PHILÉMON I

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ARGUMENT
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HOMÉLIE PREMIÈRE. PAUL, PRISONNIER DE JÉSUS-CHRIST, ET LE FRÈRE TIMOTHÉE, A PHILÉMON, NOTRE BIEN-AIMÉ ET COOPÉRATEUR, ET A APPIE, NOTRE BIEN-AIMÉE, ET A ARCHIPPE, LE COMPAGNON DE NOS COMBATS, ET A L'ÉGLISE QUI EST EN TA MAISON, GRÂCE ET PAIX DE LA PART DE DIEU NOTRE PÈRE, ET DE LA PART DU SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. (1, 2, 3.)

 

Analyse.

 

1. Toutes les expressions employées par l'apôtre dans le préambule de cette épître sont très-propres à fléchir Philémon.

2 et 3. Le saint nous montre excellemment que nous devons pardonner à nos frères, et l'avantage qui nous revient de cette charité, non-seulement devant Dieu, mais encore devant les hommes. — Combien sont durs ceux qui ne veulent pas pardonner.

 

1. Cette épître a été écrite à un maître pour un esclave : dès le début saint Paul le rappelle à l'humilité ; il ne veut pas le faire rougir, mais il éteint sa colère, en s'appelant prisonnier, il l'adoucit et le force à rentrer en lui-même, et il fait que les choses de ce monde ne lui paraissent être rien. Si en effet les liens qu'on porte pour le Christ, bien loin d’être une honte, sont une gloire, l'esclavage est beaucoup moins ignominieux. S'il parle ainsi, ce n'est pas pour se glorifier, il fait une oeuvre utile, et il montre son autorité, non dans son intérêt, mais seulement pour que Philémon lui accorde plus facilement ce bienfait, que s'il disait, comme il l'a dit ailleurs : C'est pour vous que je suis chargé de ces chaînes. Dans ces dernières paroles il fait voir sa sollicitude, ici il montre son autorité. Il n'y a rien de plus grand qu'une telle gloire, c'est au point qu'il est appelé le stigmatisé de Jésus-Christ : Car, « dit-il, je porte le stigmate de Jésus-Christ ». (Gal. vi, 17.)

« Prisonnier de Jésus-Christ ». C'est en effet pour Jésus qu'il avait été lié. Qui ne serait plein de respect, qui ne serait adouci, en entendant parler des liens de Jésus-Christ? Qui ne donnerait toute son âme bien loin de refuser un seul esclave? — « Et le frère Timothée ». Il en prend un second avec lui, pour que Philémon, ébranlé par les prières de plusieurs, cède plus facilement et accorde le bienfait qu'on lui demande. — « A Philémon, notre bien-aimé et coopérateur » . S'il est  son bien-aimé, il n'y a ni audace ni témérité à se confier en lui, c'est une singulière marque d'amitié. S'il est son coopérateur, il devait non-seulement recevoir une telle prière, mais même en être reconnaissant, car c'est à lui-même qu'il rendra service, puisqu'il bâtit le même édifice que saint Paul. Ainsi, dit l'apôtre, laissons de côté ma prière, il y a une autre nécessité qui te forcera à accorder ce bienfait : car si Onésime est utile à l'Evangile, et que tu sois plein de zèle pour en propager la doctrine, il ne faut déjà plus qu'on te fasse cette demande, c'est toi-même qui dois la faire.

