PHILÉMON II

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ARGUMENT
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HOMÉLIE II. JE RENDS GRACES A MON DIEU, FAISANT TOUJOURS MENTION DE TOI DANS MES PRIÈRES; APPRENANT LA FOI QUE TU AS AU SEIGNEUR JÉSUS, ET TA CHARITÉ ENVERS TOUS LES SAINTS, AFIN QUE LA COMMUNICATION DE TA FOI MONTRE SON EFFICACE EN SE FAISANT CONNAÎTRE PAIE TOUT LE BIEN QUI EST EN VOUS, PAR JÉSUS-CHRIST. (4, 5, 6, JUSQU'À 16.)

 

Analyse.

 

1. Philémon ne peut refuser à Paul la consolation qu'il lui demande, lui qui a l'habitude de consoler les coeurs de tous les fidèles. — L'apôtre de Jésus-Christ pourrait user d'autorité, mais il préfère employer la prière.

2. Philémon n'avait perdu qu'un esclave inutile, et il recouvre un frère très-utile.

3 et 4. De quelle manière un chrétien doit regarder ses serviteurs. — Ne point tirer vanité de ses bonnes oeuvres, et particulièrement des actions d'humilité : ce qui néanmoins est fort à craindre. — Considérez à fond l'humilité du Fils de Dieu. — De la bonté de Dieu à notre égard. — Il ne méprise pas le peu de bien que nous faisons.

 

1. L'apôtre ne demande pas grâce pour Onésime dès le début, il ne le fait qu'après avoir admiré et loué son maître pour ses bonnes œuvres, et lui avoir donné une grande marque de son affection pour lui, en lui disant qu'il se souvient toujours de lui dans ses prières, et que beaucoup d'entre les fidèles trouvaient en lui leur rafraîchissement, et qu'il obéit, qu'il cède aux désirs de tous. C'est alors qu'il arrive enfla à demander cette grâce et (442) qu'il fait tout pour fléchir Philémon. Si les autres obtiennent ce qu'ils demandent, combien plus ne doit pas l'obtenir saint Paul ; s'il était digne d'être exaucé même en se présentant avant tous les autres, combien plus n'en était-il pas digne en venant après les autres, alors surtout qu'il ne demande rien pour lui-même. Ensuite, comme il ne veut point paraître écrire pour un seul, de peur qu'on ne pût dire que, sans Onésime, il n'aurait pas écrit, voyez comme il donne d'autres causes à son épître, d'abord en parlant de la vertu de Philémon, ensuite en l'invitant à lui préparer un logement, « Apprenant ta charité », dit-il cela est bien plus beau et bien plus grand que s'il en avait vu lui-même les effets. Car évidemment il fallait qu'elle fût bien supérieure pour qu'elle ait été si connue, et qu'elle fût arrivée jusqu'à lui malgré la grande distance qu'il y a entre Rome et la Phrygie. C'est en effet en Phrygie que devait vivre Philémon; cela ressort, suivant moi, de ce qu'il est parlé d'Archippe; or les Colossiens sont Phrygiens, et dans l'épître qui leur est adressée, saint Paul dit: « Quand cette lettre aura été lue parmi vous, faites qu'elle soit lue aussi dans l'église des Laodicéens, et vous aussi lisez celle qui est venue de Laodicée » (Coloss. IV, 16) ; et Laodicée est une ville de Phrygie. « Je demande », dit-il, « que la communication de ta foi montre son efficace ».

Remarquez-vous qu'il donne avant de recevoir, et qu'avant de demander un bienfait, il en accorde lui-même un bien plus grand ? « Afin que la communication de ta foi ait son efficace en se faisant connaître par tout le bien qui est en vous par Jésus-Christ ». C'est-à-dire, afin que tu cultives toutes les vertus, afin que rien ne te fasse défaut. La foi en effet est efficace lorsqu'elle se révèle par les oeuvres : « La foi qui est sans les oeuvres est morte ». L'apôtre ne dit pas : ta foi, mais: « La communication de ta foi » ; par là il s'unit à lui, il montre qu'ils sont un seul corps, et c'était le meilleur moyen de le fléchir. Si tu es mon compagnon dans la foi, dit-il, tu dois l'être aussi dans les autres choses.

