les prières et les oblations que toute l'Eglise faisait pour les
morts. Une troisième erreur de cet hérésiarque était de compter parmi les
servitudes de la loi, l'observance de certains jeûnes marqués, et de vouloir que
le jeûne fût toujours fibre. Il vivait encore quand saint Epiphane se rendit
célèbre par son histoire des hérésies, où il est réfuté avec tous les autres.
Saint Martin (375) fut fait évêque de Tours, et remplit tout l'univers du bruit
de sa sainteté et de ses miracles, durant sa vie et après sa mort. Valentinien
mourut après un discours violent qu'il fit aux ennemis de l'empire ; son
impétueuse colère qui le faisait redouter des autres, lui fut fatale à lui-même.
Son successeur Gratien vit sans envie l'élévation de son jeune frère Valentinien
II, qu'on fit empereur, encore qu'il n'eût que neuf ans. Sa mère Justine
protectrice des ariens gouverna durant son bas âge. On voit ici en peu d'années
de merveilleux événements : la révolte des Goths contre Valens (377) : ce prince
quitter les Perses pour réprimer les rebelles (378) : Gratien
1 Epiph., lib. III, hœr. LXXV ; Aug., hœr. LIII.
343
accourir à lui après avoir remporté une victoire signalée
sur les Allemands. Valens qui veut vaincre seul, précipite le combat, où il est
tué auprès d'Andrinople : les Goths victorieux le brûlent dans un village où il
s'était retiré (379). Gratien accablé d'affaires associe à l'empire le grand
Théodose, et lui laisse l'Orient. Les Goths sont vaincus : tous les Barbares
sont tenus en crainte; et ce que Théodose n'estimait pas moins, les hérétiques
macédoniens qui niaient la divinité du Saint-Esprit (381), sont condamnés au
concile de Constantinople. Il ne s'y trouva que l'Eglise grecque : le
consentement de tout l'Occident, et du pape saint Damase, le fît appeler second
concile général. Pendant que Théodose gouvernait avec tant de force et tant de
succès, Gratien qui n'était pas moins vaillant ni moins pieux, abandonné de ses
troupes toutes composées d'étrangers, fut immolé au tyran Maxime (383). L'Eglise
et l'empire pleurèrent ce bon prince. Le tyran régna dans les Gaules, et sembla
se contenter de ce partage. L'impératrice Justine publia (386, 387) sous le nom
de son fils, des édits en faveur de l'arianisme. Saint Ambroise évêque de Milan
ne lui opposa que la saine doctrine, les prières et la patience ; et sut par de
telles armes, non-seulement conserver à l’Eglise les basiliques que les
hérétiques voulaient occuper, mais encore lui gagner le jeune empereur.
Cependant Maxime remue; et Justine ne trouve rien de plus fidèle que le saint
évêque, qu'elle traitait de rebelle. Elle l'envoie au tyran, que ses discours ne
peuvent fléchir. Le jeune Valentinien est contraint de prendre la fuite avec sa
mère. Maxime se rend maître à Rome, où il rétablit les sacrifices des faux dieux
par complaisance pour le sénat presque encore tout païen. Après qu'il eut occupé
tout l'Occident, et dans le temps qu'il se croyait le plus paisible, Théodose
assisté des Francs le défit dans la Pannonie (388), l'assiégea dans Aquilée, et
le laissa tuer par ses soldats. Maître absolu des deux empires, il rendit celui
d'Occident à Valentinien, qui ne le garda pas longtemps. Ce jeune prince éleva
et abaissa trop Arbogaste un capitaine des Francs, vaillant, désintéressé, mais
capable de maintenir par toute sorte de crimes le pouvoir qu'il s'était acquis
sur les troupes. Il éleva le tyran Eugène qui ne savait que
344
courir, et tua Valentinien qui ne voulait plus avoir pour
maître le superbe Franc (392). Ce coup détestable fut fait dans les Gaules
auprès de Vienne. Saint Ambroise que le jeune empereur avait mandé pour recevoir
de lui le baptême, déplora sa perte, et espéra bien de son salut. Sa mort ne
demeura pas impunie. Un miracle visible donna la victoire à Théodose sur Eugène,
et sur les faux dieux dont ce tyran avait rétabli le culte (394). Eugène fut
pris : il fallut le sacrifier à la vengeance publique, et abattre la rébellion
par sa mort. Le fier Arbogaste se tua lui-même, plutôt que d'avoir recours à la
clémence du vainqueur, que tout le reste des rebelles venait d'éprouver.
Théodose seul empereur fut la joie et l'admiration de tout l'univers. Il appuya
la religion : il fit taire les hérétiques ; il abolit les sacrifices impurs des
païens : il corrigea la mollesse, et réprima les dépenses superflues (390). Il
avoua humblement ses fautes, et il en fit pénitence. Il écouta saint Ambroise
célèbre docteur de l'Eglise qui le reprenait de sa colère, seul vice d'un si
grand prince. Toujours victorieux, jamais il ne fît la guerre que par nécessité.
Il rendit les peuples heureux, et mourut en paix (395) plus illustre par sa foi
que par ses victoires. De son temps, saint Jérôme (386, 387) prêtre retiré dans
la sainte grotte de Bethléem, entreprit des travaux immenses pour expliquer
l'Ecriture, et lut tous les interprètes, déterra toutes les histoires saintes et
profanes qui la peuvent éclaircir, et composa sur l'original hébreu la version
de la Bible que toute l'Eglise a reçue sous le nom de Vulgata.
L'empire qui paraissait
invincible sous Théodose, changea tout à coup sous ses deux fils. Arcade eut
l'Orient, et Honorius l'Occident (395) : tous deux gouvernés par leurs
ministres, ils firent servir leur puissance à des intérêts particuliers. Rufin
et Eutrope successivement favoris d'Arcade, et aussi méchants l'un que l'autre,
périrent bientôt (399), et les affaires n'en allèrent pas mieux sous un prince
faible. Sa femme Eudoxe lui fit persécuter saint Jean Chrysostome (403, 404)
patriarche de Constantinople et la lumière de l'Orient. Le pape saint Innocent,
et tout l'Occident , soutinrent ce grand évêque contre Théophile patriarche
d'Alexandrie, ministre des violences de l'impératrice. L'Occident
345
était troublé par l'inondation des Barbares (406 et suiv,).
Radagaise Goth et païen ravagea l'Italie. Les Vandales nation gothique et
arienne , occupèrent une partie de la Gaule, et se répandirent dans l'Espagne.
Alaric roi des Visigoths, peuples ariens, contraignit Honorius à lui abandonner
ses grandes provinces déjà occupées par les Vandales. Siméon embarrassé de tant
de Barbares les bat, les ménage, s'entend et rompt avec eux, sacrifie tout à son
intérêt, et conserve néanmoins l'empire qu'il avait dessein d'usurper. Cependant
Arcade mourut (408), et crut l'Orient si dépourvu de bons sujets, qu'il mit son
fils Théodose âgé de huit ans sous la tutelle d'Isdegerde roi de Perse. Mais
Pulchérie, sœur du jeune empereur, se trouva capable des grandes affaires.