« Et à Appie, notre bien-aimée ». C'était sans doute l'épouse de Philémon. Voyez l'humilité de saint Paul: il s'appuie sur Timothée pour faire sa demande, et il l'adresse non-seulement au mari, mais encore à la femme et à un autre qui était sans doute un ami : « Et à  Archippe, le compagnon de nos combats ». Car il ne veut pas obtenir par un ordre ce qu'il désire, et il ne s'indigne pas, si on n'obéit pas immédiatement à ses exhortations tout ce qu'un inconnu ferait pour lui, il les prie de le faire, de manière à ce qu'ils s'intéressent à sa demande. En effet il est bon qu'une prière soit non-seulement appuyée par beaucoup de gens, mais encore adressée à beaucoup de personnes, pour qu'on obtienne ce qu'on réclame. C'est pourquoi il dit: « Et à Archippe, le compagnon de nos combats ». Si tu es son compagnon d'armes, voilà une occasion dans laquelle tu dois encore lui venir en aide. Et Archippe est celui dont il est dit dans l'épître aux Colossiens : « Dites à Archippe : prends garde à l'administration que tu as reçue en Notre-Seigneur, afin que tu l'accomplisses ». (Colons. IV, 17.) Il me semble qu'il a dû être encore un de ceux qui ont été appelés à exercer le saint ministère; il s'appuie sur lui pour faire sa demande, et il l'appelle son compagnon d'armes, pour que de toute manière il lui prête son secours. — « Et à l'église qui est en ta maison ». Il ne passe pas sous silence les esclaves, car il savait que souvent les paroles (439) des serviteurs peuvent changer les sentiments d'un maître, surtout lorsqu'on demande quelque chose pour un esclave; du reste c'étaient peut-être eux qui excitaient le plus Philémon contre Onésime. Il ne veut donc pas qu'ils puissent avoir des sentiments de haine, et il daigne parler d'eux à côté de leur maître. Mais il ne veut pas non plus que le maître s'indigne. Or s'il les avait appelés par leurs noms, peut-être se serait-il indigné; s'il n'avait pas fait mention d'eux, peut-être eût-il été mécontent. Voyez-donc quelle prudence éclate dans la manière dont il en parle, lorsqu'il les juge dignes d'être mentionnés, sans cependant offenser Philémon. Le nom d'église qui leur est donné ne permet pas que les maîtres s'indignent s'ils sont comptés avec leurs esclaves. Car l'Eglise ne connaît pas la différence de l'esclave et du maître ; c'est par leurs bonnes ou leurs mauvaises actions qu'elle fait une distinction entre eux. Si donc ils forment une église, ne t'indigne pas de ce que ton esclave est nommé à côté de toi. « En Jésus-Christ il n'y a ni esclave ni libre ». (Gal. III, 28.)

« Grâce et paix ». L'apôtre rappelle à Philémon ses péchés, en le faisant souvenir de la grâce. Pense, dit-il, combien de fautes Dieu t'a remises, et comment tu as été sauvé par la grâce : imite le Seigneur. Il demande aussi pour lui la paix, et avec raison. Car nous la possédons, lorsque nous imitons le Seigneur, lorsque la grâce reste en nous. Ainsi pour cet esclave qui était sans pitié pour son compagnon de servitude, tant qu'il ne lui redemanda pas les cent deniers, la grâce de Dieu resta en lui; mais lorsqu'il les réclama, elle lui fut enlevée, et il fut lui-même livré aux bourreaux.

2. Pensant à cet exemple, soyons miséricordieux, et pardonnons facilement à ceux qui nous offensent. Les cent deniers, dont il est parlé dans la parabole, ce sont les offenses qu'on nous fait; mais les offenses que nous faisons à Dieu seraient des milliers de talents. Vous savez, en effet, qu'on juge aussi les fautes d'après la qualité des personnes que nous offensons. Par exemple, celui qui offense un simple citoyen, pèche, mais non pas comme celui qui insulte un prince. L'offense croît à proportion que celui qui l'a reçue est élevé en dignité. Si on offense le roi, la faute est beaucoup plus considérable encore. L'injure est la même, à la vérité, mais elle devient plus grave à cause de la dignité de la personne offensée.

Mais si celui qui blesse un roi, est livré à un supplice intolérable à cause de la considération qui s'attache à la royauté, combien de talents ne devra pas à Dieu celui qui l'aura insulté ? C'est pourquoi, quand les péchés que nous commettons contre Dieu seraient les mêmes que ceux que nous commettons contre les hommes, ils ne seront cependant pas égaux; il y aura entre eux toute la différence qu'il y a entre l'homme et là divinité.

Mais je trouve un plus grand nombre de fautes encore qui sont très-graves, non-seulement par l'excellence de celui qu'elles blessent, mais par elles-mêmes. C'est unie chose horrible que je vais dire, une chose vraiment terrible : il faut la dire cependant, pour qu'ainsi les âmes soient frappées et émues : oui, je vous montrerai que nous craignons les hommes beaucoup plus que Dieu, que nous honorons les hommes beaucoup plus que Dieu ! Faites attention en effet : celui qui commet un adultère sait que Dieu le voit, et il le méprise; mais si un homme le voit, il réprime sa concupiscence. Celui qui agit ainsi, celui-là non-seulement estime les hommes plus que Dieu, non-seulement fait une injure à Dieu, mais même, ce qui est plus grave, craint ses semblables et méprise le Seigneur. Car s'il voit un mortel, il éteint la flamme de sa passion, ou plutôt est-ce bien une flamme ? non, c'est une insolence. S'il n'était pas permis d'avoir un commerce avec une femme, on aurait droit de dire que c'est une flamme, mais maintenant c'est une insolence , une débauche; voit-il des hommes, sa démence tombe aussitôt, mais il-se soucie moins de lasser la longanimité de Dieu. De même cet autre qui vole a conscience de son larcin , et il essaie de tromper les hommes, il se défend contre les accusateurs, il donne une apparence spécieuse à sa défense ; mais pour Dieu qu'il ne peut pas tromper, -il n'en a nul souci, il ne le craint pas, il ne l'honore pas. Si un roi nous ordonne de ne pas mettre la main sur l'argent d'autrui, ou même de donner nos propres richesses, nous les apportons aussitôt : et quand Dieu nous ordonne de ne pas ravir, de ne pas prendre les biens des autres, nous n'obéissons pas. Ne voyez-vous pas que nous avons plus d'estime pour les hommes que pour Dieu?