« Car, mon frère, nous avons une grande joie et une grande consolation de ta charité, en ce que tu as réjoui les entrailles des saints ». Il n'y a de meilleur moyen de toucher les hommes que de leur rappeler leurs bonnes actions, surtout lorsqu'on a plus de droits qu'eux au respect. Il ne dit pas: Si tu fais cela pour d'autres, à plus forte raison le dois-tu faire pour moi, mais il le laisse entendre, seulement il s'y prend par une voie plus douce : « Nous avons une grande joie », c'est-à-dire : Tu m'as inspiré de la confiance en toi parles services que tu as rendus aux autres. «Et une grande consolation », c'est-à-dire, non-seulement nous nous en réjouissons, mais même nous sommes,consolés par là; car ces chrétiens, ce sont nos membres. Si donc il doit y avoir une telle concorde entre les fidèles, que ceux qui sont dans l'affliction se réjouissent par cela seul qu'ils voient les autres éprouver de la consolation, combien plus ne nous réjouirions-nous pas, si tu nous consolais nous-même? Et il ne dit point : Parce que tu obéis, parce que tu cèdes aux désirs des saints, mais: « Parce que tu as réjoui les entrailles des saints » : ce sont des expressions plus fortes et plus énergiques , on, croirait qu'il parle d'un enfant qui fait l'amour et la joie de ses parents. Cette tendresse, cette affection montre qu'il est aimé passionnément par eux.

« C'est pourquoi, bien que j'aie une grande liberté en Jésus-Christ de te commander ce qui est de ton devoir.... » Voyez comme il prend garde qu'aucune des choses qu'il disait même par l'effet de sa grande charité, ne puisse offenser Philémon et le rebuter. C'est pourquoi avant de dire: « De te commander n, ce qui est grave, quoique cette parole, si elle est proférée par l'amour, puisse plutôt nous rendre bienveillants, il la corrige longuement, surabondamment par ces mots : « Bien que « j'aie une grande liberté ». Par là il montre que Philémon jouit d'une grande considération auprès de lui; c'est comme s'il disait: Tu nous as inspiré une grande confiance. Ce n'est pas tout, il ajoute encore: « En Jésus-Christ », et par là il fait entendre que s'il peut lui commander, ce n'est point à cause de sa gloire ni de sa puissance dans le monde, mais en vertu de sa foi en Jésus-Christ. C'est alors qu'il écrit: « De te commander », mais cela ne le contente pas, il met encore : « Ce qui est de ton devoir », c'est-à-dire une chose qui s'accorde avec la raison. Voyez sur combien de motifs il s'appuie : Tu rends des bienfaits aux autres, dit-il, rends-m'en à moi aussi, et parce que c'est pour le Christ, et parce que c'est une chose conforme à la raison, et parce que c'est là une grâce que la charité ne refuse pas.

 

443

 

C'est pourquoi il ajoute: « L'amour que j'ai pour toi fait que j'aime mieux te supplier ». C'est comme s'il disait: Je sais qu'en te commandant je ne ferais pas preuve en vain d'une grande autorité, car d'autres ont déjà obtenu de toi de telles faveurs ; mais comme la chose que je te demande me tient fort au coeur, je te prie plutôt. Il montre ainsi deux choses à la fois, c'est qu'il a confiance en lui (du reste il lui a donné un ordre ) et qu'il est grandement inquiet sur cette affaire, et c'est pour cela qu'il se sert de la prière . « Bien que je sois ce que je suis, savoir, Paul, le vieux Paul » .