L'empire de Théodose se soutint par la prudence et par la piété de cette
princesse. Celui d'Honorius semblait proche de sa ruine. Il fit mourir Stilicon,
et ne sut pas remplir la place d'un si habile ministre. La révolte de Constantin
(409) ; la perte entière de la Gaule et de l'Espagne (410), la prise et le sac
de Rome par les armes d'Alaric et des Visigoths , furent la suite de la mort de
Stilicon. Ataulphe plus furieux qu'Alaric pilla Rome de nouveau, et il ne
songeait qu'à abolir le nom romain : mais pour le bonheur de l'empire, il prit
Placidie sœur de l'empereur. Cette princesse captive qu'il épousa, l'adoucit.
Les Goths traitèrent avec les Romains, et s'établirent en Espagne (413), en se
réservant dans les Gaules (414, 415) les provinces qui braient vers les
Pyrénées. Leur roi Vallia conduisit sagement ces grands desseins. L'Espagne
montra sa constance, et sa foi ne s'altéra pas sous la domination de ces ariens.
Cependant les Bourguignons peuples germains occupèrent le voisinage du Rhin,
d'où peu à peu ils gagnèrent le pays qui porte encore leur nom. Les Francs ne
s'oublièrent pas : résolus de faire de nouveaux efforts pour s'ouvrir les Gaules
(420), ils élevèrent à la royauté Pharamond fils de Marcomir; et la monarchie do
France, la plus ancienne et la plus noble de toutes celles qui sont au monde,
commença sous lui (423). Le malheureux Honorius mourut sans enfants, et sans
pourvoir à l'empire. Théodose nomma empereur son cousin Valentinien III (424)
fils de Placidie et de Constance, son second
346
mari, et le mit durant son bas âge sons la tutelle de sa
mère, à qui il donna le titre d'impératrice. En ces temps (411, 413) Célestius
et Pelage nièrent le péché originel, et la grâce par laquelle nous sommes
chrétiens. Malgré leurs dissimulations les conciles d'Afrique les condamnèrent
(416). Les papes saint Innocent et saint Zozime (417), que le pape saint
Célestin suivit depuis, autorisèrent la condamnation, et retendirent par tout
l'univers. Saint Augustin confondit ces dangereux hérétiques, et éclaira toute
l'Eglise par ses admirables écrits. Le même Père secondé de saint Prosper son
disciple, ferma la bouche aux demi-pélagiens, qui attribuaient le commencement
de la justification et de la foi aux seules forces du libre arbitre. Un siècle
si malheureux à l'empire, et où il s'éleva tant d'hérésies, ne laissa pas d'être
heureux au christianisme. Nul trouble ne l'ébranla, nulle hérésie ne le
corrompit. L'Eglise féconde en grands hommes, confondit toutes les erreurs.
Après les persécutions, Dieu se plut à faire éclater la gloire de ses martyrs :
toutes les histoires et tous les écrits sont pleins des miracles que leur
secours imploré, et leurs tombeaux honorés opéraient par toute la terre (1).
Vigilance (406) qui s'opposait à des sentiments si reçus, réfuté par saint
Jérôme, demeura sans suite. La foi chrétienne s'affermissait, et s'étendait tous
les jours. Mais l'empire d'Occident n'en pouvait plus. Attaqué par tant
d'ennemis, il fut encore affaibli par les jalousies de ses généraux. Par les
artifices d'Aétius, Boniface comte d'Afrique, devint suspect à Placidie (427).
Le comte maltraité fit venir d'Espagne Genséric et les Vandales que les Goths en
chassaient, et se repentit trop tard de les avoir appelés. L'Afrique fut ôtée à
l'empire. L'Eglise souffrit des maux infinis par la violence de ces ariens, et
vit couronner une infinité de martyrs. Deux furieuses hérésies s'élevèrent :
Nestorius patriarche de Constantinople divisa la personne de Jésus-Christ (429)
; et vingt ans après, Eutichès abbé en confondit les deux natures. Saint Cyrille
(430) patriarche d'Alexandrie s'opposa à Nestorius, qui fut condamné par le pape
saint Célestin. Le concile d'Ephèse (431) troisième général, en
1 Hier., cont. Vigil., Gennad., de Script. eccl.
347
exécution de celte sentence, déposa Nestorius, et confirma
le décret de saint Célestin, que les évêques du concile appellent leur Père dans
leur définition La sainte Vierge fut reconnue pour Mère de Dieu, et la
doctrine de saint Cyrille fut célébrée par toute la terre. Théodose, après
quelques embarras, se soumit au concile , et bannit Nestorius. Eutychès qui ne
put combattre cette hérésie qu'en se jetant dans un autre excès, ne fut pas
moins fortement rejeté (448). Le pape saint Léon le Grand le condamna, et le
réfuta tout ensemble par une lettre qui fut révérée dans tout l'univers. Le
concile de Chalcédoine (451) quatrième général, où ce grand pape tenait la
première place autant par sa doctrine que par l'autorité de son siège,
anathématisa Eutychès et Dioscore patriarche d'Alexandrie son protecteur. La
lettre du concile à saint Léon fait voir que ce pape y présidait par ses légats,
comme le chef à ses membres (2). L'empereur Marcien assista lui-même à cette
grande assemblée à l'exemple de Constantin, et en reçut les décisions avec le
même respect. Un peu auparavant Pulchérie l'avait élevé à l'empire en
l'épousant. Elle fut reconnue pour impératrice après la mort de son frère, qui
n'avait point laissé de fils. Mais il fallait donner un maître à l'empire : la
vertu de Marcien lui procura cet honneur. Durant le temps de ces deux conciles,
Théodoret évêque de Cyr se rendit célèbre, et sa doctrine serait sans tache, si
les écrits violons qu'il publia contre saint Cyrille n'avaient eu besoin de trop
grands éclaircissements. Il les donna de bonne foi, et fut compté parmi les
évêques orthodoxes.
Les Gaules commençaient à
reconnaître les Francs. Aétius les avait défendues contre Pharamond et contre
Clodion le Chevelu : mais Mérovée fut plus heureux, et y fit un plus solide
établissement , à peu près dans le même temps que les Anglais peuples saxons
occupèrent la Grande-Bretagne. Ils lui donnèrent leur nom, et y fondèrent
plusieurs royaumes. Cependant les Huns peuples des Palus-Méotides désolèrent
tout l'univers avec une armée immense, sous la conduite d'Attila leur roi, le
plus affreux
1 Part. II Conc. Eph., act. I; Sent,
depos. Nestor., tom. III; Conc. Labb., col. 533. — 2
Relat. S. Syn. Chalc, ad Leon., Conc. part. III.
348
de tous les hommes. Aétius qui le défit dans les Gaules, ne
put l'empêcher de ravager l'Italie. Les îles de la mer Adriatique servirent de
retraite à plusieurs contre sa fureur. Venise s'éleva au milieu des eaux (352).