Ces mots vous sont pénibles et vous blessent, dites-vous ? — Montrez donc parles faits .mêmes combien ils vous sont pénibles. Fuyez (440) les péchés qu'ils désignent, car si vous ne fuyez pas ces péchés, comment pourrai-je vous croire lorsque vous direz : Les mots nous font peur et tu nous accables? — C'est vous qui vous accablez vous-mêmes par vos fautes; moi je me contente de dire la qualité des péchés que vous commettez, et vous vous indignez n'est-ce pas déraisonnable? Plaise à Dieu que tout ce que je dis soit faux ! J'aime mieux emporter la réputation d'avoir été injurieux en ce jour, comme vous ayant fait des reproches inutiles et nullement fondés, que de vous voir de ces péchés, accusés au tribunal redoutable. — Maintenant non-seulement vous préférez les hommes à Dieu, mais même vous forcez les autres à faire comme vous : beaucoup y forcent nombre d'esclaves et de serviteurs. On contraint les uns à se marier malgré eux, les autres à rendre des services criminels pour un amour impur, pour des vols, des fraudes et des violences. Ainsi c'est double crime, et ceux mêmes qui agissent malgré eux, ne peuvent pas obtenir le pardon en donnant cette excuse. Si vous faites une mauvaise action malgré vous, pour obéir au prince, l'ordre que vous avez reçu ne vous sera pas une défense suffisante; mais votre péché devient plus grand, lorsque vous forcez aussi les autres à mal faire. Quelle grâce pourra donc être faite à un tel coupable? Si j'ai dit ces choses, ce n'est pas que je veuille vous condamner ; j'ai seulement voulu montrer combien nous sommes les débiteurs de Dieu. Car si, lors même que nous honorons Dieu autant que l'homme, nous faisons encore injure à Dieu, combien plus grande ne sera pas l'injure lorsque nous lui préférons les hommes.? Si les offenses que nous faisons aux hommes deviennent bien autrement graves lorsque nous les faisons à Dieu, combien ne sont-elles pas plus graves encore, lorsque par elles-mêmes elles sont déjà grandes et considérables ? Que chacun s'examine attentivement et il reconnaîtra qu'il fait tout pour les hommes. Nous serions bien heureux si nous faisions autant pour Dieu que pour les hommes, pour l'estime que nous attendons d'eux, pour la crainte ou le respect qu'ils nous inspirent. Puis donc que nous avons tant et de si grandes dettes, nous devons mettre la plus grande ardeur à pardonner à ceux qui nous offensent et nous trompent, et à oublier les injures. Car pour se délivrer de ses fautes, il ne faut pas de rudes travaux, de grandes dépenses, ni rien de tel, mais seulement la volonté de l'âme; il n'est pas besoin d'entreprendre un voyage, de partir pour une autre contrée, d'affronter des dangers, de supporter des fatigues, il suffit de vouloir.

3. Comment, dites-moi, obtiendrons-nous notre pardon pour les fautes qu'il nous paraît difficile d'éviter, si nous ne faisons pas une petite chose qui a tant d'utilité et de profit, et qui n'exige aucun labeur ? Vous ne pouvez pas mépriser les richesses? Vous ne pouvez pas donner vos biens aux pauvres? Mais du moins ne pouvez-vous pas vouloir faire une bonne action ? Ne pouvez-vous pas pardonner à ceux qui vous ont offensé? Quand vous n'auriez pas tant de dettes à payer et que Dieu vous ferait seulement un précepte du pardon, ne pardonneriez-vous pas ? et maintenant que vous avez tant de comptes à rendre, vous ne pardonnerez pas, et cela, lorsque vous savez qu'on vous demande raison des fautes que vous avez commises vous-même ! Je suppose que nous allions chez notre débiteur; celui-ci, le sachant, nous entoure de soins, nous reçoit, nous rend des honneurs et nous montre par sa libéralité les dispositions les plus bienveillantes : et cela, ce n'est pas lorsqu'il est débarrassé de sa dette, s'il agit ainsi, c'est pour nous rendre modérés dans nos réclamations : vous cependant, lorsque vous devez tant à Dieu et qu'on vous ordonne de remettre aux autres leurs péchés, pour que les vôtres vous soient remis, vous ne les remettez pas ! Pourquoi donc, je vous prie?