2. Oh ! que de raisons puissantes ! « Paul », c'est-à-dire la dignité de la personne ; « le «vieux Paul », c'est-à-dire, le respect dû à la vieillesse ; et ce qui est plus touchant encore, il ajoute : « Prisonnier de Jésus-Christ ». Qui ne recevrait avec des mains suppliantes cet athlète couronné ? En le voyant enchaîné pour Jésus-Christ, qui ne lui accorderait. mille faveurs ? Bien qu'il ait d'avance adouci l'âme de Philémon par tant de raisons, il ne prononce pas encore le nom d'Onésime, mais même après de telles sollicitations , il diffère encore. Vous savez en effet quelle est la colère des maîtres contre leurs esclaves fugitifs, et surtout comment elle grandit même chez les plus doux, lorsque cette fuite a été précédée d'un vol. C'est cette colère qu'il a essayé de calmer par tout ce que nous avons vu. Après lui avoir d'abord persuadé qu'il devait être prêt à lui céder en toutes choses, et avoir préparé son âme à toute obéissance, alors il montre ce qu'il demande et il dit. « Je te prie », et cela est élogieux pour lui, « je te prie pour mon fils que j'ai engendré dans mes liens ».

Ces liens ont encore une grande puissance pour supplier. C'est ici enfin que paraît le nom d'Onésime. Car il n'a pas seulement éteint la colère, il a encore fait naître la joie dans le coeur de Philémon. Je ne l'appellerais pas mon fils, semble-t-il dire, s'il ne m'était grandement utile. Je l'appelle du même nom que j'ai donné à Timothée. De plus, en même temps qu'il montre son amour, il tire du temps où il l'a engendré une grande exhortation. « Je l'ai engendré dans mes liens », dit-il; c'est afin que par cela même il mérite d'être tenu en haute estime puisqu'il a été engendré au milieu des combats de l'apôtre, au milieu des épreuves qu'il a soutenues pour le Christ. — « Onésime qui t'a été autrefois inutile». Voyez quelle est sa prudence, comment il reconnaît la faute de l'esclave, et par ce moyen apaise la colère du maître. Je sais, dit-il, qu'il t'a été inutile, « mais maintenant il est bien utile et à toi et à moi ». Il ne dit pas : Mais maintenant il te sera utile, car celui-ci pourrait le nier ; mais il se met lui-même en cause pour rendre dignes de foi les espérances qu'il donne, et il dit: « Mais maintenant il est bien utile et à toi et à moi ». S'il est utile à Paul qui exige une telle diligence, il le sera bien davantage à son maître.

« Et lequel je te renvoie» : c'est encore un moyen d'éteindre sa colère que de le lui livrer. En effet, si J'es maîtres s'irritent, c'est surtout lorsqu'on leur demande grâce pour de ses claves qui ne sont pas rentrés chez eux: ainsi de cette manière il l'adoucit davantage. « Reçois-le « donc comme mes propres entrailles » : il ne se contente pas de l'appeler simplement par son nom, il ajoute des paroles persuasives plus tendres encore que le nom de fils. Il a dit: « Mon fils» ; il a dit : « Que j'ai engendré » ; c'était surtout pour montrer combien il était naturel qu'il l'aimât, puisqu'il l'avait engendré au milieu des épreuves. Car que notre amour soit surtout très-ardent pour les enfants que nous avons eus dans le malheur, c'est ce qui est manifeste, lorsque nous avons échappé aux dangers, au milieu desquels nous les avons engendrés. C'est ce qu'on voit dans l'Ecriture : « Malheur à Icabod », t' est-il dit ; et ailleurs, lorsque Rachel appelle Benjamin, elle dit: a Benjamin le fils de ma douleur ». — « Reçois-le donc comme mes propres entrailles ». Il montre ainsi toute la grandeur de son amour. Il ne dit pas : Recouvre-le; il ne dit pas : Ne t'irrite point ; mais : «Reçois-le », c'est-à-dire, il est digne, non de pardon, mais d'honneur. Pourquoi? C'est qu'il est devenu le fils de saint Paul.