Le pape saint Léon plus puissant qu'Aétius et que les armées romaines, se fit
respecter par ce roi barbare et païen, et sauva Rome du pillage : mais elle y
fut exposée bientôt après par les débauches de son empereur Valentinien (454,
455). Maxime dont il avait violé la femme, trouva le moyen de le perdre, en
dissimulant sa douleur et se faisant un mérite de sa complaisance. Par ses
conseils trompeurs, l'aveugle empereur fit mourir Aétius le seul rempart de
l'empire. Maxime auteur du meurtre en inspire la vengeance aux amis d'Aétius, et
fait tuer l'empereur. Il monte sur le trône par ces degrés, et contraint
l'impératrice Eudoxe fille de Théodose le Jeune à l'épouser. Pour se tirer de
ses mains, elle ne craignit point de se mettre en celles de Genséric. Rome est
en proie au Barbare : le seul saint Léon l'empêche d'y mettre tout à feu et à
sang : le peuple déchire Maxime, et ne reçoit dans ses maux que cette triste
consolation. Tout se brouille en Occident : on y voit plusieurs empereurs
s'élever, et tomber presque en même temps. Majorien (456) fut le plus illustre.
Avitus (457) soutint mal sa réputation, et se sauva par un évêché. On ne put
plus défendre les Gaules contre Mérovée, ni contre Childéric son fils : mais le
dernier pensa périr par ses débauches. Si ses sujets le chassèrent (458), un
fidèle ami qui lui resta le fit rappeler (465). Sa valeur le fit craindre de ses
ennemis, et ses conquêtes s'étendirent bien avant dans les Gaules (474).
L'empire d'Orient était paisible sous Léon Thracien successeur de Marcien (476),
et sous Zénon gendre et successeur de Léon. La révolte de Basiliscum (475)
bientôt opprimé, ne causa qu'une courte inquiétude à cet empereur : mais
l'empire d'Occident périt sans ressource. Auguste qu'on nomme Augustule, fils
d'Oreste, fut le dernier empereur reconnu à Rome et incontinent après il fut
dépossédé par Odoacre roi des Hérules. C'étaient des peuples venus du
Pont-Euxin, dont la domination ne fut pas longue. En Orient l'empereur Zénon
entreprit de se signaler d'une manière inouïe. Il fut le premier des empereurs
qui
349
se mêla de régler les questions de la foi. Pendant que les
demi-eutychiens s'opposaient au concile de Chalcédoine, il publia (482) contre
le concile son Hénotique, c'est-à-dire son traité d'union, détesté par les
catholiques, et condamné par le pape Félix III (483). Les Hérules furent bientôt
chassés de Rome par Théodoric (490, 491) roi des Ostrogoths, c'est-à-dire Goths
orientaux, qui fonda le royaume d'Italie, et laissa, quoique arien, un assez
libre exercice à la religion catholique. L'empereur Anastase la troublait en
Orient (492). Il marcha sur les pas de Zénon son prédécesseur, et appuya les
hérétiques. Par là il aliéna les esprits des peuples (493), et ne put jamais les
gagner, même en étant des impôts fâcheux. L'Italie obéissait à Théodoric.
Odoacre pressé dans Ravenne tâcha de se sauver par un traité que Théodoric
n'observa pas ; et les Hérules furent contraints de tout abandonner. Théodoric,
outre l'Italie, tenait encore la Provence. De son temps saint Benoît retiré en
Italie (494) dans un désert, commençait dès ses plus tendres années à pratiquer
les saintes maximes dont il composa depuis cette belle règle que tous les mornes
de d'Occident reçurent avec le même respect que les moines d'Orient ont pour
celle de saint Basile. Les Romains achevèrent de perdre les Gaules par les
victoires de Clovis fils de Childéric. Il gagna aussi sur les Allemands la
bataille de Tolbiac (495) par le vœu qu'il fit d'embrasser la religion
chrétienne, à laquelle Clotilde sa femme ne cessait de le porter. Elle était de
la maison des rois de Bourgogne, et catholique zélée, encore que sa famille et
sa nation fût arienne. Clovis instruit par saint Vaast, fût baptisé à Reims,
avec ses François, par saint Remi évêque de celte ancienne métropole. Seul de
tous les princes du monde, il soutint la foi catholique, et mérita le titre de
très-chrétien à ses successeurs. Par la bataille où il tua de sa propre main
Alaric (506) roi des Wisigoths, Tolose (a) et l'Aquitaine furent jointes à son
royaume (507). Mais la victoire des Ostrogoths (508) l'empêcha de tout prendre
jusqu'aux Pyrénées, et la fin de son règne (510) ternit la gloire des
commencements. Ses quatre enfants partagèrent le royaume, et ne cessèrent
d'entreprendre les uns sur les autres, (a) Aujourd'hui Toulouse.
350
Anastase mourut frappé du foudre (518). Justin de basse
naissance, mais habile et très-catholique, fut fait empereur par le sénat. Il se
soumit avec tout son peuple aux décrets du pape saint Hormisdas, et mit fin aux
troubles de l'Eglise d'Orient. De son temps (526) Boëce, homme célèbre par sa
doctrine aussi bien que par sa naissance, et Symmaque son beau-père tous deux
élevés aux charges les plus éminentes, furent immolés aux jalousies de
Théodoric, qui les soupçonna sans sujet de conspirer contre l'Etat. Le roi
troublé de son crime, crut voir la tête de Symmaque dans un plat qu'on lui
servait, et mourut quelque temps après. Amalasonte sa fille et mère d'Atalaric,
qui devenait roi par la mort de son aïeul, est empêchée par les Goths de faire
instruire le jeune prince comme méritait sa naissance ; et contrainte de
l'abandonner aux gens de son âge, elle voit qu'il se perd sans pouvoir y
apporter remède. L'année d'après Justin mourut (527), après avoir associé à
l'empire son neveu Justinien, dont le long règne est célèbre par les travaux de
Tribonien compilateur du droit romain, et par les exploits de Bélisaire et de
l'eunuque Narsès. Ces deux fameux capitaines réprimèrent les Perses, défirent
les Ostrogoths et les Vandales (529, 530, etc.), rendirent à leur maître
l'Afrique, l'Italie et Rome (533, 534) : mais l'empereur, jaloux de leur gloire,
sans vouloir prendre part à leurs travaux, les embarrassait toujours plus qu'il
ne leur donnait d'assistance (552, 553). Le royaume de France s'augmentait.
Après une longue guerre (532) Childebert et Clotaire, enfants de Clovis,
conquirent le royaume de Bourgogne, et en même temps immolèrent à leur ambition
les enfants mineurs de leur frère Clodomir, dont ils partagèrent entre eux le
royaume. Quelque temps, après, et pendant que Bélisaire attaquait si vivement
les Ostrogoths, ce qu'ils avaient dans les Gaules fut abandonné aux François. La
France s'étendait alors beaucoup au delà du Rhin; mais les partages des princes,
qui faisaient autant de royaumes, l’empêchaient d'être réunie sous une même
domination. Ses principales parties furent la Neustrie, c'est-à-dire la France
occidentale, et l'Austrasie, c'est-à-dire la France orientale.