Hélas ! quelle bonté Dieu a pour nous ! mais nous, quelle n'est pas notre malice ! notre sommeil ! notre paresse ! Combien la vertu est facile, et combien elle nous est avantageuse ! Combien la malice coûte de fatigues ! nous cependant, nous fuyons une chose si légère pour en suivre une qui est plus lourde que le plomb. Il n'est pas besoin pour être vertueux d'avoir de la santé, des richesses, de l'argent, de la puissance, des amis, ni rien de semblable, mais il suffit de vouloir, et c'est tout. Quelqu'un vous a-t-il couvert d'injures et d'opprobres? Pensez que vous-même vous avez beaucoup de pareilles offenses à vous reprocher envers les autres, même envers Dieu, et ainsi remettez-lui sa faute et pardonnez-lui; pensez que vous dites : « Remettez-nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs ». (Matth. VI, 13.) Pensez que si vous ne les (441) remettez pas, vous ne pouvez pas prononcer ces mots avec confiance; mais si vous les remettez, c'est une action dont vous pourrez demander qu'on vous tienne compte comme d'une dette que Dieu a envers vous, non qu'elle soit telle par sa nature, mais c'est la bonté de celui à qui nous devons tant, qui l'a rendue telle. Est-ce là de l'égalité? Comment? celui qui remet leurs dettes a ses compagnons d'esclavage obtiendra la rémission des péchés qu'il a commis envers le Seigneur ! Oui, nous jouissons d'une telle bonté, car il est riche en miséricorde et en pitié.

Mais pour vous montrer qu'en dehors même de ces considérations, en dehors de cette rémission de vos fautes, par cela seul que vous remettez aux autres leurs péchés, vous retirez vous-même de là un grand profit, voyez combien celui qui agit ainsi a d'amis et comment son éloge est dans toutes les bouches. Ne dit-on pas : C'est un honnête homme, facile à apaiser, qui n'a pas la mémoire des injures et qui est aussi vite guéri que blessé? Qu'un tel homme vienne à tomber dans quelque malheur, qui n'aura pitié de lui ? qui ne lui pardonnera ses fautes? qui ne l'exaucera, lorsqu'il demandera une faveur pour autrui? qui ne vaudra être l'ami ou le serviteur d'un homme si bon? Ah ! je vous prie, agissons ainsi en toutes choses pour cette raison, non-seulement envers nos amis et nos parents, mais même envers nos esclaves : car, dit l'apôtre : « Modérez vos menaces, sachant que le Seigneur et d'eux et de vous est au ciel ». (Ephés. VI, 9.) Si nous remettons au prochain ses offenses, les nôtres nous seront remises aussi; elles nous seront remises, si nous faisons l'aumône, si nous sommes humbles, car c'est ainsi encore que nous nous délivrons de nos péchés. En effet, si un publicain, pour avoir dit seulement : Soyez-moi propice, moi qui suis pécheur » (Luc, XVIII, 13), s'est retiré justifié, combien plus facilement n'obtiendrons-nous pas une grande bienveillance, si nous sommes humbles et contrits? Confessons nos péchés, condamnons-nous nous-mêmes et nous effacerons urne grande partie de nos souillures . car il y a beaucoup de voies pour se purifier. Combattons donc partout le diable. Je n'ai rien dit qui fût difficile, qui fût pénible à faire. Pardonnez à celui qui vous a offensés, ayez pitié des pauvres, humiliez votre âme, et quand vous seriez de grands pécheurs, vous pourrez avoir v«re part du royaume éternel, en vous purgeant ainsi de vos fautes, en effaçant ainsi vos taches. Puissions-nous tous, lavés ici-bas de toutes les souillures de nos péchés par le moyen de la confession, obtenir là-haut les biens promis en Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui partage avec le Père; la gloire, la puissance, etc.

 

 

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