.           « Je voulais le retenir auprès de moi, afin qu'il me servît à ta place dans les liens de l'Evangile ». Voyez-vous après combien de préparations il nous le fait paraître ici comme devant être honoré dans la maison de son maître ? Voyez encore de quelle sagesse l'apôtre fait preuve en ce moment. Voyez comme il dit. tout ce à quoi Philémon est tenu envers lui, et combien il l'honore. Tu as trouvé, dit-il, à m'aider comme tu le devais dans mes fonctions par le moyen de ton esclave. Ici il (444) montre qu'il a eu plus de sollicitude polir le maître que pour le serviteur, puisqu'il lui accorde tant de respect. « Mais je n'ai rien voulu faire sans ton avis, afin que ce ne fût point comme par contrainte, mais volontairement que tu me fisses le bien que je te propose ». Ce qui adoucit le plus celui à qui on fait une prière, c'est de lui dire qu'on pense à une chose très-utile en soi, mais cependant qu'on n'en veut rien faire sans consentement. De là il résulte deux avantages, c'est que l'un y trouve son profit, et que l'autre est plus sûr de réussir. Remarquez encore que l'apôtre ne dit pas Afin que ce ne fût point par contrainte, mais « Comme par contrainte ». Je savais, semble-t-il dire, que quand tu n'aurais pas été prévenu d'avance, tu ne te serais pas indigné en apprenant tout à coup ce dont il s'agit : j'ai mieux aimé toutefois user d'une préparation même surabondante « afin que ce ne fût point  comme par contrainte ».

« Car peut-être a-t-il été séparé de toi pour un temps afin que tu le recouvres pour toujours ». Il a en raison de dire : « Peut-être », afin que le maître cédât plus facilement. En effet, s'il dit : « Peut-être », c'est parce que la fuite d'Onésime a eu pour cause l'indocilité et la perversité de son caractère, et non pas une juste détermination. Mais il ne dit pas qu'il a fui, il dit « qu'il a été séparé »; il se sert d'une expression adoucie. Encore ne dit-il pas: Il s'est séparé, mais: « Il a été séparé », comme s'il n'avait pas le dessein de s'éloigner peur telle ou telle cause. C'est ainsi que parle Joseph pour défendre ses frères : « Car Dieu m'a envoyé ici », c'est-à-dire, il a fait tourner à bien leur méchanceté. « Il a été séparé pour un temps » : ainsi il réduit le temps, il confesse la faute, et il attribue tout à la divine Providence. « Afin que tu le recouvres « pour toujours », c'est-à-dire, afin que tu le recouvres non-seulement dans cette vie, mais dans l'autre , non plus comme un esclave, mais comme étant au-dessus d'un esclave, puisque, tout en restant esclave, il aura pour toi' plus d'amour qu'un frère. Ainsi il tire parti et de la supputation du temps et de la dignité d'Onésime, car, dit-il, par la suite il ne s'enfuira plus : « Afin que tu le recouvres pour toujours », vous le voyez : « Que tu le recouvres », et non pas : Que tu le reçoives. « Non plus comme un esclave, mais comme étant au-dessus d'un esclave, comme un frère bien-aimé principalement de moi». Tu avais perdu un esclave pour un temps, tu trouves un frère pour toujours, et un frère qui n'est pas seulement le tien, mais encore le mien. Cela a encore une grande force. S'il est mon frère, dit-il, tu ne rougiras point de le reconnaître toi-même pour ton frère. Ainsi en l'appelant son fils, il a montré l'amour qu'il lui portait; en l'appelant son frère, il prouve sa bienveillance et témoigne qu'il le regarde comme son égal.

3. Toutes ces choses n'ont pas été écrites sans motif; l'apôtre veut que nous, maîtres, nous ne désespérions pas de nos esclaves, que nous ne sévissions pas avec violence contre eux, mais que nous apprenions à leur pardonner leurs fautes ; il veut que nous ne soyons pas toujours durs, et que nous ne rougissions pas à cause de leur condition, de les accepter en toutes choses comme nos compagnons, s'ils sont vertueux. Paul n'a pas rougi d'appeler Onésime ses entrailles, son frère et son frère chéri, et nous, nous rougirions ! Mais qu'ai-je besoin de parler de Paul? Le Maître de Paul ne rougit pas d'appeler nos esclaves ses frères, et nous, nous rougirions! Voyez comme le Seigneur nous honore : nos esclaves, il les appelle ses frères, ses amis, ses cohéritiers: voilà jusqu'où il est descendu. Que pouvons-nous donc faire, polir qu'on puisse dire que nous avons tout fait? Rien, absolument rien: car à quelque degré d'humilité que nous soyons parvenus, nous avons toujours à gagner plus que nous n'avons acquis. Faites attention en effet : tout ce que vous pouvez, faire , vous le faites pour des compagnons d'esclavage; mais ce que votre Maître a fait, il l'a fait pour vos esclaves.