351
La même année que Rome fut
reprise (553) par Narsès, Justinien fit tenir à Constantinople le cinquième
concile général, qui confirma les précédents, et condamna quelques écrits
favorables à Nestorius. C'est ce qu'on appelait les trois chapitres, à cause des
trois auteurs déjà morts il y avait longtemps, dont il s'agissait alors. On
condamna la mémoire et les écrits de Théodore évêque de Mopsueste, une lettre d'Ibas
évêque d'Édesse, et parmi les écrits de Théodoret ceux qu'il avait composés
contre saint Cyrille. Les livres d'Origène qui troublaient tout l'Orient depuis
un siècle, furent aussi réprouvés. Ce concile commencé avec de mauvais desseins,
eut une heureuse conclusion, et fut reçu du saint Siège qui s'y était opposé
d'abord (555). Deux ans après le concile, Narsès qui avait ôté l'Italie aux
Goths, la défendit contre les François, et remporta une pleine victoire sur
Bucelin général des troupes d'Austrasie. Malgré tous ces avantages, l'Italie ne
demeura guère aux empereurs. Sous Justin II (568) neveu de Justinien, et après
la mort de Narsès, le royaume de Lombardie fut fondé par Alboïn. Il prit Milan
et Pavie : Rome et Ravenne se sauvèrent à peine de ses mains; et les Lombards
firent souffrir aux Romains (570—571) des maux extrêmes. Rome fut mal secourue
par ses empereurs (574), que les Avares nation scythique, les Sarrasins peuples
d'Arabie, et les Perses plus que tous les autres, tourmentaient de tous côtés en
Orient. Justin qui ne croyait que lui-même et ses passions, fut toujours battu
par les Perses et par leur roi Chosroès. Il se troubla de tant de pertes,
jusqu'à tomber en frénésie. Sa femme Sophie soutint l'empire. Le malheureux
prince revint trop tard à son bon sens, et reconnut en mourant (579) la malice
de ses flatteurs. Après lui Tibère II (580) qu'il avait nommé empereur, réprima
les ennemis, soulagea les peuples, et s'enrichit par ses aumônes. Les victoires
de Maurice Cappadocien (581) général de ses armées, firent mourir (583) de dépit
le superbe Chosroès. Elles furent récompensées de l'empire que Tibère lui donna
en mourant, avec sa fille Constantine. En ce temps l'ambitieuse Frédégonde,
femme du roi Chilpéric Ier, mettait toute la France en combustion, et ne cessait
d'exciter des guerres cruelles entre les rois Français. Au milieu des malheurs
de l'Italie,
352
et pendant que Rome était affligée d’une peste épouvantable
(590). saint Grégoire le Grand fut élevé malgré lui sur le siège de saint
Pierre. Ce grand pape apaise la peste par ses prières, instruit les empereurs,
et tout ensemble leur fait rendre l'obéissance qui leur est due ; console
l'Afrique, et la fortifie ; confirme en Espagne les Wisigoths convertis de
l'arianisme, et Récarède le Catholique, qui venait de rentrer au sein de
l'Eglise; convertit l'Angleterre; réforme la discipline dans la France, dont il
exalte les rois, toujours orthodoxes, au-dessus de tous les rois de la terre;
fléchit les Lombards; sauve Rome et l'Italie, que les empereurs ne pouvaient
aider; réprime l'orgueil naissant des patriarches de Constantinople; éclaire
toute l'Eglise par sa doctrine; gouverne l'Orient et l'Occident avec autant de
vigueur que d'humilité; et donne au monde un parfait modèle du gouvernement
ecclésiastique. L'histoire de l'Eglise n'a rien de plus beau que l'entrée du
saint moine Augustin (597) dans le royaume de Kent avec quarante de ses
compagnons, qui précédés de la croix et de l'image du grand Roi Notre-Seigneur
Jésus-Christ, faisaient des vœux solennels pour la conversion de l'Angleterre
(1). Saint Grégoire qui les avait envoyés, les instruisait par des lettres
véritablement apostoliques, et apprenait à saint Augustin à trembler parmi les
miracles continuels que Dieu faisait par son ministère (2). Berthe princesse de
France attira au christianisme le roi Edhilbert son mari. Les rois de France et
la reine Brunphaut protégèrent la nouvelle mission; Les évêques de France
entrèrent dans cette bonne œuvre, et ce furent eux qui par l'ordre du pape
sacrèrent saint Augustin (601). Le renfort que saint Grégoire envoya au nouvel
évêque produisit de nouveaux fruits (604)., et l'Eglise anglicane prit sa forme,
L'empereur Maurice ayant éprouvé la fidélité du saint pontife, se corrigea par
ses avis, et reçut de lui cette louange si digne d'un prince chrétien, que la
bouche des hérétiques n'osait s'ouvrir de son temps. Un si pieux empereur fit
pourtant une grande faute (601). Un nombre infini de Romains périrent entre les
mains des Barbares, faute d'être rachetés à un écu par tête.
On voit
1 Beda, Hist. angl., lib. I, cap. 25. —
2 Gregor., lib. IX, epist. LVIII; nunc lib. XI, ind. 4, epist, XXVIII ;
Labb. Conc. tom. XI, col. 1110.
353
incontinent après les remords du bon empereur; la prière
qu'il fait à Dieu de le punir en ce monde plutôt qu'en l’autre ; la révolte de
Phocas (602), qui égorge à ses yeux toute sa famille; Maurice tué le dernier, et
ne disant autre chose, parmi tous ses maux, que ce verset du Psalmiste : « Vous
êtes juste, ô Seigneur ! et tous vos jugements sont droits » Phocas élevé à
l'empire par une action si détestable, tâcha de gagner les peuples en honorant
le saint Siège, dont il confirma les privilèges (606). Mais sa sentence était
prononcée. Héraclius proclamé empereur (610) par l'armée d'Afrique, marcha
contre lui. Alors Phocas éprouva que souvent les débauches nuisent plus aux
princes que les cruautés ; et Photin dont il avait débauché la femme, le livra à
Héraclius, qui le fit tuer. La France vit un peu après une tragédie bien plus
étrange. La reine Brunehaut livrée à Clotaire II (614), fut immolée à l'ambition
de ce prince : sa mémoire fut déchirée, et sa vertu tant louée par le pape saint
Grégoire, a peine encore à se défendre.
L'empire cependant était désolé.
Le roi de Perse Chosroès II sous prétexte de venger Maurice, avait entrepris de
perdre Phocas. Il poussa ses conquêtes sous Héraclius. On vit l'empereur battu
(620, 621, 622), et la vraie croix enlevée par les infidèles; puis par un retour
admirable (623, 025, 626), Héraclius cinq fois vainqueur, la Perse pénétrée
parles Romains, Chosroès tué par son fils, et Ja sainte croix reconquise.
Pendant que la puissance des Perses était si bien réprimée, un plus grand mal
s'éleva contre l'empire et contre foute la chrétienté. Mahomet s'érigea en
prophète parmi les Sarrasins ( 622 ) : il fut chassé de la Mecque par les siens.
A sa fuite commence la fameuse hégire, d'où les mahométans comptent leurs
années. Le faux prophète donna ses victoires pour toute marque de sa mission. Il
soumit en neuf ans toute l'Arabie de gré ou de force, et jeta les fondements de
l'empire des califes. A ces maux se joignit l'hérésie des monothélites (629),
qui par une bizarrerie presque inconcevable, en reconnaissant deux natures en
Notre-Seigneur, n'y voulaient connaître qu'une seule volonté. L'homme selon eux
n'y voulait rien, et il
1 Ps. CXVIII, 137.
354
n'y avait en Jésus-Christ que la seule volonté du Verbe.
Ces hérétiques cachaient leur venin sous des paroles ambiguës : un faux amour de
la paix leur fît proposer qu'on ne parlât ni d'une ni de deux volontés (633).