Ecoutez et tremblez : que jamais l'humilité ne vous inspire des sentiments d'orgueil. Ces paroles peut-être vous font rire : quoi ! l'humilité nous rend orgueilleux ! —  Ne vous en étonnez pas: elle enorgueillit, à moins qu'elle ne soit sans fard. Comment et de quelle manière ? C'est lorsque par l'humilité nous recherchons les louanges des hommes et non celles de Dieu ; c'est quand nous sommes humbles pour qu'on nous loue et que nous ayons une haute idée de nous-mêmes : cela en effet vient du diable. Il y a des hommes qui, par cela même qu'ils recherchent une gloire qui ne soit pas vaine, aiment la fausse gloire; et de même il y en a qui, au moment (445) où ils s'humilient, s'enorgueillissent parce qu'ils ont des sentiments de fierté. Par exemple, il vous vient un de vos frères ou même de vos esclaves, vous le recevez, vous lui lavez les pieds, et aussitôt pleins d'orgueil, nous avons fait, dites-vous, ce que personne ne fait, nous avons rempli un devoir d'humilité. Mais comment donc pourrait-on rester humble? Qu'on se souvienne du précepte de Jésus-Christ : « Quand vous aurez fait toutes les choses qui vous sont commandées, dites : « Nous sommes des serviteurs inutiles » . (Luc, XVII,10.) Ecoutez encore l'apôtre, qui a été le précepteur de tout le genre humain : « Pour moi »; dit-il, « je ne me persuade pas d'avoir atteint le but ». (Philipp. III, 13.) Celui qui a la ferme croyance que, quoi qu'il ait fait, il n'a rien fait de remarquable, celui qui ne pense jamais qu'il soit arrivé au but, celui-là seul peut être humble de coeur. L'humilité a enorgueilli beaucoup de personnes : ne souffrons pas qu'elle produise le même effet sur nous. Vous avez montré de l'humilité dans telle circonstance? Ne vous en faites pas gloire, sinon vous perdrez tout le fruit de votre action. Tel était le pharisien : il se glorifiait de donner aux pauvres la dîme de ses biens, et il la donnait en pure perte. Il n'en fut pas de même du publicain. Ecoutez saint Paul : il dit encore : « Je ne me sens coupable de rien, mais pour cela je ne suis pas, justifié », (l Cor. IV, 4.) Voyez-vous comment, bien loin de se surfaire, il se rabaisse et s'humilie de toutes les manières, et cela, lorsqu'il, avait atteint le faite de la vertu ?

Et ces trois jeunes gens, qui étaient environnés de flammes au milieu de, la fournaise, que disaient-ils? « Nous avons péché et nous avons partagé l'iniquité de nos pères ». (Dan. III, 29.) C'est là ce qu'on peut appeler avoir un coeur contrit. Aussi pouvaient-ils dire : « Mais que la contrition de notre coeur et l'humilité de notre esprit nous fassent trouver grâce ». Ainsi, après avoir été jetés: dans la fournaise, ils se montrèrent humbles: et même plus humbles qu'avant. Car lorsqu'ils eurent vu le miracle qui s'accomplit en leur faveur, la pensée qu'ils étaient indignes d'être sauvés, les conduisit à l'humilité. N'est-ce pas, en effet, lorsque nous avons la persuasion d'avoir reçu, de grands bienfaits, sans les; mériter, que nous nous sentons le plus contristés? Et cependant quel bienfait ont-ils reçu dont ils fussent indignes? Ils se sont livrés eux-mêmes pour être jetés dans la fournaise, ils ont été emmenés captifs à Babylone pour les péchés des autres, car pour eux ils étaient encore très-jeunes, et toutefois ils ne murmuraient pas, ils ne s'irritaient pas, ils ne disaient pas : Quel avantage avons-nous donc à servir le Seigneur? A quoi nous q-t-il servi de l'adorer? Celui-ci est impie, et il a été tait notre maître. Nous sommes châtiés par un idolâtre au milieu d'idolâtres; nous. avons été emmenés en captivité; nous avons perdu notre patrie, notre liberté, tous les biens dg nos pères; nous avons été faits prisonniers et esclaves, et nous servons, un roi barbare, Ils n'ont rien dit de semblable, et que disent-ils donc? « Nous avons péché, nous avons vécu dans l’iniquité ». Ensuite, lorsqu'ils prient, ce n'est pas pour eux, c'est pour les antres. « Tu nous as livrés, » disent-ils, « à un roi très-cruel et très-méchant ». Voyez encore Daniel; jeté dans la fosse aux lions, il dit: « Dieu s'est souvenu de moi ». (Dan, XIV, 37,) Comment ne s'en serait-il pas souvenu, ô Daniel, puisque tu l'as glorifié devant le roi en disant : « Ce secret m'a été révélé, non point par quelque sagesse qui soit en moi? » (Dan. II, 30.) Aussi lorsque tu étais jeté dans la fosse aux lions pour n'avoir pas voulu obéir à un ordre impie, comment ne se serait-il pas souvenu de toi? Il s'en est souvenu en effet, et pour cela même. N'as-tu donc pas été livré aux lions à cause de lui ? — C'est vrai, dit-il, mais j'ai, de grandes dettes envers le Seigneur.

Si Daniel parle ainsi après avoir fait preuve de tant de vertu,, nous autres, que dirons-nous donc? Mais écoutez encore David: « Que s'il tue dit : Je ne prends point de plaisir en toi; me voici, qu'il fasse de moi ce qu'il lui semblera bon » (II Rois, XV, 25); et cependant il aurait pu rapporter mille bonnes actions qu'il avait faites. Héli dit aussi : « C'est l'Eternel, qu'il fasse ce qui lui semblera bon ».. (I Rois, I , III, 18.)

4. Les esclaves de Dieu doivent montrer lent. sagesse en s'en rapportant à lui pour toutes, choses, non-seulement lorsqu'ils reçoivent; des bienfaits, mais même au milieu des châtiments et des supplices. En effet,, nous permettons aux maures de frapper leurs serviteurs, car nous savons qu'ils les épargneront, puisqu’ils leur appartiennent : ne serait-il donc pas  absurde de croire quo Dieu nous (446) châtie sans nous épargner? Ecoutez saint Paul: « Soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur ». (Rom. XIV, 8.) Il né veut pas, dit-il, diminuer ses richesses, il sait comment il punit, et ceux qu'il châtie, ce sont ses propres esclaves. Personne ne nous épargne plus que celui qui, lorsque nous n'étions pas encore, nous a fait sortir du néant, qui nous envoie les rayons du soleil, qui nous accorde la pluie, qui inspire notre âme, et qui nous a donné son Fils pour nous racheter.