Ils imposèrent par ces artifices au pape Honorius Ier (639), qui entra avec eux
dans un dangereux ménagement, et consentit au silence où le mensonge et la
vérité furent également supprimés. Pour comble de malheurs, quelque temps après
l'empereur Héraclius entreprit de décider la question de son autorité, et
proposa son Ecthèse ou Exposition favorable aux monothélites : mais les
artifices des hérétiques furent enfin découverts (640). Le pape Jean IV condamna
l’Ecthèse (648). Constant petit-fils d'Héraclius soutint l'édit de son aïeul
(649) par le sien appelé Type. Le saint Siège et le pape Théodore
s'opposent à cette entreprise : le pape saint Martin I assemble le concile de
Latran, où il anathématise le Type et les chefs des monothélites. Saint
Maxime, célèbre par tout l'Orient pour sa piété et pour sa doctrine, quitte la
Cour infectée de la nouvelle hérésie, reprend ouvertement les empereurs qui
avaient osé prononcer sur les questions de la foi, et souffre des maux infinis
pour la religion catholique. Le pape traîné d'exil en exil (650), et toujours
durement traité par l'empereur, meurt enfin (654) parmi les souffrances sans se
plaindre, ni se relâcher de ce qu'il doit à son ministère. Cependant la nouvelle
Eglise anglicane fortifiée par les soins des papes Boniface V et Honorius, se
rendait illustre par toute la terre. Les miracles y abondaient avec les vertus
comme dans les temps des apôtres ; et il n'y avait rien de plus éclatant que la
sainteté de ses rois (627). Edwin embrassa avec tout son peuple la foi qui lui
avait donné la victoire sur ses ennemis, et convertit ses voisins. Oswalde
servit d'interprète (634) aux prédicateurs de l'Evangile; et renommé par ses
conquêtes, il leur préféra la gloire d'être chrétien. Les Merciens furent
convertis (635) par le roi de Northumberland Oswin : leurs voisins et leurs
successeurs suivirent leurs pas ; et leurs bonnes œuvres furent immenses. Tout
périssait en Orient. Pendant que les empereurs se consument dans des disputes de
religion (634, 635) et inventent des hérésies, les Sarrasins pénètrent l'empire;
ils occupent la
355
Syrie et la Palestine (636) ; la sainte cité leur est
assujettie (637) ; la Perse leur est ouverte par ses divisions, et ils prennent
ce grand royaume sans résistance (647). Ils entrent en Afrique en état d'en
faire bientôt une de leurs provinces : l'île de Chypre leur obéit (648) ; et ils
joignent en moins de trente ans toutes ces conquêtes à celles de Mahomet.
L'Italie toujours malheureuse et abandonnée, gémissait sous les armes des
Lombards. Constant désespéra de les chasser, et se résolut à ravager ce qu'il ne
put défendre. Plus cruel que les Lombards mêmes, il ne vint à Rome que pour en
piller les trésors (663) : les églises ne s'en sauvèrent pas : il ruina la
Sardaigne et la Sicile; et devenu odieux à tout le monde, il périt de la main
des siens (668). Sous son fils Constantin Pogonat, c’est-à-dire le Barbu, les
Sarrasins s'emparèrent de la Cilicie et de la Lycie (671). Constantinople
assiégée ne fut sauvée que par un miracle (672). Les Bulgares, peuples venus de
l'embouchure du Volga, se joignirent à tant d'ennemis (678) dont l'empire était
accablé, et occupèrent cette partie de la Thrace appelée depuis Bulgarie, qui
était l'ancienne Mysie. L'Eglise anglicane enfantait de nouvelles églises ; et
saint Wilfrid évêque d'York, chassé de son siège, convertit la Frise. Toute
l'Eglise reçut une nouvelle lumière parle concile de Constantinople (680),
sixième général, où le pape saint Agathon présida par ses légats, et expliqua Ja
foi Catholique par une lettre admirable. Le conçue frappa d'anathème un évêque
célèbre par sa doctrine, un patriarche d'Alexandrie, quatre patriarches de
Constantinople, c'est-à-dire tous les auteurs de la secte des monothélites, sans
épargner le pape Honorius, qui les avait ménagés. Après la mort d'Agathon qui
arriva durant le concile, le pape saint Léon II en confirma les décisions, et en
reçut tous les anathèmes. Constantin Pogonat imitateur du grand Constantin et de
Marcien, entra au concile à leur exemple; et comme il y rendit les mêmes
soumissions, il y fut honoré des mêmes titres d'orthodoxe, de religieux, de
pacifique empereur, et de restaurateur de la religion. Son fils Justinien II lui
succéda (685) encore enfant. De son temps (686) la foi s'étendait et éclatait
vers le Nord. Saint Kilien envoyé par le pape Conon prêcha l'Evangile dans la
Franconie. Du temps du
356
pape Serge (689), Ceadual un des rois d'Angleterre vint
reconnaître en personne l'Eglise romaine, d'où la foi avait passé en son île ;
et après avoir reçu le baptême par les mains du pape, il mourut selon qu'il
l'avait lui-même désiré.
La maison de Clovis était tombée
dans une faiblesse déplorable : de fréquentes minorités avoient donné occasion
de jeter les princes dans une mollesse dont ils ne sortaient point étant
majeurs. De là sort une longue suite de rois fainéants qui n'avaient que le nom
de roi, et laissaient tout le pouvoir aux maires du palais (693). Sous ce titre
Pépin Héristel gouverna tout, et éleva sa maison à de plus hautes espérances
(695). Par son autorité , et après le martyre de saint Vigbert, la foi s'établit
dans la Frise, que la France venait d'ajouter à ses conquêtes. Saint Swibert,
saint Willebrod, et d'autres bommes apostoliques répandirent l'Evangile dans les
provinces voisines. Cependant la minorité de Justinien s'était heureusement
passée : les victoires de Léonce avaient abattu les Sarrasins, et rétabli la
gloire de l'empire en Orient. Mais ce vaillant capitaine arrêté injustement
(694), et relâché mal à propos, coupa le nez à son maître, et le chassa (796).
Ce rebelle souffrit un pareil traitement de Tibère, nommé Absimare, qui lui-même
ne dura guère. Justinien rétabli (702) fut ingrat envers ses amis; et en se
vengeant de ses ennemis, il s'en fit de plus redoutables, qui le tuèrent (711).
Les images de Philippique son successeur ne furent pas reçues dans Rome, à cause
qu'il favorisait les monothélites et se déclarait ennemi du concile sixième. On
élut à Constantinople Anastase II (713) prince catholique, et on creva les yeux
à Philippique. En ce temps les débauches du roi Roderic ou Rodrigue firent
livrer l'Espagne aux Maures : c'est ainsi qu'on appelait les Sarrasins
d'Afrique. Le comte Julien, pour venger sa fille dont Roderic abusait, appela
ces infidèles. Ils viennent avec des troupes immenses : ce roi périt : l'Espagne
est soumise, et l'empire des Goths y est éteint. L'Eglise d'Espagne fut mise
alors à une nouvelle épreuve : mais comme elle s'était conservée sous les
ariens, les mahométans ne purent l'abattre. Ils la laissèrent d'abord avec assez
de liberté dans les siècles suivants il fallut soutenir de grands combats; et la
357
chasteté eut ses martyrs aussi Lien que la foi, sous la
tyrannie d'une nation aussi brutale qu'infidèle. L'empereur Anastase ne dura
guère. L'armée força Théodose III à prendre la pourpre (715). Il fallut
combattre : le nouvel empereur gagna la bataille, et Anastase fut mis dans un
monastère. Les Maures maîtres de l'Espagne espéraient s'étendre bien au delà des
Pyrénées : mais Charles Martel destiné à les réprimer, s'était élevé en France,
et avait succédé, quoique bâtard, au pouvoir de son père Pépin Héristel, qui
laissa l'Austrasie à sa maison comme une espèce de principauté souveraine, et le
commandement en Neustrie par la charge de maire du palais. Charles réunit tout
par sa valeur (716). Les affaires d'Orient étaient brouillées. Léon Isaurien
préfet d'Orient ne reconnut pas Théodose, qui quitta sans répugnance l'empire
qu'il n'avait accepté que par force; et retiré à Ephèse, ne s'occupa plus que
des véritables grandeurs. Les Sarrasins reçurent de grands coups durant l'empire
de Léon. Ils levèrent honteusement le siège de Constantinople (718). Pelage qui
se cantonna dans les montagnes d'Asturie (719) avec ce qu'il y avait de plus
résolu parmi les Goths, après une victoire signalée, opposa à ces infidèles un
nouveau royaume, par lequel ils dévoient un jour être chassés de l'Espagne.
Malgré les efforts et l'armée immense d'Abdérame leur général, Charles Martel
gagna sur eux la fameuse bataille de Tours (725). Il y périt un nombre infini de
ces infidèles, et Abdérame lui-même y demeura sur la place. Cette victoire fut
suivie d'autres avantages, par lesquels Charles arrêta les Maures, et étendit le
royaume jusqu'aux Pyrénées. Alors les Gaules n'eurent presque rien qui n'obéît
aux François, et tous reconnaissaient Charles Martel. Puissant en paix, en
guerre, et maître absolu du royaume, il régna sous plusieurs rois qu'il fit et
défit à sa fantaisie, sans oser prendre ce grand titre. La jalousie des
seigneurs français voulait être ainsi trompée.
La religion s'établissait en
Allemagne (723). Le prêtre saint Boniface convertit ces peuples, et en fut fait
évêque par le pape Grégoire II, qui l'y avait envoyé. L'empire était alors assez
paisible, mais Léon y mit le trouble pour longtemps. Il entreprit de renverser
(726) comme des idoles les images de Jésus-Christ
358
et de ses saints. Comme il ne put attirer à ses sentiments
saint Germain patriarche de Constantinople, il agit de son autorité, et après
une ordonnance du sénat, on lui vit d'abord briser une image de Jésus-Christ,
qui était posée sur la grande porte de l'église de Constantinople. Ce fut par là
que commencèrent les violences des iconoclastes, c'est-à-dire des brise-images.
Les autres images que les empereurs, les évêques et tous les fidèles avaient
érigées depuis la paix de l'Eglise dans les lieux publics et particuliers ,
furent aussi abattues. À ce spectacle le peuple s'émut. Les statues de
l'empereur furent renversées en divers endroits. Il se crut outragé en sa
personne : on lui reprocha un semblable outrage qu'il faisait à Jésus-Christ et
à ses saints, et que de son aveu propre l'injure faite à l'image retombait sur
l'original. L'Italie passa encore plus avant : l'impiété de l'empereur fut cause
qu'on lui refusa les tributs ordinaires. Luitprand roi des Lombards se servit du
même prétexte pour prendre Ravenne, résidence des exarques. On nommait ainsi les
gouverneurs que les empereurs envoyaient en Italie. Le pape Grégoire II s'opposa
au renversement des images : mais en même temps il s'opposait aux ennemis de
l'empire, et tâchait de retenir les peuples dans l'obéissance. La paix se fit
avec les Lombards (730), et l'empereur exécuta son décret contre les images plus
violemment que jamais. Mais le célèbre Jean de Damas lui déclara qu'en matière
de religion il ne connaissait de décrets que ceux de l'Eglise, et souffrit
beaucoup. L'empereur chassa de son siège le patriarche saint Germain, qui mourut
en exil âgé de quatre-vingt-dix ans. Un peu après les Lombards reprirent les
armes (739,740) ; et dans les maux qu'ils faisaient souffrir au peuple romain,
ils ne furent retenus que par l'autorité de Charles Martel, dont le pape
Grégoire n avait imploré l'assistance. Le nouveau royaume d'Espagne qu'on
appelait dans ces premiers temps le royaume d'Oviède, s'augmentait par les
victoires et par la conduite d'Alphonse gendre de Pelage, qui à l'exemple de
Récarède dont il était descendu, prit le nom de Catholique. Léon mourut
(741), et laissa l'empire aussi bien que l'Eglise dans une grande agitation.
Artabaze préteur d'Arménie se fit proclamer empereur au lieu de
359
Constantin Copronyme fils de Léon, et rétablit les images.
Après la mort de Charles Martel Luitprand menaça Rome de nouveau : l'exarchat de
Ravenne fut en péril, et l'Italie dut son salut à la prudence du pape saint
Zacharie (742). Constantin embarrassé dans l'Orient, ne songeait qu'à s'établir
(743) ; il battit Artabaze, prit Constantinople, et la remplit de supplices, Les
deux enfants de Charles Martel, Carloman et Pépin, avaient succédé à la
puissance de leur père (747); mais Carloman dégoûté du siècle, au milieu de sa
grandeur et de ses victoires embrassa la vie monastique. Par ce moyen son frère
Pépin réunit en sa personne toute la puissance. Il sut la soutenir par un grand
mérite, et prit le dessein de s'élever à la royauté. Childéric le plus misérable
de tous les princes lui en ouvrit le chemin (752), et joignit à là qualité de
fainéant celle d'insensé. Les François dégoûtés de leurs fainéants, et
accoutumés depuis tant de temps à la maison de Charles Martel féconde en grands
hommes, n'étaient plus embarrassés que du serment qu'ils avaient prêté à
Childéric. Sur la réponse du pape Zacharie, ils se crurent libres, et d'autant
plus dégagés du serment qu'ils avaient prêté à leur roi, que loi et ses
devanciers semblaient depuis cent ans avoir renoncé au droit qu'ils avaient de
leur commander, en laissant attacher tout le pouvoir à la charge de maire du
palais. Ainsi Pépin fut mis sur le trône., et le nom de roi hit réuni avec
l'autorité. Le pape Etienne III (753) trouva dans le nouveau roi le même zèle
que Charles Martel avait eu pour le saint Siège contre les Lombards. Après avoir
vainement imploré le secours de l'empereur, il se jeta entre les bras des
François. Le roi le reçut en France avec respect (754), et voulut être sacré et
couronné de sa main. En même temps il passa les Alpes, délivra Rome et
l'exarchat de Ravenne, et réduisit Astolphe roi des Lombards à une paix
équitable. Cependant l'empereur faisait la guerre aux images. Pour s'appuyer de
l'autorité ecclésiastique, il assembla un nombreux concile à Constantinople. On
n'y vit pourtant point paraître, selon la coutume, ni les légats du saint Siège,
ni les évêques ou les légats des autres sièges patriarcaux (1). Dans ce concile,
non-seulement
1 Conc. Nic. II, act. VI, tom. VII Concil., col,
395.