Voilà ce que je voulais dire, et si j'ai dit toutes ces choses, c'est pour que nous soyons humbles comme il le faut, modérés comme il le faut, et que nous ne trouvions pas dans cette conduite une occasion de nous enorgueillir. Tu es humble et plus humble que tous les hommes. Que ce ne soit pas un motif pour te glorifier toi-même et pour accuser les autres, sinon toute ta gloire s'évanouira. Pourquoi dois-tu être humble? C'est pour éviter l'insolence, mais si ton humilité t'y fait tomber, il eût mieux valu n'être pas humble. Voici en effet ce que dit l'apôtre : « Le péché m'a causé la mort par le bien, afin que le péché fût rendu par le commandement excessivement péchant ». (Rom. VII, 13.) Que s'il te vient la pensée de t'admirer toi-même pour ton humilité, pense, jusqu'où Jésus a poussé cette vertu, et tu ne t'admireras pas plus longtemps , tu ne te donneras plus d'éloges, tu te riras de toi-même comme d'un homme qui n'est encore arrivé à rien. Persuade-toi bien que tu es son débiteur en toutes choses; et quoi que tu fasses, rappelle-toi cette parabole : « Quel est celui d'entre vous qui, ayant un serviteur, lui dise incontinent : Avance-toi et mets-toi à table; et qui plutôt ne lui dise : Reste là, et prépare-moi d'abord à souper? » (Luc, XVII, 7.) Sommes-nous reconnaissants à nos esclaves de ce qu'ils nous servent? Nullement. Pour Dieu au contraire, il nous sait gré non pas de ce que nous le servons, mais de ce que nous faisons ce qui nous est utile. Néanmoins n'agissons pas avec l'idée qu'il nous sait gré de nos vertus, et comme si nous voulions qu'il nous en sût gré encore davantage , croyons que nous acquittons une dette; car c'est bien en effet une dette, et tout ce que nous faisons nous le devons. Voilà des esclaves que nous avons achetés à prix d'argent; nous voulons qu'ils vivent toujours pour nous, et que, tout ce qu'ils ont, ils l'aient pour nous : mais celui qui, lorsque nous n'étions pas, nous a tirés du néant, celui qui nous a rachetés de son sang précieux, n'a. t-il pas bien plus de droits à exiger de nous la même chose? Il a donné pour nous un prix qu'un père ne consentirait pas à donner même pour son fils : il a répandu son propre sang. Aussi quand nous aurions des milliers de vies à lui donner en retour, les choses seraient-elles égales? Nullement. Pourquoi ? Parce qu'il a agi ainsi sans nous rien devoir, parce que tous ses bienfaits sont un pur effet de sa grâce, tandis que nous, au contraire, nous sommes déjà ses débiteurs. Il était Dieu et s'est fait esclave, il était immortel et il s'est soumis à la mort en s'incarnant; mais nous, quand nous ne lui abandonnerions pas notre vie, la loi de la nature ne nous en forcerait pas moins à l'abandonner un jour : quelques moments après nous la quitterions malgré nous. Je ferai le même raisonnement pour les richesses : quand nous ne les donnerions pas en son nom, la nécessité et la mort nous contraindraient bientôt à les rendre. Il en est de même encore pour l'humilité : quand nous ne nous humilierions pas pour lui, les afflictions, les malheurs, les ordres des tyrans nous humilieraient assez.

Voyez-vous combien grande est la grâce qu'il nous a faite? Il ne dit pas: Que font donc dé si grand ces martyrs? Quand ils ne mourraient pas pour moi, ils n'en mourraient pas moins bientôt. Non, mais il leur sait grand gré de vouloir bien quitter de leur propre mouvement cette vie, que la loi de la nature leur enlèverait ensuite malgré eux. Il ne dit pas: Que font donc de si grand ceux qui donnent toute leur fortune en aumônes? malgré eux il faudra bien qu'ils les quittent. Non, mais il leur sait grand gré de cela, et il ne rougit pas d'avouer devant tout le monde, que lui, le Seigneur, il a été nourri par des esclaves. En effet, c'est la gloire du maître que d'avoir des esclaves reconnaissants ; c'est la gloire du maître que d'être ainsi aimé de ses esclaves; c'est lai gloire du maître que de pouvoir se servir de leurs biens comme des siens; c'est la gloire du maître que de ne pas rougir d'avouer publiquement qu'il en est ainsi. Que cette immense charité du Christ nous inspire donc le plus grand respect et le plus ardent amour, Si humble, si nul que soit un homme, du (447) moment que nous savons qu'il nous aime, nous nous embrasons d'une belle flamme pour lui, et nous en faisons le plus grand cas. Ainsi nous l'aimerons, et lorsque notre Maître suprême nous porte tant d'amour, nous restons froids ! Ne soyons pas, je vous en prie, ne soyons pas aussi insouciants, lorsqu'il s'agit du salut de nos âmes. Aimons-le de toutes nos forces, et pour l'amour de lui donnons tout, la vie, la fortune, la gloire avec joie, avec plaisir, avec ardeur, comme si ce n'était pas à lui, mais à nous que nous les offrions. Telle est en effet la loi de l'amour. Les amants croient qu'on leur accorde toutes les faveurs, lorsqu'ils peuvent souffrir pour ceux qu'ils aiment. Ayons donc aussi ces sentiments à l'égard de notre souverain Maître, afin que nous ayons notre part des biens éternels en Jésus-Christ Notre-Seigneur qui partage la gloire avec le Père et le Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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