360
on condamna comme idolâtrie tout l'honneur rendu aux images
en mémoire des originaux, mais encore on y condamna la sculpture et la peinture
comme des arts détestables (1) . C'était l'opinion des Sarrasins, dont on disait
que Léon avait suivi les conseils quand il renversa les images. Il ne parut
pourtant rien contre les reliques. Le concile de Copronyme ne défendit pas de
les honorer, et il frappa d'anathème ceux qui refusaient d'avoir recours aux
prières de la sainte Vierge et des Saints (2). Les catholiques persécutés pour
l'honneur qu'ils rendaient aux images, répondaient à l'empereur qu'ils aimaient
mieux endurer toute sorte d'extrémités, que de ne pas honorer Jésus-Christ
jusque dans son ombre. Cependant Pépin repassa les Alpes (755), et châtia
l'infidèle Astolphe qui refusait d'exécuter le traité de paix. L'Eglise romaine
ne reçut jamais un plus beau don que celui que lui fit alors ce pieux prince. Il
lui donna les villes reconquises sur les Lombards, et se moqua de Copronyme qui
les redemandait, lui qui n'avait pu les défendre. Depuis ce temps les empereurs
furent peu reconnus dans Rome : ils y devinrent méprisables par leur faiblesse,
et odieux par leurs erreurs. Pépin y fut regardé comme protecteur du peuple
romain et de l'Eglise romaine. Cette qualité devint comme héréditaire à sa
maison et aux rois de France. Charlemagne fils de Pépin la soutint avec autant
de courage que de piété (772). Le pape Adrien eût recours à lui contre Didier
roi des Lombards, qui avait pris plusieurs villes, et menaçait toute l'Italie.
Charlemagne passa les Alpes. Tout fléchit : Didier fut livré (773) : les rois
lombards ennemis de Rome et des papes furent détruits (774) : Charlemagne se fit
couronner roi d'Italie, et prit le titre de roi des François et des Lombards. En
même temps il exerça dans Rome même l'autorité ! souveraine en qualité de
patrice, et confirma au saint Siège les donations du roi son père. Les empereurs
avaient peine à résister aux Bulgares, et soutenaient vainement contre
Charlemagne les Lombards dépossédés. La querelle des images durait toujours.
Léon IV fils de Copronyme semblait d'abord s'être adouci; mais
1 Conc. Nic. II, Defin. Pseudo-syn.
C. P., col. 158, 507.— 2 Ibid., Pseudo-syn. C. P., Can. X
et XI, col. 523, 527.
361
il renouvela la persécution aussitôt qu'il se crut le
maître. Il mourut bientôt. Son fils Constantin âgé de dix ans lui succéda (780),
et régna sous la tutelle de l'impératrice Irène sa mère. Alors les choses
commencèrent à changer de face. Paul patriarche de Constantinople déclara sur la
fin de sa vie qu'il avait combattu les images contre sa conscience (784), et se
retira dans un monastère, où il déplora en présence de l’impératrice le malheur
de l'église de Constantinople séparée des quatre sièges patriarcaux, et lui
proposa la célébration d'un concile universel comme l'unique remède d'un si
grand mal. Taraise son successeur soutint que la question n'avait pas été jugée
dans l'ordre, parce qu'on avait commencé par une ordonnance de l'empereur, qu'un
concile tenu contre les formes avait suivi ; au heu qu'en matière de religion
c'est au concile à commencer, et aux empereurs à appuyer le jugement de
l'Eglise. Fondé sur cette raison, il n'accepta le patriarcat qu'à condition
qu'on tiendrait le concile universel : il fut commencé à Constantinople (787),
et continué à Nicée. Le pape y envoya ses légats : le concile des iconoclastes
fut condamné : ils sont détestés comme gens qui, à l'exemple des Sarrasins,
accusaient les chrétiens d'idolâtrie. On décida que les images seraient honorées
en mémoire et pour l'amour des originaux ; ce qui s'appelle dans le concile
culte relatif, adoration et salutation honoraire, qu'on oppose au culte suprême
et à l'adoration de latrie, ou d'entière sujétion, que le concile réserve à
Dieu seul (4). Outre les légats du Saint-Siège et la présence du patriarche de
Constantinople, il y parut des légats des autres sièges patriarcaux opprimés
alors par les infidèles. Quelques-uns leur ont contesté leur mission : mais ce
qui n'est pas contesté, c'est que loin de les désavouer, tous ces sièges ont
accepté le concile sans qu'il y paroisse de contradiction, et il a été reçu par
toute l'Eglise. Les François environnés d'idolâtres ou de nouveaux chrétiens
dont ils craignaient de brouiller les idées, et d'ailleurs embarrassés du terme
équivoque d’adoration, hésitèrent longtemps. Parmi toutes les images, ils
ne voulaient rendre d'honneur qu'à celle de la croix, absolument différente des
figures que les païens croyaient pleines
1 Conc Nic. II, act. VI, tom VII Concil.,
col. 395.
362
de divinité. Ils conservèrent pourtant en lieu honorable,
et même dans les églises, les autres images, et détestèrent les iconoclastes. Ce
qui resta de diversité ne fît aucun schisme. Les François connurent enfin que
les Pères de Nicée ne demandaient pour les images que le même genre de culte,
toutes proportions gardées, qu'ils rendaient eux-mêmes aux reliques, aux livres
de l'Evangile et à la croix; et ce concile fut honoré par toute la chrétienté
sous le nom de septième concile général.
Ainsi nous avons vu les sept
conciles généraux que l'Orient et l'Occident, l'Eglise grecque et l'Eglise
latine reçoivent avec une égale révérence. Les empereurs convoquaient ces
grandes assemblées par l'autorité souveraine qu'ils avaient sur tous les
évêques, ou du moins sur les principaux, d'où dépendaient tous les autres, et
qui étaient alors sujets de l'empire. Les voitures publiques leur étaient
fournies par l'ordre des princes. Es assemblaient des conciles en Orient, où ils
faisaient leur résidence, et y envoyaient ordinairement des commissaires pour
maintenir l'ordre. Les évêques ainsi assemblés portaient avec eux l'autorité du
Saint-Esprit, et la tradition des églises. Dès l'origine du christianisme, il y
avait trois sièges principaux, qui précédaient tous les autres : celui de Rome,
celui d'Alexandrie et celui d'Antioche. Le concile de Nicée avait approuvé que
l'évêque de la Cité sainte eût le même rang (1). Le second et le quatrième
concile élevèrent le siège de Constantinople, et voulurent qu'il fût le second
(2). Ainsi il se fit cinq sièges, que dans la suite des temps on appela
patriarcaux. La préséance leur était donnée dans le concile. Entre ces sièges,
le siège de Rome était toujours regardé comme le premier, et le concile de Nicée
régla les autres sur celui-là. Il y avait aussi des évêques métropolitains qui
étaient les chefs des provinces, et qui précédaient les autres évêques. On
commença assez tard à les appeler archevêques : mais leur autorité n'en
était pas moins reconnue. Quand le concile était formé, on proposait l'Ecriture
sainte; on lisait les passages dés anciens Pères témoins de la tradition :
c'était la tradition qui interprétait l'Ecriture : on
1 Concil. C. P. I can. III; ibid., col.
948. Conc. Chalced. can. XXVIII; tom. I, col. 769. — 2
Conc. Nic. can. VI, ubi sup.
363
croyait que son vrai sens était celui dont les siècles
passés étaient convenus, et nul ne croyait avoir droit de l'expliquer autrement.
Ceux qui refusaient de se soumettre aux décisions du concile, étaient frappés
d'anathème. Après avoir expliqué la foi, on réglait la discipline
ecclésiastique, et on dressait les canons, c'est-à-dire les règles de l'Eglise.
On croyait que la foi ne changeait jamais, et qu'encore que la discipline pût
recevoir divers changements selon les temps et les lieux, il fallait tendre
autant qu'on pouvait à une parfaite imitation de l'antiquité. Au reste les papes
n'assistèrent que par leurs légats aux premiers conciles généraux; mais ils en
approuvèrent expressément la doctrine, et il n'y eut dans l'Eglise qu'une seule
foi.
(787) Constantin et Irène firent
religieusement exécuter les décrets du septième concile : mais le reste de leur
conduite ne se soutint pas. Le jeune prince à qui sa mère fit épouser une femme
qu'il n'aimait point, s'emportait à des amours déshonnêtes; et las d'obéir
aveuglément à une mère si impérieuse, il tâchait de l'éloigner des affaires où
elle se maintenait malgré lui. Alphonse le Chaste régnait en Espagne (793). La
continence perpétuelle que garda ce prince, lui mérita ce beau titre, et le
rendit digne d'affranchir l'Espagne de l'infâme tribut de cent filles que son
oncle Mauregat avait accordé aux Maures. Soixante et dix mille de ces infidèles
tués dans une bataille avec Mugait leur général, firent voir la valeur
d'Alphonse. Constantin tâchait aussi de se signaler contre les Bulgares ; mais
les succès ne répondirent pas à son attente. Il détruisit à la fin tout le
pouvoir d'Irène (793) ; et incapable de se gouverner lui-même autant que de
souffrir l'empire d'autrui, il répudia sa femme Marie, pour épouser Théodote qui
était à elle. Sa mère irritée fomenta les troubles que causa un si grand
scandale (796). Constantin périt par ses artifices. Elle gagna le peuple en
modérant les impôts, et mit dans ses intérêts les moines avec le clergé par une
piété apparente. Enfin elle fut reconnue seule impératrice. Les Romains
méprisèrent ce gouvernement, et se tournèrent à Charlemagne, qui subjuguait les
Saxons, réprimait les Sarrasins, détruisait les hérésies, protégeait les papes,
attirait au christianisme les nations infidèles,
364
rétablissait les sciences et la discipline ecclésiastique,
assemblait de fameux conciles où sa profonde doctrine était admirée, et faisait
ressentir, non-seulement à la France et à l'Italie, mais encore à l'Espagne (a),
à l'Angleterre, à la Germanie, et partout, les effets de sa piété et de sa
justice.
Enfin l'an 800 de Notre-Seigneur
ce grand protecteur de Rome et de l'Italie, ou pour mieux dire de foute l'Eglise
et de toute la chrétienté, élu empereur par les Romains sans qu'il y pensât, et
couronné par le pape Léon III qui avait porté le peuple romain à ce choix,
devint le fondateur du nouvel empire et de la grandeur temporelle du saint
Siège.
Voilà, Monseigneur, les douze
époques que j'ai suivies dans cet abrégé. J'ai attaché à chacune d'elles les
faits principaux qui en dépendent. Vous pouvez maintenant sans beaucoup de
peine. disposer selon l'ordre des temps les grands événements de l'histoire
ancienne, et les ranger pour ainsi dire chacun sous son étendard.
Je n'ai pas oublié dans cet
abrégé, cette célèbre division (b) que font les chronologistes de la durée du
monde en sept âges. Le commencement de chaque âge nous sert d'époque : si j'y en
mêle quelques autres, c'est afin que les choses soient plus distinctes , et que
l'ordre des temps se développe devant vous avec moins de confusion.
Quand je vous parle de l'ordre
des temps, je ne prétends pas, Monseigneur, que vous vous chargiez
scrupuleusement de toutes les dates ; encore moins que vous entriez dans toutes
les disputes des chronologistes, où le plus (souvent il ne s'agit que de peu
d'années. La chronologie contentieuse qui s'arrête scrupuleusement à ces
minuties, a son usage sans doute; mais elle n'est pas votre objet, et sert peu à
éclairer l'esprit d'un grand prince. Je n'ai point voulu raffiner sur cette
discussion des temps, et parmi
(a) Mais à l'Espagne. (b) 1re édit. :
Distinction.
365
les calculs déjà faits, j'ai suivi celui qui m'a paru le
plus vraisemblable, sans m'engager à le garantir.
Que dans la supputation qu'on
fait des années depuis le temps de la création jusqu'à Abraham, il faille suivre
les Septante qui font le monde plus vieux, ou l'hébreu qui le fait plus jeune de
plusieurs siècles : encore que l'autorité de l'original hébreu semble devoir
l'emporter, c'est une chose si indifférente en elle-même, que l'Eglise qui a
suivi avec saint Jérôme la supputation de l'hébreu dans notre Vulgate, a laissé
celle des Septante dans son Martyrologe. En effet qu'importe à l'histoire de
diminuer ou de multiplier des siècles vides, où aussi bien l'on n'a rien à
raconter ? N'est-ce pas assez que les temps où les dates sont importantes aient
des caractères fixes, et que la distribution en sait appuyée sur des fondements
certains? Et quand même dans ces temps il y aurait de la dispute pour quelques
années, ce ne serait presque jamais un embarras. Par exemple, qu'il faille
mettre de quelques années plus tôt ou plus tard, ou la fondation de Rome, ou la
naissance de Jésus-Christ : vous avez pu reconnaître que cette diversité ne fait
rien à la suite des histoires, ni à l'accomplissement des conseils de Dieu. Vous
devez éviter les anachronismes qui brouillent l'ordre des affaires, et laisser
disputer des autres entre les savants.
Je ne veux non plus charger
votre mémoire du compte des Olympiades, quoique les Grecs qui s'en servent les
rendent nécessaires à fixer les temps. Il faut savoir ce que c'est, afin d'y
avoir recours dans le besoin : mais au reste il suffira de vous attacher aux
dates que je vous proposé comme les plus simples et les plus suivies, qui sont
celles du monde jusqu'à Rome, celle de Rome jusqu'à Jésus-Cbrit, et celles de
Jésus-Christ dans toute la suite.
Mais le vrai dessein de cet
abrégé n'est pas de vous expliquer l'ordre des temps, quoiqu'il sait absolument
nécessaire pour lier toutes les histoires, et en montrer le rapport. Je vous ai
dit, Monseigneur, que mon principal objet est de vous faire considérer dans
l'ordre des temps la suite du peuple de Dieu et celle des grands empires. Ces
deux choses roulent ensemble dans ce grand mouvement
366
des siècles où elles ont pour ainsi dire un même cours :
mais il est besoin pour les bien entendre, de les détacher quelquefois l'une de
l'autre, et de considérer tout ce qui convient à chacune d'elles.
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